LE MAGAZINE DE HALTER SA No 16/2023
La menace d’une pénurie de logements anime toutes les conversations. Les revendications pour des logements abordables se font de plus en plus pressantes. Et ce, pas uniquement dans les villes. De toute évidence, l’équilibre entre l’offre et la demande est perturbé, et les pronostics selon lesquels cette tendance ira en s’accentuant se multiplient.
Au vu des bouleversements politiques et économiques qui se manifestent à l’échelle mondiale, il faut s’attendre à ce que la Suisse continue à gagner en attractivité en tant que pays d’immigration classique. Mais le débat sur une gestion ciblée de l’immigration, qui s’impose d’urgence dans la société, risque de ne pas progresser aussi rapidement. La gauche politique parle de défaillance du marché et tente de profiter de l’occasion pour continuer à réglementer et à restreindre les droits de propriété au lieu de chercher les racines du mal.
Le secteur de la construction et de l’immobilier est appelé à élaborer des solutions pour lutter durablement contre la pénurie et la hausse des prix des logements. Dans ce numéro de Komplex, vous trouverez de nombreuses pistes de réflexion à ce sujet, qu’il s’agisse d’aménagement du territoire ou de méthodes et de processus plus efficaces dans la planification, l’autorisation et la réalisation de projets de construction. L’éventail s’étend de la revitalisation de formes de propriété éprouvées à des innovations disruptives. Les différentes approches montrent les axes d’intérêts sociaux et écologiques conflictuels dans lesquels ce changement doit s’inscrire.
Pour se mettre au parfum des défis à relever, il est recommandé de lire l’article de Martin Neff « La prospérité dévore ses enfants » (p. 116). Cet économiste chevronné décrit les raisons qui ont conduit à une demande excédentaire et en explique les conséquences sur les différentes classes de revenus. Dans son brillant essai « La périphérie n’existe pas » (p. 32), Vittorio Magnago Lampugnani, professeur émérite de l’EPF de Zurich, expose comment nous pouvons sortir du dilemme posé par le manque de développement de l’urbanisation vers l’intérieur du milieu bâti. Au-delà de la densification quantitative, il s’agit bien plus encore de développer la qualité des structures urbaines existantes.
2 Editorial
La conception et la planification des espaces publics jouent un rôle central à cet égard. Les articles consacrés aux procédures de concours pour le site d’Attisholz près de Soleure et pour La Cité du Vin à Rolle (p. 10 et p. 22) permettent de comprendre le rôle que jouent les architectes paysagistes et l’importance des espaces ouverts pour le développement d’un quartier vivant. Les reportages concernant des projets réalisés à Velâdzo (p. 42), à la Bäretower (p. 52) et au Hammerwerk (p. 78) illustrent la mise en pratique de nombreuses idées et approches évoquées. La voie à suivre est souvent controversée et nécessite de peser soigneusement les intérêts en jeu, comme en témoignent les différents points de vue sur la question
« Démolition ou rénovation ? » (p. 141).
L’article « Construction 4.0 » (p. 149) décrit avec force –voire, pour beaucoup, de manière inquiétante – à quel point la numérisation occupe désormais notre branche et rend obsolètes certaines pratiques. Des outils d’un nouveau genre permettent d’exploiter d’énormes potentiels d’augmentation de l’efficacité, notamment en s’attaquant directement aux profils professionnels et aux modèles économiques existants. L’article rédigé par les responsables d’un projet pilote mené à Vienne sur la numérisation de la procédure de permis de construire (p. 186) montre qu’un gigantesque potentiel d’amélioration existe aussi dans l’administration.
Et pourquoi ne pas se tourner vers le passé pour s’inspirer de ce qui a fait ses preuves et l’adapter aux exigences actuelles et futures ? C’est dans ce but que l’historien Florian Müller a retracé la success-story des coopératives d’habitation en Suisse depuis la fin du XIXe siècle. Vous en trouverez un extrait à partir de la page 98.
Cette année encore, nous espérons pouvoir fournir avec notre magazine Komplex de précieuses contributions au débat sur les thèmes et les défis brûlants de notre époque. Pour donner des impulsions fructueuses aux développements requis de toute urgence dans nos secteurs.
Balz Halter, président du Conseil d’administration Halter SA
3 Komplex No 16/2023
→ p. 10
Un îlot dans le paysage
Développement & Urbanisme
→ p. 22
La mixité au programme d’un quartier vert
→ p. 32
Essai : La périphérie n’existe pas. Propositions pour transformer l’agglomération en un fragment de ville
Architecture & Design
→ p. 42
Un village à côté de la gare
→ p. 52
L’avant-poste du futur urbanisme
→ p. 68
Ecrin sobre pour joyau étincelant
→ p. 78
Un caractère bien forgé
Société & Environnement
→ p. 88
Entretien : « Il s’agit de montrer une vision à l’équipe »
→ p. 98
Essai : Petit mais efficace. Un historique de la construction de logements coopératifs en Suisse
→ p. 116
La prospérité dévore ses enfants
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4 → p. 2 Editorial
avenue
Sommaire
p. 5 Journal
→
UN PAS VERS LE FUTUR
Le 29 février 2023, une donation de Halter SA à l’ETH Foundation a été authentifiée à Zurich. D’un montant de 1,2 million de francs, elle aidera le centre Design++ à explorer de nouveaux modèles commerciaux dans les domaines de l’efficacité des ressources, de l’économie circulaire et de la réduction des émissions de carbone dans l’architecture et le génie civil. → www.designplusplus.ethz.ch
UNE NOUVELLE ÉNERGIE POUR L’OUEST DE BERNE
Ces prochaines années, un nouvel espace de travail et de vie urbain verra le jour entre l’Europaplatz et le quartier de Weyermannshaus, au cœur du pôle de développement d’Ausserholligen. Ce projet est le résultat d’un concours à deux degrés portant sur les études et la réalisation, organisé en 2020 par Energie Wasser Bern (EWB). L’adjudication pour le développement et la réalisation du site de 31 000 m² a été attribuée à Halter Prestations globales. Le droit de superficie pour les parcelles B et C a été attribué au consortium composé de Halter Développements et de la coopérative de développement « Wir sind Stadtgarten ». Le projet prévoit la construction de quatre bâtiments, dont le plus haut culminera à 110 mètres. C’est là qu’EWB installera son nouveau siège social. → www.ewb.ch
EN HAUT DES CHUTES DU RHIN
Face au site SIG de Neuhausen am Rheinfall, le projet Industrieplatz 5 a été conçu par les architectes Tony Fretton (Londres) et Blättler Dafflon (Zurich). Des surfaces commerciales et 76 appartements ont été construits dans une tour de 40 mètres de haut, qui offre une vue exceptionnelle sur le spectacle naturel tout proche. En août 2022, la propriété de ZSL Invest a pu être remise au maître d’ouvrage, la Caisse fédérale de pensions Publica. → www.industrieplatz5.ch
AU PIED DU PILATE
Fin novembre 2022, le premier coup de pioche pour la Pilatus Arena a été donné à Kriens, en présence notamment de Toni Bucher, président du CA de Pilatus Arena AG, des deux investisseuses Anne et Julia Schwöbel, de Nick Christen du HC Kriens-Lucerne et de Markus Mettler, CEO de Halter SA. Deux tours d’habitation seront également construites à côté du complexe sportif et événementiel. Les appartements de la Pilatus Tower sont déjà en cours de commercialisation. → www.pilatustower.ch
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Photos et visualisations : Filippo Bolognese Images, Blättler Dafflon Architekten, Martin Maierberger
POUR PLUS D’EFFICACITÉ DANS L’ARTISANAT
La nouvelle solution logicielle basée sur le cloud Siresca révolutionne le processus d’installation électrique actuel. L’application de réalité augmentée non seulement permet un travail plus rapide et moins sujet aux erreurs, mais saisit également des données et des informations importantes. Le marquage des trous de perçage ou des prises de la zone d’installation extérieure horizontale, le contrôle du positionnement des objets mesurés à la main, la détermination des points de référence sur le plan et l’orientation exacte des plans dans l’espace sont simplifiés. Halter SA a participé à Siresca et vise une extension future des fonctions numériques à d’autres domaines de la technique du bâtiment. → www.siresca.ch
OÙ LA NATURE DONNE LE «LA»
Un quartier vivant comprenant environ 550 appartements, 5000 m² de surfaces commerciales ainsi que des espaces à usage public doit voir le jour sur le site de La Sauge à Palézieux-Gare. Le développement est axé sur l’interaction sociale, le respect de la nature et un concept de mobilité bien conçu. C’est pourquoi Halter Développements accorde une attention toute particulière aux espaces ouverts. Les processus habituels ont été inversés : on commence par concevoir les espaces extérieurs avant de définir la volumétrie des bâtiments. Des mandats d’étude parallèles portant sur l’aménagement paysager ont donc été organisés en premier. L’équipe gagnante, composée de Vimade Architectes Paysagistes et d’AETC Architectes Urbanistes, a élaboré une charte avec des prescriptions en matière d’aménagement des espaces extérieurs. Les architectes sont à présent chargés, dans le cadre d’un mandat direct, d’assurer la qualité et la diversité architecturales requises. → www.lasauge-palezieux.ch
UN LIEU CHARGÉ D’HISTOIRE
Fin 2022, Halter SA a pu s’assurer le droit d’emption sur l’hôtel Sonnenberg, construit en 1875 à Seelisberg dans le canton d’Uri. Après le départ de la Fondation Maharishi pour la paix mondiale, la partie du bâtiment classée sera rénovée et complétée par un complexe résidentiel moderne. Le canton, la commune et Halter travaillent ensemble à revitaliser ce lieu unique au-dessus de la prairie du Grütli. La demande de permis de construire devrait être déposée d’ici fin 2025.
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ENCOURAGER LA RELÈVE
Bridge est le nom du nouveau concept à travers lequel Halter SA entend regrouper divers thèmes de formation et les relier au secteur de la construction. Les journées de l’industrie pour étudiants débuteront à l’automne 2023 au siège de Halter à Schlieren. Au menu: conférences, ateliers, visites de chantier et infos issues de l’écosystème Halter.
FLUMS NE PERD PAS LE FIL
MARQUER DES BUTS ENSEMBLE
Après une pause de deux ans due à la pandémie de Covid, la S AM Cup by Halter, le traditionnel tournoi de football des architectes suisses, s’est disputée en octobre 2022 au stade Landhof de Bâle. Les 24 équipes ont été accueillies par le président du Conseil de fondation Meinrad Morger. → www.sam-basel.org
LES JARDINS SUSPENDUS DE ZURICH
L’esprit d’innovation du temps jadis soufflera bientôt à nouveau à Flums (SG), là où les premières filatures ont commencé à tourner en 1866. Après l’arrêt de la production de l’entreprise Spoerry en 2009, le site a été commercialisé sous le slogan « Flumserei –un espace pour travailler et créer », et les lieux ont été utilisés en partie pour des activités commerciales, des services et des événements culturels. En 2020, la Flumserei a été cédée à la Fondation Abendrot. Le nouveau propriétaire entend désormais transformer le bâtiment principal de l’ancien site industriel en un lieu vivant, offrant des logements et des emplois au pied du Flumserberg. Il est prévu d’y construire 106 appartements et près de 4000 m² de surfaces commerciales et de bureaux dans les années à venir. Halter Rénovations a soumis une offre d’entreprise totale en ce sens en avril 2023. → www.flumserei.ch
Voilà plus de cinq ans que divers plans sont élaborés pour l’immeuble commercial de la Löwenstrasse 54 et 56–58. Le propriétaire souhaite végétaliser les 180 m² de façade de ce bâtiment qui date des années 1970. Les choses ont enfin pris leur essor le jour où Halter Rénovations s’est saisi du projet. Après une phase de planification intense, un contrat d’entreprise forfaitaire a été signé en novembre 2021 en vue de réaliser la Green House durable. En janvier 2023, la rénovation énergétique du bâtiment a pu commencer, comprenant un nouveau chauffage par pompe à chaleur air-eau et une installation photovoltaïque. La façade, qui sera équipée d’un système breveté de cocons et de panneaux en acier inoxydable, sera fleurie et témoignera des efforts écologiques réalisés dans ce lieu très fréquenté du centre-ville. Les travaux se poursuivront jusqu’à fin 2023.
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Photos et visualisations : Siresca, Joris Jehle, Vimade, Frank Schwarzbach, Gabi et Rainer Winsauer, U2 Ulshöfer Architekten
ÇA BOUGE SUR LE SITE D’ATTISHOLZ
« Find Your Flow » était le nom du festival qui a attiré des professionnels, des passionnés de danse et des curieux sur le site d’Attisholz durant l’été 2022. Plus de 800 danseurs de 21 pays ont fait vibrer les spectateurs à guichets fermés. Des battles et des compétitions de showcase se sont enchaînées pendant trois jours dans différentes catégories. La météo radieuse et un programme varié ont contribué à créer une atmosphère fantastique. L’événement a généré plus de 6 millions de vues sur les réseaux sociaux, qui ont été alimentés par la chaîne Youtube de storytelling « Stance ». Le festival aura de nouveau lieu à Attisholz du 16 au 18 juin 2023. A noter qu’en 2024, le breakdance sera pour la première fois une discipline olympique à Paris. → www.attisholz-areal.ch
EN PLEINE CROISSANCE
Après une dizaine d’années passées à l’Allmend de Lucerne, le bureau de Halter SA en Suisse centrale a déménagé à Kriens. Depuis avril 2022, la trentaine de collaborateurs de Halter et ceux de la coopérative de développement
« Wir sind Stadtgarten » travaillent dans leurs nouveaux locaux à côté de la gare de Mattenhof, juste à côté des chantiers de la Pilatus Arena et de la Pilatus Tower.
NEUCHÂTEL DURABLE
Au bord du lac et à quelques pas seulement du centre-ville et de la place Pury, le projet Reflet comprend 18 appartements de haut standing en copropriété de 2½ à 4½ pièces. L’immeuble à la façade et au toit végétalisés bénéficie en outre d’un jardin historique au nord. L’ensemble réalisé par Halter Développements devrait être achevé en 2024. → www.reflet-neuchatel.ch
UNIR LES FORCES
Le 17 mai 2023, The Branch a invité à une conférence sur les modèles de gestion intégrée du point de vue du maître d’ouvrage. Les intervenants ont partagé leurs expériences avec des processus et des produits ouverts et circulaires. Bilan : seule une étroite collaboration entre les acteurs permettra de faire face aux problèmes tels que la durabilité et la protection du climat. → www.thebranch.ch
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Photos et visualisations
: Jessica Christ, Roman Beer, All Pixels Studio
→ p. 120
Exploitation & Cycle de vie
Entretien : « La souveraineté des données, quelle belle idée ! »
→ p. 128
Parfaitement assortis
→ p. 134
Superficiaire, superficiant, un calcul inégal
→ p. 138
Chronique : Ça coince dans les rouages de la densification
→ p. 141
Démolition ou rénovation ? Entre densification, durabilité, rentabilité et protection du patrimoine
Ingénierie & Production
→ p. 149
Construction 4.0 – Sommes-nous encore sur la montagne des attentes démesurées ou déjà sur le plateau de la productivité ?
→ p. 156
Chronique : Sans disruption, pas de protection du climat
→ p. 160
Les deux font la paire
→ p. 186
Des procédures modèles
→ p. 180
Wilhelm devient Vilio
→ p. 190
Halter SA en un coup d’œil
→ p. 192
Impressum
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UN ÎLOT DANS LE PAYSAGE
Conjuguer l’ancien et le nouveau, créer une porosité urbaine, aménager des espaces ouverts résilients au changement climatique : voilà les objectifs clés de la transformation du site d’Attisholz près de Soleure. DnD Landschaftsplanung et FSA
Architektur de Vienne ont remporté la procédure de mandats d’étude parallèles qui servira de schéma directeur et constituera la base du développement futur de ce qui fut jadis une imposante usine de cellulose. Le but étant de préserver et de souligner les caractéristiques existantes du site. En même temps, la flexibilité est de mise, car l’horizon temporel de la réaffectation s’étend sur plus de vingt ans.
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Texte : Hubertus Adam
Visualisations : DnD Landschaftsplanung
Photos : Patrick Senn, Johannes Buchinger
Il n’existe probablement aucun site industriel en Suisse qui soit aussi impressionnant que celui de l’ancienne usine de cellulose d’Attisholz. Bien que situé à seulement 4 kilomètres en aval de Soleure, sur les rives de l’Aar, l’ensemble de bâtiments semble encore aujourd’hui enchanté : depuis la gare de Riedholz, sur la ligne de chemin de fer Soleure – Niederbipp, on suit la route qui descend en pente raide et on passe devant les anciens bains avant d’apercevoir successivement les bâtiments industriels : une grande cheminée, la structure en béton armé de la Säureturm et enfin le groupement de halles et de bâtiments de l’usine qui s’élèvent le long du versant en terrasses.
Différents facteurs contribuent au charme particulier de ce lieu : sa topographie impressionnante – le versant en terrasses sur la rive nord de l’Aar, qui offre un vaste panorama sur la plaine de l’autre côté du fleuve ; les témoignages architecturaux grandioses de la culture industrielle, qui occupent un site dont la superficie dépasse celle de la vieille ville de Soleure ; enfin, et surtout, sa situation dans un espace modelé par le paysage.
Les sites industriels, même ceux de grande ampleur, faisant l’objet d’une reconversion ne sont pas rares en Suisse. Mais en général, ils sont situés dans un contexte urbain, que ce soit à Zurich, à Baden ou à Winterthour. Attisholz, quant à lui, est un îlot densément bâti dans le paysage, entièrement détaché de toute structure urbaine.
Un développement par étapes
Au cours de ces dernières décennies, c’est la pression économique qui a décidé de la conservation ou de la démolition des sites industriels en Suisse. Ainsi, dans la riche ville de Zurich, l’héritage architectural industriel qui s’est maintenu sur plusieurs sites jusqu’au XXe siècle a été éliminé en grande partie. A Winterthour, l’évolution a été différente, à savoir plus modérée et plus respectueuse du patrimoine bâti, en raison de l’absence d’investissements.
La stratégie adoptée pour le site d’Attisholz, conçue par Halter SA (qui a acquis les biens immobiliers en 2016), va dans la bonne direction, car elle mise sur le long terme. Il s’agit ici d’un développement progressif avec un horizon temporel qui pourrait s’étendre jusqu’aux années quarante de notre siècle.
En 1881, le chimiste Benjamin Sieber, né en Allemagne en 1839 et qui avait auparavant travaillé pour l’entreprise Geigy à Bâle, a fondé l’usine de cellulose d’Attisholz, qui s’est spécialisée dans la fabrication de carton et de papier. Seule usine de cellulose de Suisse, elle fut transformée en société anonyme en 1908, tout en restant une entreprise familiale. En 1983, celle-ci a même racheté l’entreprise allemande de papier toilette Hakle – une lueur d’espoir qui s’est assombrie quinze ans plus tard avec la vente à un groupe américain. A la fin du XXe siècle, la société Cellulose Attisholz sombra définitivement dans la tourmente : Christoph Blocher reprit le groupe en 2000 et le vendit deux ans plus tard au groupe norvégien Borregaard. Ce dernier s’est vu contraint d’arrêter la production à Attisholz en 2008, car la fabrication de cellulose n’était plus rentable en Suisse. La société mère Orkla a vendu le site en 2018 à l’entreprise immobilière Halter, présente dans toute la Suisse. C’est ainsi qu’a débuté la phase de transformation postindustrielle et que le site a été ouvert au public.
Vers la transformation postindustrielle
Pour se rendre compte du résultat impressionnant de ce qui a été réalisé ces dernières années, il suffit de faire le tour de l’ancien site de l’entreprise, que l’on s’en approche par le nord, depuis la gare de Riedholz, ou par le sud, depuis la gare de LuterbachAttisholz. Le site sud, situé sur la commune de Luterbach, revêtait autrefois une importance capitale pour la logistique de la société Cellulose Attisholz : c’est ici qu’étaient stockés les rondins d’épicéa et de hêtre, écorcés, transformés en copeaux de bois, puis acheminés par le train qui traversait l’Aar vers l’usine de cellulose. Les entrepôts ont disparu, le groupe Biogen a repris de grandes parties du site et y emploie cinq cents personnes. En 2010, le canton de Soleure a racheté 6 hectares du terrain proche de la rivière et a chargé Mavo Landschaften, de Zurich, de réaliser le parc riverain, inauguré en 2019, qui a pour but d’entretenir le souvenir de cet ancien paysage industriel.
Ce qui a disparu sur la rive sud se dévoile pleinement sur la rive nord. L’ancien site de production de la société Cellulose Attisholz apparaît presque comme un mirage dans le paysage fluvial dès que l’on franchit le pont
Développement & Urbanisme
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sur l’Aar. Surplombant le tout : la Säureturm du bureau d’ingénieurs soleurois Moos & Jäggi, datant des années 1928/29. C’est là qu’était produite la solution acide utilisée pour séparer la lignine de la pâte de bois grâce à un procédé chimique faisant appel au bisulfite de calcium. Un stère de bois permettait d’obtenir 170 kilos de cellulose. Plusieurs autres constructions sont également impressionnantes, comme la Kiesofenhalle (construite entre 1951 et 1953) voisine de la Säureturm, une structure en béton armé aux dimensions imposantes de 30 × 100 mètres et d’une hauteur de 26 mètres, avec des fenêtres filigranes à croisillons.
Si partout ailleurs, les sites industriels sont rapidement réaffectés et défigurés au point de devenir méconnaissables, Halter a choisi de développer une stratégie de transformation douce et successive pour le site d’Attisholz. A la mi-2022, le site central de 73 000 mètres carrés (Attisholz uno) a été vendu à la caisse de pension d’UBS. En tant que promoteur et détenteur du droit de superficie, Halter demeure toutefois responsable de la transformation du site et conserve le reste des terrains, soit 420 000 mètres carrés (lire aussi « Superficiaire, superficiant, un calcul inégal », p. 134). Il est prévu de créer 740 logements ainsi que plusieurs centaines d’emplois au cœur du site.
Renforcer les caractéristiques existantes
En 2021, le canton de Soleure a approuvé la planification d’affectation du site d’Attisholz qui avait été élaborée par un groupe réunissant la commune, le canton et Halter. Une grande importance a été accordée à la participation de la population.
L’étape suivante a consisté en l’organisation d’un concours sous forme de mandats d’étude parallèles pour la planification des espaces ouverts, qui a été remporté par les bureaux viennois DnD Landschaftsplanung, dirigé par Anna Detzlhofer, et FSA Architektur, dirigé par Regina Freimüller-Söllinger, avec leur projet « Schicht für Schicht » –en français « couche par couche ». Sur le plan architectural, les deux aménagistes et leurs équipes misent sur le dialogue entre l’ancien et le nouveau, afin de pouvoir conserver et mettre en scène une grande partie du patrimoine bâti historique. Des volumes supplémentaires seront intégrés de manière à ne pas dominer les bâtiments
existants. Dans ce contexte, l’idée de porosité urbaine est importante : l’implantation des bâtiments laisse des passages et des relations visuelles libres, si bien que la topographie particulière du lieu reste perceptible. Cette idée fondamentale est poursuivie grâce au décalage et à l’étagement des volumes.
