ENTRE LES VIGNES #2 avec les Vignerons Nature d'Auvergne

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Guillaume laroche

raphael reynier

Harry annoni


les vignerons nature d’Auvergne


Guillaume laroche Textes Harry annoni photos raphael reynier videos

ÉDITIONS REVERSE


THE DIRTY DOZEN

les vignerons nature d’Auvergne

Artistes, techniciens, rêveurs, râleurs… douze personnalités, mais une seule ligne de conduite : le respect du raisin et du terroir.

‘‘On fait du vin en Auvergne ?’’ C’est la phrase que j’ai le plus entendue ces deux dernières années lorsque j’évoquais notre travail sur le vignoble auvergnat. Même si cette question était souvent formulée par des personnes sans grande curiosité pour la chose vineuse, je peux honnêtement la comprendre. Avec seulement trois cents hectares de terres, ce vignoble n’a pas d’identité propre. Il est inclus – certains diront dissimulé – dans celui de la Loire. Les grands médias n’en parlent pas. Le grand public ignore même jusqu’à son existence. Et pourtant… Oui, pourtant, depuis quelques années, un murmure ou, plutôt, un grondement s’élève des tréfonds de ces Puys millénaires. Ceux qui, comme vous, puisque vous lisez ces lignes, aiment le vin en dehors des circuits industriels, parcourent les salons, ont leurs habitudes chez les bons cavistes et n’hésitent pas à poser leurs coudes sur les tables où l’on donne la part belle aux produits sains et savoureux, savent certainement de quoi je parle. Pour les autres, ceux qui n’auraient pas encore fait connaissance avec ces vins, un avertissement s’impose : une fois que vous entrez dans le club des buveurs de jus de volcans, impossible de faire marche arrière. Il n’y a pas plus addictif.

Pur jus sinon rien ! Dans le premier volume d’ENTRE LES VIGNES dédié à la Bourgogne, nous avions rencontré quinze vignerons et vigneronnes

travaillant de façons différentes à la vigne et à la cave. Certains étaient en agriculture raisonnée, d’autres en bio ou biodynamie. Certains vinifiaient totalement naturellement, sans aucun intrant, d’autres assumaient l’utilisation de sulfites à plusieurs étapes de la vinification et reconnaissaient recourir à la chaptalisation, par exemple. Nous avions souhaité confronter les points de vue sans jamais prendre position et nous avions trouvé l’exercice passionnant. Quand nous avons décidé de réaliser ce deuxième ouvrage sur l’Auvergne, nous avons cette fois-ci choisi de nous focaliser exclusivement sur les vignerons nature, et cela pour deux raisons principales. Premièrement, parce que les vignerons conventionnels de la région produisent, de notre point de vue, des vins sans réelle identité et sans notion de terroir. Ensuite, parce que sur les trois cents hectares que compte le vignoble, cinquante sont exploités par des vignerons indépendants qui travaillent de façon naturelle. Cela fait ainsi de l’Auvergne la région de France où la proportion des vins dits naturels, libres ou vivants, c’est-à-dire travaillés naturellement à la vigne, sans produits de synthèse, fermentés et élevés sans additifs œnologiques ni produits exogènes, est la plus grande. Nous avons donc pris le parti de nous focaliser sur douze artisans qui ont choisi de travailler avec du raisin et rien d’autre. Le sol, le ciel et la sueur. Pas d’artifice, pas d’AOP. Car,


autre point commun de ces ‘‘douze salopards’’ fort sympathiques, tels des repris de justice condamnés pour leur picrate et mis au ban des appellations, ils produisent tous des Vins de France (VDF). Cette dénomination, connue autrefois sous le terme ‘‘Vin de Table’’, regroupe tous les vins qui n’ont pas obtenu d’appellation d’origine protégée (AOP, les anciens AOC) ou d’indication géographique protégée (IGP). C’est une catégorie ingrate, fourre-tout, dans laquelle les piquettes les plus infâmes côtoient les plus beaux canons nature. Nos vignerons ont fait ce choix soit par conviction, pour garder leur liberté et éviter les contraintes dictées par des règlements absurdes, soit par obligation, parce qu’ils en ont été honteusement exclus. Quoi qu’il en soit, ils produisent aujourd’hui les meilleurs vins de la région, les plus représentatifs de leur terroir et les plus célèbres. Pourtant, leurs bouteilles s’envolent aux quatre coins du monde sans même une petite référence à l’Auvergne. Ce gâchis illustre parfaitement le non-sens des règles que l’INAO essaie d’imposer aux vignerons. Alors que les vins d’AOP peinent à se vendre à moins de dix euros en supermarchés, les VDF des meilleurs artisans s’arrachent dans le monde entier à des tarifs pouvant osciller entre quinze et plus de trente euros. Car, ne nous y trompons pas, aujourd’hui c’est bien le vigneron qui fait la renommée d’un vin. Si, pendant des années, les AOP, portées par le prestige des vins de Bordeaux et de Bourgogne, ont fait les belles heures de la gastronomie française et internationale, les choses changent, et vite. Sur les plus grandes tables, de New York à Tokyo, de Copenhague à Barcelone, en passant par Sydney et Rio, les vignerons nature au talent reconnu sont devenus des incontournables. Les chefs attentifs aux beaux produits ont rapidement découvert ou redécouvert que les vins vivants faisaient merveilleusement écho à leurs plats. Débarrassés des filtrations stérilisantes et du sulfitage abusif, ces vins gagnent en précision, en profondeur, en minéralité, en texture… Dans ces conditions, les terroirs s’expriment pleinement et rendent le voyage encore plus captivant. C’est là que les sols incroyables d’Auvergne sortent leur épingle du jeu. Région montagneuse au climat propice à la culture de la vigne, les ceps s’épanouissent dans cette terre fertile et puisent dans les sous-sols riches en éléments minéraux des

saveurs uniques qui ne laissent personne indifférent. Il n’en fallait pas plus pour nous convaincre de dédier le deuxième volume d’ENTRE LES VIGNES à cette merveilleuse région. Et quand vous réunissez un casting digne du chef-d’œuvre de Robert Aldrich, avec, entre autres, Patrick Bouju, Pierre Beauger et Fred Gounan dans les rôles de Lee Marvin, Charles Bronson et John Cassavetes, le résultat ne peut être que détonnant.

Interludes experts et fil rouge mythique Nous avons choisi de vous présenter cet ouvrage et ses douze chapitres sous la forme d’une quête, la nôtre, celle qui s’est déroulée en plusieurs étapes étalées sur une année. Nous avons également décidé de faire intervenir cinq ‘‘experts’’ des vins auvergnats. Chefs, caviste, sommelier, agent, ils sont, à nos yeux, les mieux placés aujourd’hui pour nous permettre de prendre du recul en profitant de leur expérience. De la même façon, l’histoire du vin nature d’Auvergne étant intimement liée à celle du mythique domaine de Peyra, icône parmi les vins nature, nous avons souhaité l’évoquer tout au long du livre avec les différents vignerons, sous forme de fil rouge. Au final, notre découverte de l’Auvergne à travers ses terroirs, ses paysages et ses vignerons, évidemment, nous a permis de retracer l’histoire d’une viticulture autrefois florissante, puis totalement sinistrée, voire oubliée, et qui a aujourd’hui entamé sa renaissance. Si les volcans d’Auvergne sont éteints, son vignoble, lui, est sur le point d’entrer en éruption. On vous aura prévenus ! Guillaume Laroche

Bonus vidéos

Pendant notre voyage, Harry et moi avons été accompagnés par Raphaël Reynier, ami de longue date, vidéaste talentueux et buveur impénitent (ou l’inverse). Cela nous a permis de revenir avec quelques belles images qui donnent une vision encore plus vivante de cette Auvergne aux mille couleurs. Pour accéder à ces vidéos, il vous suffit de scanner les QR codes présents en fins de chapitres.


volvic

clermont-ferrand

orcet St maurice

St sandoux

5 A7

les vignerons nature d’Auvergne

St Georges-sur-allier

montaigut-le-blanc

issoire

madriat


patrick bouju

pierre beauger

Marie & vincent tricot

Vincent marie

libre et conscient p.014

celui qui ne voulait pas être p.132

tout simplement p.034

pure énergie p.166

aurélien lefort

stéphane majeune

accord parfait p.050

leçon de vie p.188 mito inoue

thierry renard

hors cadre p.078

entre rêve et chimère p.206

frédéric gounan

benoit rosenberger

la sagesse de l’instinct p.090 françois dhumes

renaissance p.220 jean maupertuis

à l’épreuve du temps p.118

LE PIONNIER p.234

avant-propos P.002 carte P.004

Pierre Jancou P.006 clovis ochin P.070 ewen le moigne P.112 harry lester P.158 mickaël lemasle P.198

sommaire P.005

épilogue P.248 glossaire P.250 remerciements P.252


les vignerons nature d’Auvergne


“Ce que je cherche dans le vin, c’est de l’émotion, de l’énergie, qu’il me donne quelque chose, qu’il me fasse voyager. J’ai tout ça en Auvergne.”


