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SOMMAIRE INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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I – LE FONCTIONNEMENT SÉMANTIQUE DE LA MUSIQUE 1. Existe-t-il une sémantique musicale ? . . . . . . . . . . . .
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2. Vers une théorie du fonctionnement sémantique du langage musical . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.1. Le concept de symbole . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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3. Les structures discursives : la modalité symbolique dans les processus de signification en musique . . . . . . . . . . . . . 3.1. Symbolisme et caractéristiques des phénomènes perceptifs. 3.2. Les figures discursives : symbolisme synesthésique . . . . 3.2.1. La synesthésie : un nœud pluridisciplinaire entre régions limitrophes . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.2.2. Synesthésies et perceptions amodales . . . . . . . . 3.2.3. Les synesthésies visuelles . . . . . . . . . . . . . . 3.2.4. Les synesthésies tactiles . . . . . . . . . . . . . . . 3.2.5. Les synesthésies thermiques . . . . . . . . . . . . . 3.2.6. Les synesthésies tactilo-cénesthésiques . . . . . . . 3.2.7. Les synesthésies olfactives et gustatives . . . . . . . 3.2.8. Les synesthésies spatiales . . . . . . . . . . . . . . 3.2.9. Conclusions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.3. Les figures discursives : symbolisme spatio-temporel . . . 3.3.1. Les qualités spatio-temporelles et cinétiques . . . . . 3.3.2. Les transferts de signifié du domaine rhétorique au domaine psychologique . . . . . . . . . . . . . 3.3.3. Les transferts de signifié du domaine syntaxique au domaine psychologique . . . . . . . . . . . . . . . 3.4. Le symbolisme physiognomique. . . . . . . . . . . . . . 3.4.1. Les formes du mouvement et les affects vitaux. . . . 3.4.2. Les émotions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.4.3. Aspects mentaux, comportementaux et physiologiques de l’émotion. . . . . . . . . . . . . 3.4.3.1. Les expressions vocales non verbales . . . . 3.4.4. Les processus de transposition symptomatique. . . . 3.4.4.1. Les modalités émotionnelles fondamentales . 3.4.5. Les processus de transposition métaphorique . . . .
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Sommaire
4. Les connotations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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5. Le fonctionnement sémantique de la musique au cinéma . .
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II – LE FONCTIONNEMENT PRAGMATIQUE DE LA MUSIQUE 1. Contexte et fonctions pragmatiques . . . . . . . . . . . . . 1.1. Les fonctions et les origines du comportement musical. . .
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2. Vers un modèle fonctionnel. . . . . . . . . . . . . . . . . .
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3. La macro-fonction motrice-affective . . . . . . . . . . . . . 3.1. La fonction d’induction sensorimotrice . . . . . . . . . . 3.1.1. Les sous-fonctions . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.2. La fonction génératrice d’émotions . . . . . . . . . . . . 3.2.1. L’expérience acoustique et l’inconscient . . . . . . . 3.2.2. Les dimensions du langage musical : le rythme, la mélodie, la mère et l’inconscient . . . . . . . . . 3.2.2.1. L’organisation, la maîtrise du tempo et l’inconscient collectif . . . . . . . . . . . . 3.2.2.2. La musique comme symbole de l’ordre numérique. . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.2.3. Le fonctionnement pragmatique, la fonction d’induction sensorimotrice, le corps et l’inconscient personnel . . . 3.2.4. Le fonctionnement sémantique, la fonction émotive, la mélodie, les affects et l’inconscient . . . . . . . . 3.2.5. La sous-fonction mnésique . . . . . . . . . . . . . 3.3. La macro-fonction motrice et affective au cinéma . . . . .
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4. La macro-fonction de socialisation. . . . . . . . . . . . . . 4.1. La macro-fonction de socialisation au cinéma . . . . . . .
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5. La macro-fonction communicative. . . . . . . . . . . . . .
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III – LA MUSIQUE DANS LE CINÉMA DE WOODY ALLEN 1. L’usage de musique préexistantes . . . . . . . . . . . . . . 1.1. Fonctions et effets de sens . . . . . . . . . . . . . . . . .
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IV – FANTASIA DE WALT DISNEY 1. L’union des arts, synesthésies et cinéma d’animation . . . .
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2. Fantasia : un exemple de transposition intersémiotique . . . 2.1. Effets d’adéquation synesthétique . . . . . . . . . . . . . 2.2. Effets d’adéquation expressive. . . . . . . . . . . . . . .
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BIBLIOGRAPHIE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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I. LE FONCTIONNEMENT SÉMANTIQUE DE LA MUSIQUE « L’usage correct du langage représente à mes yeux ce qui permet de s’approcher des choses (présentes ou absentes) avec discrétion, attention, et prudence, dans le respect de ce que les choses (présentes ou absentes) communiquent sans paroles. » Italo Calvino, Leçons américaines
1. EXISTE-T-IL UNE SÉMANTIQUE MUSICALE ? On ne peut envisager une analyse approfondie du contenu audiovisuel au cinéma sans recourir à la première théorie de référence, celle du fonctionnement sémantique de la musique. Ce sujet implique d’abord une option fondamentale parmi les nombreuses et complexes références théoriques, puisque la sémiotique musicale est subdivisée en plusieurs orientations, tendances et sous-orientations, mais il requiert aussi une option prioritaire, par rapport au fait que l’on puisse parler de fonctionnement sémantique. Cette option apparaît dans le modèle de fonctionnement que nous avons mis au point (cf. II, 1.), dans la conviction fondamentale selon laquelle tout type de formalisme brise les liens existants entre langue et vie : notre paradigme établit en effet une macro fonction, dite communicative, dans laquelle l’événement musical tend pour sa plus grande part à communiquer quelque chose aux autres. Une fois admise cette fonction communicative, on sous-entend que la musique est un langage, doté comme tel d’une capacité expressive et significative. La réflexion sur les processus de signification du langage musical est l’objet spécifique d’études d’une discipline spécifique, la sémiotique musicale, née en 1971, sous le nom de sémiologie – discipline en cours
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de formation et au statut scientifique encore indéfini – et qui surtout s’est fragmentée en plusieurs tendances, en ce qui concerne la sémantique. D’après la répartition célèbre de Charles Morris, qui divise la sémiotique en trois domaines – syntactique, sémantique et pragmatique – (cf. II, 1.), c’est précisément le domaine considéré comme « sémantique », relatif à l’étude des signifiés qui pose le plus de problèmes. Il entend apporter de nouvelles réponses à de vieilles questions, manifestant ainsi un regain d’intérêt envers une conception ontologique de la musique, perçue comme système significatif, capable de renvoyer au monde extérieur. La sémantique musicale doit en effet rendre compte, non sans risques, des processus de signification en musique et construire un métalangage sémiotique pour parler de musique, en tentant de conceptualiser quelque chose qui n’a rien de conceptuel. Parler de sémantique équivaut à parler de signification, et la question est alors de savoir ce que l’on entend par signification musicale. Dans la richesse polysémique de ce terme, Nattiez distingue lui aussi un sens circonscrit : une œuvre musicale prend un sens lorsque son interprète la met en relation avec son horizon culturel ou son vécu, ou avec l’ensemble des autres objets, concepts ou événements qui font partie de son expérience personnelle. L’expression devient donc la donnée inhérente à la structure et dès lors, les éléments structuraux du langage musical – les qualités acoustiques du son (hauteur, intensité, timbre), ses qualités articulatoires (rythme, mélodie, dynamique) et, dans une moindre mesure, les gestes productifs nécessaires à l’émission du son – sont des pré-conditions du signifiant. Quant à la signification, elle est à son tour une élaboration de la donnée inhérente à la structure et tend à la réduire à un concept, à la rationaliser, à l’expliquer. Le signifié ne réside donc ni dans les formes ni dans leurs relations, ni dans les définitions métalinguistiques et classifications grammaticales, ni dans les émotions « originelles » de l’auteur ou dans celles qui sont suscitées chez l’auditeur. Tout d’abord, une expression a un sens lorsqu’elle dit quelque chose à l’égard d’un objet qui n’appartient pas à l’expression même ni à ses relations fonctionnelles avec d’autres formes ou éléments signiques ; en second lieu, ce qui est dit et ce dont on parle doivent être traduisibles, au moins de façon approximative, en expressions du langage verbal ou de langages différents de celui qui est utilisé dans l’expression. La signification est donc l’ensemble des faits sémantiques associés à un objet et elle possède un vécu. La problématique et les difficultés du rôle de la sémantique dépendent
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principalement du fait que le langage musical est totalement dépourvu d’une sémantique définie selon des fonctions établies et systématisées ; en d’autres termes, il ne dispose pas d’un ensemble d’éléments précis, qui permette de relever un signifiant et un signifié dans toutes les unités identifiées. On ne peut effectivement pas définir une série d’agrégats de sons comparables aux signes de la langue – les mots – ni les classer, comme tels, dans un dictionnaire. Certains auteurs, dont Nattiez, ne cachent pas leur scepticisme à l’égard de la sémantique, car celle-ci s’occupe des significations conceptuelles liées à la musique. Bien qu’elle soit reconnue comme étant une des grandes orientations générales de la sémiologie musicale, elle s’en distingue nettement, et le concept même de sémantique, associé dans son acception à des formes de pensée logique, fait l’objet de discussions. Et ceci pour deux raisons : tout d’abord, si la sémantique est cette partie de la sémiotique musicale qui, parmi les différents types d’interprétants se référant à une musique donnée, privilégie ceux qui se prêtent le plus au rattachement à une signification conceptualisée et verbalisée ; Nattiez signale toutefois que ces interprétants ne forment qu’une partie de ceux qui se réfèrent à une œuvre musicale. En effet, la signification d’une musique donnée ne parvient pas nécessairement à la conscience du sujet sous forme verbalisée, mais parfois sous forme d’impressions et de sensations vagues à un niveau préréflexif. Quant à Francès, il pense aussi que « le jugement sémantique appliqué à la musique n’est que le dernier élément d’un processus qui, bien que sans effet verbal pour certains, n’en est pas moins réel et efficace à un niveau préréflexif ». Par ailleurs, la verbalisation de la musique semble être une prérogative de la culture et de la recherche musicologique occidentale et constitue un modèle et une typologie de pensée et d’analyse étrangers à d’autres cultures en dehors de l’Occident. Tillman Seebas (1999, p. 230) affirme à ce sujet dans un article que, si pour un musicologue occidental « verbaliser la musique veut dire passer d’une forme de communication artistique et intuitive à une forme de communication analytique et descriptive », les procédés analytiques d’Extrême-Orient et du Sud-Est asiatique inclinent plutôt à une description poétique des objets non verbaux, en recourant parfois même aux mythes. « À première vue, l’idée selon laquelle on peut faire appel à la poésie pour énoncer des vérités scientifiques nous apparaît comme un anathème, un peu comme si nous rappelions à la vie le subjectivisme tant redouté, et que l’on croyait mort. Actuellement, il n’y a presque pas de recherche musicologique des
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auteurs indigènes sur leur musique. Nous ne savons donc pas comment ils conçoivent leur “histoire de la musique”. Ils parlent de la musique des autres à la manière des ethnomusicologues occidentaux, mais ils ne verbalisent rien de la leur, car ils refusent l’idée de se rapprocher dialectiquement de ce qu’ils ressentent comme leur propriété ». En conclusion, Seebas n’exclut pas le fait que des méthodes d’analyse autochtones puissent apparaître dans le futur. En second lieu, ce qui rend la sémantique musicale un sujet d’études particulièrement ardu, est, selon Nattiez, le fait que l’apparition d’une série donnée d’interprétants, qui associent un signe précis à un objet plutôt qu’à un autre, soit en partie déterminée par des situations (psychologiques, sociales, historiques etc.), continuellement fluctuantes et qu’elle soit liée aux idiosyncrasies et aux expériences individuelles propres à chaque sujet. Pour ces deux raisons, toujours d’après Nattiez, la sémantique musicale doit se focaliser sur l’analyse de ce que l’on appelle le « niveau neutre » de la structure musicale et expliquer les relations entre le texte musical et les sens qui y sont liés, en faisant appel aux apports disciplinaires sociologique, anthropologique et psychanalytique musical. Ces interrogations de Nattiez sont parfaitement compréhensibles, et ne doivent pas être sous-évaluées : d’un côté, il y a en effet l’existence réelle des choses, autrement il n’y aurait pas matière à traduire et à interpréter ; et d’un autre côté, notre vision de la réalité plonge toujours ses racines dans notre monde intérieur et provient toujours de notre subjectivité (l’homme est aussi un « être psychologique »). C’est précisément en fonction de ces questionnements que nous avons mis au point, dans le cadre de l’étude sur la pragmatique de la communication musicale, la distinction entre fonction émotionnelle et fonction stimulatrice d’émotions (cf. II, 3.2.). Cette réflexion a aussi éveillé nos doutes à l’égard des recherches de sémantique musicale expérimentale, d’autant plus que le vocabulaire sensoriel, spatial, temporel et émotionnel, dans lequel il faut puiser pour obtenir des réponses verbales, est très riche, mais complètement vide du point de vue lexical (cf. p. 38). Cela veut dire que, si nous cherchons dans un dictionnaire les mots « tristesse » ou « montée », nous trouverons des définitions synonymiques ou incomplètes. Voyons par exemple les définitions de certains termes appartenant au langage de l’expérience sensorielle et émotionnelle, trouvées dans le dictionnaire : Chute : le fait de ne pas rester droit, de s’écrouler.
