ENTRE LES VIGNES

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prĂŠface de

cĂŠdric klapisch



TEXTES

GUILLAUME LAROCHE

PHOTOS

HARRY ANNONI

expertise

FRÉDÉRIC HENRY

ÉDITIONS REVERSE



préface de cédric klapisch

“on retrouve le travail d’une vie dans un verre de vin.”

J

’ai connu le vin grâce à mon père. Dès que j’ai eu l’âge de pouvoir boire, j’ai commencé à apprendre à déguster avec lui. Il n’a jamais bu que du Bourgogne et il a très vite installé une sorte de rituel. Avec mes deux sœurs, il nous emmenait à peu près une fois tous les deux ans en Bourgogne pour visiter les vignerons et leurs caves dans différents domaines. Ma relation et ma culture du vin sont nées de ces moments passés en famille dans ces caves traditionnelles où nous avions la chance de découvrir des vins issus de différentes parcelles et terroirs, mais également de goûter la même cuvée sur plusieurs millésimes. C’est là que j’ai commencé à m’interroger sur ce que je ressentais en en dégustant.

La culture du vin est comme la culture littéraire. Pour connaître les auteurs et les livres, il faut lire et réfléchir, et pour connaître le vin, il faut boire et « interroger sa bouche ». J’ai ensuite découvert d’autres vignobles, d’autres pays, je suis devenu curieux du vin. J’aime ce que racontent les sommeliers sur une carte, j’aime ce que raconte Baudelaire sur le vin et l’ivresse. J’aime ce que racontent les scientifiques sur les différentes méthodes d’agricul-

ture. Plus on connaît le vin, plus on voit que l’on ne le connaîtra jamais, car il est infini. La Bourgogne est pour moi une région magnifique car elle possède une spécificité unique au monde. La géologie, l’exposition solaire, les conditions météorologiques font que chaque climat est différent et possède une composition unique, des minéraux qui permettent à la vigne de s’exprimer de façon singulière quels que soient les emplacements. Avec un même cépage, le pinot noir pour le rouge ou le chardonnay pour le blanc, chaque parcelle donne des résultats différents et chaque vigneron, dans sa façon de cultiver la vigne et de vinifier le raisin, produit un vin avec sa propre personnalité. Tous ces éléments forment des paramètres complexes en mouvement perpétuel. Quand on est en Bourgogne, on sait que la beauté est liée à la diversité. Ici plus qu’ailleurs, les histoires familiales ne ressemblent à aucune autre car ici la notion de transmission entre générations prend un autre sens que dans les villes, par exemple. Actuellement, la transmission est un sujet sensible dans cette région, car le prix de la terre est devenu exorbitant et cela pose clairement des questions pour perpétuer la tradition Bourguignonne.

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© Emmanuelle Jacobson-Roques - Ce qui me meut

préface

Pour le titre de mon film, « Le vin et le vent », je me suis référé à cette phrase de la Bible qui dit : « On ne transmet que deux choses à ses enfants, des racines et des ailes ». Nous sommes tous nés à un endroit, nous héritons quelque chose de nos parents, un pays, une terre, ce sont nos racines, mais nous avons reçu et transmettons également de l’immatériel – les ailes –, le goût du voyage, la culture, l’humour ou la générosité… toutes ces valeurs qui ne sont pas enracinées dans le sol. Cette notion de transmission est essentielle. Même si notre vie est éphémère, cela nous permet de rêver à une idée d’éternité. Depuis longtemps, je souhaitais réaliser un film sur l’idée du temps qui passe. J’ai voulu parler en parallèle du rythme de la nature et des étapes de la vie. Nous sommes tout d’abord un enfant, un fils, puis nous devenons un père – mais tout en restant également un fils. Le vin illustre parfaitement la façon dont la nature évolue, au rythme des saisons, le fait que, d’une année sur l’autre, les choses recommencent inexorablement. Le printemps m’a toujours impressionné sur cette notion de renaissance. Voir un bourgeon éclore et devenir une feuille, un fruit, c’est extrêmement mystérieux.

Le vin, c’est une histoire qui parle à tout le monde, car il met en relation le cycle de la nature et celui de l’homme. J’ai d’ailleurs failli appeler mon film « Nature humaine », car le vin illustre parfaitement la façon dont l’être humain utilise positivement la nature. C’est un des rares produits conçus avec un vrai rapport au temps et dont on peut dire qu’il vieillit positivement. D’ordinaire, le temps est lié à la notion de pourrissement, à la dégradation, alors que pour le vin, grâce à l’intervention humaine, il devient un allié, il fabrique du mieux. Je fais toujours des films sur les gens, sur l’activité humaine et je trouve que le vin est une métaphore du travail humain. Comme dans le cinéma français, faire du vin en Bourgogne est un travail artisanal dans lequel le vigneron transmet sa personnalité. Il y a une vraie notion d’auteur dans le vin en Bourgogne. On retrouve le travail d’une vie dans un verre de vin.

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avant-propos

avant-propos

In vino humanitas

J

’ai toujours aimé aller à la rencontre des vignerons, écouter leurs histoires, découvrir leurs vins, les entendre en parler avec fierté. Il faut souvent laisser passer quelques minutes afin qu’ils s’ouvrent et s’expriment librement sur leur travail, avec son lot de difficultés, d’incertitudes et de doutes. Mais une fois la glace brisée, la rencontre est souvent inoubliable, tant leur engagement est total. La complexité de leur métier, soumis aux aléas de la météo, du commerce, des modes et des contraintes légales, les a souvent endurcis, mais leur passion reste intacte et communicative. C’est le plaisir de ces échanges que je voulais partager avec celles et ceux qui aiment le vin, mais qui n’ont pas forcément l’occasion de sillonner régulièrement les vignobles. Je souhaitais que les esprits curieux dont l’intérêt dépasse un nom de cépage et une AOC puissent découvrir les femmes et les hommes qui se cachent derrière les étiquettes. Pour cela, j’ai voulu rendre ces portraits le plus vivant possible, qu’ils donnent réellement la parole aux vignerons sous la forme de discussions débridées, afin qu’ils s’expriment aussi librement et naturellement que leurs vins. Pas de filtre,

pas d’additif, ce sont leurs mots, leurs voix, leurs histoires et leurs images qui donnent à ce livre sa substance. En parcourant ces pages, j’espère vous transporter à leurs côtés, dans leurs caves, pendant les vendanges et entre leurs vignes. A l’heure où les consommateurs sont floués par un système productiviste qui tire la qualité des produits alimentaires vers le bas, où la notion de goût et de terroir disparaît au profit d’une recherche effrénée de standardisation et dans lequel les agriculteurs, considérés de plus en plus comme des machines, sont poussés à piloter leur production avec comme seuls indicateurs le volume et la rentabilité, certains vignerons ont décidé de faire de la résistance. Parce qu’ils sont à la fois producteurs de leur matière première, transformateurs et distributeurs, parce qu’ils sont en contact direct avec le consommateur final, ils sont aujourd’hui les plus à même d’évaluer ce système, de le juger et de le faire évoluer. J’ai choisi de consacrer ce livre à quinze vigneronnes et vignerons de Bourgogne car cette région viticole historique, soumise à une forte pression économique, concentre sur un minuscule périmètre toutes les problématiques