les vignerons nature d’Auvergne

p i ERRE

jANCOU

Créateur boulimique

‘‘Inventeur de la cuisine brute’’, ‘‘restaurateur à succès et en série’’, ‘‘badboy tatoué de la bistronomie’’, ‘‘créateur de lieux rares’’, ‘‘passeur de vins naturels et de produits d’exception’’, Pierre Jancou est un habitué des titres élogieux et des belles pages de la presse gastronomique. Figure emblématique de la restauration parisienne depuis près de trente ans, il fait partie des chefs qui ont défini les contours de cette nouvelle gastronomie et redonné ses lettres de noblesse à une cuisine française qui s’était sérieusement assoupie. Le créateur des restaurants Racines, Vivant, la Crémerie, Heimat et Achille est un des premiers à avoir revalorisé le produit, prônant la simplicité voire la brutalité d’une cuisine authentique et conviviale débarrassée des accessoires en dentelles et des sauces bien trop encombrantes. Au début des années deux mille, il fait également partie de la deuxième génération des promoteurs du vin naturel. Après les précurseurs des années quatre-vingt-dix que sont, entre autres, Jean-Pierre Robinot, Bernard Pontonnier dit ‘‘Ponpon’’ ou Olivier Camus, Pierre Jancou reprend le flambeau et poursuit l’exploration des vins vivants. Il est le premier à proposer sur la carte d’un restaurant gastronomique des vins naturels d’Auvergne. Rien que pour cela, il nous semblait évident de lui donner la parole en introduction de cet ouvrage.



les vignerons nature d’Auvergne

Peux-tu nous expliquer la différence entre le vin nature et ce que tu appelles le « vin vivant », auquel tu as dédié un livre en 20111 ? Il y a une grande différence selon moi entre les vins vivants et les vins nature, pour la simple et bonne raison qu’il y a un peu de tout aujourd’hui dans les vins nature. Tu as des trucs qui se font avec des techniques de froid2, certains avec pas mal de traitements dans la vigne, d’autres sont légèrement sulfités, certains sont même levurés3. Et pourtant, on appelle cela des vins nature ! Pour moi, actuellement, dans le mouvement du vin nature, il y a d’un côté les vins commerciaux et de l’autre les ‘‘zéro-zéro’’. Les premiers, que l’on trouve partout, sont très techniques et, personnellement, ne me donnent pas de plaisir. Ils sont réalisés par des vignerons qui ont fait beaucoup pour le mouvement et que je respecte. Mais j’ai le droit d’avoir un goût et celui-ci va plus vers des choses hyper pures, des vins sans aucun intrant et sans aucune intervention. C’est ce que j’appelle les vins vivants ou les ‘‘zéro-zéro’’. Je reconnais que ce sont des vins qui peuvent être difficiles à appréhender mais j’ai toujours essayé de les

introduire auprès de mes clients avec douceur. J’adore par exemple discuter avec des petits vieux qui ont toujours bu des bordelais bien boisés. La plupart du temps, j’arrive à leur transmettre ma passion, ma différence de goût et, au final, ils la comprennent et arrivent même à apprécier les vins que je leur propose. Pour moi, c’est ça le vin nature, c’est faire avancer les choses, c’est être ouvert au goût des autres, c’est une éducation, de la pédagogie. Il faut arriver à faire comprendre aux gens qu’il y a un autre monde du vin où on recherche la finesse. Ce sont des vins parfois égrappés grain par grain, c’est un travail de dingue avec des rendements qui parfois plafonnent à 4 hl/ha, c’est manuel, c’est vraiment de l’artisanat. En partageant ma passion, en faisant comprendre cela, je peux t’assurer que les gens relativisent et revoient leurs a priori. Quand as-tu découvert tes premiers vins d’Auvergne ? Les premiers vins d’Auvergne qui m’ont marqué, ce sont ceux du domaine de Peyra et de Pierre Beauger. Je me souviens qu’en 2004, j’avais racheté tous les stocks

1. ‘‘Vin vivant: portraits de vignerons au naturel’’ aux éditions Alternatives – 25 août 2011 / 2. Techniques de refroidissement qui nécessitent un matériel spécifique et ne sont pas considérées comme des méthodes de vinification dites naturelles. / 3. La majorité des vignerons nature utilisent des levures indigènes, celles naturellement présentes sur les raisins et dans le chai. On peut également choisir d’utiliser des levures exogènes cultivées en laboratoire afin de faciliter la fermentation ou modifier les arômes. Ces vins dits ‘‘levurés’’ ne sont pas considérés comme ‘‘naturels’’.


de ‘‘9,47’’ (cuvée primeur réalisée par Stéphane Majeune du domaine de Peyra, qui titrait à 9,47° d’alcool, voir p.188) à Paris aux mecs qui disaient ‘‘Ouais, c’est bizarre ce truc.’’ Je reprenais tout (rires). J’ai bu le dernier magnum il y a un an et ça goûtait encore, alors que c’était un primeur ! C’est incroyable. Pierre Beauger (p.132), lui, je l’ai découvert en 2002 à la Dive Bouteille, alors qu’il n’avait même pas de stand. Il était dehors, devant l’entrée, sur une caisse, et faisait goûter ses vins bizarres. Il vendait le ‘‘TNT’’, un vin naturellement trouble, et il disait ‘‘Putain, j’ai peur que ça pète en cave !’’ (rires). J’ai vraiment découvert les vins d’Auvergne grâce à lui. Je suis allé le voir et, quand je suis arrivé sur le plateau de Gergovie, j’ai halluciné. J’ai ressenti quelque chose de très, très fort. J’ai pris une grosse claque et c’est là que ma passion des vins d’Auvergne est née. Ensuite, petit à petit, j’ai rencontré tous les autres vignerons : Fred Gounan de l’Arbre Blanc (p.90), je devais être un de ses premiers clients à Paris ; Patrick Bouju (p.14), j’étais dingue de ses vins, mais comme il est un peu bordélique, il ne me rappelait jamais, j’ai mis du temps à bosser avec lui ; François Dhumes (p.118) que je suis depuis le tout début ; Aurélien Lefort évidemment (p.50) ou encore Mito Inoue (p.206). Pour moi, tu reconnais le mec derrière son vin. Le caractère du vigneron, tu le ressens dans le vin. Personnellement, si je ne m’entends pas avec un mec, si on n’est pas pote, à 90%, le vin ne me plaira pas non plus. Je veux que les vins me parlent. Ici, chez Achille, je voulais faire une carte de vins où il y aurait écrit ‘‘Vins d’Auvergne et d’ailleurs’’. Je le ferai peut-être dans un autre établissement. Aujourd’hui, je n’arrive presque plus à boire autre chose que de l’Auvergne. Je prends encore du plaisir avec d’autres vins, mais ce sont vraiment ceux que j’ai envie de boire tout le temps. Comment qualifierais-tu la spécificité des vins d’Auvergne ? Déjà, je pense que les Ducs de Bourgogne ont déconné lorsqu’ils ont dit que le gamay n’était pas un cépage assez noble et qu’il a atterri dans le Mâconnais, puis dans le Beaujolais. Pour moi, le gamay est un des plus beaux cépages qui existent. En tout cas, c’est mon préféré. Comme dirait un peu tout le monde, c’est mon produit de beauté. Et le gamay d’Auvergne est extraordinaire car il a des particularités gustatives exceptionnelles. Tu le vois déjà au niveau du raisin : il est plus petit que le gamay Beaujolais, il est plus raffiné, plus délicat. Après, je ne suis pas géologue du tout, mais ce que j’aime dans l’Auvergne, c’est ce côté fumé, profond, ce sont des vins de soif, mais, en même temps, il y a du répondant, il y a un aspect terreux. J’adore ça, je suis passionné par le gamay d’Auvergne, tout comme le pinot d’Auvergne ou le chardonnay d’Auvergne, d’ailleurs. Ce que je cherche dans le vin, c’est de l’émotion, de l’énergie, qu’il me donne quelque chose, qu’il me fasse voyager. J’ai tout ça en Auvergne. C’est triste que cette région ne soit pas réputée pour le vin alors que c’est un terroir complètement magique. Mais avec cette belle famille de Gaulois qui font du vin vivant, ça pourrait changer.


les vignerons nature d’Auvergne

As-tu rencontré des difficultés au début pour vendre des vins d’Auvergne dans tes restaurants ? Les premières années, ça a été vraiment rock ’n’ roll, que ce soit les vins d’Auvergne, d’Ardèche ou d’ailleurs. Je me souviens une fois d’un client avec qui j’avais vraiment failli me fâcher. On était chez Racines. Je pensais lui faire plaisir en lui servant un Champignon Magique 2007 de Pierre Beauger. Le mec s’est véner en me disant que ce n’était pas du vin, il était vraiment insultant, genre ‘‘C’est dégueulasse, ça mérite de partir direct dans l’évier.’’ J’avais été obligé de le remettre en place en lui expliquant qu’il avait le droit de ne pas aimer, mais qu’il ne pouvait pas être insultant. Ça avait failli partir en sucette (rires). J’ai eu plein de gens vindicatifs comme ça, mais c’est le métier, il faut savoir écouter, être diplomate sans non plus se faire marcher dessus. Ça a été un combat permanent et je pense que, justement, petit à petit, avec l’éducation et la passion, tu fais passer le message. Ce qu’il y a de triste aujourd’hui, c’est qu’il y a des endroits à la mode où on te fout par exemple une bouteille de Daniel Sage, qui pour moi est

s’est créé là-haut, avec ses vignes, ses murs en pierres, les balançoires pour les enfants. Après, évidemment, il y a les vins d’Aurélien Lefort. Pour moi, il s’améliore d’année en année. Son premier blanc, ‘‘Veines & Nœuds’’, m’a vraiment secoué, j’ai eu une grande émotion. C’est un blanc de macération à l’auvergnate, donc il n’y a pas ce côté exubérant, limite putassier, que l’on peut retrouver sur certaines macérations. Sinon, mes deux cuvées préférées chez lui, c’est ‘‘BLOB’’ et ‘‘maison-dieu’’, qui a eu pas mal de soucis. Elle a notamment eu du mal à finir ses sucres. Il y a un peu de vol, mais je suis un fan de volatile, surtout quand elle est maîtrisée sur un terroir de malade comme chez Castex, par exemple. Ça ramène une gourmandise, une tension au vin, c’est extraordinaire. Tu as une relation particulière avec Aurélien Lefort ? J’ai rencontré Aurélien il y a quatre ans et, depuis, on est vraiment devenu très amis. On est très proches. Quand tu vas chez lui pendant les vendanges et que tu descends ensuite à la cave, tu comprends mieux le vin