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Descente : déplacement de haut en bas. Tristesse : envahissement de la conscience par une douleur, une insatisfaction ou un malaise dont on ne démêle pas la cause, et qui empêche de se réjouir du reste. Les deux premières définitions sont incomplètes, comme nous l’expliquerons dans l’analyse componentielle (cf. I, 3.3. ; 3.4.2) ; la troisième définition est tautologique, c’est-à-dire illusoire, parce qu’elle propose à nouveau, en termes synonymiques appartenant au même champ sémantique, l’énoncé de ce qui devrait être objet d’explication. Par conséquent, si la recherche d’une définition de sens est ardue, également là où les mots peuvent fournir leur extraordinaire contribution de précision, donner un sens à la musique est encore plus difficile et invite le dictionnaire à aller plus loin. Si la musique est un langage, c’est parce qu’elle parle de quelque chose qui n’est pas la musique : mais ce dont parle la musique semble appartenir à l’expérience sensorielle, spatio-temporelle et affective, qui se traduit mal en mots et pour laquelle les dictionnaires n’offrent aucune aide. Construire un métalangage sémiotique, pour parler de musique, qui tienne également compte de sa nature cinétique, dynamique, inscrite dans le temps, est doublement difficile, bien que les études de sémantique lexicale sur les émotions, réalisées en sémiotique générale, puissent considérablement y aider. Les mêmes raisons qui conduisent à ne pas minimiser les interrogations de Nattiez, induisent à considérer comme fondamentales les indications de l’auteur relatives au fait que chaque herméneutique musicale doit associer le texte à sa trame linguistique. La raison en est principalement que la compréhension de la musique est un processus complexe dans lequel entre en jeu une série de conditions, d’opérations mentales et de connaissances, au point que cette perception n’est pas évidente. En effet, les deux processus fondamentaux qui composent le vrai processus réceptif – perception et interprétation – sont précédés d’une série de conditions et d’états entremêlés : d’une part, les pré-conditions réceptives de l’auditeur, qui comprennent à la fois des facteurs psychologiques et affectifs, et des facteurs culturels et cognitifs – c’est-à-dire la compétence musicale de l’auditeur – et d’autre part, l’évaluation, réaction pré-interprétative, à considérer comme réponse immédiate, mais pas nécessairement cognitive. Avant toute autre élaboration intellectuelle, cette réponse évalue les stimuli en termes d’acceptation/refus, beaux/laids, agréa-
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bles/désagréables. Ce comportement immédiat et en grande partie inconscient, se situe au début de la séquence temporelle des comportements réceptifs (ou des opérations de perception) et semble en grande partie responsable de l’accès de l’auditeur à ce que nous pouvons définir comme état d’intérêt, cette modalité particulière de disposition psychophysiologique, à laquelle on attribue plusieurs acceptions (arousal, intérêt, excitation, curiosité). Cette phase est cruciale et même décisive dans le travail réceptif du spectateur. Le résultat de cet état d’intérêt est l’état d’attention, réel moteur du début du processus réceptif, que l’on peut définir comme une disposition motivée envers une vision sélective et organisée, opposée à une écoute distraite. Enfin, le processus réceptif lui-même est formé de deux processus fondamentaux – perception et interprétation – qui éveillent à leur tour des réactions émotives et affectives : la perception est la phase de focalisation sélective et d’analyse perceptive, au cours de laquelle l’auditeur tâche d’analyser, de reconnaître et d’identifier des éléments expressifs de la musique ; l’interprétation est la phase de reconstitution ou de découverte du sens, dans laquelle on attribue une signification aux éléments expressifs : on parle d’interprétation lorsqu’un signifiant peut être traduit, c’està-dire lorsque la musique est traduite dans une autre langue, ou en d’autres termes, décrite à travers un autre langage. L’interprétation concerne non seulement les éléments microstructuraux, mais aussi les éléments macrostructuraux : l’auditeur donne alors une représentation sémantique précise aux unités textuelles découpées au fur et à mesure dans le continuum musical, et en relevant les opérateurs de cohésion dans le texte, il la met au point et lui donne un sens global. Chaque interprétation, y compris celle du musicien, devrait être à la fois redécouverte et restitution d’un sens, car tout acte interprétatif suppose en effet une trahison possible du texte, y compris dans le cas de textes musicaux écrits, à cause des limites inhérentes à la notation même. En substance, la musique présente des difficultés et des limites intrinsèques que sa traductibilité ne peut éliminer qu’en partie, et tout acte interprétatif qui utilise le langage verbal ne peut traduire complètement la musique ; cependant, non seulement la musique ne peut se définir comme étant un langage asémantique, mais il n’est possible de définir le contenu d’une musique qu’à travers les mots du langage. En conclusion, la seule position acceptable est la position intermédiaire, comme le soutient Tarasti : on peut dire des vérités sur la musique,
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la traduire en partie, mais pas complètement. Ce serait en effet trop réducteur d’y renoncer tout à fait, en considérant que la traduction de la musique et son interprétation dans un autre langage sont tout à fait inutiles. Cette option connaît du reste de nombreuses légitimations : il faut considérer que la tradition musicale se transmet précisément à l’aide de ces traductions et qu’aucun système de signes ne fonctionne isolément dans la culture, coupé d’autres systèmes (la sémiosphère, pour Lotman, est l’espace dans lequel les langues/langages réalisent, par leurs énoncés concrets, leur propre échange avec la vie). On ne peut pas oublier non plus que, pour le moins en ce qui concerne le patrimoine musical écrit, le compositeur procède à une première traduction quand il transforme son idée musicale en notation, c’est-à-dire quand il crée sa partition. La notation traditionnelle est un métalangage, dans le sens de procédure de transcodification qui suit des règles, sur le plan du signifiant : en convertissant les sons en images, celle-ci opère en fait un déplacement d’une matière vers une autre. Les « programmes verbaux » (et souvent poétiques, à l’époque romantique), qui accompagnent parfois les compositions musicales, sont eux aussi des traductions métalinguistiques. L’interprète doit procéder à son tour à une traduction de la notation musicale en langage tactile et en technique corporelle, et enfin, l’auditeur traduit les phénomènes sonores dans le langage de son expérience intérieure. Parmi cellesci, la traduction la plus radicale est celle qui essaie de verbaliser la musique dans la tentative de traduire en mots une des phases décrites cidessus : dans ce dernier cas seulement, on se situe en dehors du langage musical, dans un métalangage qui l’observe, et se situe extérieurement au processus musical. La traduction de la musique en d’autres langages se justifie ultérieurement et est légitimée par le fait que, dans le processus réceptif, la musique touche à la fois l’ouïe et deux autres systèmes sensoriels (cf. II, 3.), tandis que dans le processus de production et d’exécution du son, la note, bien que dotée d’un élément spécifique (la matière acoustique), se présente de fait comme une expérience complexe. On peut en effet distinguer, dans le même concept de son, à côté des modalités d’existence sous forme de notation, acoustique et perceptive, une modalité d’existence tactile, qui correspond au mouvement lors de l’exécution, quand l’interprète le transforme en langage gestuel. Tarasti définit ce mode d’existence tactile comme note g (note geste), et la considère comme unité de base instrumentale et motrice. Une telle classification, proposée par Ingmar
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Bengtsson, révèle que, sous de nombreux aspects, la musique est très proche d’autres systèmes de communication dits non verbaux.
