Gildwen mallejac
BIENTÔT CONTRAINTS AUX UTOPIES
Construction, Valorisation et Transmission d’un patrimoine bâti soutenable
BIENTÔT CONTRAINT AUX UTOPIES
SOMMAIRE
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Expérience
INTRODUCTION 1 Les raisons du changement 1.1 LA LOGIQUE INDUSTRIELLE
p.30
1.2 l ’architecture n’est plus un vecteur de culture
p.36
2 La performance environnementale comme opportunité architecturale 2.1 DISPOSITIF BIOCLIMATIQUE
p.42
2.2 DYNAMIQUE COLLECTIVE
p.46
CONCLUSION #Projet professionnel
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. ExpĂŠriences
FORMATIONS 2015-2016
Master 2, ENSAG, studio ‘‘Ville ressource’’.
2014-2015
Master 1, ENSAG, studio ‘‘Ville ressource’’
2011-2014
Licence d’architecture à l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Grenoble.
Réalisation d’un PFE à Onagawa au Japon
Rédaction du mémoire «L’urbanité du temps libre»
2009-2011
Formation universitaire «Bâtis anciens et techniques
innovantes de restauration».
2007-2009
Formation d’accès aux études universitaire B
2006-2007
C.A.P. Tailleur de pierres.
2004-2006
B.E.P. Maçonnerie bâtiment gros œuvre.
En alternance à l’université de Nantes.
Équivalence du Bac S, Suivi de cette formation en cours du soir.
Formation suivie auprès d’un artiste sculpteur.
Interne chez les Compagnons du Devoir et du Tour de France.
EXPERIENCES PROFESSIONNELLES 2017
Collaborateur chez hobo depuis novembre 2016.
Suivi du projet d’une tour mixte (bureaux / logements) depuis la phase pro.
Participation à un important concours dans le domaine hospitalier et universitaire.
2016
Stage de 3 mois dans l’agence de paysage BASE.
Participation à l’élaboration d’un plan guide pour la plaine des sports à Saint- Nazaire.
2013
Stage de 1 mois dans l’agence Liard & Tanguy à Rennes.
2004-2011
Ouvrier maçon-tailleur de pierres dans une entreprise labélisée «Entreprise du patrimoine vivant».
2008- 2012
Encadrant technique d’un chantier international d’été.
Étude de faisabilité, relevé, esquisses.
Évolution d’apprenti à chef d’équipe dans le domaine du bâti ancien. Participation à l’élaboration de devis et suivis de chantiers.
Gestion d’un chantier de restauration de douves, avec une équipe de bénévoles étrangers.
2006-2007
Remplacement d’un animateur technique maçonnerie
Encadrement de personnes en réinsertion professionnelle sur des chantiers
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.Jusqu’ici
Apprentissage / à la suite du collège, j’ai intégré le centre de formation de l’association des compagnons du devoir et du tour de France. Interne pendant deux ans, ce premier contact avec le milieu du bâtiment me laisse aujourd’hui un souvenir prégnant. Cette formation a été à la fois très enrichissante mais c’est aussi avérée assez rude. Effectivement le compagnonnage est une expérience pleine et impose un engagement total et ininterrompu dans un univers à la fois très stimulant et aussi intransigeant. Le planning hebdomadaire proposé est très conséquent et rend par comparaison celui d’un architecte assez léger. Chaque journée de travail est agrémentée de cours du soir ou de causeries collectives et les week-ends sont consacrés à l’exercice pratique en atelier. Ce train d’enfer ne permet aucune activité périphérique et les rares pauses servent à récupérer de la dépense physique exigée. Finalement je choisis de retenir de cette expérience l’apprentissage de la rigueur et une certaine expérimentation de l’adversité. Maçonnerie de terre crue / La vie communautaire du compagnonnage s’intercale avec la vie de chantier. Durant toutes les années que j’ai passées sur le chantier, j’étais salarié de l’entreprise de mon père Denis MALLEJAC. Premier maçon à être nommé maître d’art, il a passé sa carrière à redécouvrir les méthodes de construction du bâti ancien du bassin rennais. La construction en terre crue est une des techniques locales qu’il a remise en oeuvre. D’abord pour rénover et restaurer des monuments historiques puis finalement aussi pour des constructions neuves pour lesquelles ce matériau local était adapté. De manière générale les acteurs de ce milieu de niche sont mûs par le désir de sauvegarder leur patrimoine local et de promouvoir le développement durable. Le contact avec ce milieu m’a forgé une conscience aiguëe de l’importance des méthodes constructives et des matériaux employés pour la qualité de l’habitat. Taille de pierre / à la suite du BEP maçonnerie j’ai eu la chance d’intégrer une formation de tailleur de pierre auprès d’un sculpteur indépendant à Fougères. Installé dans une ancienne chapelle précédemment transformée en verrerie, l’atelier de Philippe André est un lieu de travail où se croisent toutes sortes de profils. Car Philippe est sculpteur et artisan tailleur de pierre mais aussi artiste et formateur agrégé et j’en oublie sûrement... ce qui entraîne un brassage de personnalités très riche au sein de cette «chapelle». Il pratique une formation pratique et très libre à l’aide d’exercices concrets. J’ai
Pisé /
11 Bauge /
Torchis /
Illustration tirés du livre «Bâtir en terre» de CRAterre.
passé de très bons moments à réaliser des pièces variées et librement appréhendées selon l’inspiration du moment avec l’accompagnement technique du «maître». Expérimenter cette approche sensible de la pratique du bâtiment était très intéressante en complément de la formation des compagnons et m’a alors confirmé que ces métiers pouvaient représenter un espace de création et d’expression malgré l’image frustre qu’ils renvoient parfois.
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Accès à l’université / après trois ans sur le chantier où j’ai progressé d’apprenti à chef d’équipe, j’ai souhaité en parallèle m’ouvrir les portes de formations plus approfondies. Seulement titulaire du CAP/BEP je me suis engagé dans une remise à niveau pour récupérer un niveau BAC. Finalement après un an de cours du soir et l’obtention de la moitié de l’équivalence d’un BAC S j’ai eu la chance de bénéficier d’un «pont» vers l’université sous la forme d’une validation d’acquis de l’expérience. DU BATIR / Le Diplôme Universitaire du Bâti Ancien et des Techniques Innovantes de Restauration est dispensé à l’université de Nantes sur le site des chantiers navals de l’île. C’est une formation assez variée sur les métiers du patrimoine. D’un côté, des intervenants professionnels de tout corps d’état nous présentent leurs pratiques et leurs méthodes, et de l’autre, des enseignants proposent des cours plus généraux sur l’histoire de l’architecture et la culture constructive liée au patrimoine. Dans ces cours, j’ai pu entre autre apprendre des notions clefs sur le traitement de pathologie les plus courantes dans le bâti ancien et appréhender les différents parti-pris dans l’approche de la restauration du bâti ancien avec l’école italienne (intervention signifiée et réversible) et l’école française (reconstruction profonde à l’identique). Mais si toutes ces notions de diagnostic et d’intervention sur le bâti ancien sont passionnantes, c’est bien les cours d’histoire de l’architecture qui m’ont le plus marqué. Effectivement les explications par l’architecte Philippe Perron des mécanismes de la fabrique de la ville, ont aiguisé ma curiosité sur les enjeux de la conception. J’ai alors réalisé un mémoire sur la signification dans l’architecture sur la base du livre de Christian Norberg-Schulz sur le sujet1. Cette lecture m’a beaucoup aidé à démystifier la notion de symbolique dans l’architecture et a entrevoir les leviers pour produire du sens dans la construction. 1. Norberg-Schulz C, La signification dans l’architecture occidentale, Mardaga, 2007.