“Je voulais faire une carte de vins où il y aurait écrit‘vins d’Auvergne et d’ailleurs’” une merveille, sans aucune explication. Alors évidemment, le client va dire ‘‘Excusez-moi, il y a du gaz, ça ne me plaît pas.’’ Et là, on le regarde comme une merde, on lui change la bouteille et puis on lui file un truc plus classique. Je pense que le dialogue se perd aujourd’hui. Il faut que les sommeliers et les cavistes apprennent un peu plus, qu’ils aient un peu plus de vocabulaire. Il faut expliquer pourquoi il y a du gaz, peut-être qu’il faut carafer, etc. Il faut se mettre au niveau de la personne avec qui tu parles, comprendre son goût. As-tu un vin qui t’a particulièrement marqué en Auvergne, un vin culte ? C’est difficile, j’en ai plusieurs. Pierre Beauger et Patrick Bouju sont évidemment les figures de proue des vins d’Auvergne, donc leurs vins sont cultes. Pour moi, déjà, il y a le ‘‘Litre de la Jungle’’ de Patrick. C’est un truc tellement rare, ces vieilles vignes de pinot noir sont tellement extraordinaires, que l’on n’arrive pas à l’attendre, mais j’imagine très bien ce que ça pourrait donner avec dix ans de cave. Pierre Beauger, lui, a vraiment une patte incroyable, ce côté vin de paille. Ce qu’il fait avec son raisin, sa façon de trier grain par grain, sa petite table dans son grenier où il fait sécher les grappes, il a vraiment sa technique à lui. Quand tu mets le nez sur un de ses vins, tu le reconnais entre mille, que ce soit en rouge ou en blanc, tu sais que c’est du Beauger. Mais, pour moi, ce n’est pas du vin, c’est un élixir. Et puis c’est magnifique le petit paradis qu’il

et comment il arrive à obtenir cette finesse, cette délicatesse. Tout est égrappé nickel, c’est parfait. Il laisse les baies compoter un mois, un mois et demi. Ça devient du vin dans le raisin et seulement ensuite il presse, tout doucement, gentiment. J’ai vraiment eu un coup de cœur impressionnant pour ses vins. On ressent toute sa sensibilité dans ses bouteilles, son côté artistique. Tu vois que c’est un type qui se pose des questions, qui va chercher. J’adore passer du temps avec lui, toucher du raisin avec lui, apprendre de lui. Moi, je lui apprends à faire des gnocchis et d’autres trucs de cuisine, on bouffe, on échange. C’est ça la vie pour moi. Au final, on se ressemble beaucoup tous les deux, on est à fleur de peau. Nous avons d’ailleurs des projets en commun. Dans un rêve absolu, je verrais bien un endroit où il pourrait cultiver ses trois ou quatre hectares, où il pourrait enfin avoir du raisin et faire un peu de volume pour s’éclater et faire vivre sa famille, et moi j’aurais ma petite auberge et une petite vigne. Après, je n’ai pas envie d’être vigneron. Mais avec Aurélien, on peut s’entraider, se donner des coups de main. Lui, c’est un vigneron, un vrai, donc c’est évident que le jour où j’aurais une petite vigne, il me donnera des conseils, même si c’est juste pour le plaisir. Après trente ans dans la restauration parisienne, qu’est-ce qui t’a décidé à quitter cette ville pour commencer une nouvelle vie ? Aujourd’hui, j’ai une sorte d’appel en moi qui me dit


‘‘Allez, arrête, maintenant tu quittes Paris.’’ J’aime cette ville, j’avais une grand-mère parisienne, je connais les fables de la Fontaine en argot, je suis un amoureux de Paris, mais je n’en peux plus, je ne peux plus y vivre toute l’année. Je me suis fatigué de la restauration parisienne. J’en ai marre de ce que c’est devenu, ça me gonfle royalement. C’est trop superficiel. J’ai envie de cuisiner, mais pour des gens plus simples. Un peu comme Harry (Lester, voir p.158) à Clermont. Pour moi, c’est le plus grand chef du monde ! Il faut lui faire une statue. J’adore ce gars, j’adore son boulot, j’adore sa cuisine, son énergie, sa simplicité. C’est vraiment un pur mec. Il est arrivé à Clermont, ce n’était personne. Il lui a fallu quatre ou cinq ans pour que les gens le respectent et, aujourd’hui, il est devenu la coqueluche de la ville. C’est un peu dans le même esprit que je vois le truc. J’ai envie d’aller ailleurs, dans ma province. J’ai envie d’autre chose, de faire à manger aux gens en étant raisonnable sur les marges. Une bouteille comme ça (on boit un vin d’Aurélien Lefort), ça me coûte 15 euros. Je vais vendre ça 29 sur table. Ça me semble raisonnable, je gagne autant que le vigneron alors que je n’ai rien fait. A Paris, ils vont te mettre ça entre 59 et 65 euros. Parce que c’est rare, personne n’en a du Lefort. Chez Achille, je le vendais 59, sinon je préférais le boire. Alors que là-bas, 30 euros dans une bouteille, c’est déjà beaucoup de sous. Le verre de vin, je vais le faire entre 2 et 4 euros. J’ai envie de démocratiser l’accès à ces

vins considérés comme rares. J’ai envie que les gens puissent se faire plaisir. A quand Pierre Jancou vigneron ? Je rêverais de faire du vin un jour. J’en ai fait un petit peu en 2014, chez moi, dans le Diois sur 2000 mètres carrés que j’ai eu le droit de travailler pendant une année. Ça m’a piqué. Mais je n’aurais jamais la prétention d’être vigneron. Je suis un bistrotier, à la rigueur un caviste, un vendeur de pinard, mais je ne suis pas un vigneron. Je suis un passionné de vin qui a envie de faire du vin, pour lui. Et j’ai la chance d’avoir plein de copains qui peuvent m’aider, me donner des conseils. J’ai envie de mieux comprendre tous les mécanismes. Je veux continuer mon apprentissage, mais uniquement dans un but passionnel, pour faire une ou deux barriques, pour boire, pour faire goûter aux potes et c’est tout. Aujourd’hui, je cherche un petit paradis qui soit accessible. Je ne suis pas sûr de trouver, mais je cherche. C’est comme chiner une boutique sur Paris. Il faut rêver ! Cet entretien a été réalisé en septembre 2017. Depuis juillet 2018, Pierre Jancou a repris le Café des Alpes dans son village de Châtillon-en-Diois. Il propose une cuisine de terroir réalisée à 100% avec des produits locaux. Dans le même temps, dans sa maison, il a démarré un petit négoce avec son ami Aurélien Lefort. Plus motivé que jamais, il est heureux d’avoir quitté Paris pour de bon et touche enfin son rêve du bout des doigts. Café des Alpes - Rue Du Reclus, 26410, Châtillon en Diois


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p a t r i c k

bouju

libre et conscient

Précurseur du vin naturel en Auvergne et chantre convaincu du laisser-faire détendu, Patrick Bouju est devenu, presque malgré lui, le chef de fil d’un mouvement conscient et militant pour le vin libre. Tout a commencé avec Patrick Bouju. Quand, au sortir de l’hiver et enfin remis de notre épopée angevine de début février, j’annonçais à Harry que nous étions invités à Vinicircus, grande fête du vin nature organisée à Guipel, en plein cœur de la Bretagne, son visage s’était éclairé comme à l’annonce de l’arrivée du nouveau millésime de Julien Guillot chez son caviste préféré. Soixante-treize vigneronnes et vignerons s’y étaient donné rendez-vous dans une ambiance amicale et festive, pour un weekend réputé chez tous les itinérants des salons de ‘‘jaja’’ comme un marathon de la déconne qui ne laisse personne indifférent ni tout à fait indemne. Outre le plaisir de festoyer avec quelques amis, l’idée était d’y griffonner quelques bons mots sur notre premier opus bourguignon. Seule ombre au tableau, notre stand de dédicaces était, cette année-là, malheureusement relégué dans une salle annexe où se pressait autant de monde qu’à l’ouverture d’un bureau de vote un dimanche matin d’élection législative. Après un samedi morose à tenter de vendre


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notre ouvrage sans grand succès – mélancolie que nous avons solidement combattue le soir venu avec nos amis vignerons et leurs munitions – nous nous sommes décidés le lendemain à déménager sous le grand chapiteau. Deux intérêts à ce mouvement : 1) être plus proche des acheteurs potentiels. 2) être plus proche des vignerons et de leurs bouteilles. C’est entre JeanLouis Pinto et Patrick Bouju que nous avons atterri grâce à l’accueil de Justine, la compagne de Patrick, qui nous avait encouragés à effectuer cette transhumance d’autant plus salvatrice que nous avons ainsi pu vendre des livres tout en évitant la déshydratation. Mais surtout, nous avons pu évoquer avec Patrick Bouju la possibilité de réaliser un ouvrage sur les vignerons d’Auvergne. Région viticole méconnue, cadre et paysages somptueux, liste des acteurs du casting alléchante. Vendu ! Patrick partageait notre enthousiasme et proposait même de jouer les entremetteurs afin de motiver ses petits camarades à participer au projet. Quelques échanges de SMS, deux, trois coups de fil, le rendez-vous était fixé au lundi 10 juillet 2017, date du début de notre périple auvergnat.