2. VERS UNE THÉORIE DU FONCTIONNEMENT SÉMANTIQUE DU LANGAGE MUSICAL La sémantique musicale donne donc lieu à un contexte d’études extrêmement hétérogènes, dont le manque d’unité s’explique tant par le manque d’unité de la sémiotique générale – et par conséquent par l’absence d’une théorie de référence unique –, que par la divergence de perspectives sur la façon de considérer le signe en musique et de quel type est la signification syntaxique, sémantique, pragmatique. Il est certain que ces trente dernières années, la sémiotique s’est penchée sur la nature de la communication musicale – et sur l’extrême variété et les nombreuses appellations de ses tendances – et a ouvert la voie à une conception linguistique de la musique et contribué au dépassement de la conception formaliste qui considérait la musique comme un géométrisme abstrait et sonore. Mais, bien que les avis actuels convergent à ce sujet, il reste de profonds désaccords sur la nature du sémantisme au sein de la sémiotique musicale même. Si bon nombre de chercheurs acceptent actuellement de ne pas limiter son sens exclusivement à ses éléments structuraux (théorie formaliste), ils ne sont pas tous d’accord sur la nature du renvoi du signe musical, ce qui explique les différentes tendances en sémiotique musicale. Plusieurs méthodes d’approche de la signification musicale coexistent en effet à l’intérieur de l’orientation sémantique, qui privilégient tour à tour les aspects productifs et les aspects réceptifs. Les aspects sémantiques de la musique peuvent être caractérisés du point de vue de la production musicale (poïétique) et de sa réception (esthésique). La reconstitution musicologique (Chailley) consiste essentiellement en une sémantique poïétique, à partir du moment où elle omet de considérer la façon dont les œuvres étaient perçues. L’herméneutique musicale se concentre en revanche sur l’interprétation des significations nées de l’écoute, en mêlant la dimension poïétique à la dimension esthésique. L’étude sur le terrain en ethnomusicologie (Boilès, McLeod) et la psychologie expérimentale (Francès, Imberty) se situent indubitablement du côté de la dimension esthésique. À l’aide de tests et de calculs, la psy-
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chologie expérimentale rassemble et vérifie les associations verbalisées qui se sont produites lors de stimuli sonores ou de musique, utilisant à cet effet des méthodes différentes (libre, guidée, semi-guidée). Ces trente dernières années, les recherches principales se sont concentrées moins sur l’analyse des éléments communs que sur la définition et la vérification d’une série d’analogies et de divergences fonctionnelles et structurales entre langage verbal et musical. En dehors des éléments communs que sont le rythme, la hauteur des sons et la mélodie, il existe des analogies fonctionnelles et des ressemblances structurales : toutes deux distinguent la langue (le système sonore abstrait de référence) des mots (expression musicale concrète) ; toutes deux présentent une syntaxe, c’est-à-dire un enchaînement des unités sonores selon des normes reconnaissables, bien que le code musical, beaucoup moins prescriptif que le code verbal, ne présente pas de système syntaxique strict (comme en témoigne la flexibilité des règles harmoniques). Dans leurs études, les chercheurs ont fait appel à la linguistique, pour retrouver les aspects essentiels qui définissent un langage et donner un contenu exact et des bases à l’expression « langage musical », afin de démontrer que le fonctionnement et l’organisation de la musique et du langage ne diffèrent pas dans leurs principes généraux. Il a fallu vérifier l’aptitude du système de communication musicale à être linguistique, en le comparant au code des mots, qui reste le système sémiotique le plus fort, le plus organisé et le plus étudié. D’après Piana, « l’application du mot “langage” à la musique, et du reste, aux autres arts en général, doit être entendue comme une extension métaphorique, à partir d’une acception propre qui se réfère au langage composé de mots, au langage verbal ». En partant d’une telle affirmation, on peut soutenir qu’il n’y a aucune nécessité intrinsèque qui induise à soutenir le caractère « linguistique » de la musique. L’utilité d’une telle assertion consiste seulement à montrer que la musique peut être considérée à partir d’un des nombreux points de vue compris dans la notion de langage. Il faut dès lors disposer d’une notion primaire de langage, dont font partie de nombreux caractères. Le langage permet aux hommes de communiquer, permet d’exprimer des sentiments et des émotions, permet de formuler des ordres et des désirs, et de décrire fidèlement une réalité ou une situation précise ; le langage est aussi fait de mots, qui sont à leur tour des émissions phoniques particulières, dont l’enchaînement crée l’unité des phrases. Piana suggère que l’idée de la musique-langage pourrait être riche d’implications, et avoir une portée réelle, uniquement si
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l’on y met en question le concept même de langage, en supposant « une unité conceptuelle équivalant à un genre par rapport aux sous-espèces ». Dans cette optique, les langages sont des systèmes de signes et le langage verbal, bien qu’important dans la vie des hommes, doit être considéré comme un langage parmi d’autres. La dénomination de « langage verbal », avec la référence au « verbal » que cela implique, devra être la caractéristique qui le différencie spécifiquement des autres langages. On peut donc envisager la musique sous les nombreuses facettes de l’analogie suggérée par l’expression musique-langage. En effet, elle devient lumineuse si, à travers le point de vue qu’elle institue, elle permet de comprendre des aspects qui auparavant étaient cachés ou mis au deuxième plan. Mais elle peut être trompeuse si elle mène à des raisonnements forcés ou crée des équivoques, des confusions. C’est ce qui s’est produit ces trente dernières années, lorsque la comparaison avec la signification linguistique semble avoir généré des obstacles intrinsèques aux progrès de la recherche. Si elle s’enracinait à une codification verbaliste, la musique deviendrait même un langage asémantique parce qu’habituellement dépourvue des connotations habituelles et d’une sémantique établie, c’est-à-dire d’éléments fixes et organisés. Comme le suggère Piana, il vaut mieux se référer implicitement à une notion primaire de langage et à un modèle de communication musicale basé sur une large définition de communication qui donne le même poids aux modes de communication verbale et non verbale. Si le langage musical et le langage verbal se ressemblent, ils sont aussi profondément différents. Tout d’abord, on ne peut trouver en musique l’équivalent du rapport dénotatif et conventionnel qui existe, dans le langage verbal, entre les mots et ce qu’ils désignent. Une autre différence fondamentale est également évidente : elle concerne la syntagmatique (relative aux combinaisons successives) qui dans le langage musical (à la différence du langage verbal) est parfois horizontale, parfois verticale (contemporanéité des sons, accordale et polyphonique). S’il est vrai, comme l’observe Nattiez, que la sémiotique n’a jamais été une discipline unitaire, et que ce manquement a généré l’absence d’un caractère unitaire de la sémiotique musicale, il est tout aussi évident qu’au fil de son histoire, la sémiotique a conféré de sensibles métamorphoses à son sujet d’étude. Ces changements radicaux peuvent aider à comprendre certaines questions non résolues jusqu’ici et à dépasser cette « séparation » des terrains de recherche. Il semble déterminant de suivre les indications provenant de
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l’ajustement progressif du domaine de l’étude : de l’étude des signes (Peirce) à l’étude de la langue comme système de signes (Saussure), et à l’étude des langages (Hjelmslev) et enfin à l’analyse des textes (Greimas et Courtès à la fin des années soixante). Si la sémiologie était, aux yeux de Saussure, une science générale des signes ou des systèmes de signes, les chercheurs se montrent aujourd’hui très prudents à l’égard de cette définition, qu’ils vont même jusqu’à critiquer implicitement. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le terme de sémiotique a remplacé le terme saussurien de sémiologie. La sémiotique d’école française s’est focalisée sur la construction globale de la narration et des configurations discursives qui l’expriment, conciliant ainsi l’analyse du discours et les théories narratologiques, de sorte qu’à la fin des années soixante, la sémiotique évoluait davantage vers l’analyse des textes. L’école greimassienne, quant à elle, fonde sa théorie sur la base des typologies sémiotiques énoncées par Hjelmslev, pour lequel le niveau du signe n’est pas pertinent pour l’analyse, qui doit au contraire s’effectuer isolément, sur le plan du contenu et de l’expression. Pour Hjelmslev (1968, p. 51), les langues « ne peuvent pas être décrites comme de purs systèmes de signes ; selon le but qu’on leur attribue généralement, celles-ci sont d’abord et avant tout des systèmes de signes, mais selon leur structure interne, elles sont d’abord et avant tout, autre chose, à savoir des systèmes de figures que l’on peut utiliser pour construire des signes ». La sémiotique structurale greimassienne abandonne par conséquent l’étude des sémiotiques interprétatives : Greimas et Courtès opposent en effet à l’évidence du signe une organisation selon les niveaux de profondeur, dans laquelle chaque niveau inférieur est régi par le niveau supérieur ; au plan de la circulation des signes ou de la communication, le plan de la signification ; au signe isolé, les systèmes sémiotiques, et surtout les systèmes sous-jacents de relation qui permettent aux signes de signifier. Si donc, à la suite de Hjelmslev, les sémioticiens n’ont pas accordé à la musique le statut de sémiotique proprement dite, mais bien celui de système monoplanaire, parce que la forme de l’expression n’est pas isomorphe au plan du contenu (certains rapports sont identiques même si je transpose une séquence dans une autre tonalité), de telles métamorphoses du domaine de l’étude ont implicitement révélé qu’il n’était pas possible de bâtir une théorie cohérente en se limitant à une analyse sémique. La délimitation des plus petites unités de sens (les sèmes) ne suffisait effectivement pas à expliquer la spécificité de la musique, car ce sont en
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revanche les relations et les forces qui existent entre ces unités en en faisant un tout, qui peuvent en expliquer la nature profonde – cinétique, énergétique, et qui se développe dans le temps. Le modèle de parcours génératif mis au point par A. J. Greimas concerne aussi bien l’aspect syntaxique de la production de sens que la sémantique, parce qu’il rend compte de la formation des significations au moment où l’on procède à partir du niveau profond vers la « superficie » du texte, c’est-à-dire ce que l’on appelle les « structures discursives ». On peut définir aussi la théorie de Greimas comme une théorie de la génération du sens, dans la mesure où les composantes qui interviennent dans ce processus s’articulent les unes par rapport aux autres, selon un rapport qui va du plus simple/abstrait au plus complexe/concret. Le niveau le plus profond est formé d’instances logico-sémantiques qui se convertissent petit à petit en plans sémantico-syntaxiques plus superficiels, pour parvenir, à travers l’énoncé, aux structures discursives. Le niveau sémio-narratif le plus profond s’articule à partir du « carré sémiotique », qui forme, avec ses interrelations logiques, la structure élémentaire de la signification, la condition différentielle minimale qui permet de saisir le sens. Le parcours génératif de Greimas est basé sur cette structure oppositive, qui se manifeste précisément comme une expansion graduelle d’une telle structure achronique fondamentale. Avec ses protagonistes, ses actions, ses drames et ses dénouements, l’appareil narratif, en tant que tel, serait effectivement généré à partir et en fonction de ces oppositions sous-jacentes. Le niveau superficiel des structures sémio-narratives est celui d’une narrativité anthropomorphisée : c’est là en effet que les relations logicosyntaxiques de contradiction et de contrariété et les opérations tout aussi abstraites d’affirmation – négation des termes du carré sémiotique – se traduisent en actions et volitions de sujets. Les valeurs virtuelles inscrites dans le carré, deviennent ici des valeurs pour un sujet qui les transforme en objets de valeur, avec lesquels il se trouve en conjonction ou en disjonction. Dans ce cas, les sujets et les objets n’ont pas une nature empirique, mais sont des actants qui existent seulement en fonction l’un de l’autre, dans un rapport d’interdéfinition syntaxique étroit : c’est-à-dire que les sujets existent en tant que tels, seulement par rapport à leur opération de valorisation, et les objets seulement dans la mesure où ils sont valorisés par les sujets. Le niveau sémio-narratif de surface, ou grammaire narrative, est certainement la partie la plus articulée et la plus solide de toute la théorie : à
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la base de la narrativité, il n’y a pas seulement une opposition de valeurs mais aussi une structure polémique, qui oppose des sujets à des sujets, en lice pour un même objet de valeur. En dehors de son parcours génératif, Greimas propose un deuxième concept important : il pense que la signification naît de la création et de la reconnaissance des différences (carré sémiotique), qui adoptent au niveau superficiel le statut de la comparaison – comparaison interactantielle – ; en d’autres termes, le sens ne peut être saisi qu’à travers son aptitude à devenir narration. Si l’on veut comprendre l’organisation générale d’un texte, quel que soit le type de texte, on devra toujours partir des hypothèses concernant le niveau sémio-narratif sous-jacent, c’est-à-dire des valeurs en jeu, des objets intéressés, des modalisations des sujets. Ces dernières sont une traduction sémiotique du problème de l’intentionnalité et s’articulent en modalités du faire (vouloir, devoir, savoir, pouvoir) et en modalités de l’être (états passionnels du sujet). Le niveau discursif du parcours génératif est moins abstrait, car le passage au discours transforme les structures sémio-narratives en structures narratives, avec une augmentation des articulations significatives. Pour Greimas, le discours est simplement ce qui est énoncé et l’énoncédiscours doit être analysé dans son fonctionnement global parce qu’il forme un tout, dont la cohérence est garantie par un réseau d’isotopies. L’isotopie provient à son tour de la récurrence ou redondance, tout le long du texte, de catégories sémiques abstraites ou figuratives, qui évoluent parallèlement, ou se croisent, ou entretiennent entre elles des rapports hiérarchiques. Bien entendu, le texte peut renfermer plusieurs isotopies qui évoluent parallèlement ou se croisent, ou entretiennent entre elles des rapports hiérarchiques. Au sein du parcours génératif, le discours correspond à ce niveau où le sujet de l’énoncé, à travers le mécanisme du débrayage, projette hors du « je-ici-maintenant » des acteurs, des espaces, des temps différents du soi et des coordonnées spatio-temporelles de l’énoncé. Par une deuxième opération, liée à la première, il procède à une couverture sémantique spécifique et concrète des figures sous-jacentes : les transformations narratives deviennent ainsi des processus temporalisés, les actants deviennent des acteurs et les histoires racontées se déroulent dans des espaces précis. Il existe donc trois procédures de discursivisation : spatialisation, temporalisation, actorialisation. Par les deux premiers, on détermine une localisation spatio-temporelle, à savoir une organisation de temps et de lieux. Le dispositif d’actorialisation, détermine le fait que ceux qui, au