Étude d’architecture / étant déjà sensible aux méthodes de construction et aux matériaux qui prennent part dans la fabrication d’un imaginaire architectural, j’ai choisi de m’intéresser particulièrement aux leviers sociologiques et programmatiques pour construire une démarche de projet la plus complète possible. Une des questions récurrentes abordée dans mes travaux d’étudiant a été celle de l’appropriation des lieux par les usagers, une question que j’ai associée à la manière d’inscrire un projet dans son contexte. Effectivement, j’ai pu à travers les travaux de Heidegger, comprendre comment pour habiter pleinement un lieu, il est nécessaire d’avoir le sentiment d’en prendre soin et de pouvoir s’y investir. La notion de mise en valeur d’un contexte par une intervention architecturale est alors un premier pas pour légitimer cette dernière aux yeux de riverains et des usagers. J’ai le sentiment que la mise en cohérence et la mise en relation de ressources locales avérées ou latentes de toutes sortes, donne le sentiment qu’un projet a toujours été là, où qu’il le devait. Désormais j’essaie dans chacun de mes projets de mettre en oeuvre une démarche prospective de la mise en valeur du «déjà là», ces ressources tangibles et intangibles préexistantes au projet et valorisables à peu de frais. Dans la continuité de cette idée j’ai développé un intérêt pour une architecture ‘‘d’expérience’’ où la mise en scène des espaces favorise les pratiques émergentes autant que celles ‘‘programmées’’. Car pour permettre l’investissement d’un lieu il convient de multiplier les points d’accroches et les manières de le pratiquer. Je crois aussi qu’un architecte aussi doué soit-il ne peut pas tout anticiper et tout connaître de l’usage qui sera fait de son ouvrage à moyen et court terme. Alors au-delà de la mise en place d’un programme précis, j’aime penser le projet comme la préparation d’un terreau qui dans sa générosité non sélective saura offrir des espaces favorables à l’épanouissement d’activités inattendues. En ligne directe de ce principe de programme aux contours flous qui offre prise à «l’imprévu», j’ai toujours eu en parallèle un questionnement sur l’adaptabilité des ouvrages qui, je crois directement est lié à la question de la pérennité d’une construction. Je laisse cette question en suspens puisqu’elle sera abordée plus tard dans ce mémoire.
En exemple sur les deux planches suivantes deux de mes travaux de Master
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Un site sinistré par un tsunami devient un lieu de production artisanal et un parcours de découverte / Aménagement de la plaine inondable d’Onagawa (Japon), qui valorise la mémoire de la ville détruite et propose un nouveau dialogue avec les ressources naturelles de la ville. La ville portuaire d’Onagawa s’est construite dans une Ria, un port naturel formé par l’avancée des montagnes dans la mer. Pendant la période d’après-guerre jusque dans les années 90, la ville se développe dans la plaine faisant confiance aux protections anti-raz-de-marée pour la protéger des tsunamis formés par les séismes qui se déclarent régulièrement dans la région. Mais le 11/03/2011 un séisme de magnitude 9 engendre un tsunami de 15m de haut qui s’abat sur la ville et détruit les parties de celle ci gagnées sur la plaine inondable. Le projet s’inscrit dans une démarche de résilience ou la plaine inondable, redevient un lien avec la ressource principale de la ville, la mer. À l’image d’une cité lacustre le site propose un réseau de canaux en lieu et place de l’ancien réseau viaire. Le tracé de l’ancienne ville est laissé à l’influence du rythme des marées offrant un paysage et des usages changeants, témoins de l’impermanence des milieux naturels.
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Une rue couverte pour renforcer le tissu social de la communauté d’Onagawa / Le tsunami a traumatisé une population dont la cohésion était déjà fragilisée par la crise du périurbain qui touche le Japon. Avec une décroissance démographique importante et un vieillissement rapide de la population, ces régions doivent relever le même défi : retrouver un équilibre économique et reconstituer un réseau d’entraide mutuelle. Cet équipement collectif a vocation à devenir un élément-clef du «Bosai» (prévention des désastres), mis en place dans une nouvelle stratégie d’aménagement. Effectivement, la construction prend place à la limite du secteur inondable de la ville et à ce titre il signale physiquement la frontière entre les secteurs sûrs et ceux à risque. Au Japon de nombreux dispositifs urbains tiennent ce rôle face aux «Tensai» (catastrophes naturelles) et chacun d’eux par leur nature spécifique, représente un «retour d’expérience» suite à un cataclysme, qui a finalement mené à une modification des règles d’urbanisme. Le Buraku (hameau-étape) est la désignation pour un espace d’habitations groupées mais est aussi utilisé pour parler d’une communauté basée sur les relations sociales et culturelles. Dans sa forme et son fonctionnement, le projet réinterprète ce concept de villerelais qui accueillait historiquement les communautés de marchands et d’artisans et qui servait souvent d’étapes dans les circuits d’échange économiques et sociaux.
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.hobo architecture
Fonctionnement / l’agence hobo est une société qui comprend six associés, Frédérik DAIN, Pascale BOUCKAERT, Pierre CARA, Bruno JAMMET et plus récemment Aaron POOLE et Yann CHAMPION. Elle compte à peine plus de salariés puisque nous somme six diplômés d’architecture, un infographiste et une assistante de direction. Son fonctionnement est assez horizontal puisque la volonté de l’agence est que chacun puisse être responsable de projet et pour ce faire, que chacun acquière un savoir-faire général au métier d’architecte (conception, dessin, suivie de chantiers...). Bien que dans les faits nous ayons ce que l’on peut appeler un «référent» parmi les associés, tout le monde est amené à collaborer avec chacun à travers une arborescence flexible. Je suis donc tour à tour chargé de projet sous la tutelle de Bruno JAMMET sur le sujet d’une tour mixte dans la zone Euratlantique, collaborateur sur un concours de conception construction d’un programme hospitalier, parfois aussi gratteur de secours pour renforcer une équipe au moment d’un rendu et finalement impliqué dans la conception d’un projet R&D d’un concept d’usine verticale. Tour Innova / Mon activité principale à l’agence est le suivi de la construction de la tour INNOVA, un projet que j’ai rejoint en phase PRO lors de mon embauche à l’agence. Ce projet est une tour au programme mixte bureaux/logements dont on peut facilement deviner la double destination puisque le bâtiment est constitué de deux volumes distincts. Un premier volume de huit étages de bureaux soutient un deuxième volume de sept étages de logements, le décalage et le décollement du volume de logements laisse la place à une grande terrasse panoramique. L’ensemble de la tour fait près de cinquante mètres mais n’est pas classé IGH, quoiqu’elle le dût au-dessus de 28 mètres pour un ensemble de bureaux. Cette dérogation a été possible en jouant de la réglementation qui permet à un ensemble de logements de monter jusqu’à cinquante mètres sans être classé en IGH. Vous comprenez alors que la distinction entre les deux volumes n’a rien d’arbitraire, le bâtiment de bureaux est donc strictement limité à moins de 28 m et le volume logement lui peut individuellement s’approcher de 50 m. Dès lors les deux bâtiments doivent être compris comme des entités siamoises qui partagent le même squelette mais fonctionnent pourtant de manière complètement indépendante du point de vue de leur exploitation. Chacun dispose d’accès et d’acheminement de réseaux complètement séparés et leur interpénétration est soumise à un strict coupe feu de 3 heures.