“Je repense souvent à ces années où je vendais mes bouteilles dix-huit francs sur les petits marchés.” Il faut un peu plus de quatre heures de route pour rejoindre Saint-George-sur-Allier depuis Paris et presque autant de temps pour trouver la maison d’un vigneron – ou quelques barres de réseau pour lui envoyer un SOS de détresse – dans cette belle Auvergne aux accents rustiques. Un phare dans la nuit. On se dirige vers le clocher de l’église. Le réseau nous accorde un répit, Patrick et Justine viennent à notre rencontre. Le temps est menaçant en ce début d’après-midi d’été. Le ciel noir et les violentes rafales de vent inquiètent notre vigneron pourtant naturellement peu enclin à l’anxiété. Quelques jours plus tôt, la grêle a sévi dans la région et les impacts ont eu raison de quelques jeunes grappes, pourtant peu nombreuses après le terrible gel de fin avril. Une nouvelle salve pourrait s’avérer catastrophique. On s’installe en cuisine. Patrick a racheté cette maison il y a quelques années à un couple de ‘‘vieux Portugais’’ et n’a, selon ses dires, presque rien changé. Meubles anciens, balance Berkel vintage, des affiches de salons devenus mythiques, quelques bouteilles vides, d’autres pleines, une cuisine remplie de

souvenirs dans laquelle on entendrait presque les échos des rires et des chants des nombreuses soirées entre amis qui s’y sont déroulées. L’endroit est idéal pour revenir quelques années en arrière. « J’ai grandi à côté de Tours, dans la Vienne, à Châtellerault. Je n’étais pas du tout destiné à faire du vin. J’ai fait des études de chimie fine, une partie à Clermont-Ferrand où j’ai d’ailleurs rencontré la mère de mes enfants, puis à Toulouse et à Rennes. Je commençais à boire du vin, mais j’avais un souci, je ne supportais pas les vins classiques du fait d’une intolérance aux sulfites. J’ai donc commencé à rencontrer les premiers gens qui faisaient du sans soufre en 1994, 1995. A Rennes, au Tir Bouchon et dans quelques autres endroits, tu pouvais boire du vin nature, notamment des Puzelat, des Courtois, Lapierre. On m’avait dit : ‘‘Vas-y bois ça, tu ne seras pas malade.’’ C’était déjà une bonne chose mais, surtout, j’ai trouvé ça super bon ! (rires) C’était une période en pleine ébullition. Et puis est venu le moment de faire l’armée. Avec chance, j’ai pu partir à Chalon-sur-Saône. Je me suis retrouvé dans le pays du vin avec des fils de vignerons. Je me faisais un peu chier, mais ils m’ont payé une formation viticole à Beaune pour faire un bac pro. J’en ai profité pour apprendre le métier, aller goûter à droite à gauche et puis, à la fin de l’armée, il a fallu trouver du boulot, parce qu’entre-temps, j’avais perdu ma bourse de thèse. C’est alors que j’ai commencé à prendre une vigne, puis deux, en Auvergne, région d’origine de mon ex-femme. A l’époque, personne ne parlait des vins d’Auvergne. Il y avait des vignerons classiques, mais dans le nature, ça commençait tout juste. Il y avait simplement le domaine de Peyra (voir p.188) avec Jean Maupertuis (voir p.234) qui, pour moi, est vraiment le pionnier dans la région. De mon côté, j’avais vraiment envie de faire de la vigne, mais je savais que je ne pouvais pas en vivre. D’ailleurs au début, je n’avais pas l’intention de vendre mon vin. Faut dire que je ne faisais que du vinaigre ! (rires) Mon premier millésime, en 1997, n’était pas si mal, mais le deuxième était totalement raté, le troisième également. J’étais obligé de faire plein de petits boulots à côté, il fallait bien croûter, car même si j’étais ingénieur, je ne trouvais pas de job. J’ai alors commencé à bosser chez un vigneron conventionnel pour une vendange, de la taille, un peu de vinification puis une période de chômage... J’ai pas mal galéré. C’est là que j’ai décidé de me reconvertir dans



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l’informatique. J’ai alors bossé pour EDF avec des contrats qui m’envoyaient un peu partout en France. Ça a duré jusqu’en 2008 et, en parallèle, j’avais toujours ma vigne. En 2000, j’avais réussi quelque chose de pas trop mal. 2001, ça commençait tout juste à être bien et puis mon premier millésime commercial c’est 2002. L’avantage de mon job d’informaticien, c’est que je bossais souvent de nuit ou alors je faisais les trois-huit, donc j’avais vachement de temps à côté, je pouvais bosser sur mon hectare et demi. Par contre, à l’époque, les débouchés commerciaux étaient compliqués. J’ai tenté de faire des marchés, sans trop de succès. Pourtant à cette période, le Peyra avait quand même sorti des millésimes incroyables. Le 2000 était d’anthologie, 2001 était somptueux. Mais le vin nature, c’était vraiment une nouvelle aventure. Pour moi, je le voyais comme ça. Tu pars avec un petit bout de vigne, deux, trois tonneaux, peu de moyens, t’arrives à faire du vin. Il y avait évidemment des vignerons comme Pierre Overnoy et d’autres qui étaient là depuis plusieurs années, mais je ne les connaissais pas vraiment, il y avait peu d’échanges. Et puis est arrivé le salon des 10 Vins Cochons (salon créé par Emmanuel Chavassieux et Stéphane Majeune, voir p.188). Au-delà des débouchés commerciaux, j’ai vraiment beaucoup appris sur ces salons, en discutant avec d’autres vignerons, en buvant leurs vins. J’ai pu aussi rencontrer des professionnels du milieu et mon importateur japonais qui m’ont acheté des volumes et m’ont conforté dans l’idée que j’allais dans le bon sens. Car il faut se rendre compte qu’à l’époque c’était hyper dur de vendre du vin ! Maintenant c’est très facile, mais j’ai vraiment galéré au début. Je repense souvent à ces années où je vendais mes bouteilles dix-huit francs sur les petits marchés (rires). En 2008 j’ai arrêté mon job dans l’informatique pour me consacrer à 100% à celui de vigneron. Après, faut être clair, faire du vin nature ça ne rapporte pas, surtout si tu passes ton temps à faire différents essais. Si t’es tout seul, tu peux te dire que tu prends tous les risques, mais moi j’avais quand même deux enfants. Pourtant je n’avais pas envie de faire des concessions sur mes cuvées pour pouvoir les vendre plus facilement. D’ailleurs aujourd’hui, ça m’ennuie, mais j’ai l’impression de parfois faire des concessions, notamment en sortant des cuvées plus abordables, plus sur le fruit. On dit toujours que le vin nature c’est fun, c’est drôle, mais au final t’as un consommateur au bout qui n’est pas toujours ouvert, à part évidemment quelques énergumènes qui aiment les expériences. Surtout que, vu les coefficients appliqués par les restaurants maintenant, toutes les bouteilles sont à quarante, cinquante euros. Si tu te plantes en choisissant une quille, ça fait mal. Bref, les essais ne sont pas toujours bien perçus, on te fait comprendre qu’il ne faut pas prendre trop de risques. Il n’y a que les Japonais qui sont toujours contents. Heureusement qu’ils sont là. Il y a certains importateurs qui ne sont pas très funs, mais le mien est génial (Vinscoeur). On a vraiment grandi ensemble, ils ont tout de suite pris de gros volumes. »