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niveau sémio-narratif étaient des actants et avaient des rôles actantiels, c’est-à-dire modaux, deviennent des acteurs au niveau discursif, pour ainsi dire des individus ayant une identité spécifique et constante qui jouent à la fois les rôles actantiels de la grammaire sémio-narrative et les rôles thématiques du niveau discursif. En d’autres termes, puisqu’il veut, doit et peut, l’acteur entreprend des programmes narratifs, accueille des structures narratives, mais se charge aussi de stéréotypes spécifiques, ou de thèmes, dont chaque culture revêt les structures narratives. Dans les discours plus concrets, s’ajoutent les couvertures figuratives, à savoir la présence de figures comprises, non pas dans un sens rhétorique, mais dans le sens presque gestaltique de formes concrètes de notre expérience perceptive. Le revêtement figuratif du discours, en créant un simulacre de l’expérience concrète du monde, est l’un des facteurs qui déterminent l’illusion de référence ou effet de réalité. Si l’on suit les niveaux du parcours génératif vers la surface, on se rapproche de plus en plus de la phénoménologie de l’expérience et de ce que nous trouvons dans la surface manifestée des textes : personnages, aventures plus ou moins entremêlées, contextes plus ou moins définis ou « vraisemblables ». Si les applications du modèle de Greimas aux autres formes d’art sont nombreuses, les tentatives de son application à la musique sont en revanche très pauvres ; parmi ces rares tentatives, celle de Eero Tarasti est certainement la plus complète. La théorie de Greimas, avec le glissement qu’elle comporte vers l’analyse des textes, semble avoir un rôle décisif par rapport à la sémiotique de la musique, dans la mesure où elle indique une fois encore à la recherche de ne pas s’enliser dans l’étude des unités signiques. En dépit des tendances répandues dans ce domaine, surtout en Italie, où l’attention s’est focalisée sur l’étude d’unités minimes, comme les intervalles, il semble bien plus utile à la recherche de compter le langage musical au nombre des langages qui, selon la définition de Marsciani et Zinna (1991), « ne sont pas nécessairement décomposables en unités signiques » et « ne sont pas pourvus d’un ensemble d’éléments délimitables, tels que, pour chaque unité inventoriée, l’on puisse trouver un signifiant et un signifié ». Pour les progrès de la science, il semble de la même façon plus profitable d’envisager le langage musical comme un système capable de transmettre un sens, mais doté de propriétés processuelles contextuellement changeantes et qui, en tant que telles, ne peuvent être inventoriées dans un dictionnaire. En effet, si dans le système de commu-
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nication musicale, on peut isoler une série d’unités – les notes de la gamme – qui sont récurrentes dans plusieurs contextes, comme cela se produit aussi pour les phonèmes de la langue, le jeu de leurs fonctions est toutefois changeant et définissable, uniquement au fur et à mesure, suivant le contexte. Par conséquent, on ne peut pas construire de système complet et exhaustif équivalent au système phonologique, dans la mesure où on ne peut pas définir une série d’agrégats de sons comparables aux sens de la langue (à savoir les mots) et intégrables en tant que tels dans un dictionnaire. D’après M. Della Casa, le sens musical présente deux éléments spécifiques : il est d’une part discontinu, car il ne se manifeste que par moments et l’on ne peut donner un sens à tous les moments de la séquence. D’autre part, il est a-réel – Eco (1975) a parlé à cet égard de « nébuleuse » –, dans la mesure où il accumule des passages plus ou moins étendus du discours et où il est très difficile, sinon impossible, d’en segmenter les éléments minimes ou même plus consistants. On peut donc supposer qu’au plan du discours de surface, les structures de la signification en musique soient des passages plus ou moins étendus du discours, identifiables également en raison d’une couverture sémantique concrète. Dans les processus de couverture sémantique des structures discursives en musique, la modalité signique de signification et la fonction dénotative (fondamentale, en revanche, dans le langage verbal) manquent, à moins que cette dernière n’apparaisse a posteriori, quand un morceau de musique est utilisé et répété longtemps (comme par exemple les signaux militaires), ou bien de façon limitée aux usages pratiques des sons, lorsqu’ils jouent un rôle pragmatique informatif ou identificatif (cf. II, 5). L’usage répété de nombreux indicatifs de la télévision a par exemple habitué le public à les associer à un programme précis, même si le rapport de connexion entre ce programme et l’indicatif est tout à fait arbitraire. D’autre part, dans les processus de couverture sémantique des structures de la signification en musique, la modalité iconique de signification apparaît limitée et marginale, mais non dépourvue pour autant d’intérêt historique. Cette modalité comporte l’illusion référentielle et est caractérisée par un rapport de ressemblance perceptive, liée à l’imitation. Tous les processus musicaux descriptifs et imitatifs appartiennent à cette catégorie. On parle de cas d’icône sonore, lorsque certaines propriétés acoustico-articulatoires d’une structure musicale précise reproduisent
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clairement des traits de la sonorité ou de la séquence de sons que produit l’objet, l’événement naturel auquel on veut faire référence. Dans ces caslà, on peut sélectionner à partir d’un même événement perceptif, des indices perceptifs différents, qui donnent lieu à des imitations différentes, mais le plan du signifiant et le plan du signifié restent liés par une ressemblance phonique. Par conséquent, signifiant et signifié sont homoschématiques dans la mesure où ils reproduisent le même schéma et homomatériques, puisqu’il y a ressemblance phonique entre les qualités sonores acoustico-articulatoires et le modèle perceptif et sémantique de nature sonore. Il serait toutefois plus correct et pertinent de qualifier l’icône sonore de symbolisme onomatopéique (ou échoïque) parce que, dans les cas d’homomatéricité et d’homoschématisme, les structures de la signification restent indéterminées, surtout là où la musique ne s’intègre pas à un autre langage qui oriente l’interprétation. Par exemple, les sonorités inédites que Prokofiev invente pour les images de la glace qui se brise dans la scène de la « bataille sur la glace » d’Alexandre Nevski d’Eisenstein, deviennent une icône sonore, parce que l’image leur fait perdre leur ambiguïté (cf. II, 5). Ou encore, chez Beethoven, la brève séquence descriptive à la fin du deuxième mouvement de la Symphonie Pastorale est interprétée de façon univoque comme « chant du loriot ou de la fauvette » uniquement sur la base des notes que Beethoven a laissées dans ses Cahiers de conversation (cf. IV, 2). On peut donc supposer que dans les processus de couverture sémantique des structures du discours musical, la modalité symbolique constitue la modalité primaire de signification. Par conséquent, sans l’illusion référentielle liée à la capacité dénotative et à la représentation iconique, les structures de la signification en musique restent abstraites, indéterminées et polysémiques. Dans les processus de couverture sémantique, ces structures deviennent des « figures » discursives, dans le sens greimassien de formes concrètes de notre expérience perceptive, mais leur lien avec la réalité est très ténu, par rapport à celui que d’autres langages peuvent établir. Les caractères de discontinuité et d’aréalité qui caractérisent la signification musicale nous conduisent à envisager une notion ultérieure, l’isotopie, qui joue un rôle fondamental dans la sémantique du discours chez Greimas. L’isotopie permet en effet d’évaluer l’intelligibilité interprétative de ces effets de « tout organique » qui contribuent à la définition même d’un texte. Le postulat général de Greimas, relatif aux phénomènes d’interprétation, suppose qu’« au moment de la lecture, l’interprète tend
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à accorder au texte auquel il est confronté le moins d’ambiguïté et le plus d’homogénéité possibles et que le texte, de son côté, doit être traité comme un tout de signification » (Marsciani, Zinna, 1991, p. 44). L’isotopie permet donc de se débarrasser de l’ambiguïté d’un énoncé et parcourt tout le texte, bien qu’il existe des textes pluri-isotopiques et qu’une seule isotopie rende rarement compte de la signification globale du discours énoncé. En transposant donc la notion greimassienne d’isotopie à la musique, l’on peut affirmer, à l’instar de Tarasti, que celle-ci constitue la condition indispensable pour analyser le discours musical, dans la mesure où elle est le facteur qui répond de sa cohérence. La dimension de la signification fait toujours partie de la formation de l’isotopie : d’après Tarasti, la seule analyse du signifiant ne peut certainement pas expliquer les facteurs liés à la cohérence de la forme musicale. Que la musique soit fragmentée, ou que de longues pauses séparent certains passages du texte musical, ceux-ci sont toutefois perçus comme cohérents, dans leur appartenance à un tout. Selon Tarasti, quand on applique le concept d’isotopie en musique, il faut tenir compte du fait que celle-ci puisse être considérée comme une espèce de niveau de sens, une unité en mouvement, non statique, qui s’étend, se contracte, se tend, et à travers laquelle on peut décrire les tensions intérieures d’une composition, leur développement et leur résolution. Mais Tarasti ne voit pas dans l’isotopie une notion univoque, et pense qu’elle peut avoir au moins cinq significations : 1. L’isotopie peut être une structure profonde, plus ou moins achronique et abstraite, que Greimas appelle le « carré sémiotique », et que H. Schenker définit comme l’accord de tonique, à savoir une structure spatiale. Elle peut toutefois être tout autre schéma logique qui rende compte de la cohérence de la musique. L’analyse isotopique, liée au temps, présente trois phases principales : inchoative, durative, terminative. Le parcours musical génératif ne situe pas ces trois catégories fondamentales isotopiques uniquement au dernier niveau de la surface : la structure achronique de la musique se situe tout d’abord au niveau spatial profond (au moins deux hauteurs de tons opposés) ; au niveau suivant, quand la musique commence à devenir narrative, cette relation hiérarchique est temporalisée et enfin, au niveau figuratif de surface, on peut introduire la catégorie actorielle, quand se forment des ensembles de thèmes ou de thèmes-actants pour ainsi dire identifiables. Il s’agirait
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dès lors de savoir dans quel ordre les termes du carré sémiotique de Greimas apparaissent au cours de l’œuvre, c’est-à-dire la manifestation de ce schéma dans le temps : quand nous ramenons la musique à ce schéma, nous sentons qu’elle est sensée, qu’elle produit un sens. l’existence de deux isotopies spatiales tonales, tonique et dominante, ne forme pas encore en soi une structure narrative, mais quand la dissonance spatiale incluse est temporalisée (la relation paradigmatique devient syntagmatique), c’est véritablement une structure narrative de la musique qui apparaît alors (cf. I, 3.3.1. ; I, 3.3.3.). 2. L’isotopie peut coïncider avec ce que R. Reti appelle « niveau ou processus thématique », en tant que facteur qui répond de la cohérence de la forme musicale. Tarasti cite par exemple la sonate en mi majeur op. 109 de Beethoven, dont les trois mouvements posent des problèmes d’interprétation, et dont l’unité provient précisément du Lied du troisième mouvement, sur lequel est construite aussi la structure musicale des deux premiers mouvements. Toutefois, un actant musical, un thème, est une notion qui ne coïncide pas nécessairement avec celle de l’isotopie. Dans la musique raffinée occidentale, on suppose habituellement qu’un actant thématique doit exister dans l’isotopie ou dans le contexte qui lui est propre. Autrement dit, la création d’un thème requiert un accompagnement ou un fond harmonique, rythmique, ainsi qu’un timbre caractéristique (cf. 4.). 3. L’isotopie peut aussi correspondre à la caractéristique d’un genre : un genre musical ou une forme-type (sonate, polonaise, fugue, etc.) suffit à établir une sorte de cadre de référence qui filtre la sensation musicale la plus immédiate sous une certaine forme, offrant ainsi une isotopie manifeste aux événements sonores. La musique contemporaine ou d’autres musiques que la nôtre ne permettent pas de situer la musique dans une isotopie correspondant à des genres reconnus et enregistrés dans notre mémoire. 4. Le type de tessiture musicale peut aussi jouer le rôle d’isotopie : il s’agit dans ce cas d’une des manifestations isotopiques les plus simples. En général, la présence d’une telle isotopie n’est perçue que quand elle change ; l’isotopie apparaît souvent dans la musique, comme une sorte de contexte, un paysage où le thème-actant se déplace et se développe (cf. 2). 5. Enfin, la stratégie textuelle peut aussi être qualifiée d’isotopie. En
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musique, le même thème ou la même idée thématique peuvent être présentés sous plusieurs angles. Tarasti cite par exemple, dans la balade en sol mineur de Chopin, le développement du thème principal de la valse lente dans une section tendue et durative, qui la première fois, conduit à une modulation en mi majeur – à savoir à une catégorie timique de l’euphorie –, mais à la fin du morceau, mène à son contraire dysphorique en sol mineur, renforçant ainsi la fin tragique et élégiaque de l’œuvre.