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1. 2. TOUR INNOVA Hobo Architecture / Bernard Buhler Architecte Surface sp : 4 000 m² Logements - 6 000m² Bureaux
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Béton préfabriqué / l’agence a développé un savoir-faire important dans la construction béton préfabriqué. Les raisons de cet intérêt sont la contraction des durées de chantier et la garantie des qualités de finition que ce procédé offre. Pour démonstration il y a eu la réalisation du projet ZEPHYR. Cet immeuble de bureaux n’était initialement pas prévu par la maîtrise d’ouvrage, en réalité l’agence avait été contacté pour une tout autre réalisation qui allait entraîner le déménagement d’un grand nombre de postes de travail dans des algecos. Mais en interne le calcul a été fait des frais qu’allait entraîner la mise en oeuvre d’une installation temporaire et la durée de location prolongée sur plusieurs dizaines de mois. Finalement, l’agence a proposé un chiffrage et un planning de réalisation compétitifs pour une alternative pérenne en préfabrication béton. Grâce à une conception pragmatique et la réduction des coûts liés aux durées de chantier, il en résulte un ouvrage certes simple dans sa volumétrie mais d’une grande qualité de finition et d’usage au regard des contraintes. bim / L’agence développe une méthodologie BIM très avancée et l’entrée dans ce nouveau système d’échanges qui en est encore à ces balbutiements me semble parfois faire écho au chemin parcouru par les pionniers du WEB. On devine déjà l’importance des changements qui vont s’effectuer du fait de cette nouvelle méthode de travail tout en ayant encore du mal à bien appréhender l’étendue de l’univers qui s’ouvre à nous. Mais à l’image des premiers codeurs qui partageaient une utopie commune d’ouverture et de partage et qui ont réussi à construire un langage universel et libre de droits (HTML), il me semble que le langage BIM devra trouver un vecteur commun et appropriable pour parvenir à la révolution attendue. Car on peut facilement faire la comparaison avec Internet qui lui aussi à l’origine était fait de centaines de réseaux différents. Appartenant à des groupements épars comme des organisations d’universités ou encore à des groupes de chercheurs internationaux, les canaux peinaient à communiquer entre eux. Il fallait souvent changer de machine et
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1. 23 LOGEMENTS POUR LES COMPAGNONS D’EMMAÜS A AGEN 2. ZEPHYR Construction neuve d’un immeuble de bureaux - 380 postes de travail
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apprendre le fonctionnement de différents logiciels, rien n’était unifié ce qui rendait la tache fastidieuse. Ce n’est que grâce à Tim bernerslee et à son code HTML que nous connaissons l’Internet d‘aujourd’hui et à l’époque cette découverte avait été naturellement partagée à toute les communautés pour que chacun puisse se l’approprier. On retrouve dans cette démarche l’éthique de ceux que l’on appelait alors les hackers et une de leurs devises «Ceux qui conçoivent les outils les partagent». Car étant largement influencés par les utopies hippies, ces défricheurs voyaient dans ces nouvelles technologies l’opportunité d’inventer d’autres façons de faire société et un incroyable outil d’émancipation. L’histoire est trop longue pour la retracer complètement ici mais les gens de ces milieux qui ont édifié les bases de l’informatique et du WEB moderne auraient pu protéger leur travail et le vendre à prix d’or comme l’ont fait plus tard les développeurs de systèmes d’exploitation grand public bien connus. Plutôt que ça, Richard Stallman qui avait influencé Tim berners-lee dans son choix de céder ses droits liés au code Web, a avec Linus Torvalds créé le système LINUX. Aujourd’hui LINUX fait tourner la très grande majorité des serveurs et sans lui ce qui a fait le succès d’Internet, son incrémentation libre et infinie, n’existerait certainement pas. Richard Stallman dira plus tard «j’aurais pu gagner de l’argent de cette façon et peut-être même me serais-je amusé à écrire du code mais je savais qu’a la fin de ma carrière je n’aurais à contempler que des années passées à construire des murs pour séparer les gens, avec l’impression d’avoir employé ma vie à rendre le monde pire».