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ava n t- p rop os

commerciales, environnementales et éthiques qui secouent actuellement le vignoble français et mondial. Ces quinze artisans ont choisi des voies de viticulture et de vinification différentes, mais ont tous en commun de s’exprimer avec honnêteté sur leurs choix, quels qu’ils soient, et de privilégier la qualité des vins de terroir à la facilité des vins de mode.

guillaumE

HarrY

frédériC

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Si ce livre est un projet personnel qui me tenait à cœur depuis de nombreuses années, il n’aurait pas pu voir le jour sans mes deux partenaires. Harry Annoni, ami de longue date, photographe talentueux avec qui je rêvais depuis longtemps de collaborer, a su tirer de nos rencontres des clichés vivants, dynamiques, authentiques, en captant parfaitement la personnalité de nos interlocuteurs dans leur milieu. Frédéric Henry, ami et caviste à Beaune, a lui été le chef d’orchestre de nos voyages au cœur du vignoble, qui se sont étalés sur une année. Il a apporté sa connaissance pointue des terroirs, son expertise reconnue mais également son sens de l’humour qui a permis aux entretiens de toujours se dérouler dans une véritable ambiance amicale. Surtout, ce livre n’aurait jamais été possible sans la confiance que nous ont accordée les quinze « artistes » présents au fil de ces pages. Plus que leurs portes, c’est une fenêtre sur leur vie qu’ils ont accepté d’entrouvrir pour nous, car si leurs vins sont aussi remarquables et singuliers, c’est qu’au-delà du temps, du labeur et des efforts consentis, ils y mettent surtout une grande partie d’eux-mêmes. Du raisin, du rêve, de l’audace et de la passion, les éléments essentiels à la création de grands vins, à la mesure des hommes et des femmes qui leur donnent vie.

guillaumE larOCHE


entre les viGnes

sommaire aTHénaïS dE bEru

Recherche d’équilibre

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PiErrE bOillOT

La vérité du terroir

28

CéCilE TrEmblaY

En mouvement perpétuel

42

JEan-YvES biZOT

Artiste explorateur

56

mariE-CHriSTinE & mariE-andréE mugnErET

D’une seule voix

72

OrOnCE dE bElEr

Paysan élitiste

88

ClairE naudin

En toute sensibilité

104

franÇOiS dE niCOlaY

Moderniser la tradition

122

EmmanuEl gibOulOT

Héros malgré lui

138

THiErrY glanTEnaY

L’école de la prudence

152

rEnaud bOYEr

Anti-standard

166

anTOinE JObard

Comme une évidence

180

dOminiquE dErain

Le précurseur

194

PiErrE fEnalS

En quête d’harmonie

210

JuliEn guillOT

Libre penseur

226

glOSSairE

248

rEmErCiEmEnTS

252

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ATHÉNAÏS de béru

Recherche d’équilibre Pour s’épanouir pleinement, les vignes comme

les femmes et les hommes ont besoin de racines solides. Athénaïs de Béru le sait mieux que quiconque.

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A

thénaïs est en retard. Ou alors nous ne sommes pas au bon endroit. Pourtant, dans le village de Béru, pas simple de se perdre, il faut y mettre une certaine volonté. Non, on est forcément au bon endroit. Elle est donc en retard. Le château est devant nous, tout comme les pancartes indiquant le domaine, mais pas un chat à l’horizon. Enfin si, un cheval qui laboure méticuleusement la vigne en contrebas. Joli spectacle au passage. On tape aux portes – elles sont nombreuses – mais pas de réponse. Heureusement la vue est belle sur les hauteurs de Béru et le soleil est au rendez-vous. En revanche, niveau réseau téléphonique, c’est plus incertain. Espoir, elle finit par décrocher. Elle est dans ses vignes. Nous a-t-elle oubliés ? Oui et non. C’est un peu flou, mais il faudra s’y habituer. Quand on demande du temps à des vignerons proches de leurs terres, de leurs fruits et qui, bien souvent, ont des journées de travail de quinze heures, les petites discussions avec les gens de passage peuvent parfois paraître futiles ou tout du moins secondaires.

« En travaillant dans les vignes toute l’année, on a l’impression de s’inscrire dans un mouvement perpétuel. » Athénaïs arrive, démarche dynamique, veste en cuir et chemise à carreaux. De prime abord, difficile d’imaginer qu’elle sort de ses vignes. Seuls les dix kilos de terres fraîches amalgamés sous ses bottes trahissent son activité du matin. En introduction, elle nous propose un rapide tour du propriétaire. Devant nous, le fameux Clos Béru se présente dans son habit de saison. Enfin, pas vraiment. « On a l’impression d’être au printemps, c’est la forêt amazonienne, on est déprimé » (rires), nous explique-t-elle, impressionnée par la vitalité de la végétation en ce début décembre où les températures flirtent avec les dix degrés.

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« Là c’est vert, vert, vert. On est en chemise dans les vignes, on crève de chaud ! » Si cette douceur inhabituelle génère inévitablement un surplus de travail afin de contrôler cette pousse précoce et anarchique, elle nous évite en revanche de devoir nous réfugier au coin du feu pour commencer l’entretien. Ce qui tombe plutôt bien, car c’est évidemment entre les vignes que l’on est le plus à même d’aborder les méthodes culturales de cette jeune vigneronne passionnée pour qui le travail des sols et la biodynamie* ont clairement été une révélation. « J’ai récupéré les vignes entre 2006 et 2009, certaines n’ont donc été travaillées qu’à partir de 2009. Sur tout le domaine réuni, nous avons quinze hectares. Au fur et à mesure que je les reprenais durant ces quatre années, j’ai commencé la conversion en bio. Ça m’a permis de le faire progressivement et d’apprendre petit à petit le métier. Aujourd’hui, on est 100% en bio et 100% en biodynamie depuis 2010, année où on a vraiment passé la vitesse supérieure. Mais en 2009, on a attaqué par la face Nord ! (rires). Ce sont des vignes que ma famille avait confié pendant vingt-cinq ans à un fermier qui les avait plus ou moins entretenues, mais il vendait toute sa récolte à la coopérative. C’était donc une logique de production, de volume, ce n’était pas très qualitatif. Ce sont des clones* très moyens, plantés au début des années quatre-vingt dans cette mouvance très techno avec un calendrier phytosanitaire bien établi. Il n’y avait plus trop de sens paysan dans le travail qui était effectué. On a dû remplacer 30% des pieds. La vigne avait tourné à 90 hl/ha* pendant vingt ans, mais à Chablis, c’est fréquent et ça se fait encore, 100/120 hl, ça ne leur fait pas peur ! Pour moi, cultiver dans le respect de la terre et de l’environnement a toujours été essentiel. Disons que c’est une sorte de philosophie au sens large, c’est une façon de vivre globale. On s’interroge sur ce que l’on consomme, sur l’importance des saisons, sur ce qui se passe autour de nous. Donc c’est impossible d’imaginer travailler autrement. Ce qui m’a d’ailleurs toujours inspiré, c’est ce que l’on fait tout au long de l’année dans les vignes. On a l’impression de s’inscrire dans un mouvement perpétuel. Cela concrétise encore plus notre transition vers la biodynamie. C’est, pour moi, vraiment un lien plus