“Comme je ne suis pas du coin, que je travaille différemment, personne ici n’a voulu me vendre de vigne.” Le temps se calme. La pluie fine a laissé place à de belles éclaircies. Nous décidons d’en profiter pour aller faire un tour dans les vignes. Après une dizaine de minutes de route, nous commençons à apercevoir les majestueux contreforts du Forez. Sur chaque butte, des châteaux, plus ou moins imposants, montent la garde. En revanche, il est difficile d’apercevoir les vignes qui sont clairement en infériorité numérique face aux champs de céréales. On finit par identifier une belle parcelle de quelques hectares en coteaux : ‘‘Là, c’est un superbe terroir, malheureusement elle appartient à la coopérative’’, nous confie Patrick dont la déception devant un tel gâchis me rappelle la fois où j’avais retrouvé un mètre de saucisse calabraise de Manu Chavassieux périmé de quatre semaines dans le fond de mon frigo. Ce crève-cœur digéré – pas la saucisse, la vigne de la cave coop’ – notre guide profite du voyage pour nous faire un bref rappel historique ponctué de quelques touches géologiques. « En Auvergne, il n’y a presque plus de vignes, le vignoble est très morcelé. Jusqu’en 1905 environ, tous les coteaux étaient plantés en vignes, mais le phylloxera a tout ravagé. A l’époque, le Puy-deDôme était le troisième département viticole de France en volume. On faisait plus de vin qu’en Bourgogne, même s’ils n’étaient pas de grande qualité. Ils ont replanté après le phylloxera, mais la première guerre mondiale a fini de saigner les campagnes. Il y a eu une terrible épuration. Il n’y avait plus de bras et puis les maladies se sont développées, le mildiou notamment. L’expansion de la voie ferrée a ensuite favorisé le transit des vins du Sud vers Paris, au détriment de la production locale. Après la deuxième guerre mondiale, c’était terminé, les vignes avaient totalement disparu. Pourtant, les terroirs sont très complexes, tu as une grande diversité géologique. Il y a évidemment une importante influence volcanique et c’est ce que j’aime ici, car cela donne des vins avec une forte identité. Il existe différents volcanismes, plus ou moins anciens. En Auvergne, il est assez récent. Dans le Puy-de-Dôme par exemple, les hommes ont vu les dernières érup-

tions, je crois que c’était il y a 15 000 ans. C’est du volcanisme sur de l’oligocène, du calcaire, et ça a donné un mélange de calcaire et d’inclusions de lave par exemple. Cela a produit ce que l’on appelle des pépérites. Sinon tu peux aussi avoir des sables, des granites, c’est impressionnant, tu as de tout, et ça se ressent clairement dans les vins. » Nous arrivons sur les hauteurs de Egliseneuve-près-Billom où s’étale la belle parcelle de 1,3 hectare de gamays centenaires, complantés avec de vieux cépages comme le limberger autrichien ou le gamay teinturier, à l’origine de la grande cuvée Bohème. D’ailleurs, lorsque l’on voit cette vigne majestueuse reposer à 450 mètres sur ces magnifiques coteaux aussi raides que verdoyants, on comprend mieux pourquoi Patrick a collé un chérubin – dessiné par l’artiste clermontois Fabien Harel – sur son étiquette. Ce lieu a tout d’un jardin d’Eden et on serait à peine surpris de voir débouler un angelot, glaive tournoyant en main, pour protéger l’arbre de vie contre lequel on aurait par inadvertance décidé d’effectuer une vidange sauvage. Heureusement pour nous et pour les arbres, nous n’avions à ce moment de la journée ni encore tâté de la pipette ni étudié en profondeur les dernières expérimentations de notre hôte. « Ça, ce sont des vignes assez récentes, plantées dans les années 1940. Ensuite, en descendant, elles sont un peu plus anciennes et, là-bas, sous le château, elles sont beaucoup plus vieilles, dans les 120 ans. La vigne est plantée en gamay d’Auvergne à petits et gros grains, car les vignes centenaires ne sont pas forcément très qualitatives. A un moment, le vin d’Auvergne, fallait que ça pisse ! Ils faisaient des rendements à 100, 120 hectos. On aime dire que comme c’est ancien, c’est meilleur, mais non (rires). Par contre, le fait que ce soit vieux, ça permet d’avoir un enracinement profond, ça permet de réguler les rendements. Après, les pauvres ont pris deux années de grêle plus un gel. Je n’ai pas coupé l’apex cette année (le bourgeon terminal). Y’a quelques vignerons qui font ça en Bourgogne, notamment Lalou Bize Leroy, ça permet de ne pas envoyer de message au raisin. Si tu coupes, tu favorises le raisin. Là, ça permet de favoriser l’acidité, d’avoir peut-être des raisins un peu moins gros, ça va s’autogérer. Quand j’ai repris ces vignes, il y avait tellement d’érosion, c’était tout blanc. Le calcaire est très proche ici. Depuis, j’ai travaillé les sols et j’ai re-


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trouvé de la souplesse dans la terre avec de l’humus. Là, je suis content, c’est souple, on y met la main. C’est aussi la biodynamie qui fait ça. J’en fais de temps en temps, quand il faut (rires). Je fais la 500 et la 501*, mais pas tout le temps. Avant, j’étais en enherbement total ici. Quand j’ai repris en 1999, c’était une vigne en chimie et l’herbe a permis d’épurer tous les désherbants, tous les systémiques et ça s’est remis en marche. Mais au final, c’est la chimie qui a sauvé cette vigne. Il faut comprendre que les vieux ici ont dégoûté les gamins de travailler car, à 14, 15 ans, ils bossaient tout à la pioche. S’il n’y avait pas eu les désherbants, tout le monde aurait arrêté et ils auraient été contraints d’arracher. C’est un gars qui m’a fait cette remarque il y a quelques années et, en effet, ce n’est pas con. Nous on voudrait évidemment que tout soit en bio, mais ce n’est pas toujours possible. Ces vignes ont été plantées en 1900, il y a plusieurs générations de vignerons qui y sont passés avec différentes approches. Je ne fais pas l’apologie de la chimie évidemment, mais replacée dans son contexte, avec les contraintes économiques de l’époque, à un moment où le vin ne se vendait plus, où les gens allaient bosser à l’usine, ça a permis de sauver certaines vignes. »

“Les Auvergnats n’aiment pas leur vin.” « Actuellement, on a un gros problème d’accession au foncier. Ceux qui plantent ne sont pas forcément des jeunes. Par exemple, ça fait vingt ans que je suis ici et je n’ai toujours pas ma propre vigne. C’est compliqué de planter et puis il y a une forte demande, beaucoup de gens voudraient faire du vin dans le coin. Et finalement ce qui se développe, c’est la cave coopérative. Comme je ne suis pas du coin, que je travaille différemment, personne ici n’a voulu me vendre de vigne. Ouais, ça va loin... Pour être considéré comme un local, il faut plusieurs générations au cimetière comme ils disent. A un moment donné, même si ce sont de très vieilles vignes qui ont 120 ans, tu ne peux pas rajouter de plants, tu ne peux pas investir, c’est compliqué. Il faut que ce soit donnant, donnant. Pour moi c’est vraiment difficile, mais je commence à me dire qu’à 44 ans je ne peux plus faire les mêmes choses qu’avant. A un moment, tu arrêtes de te battre. J’ai peutêtre besoin de changement... La mentalité ici est vraiment particulière, ils sont très durs, il y a vraiment une notion d’ap-

partenance, surtout sur les contreforts du Forez. En plaine, c’est différent. Je pense que c’est parce que la vie ici devait être très, très dure, les terres ne sont pas très fertiles, ils ont vraiment dû manquer de tout et c’est ancré en eux. Il faut aussi comprendre que, même si on est dans une région viticole, les Auvergnats n’aiment pas leur vin. Il y a un amour du petit lopin de vigne, mais le vin n’est pas valorisé. Ils ne se rendent pas compte que l’on peut vraiment faire de jolies choses grâce à cet énorme terroir. Et il y a vingt ans, c’était encore pire. Certaines parcelles, on me les a mises à disposition gratuitement. Le gars me disait : ‘‘ T’en feras jamais rien.’’ C’est vrai que ce sont des vignes très dures à travailler, mais j’ai une bonne petite équipe qui bosse avec moi. J’ai embauché une personne à plein temps et je travaille également avec des gens du voyage. C’est pour ça que j’ai une cuvée qui s’appelle le Môl. En gitan, ça veut dire ‘‘vin rouge’’. Ils m’aident à couper l’herbe, ébourgeonner, tailler, ils sont jusqu’à quatre parfois et ils bossent super bien. Ils ont une vraie connaissance, ils font ça depuis tout petits, et puis ils sont ultra courageux surtout. » Patrick s’arrête et admire le paysage pendant de longues secondes. Le vent souffle dans les vignes et chasse les nuages pour laisser place à un ciel clair. Les rayons du soleil se font plus intenses et diffusent une lumière éclatante, illuminant le tableau qui se dessine devant nous. Les contrastes sont saisissants, la gamme de verts semble infinie. Au loin, quelques brebis et maisons isolées servent de repère visuel pour évaluer les distances. Pâturages, petits bois, champs de blés se partagent ce paysage vallonné que les honorables volcans dominent tels des sentinelles, garants de la préservation de ce paradis naturel. « Tu vois, à chaque fois que je viens ici, je me dis que je ne peux pas laisser tomber cette vigne, c’est trop beau (rires). Mais y’a un autre gars qui s’installe, donc je vais peut-être lui en laisser un petit peu. Le but, c’est qu’il y ait une transmission. Et puis à un moment, je ne peux pas tout avoir, j’ai déjà sept hectares. C’est ce qui s’est passé avec Aurélien (Lefort, voir p.50). Je lui ai cédé certaines petites parcelles et puis ensuite il a trouvé les siennes. C’est vraiment une rencontre avec lui. J’étais à un salon Vinicircus et Aurélien vient me voir, il me dit : ‘‘J’aime bien tes vins, j’aimerais m’installer en Auvergne.’’ Ça tombait bien, je n’avais personne pour travailler avec moi. Donc il a commencé à bosser au domaine et puis


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“à chaque fois que je viens ici, je me dis que je ne peux pas laisser tomber cette vigne, c’est trop beau.”

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Vue de la parcelle de vignes centenaires de la cuvée Bohème.