La lecture de la stratification paysagère avec ses terrasses successives a permis d’identifier quatre niveaux qui possèdent d’ores et déjà des caractéristiques bien distinctes. Cela commence par le quai de l’Aar, qui longe la rive tout au sud et s’ouvre sur l’espace paysager du fleuve. L’Attisboulevard, ancien axe de desserte de l’usine de cellulose, est marqué par son caractère industriel rugueux qui doit ici être conservé. Cela vaut également pour le Kochereiplateau, situé un niveau de terrain plus haut, avec des bâtiments emblématiques comme la Säureturm et la Kiesofenhalle. L’Attiscampus, tout au nord, affiche quant à lui un aspect plus intime et vient contraster avec les zones urbaines situées en contrebas.
La diversité d’expression des quatre niveaux horizontaux, séparés les uns des autres par des bordures de terrain existantes, sera renforcée à l’avenir par des interventions architecturales et paysagères. Vient s’y ajouter une optimisation des dessertes verticales sous la forme d’escaliers et de rampes, dont un large escalier panoramique qui reliera à l’avenir l’Attisboulevard au Kochereiplateau, améliorant ainsi également l’accessibilité du site depuis le nord.
Le schéma directeur de DnD et FSA convainc à la fois par sa lecture claire du site et par ses interventions discrètes qui exploitent et renforcent les potentiels existants. En outre, il est suffisamment flexible quant aux utilisations futures, qui peuvent changer au cours des deux décennies à venir, voire plus. Le premier d’une série de concours portant sur des sous-secteurs et basés sur le schéma directeur urbanistique et paysager a été remporté en décembre 2022. C’est le bureau Burckhardt + Partner qui a remporté le concours pour la Kocherei, l’ancien bâtiment des lessiveurs. → www.attisholz-areal.ch
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p. 10 – Le site d’Attisholz est entouré de champs, de prairies et de forêts, directement au bord de l’Aar. C’est ici qu’a été produite de la cellulose pendant cent trente ans. L’usine a dû être fermée en 2008.
p. 13 – Conformément au projet gagnant « Schicht für Schicht » (« couche par couche »), la place au bord de l’Aar s’ouvre sur l’espace fluvial. Sa surface recouverte de gravier descend vers la rive. Depuis la rampe, on aperçoit l’ancien site sud de la société Cellulose Attisholz situé en face (en haut). L’architecte paysagiste Anna Detzlhofer tient à préserver autant que possible la substance existante. Les cuves historiques seront intégrées dans un jardin imprégné d’eau et entouré d’arbres (en bas).
p. 14 – La Säureturm, classée monument historique, est l’emblème iconique du quartier, visible de loin. Il est peu probable que l’on parvienne à la transformer en belvédère, comme le prévoyait le projet gagnant.
DnD Landschaftsplanung ZT KG
Le bureau DnD Landschaftsplanung a été fondé en 2012 par Anna Detzlhofer et Sabine Dessovic à Vienne. Il s’agit d’un bureau d’ingénieurs civils spécialisé dans la planification et l’architecture paysagères, qui travaille sur les thèmes de la construction de logements, de bâtiments éducatifs et commerciaux ainsi que d’espaces publics. Les projets résultent le plus souvent de concours. Anna Detzlhofer a fondé le bureau Detzlhofer à Vienne dans les années 1990. Elle a collaboré à plusieurs reprises avec Adolf Krischanitz, notamment pour le concours de la Messeplatz de Bâle (1997) et pour la cité modèle de Hadersdorf (2002–2007) à Vienne. Depuis 2017, elle est membre du comité consultatif sur l’aménagement de la ville de Salzbourg.
→ www.dnd.at
Freimüller Söllinger Architektur ZT GmbH
La société FSA a été fondée en 2016 par Regina FreimüllerSöllinger à Vienne. Après ses études à l’Université technique de Vienne, à l’Université du Michigan et à l’Architecture Association School of Architecture de Londres, Regina Freimüller-Söllinger a travaillé comme assistante de recherche et enseignante à l’EPF de Zurich de 1998 à 2013. Parmi ses projets les plus connus figurent notamment le lotissement Tivoligasse (2019) et le lotissement Florasdorfer Spitz (2022), tous deux à Vienne.
→ www.freimueller-soellinger.at
Coupe du terrain: l’échelonnement du site est bien visible. Certains bâtiments seront surélevés, d’autres verront leur volume réduit en douceur.
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Développement & Urbanisme
La perspective volumétrique montre les corps des bâtiments de l’ancien site industriel qui s’échelonnent sur le versant depuis la rivière.
Le projet de reconversion doit commencer par la place au bord de l’Aar. Des arbres à haute tige assurent la liaison avec les espaces verts adjacents.
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L’architecte paysagiste viennoise Anna Detzlhofer a remporté en 2022, avec son équipe de DnD Landschaftsplanung, le concours portant sur la planification des espaces ouverts d’Attisholz. Depuis, elle travaille sur un concept d’aménagement de cet ancien site industriel en vue de sa reconversion en un quartier à vocation mixte.
Komplex : Madame Detzlhofer, quelles étaient vos impressions lorsque vous avez visité le site d’Attisholz pour la première fois ?
Où avez-vous identifié des potentiels, voire des difficultés ?
Nous avons été extrêmement impressionnés par la structure verticale des stratifications sur le versant, mais aussi par l’étendue du paysage. Quand on arrive du côté nord, c’està-dire de la commune de Riedholz, on se retrouve confronté à l’échelle gigantesque des constructions et à la vue sur la plaine
qui s’étend de l’autre côté de l’Aar. Et puis, il y a bien évidemment les vestiges de l’architecture industrielle, qui forment un ensemble densément échelonné entre les halles, la Säureturm et les cuves. L’agencement des bâtiments a évolué au fil du temps, ce serait impossible à réaliser en une seule fois. Nous ne pouvions que nous réjouir à l’idée de travailler ici.
Le projet avec lequel vous avez remporté le concours s’appelle
« Schicht für Schicht » – en français
« couche par couche ». Très concrètement, comment avez-vous développé les idées de base ?
Il y a eu une première visite officielle avec tous les participants. Mais nous avons ensuite pris une journée supplémentaire, notamment parce que, venant de Vienne, nous ne pouvions pas retourner sur place de sitôt. Cette journée a été extrêmement utile et Développement & Urbanisme
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certaines choses se sont déjà cristallisées pour nous. Les premiers thèmes ont émergé de notre inspection exhaustive du site. Nous avons appelé notre projet « couche par couche » parce que la topographie joue un rôle essentiel. D’une part, la topographie caractéristique du terrain, qui descend en pente raide vers l’Aar, et d’autre part, les couches historiques. Celles-ci peuvent également être considérées comme des couches sédimentaires. De là est née l’idée initiale d’une matérialisation cohérente. Nous voulions intégrer au projet le thème des couches, des granulations de la roche, qui sont grossières en bas et deviennent généralement de plus en plus fines vers le haut. Mais nous n’avons pas pu le transposer dans cette abstraction.
Qu’est-ce qui s’y opposait ?
Nous avons réfléchi aux revêtements de surface : une granulométrie plus grossière en bas, et plus fine en haut, telle était l’idée. Mais ça n’a pas collé avec l’occupation et les usages. Néanmoins, cette idée de base nous a été très utile pour la suite de notre travail. Lorsqu’on se rend sur le site, on est fasciné par l’échelonnement vertical, par l’organisation des bâtiments sur différents niveaux. En tant qu’architectes paysagistes, nous ne voulons pas simplement mettre de la verdure partout, mais plutôt souligner le caractère des espaces ouverts. Pour moi, la Villa d’Este à Rome a été une référence majeure. Autour du palais et de son jardin Renaissance, le terrain est en pente, il y a de l’eau, mais ce qui est particulièrement important, ce sont les terrasses d’où l’on peut toujours admirer le panorama. Ce sont ces vues qui permettent d’appréhender les dimensions spatiales du site. Cela peut très bien être transposé à Attisholz.
offre un panorama fantastique et fait écho à l’utilisation du site en face. Au-dessus se trouve l’Attisboulevard avec sa plaque tournante et le pont menant à l’autre rive, ainsi que la « fosse aux ours », un imposant tronçon de tunnel. L’Attisboulevard constitue en fait la partie la plus urbaine, déjà bien ancrée sur le plan culturel et gastronomique. En montant d’un cran, on atteint le Kochereiplateau, avec ses dénivellations et ses vestiges architecturaux marquants, comme la Säureturm. Le Kochereiplateau est probablement l’endroit le plus important pour les habitants du quartier. Pour ceux qui vivent en haut, à Riedholz, ce niveau fait office de plateforme depuis laquelle on peut accéder à l’ensemble du site. C’est aussi via le Kochereiplateau et la Kiesofenhalle que le nouveau quartier d’habitation situé plus à l’est sera raccordé ultérieurement. Enfin, tout en haut se trouve l’Attiscampus, qui ne sera toutefois développé qu’en dernier lieu. Il possède un caractère intime, comme un jardin, alors que les autres zones sont plutôt des espaces publics.
Avec quels éléments travaillez-vous pour accentuer les différents caractères des espaces ouverts ?
Tout en bas se trouve le quai de l’Aar avec la place au bord de l’eau. Nous aimerions bien la prolonger sur la rivière, car elle
Tout d’abord, il y a un concept de plantation qui porte sur différents axes prioritaires. En haut, sur l’Attiscampus, nous avons plutôt des prés-vergers, sur le Kochereiplateau, des groupements végétaux de taillis. L’Attisboulevard est marqué par le caractère de forêt pionnière et de bosquets isolés, et enfin, sur l’Aarequai, on trouve plutôt des arbres à haute tige. Bien sûr, la question se pose toujours de savoir où tel ou tel type de végétation est judicieux dans un tel complexe industriel. L’eau est également un sujet important. Nous souhaitons faire réapparaître le ruisseau Inselbächeli, qui est aujourd’hui souterrain, et rendre l’eau perceptible à différents endroits, que ce soit sous forme de jeu d’eau, de bassin aquatique ou de fontaine. Et puis il y a un peu partout des éléments circulaires déjà existants, comme des cuves, des réservoirs et des bassins. Nous reprenons ce thème et l’intégrons dans le mobilier des espaces publics ou dans l’éclairage. Un autre point important est bien sûr le recyclage : allons-nous pouvoir réutiliser certains matériaux des bâtiments
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Il est prévu de développer le site d’Attisholz en partant de la rive vers le haut. Pouvez-vous présenter brièvement les zones et leurs caractéristiques ?
existants, c’est-à-dire récupérer des éléments de construction et les intégrer éventuellement ailleurs sur le site ?
Le point de départ de votre concept est la place au bord de l’Aar. Elle se trouve directement sur la rive et sera l’une des premières réalisations basées sur vos idées.
Pour nous, cette place est une sorte de terrain d’essai : comment se présente la topographie, comment s’articule l’espace avec les bâtiments environnants, qu’en est-il des utilisations ? La plateforme évoquée est également importante pour nous en tant qu’extension sur la rivière. L’intervention au niveau de la zone riveraine n’est pas du tout simple à mettre en œuvre d’un point de vue juridique. Mais on nous a accordé le droit de déboiser par endroits. Le lien avec la rive opposée de l’Aar nous tient particulièrement à cœur. C’est là que se trouvait autrefois le site sud de l’usine de cellulose d’Attisholz, avec ses immenses entrepôts de bois. Il ne reste plus rien de tout cela aujourd’hui. Le bureau Mavo Landschaften de Zurich y a réalisé en 2018/19 l’Uferpark Attisholz Süd. A l’origine, les deux sites industriels étaient reliés entre eux : la livraison des copeaux de bois se faisait depuis le sud via le pont ferroviaire. Par conséquent, nous souhaitons également mettre en relation l’aménagement des deux rives de la rivière. C’est pourquoi la place au bord de l’Aar doit aussi être appréhendée comme un espace à caractère paysager. Le problème, c’est la grande rampe qui y trône depuis quelques années. Nous ne pouvons pas nous en débarrasser, mais elle apparaît comme un corps étranger. C’est pourquoi nous réfléchissons à des stratégies pour la rendre un peu moins visible. La place elle-même est en pente de quatre degrés vers la rive. Il ne faut en aucun cas la paver ou l’imperméabiliser. Nous imaginons un revêtement en gravier.
La question des surfaces a donc une importance particulière pour vous.
Effectivement. Car ce sont les surfaces qui définissent le caractère des espaces. J’aime comparer cela aux textiles : le choix du
tissu définit déjà le style du vêtement. Avec du feutre, on obtient quelque chose de complètement différent qu’avec du velours ou de la soie. L’Attisboulevard, par exemple, devrait avoir un aspect brut et industriel.
Ce qui est intéressant dans votre concept, c’est qu’il ne se focalise pas uniquement sur la conception des espaces ouverts, mais qu’il présente également des approches architecturales.
En effet, les aspects architecturaux sont indissociables de ceux liés à l’urbanisme et à l’aménagement des espaces ouverts. Comme pour d’autres projets, nous collaborons avec l’architecte Regina Freimüller-Söllinger. L’échange est très enrichissant et ses suggestions constituent chaque fois un excellent complément. Au début du projet, nous avons reçu de Halter un modèle volumétrique en 3D avec lequel nous avons pu travailler. Cela a soulevé des questions comme : Où allons-nous placer quoi ? Quels bâtiments resteront en place ? Où y aura-t-il des éléments nouveaux ? Pour Regina Freimüller-Söllinger, l’un des thèmes centraux était la porosité dans les constructions, afin de créer des relations visuelles et des passages. Dans ce contexte, les coupes étaient importantes pour nous, car dans les endroits présentant une topographie, on ne peut pas travailler sans coupes. L’imbrication des niveaux est essentielle. Nous voulions donc de la perméabilité à de multiples endroits. La question de la hauteur était cruciale car, dans le premier modèle, certains bâtiments étaient aussi hauts que la Säureturm. Nous trouvions que ce n’était pas acceptable. Il n’est pas possible qu’un bâtiment domine la Säureturm. Aujourd’hui, tout le monde s’accorde à dire que la Säureturm restera un élément dominant. Par contre, nous ne savons pas encore comment l’utiliser concrètement. Un café panoramique n’est pas possible, et il reste à déterminer si la Säureturm pourra servir de belvédère à l’avenir.
Comment se présente le projet Attisholz par rapport à d’autres projets sur lesquels vous travaillez actuellement ?
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Attisholz est pour nous un projet exceptionnel – en raison de sa dimension historique, de sa situation topographique et de son envergure. Nous ne bénéficions pas tous les jours d’un tel luxe en matière d’espace. Le fait que nous ayons pu intervenir très tôt, avant même que les décisions urbanistiques et architecturales ne soient prises, a aussi constitué une particularité. Pour moi, en tant qu’architecte paysagiste, c’est l’idéal quand tout n’est pas encore défini, mais que nous avons encore de la marge de manœuvre, même en matière d’urbanisme. Les mauvaises décisions urbanistiques ne peuvent pas être corrigées dans le cadre de l’aménagement des espaces ouverts. C’est pourquoi l’approche de Halter nous a semblé exemplaire.
La crise climatique, entre autres, suscite un intérêt accru pour l’architecture paysagère. Que pensez-vous de cette évolution ?
Pour nous, la grande échelle est essentielle. Dans le cadre d’un petit projet de construction, nous pouvons éventuellement végétaliser des façades ou aménager un jardin sur le toit. Mais dans le contexte urbain, on ne peut vraiment répondre à la crise climatique qu’à l’échelle supérieure des quartiers. Car les constantes réellement résilientes dans le tissu urbain sont les espaces ouverts. Au final, l’architecture est statique, alors que les espaces ouverts permettent le mouvement. Pour moi, le mouvement est l’essence même de la conception des espaces ouverts.
La façon dont vous abordez l’existant est passionnante. Les friches industrielles comportent toujours un risque de verser dans la romantisation. C’est même le cas du parc paysager de Peter Latz à Duisburg-Meiderich, qui fait à juste titre l’objet de nombreuses louanges : l’ancienne usine sidérurgique ressemble aujourd’hui à un objet romantique et surréaliste niché dans un parc paysager.
Trouver les bonnes idées n’a pas non plus été chose aisée, car les éléments classiques d’un parc ne s’appliquent pas ici. En effet, même si Attisholz possède aujourd’hui le charme de l’isolement, plusieurs milliers de personnes y habiteront et y travailleront demain. C’est pourquoi la différenciation spatiale est indispensable, et nous essayons de l’obtenir en créant des zones et des ambiances différentes. Vouloir appliquer un concept uniforme à l’ensemble du site, comme l’ont proposé d’autres candidats au concours, ne m’aurait pas semblé adéquat. Ce n’était pas notre approche.
La proportionnalité est un sujet important. D’un côté, il y a la possibilité d’un concept uniforme qui ne rend pas justice à la complexité et à l’hétérogénéité de l’existant, mais qui offre peutêtre un effet de reconnaissabilité grâce à des éléments répétitifs. De l’autre, il y a la possibilité d’interventions extrêmement fractionnées et capillaires. Il semblerait que votre concept trouve le juste milieu, car il est assez imposant tout en faisant preuve de retenue. C’est une bonne combinaison, d’autant plus que le processus de transformation se déroule sur une longue période et que des changements doivent donc être possibles.
Je suis ravie que mon approche soit comprise. Gérer un horizon de planification aussi long n’est pas facile. Mais j’ai bon espoir que cela fonctionne !
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p. 18 – Anna Detzlhofer (62 ans) vit et travaille à Vienne. Elle est présidente de l’Österreichische Gesellschaft für Landschaftsarchitektur (ÖGLA) depuis 2022.
LA MIXITÉ AU PROGRAMME D’UN
QUARTIER VERT
Texte : Héloïse Gailing
Visualisations : Atelier Brunecky
Si le concours d’architecture est une tradition en Suisse, sa forme n’en a pas moins évolué avec la profession. Avec la numérisation du secteur de la construction, l’introduction du Building Information Modeling (BIM) dans les procédures semble donc logique. Lors du concours organisé en 2022 pour le futur projet La Cité du Vin à Rolle, Halter SA a accompagné aussi bien les six équipes d’architectes participantes que le jury et les maîtres d’ouvrage dans cette nouvelle pratique. Les lauréats sont désormais encadrés vers un processus de planification et de réalisation numérique de bout en bout. Développement
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& Urbanisme
Sur le site historique de la société Schenk Suisse SA, l’un des premiers producteurs de vins suisses, un nouveau quartier doit voir le jour ces prochaines années sous le nom de La Cité du Vin. Lorsque Halter SA en collaboration avec ses investisseurs Helvetia Assurances, Raiffeisen Caisse de pension et Previs Prévoyance remporte l’appel d’offres en 2021, la forme globale est alors déjà bien définie. En 2013, un projet urbain avait été lancé avec une mise en concurrence sous forme de mandats d’étude parallèles (MEP) pour l’élaboration d’un plan de quartier, qu’a remporté le bureau d’architecture CCHE. Le plan de quartier « Gare Nord – Schenk » prévoit la réalisation du nouveau site de production vinicole de l’entreprise sur une parcelle au nord, le long de l’autoroute. Au sud, le terrain d’un peu plus de 26 000 mètres carrés qui accueille le site actuel, à proximité directe de la gare CFF, est libéré pour créer un nouveau quartier résidentiel mixte. Reste à présent à donner une identité cohérente à ces deux terrains grâce au projet de La Cité du Vin.
Unité et diversité
Le plan de quartier comprend un peu plus de 43 000 mètres carrés de surface de plancher déterminante destinés au logement, aux activités artisanales et aux commerces ainsi qu’aux équipements publics. Bien que panachée sur l’ensemble de la parcelle, la répartition globale des activités se veut cohérente avec le contexte : au sud, le long de la gare, un front bâti doit accueillir logements et commerces ; les activités artisanales sont privilégiées sur la frange ouest, le long de l’axe routier et du nouveau site de production Schenk ; à l’écart de la circulation, la parcelle devient un parc, occupé principalement par des logements.
A la rencontre des différentes zones, un programme scolaire public articule les usages et ouvre le quartier sur la ville. Le plan de quartier définit aussi la nouvelle plateforme de la gare et un espace public attenant qui va de l’urbain vers une ambiance plus bucolique. Une ruelle commerçante à l’arrière de la frange bâtie de la gare fait la transition vers le parc paysager, qui bénéficie de pleine terre dans ce quartier qui se veut perméable aux parcours piétons.
Cette mixité programmatique constitue une caractéristique très forte du projet. Dans le programme du concours, elle se prolonge
même par la nécessité de mixité sociale avec l’importance de la variété typologique et de la diversité de standings de logements. Le futur quartier doit ainsi proposer des loyers libres, pour revenus moyens, avec des petites familles dans la partie urbaine en relation avec la gare et des logements familiaux plus généreux dans le parc à l’arrière.
Les loyers contrôlés (15% de la surface de plancher) et des logements pour seniors (5%) sont répartis entre la frange ouest et la partie vers la gare. Selon le programme du concours, cette multiplicité d’activités et de populations devrait se refléter dans l’expression architecturale. Plutôt qu’un morceau de ville unitaire, le règlement tend en effet vers la matérialisation de secteurs distincts qui appartiendraient pourtant tous à un quartier reconnaissable, à l’identité forte. Le projet devrait « explorer habilement la relation entre unité et diversité, passé et présent, afin de créer une image urbaine animée aux multiples facettes ».
L’importance du vide
Les aménagements extérieurs prennent alors une importance majeure puisque ce sont eux qui constituent le liant de cet ensemble hétérogène, grâce à un réseau de chemins publics et semi-publics qui parcourt le plan et favorise l’interaction sociale. Ces espaces extérieurs de rencontre doivent résoudre à la fois les questions de mobilité, de gestion des eaux, de climat et de biodiversité tout en étant des lieux de loisirs, de détente et de rencontre. Le vide a pour mission de créer la cohésion afin que les deux parcelles forment un tout : La Cité du Vin, à l’identité forte et assumée, entrée de ville qui renvoie à la fois à la tradition locale du vin et à un mode de vie urbain, contemporain. Le programme insiste sur la qualité de l’intégration paysagère et la nécessité d’une approche holistique de la part des équipes concurrentes. D’ailleurs, le choix des invitations de ces dernières reflète cette importance puisque sur six équipes toutes constituées d’au moins un bureau d’architecture et d’un bureau d’architecture du paysage, deux étaient pilotées par des architectes paysagistes. Et c’est finalement une de ces deux équipes, menée par le Studio Vulkan Landschaftsarchitektur de Zurich, en collaboration avec LRS Architectes de Genève et LVPH Architectes de Pampigny, qui est lauréate. Séduit par la radicalité de
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leur proposition, le comité d’évaluation a choisi le projet le plus homogène, qui distingue un bâtiment au caractère industriel affirmé en bordure de la gare et un îlot vert, planté de onze immeubles à l’arrière. Le premier bénéficie de sa situation urbaine pour proposer une grande flexibilité dans son aménagement et son évolution future. Sa structure en poteaux-dalles est adaptée aux différents programmes et l’insertion de trois courettes permet d’apporter de la lumière naturelle dans l’épaisseur. L’école est déplacée en tête de quartier, ce qui permet de lui donner une identité forte et a l’avantage de distinguer son préau des autres aménagements extérieurs. Dans le parc, les dix bâtiments rayonnent depuis un noyau de circulation intérieure jusqu’à une couronne de balcons périphériques qui leur confère une expression de légèreté, en contraste avec la minéralité du socle. Sous une apparence similaire, les plans déclinent une diversité de typologies qui répondent à la demande de mixité sociale.