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Le Whole Earth Catalog est un catalogue amĂŠricain de contre-culture publiĂŠ par Stewart Brand entre 1968 et 1972
INTRODUCTION
INTRODUCTION
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Ainsi que nous l’explique Christian Norberg-Schultz dans son ouvrage La signification de l’architecture occidentale, l’organisation urbaine et architecturale d’une époque est un révélateur matériel de la nature de la société. On peut y lire ses paradigmes, son fonctionnement social et ses imaginaires collectifs. Si la pensée de l’architecture a connu une révolution avec l’émergence du mouvement moderne porté par la démocratisation du confort et un pragmatisme humaniste, c’est finalement surtout le caractère capitaliste et industriel de notre société qui marque de son empreinte l’architecture contemporaine. Ce que Yona Friedman appelle les déséquilibres des «systèmes»1 (agricole, social, industriel, de l’habitat, des transports, du commerce,etc...) entraînent une remise en question de notre écosystème et de notre capacité à pérenniser nos modes de vie. Nos difficultés à user des ressources naturelles de manière résonnée et notre incapacité à trouver la balance entre production et retraitement de nos déchets sont patentes et ne sauraient durer dans de bonnes conditions. C’est à partir de ce constat et autour de sa théorie sur les utopies réalisables2 que s’articule ce mémoire, car pour Yona Friedman une utopie à toutes les raisons de se concrétiser si certaines conditions sont réunies. Ainsi il m’apparaît intéressant d’inscrire le virage du développement durable dans son raisonnement et de voir s’il peut être compris comme une utopie en voie de réalisation. On commencera donc avec le premier axiome de sa théorie qui consiste à admettre qu’une utopie naît d’une insatisfaction. Il sera alors question d’identifier les raisons qui pourraient encourager la naissance d’une utopie à travers une pensée critique de l’offre architecturale contemporaine, à la fois en termes d’enjeux de développement durable et en matière de portée sémantique des modes constructifs. Dans un second temps il sera question du deuxième axiome qui veut qu’une utopie n’ait de chance de se réaliser que si une solution crédible à l’insatisfaction existe et ce soit déjà appliquée. On verra donc à travers des exemples comment le développement durable peut être engagé dans le domaine de manière plus satisfaisante et dans quelles conditions ces solutions ont vu le jour. Enfin le troisième axiome qui boucle la théorie nous apprend que l’utopie ne se réalisera que si elle entraîne un consentement collectif. Ce dernier point sera abordé en conclusion comme ouverture sur mon projet professionnel. 1. Voir son livre «Comment habiter la terre» 2. Voir son livre «Utopies réalisables»
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1. Illustration tirée du livre «Utopies réalisables» de Yona Friedman 2. Illustration tirée du livre «Comment habiter la terre» de Yona Friedman
1. Les raisons du changement «Nous ne savons pas aujourd’hui comment changera notre mentalité en matière d’économie mais nous savons que sans changement nous pourrons difficilement vivre avec les retombées de notre civilisation.» Y,Friedman, Comment habiter la terre
1.1 LA LOGIQUE INDUSTRIELLE
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Impact environnemental dans le secteur du BTP / Un sujet de préoccupation qui serait d’ordre à entraîner la réalisation d’une utopie est l’impact de l’activité de nos sociétés sur l’environnement. Les enjeux environnementaux progressent dans les consciences et le besoin d’une transition vers un développement durable(« un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre les droits des générations futures »), s’impose comme une évidence. Mais le changement est un effort et est donc conditionné par les enjeux économiques surtout dans le bâtiment où l’on tarde à observer une inflexion réelle des pratiques. Car la question s’envisage dans un contexte de tension entre des enjeux sociaux (équité sociale), des enjeux économiques (maintien de la compétitivité) et des enjeux proprement environnementaux (l’action humaine sur l’environnement). Et en termes macro-économiques, le secteur de la construction qui correspond à 10% du produit intérieur brut français n’est pas à prendre à la légère, il représente plus de 300 000 entreprises dont 92% ont moins de 20 salariés. Ces entreprises correspondent à environ 1,2 million d’actifs dont plus de 900 000 salariés et près de 290 000 artisans. Ces quelques chiffres illustrent l’importance économique du secteur et aussi sa particularité structurelle qui on va le voir plus tard à un réel impact sur la pénétration des enjeux environnementaux dans le secteur. D’autre part on observe aujourd’hui une démarche vis-à-vis des enjeux relatifs au développement durable qui est largement investie et influencée par les industriels et qui va se concentrer sur un principe d’innovation comme facteur de croissance. Cela va se traduire essentiellement par une priorité affichée aux performances des matériaux et des produits plutôt qu’à une réelle remise en question des pratiques de construction. Or, vis-à-vis des enjeux relatifs au développement durable, le secteur du bâtiment représente un enjeu qui ne peut se satisfaire d’une réponse fondée sur la seule innovation produit.
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Les mécanismes industriels d’innovation destructrice / L’approche dominante dans nos sociétés capitalistes reste celle de la logique schumpétérienne qui considère que la compétitivité est conduite par l’innovation : soit que les coûts supportés par l’innovation génèrent in fine des profits au bout de la chaîne de valeur, soit que l’innovation permette d’offrir des avantages stratégiques au sein d’un marché. En d’autres termes l’innovation est au coeur de nos économies fondées sur la concurrence. Ce principe est parfaitement illustré à la sortie de chaque nouvel IPHONE, le nouveau chasse l’ancien et au regard de la progression du modèle, les concurrents n’ont d’autre choix que d’évoluer eux aussi. Dans le bâtiment cela prend aussi la forme d’une course à la performance pour proposer une efficacité de mise en oeuvre et de coûts toujours plus compétitifs. Mais l’innovation peut être à double tranchant car par nature, elle «bouscule» les secteurs et impose un rythme et une logique impitoyable, laissant à terme une partie des acteurs sur le carreaux. Si pour différentes raisons que l’on verra plus loin, la compétitivité dans le bâtiment se concentre sur la performance des produits, alors chaque acteur est contraint et forcé de suivre la marche en avant dictée par la logique dominante et réduit en fin de compte la variété de l’offre et favorise les monopole.
Une stratégie réglementaire au service des industriels / la politique réglementaire liée à l’environnement mise en oeuvre pour faire évoluer la filière entraîne paradoxalement un immobilisme en matière de pratiques et renforce les mécaniques de compétitivité industrielle. Alors que différents leviers d’innovation pourraient être activés
pour tendre vers le développement durable la question de la baisse des dépenses énergétiques s’envisage à travers la seule politique de performances des matériaux et des produits. Le cadre réglementaire est construit sur cette logique et sa complexité ne facilite pas l’émergence de solution alternative. Car si la mise en oeuvre de quelques règles de bon sens pourrait profondément inscrire un virage dans la pratique des métiers du bâtiment, la méthode développée par le Centre Scientifique et Technique du Bâtiment (CSTB) pour le calcul de la RT 2012 est détaillée en 1377 pages avec pas moins de 1772 formules complexes et 249 tableaux de variables. La conséquence directe est de la rendre inappropriable par la grande majorité des acteurs du secteur. Finalement pris en main par les industriels (trop content de nous proposer des solutions clef en main) la réglementation génère des solutions coûteuses en matériaux et en énergie grise (épaississement des parois et légitimation du recours systématique à des équipements mécanisés). D’ailleurs le lien entre industriels et réglementations environnementales est directement établie par Rudy Ricciotti dans son livre HQE où il présente les accointances non dissimulées entre les activistes industriels et les comités d’élaboration des labels de qualité environnementale HQE et des groupes de travail du grenelle censés construire la transition écologique. La fonction marketing, des industries et de leurs distributeurs, s’en trouve renforcée pour se retrouver dans une position économique dominante vis-à-vis des entreprises de construction, voire de la maîtrise d’œuvre elle-même. On observe également que le champ de la conception tend à se restreindre autour de ces seules questions d’innovation produit. Effet rebond / Si limiter la consommation c’est réduire la pollution, les démarches amorcées avec les RT devraient entraîner une baisse des factures énergétiques : mais la réalité échappe à ce calcul d’apparence extrêmement logique. Le sentiment d’économie incite à une amélioration déraisonnable du confort, et ce comportement est incontrôlable car quasi-instinctif (et parce qu’il en coûte moins cher). Cette tendance, qui résulte généralement d’une augmentation des températures de consigne des thermostats, provoque une augmentation de fait des consommations. Selon le raisonnement « mon équipement est très performant, donc je sollicite plus mon équipement», il a ainsi été constater que l’effet rebond peut annuler jusqu’à 50% des gains d’énergie obtenus grâce aux améliorations techniques. Ainsi, modifier les équipements sans se soucier des comportements est une réponse toujours insuffisante à un problème qui dépasse la simple
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performance des produits et équipements techniques. Ce constat doit nous inciter à intégrer plus largement la psychologie humaine à toute décision et a ne pas se limiter seulement à la logique immédiate. Les solutions de recherche d’économie d’énergie dans la construction devraient être basées en priorité sur celles qui améliorent le confort au maximum pour limiter cette réaction très défavorable.
