Acteurs de caractère

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BEAUX LIVRES

ACTEURS DE CARACTÈRE



Serge Regourd

ACTEURS DE CARACTÈRE Les « méconnus » du cinéma français

GREMESE


Collection Beaux Livres Ouvrages didactiques à l’usage des lycéens et des étudiants Remerciements Nous remercions vivement la Cinémathèque de Toulouse dont est issue la majeure partie des photos de films qui illustrent cet ouvrage. Remerciements à la Présidente Martine Offroy, la Déléguée Générale, Natacha Laurent, le Conservateur, Christophe Gauthier, le responsable de l’iconographie Vincent Spillmann dont la compétence et la disponibilité ont été particulièrement précieuses. Nous remercions également le quotidien La Dépêche du Midi qui nous a procuré un certain nombre de portraits de comédiens. Remerciements particuliers à Jean-Jacques Rouch et à Jean-Jacques Brousse, responsable des archives, et aux différents photographes concernés. Remerciements aux différents photographes qui nous ont cédé d’autres portraits s’associant ainsi à la réalisation de l’ouvrage : Charles-Dolf Michels et Barbara Clément de l’Agence Starface (portrait Étienne Chicot), Carole Bellaiche (portraits et photos Myriam Mézières), S. Feuillard (portrait Jean-Pierre Kalfon), Olivier Allard (portrait et photos Albert Dray), Agence Bernand (portrait Daniel Emilfork), Philippe Quaisse (portrait Michel Vuillermoz), Quenneville (portrait Olivia Brunaux), Soraya (portrait Dominique Pinon), David Frasson (portrait Judith Henry), Carlotta Forsberg (portrait Liliane Rovère). Nous remercions aussi celles des agences artistiques qui ont répondu à nos demandes, nous ont fourni d’autres portraits ou joué les « go-beetween » avec les photographes : B. Depremilhat (Agence Artmedia), Magali Montet (Agence UBBA), Anne Alvarès-Corréa, Danielle Gain (Agence Cinéart), Babette Pouget, Aurélie Jouan (Agence A), Cyril Canizzo (Agent Agitateur), Bénédicte Sacchi (Agence Adequat), Guyslaine Garrivier. Vifs remerciements aux comédiens eux-mêmes : Yves Afonso, Féodor Atkine, Maurice Bénichou, Bernard Blancan, Brigitte Catillon, Étienne Chicot, Albert Dray, Daniel Duval, Didier Flamand, Jean-Pierre Kalfon, Gérald Laroche, Myriam Mézières, Geneviève Mnich, Philippe Nahon, Luis Rego, Liliane Rovère, Dominique Reymond, Zinédine Soualem, Michel Vuillermoz, aux réalisateurs Dominique Maillet, Jean-Henri Meunier, Frédéric Sojcher. Vifs remerciements également à : Isabelle Hénon, responsable de la Communication qui a piloté les relations avec tous ces partenaires ; Dominique Lasserre qui a piloté la numérisation de l’iconographie ; Jeanne-Marie Milhaud et Isabelle Gelis pour leur contribution à la composition ; et enfin Jean-Charles Espy et Pierreux Guiol pour leur contribution aux pré-maquettes.

En couverture et en quatrième de couverture (de gauche à droite et de haut en bas) : Charles Denner ; Yves Afonso ; Liliane Rovère © photo Carlotta Frosberg ; Myriam Mézières © photo Carole Bellaiche ; Michel Vuillermoz © photo Philippe Quaisse ; Bernard-Pierre Donnadieu © photo D.D.M. ; Luis Rego ; Dominique Pinon © photo Soraya ; Claude Melki ; Paul Crauchet ; Jacques Bonnaffé ; Philippe Nahon ; Jacques Dufilho ; Maurice Garrel ; Yolande Moreau © photo D.D.M. Jouve ; Firmine Richard ; Zinedine Soualem ; Jacques Denis ; Florence Giogetti ; Micha Bayard © photo Valérie Meystre ; Hans Meyer. Crédits photographiques : La majeure partie des photos de films proviennent de la Cinémathèque de Toulouse ou des archives photographiques privées de Serge Regourd, à l’exception des photos suivantes : Michel Galabru : D.D.M (p. 21) ; Alice Sapritch : J. Chevry – S.F.P. (p. 29) ; Pascale Roberts : Olivier Allard (p. 75) ; Daniel Emilfork : Agence Bernand (p. 79) ; Michel Constantin – J. Naudès – Unifrance (p. 99) ; Micha Bayard : Valérie Meystre (p. 133) ; Jean-Pierre Kalfon : S. Feuillard (p. 143) ; Rufus : D.D.M. Viala (p. 153) ; Jean Benguigui : D.D.M. (p. 163) ; Liliane Rovère : Carlotta Frosberg (p. 175) ; Andréa Ferréol : D.D.M. (p.181) ; Daniel Prévost : D.D.M. Viala (p.187) ; Martin Lamotte : D.D.M Viala (p. 195) ; Myriam Mézières : Carole Bellaiche (p. 203) ; Jean-François Stévenin : D.D.M. (p. 211) ; Albert Dray : Angeli (p. 215) ; Jean-François Balmer : D.D.M. Cherchari (p. 219) ; Étienne Chicot : Charles-Dolf Michels – Starface (p. 221) ; Niels Arestrup : D.D.M. (p. 225) ; B. P. Donnadieu : D.D.M. (p. 227) ; Jean-Claude Dreyfus : D.D.M (p. 229) ; Dominique Pinon : Soraya (p. 235) ; Ticky Holgado : D.D.M. (p. 239) ; Denis Lavant : D.D.M De Fenyol (p. 241) ; Catherine Jacob : D.D.M. Vialla (p. 247) ; Olivia Brunaux : Quenneville (p. 251) ; Michel Vuillermoz : Philippe Quaisse (p.255) ; Yolande Moreau : D.D.M. Jouve (p. 257) ; Judith Henry : David Frasson (p. 259) ; Francis Renaud : D.D.M. Viala (p. 263) ; Lionel Abelanski : D.D.M. Charmeux (p.267) ; Simon Abkarian : D.D.M. Viala (p. 269) ; Olivier Gourmet : D.D.M. (p. 271). Conception graphique, couverture et mise en page : Graphic Art 6 s.r.l. – Rome Imprimé par : La Moderna – Rome Copyright GREMESE 2011 © E.G.E. s.r.l. – Rome www.gremese.com Tous droits réservés. Aucune partie de ce livre ne peut être reproduite, enregistrée ou transmise, de quelque façon que ce soit et par quelque moyen que ce soit, sans le consentement préalable de l’Éditeur. ISBN 978-88-7301-746-2


Introduction D

urant plusieurs décennies, des années trente aux années cinquante, l’une des caractéristiques du cinéma français, outre la réalisation d’un certain nombre d’impérissables chefs-d’œuvre, a consisté dans la place occupée par des dizaines d’acteurs, que l’on retrouvait, de film en film, à la manière d’« amis de la famille », endossant le plus souvent de substantiels seconds rôles et dont les personnalités extraordinaires les avaient rendu extrêmement populaires. Ils bénéficient aujourd’hui encore dans la mémoire cinéphilique, d’une place de choix beaucoup plus considérable que la majorité des jeunes premiers ou jeunes premières de leur époque. Leur présence, leurs rôles, correspondaient bien à ce que l’on qualifie dans le cinéma américain de « characters actors », littéralement « acteurs de caractère ». Les caractères expriment des personnalités, des emplois, des types, parfois des archétypes, dotés d’un relief beaucoup plus fort que celui des héros, ou des jeunes premiers. Types du méchant, adversaire du gentil héros, de l’ami-confident du personnage principal, du traître, ou du lâche, du représentant des différentes autorités, du rigolo qui détend l’atmosphère, de la fille de petite vertu, de la mère protectrice ou douloureuse. Autant d’emplois nécessitant pour chacun d’eux, des signes physiques spécifiques, vecteurs d’identification immédiate, en termes évidemment d’âge, d’empreinte sociale, de beauté ou de laideur, d’apparence, de regard, d’accent, générant la sympathie ou l’antipathie, la séduction, le rire ou la peur. De tels traits physiques, comportementaux, anthropologiques, expriment le « background » de représentation de chaque emploi spécifique. Ces caractéristiques de personnalités hors du commun, étaient si fortes qu’en France, elles avaient pu être qualifiés d’« Excentriques » du cinéma français, caractérisant à la fois leur place, non centrale, et leur relief singulier. Un beau livre1 avait dressé un panorama de ces acteurs dont la fin de l’aventure a coïncidé pour l’essentiel, à la fin des années cinquante, avec l’arrivée fracassante de la « Nouvelle Vague » de jeunes cinéastes revendiquant une politique des auteurs au détriment, notamment, de ce cinéma d’acteurs – de « qualité française » – qui faisait une large place à des personnalités issues, souvent, du théâtre et du cabaret2. Depuis lors, plusieurs décennies se sont écoulées et, le statut des acteurs, dès lors qu’ils ne sont pas des stars, ou, ce que l’on qualifie de « bankables », c’est-àdire aptes à générer des profits, a considérablement changé. Les acteurs de caractère, sont, désormais, le plus souvent, les « méconnus du cinéma Français ». La question du talent n’est qu’une variable parmi d’autres : malheur à celui qui n’est pas apte à se mouvoir dans les réseaux de relations publiques généralisées, si caractéristiques du temps présent, ou ne déploie pas les qualités inhérentes au « service après-vente » requis pour l’occupation des plateaux télé. Être un « bon client » des grands médias assure la visibilité et la célébrité, qui font les stars. Et pourtant, des acteurs de caractère ont, évidemment, continué d’exercer leur talent, mais pour la grande majorité d’entre-eux de manière moins visible, moins gratifiante, hors des réseaux de notoriété. Ils ont pu jouer les premiers rôles au théâtre, à la télévision, mais le cinéma les a maintenus dans une position de moindre reconnaissance. Le présent ouvrage est d’abord un hommage à ces acteurs et actrices, en forme de dictionnaire amoureux, et argumenté. Mais la période considérée, d’un demi-siècle, depuis 1960, est très longue et plusieurs centaines d’acteurs y ont eu une activité cinématographique digne d’être relevée. Tout choix est subjectif, parfois arbitraire. D’autant que les acteurs présentés dans les pages qui suivent, ne constituent nullement une catégorie homogène. C’est, volontairement, qu’ont été choisis des acteurs correspondant eux-mêmes à des positions différentes afin de visiter la grande 1 2

RAYMOND CHIRAT, OLIVIER BARROT : Les Excentriques du Cinéma Français, éd. Lherminier, 1983. SERGE REGOURD : Les Seconds Rôles du Cinéma Français, Grandeur et Décadence, éd. Klincsieck, 2010.