Athénaïs de béru

fort avec la nature : comprendre ce qui se passe dans notre environnement, comment utiliser les forces naturelles de la vigne pour le transmettre dans nos vins. Quand on fait tous ces gestes, on le comprend encore mieux. On se dit que l’on n’a vraiment rien inventé, mais que si on pouvait le faire aussi bien

que ça a été fait pendant des siècles, ce serait déjà un bon objectif. Et ça, je l’ai vraiment découvert dans la pratique. L’autre aspect très pragmatique et égoïste du bio, c’est que l’on est toute la journée dans nos vignes, tout au long de l’année, et on n’a pas très envie de se pulvériser des produits dégueulasses sur

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« Dès la première année en biodynamie, la réaction est phénoménale. C’est impressionnant et affolant à la fois. »

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Athénaïs de béru

la tête. Au final, on veut produire de beaux raisins pour arriver à des vins de qualité qui reflètent l’image des différents terroirs, et sans travailler de façon naturelle, c’est impossible ! C’est inconcevable d’un point de vue purement agronomique, au-delà de l’utilisation de produits chimiques. En amont, c’est évidemment beaucoup d’investissements – surtout humain d’ailleurs puisque l’on fait des économies en produits, car tout ce que l’on utilise en biodynamie ne coûte vraiment rien –, mais il y a une balance au final entre tous les postes. Et puis on valorise bien mieux notre production. » En 2011, de nombreux producteurs de la région ont voulu se lancer dans le bio. Le concept était à la mode d’un point de vue marketing et les consommateurs de plus en plus intéressés. L’idée de pouvoir travailler plus sainement tout en vendant ses produits plus chers ne gâtait rien. Malheureusement, l’effet de mode s’est vite essoufflé devant les premières difficultés. « 2011, c’était une superbe année, c’était facile, ça s’est bien passé. Et puis, avec 2012 et 2013, panique à bord. Pour ceux dont c’était la première année de conversion en bio, c’était terrible. Ils se sont dit : « Le bio c’est impossible à Chablis ! ». Et voilà, emballé c’est pesé, c’était fini. Ils avaient tort car, bio ou pas, tout le monde a perdu autant cette année-là. C’est normal de prendre peur. A partir du moment où on change de système, où on habitue la vigne à un autre équilibre, il y a quand même quelques années de transition par lesquelles il faut passer. C’est indépendant des aléas climatiques. Dans notre expérience personnelle, on commence à peine à trouver un équilibre qui nous permet d’avoir une belle production. Les deux ou trois premières années, pendant la période de conversion, il faut accepter d’avoir des pertes de rendement. Il ne faut pas le négliger, c’est sûr, mais ça ne dure que deux ou trois ans, pas vingt. Les anti-bio sont souvent dans ce cliché de dire : « Quand on est en bio, on ne produit rien ». C’est totalement faux ! En 2015, on est hyper content, on fait entre 50 et 55 hl/ha sur nos vignes. C’est même plus que ce que l’on avait envisagé. En 2011, c’était la même chose. Mais entre 2006 et 2009, sur nos premières années en agriculture biologique, on a effectivement produit moins. Il faut trouver cet équilibre. On passe d’un modèle avec des herbicides, un système racinaire très su-

perficiel – ici le sol n’était pas travaillé depuis vingt ans, on grattait sur cinq centimètres, il y avait des racines qui poussaient à l’horizontal – à un modèle où, tout à coup, on laboure les sols. On coupe forcément quelques racines, on l’affame un petit peu, car elle n’a plus de racines pour se nourrir et puis, en même temps, on relargue dans la nature tous les fertilisants qui ont été amenés dans les années passées, mais que la vigne n’était plus capable d’assimiler, car il n’y avait plus de microorganisme, il n’y avait plus rien. Là, on remet de l’air, on apporte des préparations qui redonnent vie ou stimulent les microorganismes. Et hop, tout à coup, c’est comme si on vous faisait un gavage en un an. C’est hyper rapide ! La première année, on a eu à la fois des plantes qui poussaient à profusion et que l’on avait beaucoup de mal à contrôler et une importante matière organique rendue assimilable par nos travaux de sol. On avait des feuilles de choux à la place des feuilles de vigne, donc une espèce de survigueur. Les grappes de raisins étaient beaucoup plus sensibles aux maladies, à la pourriture, donc un total déséquilibre. Tout allait à l’envers. On s’est dit : « Mais qu’estce que j’ai fait ? C’est l’inverse de ce que j’attendais quand j’ai parlé à tous ces vignerons en bio. Eux n’ont pas du tout ça dans leurs vignes » (rires). Mais dès la première année, la réaction est phénoménale. C’est impressionnant et affolant, car on se dit qu’il y a trop de concurrence, donc que l’on va perdre de la récolte. Et en même temps, on arrête d’utiliser les produits que la vigne connait pour la soigner. On n’utilise plus que du soufre et du cuivre*, des tisanes*, des huiles essentiels et on lui dit : « Allez, c’est à toi de te soigner maintenant ». Mais en fait, ça ne marche pas du tout au début (rires), et c’est normal. Si tu as toujours pris des antibiotiques pour te soigner, que tu n’es pas en bonne santé, que tu es fatigué et que d’un coup on te dit de te soigner exclusivement avec de la camomille, bah ça va marcher, mais va falloir rester au lit pendant trois semaines, le temps que le corps reconstruise son système immunitaire. Et bien c’est ce que l’on a vécu avec la plante. Il a donc fallu que l’on réagisse vite et que l’on trouve comment l’aider à reprendre des forces et redévelopper un système immunitaire qui va lui permettre d’évoluer, de grandir et de produire dans les conditions naturelles qu’on lui impose. Tout ce travail, on est encore en train de le mettre en place aujourd’hui. Et ça peut prendre une vie entière ! (rires). Quand je vois les échanges que j’ai eus avec

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des vignerons installés depuis bien plus longtemps que moi, cela confirme que c’est vraiment un projet de vie. On peut passer des années à essayer de mieux comprendre, à améliorer, à évoluer, à s’adapter au climat, aux différents millésimes, aux différents sols. »

« L’idée de revenir et de m’installer me séduisait et en même temps me terrifiait. » Nous sommes frappés par l’énergie de cette jeune femme. Nous savions qu’elle était une bonne communicante – notamment du fait de sa maîtrise des réseaux sociaux sur lesquels elle est très active – et nous nous attendions, certainement inconsciemment, à rencontrer une vigneronne 2.0, jeune chef d’entreprise dynamique, formée aux rouages du commerce bachique et ouverte sur le monde, plutôt qu’une paysanne engagée, passionnée par les cycles végétatifs, impliquée dans les travaux manuels certes essentiels, mais souvent ingrats et rébarbatifs. Bref, si Athénaïs avait été une petite Parisienne « hipster » en Converse et iPhone 6s, nous n’aurions pas été foncièrement surpris. Oui, mais non. Car travailler la terre, sa terre, redonner vie à cette vigne familiale et la voir