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Innovation confisquée / La logique d’innovation n’est pas fondamentalement un problème, elle permet dans nombre de domaines de stimuler la recherche et de bousculer les pratiques établies en favorisant le progrès. Mais dans le secteur du bâtiment, une situation structurelle apparaît qui le différencie du modèle de développement industriel et de la logique schumpétérienne de croissance. Cette situation est la nature particulièrement fragmentée du secteur: on reprend les chiffres, plus de 300 000 entreprises, dont 92 % ont moins de 20 salariés. On comprend alors que le coût d’une politique de R&D est tout simplement inenvisageable pour une large majorité du secteur. Seules les plus grandes entreprises du secteur sont en mesure de supporter une telle démarche et la majorité d’entre elles ont déjà tissé des liens financiers ou technologiques solides avec les fournisseurs de produits industriels (investissement matériel de mise en oeuvre de produits particuliers par exemple). Pour les autres la question est de savoir pourquoi se créer un surcoût lié à de tels investissements alors qu’elles peuvent attendre que l’innovation soit diffusée pour l’acheter? On a donc progressivement assisté à une perte de contrôle du milieu sur son innovation et à l’augmentation de la dépendance auprès des fabriquants de matériaux industriels.
Les freins catégoriels / Une autre difficulté particulière au secteur est sa chaîne de transaction complexe. Les travaux de Everett Rogers ont distingué cinq grandes catégories de comportements dans la relation à la diffusion de l’innovation: les novateurs («technoenthousiastes»), les acheteurs pragmatiques (une majorité «précoce»), les conservateurs (la «majorité tardive») et, enfin, les «réfractaires». Une diffusion de l’innovation au sein d’une chaîne de transaction linéaire comme celle fondée sur la simple consommation présentera des parties prenantes développant chacun une logique de choix au mieux de son positionnement avec à la fin de la chaîne un choix de
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consommation. Mais le client, dans le champ de la construction, n’est pas en « bout de chaîne », ses résistances comportementales sont d’autant plus exacerbées. Il est à la fois une cible (consommateur potentiel) et en amont, décideur et investisseur (maître d’ouvrage). Finalement, non seulement les résistances comportementales soulignées sont présentes dans le comportement d’achat mais elles sont renforcées par ce positionnement dans la chaîne de décision liée à la commande. On comprend alors les résistances rencontrées par la diffusion des innovations dans les marchés privés de logement, qui sont tributaires des représentations convenues et moins soucieuses de prendre des risques tant constructifs qu’architecturaux.
1.2 l ’architecture n’est plus un vecteur de culture
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La standardisation: LA Désillusion de l’architecture moderne/ Pour notre génération, regarder les films de Jacques tati est une expérience édifiante pour se représenter la promesse originelle du modernisme. Car à la fin des années quatrevingt le modernisme avait déjà un léger goût de désenchantement. Le vocabulaire standardisé a concouru à construire un imaginaire appauvri et désincarné. Les matériaux présentés comme révolutionnaires, jolis et faciles à entretenir ont montré leur limite et une certaine inclinaison à l’obsolescence pour une consommation renouvelable. Les particularités locales rapidement remplacées par un modèle commun, signe la perte sèche de centaines de métiers et de savoir-faire adaptés à des contextes locaux. Nos modes de consommation ont nié le climat, la culture et les ressources de notre environnement direct. L’architecture moderne est pourtant une véritable progression conceptuelle. Elle est apparue en réaction à une écriture classique devenue arbitraire et a conclu le courant social des lumières pour
développer une nouvelle approche architecturale plus sociale et rebâtie autour de la notion de fonction. Cela a abouti notamment à la scission entre l’école des beaux-arts et l’enseignement en architecture en 1968 pour une refonte de la formation d’architecte. La rupture a permis une véritable remise en question salvatrice de la profession et a été concomitante avec l’arrivée de nouvelle méthode constructive avec en fer de lance le béton armé qui a ouvert un nouveau champ des possibles. Mais au delà du formidable élan d’émancipation moderne qui aboutira parfois à une écriture architecturale grandiose, cette révolution va aussi se solder par une conséquence moins positive : celle de jeter le bébé avec l’eau du bain, ce qui se traduit ici par l’oubli de l’intelligence constructive vernaculaire. Car tous les projets ne bénéficient pas du même soin et qu’il fasse ou non l’objet du concours d’un architecte, les enjeux fondamentaux du modernisme sont parfois oubliés ou ignorés pour que du changement ne perdure que la standardisation des méthodes constructives. Cette table rase va finalement laisser le champ libre aux principes de standardisation associés alors dans les esprits au progrès et aboutira à l’hégémonie des industriels et des logiques capitalistes dans la filière. Au regard de l’ensemble du patrimoine construit, l’adhésion au vocabulaire architectural moderne est assez parcimonieuse et loin des enjeux du mouvement moderne, c’est tout un pan de la production de logements des années 70 jusqu’à nos jours qui va présenter un compromis assez navrant entre des reliquats du lexique morphologique vernaculaire (qui reste le gage de l’expression domestique) et la logique constructive industrielle.
Maisons Phénix
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Les acteurs du chantier et Le «prêt à poser» / Le savoir-faire des ouvriers disparaît progressivement car la valeur ajoutée d’une construction s’est déplacée de la qualité des mises en oeuvre de matériaux bruts vers de la «pose» de produits transformés qui se suffisent à eux-mêmes. Si déjà d’un point de vue éthique la question se pose des conséquences sociales de la confiscation de leur compétence à toute une catégorie d’acteurs d’un secteur aussi important. On observe surtout l’appauvrissement culturel du patrimoine bâti contemporain à différents niveaux, depuis la conception (création du sens), l’expression constructive (véhicule de ce sens), pérennité et histoire (transmission de ce sens). Je suis entré dans le bâtiment par le patrimoine et les compagnons du devoir où j’ai pu entrevoir une variété incommensurable de techniques influencées par mille cultures et réinterprétées à l’infini pour progresser et expérimenter. Mais je constate que dans le domaine de la construction neuve, les professionnels de la construction connaissent aussi bien le catalogue de leur fournisseur qu’un vendeur IKEA donnait sa gamme de chaises. Si la référence n’apparaît pas alors l’entreprise «ne sait pas faire» et bien souvent, envisager une recette maison n’est même pas une option.