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diversité des profils en cause. Leur seul point commun est d’ordre négatif : ils ne sont pas, ou n’ont pas été, des stars, sur les noms desquels l’industrie cinématographique investit. Cela ne signifie pas qu’ils n’ont pas accès à des premiers rôles. Nombre d’entre eux y ont bien eu accès, mais soit de manière conjoncturelle, non pérenne, soit dans des films dits d’auteur, hors des logiques commerciales du « star-system à la française ». D’autres ont été confinés à des seconds rôles, d’autres encore ont bien multiplié les premiers rôles, mais, seulement, comme acteurs-fétiches de tel ou tel cinéaste, d’autres enfin ont connu des carrières cinématographiques trop courtes ou trop modestes pour figurer de manière durable au titre des grands seconds rôles. Grande diversité sur le terrain générationnel aussi : durant la période concernée, la carrière des uns s’achevait, au cours des années quatre-vingt, lorsque la carrière des autres ne faisait que débuter. De Charles Denner, ou Michael Lonsdale, à Niels Arestrup ou Olivier Gourmet, certains sont, ou ont été, quasiment des vedettes, cependant que d’autres comme Galabru, à force de seconds rôles et de cinéma bis, ont acquis une popularité comparable à celle de beaucoup de stars. Certains, de Jean Bouise à Michel Aumont paraissent constituer une aristocratie des seconds rôles, cependant, qu’à l’inverse, Serge Davri ou Roger Riffard peuvent être méconnus par les professionnels eux-mêmes, et faire ici figure de curiosités. La carrière de Maurice Biraud se terminait quand celle de Jacques Bonnaffé débutait. Et si les noms précités ne sont que des noms d’acteurs, c’est que l’injustice faite aux femmes est précisément beaucoup plus flagrante pour les « caractères » que pour les premiers rôles. Les premiers rôles féminins restent, par nature, au centre des intrigues, mais les actrices de caractère, sont beaucoup moins nombreuses et durent beaucoup moins longtemps. Le cas de Yolande Moreau constitue ici une notable exception. Alors, sur la base des divers critères distinctifs evoqués, il eut été possible de présenter tous ces acteurs par catégories. Solution ici récusée car le beau métier d’acteur souffre déjà de subir trop de séparations par catégories et d’étiquettes hiérarchiques, qui les privent de la possibilité d’exprimer l’étendue, et la diversité, de leur potentiel. La présentation strictement alphabétique aurait quant à elle fait prévaloir une logique trop administrative et se caractériserait par l’incohérence des amalgames générationnels. La présentation retenue, de nature historique, ou chronologique, présente la vertu de suivre une certaine évolution du cinéma français et de comprendre l’enchaînement du passé et du présent en manifestant les changements quant à la place des acteurs concernés. Mais la séparation en catégories générationnelles a été elle aussi récusée : certaines parmi les plus anciennes, à l’image de Monique Mélinand, de Gisèle Casadesus ou de Dora Doll figurent en tout début de liste leur carrière ayant commencé très tôt, avant même la césure de la deuxième guerre mondiale, mais elles sont également présentes dans des films des années 2000. Ce critère chronologique concerne à titre principal le déroulement de la carrière, et non directement l’état civil. Tsilla Chelton se trouve ainsi, par exemple, positionnée parmi des acteurs sensiblement plus jeunes qu’elle. Complémentairement, ont été opérés des rapprochements fondés sur des cousinages artistiques, au détriment de la stricte logique arithmétique des années successives. Le nombre des « oubliés » notoires, n’est, peut-être, pas si éloigné de celui des acteurs ici retenus. De pures contingences expliquent l’absence de tel ou tel. Mais pour l’essentiel, les choix sont assumés. Fanny Ardant disait un jour, en ouverture de la cérémonie des César qu’il n’y avait pas de bons et de mauvais comédiens, mais ceux que l’on aime et ceux que l’on n’aime pas. Tous ceux qui suivent relèvent, évidemment, de la première catégorie. Parmi ceux que l’on aime, d’autres sont absents faute de n’avoir pas eu une réelle carrière au cinéma, quel que ce soit leur talent démontré par ailleurs, au théâtre ou à la télévision. Enfin, la génération la plus récente est, logiquement, la moins prise en compte s’agissant de carrières encore jeunes, n’ayant encore pu imposer une identité suffisamment marquée. La prochaine édition de cet ouvrage ne manquera pas de procéder aux mises à jour ! SERGE REGOURD

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Howard

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e son vrai nom Mario Walter Lippert, Howard Vernon est né le 15 juillet 1914 et est décédé le 25 juillet 1996 à Paris. Le mystère et l’étrangeté qui ont caractérisé ses nombreux personnages imprègnent jusqu’à la question de son lieu de naissance : ses biographies officielles retiennent la Suisse, ville de Baden, mais d’autres retiennent Baden-Baden en Allemagne, quelques années plus tôt, le 15 juillet 1908. Signes identitaires subalternes au regard de son extraordinaire carrière… même si sa nationalité suisse paraît plus singulière au regard de son parcours cinématographique dominé par les personnages d’officiers allemands. Après de courts stages dans l’hôtellerie – filiation paternelle – il suit des cours d’art dramatique à Zurich. En 1939, il est à Paris et débute à l’Alcazar dans la revue Beauté de femmes, entouré de nudités, où il exerce comme présentateur, acteur de sketches et… danseur de claquettes. Il fait ensuite du doublage pour la télévision encore embryonnaire, et se produit dans divers cabarets comme « Le bœuf sur le toit ». À la Libération, il est speaker en anglais pour la radio de la France libre et se voit confier son premier rôle au théâtre : un pilote de la Royal Air Force dans Un ami viendra ce soir de Companez et Noë. L’adaptation de la pièce quelques mois plus tard, par Raymond Bernard marque ses débuts au cinéma (1945). Les nombreux films tournés sur la Résistance l’aspirent aussitôt dans une succession de personnages d’officiers allemands : Boule-de-suif (ChristianJaque), Jéricho (H. Calef), Le Bataillon du ciel (A. Esway)… Une demi-douzaine de films pour la seule année 1945, qui seront dupliqués dans les années suivantes, même si Nuits d’alerte (L. Mathot,

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1945) lui permet de troquer l’uniforme allemand contre un pavillon britannique. Sacha Guitry approfondira cette dérogation à la norme en le distribuant, ensuite, à trois reprises, dans des personnages anglais : Le Diable boiteux (1948), Si Versailles m’était contée (1953), Napoléon (1954). Mais, entre-temps, Howard Vernon avait accédé au rôle de sa vie : Melville lui avait confié, pour l’éternité cinématographique, le premier rôle du Silence de la mer (1949), celui de l’officier Werner Von Ebrennac, occupant la demeure d’un vieux monsieur et de sa nièce. Personnage échappant aux stéréotypes en cours, dans lequel Howard Vernon exprime hauteur, raideur, distinction, selon une alchimie d’autorité et d’humanité. Cette interprétation de grande classe lui vaudra la confiance renouvelée de Melville : Bob le Flambeur, classique du polar, Léon Morin prêtre (1961). Jusqu’au cours des années soixante, rétrogradé dans les seconds rôles, Howard Vernon se partage entre deux registres prévalents : outre la duplication des officiers allemands (Le Père tranquille, R. Clément, 1948 ; Fusillé à l’aube, Haguet, 1950, Le Vice et la Vertu, R. Vadim, 1962, La Nuit des généraux, A. Litvak, 1966), il devient l’un des méchants types du cinéma de genre, des polars de série B, affichant notamment Eddie Constantine en vedette (La Môme Vert-deGris, Borderie, 1953, Nathalie agent secret, Decoin, 1959, Première brigade criminelle, Boutel, 1961…). Synthèse parfois des deux volets : l’horrible colonel nazi Mengele (Commando Mengele, A. Bianchi, 1987). Mais dans le courant des années soixante, après avoir été retenu par le maître Fritz Lang, pour Le Diabolique Docteur Mabuse (1959), voilà qu’un nouveau destin cinématographique déporte Howard Vernon vers les marges de la série Z : il devient

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Howard Vernon dans Le Silence de la mer.

l’icône du cinéma espagnol de Jésus Franco, dont il enchaîne à grande cadence les Horrible Docteur Orloff (1961), Dans les griffes du maniaque (1966), Marquis de Sade (1969) et autres Dracula, Prisonnier de Frankenstein (1971)… Plusieurs dizaines de ces films seront signés Franco ou l’un de ses pseudos, complétés par quelques bandes d’érotico-horreur sur le mode Une vierge chez les morts-vivants (1971) et autres Exploits érotiques de Frankenstein (1972). Les autres tâcherons du cinéma bis espagnol, et quelques disciples du cinéma français considèrent alors la présence d’Howard Vernon comme indispensable à leurs fantaisies scatologiques, tels Les Week-ends maléfiques du Comte Zaroff (M. Lemoine, 1974). Il est alors le partenaire régulier des starlettes du porno soft Anne Libert et autres Lina Romay. Tout autre acteur que l’inaltérable et insubmersible Howard Vernon aurait pu périr des dommages collatéraux de telles fréquentations. Il n’en fut rien. Conjointement, cet incroyable personnage a réussi l’exploit d’être apprécié et retenu par les cinéastes les plus prestigieux : de Godard pour Alphaville (1965), certes avec Constantine, à Woody Allen pour Guerre et amour (1975). Mais mieux encore, il devint l’un des acteurs de prédilection des courants les plus exigeants de la cinéphilie, à l’instar du cinéma de Vecchiali et des productions Diagonale, et des auteurs de la plus grande radica-

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lité esthético-politique, les Straub et Heuillet !... Pour le premier courant, notamment : Change pas de main (Vecchiali, 1964), Le Théâtre des matières (Biette, 1977), Les Belles Manières (Guiguet, 1978), Faubourg Saint-Martin (Guiguet, 1986), Le Champignon des Carpates (Biette, 1989). Il est encore aux premières loges, en fin de carrière, du Complexe de Toulon (1995). Pour les Straub : La Mort d’Empédocle (1986), Noir péché (1988). Il n’est ainsi guère contestable d’affirmer qu’aucun autre acteur du cinéma français ou d’ailleurs n’a eu, et ne peut avoir, une carrière aussi éclectique que celle d’Howard Vernon. Le syncrétisme fait acteur. Icône incomparable des « Characters Actors », on comprend que lorsque Jeunet et Caro ont constitué leur formidable casting de seconds rôles pour Délicatessen (1991), ils aient, évidemment, enrôlé Howard Vernon. Faut-il ajouter que ce diable d’acteur trouva le temps, par-delà ses cent cinquante films, de travailler à la télévision pour des séries comme Schulmeister, espion de l’empereur, en Lord Britannique, Les Brigades du Tigre, des téléfilms, comme Ann Dollwood (Delassus, 1979), mais, qu’il fut aussi un remarquable acteur de théâtre, jouant notamment Shakespeare, comme par exemple Le Conte d’hiver mis en scène par Luc Bondy au festival d’Avignon et au T.N.P. (1988).

Avec Dominique Wilms dans La Môme vert-de-gris.