Outre la qualité architecturale de la proposition, c’est bien ce grand espace vert arboré qui a convaincu le comité. Cerné par un mur de soutènement habité qui en dessine le contour, le parc devient un lieu à part entière dont le niveau n’est pas en continuité directe avec la ville. Vers la gare, le dénivelé est utilisé pour exploiter le rez des bâtiments comme un socle actif parsemé d’arcades. Des escaliers et des rampes rompent l’enceinte de manière ponctuelle et forment des pénétrantes de la ville vers le parc. Le réseau de chemins qui le parcourt ensuite constitue une maille de circulation assez homogène, qui ne tend pas à marquer un axe plutôt qu’un autre. Malgré un plan de quartier très dessiné et laissant peu de liberté aux concurrents, l’équipe lauréate est parvenue à donner une identité très spécifique à l’îlot qui s’exprime comme un tout dans le projet.
Le concours numérique
En cela, le concours reste un outil formidable, car il parvient toujours à susciter la surprise chez ses décideurs par rapport à leurs propres attentes. Même ici, dans le contexte d’un concours numérique, avec un schéma urbain aussi défini et une stratégie immobilière claire, la créativité des architectes et architectes paysagistes a permis d’apporter des réponses variées et
inattendues. Et si les données chiffrées issues de l’analyse des modèles BIM n’ont pas empêché le comité d’évaluation de se laisser surprendre, c’est aussi parce que, contrairement à ce qu’on pourrait attendre d’une telle procédure, le modèle numérique n’était ici qu’une partie des documents demandés. Son élaboration n’exigeait pas de détails constructifs qui auraient pu limiter le champ créatif dans le cadre d’un concours.
A la manière de la maquette en plâtre blanc des concours traditionnels, les modèles BIM ont principalement servi à comprendre la morphologie des projets et à comparer les propositions de manière neutre. De plus, l’outil facilite grandement la vérification des surfaces, et donc des coûts du projet, ainsi que les qualités d’ensoleillement des intérieurs, et permet une comparaison mathématique des projets sans tolérance ni ambiguïté. Selon un sondage anonyme réalisé auprès des équipes concurrentes, les retours sur l’utilisation du BIM dans le concours ont été très positifs.
Pour faciliter ce passage vers le numérique, Halter a encadré les participants lors du concours et propose aux lauréats des rencontres régulières avec différents spécialistes pendant le développement du projet. Il s’agit d’accompagner les architectes vers une pratique numérique qui facilite la planification du projet, son exécution et sa transition vers l’exploitation. Le modèle reste un outil parmi les autres, au service de la qualité architecturale et urbaine.
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Plan de situation projet lauréat: un mur de soutènement cerne le parc surélevé. Au sud, le dénivelé exploite le rez des bâtiments à la manière d’un socle.
Plan d’étage projet lauréat: les logements du parc s’articulent autour d’un noyau qui contient les distributions verticales, les salles d’eau et la technique.
Accès vé o-parking t C1 R 2N A C2 R+ N+A D1 R 4N A D2 D3 D4 R 4N A C3 R N A E1 5 A E2 R N A E3 R 5N A C1 R N C2 R 3N A D1 R 4N A D2 R 3N A D3 R 4N A D4 R+4N+A C3 R+4N+A E1 R 5N E2 R 5N A E3 R N C1 R N A D1 R+4N+A D2 R 3N A D3 R 4N A D4 C3 E1 R E2 E3 C1 R 2N A R+3N A D1 R 4N D2 D3 R N A C3 R 4N A E1 R 5N A R 5N A C1 C2 R 4N A D2 R+3N+A D3 R+4N+A D4 C3 E1 R 5N A E2 E3 C1 C2 D1 D2 D3 R 4N A D4 R 4N A C3 R 4N A E1 R N A E2 R N A E3 R 5N A 27 Komplex No 16/2023
pp. 24/25 – Le bâtiment au caractère industriel situé en bordure de la gare fait référence à l’atmosphère urbaine de son environnement. Les volumes végétalisés côté parc reposent sur un socle ponctué de grandes arcades voûtées. Entre les deux s’étend une ruelle commerçante piétonne, un lieu vivant qui favorise les rencontres.
p. 29 – Le projet lauréat développe un réseau de chemins qui forme une maille de circulation entre les bâtiments du parc. Une couronne de balcons sur toute la périphérie crée des espaces extérieurs privés aux dimensions généreuses. Avec leurs terrasses, les logements du rez profitent eux aussi de la verdure environnante.
Studio Vulkan Landschaftsarchitektur AG
Fondé en 2014, Studio Vulkan est né de la fusion entre Schweingruber Zulauf Landschaftsarchitekten et Robin Winogrond Landschaftsarchitekten. L’équipe du Studio Vulkan Landschaftsarchitektur, dont les sièges sociaux sont à Zurich et à Munich, se compose d’une quarantaine de personnes de dix nationalités différentes. Le Studio Vulkan formule, à travers différents projets, des réponses possibles pour le développement de l’architecture paysagère actuelle ainsi que pour la sensibilisation de l’humain à son environnement naturel et construit.
→ www.studiovulkan.ch
LRS Architectes SA
LRS a été créé à Genève en 1999 par Laurent Lin, Alain Robbe et Rolf Seiler. Aujourd’hui, l’atelier regroupe une équipe pluridisciplinaire et multiculturelle, active dans les domaines de l’urbanisme, de l’architecture et de son enseignement. Leurs projets sont principalement issus de concours primés et s’étendent de la maison individuelle à la planification urbaine. Ils portent sur des programmes de logements, de bureaux et d’équipements publics pour des acteurs locaux et internationaux.
→ www.lrs.ch
LVPH Architectes Sàrl
Créé en 2003 par Laurent Vuilleumier et Paul Humbert, le bureau LVPH a consacré plusieurs années à la réaffectation de bâtiments agricoles avant de développer des projets de plus grande ampleur résultant de concours publics d’architecture. Lauréat de la Distinction romande d’architecture en 2006, 2014 et 2018, le bureau emploie actuellement trente et un collaborateurs et développe des programmes très variés en Suisse romande et en Suisse alémanique en s’occupant également de la direction des travaux quand les mandats le permettent. → www.lvph.ch
Développement & Urbanisme
Coupes projet lauréat: le mur autour du parc se transforme en socle percé d’arcades (en haut). Le parc est surélevé par rapport au niveau de la ville (en bas).
& BIM 425 90 426 50 426 50 5 7 11 13 396 55Atelier 40 Kitchenette 12 3.5m stockage 8m Artisanat atelier 361 261 N.F. ±0.00 = +402.50 grillage métallique main-courante acier inoxydable 460 100 Bac pour végétalisation Façade béton hydrodémolie N.F. ±0.00 = 402.50 L ACOUSTIQUE Pour les bâtiments du parc le projet répond la question du bruit en proposant un système un volet en verre installé dans embrasure de la fenêtre Fermés les volets garantissent la ventilation des pièces par les joints creux avec embrasure Ce système est économique et flexible Il altère pas aspect de la façade et peut également être proposé option pour appartements E2 408 50 abri PC activités ateliers 408 50 408 00 399 30 plaza stock vélos 396 55 +R 423 00 409 70 408 50 411 50 414 50 430 00 limite parcelle28
Les différents projets proposés pour La Cité du Vin par les six concurrents du concours d’architecture s’appuient tous sur le plan de quartier développé par CCHE en 2013. A sa manière, chaque équipe interprète ces règles d’urbanisme strictes afin d’optimiser les surfaces de plancher tout en conservant des espaces intérieurs et extérieurs de qualité. Alors que certains participants favorisent l’aménagement des espaces extérieurs, en balcon ou dans le jardin, d’autres proposent un travail plus poussé sur les typologies d’appartement ou les circulations communes des immeubles. Les questions techniques et environnementales sont intégrées et se traduisent bien souvent en dispositif paysager ou choix de matérialités de façade.
Aussi bien dans le projet lauréat que dans les cinq autres propositions, la cohésion entre les disciplines se traduit par l’adéquation du projet architectural au projet paysager. La diversité des réponses offre un aperçu de la créativité et de la qualité des bureaux invités.
L’ensemble des projets ainsi que l’appréciation du comité d’évaluation sont à découvrir sur l’exposition en ligne. → www.vivre-laciteduvin.ch
trois secteurs qui structure le site. Les bâtiments allongés dans le parc déclinent des appartements traversants, tandis que les immeubles voisins plus concentrés favorisent les typologies d’angle. Chaque logement possède un grand balcon saillant, emboîté dans le séjour et qui s’avance dans le parc et les arbres. L’orientation variable de ces balcons apporte une certaine dynamique au volume des immeubles.
Bien que les parements des façades varient entre un bardage en bois et des crépis à la chaux, la continuité est assurée dans le quartier par la saillie horizontale des dalles ainsi que les soubassements en pisé des immeubles.
En marquant de manière très présente les deux axes piétons du quartier, le projet des ateliers Burckhardt + Partner et Descombes Rampini distingue clairement trois secteurs. Pourtant les limites ne sont pas strictes : certains bâtiments sont implantés à cheval entre le secteur gare et le parc, tandis que les aménagements extérieurs créent des poches perméables, sous forme de placettes et de cours.
Le plan des logements et l’expression des façades reprennent cette distinction en
La proposition de l’équipe bâloise, composée de Harry Gugger Studio et Westpol Landschaftsarchitektur, se distingue par la fragmentation du front bâti de la gare en trois plots, et par la création d’une cour artisanale autour de laquelle s’organisent les locaux d’activité au nord-ouest. Les deux axes majeurs de circulation du site ne sont pas franchement tracés ; leur dessin oscille entre des zones plantées de manière à atténuer les lignes directrices et les frontières entre secteurs.
Les plots formés au sud en direction de la gare se rapprochent des gabarits du secteur ouest tandis que dans le parc, les immeubles sont organisés en volumes fragmentés. De cette manière, les constructions réduisent leur impact visuel et offrent davantage de façade. De grands balcons saillants participent à ce jeu de démultiplication de la masse, de même que les coursives qui desservent certains immeubles. Une grande diversité de typologies est alors proposée, avec des logements originaux.
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Harry Gugger Studio AG, Bâle Westpol Landschaftsarchitektur GmbH, Bâle
Burckhardt + Partner SA, Lausanne
Atelier Descombes Rampini SA, Genève
Développement & Urbanisme
Itten + Brechbühl SA, Lausanne
Argemí Bufano Architectes Sàrl, Genève
MAP Architecture du Paysage SA, Lausanne
Avec la création sur la totalité de la parcelle d’un grand parc à l’échelle du quartier élargi, le projet multiplie les jardins thématiques et petits aménagements extérieurs identifiables. Cette richesse parvient à créer un effet de nappe uniforme et enveloppante sur tout le site, même dans la partie qui se veut plus urbaine, vers la gare.
Dans ce grand parc, les bâtiments sont légèrement déformés, de manière trapézoïdale, afin de fluidifier la circulation et leur donner une certaine dynamique de forme. En alternant des immeubles dotés de balconsloggias aux angles et d’autres couronnés de balcons périphériques, l’équipe peut offrir différentes typologies, intéressantes dans leur fonctionnement mais jugées trop généreuses par le comité. Ce dernier reproche également un manque de lumière dans certains appartements, vérification possible grâce au modèle BIM.
prolongeant – une mesure qui vise à marquer symboliquement l’attachement du site à la tradition vinicole. Dans le même ordre d’idées, la rue piétonne située à l’arrière du bâtiment de la gare est recouverte d’une treille qui évoque l’univers de la vigne et sa culture, mais elle affiche une certaine étroitesse et son langage végétal n’a pas convaincu le comité d’évaluation.
Les bâtiments se caractérisent par un jeu de fragmentation des volumes et de grands balcons qui confèrent aux gabarits des silhouettes découpées et individualisées. Cette démultiplication du linéaire de façade procure une intéressante richesse de vues et d’orientations aux appartements. Le long de la gare, la barre reprend ce jeu avec un pli triangulaire qui déforme la façade et accueille les balcons.
Cette proposition accentue l’axe piéton nord-sud qui relie la gare au futur site de production de la maison Schenk tout en le
Cette équipe propose aussi de fragmenter la barre formée par le bâtiment de la gare, mais uniquement dans les niveaux supérieurs. Ce geste marque la volonté de relier le projet à son environnement direct et lointain, notamment en augmentant les percées vers le lac. La densité du projet a séduit le comité qui lui reproche néanmoins de réaliser cette performance au détriment de certaines typologies.
Différentes matérialités sont déclinées en façade, dans des nuances de couleurs harmonisées, parfois sur un même bâtiment. Sur l’ensemble du site, de grands axes structurels organisent les immeubles et contribuent à orienter les typologies selon les vues et les nuisances. Sur les contours de la parcelle, les façades sont disposées en recul de balcons linéaires censés améliorer la protection contre le bruit.
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Verzone Woods Architectes Sàrl, Vevey Magizan SA, Lausanne EMF Paysage, Gérone (Espagne)
RDR Architectes SA, Lausanne Forster Paysage Sàrl, Prilly
LA PÉRIPHÉRIE N’EXISTE PAS.
Plan de situation du quartier Horner Geest à Hambourg : la périphérie de la ville sous la forme d’une addition d’archipels. Les couleurs indiquent les zones interprétées comme étant cohérentes d’un point de vue urbanistique.
PROPOSITIONS POUR
TRANSFORMER
L’AGGLOMÉRATION EN UN FRAGMENT DE VILLE
Développement & Urbanisme – Essai
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Texte : Vittorio Magnago Lampugnani
Le phénomène du suburbain est né en même temps que celui de l’urbain : dès l’Antiquité, une zone aux limites floues marquait la transition entre la ville et la campagne environnante. Vers le milieu du XIXe siècle, cette zone a été découverte comme une alternative potentielle à la grande ville industrielle surdensifiée et polluée, mais aussi comme un lieu où l’on pouvait installer à moindre coût des personnes qui n’avaient pas les moyens de s’offrir un logement en ville.
Visages de la périphérie
Avec l’avènement de l’industrialisation et l’exode rural qui en a résulté, les villes à travers toute l’Europe ont connu une forte croissance, souvent incontrôlée. Les périphéries urbaines ont envahi de vastes zones autour des centres-villes, ont proliféré le long des infrastructures de transport, des voies ferrées et des artères routières, et ont englouti des villages ainsi que des terres agricoles. Le mouvement des cités-jardins d’Ebenezer Howard a tenté d’orienter ce phénomène vers des solutions urbanistiques et sociales plus judicieuses, tout en jouant un rôle proactif. Ainsi, Raymond Unwin, architecte, urbaniste et illustre figure de proue du Garden City Movement, s’est opposé dans son livre Town Planning in Practice, écrit en 1909, à l’envahissement du paysage naturel par des habitations juxtaposées de manière sauvage et parfois très rapprochée, qui n’étaient de toute évidence guidées par aucune considération pour les besoins communautaires des habitants. Même la Charte d’Athènes de 1942, par ailleurs très favorable au progrès, et son porte-parole Le Corbusier accusaient la croissance urbaine de l’ère des Machines, sans concept ni contrôle, d’être responsable du chaos régnant dans les villes contemporaines, et dénonçaient les implantations suburbaines.
Avec les extensions de Paris, de Barcelone et de Berlin, on avait déjà pu constater au XIXe siècle que les poussées de développement jusqu’alors inédites des grandes villes pouvaient être compensées par des mesures résolument urbaines : ainsi, Berlin est passée d’une ville de 525 000 habitants à une métropole de 2 millions d’habitants conformément aux lignes directrices de James Hobrecht. Toutefois, la société de masse du XXe siècle a imposé la maison individuelle avec jardin comme miniature et substitut du château aristocratique et de la maison de campagne de la grande bourgeoisie, et ce, généralement sans aucun scrupule sur le plan de l’urbanisme. Les premières banlieues comme Hampstead Garden Suburb près de Londres de Barry Parker et Raymond Unwin, Riverside près de Chicago de Frederick Law Olmsted et Calvert Vaux, ou encore Coral Gables près de Miami de
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George Edgar Merrick étaient pour la plupart chic, mais aussi uniques en leur genre, et de la plus grande qualité tant paysagère qu’urbanistique. Les constructions qui ont suivi, des plus opulentes aux plus modestes, étaient assez uniformes et ubiquitaires. Sous l’effet conjugué malencontreux des forces politiques, sociologiques, technocratiques et de l’économie de marché, les villes ont explosé en agglomérations périphériques fragmentées qui ne se sont pas développées de manière réfléchie à partir du centre densifié, mais l’ont assiégé avec des structures éparses et pour la plupart labyrinthiques. Aujourd’hui, environ deux tiers de la population européenne vit dans ces structures, et ailleurs, cette part est encore plus élevée.
L’époque où seuls les plus pauvres parmi les pauvres vivaient en dehors de la ville dans des maisons ou des baraques lugubres, juste à côté d’usines puantes et bruyantes, est révolue depuis longtemps. Aujourd’hui, l’agglomération est un mélange hétéroclite de cités-jardins, de groupes de maisons individuelles, de jardins ouvriers, de cités-dortoirs, d’immeubles de bureaux, de petites entreprises industrielles, d’usines désaffectées, sous-utilisées ou réaffectées, de complexes artisanaux, de centres commerciaux, de bâtiments sportifs, d’entrepôts logistiques – et d’immenses infrastructures omniprésentes. Les agglomérations restent soumises à une forte pression de développement et représentent à la fois la grande chance et l’enfant terrible de l’urbanisme contemporain.
Stratégies pour l’urbanisation de l’agglomération Comment faire pour transformer la Cendrillon de l’urbanisation européenne en une princesse désirable ? Tout d’abord, il faut soigneusement équilibrer les usages. La mauvaise réputation des périphéries est en grande partie due à leur monofonctionnalité : les cités-dortoirs, complexes d’usines, zones industrielles et centres commerciaux sont généralement séparés les uns des autres de manière rigide. Or, c’est le contraire qu’il faut viser : un mélange d’usages qui répond à tous les besoins des habitants et transforme les îlots fonctionnels en quartiers vivants et agréables.
Ces usages doivent être suffisamment rapprochés pour permettre aux gens de se déplacer facilement entre eux. L’agglomération dispersée doit être densifiée, mais pas sans mesure, ni partout, ni n’importe comment. Par exemple, si des rangées de maisons datant des années 1950, trop clairsemées pour notre époque, mais bien proportionnées en elles-mêmes et entourées d’espaces ouverts agréables, sont surélevées de manière rigide, elles perdent leurs qualités sans pour autant accueillir
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beaucoup plus d’habitants. Tous les terrains ne se prêtent pas à la construction, par exemple lorsqu’ils sont si fortement exposés aux nuisances que l’architecte doit prévoir, pour des raisons de protection contre le bruit, des façades fermées et peu accueillantes, avec des fenêtres qui ne peuvent pas être ouvertes. Et les tours ne doivent pas être construites au hasard, là où il y a de la place ou un investisseur, mais exclusivement à des endroits importants du point de vue urbanistique. La densification, même intelligente et appropriée, exige des compensations. C’est ce qu’offrent les espaces non bâtis. Mais nous ne parlons pas ici de friches inhospitalières ni de terrains vagues résiduels, qui sont plus que suffisamment nombreux dans l’agglomération, mais de rues, de places, de jardins et de parcs. Ces espaces doivent être conçus de manière cohérente et aménagés avec soin. Dans la mesure du possible, ils doivent même être planifiés avant les maisons. Si les maisons sont privées, les espaces ouverts sont communs. Ils constituent le fondement spatial, mais aussi et surtout social, d’un quartier. C’est pourquoi ils sont prioritaires. Leur préservation n’est pas seulement l’expression d’un altruisme nourri par l’esprit social : les espaces ouverts mettent également en valeur les immeubles voisins.
S’il existe des rues, des places, des espaces verts et que ceux-ci fonctionnent bien, les bâtiments n’ont pas besoin de les imiter à l’intérieur, comme le font depuis des décennies les centres commerciaux et, de plus en plus, les nouveaux complexes de bureaux qui, en plus des postes de travail, proposent des centres de fitness, des cafés et des restaurants dans des atriums vitrés. De telles installations hybrides ne sont que des substituts de ce que la ville a à offrir de bien meilleur, de plus vivant et de plus efficace aussi. L’agglomération n’offre que peu de commodités urbaines véritablement publiques ; et c’est précisément là que devrait intervenir sa revalorisation.
En effet, les conglomérats d’usages et de constructions disparates de la périphérie doivent être transformés en quartiers urbains aussi autonomes que possible, eux-mêmes reliés entre eux et au centre-ville. Cela ne peut se faire qu’à travers une planification qui ne s’arrête pas aux limites des propriétés. Si les architectures individuelles qui se veulent désormais ambitieuses, même en périphérie des villes, apportent des touches attrayantes, elles ne sont guère utiles sur le plan structurel. Ce dont les agglomérations ont cruellement besoin, ce sont des projets d’urbanisme globaux, précis et concrets. Eux seuls peuvent constituer un cadre de développement permettant la mise en valeur des nouvelles constructions tout comme celle des
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Plan de situation du projet pour le quartier Horner Geest à Hambourg : la nouvelle Manshardtallee comme épine dorsale du quartier densifié, le bâti existant conservé et soigneusement revalorisé, la poursuite de la construction de la ville tel un collage avec de nouveaux archipels urbains.
Horner Geest 2030, Hambourg, mandat d’étude
Un modèle pour la densification de la périphérie urbaine clairsemée
Avec ses groupes de maisons isolées dans de vastes espaces verts, le quartier hambourgeois de Horner Geest est un lieu de vie attrayant, tant sur le plan social que sur celui de l’espace urbain. Son caractère singulier ne doit pas être dilué par la densification relativement importante prévue. C’est pourquoi un aménagement urbanistique tout en finesse est proposé. Les secteurs existants sont conservés avec respect et leurs espaces ouverts sont valorisés de manière conviviale. Les bâtiments vétustes seront peu à peu remplacés par de nouveaux ensembles, substantiellement et résolument plus denses. Ceux-ci allieront urbanité et cours généreuses et végétalisées. Les places de stationnement quitteront les rues pour rejoindre des parkings à plusieurs étages qui pourront être transformés ultérieurement en surfaces commerciales. Les espaces verts existants seront harmonisés, améliorés sur le plan écologique et reliés entre eux. Des centres fonctionnels et identitaires très denses seront créés aux deux stations de métro. Entre les deux se dessine la nouvelle Manshardtallee : elle accueillera la mobilité douce sans pour autant exclure totalement le trafic motorisé et constitue, en tant que zone de rencontre innovante, l’épine dorsale communautaire du quartier. © Baukontor Architekten avec Feddersen & Klostermann, Nipkow Landschaftsarchitektur, Atelier Girot et Transsolar Klimaengineering
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Le quartier Horner Geest aujourd’hui, une extension urbaine typique des années 1950 et 1960, selon le modèle d’une ville structurée et aérée avec des constructions hétérogènes dans un cadre de verdure.