Appauvrissement culturel / Le savoir-faire technique d’un artisan n’est pas simplement une valeur ajoutée d’ordre qualitatif mais aussi culturelle. La mise en oeuvre particulière à une entreprise porte toujours avec elle une histoire. Cela peut être un ancrage régional ou bien justement une influence plus ou moins lointaine adaptée aux conditions et aux matériaux locaux. Les centaines de matériaux et les milliers de méthodes pour les transformer créaient avant une carte culturelle de la construction qui variait d’un bâtiment à l’autre et qui à l’échelle nationale et internationale formait une constellation d’une variété infinie et témoignait d’une richesse de connaissance formidable. Qu’en est-il aujourd’hui de cette richesse? Je ne veux pas faire de mauvais esprit et je suis de nature optimiste alors je dirais juste qu’une certaine variété demeure dans certains corps d’état et peut être dans certaines niches du secteur mais il faut bien être honnête et constater l’appauvrissement de l’expression constructive qu’enregistre notre production contemporaine moyenne. Appauvrissement conceptuel / On observe aujourd’hui une homogénéisation flagrante dans l’écriture architecturale européenne et si le phénomène de standardisation influence des mises en oeuvre similaires, l’exercice de la conception est lui aussi touchée par un phénomène d’appauvrissement. Au fur et à mesure que l’environnement réglementaire, s’étoffe les conditions de conception présente un champ de plus en plus restreint de développement de compétence pour l’architecte. Quel architecte n’a jamais eu le sentiment après avoir fait la somme des contraintes réglementaires, thermique, de sécurité, d’urbanisme etc... d’être réduit au dessin de la façade... La thématique de stratégie thermique glisse automatiquement vers une solution unique, un volume compacte au plus près du gabarit maximum du PLU, une boite isotherme avec ventilation double flux. Le choix du standard est consensuel pour une dépense d’énergie grise et de matière maximale. La dépendance technologique toujours plus grande a fini de faire oublier la potentialité des apports bioclimatiques. Des façades sur chaque orientation identique, l’ombre perçue comme un défaut et le soleil réduit à un risque pour le confort d’été.
Désinvestissement populaire / N
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2. La performance environnementale comme opportunité architecturale «Les difficultés que connaît aujourd’hui l’économie mondiale, associées à la prise de conscience croissante, dans beaucoup de pays en voie de développement, de la nécessité de s’orienter vers une architecture écologique, ont créé les conditions d’une approche nouvelle.» A,ROCCA, LOW COST LOW TECH
2.1 DISPOSITIF BIOCLIMATIQUE
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La frugalité heureuse / Dans le prolongement du principe de Yona Friedman, pour qu’une utopie gagne la cause de la majorité il faut apporter la preuve qu’une alternative existe et est crédible. Les alternatives sont très nombreuses dans le domaine de l’architecture mais le principe de « frugalité heureuse » de Alain Bornarel, Dominique Gauzin-Müller et Philippe Madec, est intéressant pour sont approche générale qui tient d’un état d’esprit très positif. Si la démarche frugale vise d’abord à réduire au strict minimum les besoins énergétiques elle cherche aussi à envisager la transition écologique comme un progrès et non un renoncement, car le développement durable ne contraint pas obligatoirement a vivre dans une maison en bouse avec toilette sèche. C’est un confort qui est dur à appréhender pour qui ne l’aurait jamais goûté, mais un bâtiment qui intègre l’intelligence bioclimatique et qui s’inscrit en conséquence dans son milieu est sans commune mesure avec une construction standard même d’un haut standing. Nous savons faire, aujourd’hui, des édifices sains et confortables sans ventilation mécanique ni climatisation, voire sans chauffage. Cela ne signifie pas une absence de technologie, mais le recours en priorité à des dispositifs exploitants la ressource bioclimatique, adaptés à une situation particulière caractérisée par le climat local et les exigences liées à la destination du bâtiment. Low tech et sensibilisation /En réalisation comme en conception, la frugalité demande de l’intelligence collective de même qu’en exploitation elle requiert l’implication des occupants. Ce n’est pas le produit qui est intelligent, c’est le fonctionnement du bâtiment et ce sont ses habitants. D’un certain point de vue on pourrait douter de la faisabilité d’un habitat qui sollicite ses habitants dans son mode de fonctionnement; est-ce que c’est trop compliqué, ou fastidieux en pratique? Mais je pense que rendre, dans une certaine mesure, l’habitant acteur de son bien-être rejoint la notion d’habiter de Heidegger: ce besoin de prendre soin de son environnement pour s’inscrire dans un équilibre d’écosystème. Surtout que la compréhension du fonctionnement d’un bâtiment conçu sur un principe bioclimatique et low tech est souvent plus accessible que nombre de systèmes complexes de domotique. D’ailleurs le sentiment de perte de contrôle rencontré par les usagers d’un bâtiment à qui on refuse le geste simple de l’ouverture de la fenêtre est souvent assez mal vécu.
De ce point de vue le progrès doit parcourir autant de chemin dans les têtes des habitants que des concepteurs et ce n’est qu’à travers une sensibilisation plus large de la société que le changement prendra de l’ampleur. Cela renvoie à nos modes de consommation contemporains et à leur évolution. On revient de plus en plus sur les logiques industrielles pour ce qui tient de notre alimentation, on cherche à savoir ce que l’on mange et l’on se méfie des plats préparés pour ce qu’ils nous cachent... C’est ce chemin qui va s’amorcer pour l’habitat. Qu’il y ait besoin ou non de l’impulsion d’un scandale sanitaire (dans le genre de l’amiante ou des COV) pour éveiller les conscience, chacun finira par s’apercevoir qu’il est possible d’habiter plus sainement.
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Chicken Point Cabin / Olson Kundig
Le prétexte de qualité spatiale / L’agence LACATON&VASSAL est un bon exemple de ces architectes qui ont bien compris que le traitement des questions d’optimisation énergétiques peut être l’argument de la mise en oeuvre de dispositifs spatiaux particulièrement qualitatifs. Qu’il s’agisse de rénovations ou de bâtiments neufs, les architectes plutôt que de dérouler de l’ITE derrière des panneaux de façades industrielles ou un bel enduit couleur taupe, mettent en oeuvre un principe bioclimatique simple, «la serre» qui jouera le rôle d’espace tampon.
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Un espace hors du commun et relativement bon marché se substitue aux solutions conventionnelles (le toit-terrasse inaccessible, ingrat et source de pathologies). On gagne alors cette fameuse pièce supplémentaire qui semble habituellement inenvisageable en logement collectif. Entre jardin et atelier d’artiste ce volume polyvalent convient bien aux modes de vie informelles et permet l’épanouissement de nombres activités à différents moments de la journée.
La légèreté des structures en acier et la luminosité, communique un fort imaginaire de fraîcheur et de liberté; et voilà qu’avec des matériaux simples, le béton, l’acier et le polycarbonate, ainsi que des mises en oeuvre somme toutes rationnelles ont construit un récit architectural et une appropriabilité généreuse. Ce lieu qui est en quelque sorte une salle des machines élégante et praticable se voit piloté de manière intuitive par ses habitants, on ventile et on tire les rideaux quand il fait chaud et inversement on bénéficie de l’effet de serre et d’une source de chaleur gratuite en hiver. Ici l’architecture favorise la rencontre de ses habitants avec le climat et à travers lui de la nature. Le dispositif entraîne ses habitants dans un certain art de vivre et la prise de conscience opérée par l’usager sur le fonctionnement de son logement, participe de le sensibiliser aux joies du développement durable.