2.1. LE CONCEPT DE SYMBOLE Si la modalité symbolique est fondamentale, bien que non exhaustive, dans les processus de signification du langage musical, il est nécessaire, pour la comprendre et en définir le cadre et les limites, de clarifier au préalable le concept même de symbole, qui, à cause de sa polysémie, souffre à la fois de multiples confusions avec des termes qui lui sont apparentés d’une façon ou d’une autre, et d’ambiguïtés importantes. Plusieurs disciplines donnent en effet à ce terme des contenus sémantiques différents, tout en maintenant un substrat significatif permanent : « symbole » indique quelque chose – réalité, événement, phénomène, objet, personne – qui renvoie à quelque chose de plus riche, et en même temps de voilé, et donc de moins aisé à percevoir. Ces disciplines appuient leurs variantes et nuances sur ce substrat significatif. En linguistique, l’usage de ce terme n’est pas univoque : des auteurs comme Peirce, par exemple, en arrivent à renverser le sens le plus courant du terme symbole et à le rapprocher du terme « signe », où le lien avec la dénotation est établi, selon une règle arbitraire. Bien que les auteurs divergent à ce sujet, les études de linguistique ont vu s’affirmer l’acception qui constitue le symbole comme modèle analogique, mimétique et non descriptif de certaines propriétés inhérentes aux objets, aux expériences, aux vécus, pour exprimer ce qui ne pourrait pas se faire autrement, par exemple en termes conceptuels. En effet, le symbole donne lieu à une signification ouverte et polyvalente, il entretient une relation motivée avec le signifiant, de sorte que ce dernier, dans sa forme et sa physicité, est une condition sine qua non du signifié et que le signifié n’est pas produit selon une correspondance de code pré-établi. Par conséquent, les expressions « symbolisme phonétique » et « phonosymbolisme » sont utilisées pour indiquer les phénomènes phonétiques et
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linguistiques qui se caractérisent par une forme d’analogie et de mimétisme, entre son et sens. Selon cette acception, le symbole possède non seulement une fonction indicative, mais aussi représentative : comme le signe, le symbole renvoie de lui-même à autre chose, mais il renvoie « dans la mesure où il retient », car il ne disparaît pas en jouant son rôle de renvoi, puisqu’il y participe. Les études sur la pragmatique de la communication humaine – en particulier l’École de Palo Alto – ont utilisé la notion de symbole dans la catégorie de « communication analogique », qui inclut toute communication humaine non verbale : non seulement la communication kinésique relative aux mouvements du corps, mais aussi « les positions du corps, les gestes, l’expression du visage, les inflexions de la voix, la séquence, le rythme et la cadence des mots, et toute expression non verbale dont l’organisme est capable, de même que les signes de communication inévitablement présents dans tout contexte où se produit une interaction » (Watzlawick, Beavin, Jackson 1971, p. 55). Selon les chercheurs de Palo Alto, le « non verbal » est ambigu et possède une fonction communicative dans le sens pragmatique, c’est-à-dire capable d’influencer le comportement humain et le langage verbal. Les études de pragmatique de la communication humaine donnent donc au terme symbole une acception semblable à celle qui est la plus répandue en linguistique. De plus, elles révèlent, entre autres, la fonction communicative de cet ensemble d’éléments que la linguistique appelle prosodiques ou suprasegmentaux et qui forme une aire de contact très étendue entre langage verbal et langage musical : il s’agit des inflexions de la voix, des profils intonatifs, de la séquence, du rythme, de la cadence des mots, des pauses, du registre de la voix, des accents, de l’intensité, de la rapidité d’attaque, etc. Ces éléments prosodiques sont donc symboliques, c’est-à-dire capables d’établir un rapport analogique entre son et sens : ce rapport est dit isomorphique quand il y a ressemblance dans l’organisation structurale, ou isoschématique quand structure sonore et qualité sémantique sont attribuables à un même « schème » mental qui, selon Piaget, représente la trame qui oriente la perception, l’intelligence et l’émotivité du sujet selon une double action, l’assimilation et l’accommodation. D’après l’école psychanalytique de Freud, le symbole naît d’une fonction psychique fondamentale successive à la représentation d’objet et marquée par quatre attributs fondamentaux : la représentation de matériel inconscient, la constance du signifié, la relation avec les étapes évolu-
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tives, le lien perceptif et linguistique entre symbole et idée symbolisée, de sorte que sa formation se base sur des ressemblances et des métaphores. Selon Freud, à l’origine, les symboles doivent être rapprochés des parties du corps empreintes de libido : leur représentation directe susciterait trop d’angoisse. Le Moi doit alors réfréner l’affect et trouve comme solution la création du symbole, éloigné de l’objet dont il conserve toutefois certains traits. Par conséquent, le symbole est toute réalité – objet, personne, etc. – qui en remplace une autre, censurée par le sujet et donc repoussée dans l’inconscient. Précisément parce qu’il remplace l’objet, le désir etc., censurés par le sujet, le symbole permet d’exprimer ce que le sujet réprime inconsciemment. Selon Freud, la symbolisation est un processus inconscient, dans lequel les valeurs affectives sont déplacées d’un objet à un autre, pour que les désirs enfouis puissent être satisfaits en partie sous un autre aspect (comme c’est le cas dans les états de fatigue, de sommeil, de psychose). La psychologie de l’âge évolutif attribue un rôle important à la pensée symbolique, parce que sa motivation a été identifiée par Piaget, dans la fonction de compensation émotive, qui permet d’assimiler le réel aux désirs et aux intérêts du Moi, comme une revanche sur les problèmes d’adaptation au réel. Dans la pensée et le jeu symboliques, se dessine l’identité de deux objets, qui devraient logiquement être distincts, mais qui, en revanche, font partie d’un unique « schéma affectif », c’est-à-dire un mode de perception qui les rend subjectivement analogues et équivalents sur le plan du Moi. Il s’agit dès lors d’une forme de pensée dans laquelle les schémas d’organisation du réel ne sont pas encore pleinement formés, selon les règles du contexte culturel. Typique de l’attitude égocentrique, la pensée symbolique n’apparaît pas seulement chez les petits enfants (jusqu’à sept ans environ), encore dépourvus de schémas mentaux formés et stables, mais aussi chez les adultes quand leur besoin de s’accommoder au réel et de se contrôler disparaît, comme dans les situations de rêve et de névrose, ou lors d’activités conscientes et socialisées, comme les activités esthétiques ou les expériences religieuses. L’auteur partage donc implicitement tant l’acception d’origine linguistique qui distingue le signe arbitraire du signe motivé, – car il considère que le symbolisme offre à l’enfant « le langage personnel, vivant et dynamique indispensable pour exprimer sa subjectivité intraduisible par le seul langage collectif » (1972, p. 244) – que l’acception d’origine psychologique. En effet, dans le jeu symbolique, l’enfant s’identifie à l’objet qu’il imite, révélant par là aussi des besoins profonds inexprimés.
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Enfin, l’anthropologie religieuse, semblablement à l’école Jungienne, donne au terme de « symbole » une acception relative aux images élémentaires – que Jung appelle « archétypales » – qui sont le produit de la rencontre de l’homme, dans la profondeur de son être, avec la vie. Ces images symboliques – l’eau, la lumière, l’arbre, etc. – appartiendraient à l’inconscient collectif, c’est-à-dire à un patrimoine biopsychologique inconscient et universel. Par leur symbolisme, ces images supposent quelque chose qui se trouve au-delà de leur signifié évident et immédiat. Parmi les nombreuses acceptions du terme « symbole », que l’on trouve dans plusieurs domaines de la connaissance, celle qui nous intéresse directement pour une clarification symbolique dans les processus de signification du langage musical, est avant tout celle qui dérive de la linguistique, et à laquelle il est utile de rapprocher celle empruntée à l’école psychanalytique freudienne. (cf. II, 3.2.2.).