Monique

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ée à Paris le 9 mars 1916, Monique Mélinand figure parmi les actrices dont la carrière aura été la plus longue. Vraisemblablement le record absolu si on l’a fait débuter avec le film tourné… en 1927, Âmes d’enfants (J. B. Lévy, M. Epstein), alors qu’elle n’avait que 11 ans. Son film suivant intervient onze ans plus tard, en 1938 et inscrit Monique Mélinand dans une certaine légende des acteurs puisqu’il s’agit d’Entrée des artistes de Marc Allégret, lié à sa rencontre avec Jouvet, dont elle joue l’une des élèves, et avec qui naîtra une histoire d’amour hors du commun, jusqu’à la disparition de l’illustre comédien en 1951. Fille d’un professeur de philosophie (qui eut Giraudoux parmi ses élèves), Monique Mélinand avait suivi les cours de René Simon, mais recalée au concours du Conservatoire, elle avait modestement débuté auprès du Maître. La référence à Jouvet constitue une indication pour relever que sa carrière s’inscrit d’abord sur le terrain théâtral : elle participe de sa troupe qu’elle ira même rejoindre dans la célèbre tournée entreprise en Amérique latine durant la Deuxième Guerre mondiale. Sous sa direction, elle joue notamment Electre de Giraudoux, puis aux lendemains de la guerre L’Annonce faite à Marie de Claudel et les créations de La Folle de Chaillot de Giraudoux et Les Bonnes de Genet. Elle est auprès de Gérard Philipe dans Lorenzaccio de Musset au festival d’Avignon (1952), joue Anouilh (Ardèle ou la Marguerite) et sous sa direction : Victor ou les enfants du pouvoir de Vitrac, et encore en Avignon elle se produit en 1998 sous la direction de Laurent Pelly pour Vie et mort du roi Jean de Shakespeare. Au cinéma, au retour de la tournée en Amérique

Mélinand latine, elle suit Jouvet dans Entre onze heures et minuit (Decoin, 1948) puis Lady Paname (Jeanson, 1949) avec des rôles peu gratifiants. Elle s’impose ensuite avec son personnage d’éducatrice protectrice des jeunes délinquantes du Royaume des cieux (Duvivier, 1949) avant d’incarner le rôle-titre d’une pathétique alcoolique (La Pocharde, Combret, 1953). Elle est ensuite Marthe Cardinaud, splendide épouse adultère de Gabin dans Le Sang à la tête (Grangier, 1956) adapté de Simenon, qui lui permet de prendre place parmi les valeurs sûres des actrices de caractère au cours des années soixante. Mais audelà de la beauté âpre d’un physique élégant, un peu froid, c’est le registre de la sévérité qui domine,depuis

Monique Mélinand, épouse de Jean Desailly dans La Mort de Belle.

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l’épouse délaissée de Desailly dans La Mort de Belle (Molinaro, 1960) ou la gouvernante toute de rigidité de Rencontres (Agostini, 1961) jusqu’à la belle-sœur pleine de rancœur de Delon de La Race des seigneurs (P. Granier Deferre, 1973) ou la juge d’instruction inflexible de La Machine (Vecchiali, 1977) que la perspective de la guillotine n’ébranle guère. Elle est, cependant, vecteur d’émotion au cœur du drame de La Gueule ouverte (Pialat, 1973), en mère condamnée par la maladie de Philippe Léotard. Le couple, inattendu, qu’elle forme avec Hubert Deschamps sert admirablement le propos de Pialat. Les rôles de mère postulent souvent cette fibre de gravité et d’inquiétude : tel était déjà son office dans le film de Rouffio L’Horizon (1967) face à l’horreur de la guerre, puis mère de Bruno Pradal, jeune élève pris dans la tourmente judiciaire de son amour pour son professeur Annie Girardot, adapté de l’affaire Gabrielle Russier

(Mourir d’aimer, Cayatte, 1971) ou mère encore de Léa, l’hiver (Monnet, 1971), de Marlène Jobert dans Va voir maman, papa travaille (Leterrier, 1978), archétype de mère de Plurielles (Lebel, 1979), mère encore face à l’accident (Ils appellent ça un accident, N. Delon, 1982)… et mère du Président (Deplanque, 2006). Dans la partie la plus récente de sa carrière, Raoul Ruiz lui manifeste sa confiance et sa fidélité : Trois vies et une seule mort (1995) en mère de Mastroianni, Généalogie d’un crime (1997) en mère de Catherine Deneuve, Le Temps retrouvé (1998) en grand-mère de Marcel Proust, Les Âmes fortes (2000) dans le rôle de Laeticia Casta atteint par les années. Si elle peut revêtir les habits d’une adorable grand-mère (Le Temps retrouvé), elle peut aussi s’épanouir dans une forme de méchanceté sarcastique particulièrement tonique (Généalogies…). Radieuse présence enfin dans un tout autre registre, ecclésial, dans Avril (G. Hustache-Mathieu, 2006). Registre correspondant à son tout premier rôle à la télévision en Mère Marguerite de Jésus de Cyrano de Bergerac (Barma, 1960). Mais les rôles de mère furent aussi un emploi dominant sur le petit écran, depuis le Théâtre de la jeunesse de Santelli jusqu’à la mère d’Huster – Jean Moulin – (Jean Moulin, une affaire française, Aknine, 2003), en passant progressivement aux rôles de vénérable grand-mère (De père inconnu, Joassin, 1993). Compagne de l’excellent comédien André Thorent, elle est la mère d’Agathe Mélinand, co-directrice du Centre dramatique national.

Avec Jean-Christophe Bouvet dans La Machine.

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Gisèle

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ée le 14 juin 1914 à Paris, ayant débuté au cinéma dès 1934 dans le film de Marcel L’herbier L’Aventurier, se retrouvant en co-vedette en 2010 avec Gérard Depardieu dans le film de Jean Becker La Tête en friche, Gisèle Casadesus a réalisé au sens étymologique, la carrière la plus extraordinaire du cinéma français. Encore faut-il souligner que le film de Becker n’est pas isolé : pour la décennie 2000, elle a tourné une douzaine de longs métrages ! Fille du compositeur et chef d’orchestre Henri Casadesus et de la harpiste Marie-Louise Beetz, sa destinée artistique était toute tracée : elle intègre tôt le Conservatoire national d’art dramatique dont elle sort brillamment avec le premier prix de comédie à 20 ans. Aussitôt engagée à la Comédie-Française pour y jouer les ingénues et les jeunes premières, elle en devient sociétaire le 1er janvier 1939 et le reste jusqu’au 31 décembre 1962. Après y avoir débuté en Rosine du Barbier de Séville de Beaumarchais, elle joue – presque – tout le répertoire, des jeunes filles de Molière et des soubrettes de Marivaux. Comment trier au cours d’une si longue carrière, depuis Le Chapeau de paille d’Italie de Labiche, à À quoi rêvent les jeunes filles ? de Musset, en passant par Feu la mère de Madame, de Feydeau ? Hors Comédie-Française, sa carrière n’a jamais perdu son intensité, jouant aussi bien Savannah Bay (1995) de Duras, Chacun sa vérité de Pirandello (2003), ou Fin de partie de Beckett, après avoir joué Giraudoux (Hélène de La Guerre de Troie), Anouilh (Antigone) ou Ionesco (Ce formidable bordel). Sa carrière théâtrale a été couronnée d’un Molière d’honneur en 2003. Au cinéma, après le film de L’Herbier, en 1934, son

Casadesus parcours s’interrompt pendant près de dix ans, jusqu’en 1943 où commence en quelque sorte un premier cycle cinématographique, assez brillant mais bref. Elle est Clotilde de Grandieu dans Vautrin (1943) de Pierre Billon, incarné par Michel Simon, puis le même Billon en fait la principale partenaire de l’autre grand monstre sacré, Raimu, pour L’Homme au chapeau rond (1946). Elle croise encore les Excentriques de la grande époque en jeune première aristocratique de Paméla (De Hérain, 1946) où elle incarne Joséphine de Beauharnais et de Du Guesclin (De Latour, 1949). Après qu’elle ait été une charmante jeune fille, élégante, délicate, toute en distinction, regard attentif et bienveillant, elle se voit totalement ignorée par le cinéma durant, cette fois, non pas dix ans, mais vingt cinq ans ! Elle ne réapparaît qu’en 1974 dans Le Mouton enragé (Deville) dans un modeste second rôle, et beaucoup plus visi-

Gisèle Casadesus et Sophia Loren dans Verdict.

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Avec Depardieu dans La Tête en friche.

ble, en épouse de Gabin dans le Verdict de Cayatte. Sa délicatesse et sa fragilité y sont en l’occurrence aggravées par la vulnérabilité de son personnage souffrant de diabète. Mais l’accès au deuxième âge ne constitue pas un réel second cycle cinématographique : après avoir gratifié de sa distinction naturelle quelques personnalités telles la Marquise d’Une femme fidèle (Vadim, 1976), elles-mêmes très espacées, une nouvelle traversée du désert cinématographique se manifeste durant plus de dix ans ! Ce n’est ainsi qu’avec l’accès au troisième âge que le troisième cycle cinématographique acquiert une vraie consistance, qui ira crescendo sur le double terrain de la quantité et de la qualité pour trouver son apothéose avec le personnage de la vénérable Marguerite du film de Jean Becker, toute empreinte de sollicitude et qui permet à un être solitaire et frustre de s’élever en humanité et dignité grâce à la rencontre des livres (création récompensée du prix Henri Langlois 2011). Ce troisième cycle avait significativement débuté avec la grand-mère d’Un été d’orages (Brandstrom, 1989) et – avec encore quatre ans d’attente – Roulez jeunesse de Jacques Fansten (1993) précisément en forme d’hommage aux troisièmes âges dynamiques. Il ne s’agit certes que de seconds rôles, mais la voici bientôt en mère de Bernard Tapie (!)

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dans Hommes, femmes, mode d’emploi (Lelouch, 1996), de Dussolier dans Aïe (Fillières, 2000) et bientôt, en reine mère (Palais royal !, Lemercier, 2005), avant de se convertir en mère du clan mafieux Malekian du Premier Cercle (Tuel, 2009). Dans ces deux derniers rôles antithétiques, elle se montre aussi à l’aise dans la légèreté et la fantaisie dans un cas, la gravité et le drame, dans l’autre. Autre registre encore avec Madame de Broglie, l’une des protagonistes du Hérisson (Ayache, 2009). Au cours de ce vingt et unième siècle débutant, elle tourne avec les représentants des cinématographies les plus diverses, slalomant de Becker (Les Enfants du marais, 1999) à Pascal Thomas (La Dilettante, 1999, Le Grand Appartement, 2006), de Labrune (C’est le bouquet, 2002), à Guédiguian (Le Promeneur du Champs de Mars, 2005), de Rouan (Travaux, on sait quand ça commence, 2005 et même auparavant, Post-coïtum, Animal triste, 1997) à Lelouch (Ces amours-là, 2010) ! Durant les années sans cinéma, il y avait évidemment eu le théâtre, mais aussi régulièrement la télévision : nombreuses participations Au théâtre ce soir (de 1967 à 1976), mais aussi des premiers rôles de fiction, tels les rôles-titres de Mamie Rose (Goutas, 1976), Un crime de notre temps (Axel, 1977) ou de la série Les Dames de cœur (Siegrist, 1980). Elle était encore récemment Clémence, la vieille servante du huis-clos de Marie-Octobre (J. Dayan, 2008) et la joyeuse doyenne des agapes du Grand Restaurant (Pullicino, 2011), réunissant le casting le plus cinématographique de la télévision. Mariée avec le comédien Lucien Pascal, Gisèle Casadesus est la mère d’artistes de disciplines variées : Martine Pascal, comédienne, Jean-Claude Casadessus, chef d’orchestre, Béatrice Casadesus, plasticienne, Dominique Probst, musicien. Elle a écrit une autobiographie : Le Jeu de l’amour et du théâtre (éd. Philippe Rey, 2007).