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grandir, reprendre des forces, voilà ce qui la motive aujourd’hui. Nous sommes inévitablement obligés de faire un parallèle avec son histoire personnelle : chablisienne de souche, déracinée, parisienne d’adoption, revenue à la terre et aujourd’hui totalement épanouie au milieu de ses ceps. « Ma famille a toujours produit du vin depuis le 17ème siècle (1627 précisément). Mais au début du 19ème, mes grands-parents se sont un peu éloignés de la vigne puis ont été frappés par la crise du Phylloxera*. C’est mon père qui a replanté le vignoble dans les années quatre-vingt pour devenir à son tour vigneron. Et puis il a eu des gros soucis de santé de façon très soudaine, donc, du jour au lendemain, il a été contraint de donner les vignes en location à un fermier. C’est comme ça que tout notre vignoble s’est retrouvé vendu en vrac à la coopérative et au négoce. Mon père a été hospitalisé longtemps à Paris, donc nous sommes partis vivre là-bas avec ma mère et mon petit frère. Quelques années plus tard, mon père est décédé, mais nous nous étions totalement éloignés de l’univers du vin. On revenait souvent ici parce que c’était notre maison de famille, de campagne, de vacances. On a une culture familiale très forte autour du vin, mais on n’avait plus du tout de contact avec l’univers professionnel et technique. Le bail signé avec le fermier était de plus de trente-cinq ans, donc


Athénaïs de béru

on ne pensait vraiment pas à nos vignes. On a alors chacun fait notre vie. J’ai fait des études d’économie et de finances qui m’ont amenée dans une banque spécialisée en gestion de fortunes. J’ai ensuite rejoint une équipe spécialisée dans les investissements viticoles. On travaillait sur la vente et l’acquisition de domaines. Donc, je me suis retrouvée, via la finance, petit à petit à nouveau dans le milieu. Mais je n’avais pas perdu le contact avec le vin, j’avais déjà une petite cave perso, j’allais souvent à des dégustations sur Paris, j’avais plein de copains vignerons. C’est d’ailleurs cet univers-là qui m’a poussée à me lancer dans l’aventure lorsque l’opportunité s’est présentée. En 2004, le fermier nous appelle et nous annonce qu’il souhaite partir en retraite d’ici deux ans et que son fils n’est pas intéressé pour reprendre la suite du bail. Ce genre de chose n’arrive jamais. On était assez embêté, car ma mère ne voulait pas du tout gérer le domaine. Mon frère est très citadin, il est totalement dans un autre circuit et moi j’étais dans mon truc, dans la finance. J’étais très attirée par l’univers du vin et foncièrement attachée à ce lieu, à cette maison. L’idée de revenir et de m’installer me séduisait et en même temps me terrifiait. J’étais partagée, mais c’était un bon timing également. J’avais envie de changer, de me lancer dans une aventure plus personnelle, plus entrepreneuriale. Il fallait tout décider en vingt-quatre heures de toute façon. Donc je n’ai

pas réfléchi très longtemps et j’ai proposé à la famille de devenir le nouveau fermier. Ils ont trouvé ça super et m’ont fait : « Tiens hop ! » (Elle mime en rigolant le geste d’envoyer une balle). C’était un peu la patate chaude. « Voilà, c’est signé. Allez, c’est parti. Bonne chance ! » (rires) J’ai alors négocié avec le fermier pour qu’il ne nous rende pas tout d’un coup et qu’il envisage son départ en retraite sur plusieures années. Il a accepté et m’a donné sa deadline à fin 2009. On a donc étalé la reprise des vignes sur quatre années. Je me suis inscrite à Beaune où j’ai fait un BPREA* en un an. J’ai fait ma première vendange et ma première vinification chez François de Nicolay au domaine Chandon de Briailles (voir p 122). J’ai aussi fait une vinification en Afrique du Sud et puis, à partir de 2006, j’ai commencé à récupérer mes vignes. Formation minimaliste qui m’avait simplement appris les bases. Par exemple, je ne connaissais rien ni sur le cycle végétatif ni sur la succession des travaux à la vigne. Je suis ensuite allée faire des micro-stages chez les uns et les autres. Trois jours par ici pour soutirer*, trois jours par là pour vinifier*. Mais le problème, c’est que je n’avais personne au quotidien pour m’apprendre le métier, me transmettre les gestes. J’aurais adoré apprendre ça avec mon père, mais bon, peutêtre que ça ne se serait jamais passé de cette manièrelà. L’avantage, en revanche, c’est que je pouvais faire exactement ce que je voulais, aucun frein, aucune

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Athénaïs de béru

barrière. J’ai reçu, heureusement, beaucoup de coups de main d’Alice et Olivier (De Moor), de Thomas (Pico). Ils m’ont prêté du matériel, car ici, il n’y avait rien du tout, ni matériel, ni équipe. Il restait juste quelques cuves inox de l’époque de mon père. J’ai donc dû trouver les bonnes personnes passionnées qui voulaient travailler de cette manière-là, avec, de préférence, plus de connaissances que moi, car si on arrivait tous avec mon niveau de bagage technique, on risquait de ne pas aller très loin (rires). Aujourd’hui, nous sommes cinq plus une comptable à mi-temps. Ce sont des gens qui travaillent dans la vigne depuis longtemps, qui ont une vraie expérience, qui n’étaient pas forcément dans le bio, mais qui avaient une fibre et l’envie de travailler de cette manière-là. De mon côté, il faut dire que j’arrivais quand même en touriste. Je me suis dit : « C’est sympa, c’est une aventure, je monte mon domaine ». Mais j’avais plein de points d’interrogation. Je ne savais pas si j’allais travailler dans mes vignes, faire mon vin, avoir un maître de chai, commercialiser, il n’y avait aucun tabou. Je m’étais dit que je n’allais pas me forcer à faire quelque chose que je ne savais pas faire ou que je n’avais pas envie de faire. Je n’avais donc pas encore vraiment trouvé ma place dans mon projet. Ça s’est un peu fait malgré moi. Le problème, c’est que j’ai eu envie de tout faire. Maintenant, il faut que j’apprenne à déléguer un peu parce que je commence à saturer. C’est un métier difficile, physiquement dur, émotionnellement compliqué quand on a eu des millésimes comme on a connu. Aujourd’hui, mon équipe est stable depuis trois, quatre ans, avec des personnes superbes humainement. Ça m’a aidé à prendre confiance, à déléguer. Ça se construit avec le temps, c’est long. On est actuellement dans cette phase de maturité, c’est bien plus confortable, ça nous permet d’explorer, de faire des essais. »

« À Chablis, on est dans un environnement hostile. On est en résistance. » Bien que situé à plus de cent kilomètres au nord de Beaune, Chablis est considéré, au même titre que Mâcon, comme un terroir solaire. Il faut dire que nous sommes loin du climat humide de la Côte de Beaune où le brouillard aime se lover dé-