Vue aérienne de l’Audorfring : l’archipel aujourd’hui. Des rangées de maisons dispersées librement et agréablement proportionnées, séparées par des espaces verts, des parkings et des garages. La Manshardtallee est une simple voie de circulation sans aucun attrait.
Axonométrie de l’Audorfring : l’archipel revalorisé avec des espaces ouverts réaffectés et réaménagés. Au centre, la nouvelle Manshardtallee, avec en haut à gauche (coupées) de nouvelles constructions densifiées.
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Axonométrie schématique de la Horner Geest Platz : superposition du bâti existant, qui sera démoli dans le cadre de l’aménagement de la nouvelle station de métro, et du bâti dense à usage mixte qui le remplacera, afin de créer une nouvelle place urbaine.
Axonométrie de la Horner Geest Platz : les bâtiments à cour ouverte définissent clairement la nouvelle place et la Manshardtallee, également réaménagée ; des jardins communautaires protégés seront créés à l’intérieur des cours.
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structures bâties existantes. Eux seuls peuvent faire prospérer les synergies fonctionnelles, économiques et sociales. Eux seuls peuvent transformer la juxtaposition banale de bâtiments, d’espaces ouverts et d’infrastructures de transport en un ensemble urbain fascinant.
Ce n’est pas sans raison que de telles planifications globales sont rares. En effet, elles nécessitent une volonté politique pour les initier, en assumer la responsabilité et les mettre en œuvre dans l’optique du bien commun, au-delà des décisions administratives et des intérêts particuliers. Et elles requièrent un vaste savoir-faire en matière d’urbanisme, notamment parce qu’elles ne doivent pas se cacher derrière des concepts abstraits et flous, mais répondre à des exigences fonctionnelles et techniques ainsi qu’à des critères spatiaux, voire esthétiques, très concrets.
L’ensemble urbain ne gommera pas la spécificité des sites qui composent l’agglomération et ne se l’appropriera pas non plus. Une ville moderne n’est pas une structure homogène, c’est une composition d’éléments variés. Ces éléments peuvent et doivent être aussi divers que les époques et les circonstances qui les ont générés. Mais ils ne doivent pas être différents au point de ne présenter aucun point commun ni aucune cohérence.
Or, c’est précisément ce qui risque d’arriver à l’agglomération. Sa prolifération aléatoire a donné naissance à un bricà-brac d’usages et de formes architecturales qu’il s’agit d’ordonner et d’apaiser, ce qui est d’autant plus exigeant qu’il n’est pas question de tout démolir pour reconstruire. Pour des raisons économiques, mais aussi écologiques, et enfin culturelles, il faut souvent composer avec l’existant. Par conséquent, il convient d’évaluer soigneusement ce que l’on peut abandonner pour le remplacer par quelque chose de mieux et obtenir ainsi une nouvelle qualité urbanistique, et ce qui doit être conservé et éventuellement réaffecté ou transformé. Cette dernière solution peut s’avérer avantageuse, comme le montrent les sites industriels réhabilités qui, en de nombreux endroits, allient fonctionnalité flexible et charme identitaire.
Portrait-robot d’un quartier urbain
Le réaménagement doit viser la création de quartiers urbains dans l’agglomération. Ce terme est depuis peu sur toutes les lèvres. Alors que pendant des décennies, on ne parlait que de complexes, de sites, de zones et de lotissements lors de nouveaux projets d’aménagement d’envergure, on les appelle désormais en de nombreux endroits des « quartiers », afin de leur conférer le cachet d’une urbanité qui reste bien souvent lettre
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morte. Que faut-il pour qu’un lieu tienne réellement cette promesse ? Tout d’abord : des usages équilibrés. Il s’agira principalement d’immeubles d’habitation. Puis des crèches, des jardins d’enfants, des écoles, mais aussi des magasins et des cinémas. Et des lieux de travail : des bureaux, des manufactures, éventuellement des petites usines. Deux fois plus de logements que d’emplois constitue une valeur de référence stable. Idéalement, les bâtiments ne seront ni monofonctionnels ni conçus sur mesure pour un usage particulier, mais accueilleront des installations communes au rez-de-chaussée et seront suffisamment neutres pour pouvoir s’adapter et évoluer. Un quartier n’est pas une cité-dortoir ni un ghetto de travailleurs, mais un fragment de ville. Dans l’idéal, un quartier est une petite ville dans la grande.
La taille d’un quartier doit être raisonnable et les distances entre ses différents lieux doivent être courtes. S’il n’y a pas de règles fixes, il existe quelques valeurs indicatives : tout ce dont on a besoin pour la vie quotidienne doit être accessible en dix minutes, soit dans un rayon d’environ 500 mètres. Pour être autonome, un quartier doit compter une population critique d’environ 10 000 personnes. Celles-ci doivent cohabiter de manière rapprochée pour tenir sur une surface limitée : un quartier a besoin de densité.
Il sera relié à son environnement urbain, mais il a également besoin d’un plan clairement identifiable. Celui-ci reposera sur les structures existantes, mais aura sa propre configuration et, outre des points de connexion, des limites – non pas physiques, mais esthétiques. La géométrie du tracé des rues doit être cohérente en soi : peu importe qu’elle soit orthogonale ou courbe, hiérarchique ou homologue. Les espaces publics, les rues et les places doivent être tout aussi cohérents en termes de réalisation et d’aménagement : revêtements de sol, trottoirs, jardins, clôtures, mais aussi éclairage public, bancs et tous les autres éléments de mobilier urbain. Ils confèrent à l’espace urbain non seulement son utilité et son attrait, mais aussi son caractère. Le quartier devient une création architecturale.
Mais il n’y a pas que le tracé des rues qui doit être cohérent, les architectures doivent l’être tout autant. Bien évidemment, un quartier à usage mixte comprend également des bâtiments particuliers, à commencer par les bâtiments communautaires. Mais la plupart des bâtiments doivent illustrer et matérialiser la cohésion du quartier, notamment par leurs façades. Elles constituent l’interface entre l’habitat privé (ou les activités professionnelles) et la vie publique. Elles incarnent le visage des bâtiments et, dans leur ensemble, celui du quartier.
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Chaque quartier a absolument besoin d’un centre communautaire : une place. Une esplanade ou un parc, voire une rue particulière, peuvent également remplir cette fonction. Le centre a des raisons fonctionnelles : des événements tels que le marché hebdomadaire ou des festivités ont besoin d’un espace approprié. Mais il a aussi et surtout des raisons symboliques : la petite communauté a besoin d’un lieu où elle peut se réunir, se manifester, être elle-même. Un lieu d’identification.
La périphérie à l’instar du centre ?
C’est là que l’on pourrait objecter : des quartiers clairs et identifiables, des places agréables à vivre, des allées et des jardins offrant une grande qualité récréative, des maisons au style paisible, des bâtiments communautaires dignes – ces stratégies proposées ne sont-elles pas identiques à celles qui devraient être mises en œuvre dans le centre-ville, dans la ville compacte qui s’est développée au fil du temps ? Effectivement, elles le sont. Certes, dans l’agglomération, la situation de départ est différente et plus exigeante que dans la ville compacte, mais l’objectif est le même : créer un environnement urbain fonctionnel, attrayant et durable à tous égards.
Cet environnement urbain, la périphérie le mérite autant que le centre. Il y sera différent, mais pas de moins bonne qualité. La ville moderne offre des lieux divers, mais chacun d’entre eux doit être de qualité équivalente sur le plan fonctionnel, social et esthétique. Ce n’est qu’en atteignant ces objectifs que la ville moderne correspondra également à une société moderne, égalitaire, juste et durable.
Vittorio Magnago Lampugnani (72 ans), né à Rome, a étudié l’architecture à l’Université La Sapienza et à l’Université de Stuttgart. Dans les années 1980, il a largement contribué à la conception de l’Exposition internationale d’architecture de Berlin. Plus tard, il a publié la revue Domus à Milan et a été directeur du Deutsches Architekturmuseum à Francfort-sur-le-Main. De 1994 à 2016, il a occupé la chaire d’histoire de l’urbanisme à l’EPF de Zurich. Depuis 1981, il dirige le Studio di Architettura à Milan et, depuis 2010, en partenariat avec Jens Bohm, le bureau Baukontor Architekten à Zurich. Parallèlement, il enseigne à la Graduate School of Design de l’Université Harvard et écrit pour la Neue Zürcher Zeitung. Parmi ses projets les plus importants figurent le Campus Novartis à Bâle, le quartier Richti à Wallisellen, la gare souterraine de Mergellina à Naples et l’immeuble commercial de la Schiffbauplatz à Zurich. Parmi ses publications les plus importantes, on peut citer Die Modernität des Dauerhaften (1996), Die Stadt im 20. Jahrhundert (2010), Atlas zum Städtebau (2018) et Bedeutsame Belanglosigkeiten (2019).
→ www.baukontorarchitekten.ch
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UN VILLAGE À CÔTÉ DE LA GARE
La Suisse romande connaît actuellement de profondes mutations urbaines liées à la modernisation de ses réseaux de transport. Un processus initié par les CFF vise en particulier les secteurs autour des gares et les transforme en de véritables lieux de vie. En parallèle, les anciennes friches ferroviaires sont libérées pour accueillir de nouveaux quartiers. Imaginé par Itten + Brechbühl et Strata Architecture, le projet Velâdzo s’inscrit dans cette dynamique avec la création d’un ensemble de logements et de commerces rattaché directement à la gare de Bulle et intégré dans de nouveaux espaces publics.
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Texte : Héloïse Gailing
Photos : Philippe Béchet, Benoit Hauviller
C’est un projet d’articulation. Situé immédiatement contre la gare de Bulle, entre un îlot neuf et la future place de la Gare, l’ensemble bâti imaginé par Itten + Brechbühl et Strata Architecture et réalisé en consortium avec Halter SA participe à la fabrication de la ville. En plus d’accueillir des surfaces d’activités nécessaires à cette nouvelle entrée dans le chef-lieu gruérien, il relie les différents usages et niveaux du quartier. Pour cela, l’équipe a choisi la forme d’un îlot qui s’appuie sur un socle poreux de deux niveaux de commerces, en continuité de l’espace public environnant. Les connexions horizontales et verticales y sont gérées par l’aménagement d’un atrium central éclairé naturellement. D’un côté, au niveau inférieur, ce volume vide vient prolonger la future place de la Gare dans le centre commercial. Une liaison est aussi créée vers le passage sous-voie, offrant un accès direct pour les voyageurs. Au niveau supérieur, l’atrium dessert directement une place haute et le quai nº 1, tout en lui offrant un front de commerces qui l’anime.
Une multiplicité de programmes
La position fédératrice de ce socle, qui doit à la fois lier des niveaux d’espaces publics différents, connecter des flux de passagers à la ville et accueillir une activité propre, révèle la complexité globale de ce projet au sein duquel sont intervenus de multiples acteurs. En effet, cette partie du bâtiment répond en même temps aux enjeux d’un espace public majeur et à ceux d’un nœud multimodal, qui connecte les trains des Transports publics fribourgeois (TPF) à la gare routière régionale, aux bus communaux et à la Voie verte, un chemin de mobilité douce qui relie les centres névralgiques de l’agglomération bulloise. De plus, le bâtiment offre un accès livraison pour les commerces et des places de stationnement pour le quartier dans un parking qui s’étend au-delà de la parcelle, sous la nouvelle place de la Gare.
Parce qu’il s’inscrit dans une opération de revalorisation du quartier et qu’il revêt une importance régionale, le projet intègre la mutualisation des accès et de certains services avec ses voisins, par exemple la sous-station de froid ou l’installation de panneaux photovoltaïques en toiture. L’imbrication des programmes et des intervenants a ainsi constitué un véritable défi de planification et coordination, auquel s’est
ajoutée la complexité du projet en lui-même, liée à la multiplicité des programmes qu’il accueille.
Une entrée de ville Au-dessus du centre commercial, deux grands volumes linéaires sont dessinés de manière à libérer des vues de part et d’autre de l’îlot vers le paysage lointain : d’un côté, la Dent-de-Broc, de l’autre, le Moléson, véritable symbole des Préalpes fribourgeoises. Disposés autour d’une cour végétalisée qui interprète assez librement les typologies vernaculaires, les volumes sont implantés de manière à prolonger le rôle fédérateur du socle. Au nord, un premier « L » borde la place de la Gare et marque la tête du bâtiment. Au sud, l’autre volume forme un front le long des voies ferrées, appuyant ainsi l’entrée dans la ville depuis le quai. Les percées qui s’ouvrent entre les émergences offrent des respirations bienvenues dans ce bâti relativement dense.
En écho à l’atrium du centre commercial, la cour constitue le cœur du projet. Elle articule et dessert les deux bâtiments. Une thématique du vide programmé parcourt ainsi le projet de haut en bas, selon les besoins des usages. Cette verticalité est révélée par la lumière naturelle qui pénètre de manière zénithale depuis la cour vers l’atrium, jusqu’aux espaces souterrains du parking. L’arrivée depuis le bas est ainsi mise en scène. En outre, la cour offre la même porosité que l’atrium dans l’environnement direct du projet grâce aux liaisons visuelles créées avec le quai de la gare et la place haute. Elle est ici pensée comme un espace extérieur privatif, en regard sur la ville et le paysage lointain, qui propose des lieux de rencontre et de contemplation, à destination des locataires.
Autour de la cour, les deux bâtiments sont occupés par des bureaux et des surfaces d’activités telles qu’une crèche. Au-dessus, 76 appartements locatifs sont répartis sur quatre étages. Seule exception à cette organisation stratifiée, l’hôtel situé à l’extrémité sud-ouest de l’ensemble et qui s’étend sur toute la hauteur du bâtiment, jusqu’au 5e étage où se trouve un restaurant bistronomique. L’établissement quatre étoiles et la qualité des finitions souhaitée pour les logements, dont le standing reste abordable, démontrent la volonté de la maîtrise d’ouvrage de valoriser cette parcelle et
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Architecture & Design
HALTER . ITTENBRECHBÜHL . STRATA ARCHITECTURE LE NOUVEAU BÂTIMENT DE LA GARE DE BULLE PLANS DE PROJET Plan de rez-de-chaussée inferieur 025 10 1.400 HALTER . ITTENBRECHBÜHL . STRATA ARCHITECTURE LE NOUVEAU BÂTIMENT DE LA GARE DE BULLE PLANS DE PROJET Plan de situation ruealbert-rieter chemindescrêts route de la pâla place de la gare avenuedelagare 0251015 1.500 45 Komplex No 16/2023 Plan du rez inférieur: le centre commercial est directement relié à la nouvelle place de la Gare et au passage sous-voie. Plan de situation: deux grands volumes linéaires forment un îlot ouvert qui borde
place de la Gare au nord et les voies ferrées au sud.
la
l’importance de ce projet dans le développement de la ville de Bulle.
Diversité homogène
Dans les étages, les appartements sont organisés de manière traversante nord-sud. Certains logements mono-orientés, des studios et des deux-pièces, sont répartis en façade sud. Tous bénéficient d’une loggia, dont la disposition articule ou prolonge les séjours. Dans les appartements de 3 pièces, la distribution des chambres de part et d’autre du séjour offre de la flexibilité aux locataires qui peuvent alors occuper ces pièces en fonction de leurs besoins. Aux extrémités des bâtiments, des typologies différentes permettent d’aménager de plus grands logements.
Cette organisation en plan va de pair avec une structure en béton armé dessinée selon une trame irrégulière, dont la largeur varie de 3,20 à 3,80 mètres entre les chambres et les séjours. La superposition des programmes représente toujours un défi pour la cohésion entre les plans et la structure. Ici, les commerces ont néanmoins été aménagés selon la trame structurelle des logements, dont les murs de refend deviennent des porteurs ponctuels. Dans le parking en revanche, il a fallu mettre en place des sommiers de répartition de 60 centimètres de haut pour reprendre les charges des bâtiments et les distribuer différemment, afin de s’adapter au dessin des places de stationnement.
En façade, la grille structurelle est reprise et exprimée par un maillage d’éléments en béton préfabriqués auquel les agrégats issus du Jura donnent une teinte beige. Le profil biaisé des éléments verticaux confère à l’ensemble une dynamique qui rompt avec la rigueur de la grille. Un jeu d’inversion du sens de ces biais en fonction des joints des bandeaux horizontaux a été ajouté au principe de façade et donne une impression de répartition aléatoire qui participe au mouvement. Entre les lignes de béton, un remplissage de panneaux composites revêtus de tôle reprend la couleur foncée des cadres de fenêtres. Les garde-corps, également peints, se fondent dans la composition et renforcent l’effet de contraste souhaité par les architectes.
Comme beaucoup de terrains hérités d’anciennes friches TPF, la parcelle a dû être assainie avant d’entamer le chantier. Les terrassements importants nécessaires
au projet ont néanmoins facilité la dépollution. En plus d’un chantier mené pendant la pandémie de Covid-19 et les restrictions liées, la coordination des différents acteurs du projet a constitué un véritable défi pour l’équipe en charge de sa construction. Ces efforts ont toutefois été récompensés avec l’attribution du Prix de l’immobilier romand 2022 dans la catégorie Bâtiments mixtes, décerné par le magazine Bilan en collaboration avec le SVIT Romandie, la section romande de l’Association suisse de l’économie immobilière. Cette distinction s’adresse aussi bien au cahier des charges défini par la maîtrise d’ouvrage qu’au projet conçu par les architectes et à la réalisation par l’entreprise.
Un village urbain
Finalement, les TPF, propriétaires du projet, ont choisi de commercialiser le complexe sous le nom de Velâdzo, du patois fribourgeois pour « village ». D’abord surprenant, le choix d’un vocabulaire rural pour ce projet à l’ambition urbaine reflète la volonté de la maîtrise d’ouvrage de développer des opérations qui accompagnent l’urbanisation de la région tout en respectant les qualités de vie qu’on y trouve.
L’ensemble bâti offre ainsi d’une part des vues sur le paysage emblématique, des espaces de rencontre à l’échelle du quartier, et d’autre part des logements confortables, directement raccordés au réseau de transports. Un projet qui peut sembler ambitieux pour la ville de Bulle, mais qui anticipe un développement urbain raisonné et souhaitable de villes d’échelle moyenne s’appuyant sur une mobilité forte.
→ www.veladzo.ch
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Plan du 1 er étage: la cour végétalisée est entourée de bureaux et de surfaces d’activités telles qu’une crèche.
Plan d’étage standard: du 2 e au 5 e étage, les deux bâtiments accueillent des appartements de tailles et de typologies différentes.
HALTER . ITTENBRECHBÜHL . STRATA ARCHITECTURE LE NOUVEAU BÂTIMENT DE LA GARE DE BULLE PLANS DE PROJET Plan des étages type 025 10 1.400 HALTER . ITTENBRECHBÜHL . STRATA ARCHITECTURE LE NOUVEAU BÂTIMENT DE LA GARE DE BULLE PLANS DE PROJET
premier étage 025 10 1.400 48 Architecture & Design
Plan de
LOGEMENTS
LOGEMENTS
LOGEMENTS
LOGEMENTS
BUREAUX
COMMERCES
COMMERCES
PARKING CAVES
p. 42 – Le projet Velâdzo est en lien direct avec la gare rénovée de Bulle et représente un nouveau point d’accès dans la ville.
p. 46 – L’implantation des volumes autour d’une cour intérieure végétalisée apporte des respirations au bâti relativement dense. Vers l’est, des vues s’ouvrent sur le centre-ville de Bulle tout proche (en haut). Un large escalier longe la face est de l’îlot. Il crée une liaison directe entre la place de la Gare, en contrebas, et une place haute par laquelle on accède au quai nº 1. Cet axe public permet également de raccorder les deux niveaux de commerces du socle (en bas).
p. 49 – Des ascenseurs et un escalator relient les deux niveaux du centre commercial doté d’un atrium éclairé naturellement (en haut). Les appartements disposent de fenêtres à hauteur de plafond, sécurisées par des garde-corps peints de couleur foncée (en bas).
p. 51 – Le toit vitré de l’atrium s’étend entre les bâtiments dans la cour intérieure. La lumière naturelle pénètre de manière zénithale jusqu’aux espaces souterrains du parking. Un maillage d’éléments en béton préfabriqués recouvre la façade telle une grille.
Itten + Brechbühl SA
Depuis sa fondation à Berne par Otto Rudolf Salvisberg et Otto Brechbühl en 1922, le bureau Itten + Brechbühl construit, expérimente et s’affirme à travers l’architecture et ses différentes échelles. Il a développé une grande expérience dans les processus de travail, les programmes spécifiques et les solutions adéquates, ce qui se traduit également dans sa structure. Au fil des années, des réseaux se sont constitués sous la forme de partenariats permanents aussi bien que de partenariats par projets. Itten + Brechbühl intervient sur le plan mondial comme sur le plan local, à grande comme à petite échelle, en tant qu’architectes-concepteurs et comme planificateurs généraux. → www.ittenbrechbuehl.ch
Strata Architecture Sàrl
La bureau Strata Architecture a été fondé en 1994 par Pierre-André Bohnet et Diana Stiles. Son nom représente la diversité de création qui est menée dans les travaux tant pour des objets que pour des espaces intérieurs ou pour des bâtiments. Les interventions portent aussi sur le paysage et sur la dimension urbaine de la ville. La philosophie de travail de Strata repose sur une volonté d’expérimenter des matières et des couleurs tout en recherchant des nouvelles compositions de formes et d’espaces. Selon les situations, les approches créatives peuvent être très différentes et amènent à des prises de position très variables en relevant les richesses contextuelles, historiques ou environnementales. → www.strata.ch
Coupe: le projet réunit une multiplicité de programmes empilés les uns sur les autres, tout en étant intelligemment imbriqués.
HALTER . ITTENBRECHBÜHL . STRATA ARCHITECTURE LE NOUVEAU BÂTIMENT DE LA GARE DE BULLE PLANS DE PROJET
025 10 1.300 50 Architecture & Design
Coupe transversale
L’AVANT-POSTE DU FUTUR URBANISME
Conçue par le cabinet Burkard Meyer Architekten dans un esprit résolument urbain, la Bäretower d’Ostermundigen règne encore en solitaire. Ses trente-deux étages habillés d’une façade en aluminium anodisé pointent vers le ciel. Mais dans un peu plus de six ans, elle deviendra, avec l’arrêt de tram qui sera alors terminé, le repère du centre urbain en cours de développement dans cette commune de banlieue bernoise en pleine croissance.