Dora

D

e son vrai nom Dorothée Feinberg, elle est née à Berlin le 19 mai 1922 de parents russes – son père était banquier – qui avaient émigré lors de la révolution. Dès 1924, installation à Paris et vocation très précoce pour la comédie. Elle réussit le concours d’entrée au Conservatoire où elle sera l’élève de Louis Jouvet. Il la fait débuter comme figurante auprès de lui dans Entrée des artistes (M. Allégret, 1938) qui constitue le prélude à la plus impressionnante carrière de seconds rôles féminins durant plusieurs décennies. Avec un emploi prévalent, particulièrement typé, lié comme toujours à un physique : grande, blonde, formes généreuses, regard gourmand et affranchi, sourire enjôleur, la verve large, la panoplie de la vamp ravageuse, des femmes faciles, des putes assumées. Sa contribution à la mémoire du cinéma français lui vaut en 1993 le Prix de la « Reconnaissance des Cinéphiles » décerné par l’Association « Souvenance des Cinéphiles ». Dès avant la guerre, elle a déjà tourné une dizaine de films comme figurante ou dans de petits rôles. À la Libération, elle enchaîne La Foire aux chimères (Chenal, 1946), La Maison sous la mer (Calef, 1947), Quai des Orfèvres (Clouzot, 1947), en petite amie du mauvais garçon Dalban, Un homme marche dans la ville (Pagliero, 1950) déjà en prostituée, ce qu’elle est toujours en fille de bar, victime d’un sadique dans Identité judiciaire (Bromberger, 1951). Ces exercices préalables aboutissent à la consécration de son personnage emblématique de Lola, la prostituée au grand cœur, amie de Jeanne Moreau, face à Gabin dans le chef-d’œuvre de Becker Touchez pas au Grisbi (1954). À la même période, elle devient l’un des per-

Doll

sonnages centraux des mélos de série B de Gourguet comme Maternité clandestine (1953), La Fille perdue (1954), La Cage aux souris (1954) dont les titres mêmes disent assez quel trait d’union les réunit autour de l’emploi de Dora Doll. La suite se présente comme une longue litanie des mêmes sources : Au cœur des trafics des Impures (P. Chevallier, 1954), de Môme Pigalle (A. Rode, 1955), en Foire aux femmes (Stelli, 1956) pour revenir en Miss Pigalle (Cam, 1958). Elle exhibe évidemment ses charmes et son tempérament auprès de Constantine (Votre dévoué Blake, Laviron, 1954), prend à l’occasion la tête d’affiche et la direction des opérations d’éternels polars de la même eau (Première brigade criminelle, Boutel, 1960), bénéficie de la considération des plus grands cinéastes (Renoir pour French Cancan, 1954, Elenia et les hommes, 1956), devient la partenaire des plus grandes stars du cinéma américain (Le Bal des maudits, Dmytrik, 1958 avec Brando, Clift et autres Dean Martin) donne généreusement dans le pastiche (Une souris chez les hommes, Poitrenaud, 1964, Pas de caviar pour Tante Olga, J. Becker, 1965), évolue vers les mères de famille (de Jane Birkin dans Catherine et Cie, Boisrond, 1975), s’affirme en féministe combattante à la tête de hordes affamées (Calmos, B. Blier, 1976), ou plus platement, en adjudant du sexe faible militarisé (Les Filles du régiment, Bernard-Aubert, 1978), contribue à dresser le portrait le plus haut en couleurs et le plus réjouissant du colonialisme en péril (La Victoire en chantant, J. J. Annaud, devenu pour les Oscars américains Noirs et Blancs en couleurs), est oubliée des années durant par les décideurs du cinéma français, revient dans des personnages de plus grande intensité, grâce à de vrais auteurs à la marge (Ave Maria, J. Richard, 1984, La Femme ivoire, D. Chemi-

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nal, 1984), atteste de l’intelligence de certains castings (Le Voyage à Paimpol, J. Berry, 1985, en mère de Myriam Boyer), ressuscite ses charmes et truculents appétits d’antan (Les Deux Crocodiles, Séria, 1987, en « Félicité »!) est encore oubliée, est repêchée par les vieux cinéastes cinéphiles Mocky et Chabrol (gouvernante du premier pour Le Mari de Léon, 1993, réminiscence du passé pour le second : L’Enfer, 1994). Elle tient la barre même en mémé (Comme t’y es belle, Azuelos, 2006), avant de demander encore, en vieille et robuste fermière qui a tout vu, de voir, une dernière fois, un sexe d’homme (La Part animale, S. Jaudeau, 2007). Superbe scène, toute de dignité en forme d’hommage, dans un beau film, passé inaperçu. Un tel parcours cinématographique, sur une telle durée, est exceptionnel et pourtant Dora Doll a assumé aussi, de manière souvent plus valorisante ses plus grands rôles au théâtre, et quand le cinéma la dédaignait, à la télévision. Au théâtre où elle avait débuté dès 1947, elle a joué une centaine de pièces, incarnant les personnages emblématiques de Madame sans-Gêne de Victorien Sardou et de La Mégère apprivoisée de Shakespeare, mises en scène par Marcelle Tassencourt, elle a joué La Langouste dans le Clérambard de Marcel Aymé, Dora Doll avec Hélène Surgère et Anouk Ferjac dans Cœur de hareng.

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Du vent dans les branches de Sassafras de Obaldia, Le Dialogue des Carmélites de Bernanos, elle a travaillé aussi dans le théâtre public avec Wilson et Maréchal, joué la quasi-totalité des pièces de Molière. La télévision lui a donné autant de rôles, à un moment où son emploi cinématographique était perturbé par le cours du temps. Elle fut ainsi, au premier chef, l’héroïne de la série écrite par Gérard Sire Les Hommes de Rose (M. Cloche, 1978), personnage généreux d’une fleuriste éclairant la vie de ceux qui l’entourent. Elle a joué les premiers rôles de L’Étouffe grand-mère (J. P. Bastid, 1981) en duo avec Jean-Luc Bideau, de La Steppe (Goron, 1982), Aveugle que veux-tu ? (J. L. Buñuel, 1984) en mère de Cluzet, Le Grand Banquet (Fasquel, 1983) d’après Boudard, Trente hectares de bonne terre (Gallo, 1981) redonné vie à Fréhel (Edith Piaf, une brève rencontre, Wyn, 1993), émaillé de sa forte présence plusieurs épisodes des Cinq dernières minutes et de Maigret, ou parmi les récurrents de séries à succès comme Le Château des oliviers (Gessner, 1983), Le Refuge (Roussel, 1996), Blandine l’insoumise (A. Barzman, 2004). Dora Doll fut successivement mariée avec l’acteur Raymond Pellegrin et le chanteur François Deguelt.


Suzanne

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ée le 28 janvier 1918 au Kremlin-Bicêtre, Suzanne Flon est décédée le 15 juin 2005 à Paris. Celle qui allait devenir l’une des grandes dames du théâtre français durant plusieurs décennies, amorça son itinéraire artistique comme secrétaire de la grande dame de la chanson française, Édith Piaf. Jeune bachelière, issue d’une famille modeste, elle avait auparavant officié comme traductrice au magasin Le Printemps. La pratique de l’anglais courant lui permit ensuite de travailler avec de grands cinéastes anglo-saxons. Piaf l’a d’abord orienté vers le music-hall, où elle intervint comme « commère » de revues, jouant parfois de petits sketchs de transition, avant de débuter au théâtre dans Le Survivant de J.-F. Noël, mis en scène par Raymond Rouleau, en 1943. Puis elle crée le rôle d’Ismène dans L’Antigone d’Anouilh (1944), avant de repasser par la case cabaret à « L’Abbaye », où

Flon

Audiberti vient lui proposer Le Mal court, pièce dans laquelle elle s’impose, puis elle confirme son accession au rang de vedette avec La Petite Hutte de Roussin qu’elle joue durant trois ans, et L’Alouette d’Anouilh où elle impose une Jeanne d’Arc déjà marquée par les traits prévalents de sa propre personnalité : simple, discrète jusqu’à l’effacement, douce, souriante. Elle est dans sa vie privée ce que vont donner à voir ses personnages cinématographiques : femme souvent célibataire, ou solitaire, collaboratrice dévouée, épouse en retrait (notamment de Gabin dans Un singe en hiver, H. Verneuil, 1962 et dans Sous le signe du taureau, Grangier, 1969) : elle gratifie ceux qui l’entourent de son regard de généreuse bienveillance, que conforte sa voix chaude, enrobée d’aigus. Échos de son amour des animaux dont elle disait préférer la compagnie à celle des hommes, et dont elle défendait la cause au sein de la ligue pour la défense des droits de l’animal. Elle fit ses réels débuts au cinéma dès 1947 (Capitaine Blomet, d’Andrée Feix) et allait construire l’une des plus authentiques – et rares – carrières de grands seconds rôles féminins, alors même que le cœur de sa vie restait le théâtre. Dépassant le strict cadre du cinéma français, elle a travaillé avec quelques-uns des cinéastes les plus prestigieux : John Huston (Moulin Rouge 1952), Orson Welles (Mister Arkadin, 1957, Le Procès, 1963), Joseph Losey (Monsieur Klein, 1976), James Ivory (Quartet, 1980)… Avec le film d’Autant-Lara, Tu ne tueras point, plaidoyer politique concernant les objecteurs de conscience, elle remporte la coupe Volpi de la meilleure actrice, au festival de Venise en 1961. Elle y est la mère douloureuse de Terzieff. Dans la deuxième partie de sa carrière, elle retient l’atten-

Suzanne Flon dans La Fleur du mal avec Nathalie Baye, Mélanie Doutey, Benoît Magimel et Bernard Lecoq.