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licatement pour hiberner pendant les longs mois d’hiver. La Saône a pris ses distances et l’influence est clairement continentale. Au Château de Béru, on fait encore mieux, puisque le village est situé à 400 mètres d’altitude. Les vignes réparties autour de cette colline bénéficient d’un ensoleillement exceptionnel et notamment le clos Béru situé sur le versant plein Sud. Ici, on obtient donc des raisins sains, bien mûrs qui engendrent des vins amples, denses, complexes, qui tranchent avec l’image du Chablis ‘‘bon petit blanc de comptoir’’ que s’en font certains. Athénaïs veut rompre avec cette caricature qui a fait des vins de la région des symboles de la viticulture industrielle produisant des jus standardisés, destinés à un marché de masse. Dans son livre Mes aventures sur les routes du vin, Kermit Lynch, célèbre importateur américain, dit qu’« aimer Chablis, c’est comme tomber amoureux d’une cocotte frigide. Vous finissez par vous demander si ce que vous recevez en retour vaut d’avoir le cœur brisé et d’être si souvent trompé ». S’il avait pu croiser Athénaïs, nul doute que son séjour dans l’Yonne aurait été moins amer. « A Chablis, nous ne sommes pas nombreux à bosser en bio, mais on forme un bon groupe, on s’est retrouvé en résistance malgré nous. On est dans un environnement qui est très hostile à toute cette démarche naturelle, que ce soit bio ou biodynamie. Je pense que c’est parce qu’il y a un mélange de peur du changement et de jalousie. Il y a aussi le fait qu’au début, tout le monde s’en fichait des bios, ce n’était que quelques petits domaines. Mais ces petits domaines marchent super bien et redorent un peu le blason de Chablis, qui était devenu un produit très standardisé. Il faut dire que les rendements à plus de 100 hl/ha sont effrayants, et puis il y a un marché caché qui entretient ce volume : quand certains en font trop, ils le revendent à ceux qui n’en font pas assez, et si on regarde les déclarations de récoltes, tout le monde fait 60 hl/ha chaque année, même dans les millésimes où il y a de la grêle. Tu te demandes d’où ça sort. Je dénonce ce système depuis pas mal d’années. Ça ne plaît pas, je suis en guerre avec tout le monde ! (rires) Il y a vraiment énormément de volumes non déclarés qui maintiennent un niveau de prix, car Chablis, c’est une économie qui est très puissante, c’est une appellation très forte, très dynamique d’un point de vue économique, avec une belle renommée. C’est vraiment devenu une marque. Le côté négatif, c’est que les vignerons n’ont pas besoin de se re-


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« Les grands crus de Chablis sont des terroirs gâchés. »

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Athénaïs de béru

mettre en question, car ça part tout seul, que ce soit au négoce ou en bouteilles, c’est très facile à vendre. C’est difficile de demander à des viticulteurs qui vendent tout à la coopérative, à un prix à l’hecto qui est super bien valorisé, et qui ne sont pas incités à la qualité, qui n’ont aucune prime, de tout à coup produire moins et plus qualitatif. Ils vous regardent avec des yeux ronds et vous disent : « Mais pourquoi ? ». A moins qu’ils aient vraiment une folle envie de respecter l’environnement, mais sinon, cela n’a pas de sens pour eux. Mis à part Dauvissat et Raveneau que l’on trouve sur les belles cartes des grands restaurants, les grands amateurs de vins se sont un peu fâchés avec notre appellation et préfèrent boire autre chose. Entre parenthèses, les gens ne le savent pas forcément, car c’est quelqu’un qui communique très peu, mais Vincent Dauvissat travaille en biodynamie sur ses sols depuis longtemps, même s’il ne le revendique pas. Il est très ami avec Pierre Masson par exemple (conseiller en biodynamie). Il a certainement les plus belles vignes sur Chablis. Dans les grandes maisons, comme Laroche ou William Fèvre, il y aussi des gens qui travaillent très bien, mais dans ce genre de domaines, c’est un peu comme en Champagne, leurs vins ont un goût et leurs clients sont attachés à ça. Donc ils ont des méthodes de vinification très standardisées. Il y a beaucoup d’interventions œnologiques, c’est vendangé à la machine, donc c’est sulfité, c’est levuré, les vins sont collés, filtrés, mais ça plaît. Il n’y a pas que des mauvais vins dans leur production, loin de là, mais je pense quand même que les grands crus de Chablis sont des terroirs gâchés. Aujourd’hui, quand on goûte à l’aveugle les Chablis Village et les Grand Crus de ces domaines, nous, on préfère leurs villages. L’écart gustatif est minime, alors qu’en termes de terroirs, il y a des différences énormes entre un terrain plat et argileux et les coteaux des grands crus, des purs kimméridgiens1 où il y a des sols très profonds, avec des tas de couches géologiques vraiment intéressantes. Il y a un potentiel pour faire des merveilles. Globalement, le niveau qualitatif n’est pas là dans les grands crus, même s’il y a des exceptions. Les consommateurs attendent un goût de Chablis, donc toutes les grandes maisons produisent des vins dans cette ligne. Jusqu’au moment où ces mêmes consommateurs goûtent autre chose. Le problème, c’est qu’il 1. Étage géologique datant de 150 millions d’année appartenant au Jurassique supérieur. Il est reconnu comme étant l’élément essentiel des meilleurs vins de Chablis.

y avait peu d’alternatives. Les De Moor étaient un peu seuls jusqu’à présent et ce n’est pas avec leurs six ou sept hectares qu’ils peuvent changer les choses. Même aujourd’hui, si nous les avons rejoints avec Thomas Pico et deux ou trois autres, ça ne suffit toujours pas à changer l’image de Chablis. Mais, malgré tout, je commence à voir des gens – pas forcément des amateurs de vins natures, car nous ne sommes pas dans cette vague à tout prix – qui nous disent : « Tiens, c’est marrant, vos vins n’ont pas le goût de Chablis ». Alors je leur demande : « C’est quoi le goût de Chablis ? ». Et, effectivement, les arômes qui sont décrits ressemblent fortement à un vin sulfité, alors que, eux, associent ça à la minéralité. (rires) Quand on nous dit que nos vins ne ressemblent pas aux Chablis qu’ils ont l’habitude de boire, on prend donc ça comme un compliment (rires). Les gens trouvent que c’est très mûr. On leur explique que l’on fait de plus petits rendements, que l’on vendange à maturité, etc. Notre appellation n’est pas censée produire des vins à 11° qu’il faut chaptaliser. On essaie même parfois de vendanger plus tôt pour ne pas avoir des Chablis à 13°. Au final, Il y a vraiment deux marchés de Chablis dans le monde : Il y a un marché de volume, très présent en Angleterre notamment, dans les grandes surfaces, partout aux Etats-Unis et en Asie également, et un marché plus « haut de gamme » qui travaille avec la restauration, où on retrouve quelques maisons classiques, les deux vignerons emblématiques (Dauvissat et Raveneau) et puis nous, de plus en plus, notre petit groupe plus nature. Finalement, on s’est développé très vite et c’est là que l’on se rend compte qu’il y avait une attente importante du côté des amateurs des vins de notre région. C’est un vrai souffle de fraîcheur pour eux. Il y avait des allées grandes ouvertes sur tous ces marchés pourtant saturés. Plus globalement, il y a une vraie opportunité commerciale pour tous les vignerons de Bourgogne qui travaillent dans cette philosophie et qui attachent de l’importance à leur terroir. L’idée c’est que, petit à petit, ça sème des graines, car plus on sera nombreux dans cette voie et plus on vendra de vin. On est dans une région où la compétition est très forte alors que, finalement, plus on est de fous, plus ça marche. Entre nous, on s’est toujours renvoyé nos clients. Avec Thomas, par exemple, on a tellement de clients en commun, on ne s’est jamais dit qu’il y avait un risque. Au contraire, on vend deux fois plus de vin en s’apportant tous nos réseaux. Mais l’appellation n’est pas vraiment dans cet esprit-là. »