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Texte : Reto Westermann
Photos : Damian Poffet
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C’est avec élégance que la Bäretower se dresse vers le ciel à côté de la gare d’Ostermundigen. Son apparence varie lorsqu’on en fait le tour. Vue depuis l’est, en direction de la gare, la silhouette est élancée, tandis que depuis le nord, une annexe semble ancrer visuellement la tour dans le sol. Vue depuis l’ouest, elle présente des saillies latérales et depuis le sud, le bâtiment dévoile toute sa largeur.
Les contrastes entre l’architecture bucolique de l’ancien village et la nouvelle construction urbaine sont encore très marqués autour de la Bäretower : par exemple à l’angle nord-ouest, où le bistrot au look citadin situé au pied de la tour jouxte directement un lotissement datant des années 1950. A l’est, le bâtiment historique de la gare construit en 1912 n’est qu’à quelques encablures. Mais cet environnement est appelé à se transformer prochainement : en effet, la tour est l’avant-poste de l’urbanisation en cours de cette commune de banlieue. Dans six bonnes années, les trams de la nouvelle ligne en provenance de Berne s’arrêteront aux abords de la tour, au nouveau point de correspondance avec le S-Bahn. La fusion de la commune avec la Ville fédérale est également prévue, et d’autres nouvelles constructions suivront. Avec la réalisation de la tour, Ostermundigen s’est déjà dotée d’une place urbaine à proximité de la future station de tram. Jusqu’à présent, une telle place faisait défaut dans le tissu urbain qui s’étend tout au long de la Bernstrasse.
C’est l’adoption en 2015 du nouveau plan de quartier qui a rendu possible la concrétisation de la Bäretower, développée par Halter SA. Il a permis de démolir l’auberge Bären et de la remplacer par une tour de trente-deux étages, une annexe de cinq niveaux, un bâtiment indépendant de trois niveaux – appelé Kubus – et une place. Les plans ont été réalisés par le bureau d’architectes Burkard Meyer de Baden, et Helvetia Assurances a été le maître d’ouvrage.
Une topographie de façade captivante
La tour constitue un élément urbain par excellence. Même si la construction contraste encore avec son environnement, elle s’y intègre bien. La façade en aluminium y est pour beaucoup. Conçue avec soin et finesse, elle fait alterner des surfaces naturelles et anodisées couleur bronze.
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nervurés et extrudés, similaires
Plan du 32e étage : des escaliers permettent d’accéder aux terrasses des appartements en attique depuis les loggias.
Plan du 11e au 28e étage : le noyau plus petit des étages standards laisse plus d’espace pour les appartements.
Plan du 9e étage : le restaurant, sa cuisine et sa terrasse se déploient autour du noyau de desserte.
Plan du 6e étage : la majorité des appartements disposent ici d’une loggia comme espace extérieur privé.
Plan de situation : le bâtiment Kubus pentagonal, la tour et l’annexe sont reliés entre eux par la Bärenplatz, juste à côté du rond-point.
Arealschnitt
Coupe : la tour, le bâtiment Kubus et l’annexe reposent sur un parking souterrain de deux niveaux. On voit le changement de forme du plan à hauteur du restaurant.
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à une tôle trapézoïdale, apportent des touches horizontales, des lésènes entre les fenêtres soulignent la hauteur des étages, une alternance de vitrages fixes affleurant la façade et de vantaux de fenêtres décalés vers l’arrière crée des effets de profondeur. Par ailleurs, la matérialisation bicolore produit des jeux de couleurs changeant en fonction de la lumière, de l’heure du jour et de la saison.
La façade a été conçue de la même manière pour l’annexe et, dans une version légèrement différente, pour le bâtiment cubique, qui forment ainsi une unité. La silhouette de la tour est dynamisée par un changement de la forme de base entre le 9e et le 10e étage. Les architectes ont ainsi fait de la nécessité une vertu : en effet, la topographie des façades permet aussi de respecter les règles relatives à l’ombre portée par la tour.
Les formes extérieures changeantes se reflètent sur les plans. Le noyau de desserte qui s’étend du rez-de-chaussée au restaurant du 9e étage est étiré en longueur, car il doit accueillir deux ascenseurs supplémentaires pour desservir le restaurant, en plus de la cage d’escalier et des trois ascenseurs qui desservent tous les étages. Sept appartements par niveau sont disposés autour de ce long noyau, du 3e au 8e étage. Le 9e étage est occupé par le restaurant. Les dix-huit étages supérieurs présentent un noyau de desserte plus compact. On y trouve cinq appartements par niveau. Du 29e au 31e étage, leur nombre n’est que de quatre, mais ils sont plus grands. Dans quasiment tous les appartements, les architectes ont placé le salon et la salle à manger dans les angles du bâtiment. Ceux-ci offrent ainsi des vues imprenables au moins dans deux directions. Au dernier étage, les trois appartements en penthouse offrent une plus grande hauteur sous plafond. Tous les appartements sont aménagés de manière sobre, avec les murs intérieurs également revêtus d’aluminium, des cloisons de séparation en crépi blanc et un plancher en bois de chêne. Les grandes baies vitrées fixes sont dotées de larges rebords et offrent aux 152 appartements une vue soit sur les Alpes bernoises, soit sur la ville, soit sur la chaîne du Jura. Un bistrot et une surface commerciale sont installés au rez-de-chaussée de la tour. A côté, dans l’annexe, se trouve le hall d’accueil de l’hôtel Harry’s Home. Les chambres d’hôtel sont réparties sur les quatre étages
supérieurs et donnent soit sur la façade extérieure, soit sur une cour intérieure en forme de « U » qui s’étend entre la tour et l’annexe. Le troisième bâtiment, solitaire, abrite une pharmacie, une banque et des cabinets médicaux sur deux étages. Le bâtiment Kubus et la tour encadrent la Bärenplatz qui, dans quelques années, constituera une partie du nouveau centre urbain d’Ostermundigen, qui ne sera alors probablement plus une commune, mais un quartier de Berne.
p. 53 – La vue en contre-plongée du bâtiment révèle les saillies comme des détails architecturaux marquants. Selon la lumière, des jeux de couleurs changeants apparaissent.
pp. 54/55 – Tel un point de repère, la Bäretower émerge du cadre villageois de la commune de banlieue d’Ostermundigen.
p. 56 – La Bäretower est également bien visible depuis les rues des quartiers voisins de la ville de Berne toute proche.
p. 57 – Combinées aux grandes baies vitrées, les saillies du plan créent des perspectives intéressantes.
pp. 58/59 – Selon l’orientation des appartements, les locataires jouissent d’une vue sur les collines environnantes, sur la ville de Berne toute proche ou sur le Jura et les Alpes bernoises.
p. 60 – Les parquets en chêne huilé font entrer la palette de couleurs de la nature environnante dans l’espace de vie.
p. 61 – Les façades des trois bâtiments sont revêtues d’aluminium anodisé à l’intérieur comme à l’extérieur. Côté intérieur, le revêtement est incolore, côté extérieur, il se décline alternativement en incolore et en bronze.
pp. 62/63 – Selon l’angle de vue, la tour offre des contrastes saisissants avec l’architecture environnante d’après-guerre.
p. 64 – Une partie des appartements du 10e étage disposent non seulement d’une loggia, mais aussi d’une terrasse, grâce à l’avancée du restaurant situé en dessous.
Burkard Meyer Architekten AG
Burkard Meyer de Baden fait partie des bureaux qui marquent l’architecture de la Suisse depuis des décennies. Fondé en 1968 par Urs Burkard et Adrian Meyer, il est aujourd’hui dirigé par six associés et emploie au total une trentaine de collaborateurs. Parmi les réalisations les plus connues du bureau, on trouve la tour près de la gare de Winterthour, construite en l’an 2000, l’immeuble d’habitation et de bureaux Falken à Baden, datant de 2006, le centre de loisirs et de divertissement Trafo sur l’ancien site ABB à Baden, construit en 2003, ou encore le centre de formation professionnelle réalisé en 2006, également à Baden. L’immeuble de bureaux Suurstoffi 22 à Rotkreuz, première tour en bois de Suisse, dont la construction a été achevée en 2019, a également acquis une grande notoriété.
→ www.burkardmeyer.ch
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ÉCRIN SOBRE POUR JOYAU ÉTINCELANT
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A Zurich, à l’angle de la Bahnhofstrasse et de la Kuttelgasse, l’architecte Tilla Theus, connue pour ses projets de transformation opulents, a planifié la rénovation de deux immeubles. Ceux-ci sont reliés depuis la fin du XIXe siècle et se trouvent à la limite entre la vieille ville et la rue commerçante, sur le tracé des anciens remparts et de leur fossé. Transformée par Halter Rénovations pour servir d’écrin moderne aux marques de luxe tout en protégeant le patrimoine historique, cette propriété viendra compléter le chapelet de boutiques huppées du quartier à partir de décembre 2023.
Texte : Nele Rickmann Visualisations : Stube 13
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L’architecte grisonne Tilla Theus est réputée pour le luxe et l’élégance. Elle s’est fait connaître dans les années 1990 en transformant l’hôtel cinq étoiles Widder (1985–1995) à Zurich, et faisait alors déjà preuve de son savoir-faire en intervenant avec délicatesse dans le patrimoine historique des quartiers de la vieille ville. Depuis, Tilla Theus est devenue une icône, surtout lorsqu’il s’agit de projets où les vieux bâtiments doivent briller d’un nouvel éclat. Il n’est donc guère surprenant que cinq de ses projets de transformation se trouvent dans la prestigieuse Bahnhofstrasse de Zurich, dont le fameux Leuenhof avec son confortement parasismique extravagant dans la cour.
L’équipe qui entoure Tilla Theus se fait remarquer par ses idées originales et a le don de traduire les défis actuels en projets intemporels. Alors que d’autres architectes misent sur la linéarité et la sobriété, Tilla Theus se distingue par l’opulence, les ornements et une conception à la fois variée et colorée. Visiter ses réalisations architecturales est une expérience, l’atmosphère est toujours singulière.
Rien d’étonnant donc à ce que le maître d’ouvrage RFR Holding ait confié à Tilla Theus, à l’issue d’un concours, le projet ambitieux de transformation des immeubles contigus de la Bahnhofstrasse 52 et de la Kuttelgasse 10, qu’il a acquis en 2019. RFR évolue lui aussi dans le segment haut de gamme. Ce groupe d’investisseurs d’origine allemande détient notamment dans son portefeuille le célèbre Seagram Building de Mies van der Rohe et le Chrysler Building à New York. Pour Halter SA, qui, en tant qu’entreprise totale, réunit tous les intervenants autour d’une table, ce nouveau projet à Zurich est une « référence peu ordinaire », comme l’exprime Anna von Sydow, directrice générale de Halter Rénovations. « Sa situation particulière, les exigences tant structurelles que techniques de l’existant et une organisation de grande envergure font de ce projet une affaire complexe », soulignet-elle. Un défi que Halter et l’équipe de Tilla Theus relèvent main dans la main.
Du « fossé aux grenouilles » à l’artère de luxe
La Bahnhofstrasse compte parmi les rues commerçantes les plus chères et les plus prestigieuses du monde. Cependant, elle n’a pas toujours été une artère de luxe : en effet,
jusque dans les années 1880, c’était un fossé de la ville de Zurich. L’ancien Fröschengraben s’étendait du lac de Zurich jusqu’à la gare centrale, construite en 1847 comme carrefour central pour les trains en provenance de Suisse et de l’étranger. Dans le but de relier la gare aux quartiers situés autour de la Paradeplatz, on commença en 1864 la construction de la Bahnhofstrasse sur le modèle des boulevards parisiens du baron Haussmann récemment créés. Pour ce faire, le Fröschengraben, qui passait devant l’ancien rempart occidental de la ville depuis la fondation de Zurich, fut entièrement comblé. Dans le cadre de la construction de la nouvelle Bahnhofstrasse, un palais de style Renaissance italienne a été érigé dans les années 1880 à l’angle de la Kuttelgasse. C’est ici qu’emménagea en 1908 la société E. Spinner & Cie, qui employait plus de deux cents personnes dans sa « Seiden-Haus » (maison de la soie) et organisait dans ses locaux d’impressionnants défilés de mode. Suite à un changement de propriétaire à la fin des années 1920, l’immeuble est passé à la société Pieper & Co., qui a déposé en 1929 une demande auprès des autorités compétentes pour y transformer ses nouveaux bureaux. Le cabinet d’architectes Stettler Ammann Herrigel a misé sur une opération de purification, « d’où est sorti un projet répondant aux exigences de notre époque », selon la Neue Zürcher Zeitung du 20 juillet 1930. Celui-ci a notamment sacrifié la façade richement décorée et un oriel rond qui caractérisait autrefois l’angle de la Bahnhofstrasse et de la Kuttelgasse.
La transformation est le reflet d’une époque où l’on condamnait les ornements et décorations. L’architecture prônait la simplicité, les lignes droites et les espaces clairs. C’est cette phase de transformation entre 1929 et 1930 qui marque encore aujourd’hui clairement les deux bâtiments.
Des travaux
de construction sur mesure
Des plans historiques indiquent l’emplacement des remparts à travers les deux bâtiments de la Bahnhofstrasse 52 et de la Kuttelgasse 10, auxquels se consacrent Tilla Theus et son équipe. Depuis sa construction, le bâtiment de la Kuttelgasse fait partie de la vieille ville et est donc soumis à d’autres exigences en matière de droit de la construction que le bâtiment de la Bahnhofstrasse.
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Actuellement, la propriété est entièrement recouverte d’échafaudages. Toutefois, sur la façade donnant sur la Kuttelgasse, les limites des immeubles sont clairement visibles de l’extérieur : une structure verticale indique la séparation historique des deux bâtiments. On remarque ainsi que le bâtiment de la Kuttelgasse est plus bas. Au moment de sa construction, la hauteur du numéro 52 de la Bahnhofstrasse a été alignée sur les façades du nouveau boulevard et a reçu deux étages supplémentaires. L’équipe de Tilla Theus conservera l’aspect extérieur actuel. Seules les différentes surfaces des façades (pierre artificielle, grès, crépi) seront nettoyées. Les fenêtres, qui avaient été remplacées dans les années 1990, seront toutefois démontées et ramenées à leur état d’origine. Cela permettra de restaurer une partie de l’aspect des façades de la Kuttelgasse historique, avec des cadres et des croisillons de fenêtres en bois.
Cette intervention n’est pas la seule à répondre aux exigences de la protection du patrimoine, d’autres travaux sont également soumis à des prescriptions strictes. Ainsi, les anciens hourdis sur poutrelles métalliques de l’immeuble de la Bahnhofstrasse méritent d’être conservés. Dans la Kuttelgasse, la cage d’escalier est un des éléments placés sous protection particulière. Ici, Tilla Theus entend redonner vie à la substance historique grâce à l’utilisation de peintures et de matériaux spéciaux. Pour le reste, l’intérieur commun des deux bâtiments sera entièrement vidé. Cela est indispensable afin de répondre aux exigences légales actuelles et aussi parce qu’une grande partie de la substance a été détruite et remplacée lors de travaux de construction dans les années 1990. « Le gros défi est surtout lié à l’accumulation de différentes couches historiques et techniques de construction », explique Björn Missbichler, responsable de chantier chez Halter Rénovations et chargé de la transformation sur place.
Un aménagement flexible
En partant du sous-sol, le complexe de bâtiments sera transformé au cours des prochains mois en un spacieux espace de vente sur trois étages. L’ensemble du rez-de-chaussée et du 1er étage sera ouvert côté Bahnhofstrasse par de grandes baies vitrées. D’autres surfaces commerciales et des bureaux seront
aménagés dans les trois, respectivement cinq niveaux supérieurs. Côté Kuttelgasse, l’appartement en attique existant doit être rénové conformément aux exigences. De vastes toits-terrasses aux derniers étages des deux immeubles offriront aux nouveaux usagers une vue exceptionnelle sur le centreville de Zurich. Pour desservir les différents étages, la cage d’escalier principale centrale de l’immeuble de la Bahnhofstrasse, qui assure en outre désormais des fonctions de contreventement et de confortement parasismique, a été replacée à son emplacement d’origine – après avoir été déplacée plus vers l’avant, en direction de la façade, dans les années 1990. Les surfaces des différents étages gagnent ainsi en polyvalence pour pouvoir être utilisées et investies de différentes manières.
Dans le cadre de ce projet, Tilla Theus et son équipe posent les bases pour d’autres affectations futures en rénovant avec soin la structure des bâtiments conformément aux exigences statiques et énergétiques. Ce faisant, ils misent sur la flexibilité. Ainsi, l’espace de vente peut être divisé et utilisé séparément à tout moment, en fonction de l’évolution des exigences. La répartition initiale en deux bâtiments favorise cette idée, car elle permet de garantir un accès depuis chaque rue et une distribution verticale via les deux cages d’escalier.
Suite à de gros travaux réalisés dans les années 1929 et 1930 et à plusieurs transformations ultérieures, la maison de la Kuttelgasse et surtout le bâtiment de style Renaissance italienne de la Bahnhofstrasse, qui ressemblait à l’origine à un palais, ont perdu en présence urbanistique. La rénovation menée par Tilla Theus doit permettre de la leur restituer. Même si l’enveloppe reste discrète et sobre par rapport aux bâtiments voisins, l’intérieur aménagé de manière qualitative contribuera, après l’achèvement prévu en décembre 2023, à rendre à ces immeubles leur panache sur l’une des rues les plus prestigieuses du monde.
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p. 68 – Construite à la fin du XIXe siècle dans le style Renaissance italienne, la façade du bâtiment de la Bahnhofstrasse a été dépouillée de tous ses ornements dans les années 1929/30. La transformation par Tilla Theus vise à redonner toute sa prestance au bâtiment.
p. 70 – Le bâtiment commercial de la Bahnhofstrasse et l’immeuble adjacent de la Kuttelgasse sont reliés entre eux, mais peuvent être utilisés de manière flexible. Des surfaces de vente haut de gamme seront créées au rez-dechaussée, au 1er étage et au sous-sol. Les étages supérieurs seront occupés par des commerces et des bureaux.
p. 71 – La visualisation montre les bureaux spacieux de l’un des étages supérieurs, qui peuvent être divisés grâce à des cloisons en verre (en haut). De grandes baies vitrées ouvrent le rez-de-chaussée vers la Bahnhofstrasse. Les matériaux se veulent nobles et accueillants (en bas).
p. 73 – Vue de l’intérieur des bâtiments désossés. Les plafonds non protégés ont été entièrement retirés et refaits. Des interventions statiques renforcent la nouvelle construction, qui réagit aux éléments existants superposés lors de précédentes transformations.
Tilla Theus und Partner SA
Née à Coire, Tilla Theus a étudié à l’EPF de Zurich, où elle a obtenu son diplôme en 1969. Elle a ensuite travaillé au sein d’une communauté d’architectes avant de fonder son propre bureau, Tilla Theus und Partner, en 1985. De 1974 à 2006, cette architecte a siégé à la commission des monuments historiques du canton de Zurich et, de 1981 à 1993, à la Commission fédérale des monuments historiques. On peut citer parmi ses projets les plus remarquables la transformation de l’hôtel Widder (1988–1995), la construction du nouveau quartier général de la FIFA (2003–2006) et la transformation du Leuenhof (2016–2022), tous situés à Zurich. Actuellement, elle travaille avec quinze collaborateurs sur de nombreux projets. Le bureau est spécialisé dans les constructions neuves dans des contextes urbains exigeants, une architecture d’intérieur unique en son genre ainsi que des projets de transformation et de rénovation minutieux de bâtiments historiques protégés. Tilla Theus s’est ainsi fait connaître au-delà des frontières de la Suisse et est devenue l’une des architectes les plus réputées de notre époque. → www.tillatheus.ch
Plan du rez-de-chaussée : les deux bâtiments ont été réunis en un seul immeuble. L’espace ouvert et ses deux cages d’escalier permettent un usage flexible.
DATUM: MST.: REVIDIERT: GEZ: PLN GR.: A4 TILLA THEUS & PARTNER AG, BIONSTRASSE 18, 8006 ZÜRICH, TEL. 044/ 368 10 10, FAX 044/ 368 10 20, INFO@TILLATHEUS CH BAHNHOFSTRASSE 52, 8001 ZÜRICH sg/vl PL NR.: 5G00_01 ERDGESCHOSS 1:200 12 12 2022 74
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côté Bahnhofstrasse : le socle, revêtu de pierre artificielle, se distingue des étages situés au-dessus, dont les façades sont en grès.
Coupe côté Kuttelgasse : le bâtiment de la Bahnhofstrasse 52 dépasse son voisin de deux étages. Les deux bâtiments disposent de terrasses sur les toits.
DATUM: MST.: REVIDIERT: GEZ: PLN GR.: A4 TILLA THEUS & PARTNER AG, BIONSTRASSE 18, 8006 ZÜRICH, TEL. 044/ 368 10 10, FAX 044/ 368 10 20, INFO@TILLATHEUS CH BAHNHOFSTRASSE 52, 8001 ZÜRICH sg/vl PL NR.: 5F90_01 FASSADE BST 1:200 12 12 2022 DATUM: MST.: REVIDIERT: GEZ: PLN GR.: A4 sg/vl PL NR.: Schnitt CC 1:200 12 12 2022 75 Komplex No 16/2023
Elévation
La construction dans l’existant est le fil conducteur du travail de Tilla Theus : de sa première œuvre, la maison de retraite Hof à Mollis (1970–1973), en passant par son projet le plus connu, l’hôtel cinq étoiles Widder à Zurich (1985–1995 ; 2012–2017), jusqu’aux transformations récentes, comme le Leuenhof dans la Bahnhofstrasse à Zurich (2017–2023) ou encore l’hôtel Caspar à Muri (2017–2022). Les projets de Tilla Theus montrent comment aborder les tendances architecturales de manière contemporaine tout en conservant soigneusement l’existant pour les générations futures.
Komplex : Qu’est-ce qui vous inspire dans la construction à partir de bâtiments existants ?
Tilla Theus : Mon objectif n’est pas de mettre en œuvre mes propres idées sur un terrain vierge. Ce qui m’a toujours intéressée, c’est le dialogue entre ce qui a été imaginé auparavant et ce qui sera développé à l’avenir.
Quels défis vous et votre équipe devez alors relever ?
Il s’agit d’explorer l’âme du bâtiment et de comprendre l’attitude des architectes qui l’ont créé. Comme une détective, j’étudie l’existant jusque dans ses moindres recoins pour identifier les modifications que le bâtiment accepte et celles qu’il ne tolère pas. Je cherche à poursuivre la construction de manière positive, en tenant compte du bâti ancien et en le réinterprétant.
Comment mettez-vous en œuvre des mesures énergétiques sous la pression de la crise climatique ?