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Avec Jugnot dans Voyage à Rome.

tion d’une nouvelle génération de cinéastes dont plusieurs lui seront fidèles. À elle désormais les rôles d’aïeules, porteuses d’humanité avec le relief des grands seconds rôles d’antan. Elle est notamment Nine, dite « Cognata », la tante, sourde, rouspéteuse, et malicieuse complice d’Adjani dans L’Été meurtrier (1983) de Jean Becker qui lui confie encore le personnage, cousin, de la vieille Cri-cri des Enfants du marais (1998). Il l’a rappelle encore pour Un crime au paradis (2001) et Effroyables jardins (2003). En cette fin de carrière, Chabrol lui confie le personnage de la vieille tante Line de la Fleur du mal (2003), mémoire vivante des lourds secrets de famille de la bourgeoisie de province dont elle partage l’affiche, à égalité de responsabilités avec les « stars », Nathalie Baye ou Benoît Magimel. Elle y est, comme toujours, épatante. Chabrol la reprend donc pour La Demoiselle d’honneur (2004). Entre-temps, dans un univers extrêmement différent, Tony Gatlif lui avait manifesté la même double confiance : la mamie protectrice de Gaspard et Robinson (1990), se retrouve dans Je suis une cigogne (1998). Elle est encore la mère, aussi anxieuse que fantaisistement émerveillée, de Jugnot au cœur du Voyage à Rome (1992). Par deux fois, elle est récompensée par un César du meilleur second rôle : en 1984 pour L’Été meurtrier, puis en 1990 pour La Vouivre, le seul film réalisé par son ami Georges Wilson, lui-même grand homme de théâtre. Ces César n’ont fait que

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s’ajouter à ses diverses – et nombreuses – récompenses théâtrales : meilleure comédienne du prix du Syndicat de la Critique, en 1981 pour Le Cœur sur la main de sa complice, auteur et comédienne Loleh Bellon, puis deux Molière de la meilleure comédienne, en 1987 pour Léopold le bien-aimé de J. Sarment, mis en scène, encore, par Georges Wilson, et en 1995, pour La Chambre d’amis, toujours de Loleh Bellon. En 2002, c’est l’ensemble de sa carrière qui lui vaut le prix du Brigadier d’honneur. Malgré ses qualités exceptionnelles, reconnues par tant de distinctions, son physique, sa personnalité, ses valeurs, et ce qu’il est convenu de désigner en termes d’emploi, ne la désignaient guère pour être « bankable ». Elle n’obtint au cinéma que deux premiers rôles, les rôles-titres de La Porteuse de pain, le mélodrame adapté par Maurice Cloche (1963) où elle est bouleversante dans le personnage maudit de Jeanne Fortier écartelée entre détresse et détermination, et de Teresa (1970), le film intimiste de Gérard Vergez où elle incarne une ancienne figurante de Cinecittà, murée dans son silence. Elle retourna ensuite dans la catégorie « seconds rôles », attestant, une fois encore, que les hiérarchies de l’industrie cinématographique sont très largement émancipées d’une quelconque hiérarchie des talents. D’autres premiers rôles, ou rôles centraux, lui seront heureusement attribués à la télévision dans nombre de téléfilms, tels Le Nœud de vipères (J. Trébouta, 1980) en compagnie de Pierre Dux, ou dans le rôle de la Prieure du Dialogue des carmélites (P. Cardinal, 1989). À 81 ans, elle était toujours à l’œuvre, dans son « terrier » théâtral pour L’Amante anglaise de Marguerite Duras, et avançait encore de nouveaux projets à la veille de sa disparition : elle devait notamment reprendre Savannah Bay, fin 2005.


Andrée

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ée en Belgique, à Etterbeek, le 26 avril 1911, Andrée Tainsy est décédée, à 93 ans, le 19 décembre 2004 à Paris. Ayant effectué l’essentiel de sa carrière et de sa vie en France, elle se fit naturaliser française en 1964. Petite taille, visage chiffonné, regard de compassion, voix d’une extrême douceur, elle était l’humilité incarnée, vouée aux rôles de personnages socialement effacés, et bien vite, modèle de mère et de grand-mère. Dans un cinéma français peu favorable aux rôles féminins, elle connut une longue carrière, jusqu’à son dernier personnage dans le film de Desplechin, Rois et reines en 2004, sorti à quelques jours de sa disparition, alors qu’elle avait débuté au cinéma en 1944, c’est-à-dire soixante ans plus tôt dans un film tourné au Chili : Le Moulin des Andes (J. Rémy). Le cœur de sa carrière fut le théâtre, qui lui confia des responsabilités plus éminentes. Après des études secondaires la faisant transiter par la Suisse, elle est élève au Conservatoire royal de Bruxelles (19311933), puis poursuit des études de psychologie à Paris, à la Sorbonne. Elle rejoint la compagnie du Vieux-Colombier, puis en 1936, elle intègre la célèbre compagnie Pitoëff. Un peu plus tard, elle joue, en anglais, l’un des principaux personnages de L’Écurie Watson (1937) mis en scène par Pierre Fresnay. Elle travaille avec les grands noms du théâtre français, créant, par exemple, Le Voyageur sans bagages d’Anouilh. En 1940, elle part pour l’Argentine et devient secrétaire de rédaction de la revue Belgica consacrée à la défense de la cause des alliés dans le conflit mondial. C’est ce contexte qui lui vaut de tourner son premier film au Chili. À partir de son retour à Paris, en 1946, elle ne cesse de travailler au

Tainsy

théâtre. Parmi les dizaines de pièces qu’elle enchaîne : Les Trois Sœurs de Tchekhov avec André Barsacq, La Descente d’Orphée de Tennessee Williams avec Raymond Rouleau, L’Étoile devient rouge d’O’Casey avec Garran, Le Précepteur de Lenz avec Vitez, Les Prodiges de Vauthier, avec Claude Régy… Elle crée, au festival d’Avignon Loin d’Hagondage de JeanPaul Wenzel (1975), et retrouve ce metteur en scène pour Figaro divorce de Von Horväth (1993). Sa carrière est consacrée par un Grand Prix national du théâtre en 1981. À la fin de sa vie, elle fait l’affiche du Journal d’Eve de Mark Twain. Au cinéma, petits rôles pour petits emplois d’abord : de balayeuse de cabaret (Mission à Tanger, Hunebelle, 1949), en fille de cuisine (Au royaume des cieux, Duvivier, 1949), ou, toujours expression de femme d’en bas, en émeutière d’une chronique royaliste (Marie-Antoinette, Delannoy, 1956). Quand les

Andrée Tainsy avec Daniel Auteuil dans Après vous.

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femmes de chambre sont en vedette (Le Journal d’une femme de chambre, Buñuel, 1964), Andrée Tainsy est bien là, mais à l’arrière-plan. En vieillissant, la promotion vient avec les rôles de mère, et plus encore, de grand-mère : elle est déjà la mère inquiète et bienveillante de l’héroïne de l’un des premiers films de Vecchiali (Les Ruses du Diable, 1966) qui la reprend, en patronne de bar pour L’Étrangleur (1972). Mais entre-temps, elle a été la mère de Nick, le témoin ahuri, Georges Géret, de Z (Costa-Gavras, 1968). C’est ensuite Tavernier qui lui permet de prendre place parmi les seconds rôles identifiés, en grand-mère nourricière du jeune meurtrier de L’Horloger de Saint-Paul (1974). Sa pudeur, son authenticité du quotidien, s’expriment encore chez Tavernier, en religieuse face aux débauches de Que la fête commence (1975) ou parmi les petites gens composant le microcosme des Enfants gâtés (1977). À la même époque, elle figure dans la fresque familiale de La Communion solennelle (Féret, 1977), puis parmi les pensionnaires de la

Avec Philippe Noiret dans L’Horloger de Saint-Paul.

maison de retraite du Paradis des riches (P. Barge, 1978), où elle s’incorpore à la tribu des Excentriques rescapés de la grande époque. C’est encore un grand metteur en scène, Chabrol, qui la recrute pour Poulet au vinaigre (1985), avant que l’âge canonique arrivant, elle ne soit encore retenue par plusieurs autres cinéastes d’envergure : Mickaël Haneke l’intègre dans l’importante cohorte de Code inconnu (2000), François Ozon en fait l’un des principaux personnages, de Sous le sable (2000) face à Charlotte Rampling, et elle compose, en forme de pied de nez avant sa révérence finale, une centenaire cocasse, lunettes noires et inscription salace sur son vêtement, aux bras de Daniel Auteuil dans Après vous (Salvadori, 2003). Son activité à la télévision fut parallèle bien que débutée quelques années plus tard : elle fut notamment une interprète fidèle de la célèbre collection historique La Caméra explore le temps de Stellio Lorenzi, et du non moins classique Théâtre de la jeunesse de Santelli, notamment en Mère Barberin de Sans famille qui lui allait comme un gant.


Jacques

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é le 19 février 1914 à Bègles, en Gironde, Jacques Dufilho est décédé le 28 août 2005 à Ponsampère, dans le Gers. Il s’est toujours défini comme un « comédien-paysan » – chevalier du Mérite agricole – n’ayant jamais renoncé à l’exploitation de sa ferme du Sud-Ouest profond. Racines paysannes, peut-être en adéquation avec ses fortes convictions de catholique traditionaliste et monarchiste. Personnage singulier, vedette au théâtre, le plus souvent confiné dans les seconds rôles au cinéma, en très grand nombre, intégrant beaucoup d’emplois de comédies bas de gamme. Visage en forme de museau de fouine, petits yeux perçants, regard noir, expression vocale perchée dans les aigus, barbe drue, sourire sardonique sous cape, donnant souvent l’air de préparer un mauvais coup. Fils de pharmaciens très catholiques, sa première vocation le conduit à s’engager dès 1934 dans la voie militaire, au 2e hussard de Tarbes qui lui permet de répondre à sa passion équestre. Mais ses passions artistiques – peinture, sculpture et théâtre – sont plus fortes encore : il part à Paris, est accueilli au théâtre de l’Atelier, par Dullin qui l’adopte aussitôt. Débuts dans des petits emplois de valets et de domestiques, et engagement corrélatif au cabaret, en même temps qu’il fréquente La Grande Chaumière atelier public des Beaux-Arts. Très riche carrière ensuite au service de grands auteurs et notamment récompensée par un Molière du meilleur acteur en 1988 pour Je ne suis pas Rappaport de Garner après avoir obtenu le Trophée Dussane en 1969, pour Le Gardien. Mais sa consécration était bien antérieure : magnifique interprète de L’Avare de Molière, dès 1962, il joue Anouilh : Colombe, Mar-

Dufilho

cel Aymé : Les Maxibules, Dürrenmatt : La Visite de la vieille dame, Audiberti : Le Mal court, L’Effet Glapion, mais aussi Pinter dont il sera à jamais Le Gardien. Son parcours théâtral est souvent associé à celui de Georges Wilson : ils ont joué une dizaine de pièces ensemble, depuis Le Village des miracles en 1951, jusqu’à, notamment Show Bis de Neil Simon, en 1994, et la reprise du Gardien. Lorsque Wilson réalise un film, en 1988, La Vouivre, Dufilho est évidemment au générique. Mais pour le cinéma ce dernier avait déjà tourné plusieurs dizaines de films après y avoir débuté dès les années quarante : nombreux petits ou seconds rôles de comédies sur le mode Cadet Rousselle (Hunebelle, 1954), en comédien fourbe, ou Courte tête (Carbonnaux, 1956) en garçon d’écurie. Il y accumule notamment les emplois de valets et de domestiques, de Caroline chérie (Pottier, 1951) en Nathalie (Christian-Jaque, 1957) et autres Bobosse (E. Périer, 1959). Sa promotion progressive vers les têtes d’affiches, emprunte parfois la voie qui passe de la série B à la série Z : il est en vedette mais pour Les Bidasses en folie (Zidi, 1971) en Colonel des Charlots, pour La Brigade en folie (P. Clair, 1973) en commissaire d’opérette, pour La Grande Nouba (Ardant, 1974) en aristocrate siphonné. Une telle participation est également déclinée en Italie notamment autour des aventures récurrentes du Colonel Buttiglione (Si, si mon Colonel, M. Guerrini, 1973, Vive la quille, 1974, Ya, ya mon Colonel, 1977) et autres Basta con la guerre… faciamo l’amore (A. Bianchi, 1974). Quelques compositions néanmoins plus singulières, en amont de cet accès aux premiers rôles tels le sanguinaire Marat du Marie-Antoinette, reine de France (Delannoy, 1956). Par-delà ces multiples prestations