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Athénaïs de béru

« Pour moi, ce n’est pas une fin en soi de faire des vins sans soufre. » Nous rentrons au château de Béru et descendons à la cave, bien plus petite que ne le laissaient présager les dimensions des autres bâtiments, notamment cette majestueuse cour qui fait face à une magnifique bâtisse et sa façade ornée de vingt-et-une fenêtres, mais également cette tour du 13ème et ses rarissimes cadrans solaires et lunaires, ou encore ce superbe colombier aux 1 500 cases. Dans la cave sont alignés une soixantaine de fûts et deux belles amphores géorgiennes destinées à des expérimentations de vins oranges. Le cadre idéal pour aborder les méthodes de vinification d’Athénaïs. « La biodynamie change complètement votre vision en cuverie, cela modifie totalement les vins. C’est vraiment intéressant, car dès le premier millésime, ça a commencé à évoluer. Chaque année, on démarre les vinifications avec des raisins qui ont un équilibre et une complexité encore supérieurs à l’année précé-

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dente. On a une matière de départ qui a plus d’énergie, plus d’équilibre, plus de potentiel, c’est du pain béni ! Avec la biodynamie, tout à un lien. On s’en rend compte au niveau de la stabilité, des PH*, des acidités. On observe des différences phénoménales d’un millésime à l’autre au niveau de la sensibilité des vins à l’oxydation*. Comme la vigne, ils développent une sorte de système immunitaire, donc ils ne vont pas s’oxyder dès qu’ils sont au contact de l’air. Ils ont une structure, une composition chimique qui leur permet d’avoir une sensibilité moins forte aux aléas qui les touchent. A partir du moment où on fait des vinifications naturelles, beaucoup d’organismes vivants cohabitent, car on ne les détruit pas. On ne fait pas de collage, on n’utilise pas de soufre ou très peu. Donc plus le vin à une stabilité naturelle, un équilibre, et moins on aura de mauvaises bactéries qui se développeront et ainsi de suite. Tout ça, je l’ai vraiment observé au fil de mes vinifications depuis 2006. J’ai presque envie de dire que maintenant, après dix ans, tout en restant vigilante, j’ai l’impression que l’on peut regarder les vins se faire tranquillement. Alors qu’au début, il y avait toujours une cuve ou un fût qui avait un problème. Il y avait toujours une bactérie ou une mauvaise souche de levures qui se développait. Quand je goûte des 2006,


« Je n’avais personne pour m’apprendre le métier. J’aurais adoré l’apprendre avec mon père. »

je vois bien la différence avec maintenant. C’était mon premier millésime, il fallait bien sortir quelque chose et j’en suis super fière, mais je comprends mieux aujourd’hui leurs déséquilibres. Je sais qu’ils viennent en grande partie, non pas des erreurs de vinification, mais de la matière première que l’on avait à l’époque. Une fois que l’on a compris tous ces mécanismes naturels qui s’articulent, on peut les utiliser bien plus efficacement pour encore mieux travailler. J’ai lancé un micro-négoce en 2010 avec l’idée de faire des rouges. J’ai d’ailleurs un projet de vigne à planter à Irancy. J’aimerais bien que l’on ait notre propre vigne, car l’achat de raisin, ça reste quand même limitant. Même si on travaille avec des vignerons en bio, je me rends compte que l’on n’arrive pas à faire les mêmes vins. Certains vignerons, qui sont de supers vinificateurs, diront peut-être l’inverse. Certains ont des petits négoces vraiment pointus et ils arrivent à faire des vins extraordinaires juste en achat de raisin. C’est le cas d’Oronce de Beler par exemple (voir p 88). On est amis et nos conversations sont souvent intéressantes, car on a des visions parfois assez différentes (rires). Il faut dire que, même s’il n’a pas les meilleurs raisins du coin, il va accumuler plein de bonnes actions

qui vont faire qu’il arrive à produire de très chouettes vins, avec son propre style. J’aime beaucoup ses vins, mais s’il avait en plus un super raisin... C’est ce que j’observe avec ma petite expérience de négoce. Même si les raisins que l’on achète sont très beaux, il y a un vrai écart avec celui que l’on produit. Peut-être est-ce lié à la biodynamie, je ne sais pas, mais il y a un équilibre et une énergie que je ne retrouve pas dans les vins de négoce. Après, nous c’est plutôt des partenariats, des échanges entre copains. Par exemple, avec les De Moor, on s’échange du raisin. Je leur donne un peu de Chablis pour leur cuvée de négoce Vendangeur Masqué et eux me donnent un peu d’Aligoté, sur leur superbe vigne centenaire avec lequel je fais de la macération pelliculaire*. » Si Athénaïs sait très clairement où elle va, elle n’est pas encore clairement identifiée par les amateurs et critiques. Pas vraiment dans la mouvance des vins natures ultra libres « garantis sans soufre », son positionnement néo-classique peut paraître difficile à cerner pour ceux qui aiment les petites cases dans lesquelles ranger précautionneusement chaque producteur. Mais, de toute évidence, cela ne l’empêche pas de dormir.

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Athénaïs de béru

« Le soufre, c’est une interrogation pour plein de vignerons je pense. Quoi faire, quand en utiliser, beaucoup, pas beaucoup, plus du tout ? Dans tous les cas, je pense qu’il faut essayer de ne pas être systématique. Mes pratiques ont beaucoup évolué depuis dix ans. Je n’ai jamais sulfité énormément, mais c’est vrai qu’entre les équilibres que j’avais au début et ce que j’ai maintenant, je peux me permettre de ne pas avoir la même approche. J’ai aussi sans doute mieux appris à l’utiliser, en plus petites doses, à un meilleur moment. On ne sulfite plus du tout sous le pressoir, sur la vendange, pendant l’élevage. La première fois où j’en mets, et ce n’est pas systématique, c’est quand je soutire* pour l’assemblage des pièces. Ensuite, on va en ajouter une deuxième fois lors de la mise en bouteille. Les 2014 ont reçu environ deux grammes en tout par exemple. Ça donne environ 25 mg/L de SO2 total*. En 2006, on était plus autour de 50 ou 60 mg. Ce qui n’était déjà pas très élevé, mais qui correspondait à l’équilibre des vins à l’époque. Après, je dirais que chacun a des quêtes différentes. Pour moi, ce n’est pas une fin en soi de faire des vins sans soufre. Ce qui est intéressant, ce n’est pas de faire du sans soufre, c’est de faire des vins naturels, c’est à dire le plus naturellement possible, à la vigne et dans la cave. Mais si on a besoin d’en mettre un petit peu, je pense qu’il faut se garder la possibilité de le faire. Je n’arrive pas à être dans un mouvement avec une seule voie. J’avais une discussion très intéressante avec Philippe Jambon d’ailleurs hier (vigneron reconnu du Beaujolais qui n’utilise de soufre à aucun moment de la vinification). Il a cinq millésimes en cave qui ne sont toujours pas mis en bouteille. C’était intéressant, car lui, il veut à tout prix faire des vins sans soufre, c’est sa condition, mais il trouve qu’il ne peut pas les mettre en bouteille en l’état. Il en a qui fermentent encore au bout de cinq ans ! Donc c’est sans fin. Je serais la dernière personne à me permettre de porter un jugement sur son travail, surtout qu’il fait des vins parfois exceptionnels, mais c’est très compliqué sa façon de travailler. Il est lui-même lucide sur la complexité de ses choix et il n’est souvent pas satisfait des vins qu’il met en bouteille, donc il est un peu coincé parfois. On a tous une approche très différente. Moi, je n’aime pas trop les étiquettes. Actuellement, nous ne sommes pas dans le groupe des extrémistes du sans soufre, mais nous ne sommes pas non plus dans la bande des Chablis classiques. Parfois, on se demande un peu où on est d’ailleurs (rires). Mais le soufre, c’est un grand sujet parce que l’on se retrouve de plus en plus à des dégustations où la première question que l’on va te poser c’est : « Il y a combien de soufre total