3. LES STRUCTURES DISCURSIVES : LA MODALITÉ SYMBOLIQUE DANS LES PROCESSUS DE SIGNIFICATION EN MUSIQUE Dans le fonctionnement sémantique du langage musical, la modalité symbolique représente celle que nous définissons comme modalité primaire de signification : à l’intérieur de celle-ci, il est possible de distinguer trois domaines expressifs différenciés, mais interconnectés : symbolismes synesthésique, spatio-temporel et physiognomique. Dans le parcours génératif de Greimas, si le discours est ce niveau auquel le sujet de l’énoncé procède à une couverture sémantique plus concrète des figures sous-jacentes, ces domaines concernent, sur le plan discursif de surface, les couvertures sémantiques concrètes avec lesquelles le discours musical est recouvert de « figures », ce qu’il faut entendre à la manière de Greimas, dans le sens gestaltique de formes concrètes de notre expérience perceptive. Dans le cadre du symbolisme synesthésique, les structures discursives prennent les formes les plus concrètes de l’expérience sensorielle ; dans le cadre du symbolisme spatio-temporel et physiognomique, elles prennent les formes de l’expérience spatio-temporelle, cinétique, et en même temps affective et émotionnelle. Précisément parce que les processus de couverture sémantique des
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structures discursives en musique utilisent une modalité symbolique de signification, les « figures » discursives en musique créent un simulacre de la réalité qui reste très abstrait. Il s’agit de qualités sensorielles indéfinies, comme la « luminosité », ou bien d’abstractions perceptivo-phénoméniques, comme un mouvement d’« ascension » dans l’espace et le temps, et enfin, d’abstractions émotionnelles. Si l’on considère à nouveau l’a-réalité et la discontinuité, comme caractères spécifiant la signification en musique (cf. I, 2), on peut penser que ces « figures » émergent par séquences et touchent des blocs plus ou moins importants du discours musical. De plus, on peut penser que ces couvertures sémantiques plus concrètes, précisément parce que a-réelles et discontinues, sont fondamentales pour construire ces effets de « tout organique » et de cohérence que Tarasti, à la suite de Greimas, appelle des isotopies (cf. I, 2). Ces « figures », qui en musique, sont des formes abstraites de notre expérience perceptive, peuvent déterminer le type de tessiture musicale, laquelle peut fonctionner en tant qu’isotopie (cf. p. 29), c’est-à-dire être perçue comme une sorte de contexte, une sorte de paysage dans lequel l’actant-thème se déplace et se développe. Pensons par exemple aux dix-neuf premières mesures de l’Ouverture de Lohengrin de Richard Wagner dans laquelle, parallèlement à l’isotopie temporelle inchoative, on trouve l’isotopie sémantique « clarté » et « illumination ». Cette isotopie détermine une sorte de paysage empreint de « luminosité » progressive, dans lequel l’actant-thème peut commencer à agir, de sorte que l’isotopie sémantique s’intègre à l’isotopie actorielle (cf. I, 2). La synesthésie visuelle de la clarté (produite par le timbre des violons utilisés dans l’extension aiguë, jusqu’à la note mi suraiguë du premier violon), se développe dans le processus d’illumination, c’est-à-dire dans un mouvement abstrait au cours des dix-neuf premières mesures. Pensons aussi à l’isomorphisme qui associe le lumineux, le haut, le léger et le divin (cf. I, 3.2.3. ; 3.2.6. ; 3.2.8.), cette isotopie sémantique correspond à l’indication programmatique de Wagner, selon laquelle le début du prélude correspond à l’atmosphère raréfiée des sphères célestes, où se matérialise peu à peu « une rangée d’anges au milieu desquels se trouve le saint Graal ». En second lieu, toujours en raison de l’a-réalité et de la discontinuité de leur signification en musique, ces « figures » peuvent participer à la construction de la stratégie textuelle, qui peut fonctionner aussi comme isotopie (cf. p. 29). Ce type d’isotopie nous permet, dès lors, de segmenter le flux syntagmatique du discours musical, directement à partir des
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effets de sens. Des effets de sens synesthétiques, spatio-temporels et émotionnels peuvent donc constituer des isotopies, dont les disjonctions introduisent des discontinuités dans le flux syntagmatique du discours musical. Ceci confirme l’hypothèse de Castellana (1983), selon laquelle la segmentation de la forme de l’expression doit être faite a posteriori, d’après la définition des isotopies de la forme du contenu. En outre, selon notre hypothèse théorique, dans les processus de couverture sémantique des structures discursives en musique, la signification n’est pas seulement le fruit d’habitudes culturelles et ne dépend pas exclusivement de la connaissance de codes pré-établis (conventions arbitraires et culturellement déterminées), touchant inéluctablement la compétence de l’auditeur. L’on retient, au contraire, que dans la modalité symbolique, le signifié est motivé, et présente une consistance et une homogénéité interculturelles, en se basant alors sur des facteurs « naturels ». En tant que tel, il peut être reconstitué par l’auditeur, parce que son sens même est inscrit dans les structures sonores. Dans ce cas, les structures discursives en musique fonctionnent en tant que signes motivés ou symboles, à savoir des signes dans lesquels le lien entre signifiant et signifié (à la différence du signe proprement dit, où il est arbitraire), est motivé et non arbitraire, c’est-à-dire réglé aussi par le principe de la mimesis et de la motivation, en d’autres termes basé sur une association par ressemblance, que l’on appelle techniquement isomorphisme et isoschématisme. Ceci présente donc une cohérence avec l’orientation la plus répandue actuellement qui caractérise les recherches contemporaines de sémantique générale, lesquelles – en relation avec la psychologie cognitive – considèrent le signifié comme l’aboutissement d’opérations dynamiques et cognitives, plutôt que résultant de la reconnaissance d’une correspondance entre signifiant et signifié, selon des codes pré-établis. Dans cette optique, l’interprétation ne consiste donc pas en une attribution mécanique de sens prévus par des codes statiques, mais le signifié est construit au contraire, à travers un processus de type formatif et une élaboration cognitive complexe. On le constate tant en observant les actions cognitives et les opérations que l’interprète met à exécution pour l’élaborer, qu’en étudiant de façon spéculaire – comme nous nous proposons de le faire –, les processus à travers lesquels le signifié est transposé dans les structures musicales, par une recherche au niveau de l’énoncé musical, c’est-à-dire en se référant exclusivement au niveau neutre de la structure musicale, pour reprendre les termes de Nattiez et Molino. Quant aux mystères de la constance relative des associations du signi-
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fié, au sein d’une culture, par rapport aux caractéristiques du signifiant, la question que se posait Saussure au sujet de l’arbitraire ou de la motivation du signe est encore actuelle. S’il est vrai, comme l’a souvent rappelé Nattiez, qu’il ne faut pas confondre naturel/conventionnel avec motivé/arbitraire, la modalité symbolique de signification en musique semble toutefois donner raison au binôme naturalité/motivation. En ce qui concerne le symbolisme synesthésique (cf. I, 3.2.), les associations synesthésiques semblent déterminées en grande partie par des transferts isomorphiques qui, d’après Plöger, forment des « analogies endogènes ». Les métaphores du langage ont pour simple but de transformer les observations synesthésiques en automatismes profonds et durables. Par exemple, avant que les sons ne soient appelés « aigus » et « graves », il existait un vide verbal dans l’appareil conceptuel, et ce vide a été comblé par un transfert isomorphique, en prenant deux mots du vocabulaire primaire disponible. Dans l’exemple en question, le vide a été comblé par deux termes qui désignaient la qualité tactile de l’aigu (pointé) et la qualité tactilo-cénesthésique du grave (lourd). En ce qui concerne les associations synesthétiques de tension/détente et le domaine du symbolisme spatio-temporel (cf. I, 3.3.), les schèmes cinétiques se basent aussi bien sur les cinétiques de production du son que sur les cinétiques de réception, grâce à la coparticipation simultanée du système moteur et somato-sensitif (proprioceptif et cénesthésique) dans les processus réceptifs (cf. II, 3.1.). Dans la phylogenèse, Plöger rapproche l’isomorphisme entre phénomènes auditifs et spatiaux de la cinétique de production du son, quand audition et facultés motrices formaient un ensemble unique (cf. I, 3.3.). De la même façon, dans l’ontogenèse, l’enfant établit des analogies entre les mouvements du corps et les perceptions auditives, et trouve plus tard dans le langage verbal les traces de ces transferts isomorphiques. Fonagy (1991, p. 117) spécifie que la vibration des cordes vocales est le premier mouvement rigoureusement périodique, provoqué par une activité musculaire : ce mouvement vibratoire est perçu comme une sensation à la fois musculaire et auditive. Le jeu vocal s’accompagne du jeu des lèvres et du jeu de la langue : très probablement, comme il le suggère (p. 149), le tout petit enfant établit un lien entre les sensations motrices de la glotte et les sensations auditives simultanées et semblables. Enfin, en ce qui concerne le domaine du symbolisme physiognomique (cf. I, 3.4.), l’expression émotive « doit être considérée comme un processus de communication au sens strict du terme, c’est-à-dire comme un
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comportement adopté intentionnellement pour communiquer quelque chose à quelqu’un, et non pas simplement comme un comportement informatif de l’état émotionnel du sujet » (Anolli et Ciceri, 1992, p. 385). En effet, les émotions ne peuvent être considérées comme des « réponses automatiques et incontrôlables, mais bien plutôt comme des processus, qui dans une large mesure, sont régulés volontairement » (p. 385). La manifestation des émotions en configurations motrices expressives précises (dont les configurations paralinguistiques), accompagnées d’une activation fonctionnelle du système nerveux central et végétatif, ne correspond pas à la communication de l’émotion, puisque celle-ci peut être réglée par l’individu qui l’expérimente, de façon atténuée ou accentuée, et aussi en fonction du réseau relationnel et social dans lequel l’individu est inséré, ainsi que de son contexte communicatif global. Dès lors, « la manifestation des émotions n’acquiert pas seulement un sens perceptif, qui lui est attribué par le receveur, mais aussi un sens sémiotique réel, donné par l’intention communicative du sujet émetteur » (p. 385). L’étude empirique conduite par Anolli et Ciceri (1992), en accord avec la littérature expérimentale précédente, indique que l’on peut communiquer efficacement et correctement des contenus émotionnels spécifiques grâce au seul usage d’indicateurs paralinguistiques, indépendamment du code verbal (p. 387). Par conséquent, en ce qui concerne en particulier l’expression vocale des émotions, « les éléments signifiants du code paralinguistique se présentent comme des vecteurs symboliques graduels. En outre, par rapport au code linguistique, certains traits paralinguistiques fondamentaux deviennent universels et motivés, c’est-à-dire étroitement liés à la base biologique particulière des émotions qu’ils représentent » (p. 390) : c’est le cas des traits paralinguistiques – et les chercheurs s’accordent sur ce point – qui reproduisent et reflètent la dimension, basse ou élevée, de l’activation psychophysiologique de l’émotion. Avant d’approfondir la modalité symbolique dans les processus de couverture sémantique des structures discursives en musique, observons le schéma de tout le champ sémantique, organisé selon trois modalités de sens :
1. SIGNIQUE 2. ICONIQUE
1. Symbolisme onomatopéique
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3. SYMBOLIQUE
1. Symbolisme synesthésique 2. Symbolisme spatio-temporel 3.Symbolisme physiognomique
Nous définissons comme primaires les domaines du symbolisme onomatopéique, synesthésique, spatio-temporel et physiognomique, parce que c’est dans ces domaines que s’applique la modalité symbolique de signification, primaire dans les procédures de couverture sémantique des structures discursives en musique. Les sons sont des données perceptives, définies généralement par les sujets parlants d’une même communauté linguistique tant en se référant à des polarités comme clair/obscur, lumineux/pâle, haut/bas, qu’en recourant à des connotations propres au monde émotionnel et psychologique. On affirme souvent que la musique est mouvement, ou que les sons sont aigus (on utilise dans ce cas une synesthésie tactile), ou hauts, ou bas, et beaucoup de ces identités analogiques entre catégories de phénomènes différents ont une portée universelle ou presque. Notre mécanisme de perception compare donc constamment les phénomènes musicaux aux phénomènes sensoriels, spatio-temporels, et aux vécus émotionnels, de sorte qu’une permutabilité indubitable persiste entre le monde conceptuel musical et les mondes sensoriel, spatio-temporel et affectif. Ces données sont toutefois problématiques et soulèvent de nombreuses questions : s’agit-il de mécanismes perceptifs universels ? La vision synesthétique résulte-t-elle d’une loi naturelle ? Comment s’explique la permutabilité entre le monde conceptuel musical et le monde conceptuel spatial ? Ou avec celui des objets, ou même avec celui des émotions ? Quel est le rapport de cause à effet entre ces catégories de phénomènes ? La réponse à ces questions n’est guère aisée et semble pouvoir provenir seulement de la synthèse d’un éventail de perspectives, de sondages et d’approfondissements proposés par des contributions appartenant à des domaines d’études divers, que la sémiotique musicale devrait intégrer – psycholinguistique, ethnolinguistique, psychologie de la perception, ethnomusicologie, physique, anthropologie, psychologie des émotions, etc. La réponse donnée par un seul de ces domaines semble en effet insuffisante. Comme apparaît par exemple insuffisante la réponse donnée par les recherches en sémantique musicale expérimentale – menées entre autres par Michel Imberty – dans lesquelles subsistent au moins deux
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embûches. En effet, dans la démarche qui consiste à établir des théories à partir d’analyses systématiques, basées sur des réponses verbales à des stimuli musicaux, la première embûche consiste à faire coexister des signifiés, sans distinguer les degrés de pertinence et les significations émotionnelles attribuables aux structures de la signification, de ceux qui sont identifiables aux émotions actives de l’auditeur ; la seconde embûche réside dans l’absence d’une vérification préliminaire de la compétence lexicale des sujets soumis à l’expérience, opération indispensable, si l’on considère le peu de connaissance et le vide lexical qui subsiste par rapport au vocabulaire sensoriel et affectif utilisé dans les réponses verbales (cf. p. 17). Ce piège est d’autant plus notoire que l’on considère aujourd’hui que la langue est considérablement affaiblie dans son rôle d’acquis de connaissances et de base de la fonction cognitive. Il serait donc erroné, sur le plan méthodologique, de faire de notre vocabulaire métaphorique, relatif aux perceptions synesthétiques, la base et le point de départ d’une théorie empirique, sans tenir compte du point de vue psychologique, car c’est précisément le psychisme qui est le transformateur à travers lequel doit se faire toute transformation d’une manifestation à une autre, et où se trouve la base des facultés musicales et linguistiques. Si notre usage de la langue révèle indéniablement la nature des processus perceptifs, il n’en résulte pas moins aujourd’hui que l’influence de la langue conditionne l’objectivité scientifique. Celle-ci devrait plutôt être envisagée, selon Plöger (1987), comme une « intersubjectivité », inhérente à la communauté linguistique ou culturelle. La formation de modèles et les contenus de nos observations sont donc conditionnés du point de vue linguistique, de sorte qu’il faut dépasser le seuil de la simple perception, description ou paraphrase des phénomènes – encore sans intérêt scientifique – pour arriver au niveau des explications.
