Saint-Pétersbourg • Yelabouga
Une autre planète
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On va s’y habituer, ils vont nous accompagner pendant des heures et des heures, ces paysages russes, forêts denses s’étendant à perte de vue, masse sombre arborescente des conifères soulignée par le feuillage tendre et les troncs blancs des bouleaux. « Restez très vigilants : les automobilistes locaux ont un comportement parfois imprévisible et vous pouvez croiser toutes sortes d’objets et de véhicules inattendus, comme des charrettes… », avons-nous été avertis avant de prendre la route.
Tout en conduisant, Jean-Louis Schlesser communique. Il parle, écoute, pose des questions, explique, reçoit de nombreux appels, en donne. En fin de journée, il est possible de connaître avec précision ses états d’âme. J’aurai appris dans le même temps tout ce qu’il faut savoir sur les voitures croisées, la tenue de route d’une moto Honda, les derniers modèles des camions aperçus – et sur les voies entre Saint-Pétersbourg et Moscou, il n’en manque pas !
Il m’aura fallu 700 km seulement, et quelques heures de route, pour découvrir un autre monde, dans lequel aucune des règles apprises dans les écoles de conduite et dans la vie des simples mortels ne s’applique. Il est possible, j’en ai fait aujourd’hui l’expérience limite, de circuler en voiture très vite, et surtout très bien, sans tenir aucun compte des panneaux de signalisation, des lignes blanches, des embouteillages, des policiers qui veillent… Je n’avais jamais vu personne rouler de la sorte, et cependant c’est la première fois que je me sens ainsi, en totale confiance, dans une voiture.
Nous avons, par la même occasion, apprivoisé notre Porsche Cayman, Jean-Louis révélant à une dizaine d’interlocuteurs divers et successifs, avec l’un de ses téléphones, qu’il était « estomaqué par les suspensions ». « Tu te rends compte, sur ces routes pourries ! Il faut dire que ça secoue moins à 150 qu’à 70 km/h, comme si on survolait les trous et les bosses… », plaisante-t-il. Tout est bien donc, dans ce monde… parallèle.
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Des débuts difficiles Tout va très vite et les contacts avec les populations russes sont furtifs. Par un temps humide, la première « spéciale » au milieu des forêts denses – sapins et bouleaux – est courte... et boueuse (double page suivante).
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Le buggy bleu construit par Jean-Louis Schlesser et conduit par l’Espagnol José Luis Monterde (ci-contre) a déjà pris la tête, alors que les embûches se succèdent, comme ces chemins très glissants – des patinoires pour les motos – et ce pont de bois détruit par un camion de course, laissant les pilotes sceptiques... (p. 42 et p. 43)
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Des débuts difficiles Tout va très vite et les contacts avec les populations russes sont furtifs. Par un temps humide, la première « spéciale » au milieu des forêts denses – sapins et bouleaux – est courte... et boueuse (double page suivante).
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Le buggy bleu construit par Jean-Louis Schlesser et conduit par l’Espagnol José Luis Monterde (ci-contre) a déjà pris la tête, alors que les embûches se succèdent, comme ces chemins très glissants – des patinoires pour les motos – et ce pont de bois détruit par un camion de course, laissant les pilotes sceptiques... (p. 42 et p. 43)
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Des bulbes, des bulbes… Au demeurant, la route, avec ses embouteillages et ses nids-de-poule, n’offrait pas un intérêt particulier. Nous avons quand même aperçu la maison natale de l’écrivain Nabokov, vaste, en bois, toute blanche, surplombant banalement la route. De belles églises orthodoxes également, sobres, souvent fraîchement repeintes, avec, à leurs sommets, ces innombrables bulbes, jolis dômes renflés si caractéristiques. Encore d’épaisses forêts de conifères et de bouleaux. Et des serveuses russes, souvent renfrognées, dans les trop rares « points d’eau ». Avec Jean-Louis, nous avons mis au point une phrase pour nouer des contacts rudimentaires avec les populations locales, rares et souvent réservées. En piochant dans un dictionnaire, sans être très sûrs non plus, nous nous sommes mis à répéter, comme une rengaine : « tchiout tchiout malako », pour demander « un peu de lait » avec le Nescafé® servi, parfois, dans les stations-service et autres
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gargotes. Le succès n’était pas toujours au rendezvous. Mais Jean-Louis était si convaincant, avec ses nombreux gestes, mimant et le café que l’on cueille et la vache que l’on trait, et ressassant en boucle les mots magiques d’une voix forte, que, malgré tout, nous finissions par obtenir gain de cause. Avec un échange de sourires en prime… la fête ! Ce jour-là, la voiture construite par Jean-Louis – une sorte de buggy bleue indescriptible, sortie tout droit d’un film de science-fiction –, engagée en course et conduite par l’Espagnol José Luis Monterde, a gagné la première spéciale. Courte et… boueuse, comme les suivantes. Mais voilà le bivouac ! Dans les lointains environs de Moscou, vaste étendue d’herbe verte où chacun essaie de trouver ses aises, où les mécaniciens s’affairent, tandis que les badauds du cru viennent à la rencontre de cette étonnante caravane.