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dans ton vin ? » (Elle souffle). C’est un peu fatigant, parce qu’il y a quand même beaucoup d’autres choses dans mon vin que du soufre total. Ce serait plus sympa de parler du reste. C’est un peu limitant pour tout le travail que t’as fait derrière. Et puis, souvent, les gens qui te demandent ça n’y connaissent rien. On leur a dit « 20, c’est bien », alors si t’es pas à 20, ils font une tête terrible et te disent : « Olala, t’en mets vachement ». En plus, il y a bien pire au niveau des intrants*, mais les gens se sont focalisés là-dessus avec ce mouvement des vins natures. Surtout que souvent les vins natures, ce sont des négociants, ce sont des jeunes qui achètent des raisins à droite, à gauche et qui font du vin. Moi, je trouve plus intéressant de discuter avec un vigneron qui se pose depuis vingt ans des questions d’équilibre dans ses vignes et qui les soigne avec 500 grammes de cuivres et un mélange de dix tisanes. Là je me dis : « Wahou ! ». Là il y a des sujets sur lesquels discuter, surtout si le gars est dans la Loire ou en Bourgogne, dans les fameuses régions où on te dit que c’est impossible de faire du bio. » En reprenant son domaine familial, Athénaïs a redonné vie à sa vigne, mais elle s’est également retrouvée elle-même. Aujourd’hui, elle fait partie des fers de lance de la nouvelle génération rebelle de Chablis qui prône la qualité avant tout, quitte à ce que cela se fasse au détriment des rendements. Comme elle l’explique très bien elle-même, son histoire résulte d’un parcours initiatique solitaire et d’une transmission familiale très forte. Les signes sont parfois trop évidents pour être ignorés. La rupture prématurée de ce bail en était certainement un. Nul doute qu’elle était destinée à retrouver ce domaine de famille et à poursuivre le rêve inachevé de son père, dont elle parle avec émotion mais aussi beaucoup de pudeur. « Quand je me suis installée et que j’ai repris le domaine, il n’y avait plus aucune bouteille », racontet-elle. « Mon père avait liquidé tout le stock. J’ai mis plusieurs années, mais j’ai réussi à retrouver quelques bouteilles qu’il avait vinifiées. Je les garde précieusement, c’est mon petit trésor. » Renouer avec le passé et avec son enfance dans les vignes était forcément, également, une manière de retrouver une connexion avec celui qui les a plantées. Cela lui a permis, dès le début, de se lancer dans l’aventure avec une vision claire et un lien émotionnel fort à cette terre qu’il faut apprivoiser et respecter pour qu’elle vous offre ce qu’elle a de meilleur. Ses racines à nouveau profondément enfouies, Athénaïs a trouvé son équilibre. Cela aussi, c’est un trésor. n


« Il y a quand même beaucoup d’autres choses dans mon vin que du soufre total. »

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château de béru liEu

vinS blanCS

daTE dE CréaTiOn

Chablis Terroir de béru Chablis Côte aux Prêtres Chablis l’Orangerie Chablis 1er Cru vaucoupin Chablis Clos béru

Béru (Chablis) 2006

SurfaCE TOTalE

15 ha

TYPE dE viTiCulTurE

Biodynamie certifiée Demeter TYPE dE vinifiCaTiOn

Naturelle avec peu ou pas de soufre réParTiTiOn rOugE / blanC 100%

PrOduCTiOn mOYEnnE Par an

65 000 bouteilles

réParTiTiOn franCE / EXPOrT 30%

70%

clos béru monopole C’est sur ce terroir si singulier, composé de sols majoritairement calcaires mais aussi argileux par endroits qu’athénaïs produit l’un de ces plus beaux vins. le Clos béru allie puissance et rondeur parfaitement équilibrées par une minéralité et une salinité typiques des plus grands terroirs de Chablis.

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cHablis

athénaÏs de béru

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pierre boillot

La vérité du terroir On dit qu’un vin ressemble à son vigneron. Ceux de Pierre Boillot sont précis, délicats et un rien farouches. Mais si on leur laisse le temps de se livrer, la rencontre est inoubliable.

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R

ouler sur la mythique RN 74 est toujours un moment spécial. Dans l’inconscient collectif, tout au moins pour ceux nés au siècle dernier, elle représente la liberté des premiers congés payés, avec ces images en noir et blanc de voitures surchargées et d’embouteillages vécus avec bonheur et insouciance. Ces vieux films granuleux et pleins de nostalgie qui nourrissent les marronniers dont nous abreuvent les rédactions chaque premier week-end de juillet. A l’époque, l’essentiel pour ces premiers vacanciers n’était pas d’arriver au plus vite mais tout simplement de partir. Le voyage en lui-même était déjà un dépaysement. Progressivement, kilomètre après kilomètre, on pouvait découvrir ce décor en évolution perpétuelle et savourer chaque nouvel indice révélateur de la destination finale. Aujourd’hui encore, et même si elle a depuis changé de nom, cette route a conservé les mêmes vertus euphorisantes. Celle qui a depuis été rebaptisée Départementale 974 relie Dijon au nord aux villages des Maranges au sud et traverse ces vignobles prestigieux dont la seule évocation fait saliver les amateurs de crus du monde entier. Cette langue de bitume invite naturellement à la flânerie et les nombreux chemins qui partent de l’axe principal pour remonter vers les coteaux sont autant de bonnes raisons d’arriver en retard, où que l’on se rende. Ce matin-là, notre concentration était pourtant à son maximum. Rendez-vous était pris à Gevrey-Chambertin, au nord de la Côte de Nuits, et l’heure n’était pas à la promenade touristique. Pas simple, cependant, de se repérer dans un tel dédale de petites rues étroites. Sans carte, difficile de trouver le trésor qui nous était promis tant l’architecture semble avoir été étudiée spécifiquement dans le but d’égarer les visiteurs. De hauts murs, quasi identiques les uns aux autres, séparent les maisons des ateliers, des garages, mais également des précieux chais et caves répartis dans le village. Ils constituent