3.1. SYMBOLISME ET CARACTÉRISTIQUES DES PHÉNOMÈNES PERCEPTIFS La question fondamentale qui se pose au sujet du symbolisme musical – de façon tout à fait analogue à celle du phonosymbolisme linguistique –, concerne le passage des dimensions acoustiques du stimulus à des dimensions pertinentes, à d’autres modalités sensorielles (clair/obscur) ou à des modalités plus complexes de l’expérience émotive et cognitive (heureux/triste). Dans cette perspective, nous déduisons le
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fait que le symbolisme peut dès lors être étudié à la fois en sémiotique musicale et en psychologie de la perception, en remarquant qu’il est utile d’en résumer d’abord les réponses fournies par les études de psychologie perceptive, aux phénomènes perceptifs en général. Chaque événement perceptif peut être qualifié non seulement en termes de qualités, comme la forme, la grandeur, le poids – inhérents à l’objet même et indépendants de la subjectivité du percevant ou des organes sensoriels (odeur, saveur) – mais aussi de qualités plus complexes, relatives au vécu que l’objet évoque en celui qui le perçoit, à ses réactions émotives, à ses attitudes positives ou négatives, à son évaluation esthétique. Dans le domaine des études sur la psychologie de la perception, il y a trois théories importantes, susceptibles de répondre à ces phénomènes. Selon la théorie de l’origine associative et arbitraire, les qualités synesthésiques et physiognomiques sont une élaboration purement subjective et culturelle, dépourvue de tout fondement empirique dans le matériel du stimulus, et ajouté à celui-ci par un processus d’association arbitraire. Abondamment critiquée à cause du rôle excessif donné à l’apprentissage, et parce qu’elle ignore de vastes pans d’homogénéité interculturelle dans les faits expressifs, cette théorie correspond à celle des défenseurs du signe linguistique arbitraire, selon lequel le caractère expressif est un produit de la culture, sans bases naturelles. Cette conception indique en outre le subjectivisme extrême et le relativisme culturel de l’expressivité. En revanche, d’après la théorie de la généralisation médiate indirecte, l’association qui s’établit entre plusieurs disciplines naît d’une co-nécéssité systématique des phénomènes (qui se présentent toujours dans un contexte d’interrelations plus ou moins régulières) qui détermine la quasi-naturalité de ces associations. En linguistique, cette théorie donne surtout raison au phonosymbolisme synesthésique. Enfin, la théorie de la Gestalt répond à la question fondamentale du passage des dimensions acoustiques du stimulus à des dimensions pertinentes, à d’autres modalités sensorielles (clair/obscur) ou à d’autres modalités plus complexes de l’expérience émotionnelle et cognitive (heureux/triste), en affirmant un isomorphisme structurel entre les caractéristiques du signifiant et celles du signifié. Grâce à l’isomorphisme, chaque stimulus peut se répandre de son aire de perception à d’autres champs perceptifs, facilitant ainsi ces connexions. Les caractéristiques expressives seraient présentes dès l’origine dans les configurations perceptives,
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et cet isomorphisme serait perçu sous une forme immédiate, universelle et non apprise. En linguistique, cette théorie donne surtout raison au phonosymbolisme physiognomique. N’ayant rien d’exclusif, ces deux dernières théories peuvent s’intégrer entre elles, puisqu’elles soutiennent toutes deux une base naturelle du symbolisme, contrairement à la théorie de l’origine arbitraire des qualités expressives. En linguistique, les évidences expérimentales n’apparaissent d’ailleurs pas décisives en faveur de la théorie de la généralisation médiate ou théorie gestaltique, bien que la théorie de la généralisation médiate explique certaines synesthésies tactiles.
3.2. LES FIGURES DISCURSIVES : SYMBOLISME SYNESTHÉSIQUE « Par le moyen du son, nous devenons directement sensibles à ces réalités, qui autrement ne sont appréciables à notre esprit que par rapport au monde de la dimension : la vitesse, la distance, le haut, le bas, le continu, l’interrompu le direct, le latéral, le lourd, le léger, le simple, le composé, etc. Nous traduisons, nous créons de l’espace avec de la durée et du physique avec de l’immatériel. » Paul Claudel, Sur la musique Dans le symbolisme synesthétique, le discours musical est revêtu de « figures » (dans le sens greimassien du terme), c’est-à-dire de formes de notre expérience perceptive sensorielle. Dans ce cadre – que nous avons qualifié de primaire dans les processus de signification en musique –, les capacités expressives des sons concernent des événements relatifs à d’autres modalités sensorielles. Le mot synesthésie – dont l’acception habituelle remonte à la deuxième moitié du XIXe siècle – indique précisément le phénomène par lequel deux sens distincts – et rarement plus de deux sens – sont activés par une stimulation qui touche seulement l’un d’eux ; en d’autres termes, la synesthésie est l’association de deux sensations distinctes, dont une seulement est objective. D’après Tornitore, la synesthésie au sens strict du terme, est un échange d’appareils sensoriels, d’entités physiologiques, et non pas un échange de données perceptives, c’est-à-dire d’entités physiques.