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ensuite il a fait son chemin. Je me souviens que ce qui l’a marqué le premier jour quand il est arrivé, c’est la lumière. J’aime beaucoup ses vins, ils ont une très grande précision, c’est artistique. C’est quelqu’un qui sait où il va. » Nous reprenons la route direction Corent, site archéologique majeur sur lequel on peut admirer un oppidum où était érigée une ville gauloise de 25 000 habitants, probable capitale des Arvernes avant la conquête romaine. ‘‘Je suis passionné par l’histoire des Celtes’’, nous confie Patrick, intarissable sur le sujet. Sur les coteaux de ce plateau volcanique se trouvent les parcelles de pinot noir et gamay à l’origine des cuvées Cailloux, Lulu et Violette. Chez lui, une parcelle correspond à une cuvée, afin de privilégier le terroir. Ces dernières ont été fortement touchées par le gel au printemps, c’est la première fois en vingt ans que Patrick a autant de pertes. ‘‘D’habitude, on est pas trop affecté, mais là on a ramassé sévère. Moins six, moins sept en avril, ça fait mal’’, nous explique-t-il, fataliste. Il faut comprendre que ce coin d’Auvergne est caractérisé par un climat fortement continental, marqué par de grandes amplitudes de températures. « Ici, on est coincé entre deux montagnes, le Forez et la chaîne des Puys. On a entre 600 et 700 millimètres de pluie par an, mais dès que tu passes la chaîne de montagnes, t’as deux fois plus de pluie, c’est tout vert, c’est pour ça que tu fais des fromages. C’est comme en Alsace un peu, il peut faire très chaud et on a peu de flotte. Mes parcelles sont assez éloignées les unes des autres. C’est un inconvénient car c’est plus fatigant, notamment quand tu dois transporter du matos, mais d’un autre côté, j’aime ça parce que ça me permet de travailler différents terroirs et puis je minimise les risques de grêle. Logiquement, tu ne peux pas grêler partout… sauf l’année dernière (en 2016). C’était rageant, je me suis pris un gros coup de grêle en juin, tu te dis : ‘‘C’est bon, il me reste la moitié’’. Et là, en août, tu ramasses une autre salve sur la gueule et là il te reste plus qu’un tiers. Tu constates : ‘‘Ok, ça va pas faire beaucoup.’’ On est vraiment dans un méchant couloir de grêle. Ici, les parcelles semblent encore plus sauvages que les précédentes. Patrick est un fervent défenseur du laisser-faire. Et puis l’esthétique semble assez peu lui importer ou, plus vraisemblablement, il a sa propre vision des choses. Pas de palissage militaire, ni de rangs rectilignes, la vigne est vivante, légèrement sauvage voire

turbulente par endroits, notamment sur cette parcelle de pinot noir qui produit la mythique cuvée ‘‘Le litre de la jungle’’. Ici, le mot jungle prend tout son sens. Comme un enfant souffrant d’hyperactivité, la plante donne l’impression de n’en faire qu’à sa tête et Patrick, en bon père bienveillant à tendances libertaires, n’hésite pas à lui passer quelques caprices. Peu importe les rendements et les difficultés qu’il rencontre à travailler ce sol escarpé et, par endroits, totalement chaotique. Si la qualité des raisins est au rendez-vous et que la vigne vit bien, c’est l’essentiel. Mais n’allez pas croire que ce chaos apparent est le signe d’un manque de soin ou de vigilance. Patrick connaît parfaitement ce terroir, son fonctionnement et sa façon de réagir à ses différentes interventions. « Tu vois ces chardons-là, c’est un signe qu’on a fait une connerie, on a tassé les sols. Même avec un cheval, tu peux les tasser. On est passé un jour où il avait beaucoup plu et ce n’était pas le bon moment. Tu te retrouves ensuite avec des sols compactés alors que tu es 100% en bio, c’est con. Heureusement, les plantes corrigent ce dysfonctionnement. C’est là que se mettent à pousser des plantes à pivot qui vont aérer la terre. Ça explique la présence de ces chardons, alors qu’avant je n’en avais pas. Ce sont peutêtre des graines qui étaient en dormance depuis quarante ou cinquante ans. Ce sont ce que l’on appelle des plantes bio-indicatrices, c’est un signe que le sol est trop compact, elles sont là pour corriger ce dérèglement, mais ça prend du temps. »

“Il faut avoir l’honnêteté de reconnaître quand ton vin est flingué.” Retour à la maison. Cette petite balade sur les coteaux escarpés nous a légèrement asséché la gorge. Patrick nous propose d’y remédier avec une petite bulle tout juste dégorgée. Nous acceptons la prescription. Ninon et Lucas, les patrons de l’excellent restaurant Brutos – concept barbecue sud-américain et vin naturel dans le XIème à Paris –, de passage dans la région, se joignent à nous pour la dégustation. C’est la première fois que notre vigneron ouvre une bouteille de ce Festejar blanc. Il fait sauter la capsule, verse, approche le verre de son nez, goûte. Petite grimace mélangée à un timide sourire. « Ah y’a une petite souris* là quand même...


C’est marrant. C’est bien de commencer avec un vin comme ça (rires). C’est ça, le vin nature. Moi, j’adore être surpris. Tu t’attends à quelque chose et puis non, ce n’est pas du tout ça. Je vais faire ma vingtième vinification et je suis encore surpris. Bon après, moi ça ne me dérange pas, j’aime bien la souris. Parfois, il ne faut pas vouloir laver plus blanc que blanc… et puis, ça passe avec le temps. Je vais attendre trois mois, six mois… C’est 2015, j’ai encore le temps. (Il réfléchit) Là j’ai quand même envie d’aller en chercher une autre, à température, pour voir si c’est le froid du frigo qui a eu cet effet. C’est important de comprendre. (On se lève, on quitte la cuisine direction le chais) Cela fait des années que l’on travaille de la même façon et c’est seulement depuis 2010, 2011, que l’on a commencé à voir apparaître massivement les premiers problèmes de souris. Un jour, on a goûté un vieux millésime d’Overnoy et il y avait une souris. Cela veut dire que ça existait à l’époque, mais c’était très peu courant. Alors que depuis quelques années, ça s’est vraiment généralisé. En réfléchissant à la cause, je pencherais pour une inversion de flore. En gros, la nature évolue, s’adapte et à un moment donné, une fleur microbienne a muté et elle s’est mise à fabriquer des sous-produits un peu merdiques. C’est pour ça qu’aujourd’hui, chez les natures, il y en a beaucoup qui mettent un ou deux grammes de soufre pour éviter ce problème devenu très courant. Car il faut comprendre que quand tu as de la souris, tous les vins sont bloqués. Une année, j’avais grêlé, c’était déjà galère, et tous mes vins se sont mis à faire une souris, j’avais 8000 bouteilles invendables en cave. Heureusement que tu as les fidèles, notamment mes clients japonais, qui m’ont fait confiance. Bien souvent, le temps du voyage, les vins sont un peu secoués et la souris disparaît. Quand on travaille en zéro (soufre), il faut accepter que parfois ça se passe mal. Je n’ai mis qu’une seule fois du soufre dans mon vin, c’était en 2004, à la mise, sur une cuvée. Après, c’est un choix, j’ai beaucoup de perte, ça m’arrive de mettre en péril la santé de mon entreprise. Je le reconnais, c’est un peu de la bêtise, mais ce n’est pas pour la gloire. J’aurais pu, c’est vrai, un moment ou un autre, intervenir, mais je n’ai pas les automatismes pour corriger. J’ai des amis dans un labo en Alsace qui m’avaient prévenu : ‘‘Attention, t’es en train de faire une piqûre lactique.’’ Mais je me suis dit que ça allait se faire, je suis souvent confiant, je me dis que ça va s’arranger, notamment en assemblant les vins. Mais le souci, c’est que ça fait des vins un peu fragiles et après BAM !, on se retrouve avec une souris. Maintenant j’ai arrêté les assemblages que je faisais pour diluer le problème, car parfois tu mets juste 100 litres dans 7000 litres et ça te fout la chtouille ! (rires) Donc maintenant, quand ça m’arrive, je garde la cuve et j’en fais autre chose : des alcools, du gin, j’arrête de mélanger. Après, il y a eu des abus. En tant que vignerons, il faut avoir l’honnêteté de reconnaître quand ton vin est flingué. Il faut assumer et ne pas le mettre sur le marché. A un moment, on a commercialisé des vins totalement pétés en disant :