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un rempart redoutablement efficace contre la curiosité. Comme dans la majeure partie de la Côte, les producteurs locaux aiment leur tranquillité. On ne vient pas sans y être invité, surtout depuis les années quatre-vingt-dix où les vins de Gevrey-Chambertin – village le plus capé de Bourgogne avec ses neufs grands crus – ont acquis une notoriété internationale. Il est loin le temps où les vignerons troquaient bottes et sécateurs pour une tenue de commerçant le week-end. Sourire jovial accroché aux lèvres, petite blague de rigueur et verres bien remplis, tout était fait pour inciter les promeneurs amateurs de bonnes bouteilles à se perdre dans une longue dégustation. C’est qu’à l’époque les vins de Bourgogne n’avaient pas encore bonne presse et les propriétaires devaient redoubler d’énergie pour écouler leur production. Mais ça, c’était avant. Désormais, les bonnes portes sont closes. On ne déguste plus directement au domaine et il faut un sauf-conduit pour espérer les voir s’entrebâiller. Ce précieux laissezpasser, nous l’avions heureusement en poche puisque Pierre Boillot avait accepté de nous recevoir. Mais même dans ces conditions, qu’il a été difficile d’atteindre son domaine. Le GPS qui nous faisait office de « pass VIP » ne nous a pas été d’un grand secours et il nous a fallu redoubler d’efforts pour nous sortir de ce labyrinthe et arriver finalement à bon port.

« Un grand vin, c’est quelque chose de libéré. » Le chai est niché en plein cœur du bourg, dans une petite rue où seule une pancarte discrète nous confirme que nous sommes bien au domaine. Nous y découvrons un espace vaste où dix cuves inox parfaitement alignées attendent avec impatience la future récolte. Machines à égrapper, pressoirs et autres appareils qui seront dans deux mois au centre de l’activité, sont pour le moment en hibernation. Au milieu de cette grande bâtisse froide et encore endormie, Pierre Boillot parle calmement et distinctement, en prenant bien soin de mesurer chacun de ses


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« chez certains, on veut faire du bio, mais s’il y a le moindre accident, on appelle le médecin pour remettre la cuvée d’aplomb. »

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PIERRE BOILLOT

propos. L’homme est à l’image de son domaine et de sa production. Loin des Gevrey-Chambertin bodybuildés, tanniques et sur-extraits, ses vins sont fins, discrets, voire fermés en jeunesse, mais prennent une superbe complexité après quelques années de garde. Comme Pierre, il faut savoir patienter avant de les voir se livrer totalement. « Je fais des vins de type traditionnel, avec une méthode de vinification qui a toujours existé, simple, pas trop innovante. Ce sont des vins qui ont une concentration naturelle et ça leur donne de la longévité. Je cherche à faire des vins de terroir. Pour moi, il faut que ce soit vivant, que ça me parle, que ça dise quelque chose et que, d’un vin à un autre, ce soit différent, c’est ça la notion de terroir. En fonction de l’appellation, du sol, ils doivent être bien distincts. On retrouve ma trame, c’est sûr, mais l’expression de chaque parcelle doit être présente. Pour ça, il faut laisser la nature se faire, ne pas être trop interventionniste. Même si un vin est un peu fermé, tannique, c’est son caractère. Pourquoi on voudrait le faire sympathique avec des tanins souples ? Tous les ans, c’est le terroir qui donne ça. S’il y a du calcaire, par exemple, le sol va donner un vin plus puissant, avec du caractère, il ne faut pas le modifier. Et puis, avec le temps, si vous avez un vin qui est bien équilibré, tout se combine pour avoir un beau résultat plus tard. Aujourd’hui, dans beaucoup de domaines, il y a une recherche de qualité absolue dans la technique, dans la connaissance, mais pas dans le naturel, dans le « laisser-aller ». Chacun est à son poste, chacun se protège sur toute la chaîne en pensant que si on fait tout ça en sécurité, en bloquant l’affaire, on va avoir un grand vin. Mais un grand vin, ce n’est pas ça, c’est quelque chose de libéré, qui est fait par quelqu’un qui connait sa vigne, la plante, son sol. Il faut la travailler, qu’elle ne soit pas d’une fertilité monstrueuse. Il y a beaucoup de variétés dans le pinot noir. Si vous plantez un bon clone dans un sol assez fertile, vos rendements vont exploser, mais à quel prix ? Vous aurez beau faire une bonne vinification, un beau travail, c’est trop tard. Le plant n’est pas adapté à ce terroir, il ne va pas le révéler dans le fond, dans ce qu’il peut donner de plus subtil, dans la finesse. Je pense que rien n’exprime mieux le terroir que nos vieux pinots fins (variété ancienne du pinot noir, plus qualitative mais aux rendements plus faibles). La plupart des domaines les ont renouvelés pour augmenter les ren-

dements, parce que ça gagne de l’argent, mais moi, j’en suis très content. Sur les années comme 2009 ou 2012 où il y a du soleil, de la maturité, vous aurez tout de même une belle qualité et des rendements élevés avec des clones. Mais les années où le soleil n’est pas forcément là – 2013 ou 2014 par exemple –, celui qui a fait 55 ou 60 hl/ha, il a décroché, il va devoir compenser au niveau de la vinification. Il appelle l’œnologue : « J’ai un peu trop de jus, il est un peu léger mon vin, je fais quoi ? » Alors, là on ajoute des levures*, des tanins artificiels, c’est tout le train-train et puis, ensuite, on met tout en fût neuf. On obtient un vin qui n’a pas vraiment de défaut, qui n’est pas mal fait, mais pour le vrai amateur de vin de terroir, celui qui ne s’arrête pas à l’étiquette, au marketing, au grand nom du domaine, ça ne passera pas. Il va déceler qu’en enlevant un peu de bois, un peu de technologie, c’est faible au niveau du raisin. Mais il faut un certain niveau de dégustation, tout le monde ne l’a pas. »

« Le prix de la vigne n’a plus de sens. » La particularité du domaine Lucien Boillot, c’est qu’il compte des vignes à la fois sur la Côte de Nuits et sur la Côte de Beaune, avec pas moins de seize appellations différentes, qui vont de Volnay à Gevrey-Chambertin, en passant par Pommard, Puligny-Montrachet et Nuits-Saint-George. « C’est un peu compliqué, mais c’est passionnant », nous explique Pierre, dont le père, Lucien, est à l’origine de cette installation à GevreyChambertin. La famille Boillot est présente en Côte de Beaune depuis six générations et possède des vignes dans les plus belles parcelles des différents villages. Dans les années cinquante, Lucien Boillot décide pourtant de passer de l’autre côté de Beaune et de s’affranchir des contraintes familiales pour monter son propre domaine, parcelle par parcelle. En quelques années, il met la main sur des perles comme les Cherbaudes ou les Corbeaux à Gevrey-Chambertin, deux parcelles discrètes mais extrêmement bien placées, à quelques mètres seulement de celles de MazisChambertin. Mais le grand cru, lui, fait toujours défaut.

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retrouvez l’intégralité des 15 entretiens sur 252 pages

préface de

cédric klapisch

29€


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