La construction dans l’existant n’est pas incompatible avec l’assainissement énergétique. Il faut ici raisonner en couches fines selon le principe de l’oignon, plutôt que d’asphyxier le bâtiment par une mesure épaisse et monocouche. Toutefois, les exigences énergétiques ne sont pas les seules à représenter un défi, la protection antisismique l’est tout autant. Les renforcements statiques peuvent détruire l’essence d’un bâtiment. Dans le cas du Leuenhof, nous avons
donc déplacé la protection antisismique dans la cour intérieure, où elle ressemble à une intervention artistique.
Où les rénovations de luxe ontelles encore un sens de nos jours ?
Le luxe à lui seul n’est qu’une coquille vide. Toute rénovation doit générer une plus-value – sur le plan économique, écologique et esthétique. C’est comme pour les personnes : un bâtiment doit toujours évoluer, s’adapter à son époque et surprendre.
Comment votre travail peut-il contribuer à la densification ?
Densifier signifie générer des usages supplémentaires. Dans le bâti existant, cela peut se faire grâce à des plans intelligents ou à des ajouts horizontaux ou verticaux, peut-être même à l’avenir sous terre avec des atriums végétalisés et colorés.
Quels sont les arguments en faveur d’une construction neuve de remplacement ?
Une construction neuve peut elle aussi être intéressante et conçue avec soin, et ouvrir la voie à la nouveauté. Quand la substance existante est insuffisante, une construction de remplacement est la bonne réponse.
Contrairement à l’architecture suisse, généralement sobre, vous misez sur l’opulence. Où vous situez-vous dans le discours architectural ?
En transformant l’hôtel Widder, j’ai lancé une nouvelle tendance dans l’hôtellerie cinq étoiles, celle de l’authenticité et du vrai. D’abord, mes collègues se sont gentiment moqués de moi, car c’était l’époque de la « boîte suisse », qui donnait le ton dans le secteur de l’architecture. Notre approche était alors radicalement nouvelle pour un hôtel. Aujourd’hui encore, trente-huit ans après le début de la planification, cette attitude continue de susciter l’enthousiasme.
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Quels sont vos projets vedettes ?
Tous – ce qui me plaît, c’est avant toute chose la diversité.
Comment vous y prenez-vous pour créer des atmosphères uniques avec vos projets ?
J’essaie d’appréhender les bâtiments dans leur ensemble, je ne fais pas de distinguo entre les espaces représentatifs et les espaces prétendument moins importants, ni entre architecture, rénovation technique et architecture d’intérieur. Tout doit être d’un seul tenant et obéir au même principe. C’est un processus long et intense : un travail de réflexion ardu, de nombreux essais, divers échantillons de matériaux et leur transformation, et bien sûr, des échanges et des discussions avec mon équipe.
Dans votre travail, réfléchissezvous longuement ou faites-vous plutôt confiance à votre intuition ?
Il faut laisser une place aux deux. Souvent, après de longues recherches et des réflexions intenses, on trouve la clé intuitivement.
Quelles autres leçons avez-vous apprises au cours de votre longue carrière d’architecte ?
De nombreux chemins mènent à Rome. Il est important de faire preuve de patience.
Quel conseil donneriez-vous à vos jeunes collègues ?
Réjouis-toi de l’avenir et travaille dur ! Le chemin est semé d’embûches, mais il procure une joie infinie lorsque le résultat est là. Cela vaut la peine de se donner du mal pour pouvoir vivre la vision que l’on a construite.
Tilla Theus (79 ans) est connue depuis plus de trente ans non seulement pour ses réalisations architecturales, mais aussi pour son look, soigné dans les moindres détails.
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UN CARACTÈRE BIEN FORGÉ
Il y a près de cinq cents ans, le ruisseau de la Worble, aux portes de Berne, attirait les premiers forgerons qui se servaient de la force hydraulique pour actionner leurs marteaux. Plus tard, l’endroit accueillit une entreprise familiale renommée, à laquelle le complexe résidentiel Hammerwerk, à Worblaufen, achevé en 2022, doit son nom. Conçu par Büro B Architekten, le nouveau bâtiment se trouve à proximité immédiate des anciennes halles de l’usine, qui confèrent au lieu son caractère unique. Trois gigantesques marteaux ont survécu – et pourraient bien être remis en service un jour.
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Texte : Daniela Meyer
Photos : Damian Poffet
De grandes lettres dorées sur fond noir annoncent « R. Müller ». Juste en dessous, une flèche pointe vers les forges. L’enseigne est accrochée sur la façade d’une petite maison au Schmiedeweg 5 à Worblaufen, qui fait aujourd’hui partie de la commune bernoise d’Ittigen. Les caractères anciens laissent deviner qu’il s’agit là d’une relique du passé. En suivant la flèche, on descend la pente le long de la rangée de maisons, où la ruelle débouche sur une place. Là, au bord de l’Aar, c’est la rencontre de deux époques bien distinctes qui forment un monde à part. A la lisière est de la place se termine un ensemble de petites constructions imbriquées qui témoignent du passé industriel du site. En face, un immeuble neuf de six niveaux se dresse vers le ciel. Il s’agit du complexe résidentiel Hammerwerk, dont la construction a débuté en 2020 et s’est achevée en 2022. Une bâtisse historique indépendante complète le tout côté fleuve.
La place centrale, qui comprend également une aire de jeux arborée, et les 77 appartements en copropriété sont le fruit de mandats d’étude parallèles lancés en 2014, impliquant six bureaux d’architectes de la région. « La réflexion sur le site et le patrimoine partiellement classé a joué un rôle important », souligne Marcel-Jann Blattert de Halter Développements, qui a accompagné le projet tout au long de sa réalisation. Contrairement à d’autres développements de sites, ce complexe résidentiel s’insère dans un cadre déjà établi, ce qui lui confère une forte identité. Sa situation au bord de l’eau constitue une autre particularité. La parcelle s’étend jusqu’au chemin des berges, à quelques mètres de l’Aar. La vue sur les rives verdoyantes et la rivière offre un cadre de vie unique. Toutefois, cette situation comporte aussi des risques : en cas de crue, le terrain est susceptible d’être inondé. Ce scénario n’est pas irréaliste, comme on a pu le constater dès le début des travaux, lorsque l’Aar est sortie de son lit et a inondé le parking souterrain encore ouvert. Comme si le complexe résidentiel voulait témoigner son respect à la rivière, il s’en écarte et cherche à se rapprocher de la pente abrupte côté nord. L’équipe dirigée par Michael Schmid, de Büro B Architekten, a proposé un corps de bâtiment continu qui s’étend parallèlement à l’Aar en légère surélévation par rapport au terrain. Cela lui a permis de remporter la
procédure de concours. « La structure de construction est simple et se compose de cinq immeubles-tours reliés entre eux par un socle de deux niveaux, explique l’architecte. Le complexe résidentiel garantit ainsi une perméabilité visuelle entre l’espace fluvial d’un côté et la pente de l’autre. » Chaque tour dispose de sa propre entrée attrayante côté sud et est accessible via une esplanade surélevée de quelques marches par rapport au terrain. Celle-ci protège l’immeuble d’une crue comme il pourrait s’en produire tous les trois siècles. En même temps, elle sert de lieu de promenade semi-privé où les habitants se rencontrent au quotidien.
Une vue imprenable
Les propriétaires de l’un des quatre appartements en duplex situés dans le socle y accèdent via la terrasse adjacente. On vit presque comme dans une maison individuelle dans ces appartements avec accès direct à la cave. Les 73 autres appartements sont répartis dans les cinq immeubles principaux et offrent un mix varié, allant du studio de 35 mètres carrés à l’appartement de 5½ pièces de 153 mètres carrés. De nombreuses unités sont dotées d’un espace de vie avec loggia attenante, d’où l’on peut admirer l’Aar et la pente boisée sur la rive opposée. Ce panorama confère aux appartements un cachet unique. Un résident ne cesse d’en être fasciné, et déclare avec enthousiasme : « Les couleurs et l’ambiance évoluent au fil des saisons – c’est presque comme si je regardais un tableau de Franz Gertsch depuis mon salon. » Si cette vue fait défaut à quelques rares habitants dont les appartements sont orientés vers la pente, ceux-ci jouissent, juste devant leur porte, d’une grande prairie qui les invite à installer chaises longues ou couvertures de piquenique et à profiter de la vue sur l’espace fluvial depuis cette perspective. Notamment en été, lorsque règne une activité trépidante sur et aux abords de l’Aar, l’ambiance de la ville toute proche déteint sur les environs du complexe Hammerwerk et révèle sa situation attractive : au cœur de la verdure et pourtant à seulement une rive de Berne.
Un petit bout d’histoire industrielle Une zone de loisirs là où la Worble se jette dans l’Aar ? Personne n’aurait pu imaginer cela il y a cinq cents ans. C’est de cette époque que date le nom actuel du lotissement,
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de situation : à gauche, le nouveau complexe résidentiel en retrait de la rive de l’Aar, à droite, les halles industrielles et la bâtisse historique.
Situationsplan
Plan du 2 e étage : les cinq bâtiments principaux possèdent une forme de base hexagonale similaire. Ils accueillent un mix varié d’appartements.
Obergeschoss AHW Ind Nr Gr A - IA Situationsplan AHW Ind: Dat: Nr: Gez: Gr: Mst: 5512 Hammerwerke Worblaufen Bauprojekt Schmiedeweg Velos Spielplatz Haus 1 Haus 2 Haus 3 Haus 4 Haus 5 Haus 1 Haus 2 Haus 3 Haus 4 Haus 5 Maisonette Maisonette Maisonette Maisonette Schmiedeweg Reckweg
N 5 0 83 Komplex No 16/2023
Plan
qui rappelle son passé industriel animé : s’il est impossible de déterminer avec précision la date de création de la première « forge à marteaux de Worblaufen », on peut affirmer avec certitude qu’un forgeron y travaillait au moins depuis le début du XVIe siècle 1. A l’époque, le petit affluent de l’Aar fournissait la force hydraulique nécessaire à l’entraînement des marteaux avec lesquels les forgerons travaillaient le fer. Au début, ils produisaient de l’acier plat pour les roues de charrettes, les socs de charrue, les faux et bientôt les premières armes. Au XIXe siècle, lorsqu’une activité de construction intense démarra dans la ville de Berne en même temps que la construction du réseau ferroviaire, ils fournirent des outils pour le travail de la molasse ainsi que pour la construction de voies ferrées. Les ateliers au bord de la Worble ont aussi profité de la production de divers composants d’armes pendant les deux guerres mondiales.
Depuis 1844, les forges étaient la propriété de la famille Müller, qui les a toujours transmises à la génération suivante – jusqu’en 2014, année où les machines se sont tues. Marcel-Jann Blattert fait remarquer que l’acquisition de ce bien immobilier n’était pas un acte banal : « Halter a non seulement acheté un terrain, mais aussi l’entreprise R. Müller, et l’ensemble de ses actions. » Halter SA est ainsi devenue, pendant une courte période, propriétaire d’une forge chargée d’histoire. Depuis, le promoteur immobilier a revendu le patrimoine de l’époque. Mais les bâtiments de l’ère Müller, qui remonte à 170 ans, continuent de caractériser le site.
Le panneau qui indique le chemin vers les forges n’est pas le seul à en témoigner. L’atmosphère de l’époque est également perceptible à d’autres endroits. Lorsque l’on sort de l’une des entrées de la nouvelle construction et que l’on regarde vers l’est, on se trouve face à une vue qui existait déjà en 1944 : au fond, on voit un ancien bâtiment d’usine qui borde la place. A droite, une maison de deux étages qui a été rénovée, mais dont l’aspect extérieur n’a guère changé. Il s’agit du bâtiment d’ateliers et de bureaux construit il y a près de quatrevingts ans. Depuis sa rénovation, l’étage supérieur accueille des bureaux et des ateliers modernes, tandis que l’atelier de 1 «100 Jahre Hammerwerke Müller / Worblaufen 1844–1944», publication commémorative du 20 avril 1944
Linck Keramik se trouve au rez-de-chaussée. Cette maison, qui est aujourd’hui une propriété privée, joue un rôle de passerelle entre le nouveau complexe résidentiel et les anciens bâtiments d’usine.
Préserver un espace pour la tradition artisanale
Un grand portail mène au bâtiment d’usine et invite à pénétrer dans un monde qui fait revivre le passé. Dans la halle se dégage une odeur d’huile de machine, les murs sont noircis par la suie, l’éclairage est sommaire. Plusieurs forgerons et métallurgistes y ont installé leurs ateliers. En parcourant l’intérieur enchevêtré de la halle, on plonge de plus en plus profondément dans l’histoire. Tout au fond, là où la halle jouxte le ruisseau canalisé, se trouvent trois gigantesques marteaux à queue actionnés par l’eau, datant des débuts des forges. Des pinces de forge et d’autres outils tout aussi imposants sont accrochés au mur. Une machine à cintrer les roues, qui servait à l’époque à courber l’acier plat pour les roues des charrettes, se trouve également dans la pièce. Le forgeron d’art qui a installé son atelier ici n’est pas le seul à s’enthousiasmer pour ces outils historiques. Equimo SA, une filiale de la fondation bâloise Edith Maryon, qui possède désormais ces locaux classés monuments historiques, souhaite également conserver ces reliques. Mais en acquérant cette propriété, elle a surtout fait en sorte que l’artisanat traditionnel de la forge puisse se perpétuer sur les rives de la Worble.
Peut-être que la population citadine de Berne ne se contentera bientôt plus de longer en bateau pneumatique les loggias et terrasses spacieuses du nouveau lotissement Hammerwerk, mais rendra également visite à ce lieu historique afin de découvrir son histoire unique.
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Coupe transversale de la zone du socle : on vit presque comme dans une maison individuelle dans les appartements en duplex avec accès direct à la cave.
Elévation depuis l’ouest : à gauche, le bâtiment résidentiel, à droite, l’ancien bâtiment de bureaux, rénové, à l’arrière-plan, l’ancienne halle de production.
Schnitt AHW Ind: Dat: Nr: Gez: Gr: Mst: 5512 Worblaufen Revision Westfassade AHW Ind: Dat: Nr: Gez: Gr: Mst: 5512 Hammerwerk Worblaufen 85 Komplex No 16/2023
p. 78 – Selon la perspective, les cinq immeubles-tours du complexe résidentiel Hammerwerk, achevé en 2022, apparaissent comme des bâtiments indépendants, alignés de manière régulière.
p. 81 – La vue sur l’Aar et ses rives verdoyantes confère aux appartements un cachet unique. Les loggias sont dotées de dalles en grès cérame, les balustrades métalliques thermolaquées en fer micacé anthracite ont fière allure tout en étant suffisamment transparentes (en haut). Vue de l’un des appartements, dont le salon communique avec la salle à manger et sa cuisine ouverte (en bas).
p. 82 – L’accès aux quatre appartements en duplex situés dans le socle se fait directement par la terrasse, protégée par des voiles d’ombrage.
p. 87 – Les appartements du 2e étage disposent, en plus de la loggia dans l’angle du bâtiment, d’une grande terrasse située sur le côté (en haut). L’aménagement intérieur a été conçu autour de trois lignes de design et a pu être visualisé par les propriétaires à l’aide d’un configurateur en ligne (en bas).
Büro B Architekten AG
C’est le projet lauréat du concours d’idées pour le SelveAreal à Thoune qui a mené à la création de Büro B Architekten en 1990. Le groupe de travail initialement informel s’est rapidement transformé en une structure de bureau solide après avoir remporté d’autres concours. Aujourd’hui, six membres de la direction gèrent le cabinet, qui emploie environ trente-cinq personnes au total. Ils prennent en charge un large éventail de projets, parmi lesquels figurent actuellement plusieurs bâtiments scolaires ainsi qu’une résidence médicosociale. Le cabinet a réalisé une multitude de projets dans l’agglomération bernoise, dont différents bâtiments résidentiels et administratifs tels que le lotissement pour Migros dans le quartier de Breitenrain (2019) ou le siège social de Postfinance (2012). → www.buero-b.ch
Elévation depuis le sud : posé sur son socle, le complexe résidentiel se divise en cinq immeubles-tours qui garantissent une perméabilité visuelle.
joe AHW Nr Gez GrA 86
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« IL S’AGIT DE MONTRER UNE VISION À L’ÉQUIPE »
Quels sont les points communs entre un chef d’entreprise et un sportif de haut niveau ? Dans le cas de Markus Mettler, CEO de Halter SA, et d’Andy Schmid, handballeur professionnel et meneur de jeu du HC Kriens-Lucerne, ainsi que futur entraîneur de l’équipe nationale suisse, il y en a une kyrielle. Et ce, pas uniquement parce qu’ils sont tous deux engagés dans le projet de développement de la Pilatus Arena. Nous avons organisé une rencontre et interrogé nos deux protagonistes sur leur motivation, leur vision, les coups bas et le timing.
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Texte : Sherin Kneifl
Photos : Dan Cermak
La Pilatus Arena est un projet qui ouvre de nombreuses perspectives. Après plus d’une décennie de planification et nombre d’oppositions, le premier coup de pioche a été donné le 29 novembre 2022 à Kriens, près de Lucerne. La salle de sport et d’événements à enceinte multifonctionnelle (4000 places assises, 380 appartements), construite sous la direction de Halter SA, est destinée à devenir le lieu de rendez-vous culturel de la Suisse centrale. En même temps, ce projet de construction incarne un exemple parfait de collaboration réussie entre les secteurs public et privé. Deux personnalités font d’ores et déjà la promotion de l’Arena : Markus Mettler, CEO de Halter SA, et Andy Schmid, meneur de jeu au poste d’arrière centre du club de handball HC Kriens-Lucerne.
Komplex : Monsieur Mettler, vous considérez-vous également comme une sorte de meneur de jeu au sein de l’entreprise ?
Markus Mettler : Absolument. Mon but est de motiver et de stimuler chaque collaborateur, et oui, parfois aussi de les discipliner. Les CEO comme les meneurs de jeu doivent faire preuve de persévérance et d’ambition. Etre conscient que l’on fait partie d’une équipe est important. Et aussi savoir que l’équipe est composée comme il faut et partage le même état d’esprit.
Monsieur Schmid, vous pratiquez le sport de haut niveau depuis votre jeunesse. Comment parvenezvous à vous surpasser encore et toujours à presque 40 ans ?
Andy Schmid : En me disant que je suis constamment jugé par tout le monde sur mes performances. Si je ne suis pas à la hauteur, on me remet très vite en question. Je ne peux pas me vanter et créer des attentes si je ne suis pas au top. Montrer l’exemple est l’un des principaux critères en matière de leadership. Ce n’est qu’ainsi que je peux influencer mes collègues pour qu’ils réussissent. Je suis actuellement une formation d’entraîneur qui m’a appris que l’essentiel est de présenter une vision à l’équipe.
Markus Mettler : Exactement ! Antoine de Saint-Exupéry utilisait déjà la parabole du constructeur de bateaux : n’enseigne pas aux gens à couper des arbres, à fabriquer des poutres et ainsi de suite, mais fais naître dans leur cœur le désir de la mer. Il faut transmettre la vision globale et insuffler à tous l’envie d’y aspirer. Quand toute l’énergie d’une entreprise va dans la même direction, cela crée automatiquement un élan.
Monsieur Schmid, quelle est votre vision pour le HC Kriens-Lucerne, club dans lequel vous jouez depuis la saison dernière ?
Andy Schmid : Je souhaite susciter l’euphorie du handball et tracer la route vers la Pilatus Arena. C’est aussi la raison pour laquelle je joue encore. Mais comme je suis déjà entré dans l’hiver de ma carrière, il n’y a plus aucune chance que j’intervienne en tant qu’athlète actif dans la nouvelle Arena. C’est une différence entre nos deux boulots : on devient CEO à un âge où un sportif professionnel doit songer à s’arrêter.
Quel est le défi de votre travail, monsieur Mettler
?
Markus Mettler : Quand on dirige une entreprise, on n’est pas un spécialiste d’une discipline particulière. Il faut avoir une compréhension globale. L’équipe de direction doit avoir des connaissances à la fois techniques et sociales. Ce sont surtout ces dernières qui s’améliorent avec l’expérience. Pour moi, la question cruciale est la suivante : pendant combien de temps puis-je maintenir mon ambition à un niveau tel que je me lève le matin avec la volonté de réaliser quelque chose avant la tombée du jour. Cette soif de réussite, on l’a ou on ne l’a pas.
Comment vous fixez-vous des objectifs ?
Andy Schmid : Le sport de haut niveau évolue très vite et on est tributaire de facteurs extérieurs. La seule chose que nous définissons concrètement, c’est où nous voulons arriver à la fin de la saison et comment
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toutes les personnes impliquées doivent se comporter pour y parvenir. Ce qui me motive le plus, ce sont mes réussites passées. Connaître le plaisir de la victoire me motive à vouloir le revivre.
Comment définissez-vous la réussite ?
Markus Mettler : Je mesure le succès moins à la réalisation des objectifs fixés qu’au fait d’être satisfait de l’évolution. Pour moi, les indicateurs clés de performance sont trop unidimensionnels. Au sein d’une organisation, il faut poursuivre une panoplie d’objectifs en parallèle. Je suis très critique envers moi-même et je me demande souvent si j’ai fait mon maximum ou si je me suis épuisé dans le sprint final. L’une de mes tâches consiste à éviter que nous ne nous reposions sur nos lauriers et arrêtions de nous améliorer. Il ne faut pas qu’une nouvelle recrue arrive chez Halter SA et ses sociétés sœurs en pensant qu’elle va automatiquement réussir. Ce serait comme un joueur qui arriverait
chez le champion suisse de handball en se disant que l’année prochaine, le club remportera de toute façon le titre. Mais si j’ai le sentiment que chacun de nos 490 collaborateurs a suffisamment d’ambition, je les laisse faire. Il n’y a rien de mieux que du personnel qui aspire à aller de l’avant.
Dans quelle mesure est-il important de s’arrêter de temps en temps pour fêter une réussite ?
Andy Schmid : En principe, ce serait très important, mais ce n’est plus réellement possible. Les fans et les médias oublient très vite ce que l’on a accompli. En 2017, j’ai été champion d’Allemagne pour la deuxième fois avec les Rhein-Neckar Löwen, et en 2018, nous avons raté le titre de peu. C’était une catastrophe. Mais trois ans plus tôt, tout le monde se serait réjoui de la deuxième place. Pendant la pause estivale, j’ai toujours réussi à me déconnecter et à faire le bilan. Certaines saisons comportent plus d’événements négatifs, surtout si l’on est
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ambitieux, et d’autres plus d’événements positifs. Dans le cadre du projet Pilatus Arena, il y a aussi eu des coups bas. On vous a mis beaucoup de bâtons dans les roues. Comment abordes-tu les obstacles, Markus ?