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alimentaires, correspondant néanmoins à l’affirmation d’un tempérament et d’une personnalité irréductibles au tout-venant de la plupart de ses camarades de jeu, le cinéma va, progressivement reconnaître à Dufilho une place plus conforme à ses qualités. Évolution entamée avec quelques-uns des meilleurs films de Mocky : rôle des pervers frères Lambert de Snobs (1962), puis de l’inquiétant Gosseran de La Grande Frousse (1964), de l’énigmatique Ducharrel, déjà tête d’affiche de Chut (1972), du perfide maître-chanteur de Y a-t-il un Français dans la salle ? (1982). Mais entre-temps, Dufilho avait changé de catégorie, grâce à l’admiration que lui portait Jean-Louis Trintignant et qui lui avait confié le rôle central d’Une journée bien remplie (1973). Dès lors, il avait pu enchaîner, en partageant l’affiche avec Bernard Blier pour le rôle-titre de Ce cher Victor (R. Davis, 1975), puis accompagner les protagonistes de l’épopée militaromaritime du Crabe tambour (Schoendoerffer, 1977) avant que Chabrol ne boucle la boucle en faisant reposer sur ses épaules son ode à la Bretagne du Cheval d’orgueil (1980), en grand-père, porteur de mémoire. Mais qui dit singularité, ne peut prétendre à l’exercice durable des premiers rôles. Dufilho poursuivra donc avec des seconds rôles de qualité, émancipés de la genèse des pantalonnades d’antan. Ainsi pour le libraire-éducateur qui peut contribuer à la rédemption de Dewaere, Le Mauvais Fils (Sautet, 1980) ou le Mattathias de Mangeclous (Mizrahi, 1988), mais ces rôles sont eux-mêmes des îlots dans un océan d’ignorance du cinéma français qui se passe, des années durant, de tout recours à Dufilho. Il faut attendre plusieurs années pour qu’il revienne au tout premier plan dans le rôle-titre de Pétain (Marboeuf, 1993), et dans le grand-père paysan, quasi auto-biographique de C’est quoi la vie ? (Dupeyron, 1999). Après qu’il ait obtenu deux César du meilleur second rôle pour Le Crabe tambour en 1978 et pour Un mauvais fils, en 1981, il est sacré meilleur acteur pour C’est quoi la vie ? au Festival de Saint-Sébastien, en Espagne. Durant les années d’oubli cinématographique, il y

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Jacques Dufilho dans Le Cheval d’orgueil.

avait heureusement la télévision. Et Dufilho y fut une vedette de premier plan, y tournant à un rythme soutenu. Il y fut aussi récompensé du Sept d’Or du meilleur acteur pour Une femme innocente (Boutron, 1986). L’intensité de son activité s’y manifesta à la fin des années soixante-dix, même s’il fut plus tôt le Passepoil de la série Lagardère (Jullian, 1967). Sa composition du Commandant Gardefort, cavalier du Cadre noir de Saumur dans Milady (Leterrier, 1976) fait date dans l’histoire de la fiction à la télévision. Elle fut notamment suivie des rôles titres ou centraux de La Vigne à Saint-Roman (Pradinas, 1978), Le Roi Muguet (Jorré, 1979), Vincendon (Apprederis, 1980), Les Aiguilleurs, venus du théâtre, en compagnie de Wilson (Sangla, 1980), l’inspecteur Juve de la série Fantômas (1980), Le Fou du viaduc (Jorré, 1982), Jofroi de la Maussan (Bluwal, 1990), Stirn et Stern (P. Kassovitz, 1990) avec Claude Rich, ou encore les grandes séries estivales de Jean Sagols : Le Vent des moissons (1988) et Orages d’été (1990). Il avait publié, en 2003, un livre de souvenirs : Les Sirènes du bateau-loup (Fayard) et, précédemment, un livre tout aussi personnel sur La Route de Compostelle (La Table ronde, 1977). En 2006, le cinéma du 2e régiment des hussards a été baptisé « Cinéma Jacques Dufilho ».


Michel

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é au Maroc à Safi, le 27 octobre 1922, Galabru est le plus populaire des acteurs n’ayant jamais accédé au statut de star. Le seul acteur dont la popularité est comparable à celle des Excentriques des années trente aux années cinquante. Une seule scène lui suffit parfois pour marquer sa présence, à l’instar de son passage dans le phénoménal succès de Bienvenue chez les Ch’tis (Boon, 2010). Il constitue l’exception à la règle selon laquelle les acteurs de caractère resteraient les « méconnus du cinéma français ». Fils d’un professeur à l’École nationale des ponts et chaussées et après des études secondaires à Montpellier et à Paris, son inscription en droit sera de courte durée. Son admiration pour Guitry contribue à l’orienter vers le Conservatoire d’art dramatique, dont il ressort avec un premier prix de comédie. Il intègre ensuite la ComédieFrançaise (1950), où il débute dans Georges Dandin. Il y interprète, jusqu’en 1957, le répertoire classique de Shakespeare (Othello, Le Conte d’hiver) à Molière (Le Bourgeois gentilhomme, Les Précieuses ridicules) en passant par Marivaux (La Seconde Surprise de l’amour). Sa carrière théâtrale se poursuit sans interruption avec des dizaines de pièces dont il est la vedette. Il joue à plusieurs reprises Les Rustres de Goldoni (avec Vilar, au festival d’Avignon en 1961, vingt ans plus tard avec Santelli). Il a aussi repris, plusieurs fois le rôle rendu immortel par Raimu au cinéma de La Femme du boulanger de Pagnol, notamment mis en scène par Jérôme Savary, qui fait aussi de lui un mémorable Bourgeois gentilhomme. Il joua encore récemment Jules et Marcel correspondance entre Raimu et Pagnol, passant par ailleurs d’Anouilh (Les Poissons rouges, L’Hurluberlu) à Courteline (Le Com-

Galabru

missaire est bon enfant) et pratiquant lui-même, à l’occasion ses propres mises en scène. Immense carrière théâtrale, notamment récompensée par le Prix Plaisir du théâtre 2007, du Molière 2008 de meilleur comédien pour Les Chaussettes – Opus 124 de Daniel Colas et le Prix du Brigadier d’Honneur en 2011 pour l’ensemble de sa carrière. Mais sa popularité vient d’abord de sa pléthorique carrière cinématographique. Dans la lignée des grands Excentriques, sa voix, sa tessiture, son accent, la modulation de son débit, fixent déjà un personnage monumental, identifiable comme un Saturin Fabre par sa seule identité vocale. Viveur, tout en rondeur, dont le regard manifeste les intarissables appétits. Personnalité émancipée de tout risque de se prendre au sérieux, donc directement programmée pour la comédie. Il est l’empereur des seconds rôles comiques dont l’adjudant Gerber de la série des Gendarmes (Girault, 1964, 1965, 1968, 1970, 1979, 1982) face au maréchal des logis Cruchot (de Funès), constitue une forme de synthèse. Sous cet éclairage, il est l’incontestable numéro un de « L’Escadron de la gaieté » selon la formule de l’hebdo Cinémonde, réunissant les amuseurs de service, dans les multiples déclinaisons des comédies franchouillardes. Ce serait peu dire que de souligner que Galabru n’a rien récusé, de L’Increvable (J. Boyer, 1959) au service de Darry Cowl, à Tartarin de Tarascon (F. Blanche, 1962) au service de Francis Blanche, du Bon Roi Dagobert (P. Chevallier, 1963) dans l’ombre de Fernandel, à La Cuisine au beurre (1963), partagé derrière Fernandel et Bourvil, avant d’enfiler l’uniforme pour rejoindre de Funès (Le Gendarme de Saint-Tropez, 1964). Lorsque les hiérarchies drolatiques sont répudiées et que les préposés au rire partagent collectivement les premiers plans, c’est pour

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rester à Poussez pas grand-père dans les cactus (J.-C. Dague, 1969), Honte de la famille (R. Balducci, 1969) et autres Grande maffia (P. Clair, 1971). Une telle source ne s’est jamais tarie et a pu parfois atteindre d’insondables profondeurs de Plumard en folie (Lemoine, 1974) en Bidasses aux grandes manœuvres (Delpard, 1981) ou autres Adam et Eve (Luret, 1984). Mais ce fond de caisse peut être oublié au profit de comédies d’une autre tenue. Mocky fit évidemment appel à lui : La Bourse ou la Vie (1966), Un linceul n’a pas de poche (1974), L’Ibis rouge (1975), Y a-t-il un Français dans la salle ? (1982), mais il composa aussi de savoureux personnages pour Lautner, tels le maître d’école de Quelques messieurs trop tranquilles (1972), en chef des indigènes ruraux face à la déferlante néo-rurale, le milliardaire grec de La Valise (1973), ou l’huissier patelin d’Est-ce bien raisonnable ? (1981). Les premiers rôles sur le terrain de la comédie sont l’écho de sa carrière théâtrale : il incarne successivement avec maestria Le Bourgeois Gentilhomme (Coggio, 1981) et Monsieur de Pourceaugnac (Mitrani, 1985). Mais c’est le cinéma de Jean Marboeuf dont Galabru fut l’acteur fétiche, qui passant de la comédie à la fable grinçante, met encore à jour l’étendue du registre : il est à l’encontre de sa traditionnelle et truculente jovialité, l’inquiétant et pervers Commissaire Balboss de Monsieur Balboss (1975), tension dramatique confirmée dans le Directeur d’usine infanticide de La Ville des silences (1979), avant de détendre l’atmosphère avec le cafetier pétomane de T’es heureuse, moi, toujours (1983), ou le marchand de farces et attrapes concupiscent de Grand Guignol (1986), manifestant une folie rampante, qui est par ailleurs au cœur de sa grandiose composition du Juge et l’Assassin (Tavernier, 1976) et qui lui vaut, légitimement, le César du meilleur comédien. Loin des charges incontrôlées dans les « nanars » qui font le quotidien alimentaire, le personnage perdu de Joseph Bouvier vérifie le principe selon lequel les grands acteurs ont besoin de grands rôles : la folie, le désarroi de la paranoïa sont exprimés avec une infinie justesse,