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Des bulbes, des bulbes… Au demeurant, la route, avec ses embouteillages et ses nids-de-poule, n’offrait pas un intérêt particulier. Nous avons quand même aperçu la maison natale de l’écrivain Nabokov, vaste, en bois, toute blanche, surplombant banalement la route. De belles églises orthodoxes également, sobres, souvent fraîchement repeintes, avec, à leurs sommets, ces innombrables bulbes, jolis dômes renflés si caractéristiques. Encore d’épaisses forêts de conifères et de bouleaux. Et des serveuses russes, souvent renfrognées, dans les trop rares « points d’eau ». Avec Jean-Louis, nous avons mis au point une phrase pour nouer des contacts rudimentaires avec les populations locales, rares et souvent réservées. En piochant dans un dictionnaire, sans être très sûrs non plus, nous nous sommes mis à répéter, comme une rengaine : « tchiout tchiout malako », pour demander « un peu de lait » avec le Nescafé® servi, parfois, dans les stations-service et autres
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gargotes. Le succès n’était pas toujours au rendezvous. Mais Jean-Louis était si convaincant, avec ses nombreux gestes, mimant et le café que l’on cueille et la vache que l’on trait, et ressassant en boucle les mots magiques d’une voix forte, que, malgré tout, nous finissions par obtenir gain de cause. Avec un échange de sourires en prime… la fête ! Ce jour-là, la voiture construite par Jean-Louis – une sorte de buggy bleue indescriptible, sortie tout droit d’un film de science-fiction –, engagée en course et conduite par l’Espagnol José Luis Monterde, a gagné la première spéciale. Courte et… boueuse, comme les suivantes. Mais voilà le bivouac ! Dans les lointains environs de Moscou, vaste étendue d’herbe verte où chacun essaie de trouver ses aises, où les mécaniciens s’affairent, tandis que les badauds du cru viennent à la rencontre de cette étonnante caravane.
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Nos journées sont plus belles que nos nuits Ah ! Si l’on pouvait éviter le bivouac, et rester bien confortablement installés dans la voiture du début jusqu’à la fin du raid ! Vacarme incessant ; « rata » sous vide ; sanitaires rares et sans eau ; moustiques ; les fameuses tentes « deux secondes » que l’on démonte péniblement en dix minutes, à trois personnes et sous la pluie… (« Faut prendre le coup de main », disaient-ils !) Mais bon, il y a certainement moyen de s’y faire, et cela finira peut-être par nous manquer, comme à la fin des vacances au camping. Même les menus, certains ne pourront bientôt plus s’en passer, dédaignant les gastronomies locales. Le deuxième bivouac ? Nous ne le verrons même pas, Jean-Louis et moi, réfugiés de justesse dans un motel isolé, un déluge s’étant abattu sur la région. Trop de boue, site impossible à approcher en Porsche. La deuxième étape se déroule sans histoire, par les plaines de la Volga : plat pays, superbes forêts – bouleaux et conifères, conifères et bouleaux –, jolies églises (des bulbes, des bulbes…).
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Nos journées sont plus belles que nos nuits Ah ! Si l’on pouvait éviter le bivouac, et rester bien confortablement installés dans la voiture du début jusqu’à la fin du raid ! Vacarme incessant ; « rata » sous vide ; sanitaires rares et sans eau ; moustiques ; les fameuses tentes « deux secondes » que l’on démonte péniblement en dix minutes, à trois personnes et sous la pluie… (« Faut prendre le coup de main », disaient-ils !) Mais bon, il y a certainement moyen de s’y faire, et cela finira peut-être par nous manquer, comme à la fin des vacances au camping. Même les menus, certains ne pourront bientôt plus s’en passer, dédaignant les gastronomies locales. Le deuxième bivouac ? Nous ne le verrons même pas, Jean-Louis et moi, réfugiés de justesse dans un motel isolé, un déluge s’étant abattu sur la région. Trop de boue, site impossible à approcher en Porsche. La deuxième étape se déroule sans histoire, par les plaines de la Volga : plat pays, superbes forêts – bouleaux et conifères, conifères et bouleaux –, jolies églises (des bulbes, des bulbes…).
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Nous faisons les difficiles, mais de superbes images s’impriment au fond de nos rétines, qui ressurgiront plus tard, quand tout sera terminé. Si les paysages des campagnes sont le plus souvent gris et sombres – verdure dense, ciel plombé – des taches de couleurs vives surgissent, éblouissantes : des villages où chaque maison semble avoir été récemment repeinte, en bleu vif parfois, en rouge, ou encore en jaune. De simples vêtements également, très colorés, apportent de la gaieté par petites touches.
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L’âme russe La caravane découvre enfin la Russie de l’intérieur : les églises orthodoxes avec leurs bulbes, dômes renflés si caractéristiques, les villages colorés... puis les tenues traditionnelles du Tatarstan, ainsi que la chaleur d’un samovar, dans lequel chauffe l’eau pour le thé (double page suivante).
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Nous faisons les difficiles, mais de superbes images s’impriment au fond de nos rétines, qui ressurgiront plus tard, quand tout sera terminé. Si les paysages des campagnes sont le plus souvent gris et sombres – verdure dense, ciel plombé – des taches de couleurs vives surgissent, éblouissantes : des villages où chaque maison semble avoir été récemment repeinte, en bleu vif parfois, en rouge, ou encore en jaune. De simples vêtements également, très colorés, apportent de la gaieté par petites touches.
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L’âme russe La caravane découvre enfin la Russie de l’intérieur : les églises orthodoxes avec leurs bulbes, dômes renflés si caractéristiques, les villages colorés... puis les tenues traditionnelles du Tatarstan, ainsi que la chaleur d’un samovar, dans lequel chauffe l’eau pour le thé (double page suivante).
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