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Mais les sons, au moment de leur réception, sont souvent définis et interprétés empiriquement par les sujets parlants d’une même communauté linguistique, non seulement selon les caractéristiques physiques de hauteur et d’intensité, mais aussi selon des modalités sensorielles, avec des références à des polarités telles que clair/obscur, petit/grand, etc., lumineux/opaque/pâle, léger/lourd, dur/mou, etc. Par conséquent, dans ces cas-là, signifiant et signifié ne sont pas homomatériques. Ces données empiriques sont toutefois problématiques, car elles soulèvent dès lors une série de questions relatives à l’unité des sens. Il faut d’abord savoir si les perceptions synesthétiques se basent réellement sur la perception d’isomorphismes et d’isoschématismes, entre structures pertinentes à des modalités sensorielles différentes : audio-visuelles, chromatiques, tactiles, thermiques, cénesthésiques. Si les perceptions de nos sens sont donc synesthétiques, c’est-à-dire à deux voies, il faut analyser les rapports de cause à effet entre les phénomènes et les concepts, pour ne pas commettre d’erreur méthodologique. S’agit-il d’un mécanisme perceptif universel ? Si la vision synesthétique provient d’une loi naturelle, quel rapport de cause à effet y a-t-il entre ces catégories de phénomènes et comment peut-on expliquer la permutabilité entre le monde conceptuel musical et le monde conceptuel visuel, tactile ? Ou encore, la spatialité musicale peut-elle s’expliquer comme dérivant du passage au système graphique ? Répondre à ces questions n’est guère aisé et la réponse semblerait devoir provenir uniquement de la synthèse d’un éventail de perspectives et d’approfondissements théoriques, constituée de contributions provenant de domaines d’étude divers. 3.2.1. La synesthésie : un nœud pluridisciplinaire entre régions limitrophes La synesthésie est un phénomène pluridisciplinaire, ce qui complique l’approfondissement de sa théorie. Entre rhétorique et neurosciences, s’étend en effet une gamme riche et savante de disciplines qui se sont penchées et se penchent encore aujourd’hui sur ce phénomène et sur le problème de l’unité des sens, auquel il est lié. Les tentatives les plus anciennes de donner une explication des synesthésies, font partie de la réflexion sur l’origine du langage, qui voulait comprendre pourquoi dans l’élaboration de celui-ci, l’homme avait transformé en son ce qui n’était pas son. Sujet d’étude surtout chez les philosophes dans le monde antique, ce sont les médecins et les psychologues
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qui envahissent la linguistique historique au XIXe siècle, pour expliquer le croisement des sensations. À l’époque contemporaine, ce sont les linguistes qui se réapproprient la tâche d’expliquer le croisement des sensations. En fait, deux hypothèses théoriques se relaient au cours des siècles : la première soutient une sorte de centre inné du langage, qui correspond à la faculté synesthétique ou à une espèce de senseur commun. Selon la physiologie et la psychologie moderne, la capacité perceptive de l’être humain n’est pas une somme de données visuelles, tactiles, auditives, mais une perception indivisée qui touche la totalité de l’être. L’aporie établie par le fait que dans le langage, les données perceptives sont interprétées selon une modalité sensorielle très différente de celle qui leur est pertinente, a commencé à disparaître précisément grâce à l’élaboration des concepts de senseur commun ou d’unité originaire des sens introduits par la psychologie moderne de la perception. Jakobson affirme explicitement que « la structure des systèmes du son et de la couleur présente des coïncidences frappantes » (1971, p. 86) et affirme qu’il existe des connexions étroites entre le développement du système chromatique et celui du langage chez l’enfant. La deuxième hypothèse théorique soutient en revanche que l’audition colorée est le signe de la persistance d’un trait archaïque et primitif, interprété par les auteurs selon une connotation dégénérative, ou bien au contraire comme signe in nuce d’une intelligence supérieure. Les synesthésies dites subjectives furent étudiées d’abord par les médecins, comme Sachs, Lussana, Berti, Pedrono, qui intitula d’ailleurs un de ses articles parus en 1882, « Colour Hearing ». En 1871, dans le domaine médical, Lussana exclut l’hypothèse explicative du senseur commun et opta pour l’existence d’un substrat neurologique, à savoir d’un rapprochement des centres de la couleur et du langage qui le conduisit à penser que la proportion physique sons/couleurs – c’est-à-dire les rapports mathématiques entre les vibrations sonores et celles des couleurs déjà affirmés par Newton – a un équivalent physiologique précisément dans la contiguïté entre les centres cérébraux de la vue et de l’ouïe. Parmi les médecins et les physiologues du XIXe siècle, certains étaient enclins à suivre l’hypothèse physiologique soutenant l’existence d’un lien physiologique entre la vue et l’ouïe –, et les autres, l’hypothèse psychologique, basée sur une forte impression infantile ou une chaîne d’associations. Ils considéraient, par ailleurs, la synesthésie comme une
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anomalie et une exception ; certains la trouvaient bénigne, d’autres maligne. La linguistique contemporaine dispose d’au moins deux domaines de réflexion qui touchent inévitablement les synesthésies : celui de l’origine du langage et ce que l’on appelle les mimologies. Ce deuxième domaine de réflexion (dont les lointaines et importantes racines remontent au Cratyle de Platon, qui s’interroge justement sur l’origine naturelle ou conventionnelle du langage), qui s’est développé en linguistique et peut donner lieu à des réflexions synesthétiques, concerne ce que l’on appelle le phonosymbolisme linguistique et phonétique. Parmi les phénomènes phonosymboliques, ceux que l’on peut intégrer dans la catégorie du « phonosymbolisme synesthésique » – dans lesquels le son évoque les caractéristiques des désignés pertinents à d’autres modalités sensorielles, comme dans le cas de métaphores du son dur, mou, lumineux, obscur etc. –, occupent en effet une place de choix. En dehors de la théorie de Saussure, qui affirme l’arbitraire radical du signe linguistique, il existe une deuxième thèse selon laquelle le langage peut être réglé non seulement par le principe de l’arbitraire, mais aussi par la mimesis et la motivation, là où le lien entre les deux éléments du signe – signifiant et signifié – est soutenu et renforcé par une forme d’imitation et de mimétisme du son par rapport au sens. Par conséquent, tout élément arbitraire du langage est interprété comme l’effet d’une dégénérescence progressive du langage originel complètement iconique, dans lequel le son était l’écho « chosal » de l’objet et le nom, le geste caractéristique du nommé. La thèse naturaliste, en faveur du symbolisme des sons, a suscité un intérêt nouveau ces derniers temps, quand, à partir des années vingt et trente, le dogme Saussurien a été ramené à de justes proportions, et que les études de sémiotique et de psycholinguistique ont ouvert des perspectives qui peuvent faire supposer qu’il existe un rapport d’adéquation et de conditionnement réciproque entre les deux éléments du signe linguistique. De nombreux linguistes contemporains célèbres comme Jakobson, Todorov et Genette défendent cette thèse. En dehors de ces deux disciplines qui puisent leurs racines profondes dans le passé, il existe dans le domaine des études linguistiques, et en particulier dans les études rhétoriques, un domaine de réflexion beaucoup plus récent, qui s’est développé dans les années quarante, grâce aux études sémantiques de Ullmann. Cette matière concerne directement l’étude des synesthésies poétiques et littéraires, ainsi que la définition
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préalable de ce qu’est véritablement la synesthésie linguistique, définissable comme figure rhétorique consistante, dans l’association de deux mots relatifs à des sphères sensorielles différentes. Tornitore définit les synesthésies comme un sous-ensemble particulier des métaphores, dans lesquelles les deux univers qui s’échangent sont deux registres sensoriels hétérogènes. La vraie particularité de la figure synesthétique, réside dans le fait qu’elle croise les registres sensoriels ; il doit s’agir de sphères sensorielles au sens strict du terme, et non pas génériquement physiques : une « personne rude » n’est pas une figure synesthésique parce qu’en tant que corps, la personne est sujette aussi au toucher. Comme le souligne Tornitore (1990, p. 136), « si l’on veut être puristes, les attributs spatiaux ne sont pas non plus synesthétiques, comme par exemple le “silence profond”, parce qu’un aveugle ne percevra jamais la lumière, mais il bouge, et apprécie donc les dimensions spatiales du point de vue tactile ». Au XXe siècle, à partir des années trente, les phénomènes synesthétiques ont été étudiés, y compris en psychologie expérimentale. Notre but n’est pas d’entrer ici dans l’explication de ces phénomènes, qui se limitent tout au plus à la description, à l’exception d’études plus récentes. Toutefois, cet objectif est évoqué à plusieurs reprises, et à cet égard, des hypothèses explicatives alternent, qui penchent pour la relativité culturelle des équivalences transmodales, ou bien au contraire qui les considèrent comme absolues, car liées à un code neurophysiologique commun. En général, les théories qui mettent le conditionnement culturel à la base des associations synesthétiques, invoquent l’état d’âme (mood) comme variable intermédiaire, ce qui apparaît dans l’étude de Masson (1930) et dans celle de Omwake (1940), lequel considère que puisque les stimuli visuels et auditifs permettent d’évoquer des sentiments, les systèmes sensoriels correspondants peuvent être mis en relation à travers une émotion commune (par exemple, une marche funèbre peut évoquer la couleur noire). Les recherches en psychologie expérimentale et en sémantique musicale expérimentale, qui se sont développées à partir des années trente, ont relevé quelques données empiriques : 1. Ces associations synesthésiques, à l’écoute de matériel acoustique ou musical, sont constantes et ont une portée interculturelle. 2. Il existe des transferts sensoriels rarissimes, alors que d’autres sont très fréquents : la permutabilité entre le monde conceptuel musical et
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Le fonctionnement sémantique de la musique
celui de la vue et du toucher font partie des trajets préférés dans les échanges intersensoriels. En effet, le mécanisme de perception tend toujours à comparer les phénomènes sonores aux phénomènes visuels, tactiles et tactilo-kinesthésiques, et à assimiler entre elles ces modalités de perception, de sorte que l’interprétation et l’imagination de la musique sous forme visuelle, tactile et spatiale soient universellement acceptées. 3. La musique semble avoir une priorité, par rapport à l’image, dans les échanges intersensoriels, parce que les trajets intersensoriels sont souvent unidirectionnels et favorisent certainement les directions qui vont du son à la vue et du son au toucher, mais non le contraire. Si donc, d’après les recherches en psychologie expérimentale et en sémantique musicale expérimentale, ces associations synesthésiques à l’écoute de matériel acoustique ou musical sont constantes, et même de portée interculturelle, la limite principale de ces recherches se situe toutefois dans le fait que, hormis une des expériences les plus récentes de Marks, la compétence lexicale des sujets soumis aux expériences n’est pas vérifiée au préalable. Ainsi, lors de nombreuses expérimentations, l’on utilise souvent le terme de brightness (clarté), en y incluant indistinctement aussi le terme lightness (luminosité). Or, la luminosité indique le degré élevé d’intensité de la lumière, tandis que les termes de clarté et d’obscurité indiquent la couleur de la lumière, car la perception d’un changement de luminosité provient d’un changement d’intensité, tandis qu’un changement de couleur dépend avant tout d’un changement de longueur d’onde de la lumière, et moins de son intensité. 3.2.2. Synesthésies et perceptions amodales Si les recherches en psychologie expérimentale ne résolvent pas tous les problèmes, d’autres expériences conduites sur des nouveaux-nés, donc sur des sujets en condition pré-linguistique, montrent que le problème des échanges intersensoriels ne s’explique pas simplement par la théorie de la convention linguistique. Ces expériences se sont développées vers la fin des années soixante-dix, au moment où les résultats de nombreuses expérimentations firent surgir des doutes sur la façon d’apprendre des enfants, c’est-à-dire sur la façon d’associer les expériences et le problème des équivalences ou correspondances intermodales (déjà étudié par les chercheurs de la perception), s’est posé aussi aux psychologues du développement.
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musica nel cinema FRANCESE.qxp:musica nel cinema francese
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La musique au cinéma
Ils ont également eu recours à l’analyse du transfert intermodal, c’està-dire du passage d’une information d’un registre sensoriel à un autre chez l’enfant, grâce à une procédure qui proposait simultanément deux types d’information, comme par exemple, un ton musical ascendant et l’observation sur un écran d’une flèche pointée vers le haut et d’une autre vers le bas. En mesurant en secondes et en fractions de secondes le temps d’observation que le nouveau-né consacre aux deux pattern visuels, on constate que celui-ci observe plus longtemps et préfère le pattern caractérisé par des stimuli adéquats. Déjà très débattu en philosophie et en psychologie, le problème concernait l’unité de la perception : comment pouvons-nous savoir qu’un élément précis que nous voyons, touchons et entendons est le même ? Comment coordonne-t-on l’information provenant de modalités perceptives différentes, mais d’une seule source ? On considère en général que le laps de temps, entre la naissance et les deux premiers mois de vie, est marqué par une certaine forme de vie présociale, pré-cognitive et pré-organisée. Dans le domaine de la psychologie du développement, selon Daniel Stern, l’enfant, au cours de ses premières semaines, établit déjà des liens entre des zones de perception, par exemple, l’odorat, le toucher, le goût, l’ouïe : l’idée de base étant qu’il possèderait, dès la naissance, une forme globale de perception ou une capacité immédiate d’associer des stimuli sensoriels différents (cf. II, 3.2.1.). D’après Stern, entre sa naissance et l’âge de deux mois, l’enfant s’applique exclusivement à se forger un sens du soi émergent, car c’est au cours de cette phase qu’il voit apparaître l’organisation, au moment où il commence à associer, à assimiler ou en tout cas à lier ses différentes expériences. Parmi les processus impliqués qui contribuent à la formation d’un sens émergent du soi et de l’autre, dont le petit enfant dispose pour créer une organisation relationnelle, Stern place la perception amodale, autrement dit, une forme primitive d’expérience, basée sur la capacité innée d’intégrer des stimuli sensoriels différents. Stern pense que « les enfants possèdent une capacité générale innée, que nous pouvons appeler perception amodale, de recevoir l’information selon une modalité sensorielle et de la traduire, en quelque sorte, en une autre modalité sensorielle » (p. 66-67). Bien que l’on ne sache pas encore comment se produit ce phénomène, ces faits permettent en tout cas de supposer que l’information n’est pas perçue selon une modalité sensorielle particulière, mais qu’elle la transcende et se présente plutôt sous une forme supramodale inconnue. Les perceptions amodales et le processus d’intégration contribuent à
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