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confirmant que Galabru peut tout jouer. Dans le registre de la folie ordinaire, il est encore le tueur excédé, de Réveillon chez Bob (D. Granier-Deferre, 1984) ou le téléspectateur halluciné et meurtrier de Kamikaze (Grousset, 1986), mais il peut aussi jouer les valets lubriques (L’Eau à la bouche, Doniol-Valcroze, 1960), les magistrats implacables (Section spéciale, Costa-Gavras, 1974), les commissaires de police obstinés (Un soir sur la plage, Boisrond, 1961), autoritaires (Le Choix des armes, Corneau, 1981) ou désabusés (Subway, Besson, 1985), les pères solitaires enfermés dans la douleur (L’Été meurtrier, J. Becker, 1983) ou encore récemment les grands-pères débordant d’humanité (Un poison violent, K. Quillevéré, 2010). À son statut de second rôle de comédie s’acquittant de premiers rôles de tragédie, fait écho, en forme de métaphore son personnage de voisin de Notre histoire (Blier, 1984) saisi d’une violente colère contre son sort subalterne et revendiquant l’accès au premier plan. Sa carrière à la télévision lui permit largement un tel accès. Très tôt parmi les piliers des grands dramatiques du service public (Montserrat, Lorenzi, 1960), notamment pour Le Théâtre de la jeunesse en Sancho Pancha de Don Quichotte (M. Cravenne, 1961) ou en Général Dourakine (Y. A. Hubert, 1963), il y joua les premiers rôles du répertoire théâtral (Tartuffe, Pignol, 1980), ceux de la comédie (Les Mouettes, Chapot, 1991, Honorin et la Loreleï, Chapot, 1992, Chaudemanche Père et Fils, Séria, 1996, Les Marchands de gloire, Folgoas, 1998, Marceeel !!!, Delarive, 1998) et même les récurrents en ministre de l’intérieur (Antoine Rives, juge du terrorisme, P. Lefebvre, 1993). Il publia son autobiographie : Trois petits tours et puis s’en vont (Flammarion, 2002) qui connut aussi une version radiophonique pour RadioFrance : « Autoportrait d’un funambule ». Mais aussi notamment un livre de Pensées, répliques et anecdotes et un hommage à Guitry : Galabru raconte Guitry. Ses enfants Jean et Emmanuelle sont eux aussi comédiens.


Hubert

N

é le 13 septembre 1923 à Paris, Hubert Deschamps est décédé le 29 septembre 1998 dans cette même ville. Il est, à tous égards, l’un des plus authentiques héritiers des Excentriques de la grande époque dont il croisa quelques-unes des figures au début des années cinquante. Il côtoya même Laurel et Hardy dans leur film français tourné par Joannon (Atoll K, 1950). Filmographie pléthorique, il joua dans près de cent trente films. Singularité de l’identité vocale avec une voix traînante soulignant l’ironie et la dérision du regard d’un misanthrope, voué au personnage haut en couleurs de râleur chronique, mais distancié. Études secondaires chez les Oratoriens, à Pontoise, dont il conservera une certaine culture traditionaliste (il assistait chaque 21 janvier à la messe anniversaire de la mort de Louis XVI), il fait ensuite une brève incursion aux Beaux-Arts (filiation d’un père conservateur des monuments historiques), mais c’est la guerre, il choisit de s’engager dans la division Leclerc. Aux lendemains de la Libération, il débute au cabaret, puis au théâtre, chez Jean Dasté, à Grenoble, puis toujours la décentralisation théâtrale avec la Comédie de Saint-Étienne avant de rejoindre la célèbre Compagnie Grenier-Hussenot (1949-1954). Il ne cessera de se produire au théâtre, en particulier dans les pièces de Jean Anouilh qui lui confie des personnages tendres et poétiques dans un univers particulièrement pessimiste (L’Hurluberlu, Cher Antoine, La Foire d’Empoigne…). Sa longue carrière lui permet de se produire aussi bien au T.N.P – où il fréquente notamment son complice et ami Dufilho – qu’au théâtre de boulevard où il donne, notamment, la réplique à Jacqueline Maillan (Croque Monsieur). Durant plus de

Deschamps vingt ans, il ne cesse d’occuper la scène chaque saison. Il continua aussi de se produire dans les grands cabarets parisiens, parfois en tandem avec Dufilho, de La Rose Rouge à La Fontaine des Quatre Saisons, en passant par L’Echelle de Jacob. Son activité fut tout aussi intense à la radio et à la télévision avec des séries populaires telles que Les Cinq Dernières Minutes et de nombreuses autres dramatiques dans la grande tradition de l’Ecole des Buttes-Chaumont. Il travaille notamment avec Jean-Christophe Averty (Les Raisins verts) dont il partageait l’univers loufoque. Il fut l’un des principaux personnages des Histoires extraordinaires (M. Boisrond) en compagnie de Claude Piéplu, incarna Monsieur Jadis (M. Polac) et fut auteur des « comiques associés ». Il débute au cinéma en 1950 et accumule les comédies qui font l’ordinaire du cinéma français. Il est l’une des valeurs les plus sûres de ce que l’hebdomadaire Cinémonde qualifie d’« Escadron de la gaieté » en compagnie de ses co-religionnaires Galabru et Dufilho. Dans cette veine, il est, dans la deuxième partie de sa carrière, l’un des acteurs fétiches de Claude Zidi. Il est, notamment, l’ahurissant Léon Jumaucourt, le directeur de la pension des Sousdoués (1980) dont il constitue la principale attraction, et le principal partenaire du jeune Daniel Auteuil. Il y paraît si indispensable que quelques années plus tard Les Sous-doués étant partis en Vacances (1982), Zidi lui attribue un autre personnage, celui du chirurgien, tout aussi iconoclaste que le directeur de la pension. Entre-temps, toujours pour Zidi, il compose le non moins extravagant inspecteur Watrin chargé de former Coluche au métier de policier pour Inspecteur La Bavure (1980). Dans un registre voisin, il était un Pinuche plus vrai que Frédé-

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Hubert Deschamps avec Pierre Doris et Philippe Gasté dans San Antonio ne pense qu’à ça.

ric Dard n’avait pu l’imaginer dans San Antonio ne pense qu’à ça (Seria, 1981). L’un des personnages les plus réjouissants, cousin des précédents, alliant tendre malice et poésie lui est encore concocté par Zidi : l’oncle Gadin, l’un des protagonistes d’Association de malfaiteurs (1987). On le retrouve, logiquement, dans un emploi de même inspiration chez De Broca, d’Un monsieur de compagnie où il incarne l’un des nombreux ecclésiastiques de sa carrière, jusqu’à Tendre poulet (1978), ou chez Lautner, notamment en général déjanté des Pissenlits par la racine (1964). Il avait été tôt découvert par de grands cinéastes, hors de l’étroit registre de la comédie à la française, tels Renoir (French Cancan, 1955) ou Clouzot (Les Espions, 1957). C’est selon cette voie de plus grande ambition que des personnages moins caricaturaux lui sont confiés d’abord par Louis Malle. Après le Substitut d’Ascenseur pour l’échafaud (1958), c’est surtout le poétique Turandot de Zazie dans le métro (1960) qui lui per-

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met d’élargir les caractères de son personnage. Malle lui sera encore fidèle pour Le Feu follet (1963), évidemment aux antipodes du registre de la comédie. Mais, dix ans plus tard, c’est ensuite Pialat qui lui permet de démontrer que les plus authentiques comiques peuvent tout jouer : il est Roger, le père douloureux et désemparé de Philippe Léotard, confronté à la mort (La Gueule ouverte, 1974). Au cours des années quatre-vingt-dix, le cinéma le délaisse mais la télévision lui offre encore quelques rôles intéressants. Hubert Deschamps était l’oncle de Jérôme Deschamps, l’un des plus brillants créateurs du théâtre contemporain, et notamment père des « Deschiens » sur Canal Plus. Il se plait à souligner combien sa vocation et son imagination ont été nourris par cette ascendance. Un beau livre a été consacré à la carrière d’Hubert Deschamps sous le titre Monsieur Hubert Deschamps de Saint-Germain–des-Prés par Geneviève Latour (éd. Jean-Michel Place, 2001).


Jacques

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é le 30 décembre 1923 à Montrouge (Hautsde-Seine) sous le nom de Jacques Barbé, Jacques Dynam est décédé le 11 novembre 2004 des suites d’une pneumonie. Son patronyme artistique correspondait au prénom de son père. Son activité cinématographique, amorcée dès le début des années quarante, est l’une des plus pléthoriques de sa génération dès lors qu’il bénéficia de la dynamique des décennies quarante et cinquante, particulièrement favorables aux seconds rôles. Mais de sa vaste filmographie, émerge l’immortel inspecteur Bertrand, adjoint et souffre-douleur du Commissaire Juve (de Funès), dans la série des Fantomas (Hunebelle, 1964, 1965, 1966). Clin d’œil du destin, l’une de ses premières participations avait été, en 1946, le Fantomas réalisé par Jean Sacha. Mais selon le parcours classique, le théâtre vint d’abord. Après l’obtention du baccalauréat, il fait ses classes dans la Compagnie de Jean Dasté, où il reste trois ans, débutant avec Les Fâcheux, de Molière. Il accomplit ensuite une importante carrière dans le théâtre privé, devenant un pilier du théâtre de boulevard et des comédies, à l’aune des pièces de Marcel Achard dont il crée, sous l’occupation, Colinette, et dont il enchaîne six autres pièces de ce même auteur, d’Auprès de ma blonde, mis en scène par Pierre Fresnay (1946) à Domino (1981). Il joue aussi des pièces de Félicien Marceau, telles que La Bonne Soupe (1979), donne la réplique à Jacqueline Maillan dans Folle Amanda de Barillet et Grédy (1971), accompagne son ami Michel Serrault dans le Knock de Jules Romains (1982), avant de conclure par Le Comédien de Guitry. Au cinéma, après plusieurs apparitions dès 1941, il se

Dynam

fait remarquer dans un vrai second rôle auprès de Simone Signoret dans Les Démons de l’aube (1945). Il se lie d’amitié avec Hunebelle dont la première collaboration, en 1948, concerne Millionnaires d’un jour. Une douzaine de films ensemble suivront, sur le mode de Ma femme est formidable (1951). Le ton est alors donné : visage et embonpoint très arrondis, jovialité affichée, Dynam est incorporé dans « L’Escadron de la gaieté », mais il y est souvent distribué dans les patauds, les bons vivants lourdauds, pas complètement éveillés, les clowns blancs, voire les souffre-douleur qui font rire à leurs dépends, sur le modèle de l’Inspecteur Bertrand. Même dans cet emploi peu valorisant, il n’est jamais réduit au simple faire-valoir : face à de Funès, il fait entendre sa différence et tient remarquablement le choc. Les deux comédiens s’étaient déjà côtoyés auparavant, notamment, sous les auspices d’Hunebelle pour Taxi, roulotte et corrida (1958) dans lequel Dynam joue un gangster d’opérette face à de Funès en français moyen, puis de Marcel Bluwal pour l’un des rares films réalisés par celui-ci pour le cinéma : Carambolages (1963). À la même période que les Fantomas, Dynam participe encore à la Compagnie de Funès pour Le Grand Restaurant (Besnard, 1966) en serveur maladroit, Les Grandes Vacances (Girault, 1967) en charbonnier déconfit. Le registre de la comédie est également pratiqué, entre autres, avec Molinaro, auprès de Bardot pour Une ravissante idiote (1963), La Chasse à l’homme (1964), Quand passent les faisans (1965) et avec la confrérie d’amuseurs intégrant ses amis Serrault, Darras et autres Tchernia : L’Amuseur (Gainville, 1979), Le Braconnier de Dieu (1983), Bonjour l’angoisse (Tchernia, 1988). Mais Dynam sut aussi se montrer remarqua-

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ble dans des emplois éloignés de la fibre comique : flics de plein exercice (Maigret voit rouge, Grangier, 1963, Un milliard dans un billard, Gessner, 1965, Compartiment tueurs, Costa-Gavras, 1965, French Connection II, Frankenheimer, 1975…). Il fut aussi l’Abbé Bournisien de Madame Bovary, de Chabrol (1991) et en conserva la gravité pour Le Monde de Marty (Bardiau, 2000) aux côtés de Serrault. Plus importante que ces dernières participations est la place occupée par Dynam sur le terrain de la post-

Jacques Dynam avec de Funès dans Fantômas.