Logements sociaux à Mulhouse réalisé par LACATON&VASSAL
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2.2 DYNAMIQUE COLLECTIVE
LA RICHESSE DE L’ARCHITECTURE PAUVRE/ Comme souvent les contraintes sont des accélérateurs de projets, et à part la faim, rien n’est plus moteur que la nécessité vitale de bien se loger. Dans des situations de budget limité des solutions doivent être trouvées et des moyens inventés pour concevoir des bâtiments, moins coûteux, plus intelligents et généreux. «La nécessité aiguise l’ingéniosité»
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Des exemples existent qui préfigure la cible de demain, des bâtiments pragmatiques qui combinent matériaux bio-sourcés anciens et nouveaux, autour de méthodes constructives novatrices. Loin des postures spectaculaires, la sobriété révèle ses mérites et ses attraits, particulièrement quand elle est associée à l’envie et l’audace de fabriquer des espaces inédits où chaque élément est questionné pour qu’il ne reste plus que l’essentiel, le simple nécessaire aux besoins identifiés. Ressources singulières/ Lorsque la situation l’exige le pragmatisme n’a plus rien d’un courant de pensée et l’opportunisme dirige alors le regard vers tout ce qui constitue une ressource. Cette lecture du milieu à travers son potentiel intrinsèque concours à la naissance de projet de grande qualité et efficacité inversement proportionnelle à la trésorerie de départ. Les ressources peuvent prendre toutes les formes voire même être abstraites. Il peut s’agir de matériaux, d’énergies, de savoir-faire, de temps, etc... Un milieu peut comprendre une ou plusieurs de ces ressources dans des proportions variables. Ces ressources mises en corrélation avec la situation offrent des configurations et induisent une approche sensible, chaque fois renouvelée. C’est de ce point de vue que les architectures à fortes contraintes offrent des exemples souvent saisissants du principe de détournement pour faire un maximum avec peu et comment ce jeu de débrouille, inscrit les acteurs d’un projet dans un récit qui les dépasse et tend à créer du sens.
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Ci-dessus: Centre de formation Cassia Coop par TYIN Tegnestue architects Page suivante: Klong Toey Community Lantern à Bangkok réalisé par TYIN Tegnestue architects en concertation et co-construction avec la communauté local.
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Infléchissement de l’imaginaire collectif/ Lorsque Francis KERE revient à Gando son village natal et projette de construire une école, il est encore élève en architecture en Allemagne. L’environnement de projet est celui que l’on imagine, un budget extrêmement restreint et un contexte où les ressources peuvent être caractérisées par leur absence. Un sol aride avec très peu d’eau disponible, presque aucun arbre et évidemment aucune infrastructure. Mais lorsque Francis KERE se tourne vers une méthode de construction faisant appel à la terre crue, il se confronte à la perplexité des habitants. Ils perçoivent l’architecture de terre comme faisant référence à un mode de vie dépassé et rustre. L’architecte engage alors un long processus de pédagogie pour convaincre que la terre peut être un matériau d’avenir et que sa mise en oeuvre peut aboutir à un confort au moins équivalent à ce que l’imaginaire collectif considère comme ce qui se fait de mieux: le bâtiment en béton climatisé. Ici Francis KERE fait le calcul que la terre représente une ressource pratiquement gratuite et illimitée et surtout que son exploitation permet une redistribution en circuit court de la dépense pour finalement fabriquer une économie de projet vertueuse et locale. D’autre part, dans ce contexte particulier où l’information circule difficilement et où la population est en grande majorité analphabète la terre va aussi être un vecteur d’instruction puisque tous les acteurs du chantier sont des locaux qui vont bénéficier à travers la participation à ce chantier, d’un nouveau savoir-faire valorisable par la suite de manière autonome.
Bénéfice thermique/ L’ironie c’est que la terre est un matériau largement utilisé dans la région par le passé et que d’un point de vue technique, elle est tout à fait adaptée au climat local. L’inertie de la terre offre une bonne protection thermique puisqu’elle va fonctionner par déphasage (faible diffusivité thermique) de sorte que la chaleur accumulée dans la journée ne sera retransmise à l’intérieur qu’à la nuit tombée quand le rafraîchissement des espaces se fera par ventilation naturelle. De plus, lorsque la terre n’est pas associée avec des matériaux
hydrofuges, elle a la faculté d’être perspirante. C’est à dire qu’elle permet les échanges de vapeur d’eau d’un côté ou de l’autre par absorption ou par évaporation. Ce phénomène invisible n’a rien d’anecdotique puisqu’il permet une régulation naturelle de l’hygrométrie à l’intérieur du bâtiment ce qui a pour conséquence d’assainir l’air.
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Dialectique constructive/ La production de Francis KERE est encore un exemple de la portée sémantique d’un principe constructif élaboré à travers une lecture attentive de son milieu. La clinique chirurgicale de Léo au Burkina Faso située à 150 kilomètres de Ouagadougou incarne ce rôle de catalyseur d’énergie. Avec ses dix grands toits qui se chevauchent, elle offre en plus d’un système bioclimatique performant, de généreux espaces interstitiels extérieurs comme autant d’abris de fraîcheur. Pour un pays où il ne pleut que trois mois par an, les toitures du projet représentent aussi l’opportunité de concevoir un système de récupération d’eau de pluie et la collecte des eaux grises qui va servir pour l’irrigation. L’ensemble offre un support pour des panneaux photovoltaïques qui assurent une grande partie des apports électriques de la clinique. Ces panneaux ont d’ailleurs été un questionnement pour l’architecte qui regrettait de voir une dépense échapper à la filière locale.