Markus Mettler : Pour nous, ils font partie du jeu et ne sont pas dramatiques. Nous avons même adapté notre modèle d’affaires en conséquence. Notre stratégie consiste à avoir une certaine dimension d’entreprise qui nous permette de mener à bien nos ambitions, à savoir développer et construire les meilleurs et les plus importants projets en Suisse. Nous savons qu’ils prennent plus de temps et qu’ils peuvent parfois se retrouver bloqués. Nos structures nous permettent d’y répondre sans que cela nous stresse. Lorsqu’on entame des projets dans une démocratie directe comme la Suisse, les gens ont leur mot à dire. Dans le domaine de la construction, cela se traduit par des oppositions. Ce n’est pas pour rien qu’on dit qu’en Suisse, on ne peut plus réaliser de projets architecturaux exemplaires et fantastiques. Quelque part, c’est normal, car l’impact d’une construction sur l’homme et son environnement est énorme, mais les procédures s’éternisent inutilement. En 2006 déjà, lorsque j’ai commencé à travailler comme directeur général de l’unité Développements chez Halter SA, nous partions du principe que chaque année, il faudrait un mois de plus pour mener à bien un projet moyen. Cela devient de plus en plus compliqué, à tous les niveaux.
Comment réagissez-vous aux déceptions ?
Markus Mettler : Dans le projet Pilatus Arena, certains collaborateurs de Halter sont engagés à 100%. Pour eux, les retards, les oppositions et autres sont compliqués. Ils sont alors confrontés à un stop-and-go permanent, sans pouvoir agir sur les circonstances extérieures. Personnellement, je dois avoir le cuir épais, comme un politicien, et savoir qu’il suffit de convaincre au moins 51% des gens. Je dois être capable de supporter une opposition. Je dois même supporter que certains trouvent nos idées horribles et s’opposent de façon générale à tous les nouveaux développements. Le premier coup de pioche de la Pilatus Arena fin novembre 2022 a compensé beaucoup de choses.
Qu’est-ce qui est important pour vous dans la nouvelle salle ?
Andy Schmid : Plus c’est grand, plus on peut entrer et sortir anonymement en tant que sportif. C’est agréable. Et pour profiter pleinement de l’avantage de jouer à domicile, il doit être possible de s’entraîner dans la salle. Comme spectateur, je m’attends à un certain confort. Je dois avoir suffisamment de liberté de mouvement et pouvoir consommer de bonnes choses. Dans la petite salle de sport où le HC Kriens-Lucerne joue actuellement, je n’irais pas voir un seul match en tant que spectateur neutre, car tout cela n’y est pas possible. Seuls les férus de handball font le déplacement. L’objectif de la Pilatus Arena est d’attirer les gens à un événement – le handball n’en sera qu’un parmi d’autres. J’ai joué dans toutes les salles importantes d’Allemagne. C’est pourquoi je peux apporter mon expérience.
Markus Mettler : Pour nous, le projet des architectes Giuliani Hönger était la condition sine qua non pour obtenir un permis de construire. Nous avons enchaîné trois procédures : d’abord la planification test, puis les mandats d’étude parallèles et enfin le concours. Cette démarche garantit nos exigences ainsi que celles des pouvoirs publics. Au cours de la phase d’exploitation, la fonctionnalité est déterminante. Il doit être possible de proposer des super expériences, qui peuvent durer trois à quatre heures. Nous devons réussir à créer une atmosphère palpitante dans laquelle on aime passer du temps et aussi consommer.
Comment peut-on insuffler la vie à l’architecture ?
Markus Mettler : En fin de compte, ce sont les nombreuses expériences positives qui permettent de créer une marque. C’est pourquoi l’interaction avec l’environnement est essentielle : le lieu acquiert une image positive si la salle a du succès et si les événements qui s’y déroulent sont enrichissants pour le public. Si nous réussissons régulièrement à organiser des événements sympas, nous aurons un impact. C’est encore plus important que la réussite sportive du HC Kriens-Lucerne, dont la Pilatus Arena sera désormais le domicile.
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Andy Schmid : L’emplacement au cœur de la Suisse centrale représente déjà une chance énorme. Avec le HC Kriens-Lucerne, le handball y sera certes un habitué, mais d’autres sports, des foires, des concerts devront avoir lieu de la même manière afin d’attirer un public aussi large que possible. Cela fait longtemps que nous rêvions d’un tel lieu pour l’équipe nationale de handball, dans laquelle je joue depuis vingt ans. Quels événements souhaites-tu voir se dérouler dans la nouvelle Pilatus Arena, Markus ?
Markus Mettler : Ce ne sont pas mes souhaits qui comptent, mais les besoins concrets du marché que nous pouvons satisfaire grâce à une prestation incomparable. La capacité d’accueil de 4000 personnes de la Pilatus Arena est idéale. On peut y proposer la même expérience que dans une salle de 10 000 places – une capacité que possède par exemple le Hallenstadion de Zurich – et on n’est pas obligé de faire venir sans arrêt des stars comme les Rolling Stones pour remplir la totalité de l’Arena. Nous disposons ainsi d’un plus grand potentiel de marché.
L’Arena est flanquée de deux tours d’habitation, de bureaux et d’un hôtel. D’une hauteur de 110 mètres, l’une d’entre elles devrait même devenir la plus haute tour d’habitation de Suisse. Pourriez-vous imaginer y habiter ?
Markus Mettler : Evidemment. Même si, pour le moment, je vis tout le contraire : j’habite avec ma femme et nos trois enfants dans une maison individuelle en Thurgovie. Mais je peux être partout et travailler partout, car je sais m’adapter et voir la qualité spécifique d’un lieu.
Andy Schmid : Quand je jouais encore en Allemagne, je passais tous mes étés avec ma famille à la maison, en Suisse. Pendant les mois de vacances de la Bundesliga, nous louions de temps en temps un appartement dans les tours dorées Hochzwei sur l’Allmend de Lucerne, juste à côté du stade de football. Les sensations qui se dégagent d’une tour sont très particulières.
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Dans quelle mesure était-il décisif
d’aborder le projet sous la forme
d’un partenariat public-privé ?
Markus Mettler : Tout d’abord, l’initiateur Nick Christen a cherché un terrain public optimal. Il a procédé aux évaluations et a trouvé son bonheur dans le quartier de Mattenhof, au sud de Lucerne. Le deal entre le public et le privé est que l’on finance à titre privé un usage d’intérêt public. En contrepartie, on nous a accordé pour le site un taux d’utilisation presque triple de ce qu’il aurait été dans le cas d’une utilisation purement privée avec des appartements, etc. Il s’agit d’un mécanisme simple : les pouvoirs publics ne sont pas sollicités pour le financement par les impôts et n’ont donc pas la pression politique de devoir justifier leur soutien à cette construction. Nous autres investisseurs privés – Halter SA, la famille Schwöbel et Toni Bucher, ainsi qu’Helvetia Assurances pour la plus petite des deux tours – pouvons bénéficier de subventions croisées et aussi assumer la responsabilité de l’exploitation.
Quel rôle joue le timing ?
Markus Mettler : Nous ne pouvons pas obéir à un échéancier. Les responsables politiques avec lesquels nous lançons un projet ne sont souvent même plus en fonction au moment de la mise en œuvre. C’est pourquoi nous devons avoir sous la main un argumentaire au top, pour pouvoir expliquer le pourquoi du comment de chaque projet, ainsi qu’une structure de valeur ajoutée stable, basée sur des arguments idéaux. La gestion des parties impliquées est également cruciale. Les politiques sont de bons porte-drapeaux. Une fois le mouvement amorcé, on ne peut plus vraiment influer sur le déroulement temporel.
Quels échos avez-vous reçus sur le projet ?
Markus Mettler : Nous recevons beaucoup de félicitations, surtout parce que nous montrons que des idées importantes sont réalisables. C’est aussi là que réside l’un de mes plus puissants moteurs personnels : mettre en œuvre des choses hautement complexes est une tâche extrêmement gratifiante. En plus,
cela permet de prouver le contraire à ceux qui affirmaient auparavant que cela ne serait même pas possible. Cela nous stimule en tant qu’entreprise. L’inauguration en 2025/26 constituera certainement un moment fort.
Monsieur Schmid, votre carrière active sera alors terminée.
Que pouvez-vous encore faire bouger en dehors de votre futur rôle d’entraîneur de l’équipe nationale ?
Andy Schmid : La relève est le nerf de la guerre dans le sport. Sans sport de masse, pas de sport de haut niveau, et vice versa. Un encouragement solide des jeunes est bien plus durable que l’argent des mécènes pour acheter les meilleurs joueurs. C’est un domaine dans lequel je m’engage volontiers. Mes deux fils, âgés de 6 et 10 ans, jouent aussi déjà au football et au handball.
Quel a été votre plus grand événement sportif ?
Andy Schmid : Le premier titre de champion d’Allemagne en 2016 avec les Rhein-Neckar Löwen, un club qui n’avait jamais remporté de championnat jusque-là. En dehors du handball, je n’oublierai jamais le match de tennis à Wimbledon en 2018, après lequel j’ai pu bavarder avec Roger Federer. En principe, je n’ai jamais peur de discuter, mais avant cette rencontre-là, mes genoux ont tremblé.
Markus Mettler : Je suis plutôt un fan épisodique d’événements sportifs. Une heure plus tard, c’est déjà le retour à la routine. Mais le match Suisse-Togo lors de la Coupe du monde de foot en 2006 était vraiment cool. Je me tenais dans le Westfalenstadion de Dortmund, au milieu d’un mur de 50 000 compatriotes. Les émotions étaient encore plus fortes que la joie de la victoire.
De combien de courage avez-vous besoin pour faire votre travail ?
Andy Schmid : Pas plus de courage que les autres sportifs. L’expérience nous endurcit et le risque réside dans la normalité. Après tout, je ne joue qu’avec des professionnels.
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Nous savons tous exactement à quel moment le risque de blessure est élevé. C’est pourquoi il nous arrive assez peu de pépins. Parce que nous nous respectons mutuellement.
Markus Mettler : Pour moi, le courage est une question d’habitude. Je dois prendre des tas de décisions. C’est plus facile quand j’ai une vision intégrée de l’environnement. Cela me permet d’évaluer les conséquences et de simuler mentalement des scénarios. Il faut du courage pour prendre la première décision. Au fur et à mesure, ça devient plus facile. Désormais, je le fais très volontiers, car je sais que chaque décision nous fait avancer. Je dis aussi régulièrement à nos collaborateurs – et à mes enfants : « Entraînez-vous à prendre des décisions. C’est comme ça qu’on avance plus vite. »
Avez-vous un credo de réussite ?
Andy Schmid : Ma mère m’a toujours dit que si quelque chose allait bien, il ne fallait rien y changer. C’est peut-être aussi pour cette raison que je suis resté aussi longtemps dans le même club en Allemagne. Après tout, cela m’a permis de remporter le titre de champion et de vice-champion.
Markus Mettler : Ma devise est la suivante : avoir confiance en soi et envers les autres. Cela nous apporte beaucoup de bons leviers.
p. 88 – Markus Mettler, CEO de Halter SA, et Andy Schmid, joueur de handball professionnel au HC Kriens-Lucerne, se renvoient la balle le temps d’une interview. La rencontre a eu lieu dans la Krauerhalle de Kriens, où le club joue actuellement.
p. 91 – Andy Schmid a quitté le club allemand de Bundesliga Rhein-Neckar Löwen pour le HC Kriens-Lucerne en 2022. Il y a un an, ce père de famille s’est mis au yoga.
p. 92 – Sur une étagère de la salle d’équipement, des ballons d’entraînement de différents sports sont prêts pour la prochaine utilisation (à gauche). Un grand logo du club est accroché sur un mur en lambris de la Krauerhalle. C’est ici qu’ont lieu jusqu’à présent les matchs de la ligue nationale de handball (à droite).
p. 94 – S’il travaille la plupart du temps, Markus Mettler cherche aussi parfois à compenser. Le jogging et le vélo font partie de ses sports préférés.
p. 95 – Deux hommes qui sont faits pour s’entendre et qui poursuivent le même objectif. Surtout lorsqu’il s’agit de promouvoir la Pilatus Arena (à gauche). Sur un tableau magnétique, simulation de stratégie et de mouvements de jeu (à droite).
p. 97 – Markus Mettler et Andy Schmid accomplissent leur travail avec passion. Les sujets communs ne manqueront pas même après la fin de la carrière active du sportif professionnel.
Andy Schmid (39 ans) est né à Horgen et a déménagé à Lucerne dès son enfance. Il y a fréquenté les sections de jeunes du BSV Borba Lucerne. De 2002 à 2004, il a joué en Ligue nationale B pour le club SG Stans / Lucerne. Il a ensuite rejoint le Grasshopper Club Zurich, où il a fait ses débuts en Ligue nationale A en 2007. Par la suite, il a remporté deux fois le championnat suisse avec le ZMC Amicitia Zurich. En 2009, il a rejoint le club danois BjerringbroSilkeborg, puis a signé un an plus tard un contrat avec les Rhein-Neckar Löwen. Entre 2014 et 2018, il a été élu chaque année joueur le plus précieux de la Bundesliga allemande de handball. Avec les Löwen, Andy Schmid a remporté deux championnats allemands (2016, 2017) ainsi que la coupe DHB (2018). En 2022, ce talent exceptionnel a retrouvé son pays natal et est depuis lors sous contrat avec le HC Kriens-Lucerne. A partir de l’été 2024, Andy Schmid sera l’entraîneur de l’équipe nationale suisse de handball. → www.hckriens-luzern.ch
Markus Mettler (54 ans) est titulaire d’un diplôme d’ingénieur civil de l’EPF et d’un diplôme postgrade en gestion d’entreprise. Après ses études, il a travaillé pendant cinq ans dans deux entreprises de conseil dans les domaines de la gestion du cycle de vie, ainsi que du conseil et de l’évaluation immobiliers. Il a ensuite rejoint une entreprise totale en tant que responsable de projet et de secteur du développement immobilier. Depuis 2006, il travaille chez Halter SA. Il a commencé au poste de directeur général de l’unité Développements, avant de devenir CEO en 2010 et copropriétaire en 2015. A ce titre, Markus Mettler est également président du conseil d’administration de Tend AG, Raumgleiter AG, Integral designbuild AG, MOVEment Systems AG et Luucy AG. En tant qu’initiateur et coprésident du Branch Do Tank, il s’engage activement en faveur d’un secteur de la construction et de l’immobilier tourné vers l’avenir en Suisse et siège à ce titre au comité de l’association faîtière de la construction suisse, Constructionsuisse. → www.halter.ch
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UN HISTORIQUE DE LA CONSTRUCTION DE LOGEMENTS COOPÉRATIFS EN SUISSE
La Suisse est un pays de locataires, moins de 40% de la population est propriétaire de son logement. Si les coopératives d’habitation offrent des qualités particulières, elles restent toutefois marginales sur l’ensemble du marché résidentiel. Nées à l’aube du XXe siècle, dans un contexte de croissance urbaine rapide et de conditions de logement précaires, les coopératives suisses ont connu leurs heures de gloire dans les périodes qui ont suivi la Première et la Seconde Guerre mondiale. Suite au choc pétrolier au milieu des années 1970, le mouvement s’est fortement essoufflé et n’a connu un regain d’activité que récemment.
98 PETIT MAIS EFFICACE.
Texte : Florian Müller
Société & Environnement – Essai
Créées en tant qu’organisations d’entraide, les coopératives d’habitation revendiquent depuis plus d’un siècle la volonté de soustraire durablement des logements à la spéculation et de promouvoir l’esprit communautaire 1. En Suisse, les coopératives d’habitation d’utilité publique représentent aujourd’hui les principaux acteurs du secteur résidentiel à but non lucratif – avant même les collectivités communales. Les coopérateurs sont des copropriétaires. On parle souvent de la « troisième voie dans la construction de logements », qui se situe entre les propriétaires occupants et les locataires, et qui est censée combiner les avantages des deux. Les membres acquièrent des parts qui leur garantissent des droits de codécision et les protègent contre les résiliations. Les coopératives d’habitation s’engagent en général à respecter le principe du loyer basé sur les coûts, ce qui donne lieu en gros à des loyers inférieurs d’environ 15 à 25% à la moyenne 2 . Par ailleurs, elles ont toujours eu, et ont encore aujourd’hui, l’ambition d’offrir plus qu’un simple toit. « Il ne s’agit pas seulement de construire de manière coopérative, mais aussi d’entretenir et de promouvoir l’habitat et les relations entre les personnes dans un esprit coopératif », déclarait le coopérateur bâlois Walter Ruf en 1930 3. Cette vision fut également défendue quatre décennies plus tard par le coopérateur Ferdinand Kugler. Ce dernier expliquait que si la création des coopératives était le plus souvent motivée par la volonté de créer des logements bon marché, elle poursuivait également des objectifs idéologiques, « à savoir donner vie à l’idée de collaboration coopérative tout en soustrayant définitivement à la spéculation les appartements et les maisons construits 4 ». Pendant longtemps, cela signifiait également éduquer les membres de la coopérative à l’hygiène, à une vie de famille morale et à la citoyenneté. Les temps changent et les coopératives ont désormais abandonné cette notion de moralité empreinte de paternalisme. Néanmoins, le service rendu à la société reste une préoccupation centrale. L’encouragement de la cohabitation communautaire et l’exemplification de solutions urbanistiques, écologiques et sociales innovantes dans les nouveaux lotissements modèles traduisent aujourd’hui encore l’état d’esprit de la coopérative.
1 Cf. Müller, Florian : Mieter:innenland Schweiz. Siedlungsprojekte, politische Regulierung und private Interessen im schweizerischen Wohnungsbau, 1870–1974, thèse de doctorat à l’Université de Zurich, Zurich 2022.
2 Cf. Sotomo GmbH : Le point sur le logement d’utilité publique. Une comparaison avec le locatif et la propriété, Office fédéral du logement, Granges 2017.
3 Ruf, Walter : Das gemeinnützige Baugenossenschaftswesen der Schweiz, Zurich 1930, p. 113.
4 Schweizerischer Verband für Wohnungswesen (éd.): Mensch und Wohnen. Schweizerischer Verband für Wohnungswesen, 1919–1969, Zurich 1969, p. 70.
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En 1969, le conseiller communal zurichois (PS) Adolf Maurer parlait des coopératives de construction d’utilité publique comme d’un « élément foncièrement suisse » pour décrire leur orientation 5. Au fond, elles représentent une solution mixte publique-privée, typiquement suisse, au problème des logements. Les coopératives s’engagent à mettre durablement à disposition des logements à prix modérés, mais elles agissent de manière indépendante du secteur public en tant qu’organisations privées d’entraide, même si elles sont souvent tributaires des aides publiques pour les projets de construction.
La présence du mouvement coopératif dans les débats publics et politiques de ces dernières années ne doit pas nous faire oublier que le secteur d’utilité publique joue globalement un rôle marginal en Suisse. La Suisse est un pays de locataires. La majorité des personnes louent leur logement et le font le plus souvent à des bailleurs à la recherche de rendement. Si l’on fait abstraction d’exceptions comme le bastion de Zurich, où les coopératives possèdent environ un cinquième du parc immobilier résidentiel et dominent des quartiers entiers, l’influence des coopératives est restée limitée. A l’échelle de la Suisse, 4 à 5% du parc immobilier est détenu par de telles organisations d’entraide d’utilité publique. Ces cinquante dernières années, on constate même une diminution de cette part.
Les débuts de la construction de logements coopératifs
Les premières coopératives d’habitation d’utilité publique sont apparues à la fin du XIXe siècle, dans le sillage de l’industrialisation et de l’urbanisation. Les bouleversements économiques et sociaux, partis d’Angleterre, se sont accompagnés d’une croissance rapide des villes. Au cours de leurs phases d’expansion spectaculaires, souvent motivées par la spéculation, celles-ci ont vu éclater les limites de leurs murailles médiévales et se sont rapidement étendues aux campagnes environnantes. La construction de logements relevait alors du secteur privé. Alors que le développement des quartiers et des banlieues aisés, des boulevards mondains et des districts administratifs se déroulait de manière relativement ordonnée, des conditions de construction et d’hygiène précaires, ainsi que des logements densément occupés, étaient monnaie courante dans les quartiers populaires. La question des logements devint un problème central de la question sociale, débattu dans le cadre des mouvements réformateurs. Les inégalités sociales flagrantes des villes libérales du XIXe siècle suscitaient un malaise dans de larges cercles – de la gauche jusqu’à la droite.
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5 Ibid., p. 13.
Zurich-Friesenberg : vue aérienne de 1967. Sur la photo, des maisons de la coopérative Familienheim, qui a construit à ce jour près de 2300 logements en vingt-cinq étapes.
© Bibliothèque de l’EPF, Zurich, archives iconographiques, Werner Friedli
Coopérative d’habitation Freidorf à Muttenz : place centrale du lotissement avec immeubles attenants, en face (coupée) la grande maison commune avec magasin, salle des fêtes, salle de sport, restaurant et autres locaux collectifs.
© Archives gta/EPF de Zurich, Hannes Meyer
Coopérative d’habitation Freidorf à Muttenz : le plan de situation tiré de la publication « Siedlungsgenossenschaft Freidorf » de 1922 illustre la disposition stricte du lotissement. © Archives gta/EPF de Zurich, Hannes Meyer
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Certes, dans les villes relativement petites de Suisse, la situation n’a jamais atteint le niveau catastrophique de certaines métropoles d’autres pays industrialisés. Mais en Suisse aussi, les immeubles locatifs exigus, les entreprises artisanales et industrielles à proximité des habitations et les rues crasseuses témoignaient de la misère de larges couches de la population. Les quartiers ouvriers étaient considérés par les élites et les milieux réformateurs comme des foyers d’épidémies et suscitaient des craintes de troubles sociaux 6 .
C’est dans ce contexte que les communes intervinrent de plus en plus dans le développement. Elles réglementèrent l’urbanisme en édictant des règlements de construction, mirent en place de nouvelles infrastructures, construisirent des bâtiments représentatifs et aménagèrent des routes, des conduites d’eau et de gaz ainsi que des canalisations pour améliorer les conditions d’hygiène. Vers la fin du siècle, des villes comme Berne, Genève ou Zurich se mirent en outre à construire des logements communaux afin de lutter contre la pénurie.
Ces tentatives communales, certes modestes, avaient été précédées dès le milieu du XIXe siècle par la construction de lotissements modèles par des acteurs de la grande bourgeoisie et des organisations d’entraide. Des cercles philanthropiques de la bourgeoisie et des entreprises des nouvelles grandes industries construisirent les premiers logements ouvriers sains et à prix modérés, et des ouvriers se regroupèrent au sein d’organisations d’entraide pour former des sociétés anonymes et des sociétés de construction afin d’unir leurs forces pour construire eux-mêmes des logements. Les premières véritables coopératives d’habitation d’utilité publique ont vu le jour à la fin du siècle. Les cheminots ont joué un rôle de pionniers en construisant des immeubles d’habitation coopératifs avec l’aide de la caisse de pension des Chemins de fer fédéraux (CFF).