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synchronisation. Il fut, en particulier, la voix française de Jerry Lewis. À la télévision, il fut un habitué des pièces de boulevard pour Au théâtre, ce soir. Il participa à de nombreuses séries et fictions unitaires, parmi lesquelles Histoires de la grandeur et de la décadence de César Biroteau (Lucot, 1977) adaptée de Balzac, en notaire Roguin, Ne pleure pas (Ertaud, 1975), en commissaire face à Vanel et plus récemment, l’un des récurrents de Crimes en série (19982000).


Jacques

N

é le 16 mai 1920 à Paris, Jacques François y est décédé le 25 novembre 2003. Il a été, durant plusieurs décennies, l’incarnation emblématique des snobs, des aristocrates distingués, de l’élégance un peu glacée de la grande bourgeoisie, le plus « British » des comédiens français. Cette empreinte distinctive lui venait, de ses origines sociales : fils d’une riche bourgeoisie, père avocat de renom, mère américaine mondaine. Mais son enfance, confortable matériellement ne le fut guère affectivement. Il fuit ce milieu d’origine et abandonne les études de droit au profit du théâtre : cours de Jean-Louis Barrault et Raymond Rouleau, et débuts rapides dans un petit rôle auprès d’Elvire Popesco dans La Ligne d’horizon, puis la pièce de Maurice Clavel : Les Incendiaires (1946) dans laquelle il est repéré par un émissaire du Studio Hollywoodien Universal. Il signe un contrat de sept ans avec Universal qui le revend à M.G.M., et la désillusion ne tarde pas : privé du premier rôle pour lequel il était prévu, seule sa participation à Entrons dans la danse (C. Walters, 1949) auprès de Fred Astaire et Ginger Rogers témoigne de son escapade hollywoodienne ratée. Rupture de contrat et retour en France où il avait déjà tourné quelques petits rôles, ainsi qu’un rôle plus substantiel en Italie (Patto Col Diavolo, Chiarini, 1949). Il va, par la suite, tourner sans interruption autour de ce même personnage d’aristo élégant, hautain, regard azur derrière de grandes lunettes en écaille, en forme de hublot, avec une diction précieusement modulée, parfois hésitante en quête du mot adéquat. À lui donc les ministres, les P.-D.G., flottant nettement au-dessus des questions quotidiennes du « vulgum pecus ». Mais ce caractère

François

est, le plus souvent, détourné, en forme de caricature, selon une logique permettant à Jacques François de s’auto-parodier. Tel est le cas, dans les films de Jean Yanne dont il est l’une des principales figures de proue : Plantier P.-D.G. ridicule de Tout le monde, il est beau, tout le monde, il est gentil (1972), redouble de morgue et de condescendance face à la revendication de Moi, y’en a vouloir des sous (1973), le vénérable baron Sainfous de Montaubert est évidemment le plus magistralement décoiffé par la présence des Chinois à Paris (1974) et même au petit jeu du Je te tiens, tu me tiens par la barbichette (1979), Jacques François ne se départit pas de sa fonction de représentation de sa classe identitaire, et quand survient la Révolution, il est un Necker, ministre du Roi, dont les élans réformateurs restent une expression des valeurs monarchiques : Liberté, égalité, choucroute (1985). La génération du Splendid a, sur un mode comparable, perçu les détournements comiques inhérents à l’image du mondain prétentieux qui lui collait à la peau : il y est instrumentalisé dans les seconds rôles hilarants du Père Noël est une ordure (Poiré, 1982) en pharmacien trop précieux, confronté à la vulgarité inverse du personnage de Jugnot, ou en extravagant Maréchal Bassounov, caricature de la Nomenklatura de Twist again à Mouscou (Poiré, 1986). Toujours sur le registre du pastiche, il pontifie, en permanence entre grotesque et ridicule, en général dans Les Aventures de Rabbi Jacob (Oury, 1973), jusqu’au… Gendarme et les Extra-terrestres (Girault, 1979) en passant par L’Opération Corned-Beef (Poiré, 1991) ou, alternativement en préfet (La Zizanie, Zidi, 1978), voire en ambassadeur (Fifi Martingale, Rozier, 2001). Le premier degré ne lui a ainsi été que rarement accordé : il avait pourtant très tôt incarné Liszt (Par ordre du

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tsar, Haguet, 1954), et joué les compagnons de Gérard Philipe (Les Grandes Manœuvres, R. Clair, 1955). Il s’acquitta, parfait bilinguisme, des personnalités britanniques plus vraies que nature dans les productions anglo-saxonnes (depuis Deux Anglais à Paris, Hamer, 1955, jusqu’à North Star, Gaup, 1996) et même, plus tard, montré son aptitude à incarner aussi bien les distingués salauds, tels le procureur de Section spéciale (Costa-Gavras, 1975) que les ecclésiastiques, antithétiques de la comédie (Sept Jours en janvier, Bardem, 1979). Même si son personnage tellement typé lui permit de faire partie du panel des acteurs les plus représentatifs du cinéma français, réunis par Bertrand Blier (2000), tous ses seconds rôles sont restés très en deçà de son statut de vedette au théâtre, où il fut, notamment après un passage éclair à la Comédie-Française, l’un des interprètes privilégiés d’Anouilh : L’Arrestation, L’Hurluberlu, La Foire d’Empoigne, Le Bal des voleurs. Il y fut l’un des meilleurs interprètes de Feydeau (Occupe-toi d’Amélie, Le Dindon), évidemment de Guitry (N’écoutez pas mesdames). Il est également l’auteur d’une pièce : Monsieur de France.

Jacques François dans Twist again à Moscou.

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Il fut aussi une vedette du petit écran, qu’il pratiqua d’abord aux États-Unis, en anglais, pour Foreign Intrigue (1952), puis avec la série Sherlock Holmes (1955). Douze ans plus tard, il incarne lui-même l’illustre personnage de la littérature policière anglaise pour Une aventure de Sherlock Holmes (J.P. Carrère, 1967), ce qui lui vaut d’incarner ensuite l’inspecteur principal de la série La Brigade des maléfices (1970). Il fut l’une des vedettes régulières d’Au théâtre ce soir (1971-1981), le proviseur récurrent de la série à succès Pause-café (1981), ou encore récurrent des séries Espionne et tais-toi (1986), ou Vivement dimanche (1988). Il incarna quelques personnages historiques, conforme à son background, comme Benjamin Constant (Un jeu d’enfer, M. Cravenne, 1971). Il joua la pièce d’Anouilh La Belle Vie directement écrite pour la télévision. Et il a conféré sa distinction aristocratique à la joyeuse série de Jean-Michel Ribes (Palace, 1988), au prix d’une rétrogradation de sa fonction dans le rôle de Félix, maître d’hôtel. Jacques François était marié avec la comédienne Madeleine Delavaivre qui abandonna sa carrière pour lui. Il publia un livre de souvenirs : Rappels (éd. Ramsay, 2004).


Table des matières Introduction Et tant d’autres Index LES ACTEURS DE CARACTÈRE (par ordre chronologique) Howard VERNON Monique MÉLINAND Gisèle CASADESUS Dora DOLL Suzanne FLON Andrée TAINSY Jacques DUFILHO Michel GALABRU Hubert DESCHAMPS Jacques DYNAM Jacques FRANÇOIS Alice SAPRITCH Dominique DAVRAY Maurice BIRAUD Roland LESAFFRE Gérard DARRIEU Paul CRAUCHET Jess HAHN Georges GÉRET Daniel CECCALDI Marcel BOZZUFFI Judith MAGRE Nelly BORGEAUD Claire MAURIER Paul PRÉBOIST Mario DAVID Roger DUMAS Claude PIÉPLU Henri GARCIN Michael LONSDALE François PERROT Pierre TORNADE Anouk FERJAC Magali NOËL Pascale ROBERTS Clément HARARI Daniel EMILFORK Charles MILLOT André WEBER Pierre FRAG Serge DAVRI

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Sacha BRIQUET Jacques MONOD Henri VIRLOJEUX Maurice GARREL Bernard FRESSON Michel CONSTANTIN Lásló SZABÓ Charles DENNER Jean BOUISE Jean SAUDRAY François DYREK Jean-Paul ROUSSILLON Jacques RISPAL Paul LE PERSON Julien GUIOMAR Georges STAQUET Michel ROBIN Édith SCOB Tsilla CHELTON Véronique SILVER Monique CHAUMETTE Hélène SURGÈRE Micha BAYARD Marthe VILLALONGA Jean ROUGERIE Roger RIFFARD Jean-Pierre SENTIER Jean-Pierre KALFON Hans MEYER Claude MELKI Michel PEYRELON Jean-Luc BIDEAU RUFUS Henri GUYBET Yves AFONSO Jacques DENIS Maurice BÉNICHOU Jean BENGUIGUI Hélène VINCENT Geneviève MNICH Philippe NAHON Olivier PERRIER Fred ULYSSE Liliane ROVÈRE Florence GIORGETTI Jeanne GOUPIL Andréa FERRÉOL

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Michel AUMONT Didier FLAMAND Daniel PRÉVOST Luis REGO Claire NADEAU Dominique LAVANANT Martin LAMOTTE Eva DARLAN Catherine LACHENS Myriam BOYER Myriam MÉZIÈRES Jean-Christophe BOUVET Jenny CLÈVE Roland BLANCHE Jean-François STÉVENIN Daniel DUVAL Albert DRAY Féodor ATKINE Jean-François BALMER Étienne CHICOT Jean-Pierre BISSON Niels ARESTRUP Bernard-Pierre DONNADIEU Jean-Claude DREYFUS Brigitte CATILLON André WILMS Dominique PINON Serge RIABOUKINE Ticky HOLGADO Denis LAVANT Anne ALVARO Dominique REYMOND Catherine JACOB Jacques BONNAFFÉ Olivia BRUNAUX Firmine RICHARD Michel VUILLERMOZ Yolande MOREAU Judith HENRY Anouk GRINBERG Zinedine SOUALEM Francis RENAUD Gérald LAROCHE Lionel ABELANSKI Simon ABKARIAN Olivier GOURMET Bernard BLANCAN

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