Conclusion
CONCLUSION
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À la recherche d’insatisfactions qui seraient d’ordre à provoquer la naissance d’une utopie, j’ai concentré mon regard vers la question du développement durable et du rôle culturel et social de l’architecture contemporaine. On peut observer que la prise en compte des enjeux environnementaux dans le secteur de la construction se heurte à l’inertie d’un milieu économique complexe où la compétitivité n’offre qu’un tremplin limité à la pénétration de l’innovation en la matière. Plus largement, la standardisation et le déplacement de la valeur ajoutée du savoir-faire vers la performance des produits entraînent un appauvrissement culturel à tous les niveaux de l’acte de construire. Finalement alors que l’orientation donnée aux réglementations thermiques n’encourage pas l’appropriation de ces questions par le plus grand nombre, elle tend à favoriser l’influence des industriels sur le sujet et n’aboutit pas à un infléchissement profond des pratiques en faveur du développement durable. Pourtant il ne manque pas d’exemple où la performance énergétique est parfaitement absorbée dans des démarches architecturales de qualité. Ces projets ont en commun d’aborder ce sujet de manière holistique et de considérer qu’il n’est qu’un rouage parmi d’autres dans la fabrique d’un écosystème équilibré. D’ailleurs, la décorrélation d’une question à une autre, fait par définition perdre tout son sens à l’architecture et le développement durable fait autant appel à la dimension sociale, qu’économique et écologique de la discipline. Si les deux dernières références prennent place dans un contexte particulier de démarche quasi-humanitaire, des démarches de ce type sont aussi porteuses en France où les questions d’urbanisme cristallisent les maux de nos sociétés. Pour comprendre la portée de cette sensibilité je vous invite à consulter l’exemple de Boulognesur-mer avec l’intervention de l’agence CONSTRUIRE de Patrick Bouchain1. Ici l’architecte a organisé un dispositif participatif et d’autoconstruction qui a permis aux habitants de peser dans la manière dont ils allaient habiter le quartier et de s’y investir à long terme. Sinon il y a aussi l’exemple de la ville nouvelle de L’Isle-d’Abeau qui a vu le jour au milieu des années quatre-vingt et que l’on appelle le Domaine de la Terre. Ce quartier d’habitat social unique pour son usage 1. «PATRICK BOUCHAIN : MA VOISINE, CETTE ARCHITECTE». (http://strabic. fr/Patrick-Bouchain-ma-voisine-cette-architecte-1) 2. L’Isle-d’Abeau. Territoire entre Rhône et Isère Broché – 9 octobre 2002 de Marc Bédarida
du matériau terre a désormais plus de trente ans et en plus d’offrir une qualité d’habitat très supérieure au standard des quartiers d’habitats sociaux, il s’avère qu’il a très bien vieilli. Une expérience qui montre que l’investissement plus élevé de départ est bien dérisoire au regard de l’économie faite au long cours, surtout en comparaison d’autres bâtiments construits dans la même période. Finalement pour rejoindre le troisième axiome qui boucle la théorie des utopies réalisables de Yona Friedman, il faut se poser la question de la capacité du développement durable compris comme une frugalité heureuse d’obtenir un consentement collectif. C’est là tout l’enjeu de notre génération d’architectes de construire des méthodes compétitives dans notre contexte économique et surtout de parvenir à convaincre et séduire tous les acteurs avec ces notions d’équilibres et de pérennité au long cours. Construire un nouveau dialogue avec les modes constructifs (et les constructeurs) et les ressources locales pour fabriquer des synergies suffisamment rentables pour justifier l’effort à consentir et finalement réinscrire l’architecture dans l’environnement culturel de tout à chacun.
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.# Projet pro f essionnel «S’il existe, bien entendu, des exemples de construction dont on peut évaluer le très faible impact écologique, ces exemple ne peuvent être reproduits, par définition même. En effet, chaque réponse est unique et ne correspond qu’à un seul lieu, un seul programme, une seul culture. F-H,JOURDA, Petit manuel de la conception durable
# . Aujourd’hui et demain Agence hobo/ Je souhaite poursuivre mon travail à l’agence qui me plait beaucoup et me mets dans des conditions très favorables d’apprentissage. Le suivi du chantier INNOVA me confronte chaque jour à la complexité du rôle qui est celui de l’architecte et à la responsabilité qui lui incombe.
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Projet personnel/ L’obtention de la HMONP me servirait à moyen terme à signer un projet familial dans la Presqu’île de Rhuys. Une maison de vacances a construire dans un verger calme où se trouve déjà une maisonnette en colombage. L’objectif sera de proposer un nouveau bâtiment adapté à une occupation ponctuelle d’une durée moyenne de séjour de deux semaines. D’autre part elle intégrera dans son fonctionnement la construction existante. Dans ces conditions d’utilisation il faudra d’un point de vue thermique offrir en priorité un bon confort d’été et d’un autre coté éviter l’écueil d’une trop grosse inertie qui la rendrait impossible à réchauffer le temps d’un court séjour hivernal. Le compromis sera de miser sur un sol et des parois avec une caractéristique de faible effusivité pour le confort d’hiver avec des matériaux qui ne transmettront pas leur température aux occupants. Pour l’été cette fois ci, ce sera une caractéristique de faible diffusivité qui sera recherchée pour assurer un déphasage des températures entre le jour et la nuit. L’inertie se
concentrera en plafond (loin du corps) et permettra notamment le freecooling et ainsi profiter des nuits fraîches bretonnes. Les matériaux de cette construction seront dans la mesure du possible constitués d’une ossature et de menuiserie de bois d’essences locales, pour le remplissage des parois ce sera de la terre crue et/ou de la brique selon la disponibilité et de briques et de béton de chaux pour les planchers formés en voûtains. Rien n’est encore dessiné mais une attention particulière sera évidemment apportée aux expositions et aux masques solaires. D’autre part la morphologie du bâtiment et sa distribution prendront en compte, en plus des questions de confort d’usage et des points de vue, une réflexion avancée sur les mécanismes de ventilation naturelle et de performance énergétique (cellier tampon au nord, serre comme un jardin d’hiver au sud etc...). Opportunité / Avoir l’habilitation à la maîtrise d’oeuvre représente pour moi, la possibilité d’être en mesure de saisir ma chance quand elle se présentera. J’ai l’envie, dans le futur, de pouvoir défendre mon écriture architecturale et de répondre à une demande qui s’inscrirait dans ma démarche. Je souhaite promouvoir des bâtiments et une esthétique inspirée par le Wabi-Sabi ou la «rough architecture» et démontrer que rien n’est à cacher en architecture et qu’au contraire la marque tu temps et de l’usage offre un lustre et une profondeur aux lieux que l’on pratique.
civic centre lleialtat santsenca 1214 . barcelona / H architectes
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BIBLIOGRAPHIE -Rocca A, Architecture Low Cost Low TechActes Sud, 2010 -Bouchain.P/EXYZT, Construire en habitant, Actes Sud, 2011 -Ferry L, L’Innovation destructrice, Plon 2014. -Friedman Y, Comment habiter la terre, L’éclat / poche 2016 -Friedman Y, Utopies réalisables, L’éclat / poche 2000 -Friedman Y, Villes imaginaires, L’éclat / Quodlibet 2016 -Jourda F, Petit manuel conception durable, Archibooks 2015 -Leonard KOREN, Wabi-sabi, Le Prunier SULLY 1994 -Norberg-Schulz C, La signification dans l’architecture occidentale, Mardaga, 2007. -Viard J, Nouveau portrait de la France, l’aube, 2011.
CONFÉRENCES -Christian Pottgiesser - «Limite/Limites ?» à l’ENSAG. -Diébédo Francis Kéré - «Conversation» Le Monde Festival 2014 -Franck Poirier - «BASE - L’attraction des contraintes» à l’ENSAG.
sources 2.0
-Le secteur du bâtiment face aux enjeux du développement durable : logiques d’innovation et/ou problématiques du changement, Philippe DESHAYES, École Centrale de Lille. « www.cairn.info/revue-innovations-2012-1-page-219.htm#no3 »
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Remerciements Je tiens à remercier Jean-Jacques Soulas et l’ensemble des participants de la formations HMONP de l’ENSAP BX pour leur bienveillance et leurs nombreux conseils. Je remercie l’ensemble des membres de l’agence HOBO architecture pour leur accueil et leur confiance. Merci à ma famille pour son soutien et ses encouragements. Un grand merci particulier à Caroline.
Yona Friedman, Museum of the Future, Berlin, 2012.