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‘‘C’est ça, le vin nature’’. Il ne faut s’en prendre qu’à nous-mêmes. C’est à nous d’être vigilants, de savoir garder les vins et de ne les présenter que quand ils sont bons. Naturellement, les prix des vins augmentent… J’ai plus que doublé en six ou sept ans, alors que moi j’aimais bien faire des vins pas chers. A la base, Violette, c’était une cuvée interdite aux pros. Tu ne la trouvais que chez moi à un prix dérisoire qui permettait à tout le monde de pouvoir acheter du vin. Aujourd’hui, même si le concept de spéculation dans le vin me fait horreur, sur les cuvées du domaine (Lulu, Violette, Cailloux, Bohème), je ne fais que 4 à 5000 bouteilles par an sur mes sept hectares et demi. C’est devenu le prix de la rareté. Mais, pour moi, le vrai problème c’est qu’actuellement plus personne ne veut attendre, il faut que les vins goûtent de suite. Avant, on mettait en bouteille, même si on avait beaucoup de volatile, et on attendait. Par exemple au domaine de Peyra, je me souviens qu’ils ont fait des trucs avec énormément de volatile. 2004 notamment, ouah ! Ce n’était pas buvable ! Alors que maintenant, c’est magnifique et tout le monde s’arrache les dernières quilles. Je comprends aussi très bien que, quand tu commences une affaire et que tu achètes soixante bouteilles, ce n’est pas pour qu’elles soient bonnes dans dix ans. Mais je constate quand même que le métier de la restauration a changé. Un gars comme Ewen (Le Moigne, sommelier au restaurant Saturne à Paris) prenait le temps de faire vieillir le vin par exemple. Il avait encore récemment des 2009 de chez moi, c’est une chance. Après les gens m’appelaient et me demandaient des 2009 en me disant : ‘‘Pourquoi vous ne voulez pas nous en vendre ?’’ J’étais obligé de leur expliquer qu’Ewen les avait achetés en 2011 et les avait conservés. Aujourd’hui, les gens ne gardent plus rien, même dans les restaurants, tout va trop vite. Et puis les goûts des consommateurs changent. Actuellement, la tendance c’est les vins sur le fruit, sans tanin. »

“Aujourd’hui, il faut que tout soit beau, que tout soit propre, même le vin nature. Moi, j’aime le chaos.” Pour poursuivre l’enquête sur la fameuse souris, Patrick nous entraîne en cuverie où palettes de bouteilles, machines et cartons coexistent dans un joyeux bazar. Un Festajar blanc, cette fois-ci à température, est désigné. Il sort du lot et se déverse, anxieux, dans le verre du patron. La

souris est clairement moins flagrante, mais elle n’a pas pour autant déserté le terrier. Il faudra attendre quelques temps pour que le rongeur quitte définitivement son antre. Derrière une bâche recouverte d’aluminium, une autre salle, dans laquelle somnole Lulu 2016, pique notre curiosité. Le majestueux cylindre en polyester attend patiemment son imminente subdivision en milliers de petits contenants en verre de 75cl. Auparavant, cette cuverie appartenait au domaine de Peyra. Patrick a eu l’opportunité de la racheter il y a un peu moins de dix ans, mettant ainsi un terme à une longue période d’itinérance où, la jeunesse et la motivation aidant, il travaillait vingt heures par jour, dormait à l’arrière de sa camionnette et vinifiait là où le vent le portait. L’origine du nom du domaine, la Bohème, prend alors tout son sens. ‘‘On descend à la cave ?’’ Curieusement, personne ne semble réfractaire pour s’enfoncer quelques mètres sous terre afin de poursuivre l’exploration des cuvées en gestation. La cave présente un profil similaire au reste des lieux : un charmant chaos organisé. C’est un lieu un peu bancal, au premier abord plutôt désordonné mais, là encore, plein de vie et de surprises, et je ne parle pas seulement de la dernière salle, véritable caverne aux trésors où Patrick entasse quelques-unes des plus belles références nature d’hier et d’aujourd’hui. « J’aime bien le chaos. Je n’aime pas quand c’est trop rangé, limite hôpital. Bon, j’avoue que c’est parfois difficile de trouver une bouteille. Certaines personnes sont tellement mal à l’aise ici qu’elles commencent à ranger et là je leur dis : ‘‘Oh hé, qu’est-ce que tu fais ?’’ (rires). C’est la même chose dans le vin. Aujourd’hui, on est un peu dans une mode où il faut que tout soit beau, que tout soit propre, même le vin nature ! Alors qu’avant, on avait le défaut de nos qualités. On faisait des vins plus sur la réduction, sur les autolyses, on se cherchait. Les gens étaient beaucoup plus indulgents. Maintenant, ils sentent, tout de suite ils te balancent : ‘‘Y’a de la souris, y’a un peu de volatile, t’as loupé ta cuvée.’’ Et là tu te dis : ‘‘Gros connard, non c’est pas comme ça !’’ Moi, j’ai beaucoup appris de la période où j’avais pas mal de vinifications foirées. Comme je bossais à côté, je n’avais pas le temps de faire de vrais stages. Je me souviens qu’il y a encore quelques années, certains employés me regardaient hallucinés et me demandaient : ‘‘Mais qu’est-ce que tu fais là ? Tu fais quoi avec les tuyaux ?’’ Je faisais des énormes conneries, je n’avais jamais vraiment appris, je ne savais pas travailler (rires). En vinification, j’ai fait de



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grosses boulettes, mais d’un autre côté ça m’a aussi permis de ne pas coller à une recette dès le départ. Maintenant on sait faire du vin nature, mais moi je n’ai pas envie de faire toujours la même chose, je veux ouvrir des fenêtres, ouvrir des portes. Bon, après c’est vrai qu’il faut vendre ton produit et parfois les clients ne sont pas forcément au rendez-vous, surtout maintenant d’ailleurs. A l’époque, on travaillait beaucoup plus sur la réduction, à l’abri de l’air, on pompait très peu les vins, donc on les élevait sur des lies un peu plus fortes et ça donnait naturellement des goûts. On travaillait aussi beaucoup sur l’autolyse*. C’est justement une des choses que je reproche aux vins de maintenant, le fait qu’ils soient moins travaillés sur l’autolyse. Pierre Overnoy disait toujours que c’était essentiel pour faire des grands vins, cela les nourrit. Comme maintenant on fait des vins nature pour qu’ils soient bus dans l’année, même si ce n’est pas le cas de tout le monde heureusement, on oublie cela. Je me souviens de certains vins totalement imbuvables en jeunesse, tellement ils étaient réduits. Et avec le temps, cette dégradation des levures les nourrit magnifiquement et leur apporte une finesse et une complexité incroyable. Les cépages comme le poulsard, le trousseau, le gamay, se prêtent très bien à cela. J’attache beaucoup d’importance au vieillissement. Il faut donner le temps au temps. On ne fait pas que des vins sur le fruit. On travaille les vignes avec le cheval, on essaie de faire ressortir le terroir, ce n’est pas pour faire que du fruit, mais pour qu’il y ait un patinage. J’essaie même de gommer le fruit parfois. Moi, le fruit, ça m’emmerde. Je fais du fruit sur des cuvées comme Festejar, mais sur les autres cuvées, je veux du fond. Je veux faire des vins d’antiquaire. J’aimerais faire vieillir mes vins davantage d’ailleurs. Avant, je faisais des élevages de deux voire trois ans. Maintenant, les cuvées plus terroir, je les passe en amphores, sauf le pinot noir où la barrique me semble incontournable. Vous le verrez d’ailleurs chez Fred Gounan (voir p.90), c’est un véritable expert du pinot noir, il maîtrise parfaitement les élevages longs. Au début, j’ai fait plein d’essais sur ce cépage et je suis finalement revenu vingt ans en arrière, avec un truc hyper classique : un tiers de vendange entière, deux tiers d’égrappée. Au lieu de longues macérations de cinq à six mois, je suis revenu à trois ou quatre semaines. Ensuite, un passage en fût et c’est tout. Quelque chose de très simple en somme. Je

pense que les Bourguignons ont tout compris. Parfois tu veux changer plein de choses, mais ça ne sert à rien (il sourit). Avec mes longues macérations, je sortais des jus à 15° voire 15,5°, mis en bouteille tout de suite, travaillés en oxydatif et, finalement, je suis revenu sur du très classique. Le pinot noir est très différent du gamay qui est pour moi un vrai punk, beaucoup plus malléable, sur lequel tu peux faire n’importe quoi. Il est plus fragile, il mûrit rapidement, monte vite en degrés, il est vraiment délicat. Faire un joli pinot noir, c’est compliqué, je commence tout juste à y arriver (il réfléchit, regoûte son fût pensif ). Je trouve vraiment qu’il est fermé aujourd’hui. On n’est pas dans un bon jour lunaire*. Je crois que l’on est sur une fin de ‘‘fruits*’’, on repasse sur un ‘‘racines’’ et, surtout, il y a un changement de lune. On sent que les vins sont brouillons. Après, bon... ce n’est pas que les vins sont mauvais, c’est plus qu’ils sont rentrés. Ce weekend, ils étaient beaucoup plus exubérants. Mais j’aime ça, les vins ne se donnent pas aisément, ce n’est pas tous les jours facile (rires). C’est comme le côté pétillant, c’est souvent ce que l’on nous reproche dans le vin nature. Mais il y a beaucoup d’évolution actuellement. Il y a les ‘‘zéro-zéro’’, ce sont les vignerons qui font du vin seulement avec du raisin, sans aucune modification, aucune intervention. C’est à dire que, par exemple, moi je ne dégaze jamais mes vins, alors que beaucoup de mes confrères dans le nature se le permettent aujourd’hui. C’est sûr que ça présente mieux les vins, ça les affine, mais moi je ne veux pas, c’est un choix. Il n’y a pas de mauvais vin pour moi, chacun fait ce qu’il veut... enfin, tant qu’il n’y a pas de soufre ! (rires) Non, mais c’est con, s’il y en a je ne peux pas en boire, ça me met direct en vrac et je deviens tout rouge. Vous aimez les vins oxydatifs, un peu sucrés, un peu bizarres ? Allez, je vais vous faire goûter un truc, c’est un petit OVNI, Objet Vineux Non Identifié (on le suit au fond de sa cave, il extrait un liquide doré d’un vieux fût qui traîne dans un coin, des saveurs incroyables nous taquinent les naseaux). Attention, il ne faut pas cracher ça ! (rires) C’est une petite gourmandise, c’est un de mes plus beaux aboutissements. Un vin comme ça, j’en ferai peut-être deux ou trois dans ma vie. Ça sort vraiment de l’ordinaire. C’est pour ça que le négoce c’est super, car c’est du vin que je n’aurais jamais pu travailler. Ce sont des raisins de Jean-François Chéné (vigneron à Beaulieu-sur-Layon, en Anjou, reconnu pour ses vins oxydatifs), pressés chez Babass (Sébastien Dervieux, autre vigneron mythique d’Anjou).


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à la natural

« Si on fait du vin nature, c’est aussi pour se marrer ! » Gros sons, beaux jus et belles amitiés. De Brooklyn à Chassignolles en passant par Paris, retour sur une aventure humaine qui a secoué les volcans d’Auvergne et repousser les barrières du vin nature. « C’est Clovis Ochin (voir p.70 qui est à l’origine de ce projet de collaboration. Il a rencontré Action Bronson il y a quelques temps et il lui a fait découvrir ses premiers vins nature. Il a débuté avec Susucaru de Cornelisen et puis Festejar et Lulu de chez moi. Un jour, Action est à Paris et Clovis m’appelle et me dit : ‘‘Viens, Action est au Palais de Tokyo.’’ On a sympathisé rapidement, c’est vraiment quelqu’un qui aime les produits, la bouffe, le vin. Et puis, lors d’une discussion entre mecs bourrés, Clovis a proposé qu’on fasse une cuvée ensemble. C’était en juin, Action était venu avec toute l’équipe de Vice TV pour tourner un épisode de Munchies en Auvergne. Il faisait 37 degrés ! On a fait ça pour se marrer, mais on l’a conçu ici, dans la cuisine, avec toute l’équipe de tournage. Y’avait Clovis, les mecs de

Vice, mais aussi Bertrand Grébaut (chef du Septime). On a commencé par boire plein de trucs, puis on est descendu pour goûter toute la cave, ça peut être très long car j’ai beaucoup de choses (rires). Après on a goûté pas mal de vieux vins, dont notamment un Peyra 2000, grand moment d’émotion. Ça, c’est Clovis... Je l’avais planqué pourtant, pour pas qu’il tombe dessus, mais il l’a repéré. Il voit la bouteille et là il commence, ‘‘gnagnagna’’, avec ses petits yeux de chien battu (rires). Bon, c’est vrai que c’était le bon moment pour la boire. On a ouvert la bouteille en bas et poouuuu... Millésime 2000, cuvée Le Puy, la bouteille avait dix-sept ans, c’était simplement somptueux. Le vin qui te marque, qui te reste en mémoire. Après, on a bu des jeroboams, Action nous a fait écouter son dernier album, la cave s’est transformée en dancefloor et on a décidé de partir à l’auberge de Chassignolles. Il faut une heure bien tassée pour y aller. Tu crois que c’est rapide, mais en fait non, notamment les dix derniers kilomètres. On a passé une soirée géniale là-bas, mais au retour on s’est fait choper par les flics. On roulait

les fenêtres ouvertes avec la musique à fond, on s’était un peu perdus. Heureusement on avait un chauffeur. Il a négocié plus d’une demi-heure avec les flics. Ça a été long, je ne sais pas ce qu’il leur a dit, mais c’était un sacré moment. On est rentré chez moi, et c’est là qu’on a commencé à préparer la cuvée ‘‘à la Natural’’. On a fait un assemblage des cuvées de négoce et des cuvées de chez moi. Cette première cuvée, je la voulais un peu costaud, pour aller sur des sandwichs. Ensuite, on a un peu plus affiné. Par la suite, on a aussi prévu de faire un blanc. Mais il faut qu’il y ait une légitimité, je ne veux pas que ce soit vu comme un pauvre coup marketing. Les vins nature, c’est une rencontre. Même si on devrait faire pas loin de 8000 bouteilles, on a vraiment fait ça à la base pour se marrer, avec beaucoup de simplicité. D’ailleurs, pour moi, c’est vraiment une belle illustration du vin nature : redonner un peu d’énergie, de peps à quelque chose qui ronronne peut-être un peu trop parfois. On aime travailler les terroirs évidemment, mais il faut garder ce côté festif. Si on fait du vin nature, c’est aussi pour se marrer. »


C’est un chenin en surmaturité, une petite sélection de grains nobles, élevé en oxydatif, mais comme je voulais que l’on ait une belle acidité, on n’a pas poussé en vinification. Pour moi, c’est vraiment un antidépresseur. Tu sens la pâte de coings acide, les vieux meubles de mémé, ça fait voyager… Là ça commence à être pas mal je trouve. Quand il sera prêt, je ferai des petites bouteilles, car quand tu vois le nombre de grappes qu’il faut pour faire ça, c’est dingue. Je suis un grand fan de chenin, de grolleau, de cabernet franc. Ce qui m’éclaterait, tout en gardant mes vignes ici, ce serait d’aller travailler dans la Loire pour faire un chenin liquoreux. Ce serait un vrai aboutissement, je rêverais de faire ça. »

Patrick est un rêveur. On le comprend vite quand on croise son regard, ses yeux clairs, son sourire sincère, foncièrement honnête et son côté presque espiègle quand il admire sa vigne, caresse une feuille ou goûte un jeune vin. C’est un amoureux de la vie. Mais il ne se contente pas de rêver, il pense aussi, réfléchit sur son métier, prend du recul, analyse son environnement, parfois avec une certaine gravité. On avait rarement rencontré un vigneron aussi attaché à l’aspect réellement vivant de ses vins. Voilà un homme de convictions qui s’est fait seul, qui marche au feeling, au ressenti. Un poète avec les pieds sur terre, bien ancrés dans ce sol qu’il respecte et qu’il aime voir évoluer en douceur, sans le brusquer, sans lui dicter son comportement. Certains critiqueront son côté utopiste,

ses prises de risque à la vigne ou en vinification, mais c’est parce qu’il défend une idée du vin sans contrainte, sans intervention, sans stress, libéré des carcans de la mode, construit pour durer et pour enchanter l’avenir que son rôle est essentiel. Il faut du courage pour ne pas se satisfaire de ce que l’on a, pour ne pas se reposer sur ses lauriers, sur sa notoriété chèrement acquise. Quand, après des années de galère, on peut enfin se réjouir de voir les clients affluer des quatre coins du monde, il serait normal de prendre du recul, de profiter, de surfer sur l’éphémère vague de la hype. Patrick n’est pas du genre à surfer. Au short et à la planche, il préfère le sécateur et l’amphore, pour continuer à explorer, à travailler, à prendre des risques, pour faire mieux, pour trouver ce goût, cette identité qu’il recherche. De tout temps, nous avons eu besoin d’artistes et d’artisans libres, engagés, courageux, croyant fermement en leurs rêves pour faire évoluer les normes, repousser les barrières et laisser une trace indélébile dans l’histoire. Patrick fait définitivement partie de ceux-là. Depuis vingt ans, il accueille les nombreux jeunes vignerons qui tapent à sa porte : François Dhumes, Aurélien Lefort ou Vincent Marie, pour ne citer qu’eux. Modèle pour certains, véritable guide spirituel pour d’autres, il ne prétend pas détenir la vérité. Il partage et transmet de façon désintéressée. Il n’impose rien, ne critique pas, n’encourage pas toujours, mais il éveille les consciences pour aider chacun à trouver sa voie. Pour lui, le vin naturel est un cheminement personnel. C’est une recherche, un parcours, un idéal que l’on ne peut atteindre qu’en étant libre et conscient.


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p a t r i c k

bouju Où ?

Chai : Saint-Georges-sur-Allier Vignes : Corent, Billom, Riom

le début

Dès 1997 mais de façon commerciale en 2002

Surface Totale Environ 7 ha + négoce

Production moyenne par an Entre 3 et 6 000 bouteilles + négoce

Cuvées principales

Rouge : La Bohème, Lulu, Violette, Cailloux, le Litre de la Jungle Blanc : The Blanc Bulles : Festejar rouge et blanc

LES VINS QU’IL AIME « Le dernier vin qui m’a scotché, c’est Anne Françoise Joseph de chez Babass. Un chenin sec, minéral, c’était un jeune millésime, mais c’était profond, équilibré, il y avait tout. Sinon, je suis assez éclectique, j’aime des vins assez différents. Mais c’est vrai que j’aime bien les vins charpentés. Pendant des années, j’ai fait des vins assez costauds, je ne faisais rien de léger. J’aime bien les vins un peu massifs, c’est pour ça que j’ai pas mal de cuvées du Sud, notamment La Sorga, Casot des Mailloles, des trucs assez puissants. Ce sont des vins qui te nourrissent. A un moment, je ne goûte plus avec les défauts, mais avec le cœur. Tu sens les vins qui vibrent. Parfois, t’as des vins blindés de vol’*, mais je m’en fous. Certains n’ont aucun défaut, mais y’a rien niveau émotion, ils ne te font pas bander, il leur manque quelque chose. »

Pour obtenir des informations complémentaires sur Patrick Bouju (vidéos, photos,...), utilisez le QR Code ci-contre. entrelesvignes.net/patrick-bouju


retrouvez l’intégralité des 12 entretiens sur 252 pages

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