Mais dans l’ensemble, les efforts visant à améliorer les conditions de logement ne représentaient guère plus que la fameuse goutte d’eau dans la mer. Le nombre de logements d’utilité publique et d’organismes publics restait modeste. De plus, c’étaient surtout des familles d’ouvriers qualifiés et d’employés qui emménageaient dans les appartements modèles à prix modérés, tandis que les couches sociales qui vivaient dans des conditions particulièrement précaires et exiguës n’y
6 Cf. Bärtschi, Hans-Peter : Industrialisierung, Eisenbahnschlachten und Städtebau. Die Entwicklung des Zürcher Industrie- und Arbeiterstadtteils Aussersihl. Ein vergleichender Beitrag zur Architektur- und Technikgeschichte, Bâle 1983 ; Kurz, Daniel : Die Disziplinierung der Stadt. Moderner Städtebau in Zürich 1900 bis 1940, Zurich 2008 ; Walter, François : La Suisse urbaine, 1750–1950, Genève 1994.
Coopérative zurichoise de construction et d’habitation ZBWG, Sonneggstrasse, Zurich, dans un dessin de 1893. © Revue « Wohnen », édition juillet / août 2016
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avaient que rarement accès 7. Durant cette période, les coopératives d’habitation devinrent timidement des acteurs remarqués du secteur résidentiel non axé sur le profit, mais la première période faste de la construction de logements coopératifs ne date que des années suivant la Première Guerre mondiale.
Interventions de crise et boom des coopératives
La catastrophe de la Première Guerre mondiale a marqué le véritable point de départ d’une politique du logement centralisée dans de nombreux pays industrialisés. La Suisse ne faisait pas exception, car de larges couches de la population étaient touchées par la pauvreté et une grave crise du logement se dessinait. Le pasteur, réformateur social et conseiller communal social-démocrate zurichois Paul Pflüger décrivait ainsi la situation en 1920 : « La pénurie de logements provoque une suroccupation des appartements, un entassement des gens (…). Des personnes sans abri se glissent dans toutes les fissures et tous les trous. (…) Le dépérissement de la jeunesse, la prostitution et l’alcoolisme sont étroitement liés à la pénurie de logements. » « L’avenir dépend de la résolution de la question du logement », estimait Paul Pflüger. « La pénurie de logements constitue une source permanente de troubles sociaux 8 . »
La forte inflation due à la guerre, la misère matérielle et les tensions sociales qui ont implosé en 1918 lors de la grève nationale, ainsi que l’effondrement de l’activité des constructions neuves, ont incité le Conseil fédéral, pendant les années de guerre et d’après-guerre, à intervenir pour la première fois à grande échelle dans la politique du logement et à se pencher sur un domaine qui était jusqu’alors considéré comme relevant du secteur privé et des communes. Dès 1917, la Confédération a renforcé la protection contre la résiliation des baux, régulé les prix des loyers et encouragé la construction de logements neufs à partir de 1919. Jusqu’au milieu des années 1920, elle a soutenu la construction de quelque 18 000 logements, un chiffre supérieur à la production annuelle moyenne. Ces mesures de soutien ont favorisé le premier boom des coopératives, qui a ensuite été porté par les aides communales après l’arrêt des subventions fédérales. Si les municipalités construisaient parfois aussi des logements communaux en régie propre, elles soutenaient plus particulièrement les coopératives d’habitation d’utilité publique, qui devinrent des partenaires importants en matière d’urbanisme. En Suisse alémanique, on assista à une
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7 Cf. Ruf 1930 ; Wenger, Rudolf : Wohnungsnot und kommunaler Wohnungsbau in der deutschen Schweiz unter besonderer Berücksichtigung der Kriegs- und Nachkriegszeit, (sans lieu de parution) 1931.
8 Pflüger, Paul : Die Bekämpfung der Wohnungsnot. Gutachten an den zürcherischen Regierungsrat, Zurich 1920, pp. 4 et 20.
vague de créations et, en 1919, l’association faîtière des coopératives, l’Association suisse pour l’encouragement à la construction de logements d’utilité publique (« Schweizerischer Verband zur Förderung des gemeinnützigen Wohnungsbaus ») se constitua sous la présidence d’Emil Klöti, influent politicien du logement et chef de l’urbanisme social-démocrate de la ville de Zurich. Outre des réformateurs et des architectes brillants comme Hans Bernoulli ou Camille Martin, le comité directeur comprenait des représentants sociaux-démocrates et bourgeois renommés de l’exécutif et de l’administration, ainsi que des représentants de la bourgeoisie (philanthropique) et de la grande industrie. Contrairement à la construction de logements communaux, qui était surtout approuvée par les milieux de gauche, les coopératives d’habitation suscitaient la sympathie jusque dans les milieux bourgeois. L’encouragement d’organisations d’entraide coopératives d’utilité publique, mais privées, était plus facilement conciliable avec les principes de l’ordre économique libéral que la construction de logements appartenant au secteur public9.
La ville-canton de Bâle et surtout la ville rouge de Zurich constituaient les poumons de la construction de logements coopératifs. Les lotissements de ces années-là étaient marqués par les idéaux de la cité-jardin. La pionnière des coopératives zurichoises Dora Staudinger estimait en 1918 qu’il fallait privilégier « à tous points de vue, qu’il s’agisse de santé, d’esthétique, de culture, de social et surtout d’‹économie d’avenir›, les cités-jardins uniformes en dehors des grandes villes ». C’est ici que « la maison individuelle, le jardin, l’habitat coopératif » pourraient être réalisés au mieux10.
Toutefois, les lotissements décentralisés ne répondaient souvent pas au besoin de se loger à proximité du lieu de travail, et l’idéal de la maison individuelle avec jardin potager pour subvenir à ses besoins n’était que rarement réalisable sur les surfaces limitées des centres urbains. En effet, les lotissements de ces années-là étaient généralement construits dans les villes sous la forme d’ensembles uniformes de plusieurs étages, ainsi que de lotissements verdoyants disposés en rangées ouvertes à la périphérie des villes. Dans ces « colonies »,
9 Cf. Kurz, Daniel : Den Arbeiter zum Bürger machen. Gemeinnütziger Wohnungsbau in der Schweiz 1918–1949, in : Schulz, Günther (éd.): Wohnungspolitik im Sozialstaat. Deutsche und europäische Lösungen, 1918–1960, Düsseldorf 1993, pp. 285–304 ; Schelbert, Marcel : Gemeinnütziger Wohnungsbau im Spannungsfeld zwischen Staat und Privatwirtschaft. Die Vorstände der Wohnbaugenossenschaften Schweiz und ihrer Regionalverbände 1920, 1950, 1980, travail de master à l’Université de Zurich, Zurich 2021 ; Zitelmann, Reto : « Nackte, feuchte Mauerwände » und das Dach « stellenweise undicht ». Wohnverhältnisse der Arbeiterschaft, Wohnungsnot und Wohnpolitik, in : Rossfeld, Roman ; Koller, Christian ; Studer, Brigitte (éd.): Der Landestreik. Die Schweiz im November 1918, Baden 2018, pp. 61–78.
10 Staudinger, Dora : Unser Kampf gegen die Wohnungsnot, in : ABZ (éd.): Unser Kampf gegen die Wohnungsnot, Zurich [1919], pp. 3–14, ici p. 12.
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on répondait aux exigences de « lumière, d’air et de soleil » en intégrant des espaces ouverts et de rencontre. Les logements étaient aménagés de manière simple, mais fonctionnelle.
La coopérative d’habitation de Freidorf, construite entre 1919 et 1921 près de Muttenz par l’Union suisse des sociétés de consommation (l’actuelle Coop) d’après les plans de l’architecte réformateur Hannes Meyer, était considérée comme exemplaire et suscitait un vif intérêt bien au-delà des frontières nationales. Le projet représentait l’antithèse des « casernes locatives » urbaines décriées et densément peuplées, construites en îlots. Dans le lotissement de Freidorf, l’utopie de la voie coopérative entre capitalisme et socialisme a été expérimentée à titre de modèle. Cette cité-jardin idéale, composée de 150 maisons individuelles (mitoyennes) et de jardins potagers, était également pourvue de locaux communautaires et de son propre magasin. L’esprit communautaire était mis en avant et la vie sociale des habitants était largement organisée.
Alors que les interventions fédérales en temps de crise ont été supprimées au milieu des années 1920, plusieurs villes ont continué à encourager de nouveaux lotissements pendant le boom de la construction qui a débuté à cette époque et ont favorisé l’essor de l’habitat coopératif. Mais au début des années 1930, en pleine Grande Dépression qui a ébranlé l’économie mondiale à partir de 1929, la construction de logements neufs s’est brutalement effondrée. Cette fois, compte tenu du nombre élevé de logements vacants et de sa politique restrictive et timide en matière de mesures de création d’emplois, la Confédération refusa de prendre des mesures de soutien en faveur de la construction de logements. Cela ne changea qu’après le début de la Seconde Guerre mondiale.
Nouvelle impulsion de l’Etat central
En Suisse comme dans de nombreux pays européens, le déclenchement de la guerre agit comme un catalyseur donnant une nouvelle impulsion aux interventions de l’Etat central sur le marché du logement. S’ensuivit en Suisse une courte période clé de la politique du logement, de 1939 à 1950, durant laquelle la Confédération intervint dans le développement urbain sous le régime des pleins pouvoirs, dans des proportions jamais vues ni avant ni après.
Au cours des premières années de la guerre, la construction de logements neufs s’est effondrée en raison des perspectives de rendement peu encourageantes, de la raréfaction et du renchérissement de la main-d’œuvre et des matériaux de construction, et une crise du logement précaire a éclaté. La Confédération a
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Coopérative d’habitation Freidorf à Muttenz : vue aérienne de l’ensemble du site. © Archives gta
Lotissement coopératif Im Herrlig de l’ABZ à Zurich-Altstetten : immeubles collectifs typiques de l’après-guerre avec des logements de 2 à 5 pièces, afin de répondre aux différents besoins et favoriser la mixité sociale dans le lotissement. © Archives de l’histoire de l’architecture de la ville de Zurich, Walter Läubli
Lotissement coopératif Obermatten de Rotach et ASIG à Rümlang : plan de situation du lotissement composé de 2 tours de huit étages, de 10 blocs d’habitation linéaires de trois à cinq étages et de 22 maisons à atrium d’un étage. © Bibliothèque de l’EPF, Zurich, lotissement Obermatten Rümlang, revue « Wohnen », volume 38, 1963
Lotissement coopératif Obermatten de Rotach et ASIG : les maisons à atrium au premier plan se distinguaient nettement des immeubles de plus grande hauteur. © Bibliothèque de l’EPF, Zurich, archives iconographiques, Werner Friedli
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réagi en soumettant à nouveau le marché du logement à une réglementation exhaustive. Elle a renforcé la protection des locataires et le contrôle des prix, rationné les rares matériaux de construction et lancé en 1942, à contrecœur et en grinçant des dents, une grande action d’encouragement à la construction de logements, qui s’est poursuivie jusqu’en 1949, afin de lutter contre la pénurie de logements et de créer des emplois. Au moment le plus fort, la Confédération, les cantons et les communes soutenaient plus des deux tiers des nouvelles constructions et accordaient des subventions à fonds perdu allant jusqu’à 45% des frais de construction. Ces subventions pouvaient être demandées non seulement par des organismes d’utilité publique, mais aussi (sous conditions) par des entités à but lucratif, qui ont construit un peu plus de la moitié des logements subventionnés.
En Suisse alémanique, les actions de construction de logements ont marqué le début du deuxième boom de la construction de logements coopératifs. Dans de nombreuses villes, les coopératives se sont imposées comme des acteurs importants sur le marché du logement, même s’il faut relativiser les choses puisque leur part n’a guère dépassé un dixième du parc immobilier total. Ici encore, Zurich a constitué l’une des rares exceptions. En revanche, en Suisse romande et au Tessin, les coopératives n’ont pas réussi à s’imposer comme des acteurs importants.
L’idéal des coopératives, à savoir la maison individuelle avec jardin potager, ne pouvait pas être « intégralement réalisé » sur les terrains onéreux des espaces urbains en expansion, raison pour laquelle il fallait « dans bien des cas (…) se contenter de compromis », comme le constatait en 1944 Emil Klöti, déjà cité auparavant11. Les lotissements verdoyants, construits dans un style ouvert, devinrent la référence sur laquelle s’orientèrent les coopératives et leurs architectes pendant la guerre et l’après-guerre. Des maisons mitoyennes de deux étages et des immeubles d’habitation de trois ou quatre étages, aux finitions sobres mais propres, avec des toits à deux pans, du crépi et des rebords de fenêtres fleuris, caractérisaient les lotissements à cette époque.
Le lotissement Im Herrlig de l’Allgemeine Baugenossenschaft Zürich ABZ, construit entre 1946 et 1948 à Altstetten, en est un exemple éloquent. La plus grande coopérative de Zurich y a construit 217 logements près de la gare, dans un style linéaire aéré – un projet de grande envergure pour la Suisse. Le bureau d’architectes Aeschlimann & Baumgartner a conçu des logements
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11 Klöti, Emil, La politique des logements au service de la protection de la famille, in : Conseil fédéral suisse : Rapport du Conseil fédéral à l’Assemblée fédérale sur la demande d’initiative pour la famille (du 10 octobre 1944), in : Feuille fédérale 1944 I 825, pp. 1070–1092, ici p. 1076.
équipés de manière simple, mais confortable, dans des immeubles collectifs de trois étages, ainsi que des maisons mitoyennes de deux étages, afin de garantir des conditions d’ensoleillement optimales. Il a en outre veillé à la création de vastes espaces verts. Le lotissement disposait également d’une épicerie, d’une boucherie et d’un grand local collectif afin d’encourager activement l’esprit communautaire. La ville a honoré cette cité modèle en lui décernant une distinction. Le fait que la colonie ait été considérée comme un succès par le Conseil communal n’a rien d’étonnant, puisqu’il avait été impliqué très tôt dans la planification et avait soutenu la construction. La ville a cédé à l’ABZ un terrain à bâtir bon marché, lui a accordé des hypothèques et des subventions, mais en contrepartie, elle s’est réservé des droits de codécision. Cette collaboration entre le public et le privé était typique des campagnes de construction de logements subventionnés entre 1942 et 1949. A Zurich, les coopératives de construction de logements sont devenues de véritables organes exécutifs du Service des constructions et de son responsable, l’architecte de la ville Albert Heinrich Steiner, afin de mener à bien la transformation rapide de la ville.
Perte d’importance pendant le boom de l’après-guerre Le deuxième boom de la construction de logements coopératifs prit fin brutalement après 1950. Avec la fin de la guerre, des critiques se sont élevées contre les interventions sur le marché du logement et l’encouragement de la construction de logements par la Confédération s’est heurté à une résistance croissante de la part du secteur privé du logement et de l’Administration fédérale elle-même. En 1949, le Schweizerische Grund- und Hauseigentümerverband a lancé un référendum contre la poursuite temporaire de l’action d’encouragement. Bien que le projet ait été adopté sans problème par les deux chambres du Parlement fédéral et qu’il ait été soutenu par tous les partis du Conseil fédéral, à l’exception du PRD, les électeurs rejetèrent en janvier 1950, par 54% des voix, la poursuite de l’aide fédérale à la construction de logements. Ce résultat eut des conséquences majeures. Alors que la plupart des pays occidentaux encourageaient fortement la construction de logements sociaux ou l’accès à la propriété après la guerre, la Confédération s’est à nouveau fortement désengagée de l’aide au logement dès 1950. Sans les subventions fédérales, les cantons et les communes ne pouvaient plus, ou ne souhaitaient plus, soutenir financièrement les projets de construction dans la même mesure. Le boom inédit de la construction de logements pendant la haute
Lotissement coopératif Im Herrlig de l’ABZ à Zurich-Altstetten : plan de situation.
© Maurizio, Julius : Der Siedlungsbau in der Schweiz 1940–1950, Erlenbach 1952, p. 125
Lotissement coopératif Im Herrlig de l’ABZ : photo datant de l’époque de la construction.
© Archives de l’histoire de l’architecture de la ville de Zurich, Hugo Paul Herdeg
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conjoncture, qui s’est poursuivi jusqu’à la crise des prix du pétrole au milieu des années 1970, était porté par des acteurs du secteur privé et était axé sur le marché locatif orienté vers le rendement. Les coopératives y participaient certes également, mais leur part dans l’activité de construction restait modeste. Elles avaient de plus en plus de difficulté à mener à bien des projets de construction.
Face à la politique frileuse menée par le secteur public, des promoteurs privés ont marqué le boom de la construction de logements en tant que « planificateurs officieux12 », comme l’a formulé la chercheuse en aménagement du territoire Martina Koll-Schretzenmayr. Au cours des trois décennies de haute conjoncture qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, le nombre de logements a doublé et le paysage suisse s’est littéralement métamorphosé. Les agglomérations se sont étendues vers les régions périurbaines, d’innombrables nouveaux lotissements ont été construits le long des lignes de transport dans les zones de desserte des centres, et les villages autrefois paysans se sont transformés en cités-dortoirs pour les pendulaires travaillant dans les centres. Le modernisme a investi l’architecture, les immeubles et les grands ensembles construits en partie de manière préfabriquée dans les agglomérations sont devenus des symboles de l’après-guerre13.
Même si en Suisse, la construction de vastes ensembles n’a jamais pris les mêmes proportions que dans d’autres pays européens, elle a fortement gagné en importance dans le discours et dans la pratique. Certains architectes progressistes cherchaient à faire écho au modernisme international et envisageaient de nouvelles échelles et hauteurs, et dans le cadre d’une recherche désespérée de solutions pragmatiques, les grands ensembles ont fait leur entrée dans les débats et la construction concrète de logements à prix modérés. Des architectes ont expérimenté la construction industrialisée de logements, d’abord en Suisse romande, puis en Suisse alémanique, pour le compte de maîtres d’ouvrage publics et privés.
Les coopératives d’habitation abandonnaient elles aussi de plus en plus les ensembles accueillants avec leurs immeubles linéaires de deux à quatre étages. En lieu et place, des ensembles modernes ont vu le jour à la périphérie des centres urbains. En y combinant des blocs d’habitation de quatre à douze étages, des barres et des tours, ainsi que des immeubles
12 Koll-Schretzenmayr, Martina : Gelungen – misslungen ? Die Geschichte der Raumplanung Schweiz, Zurich 2008, p. 43.
13 Cf. Allenspach, Christoph : L’architecture en Suisse. Bâtir aux XIXe et XXe siècles, Pro Helvetia, 1999 ; Eisinger, Angelus : Städte bauen. Städtebau und Stadtentwicklung in der Schweiz, 1940–1970, Zurich 2004.
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en terrasse plus bas et des maisons mitoyennes, les planificateurs ont brisé la monotonie déplorée des anciens lotissements modèles et ont créé de vastes espaces extérieurs. A côté de petits lotissements coopératifs, les grands ensembles connus sont le Tscharnergut (1958–1965) à Berne-Bümpliz ou la Cité du Lignon (1962–1971) à Vernier près de Genève. La cité Obermatten, construite entre 1958 et 1963 par la coopérative de construction Rotach (bourgeoise) et la coopérative Arbeiter-SiedlungsGenossenschaft ASIG (social-démocrate) dans la commune zurichoise de Rümlang, à proximité immédiate de l’aéroport de Kloten, constitue un exemple précoce de tels ensembles. Ce projet s’est avéré tout sauf simple. En effet, la société Rotach, responsable du projet, a passé des années à trouver un terrain approprié et abordable sur le marché foncier zurichois saturé, et sans les subventions fédérales élevées des années 1940, le financement s’était avéré difficile. C’est grâce à des crédits sur le marché régulier des capitaux et à des aides du canton et de la commune de Zurich que les coopératives ont finalement réussi à réunir les moyens financiers nécessaires. Elles ont construit une citéjardin moderne de 292 appartements selon les plans du bureau d’architectes Walter Gachnang & Sohn. Au lieu des rangées de bâtiments bien alignées de la cité Im Herrlig des années 1940, un ensemble à la composition variée a été créé avec des maisons à atrium d’un étage, des blocs d’habitation linéaires de trois à cinq étages, ainsi que deux tours carrées de huit étages. Les bâtiments modernes et minimalistes à toit plat ont été disposés en quinconce pour laisser la place à une grande aire de jeu au centre. Les appartements traversants offraient un confort moderne pour répondre aux exigences croissantes. Le terrain à bâtir bon marché, la standardisation et les aides publiques ont permis de proposer des loyers nettement inférieurs aux loyers moyens de biens comparables dans la ville de Zurich.
Critique des ensembles de la haute conjoncture
Ces grands ensembles construits dans la verdure se sont retrouvés dans le sillage d’une large critique du développement frénétique de la haute conjoncture dans les années 1960. Malgré l’activité record de construction, le problème des logements n’a pas pu être résolu et la question du logement est devenue, selon l’expression du conseiller fédéral Ernst Brugger (PRD) en 1970, « l’enjeu politique numéro un »14, qui a mis en évidence la face cachée de la haute conjoncture. La pénurie de logements
14 Cf. Archives fédérales AFS, 7295B#2016/90#1183* Procès-verbaux (1958–1975), Commission fédérale pour la construction de logements. Procès-verbal de la 31e séance plénière des 26 et 27 novembre 1970, p. 5.
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Lotissement coopératif Obermatten de Rotach et ASIG à Rümlang : au premier plan, les maisons à atrium. © Archives ZHdK, Art Ringger, 1967
persistante et la hausse des loyers, la spéculation foncière, l’éviction de la population établie de longue date dans le sillage des nouvelles constructions dans les centres-villes et l’urbanisation galopante au détriment des espaces naturels et culturels ont suscité de profondes craintes et résistances de la gauche jusqu’à la droite.
Les entreprises de construction, accusées de spéculer et de s’enrichir au détriment de l’intérêt général, étaient souvent prises pour boucs émissaires. Les critiques à l’encontre de la construction capitaliste de logements ont culminé à l’été 1972 avec le lotissement Sunnebüel de l’entrepreneur général et précurseur de la préfabrication industrielle Ernst Göhner, qui a fait sortir de terre de nombreux grands ensembles sur d’anciennes terres agricoles dans la région de Zurich 15 . Aujourd’hui, l’image de Göhner comme ennemi peut surprendre. Les lotissements Göhner ont depuis lors été réhabilités et les loyers étaient avantageux par rapport aux standards de l’époque. Toutefois, vers 1970, la construction préfabriquée en série, la taille des entreprises générales et la manière souvent brutale de procéder se prêtaient parfaitement comme symboles de la croissance impétueuse avec toutes ses conséquences négatives.
Choc
pétrolier et effondrement de la demande
Le miracle économique qui a duré trois décennies a pris fin avec la crise du prix du pétrole au milieu des années 1970. La crise économique a également mis un terme au boom sans précédent de la construction de logements. En raison de la crise et aussi de l’exportation du chômage dans le cadre de la politique controversée de la Confédération à l’égard des étrangers, de nombreux logements se sont soudainement retrouvés vacants. Voyant la demande s’effondrer et les conditions sur le marché des capitaux se détériorer, les coopératives et les promoteurs privés avaient nettement moins envie de construire. La loi encourageant la construction et l’accession à la propriété de logements (LCAP), adoptée en 1974, n’a guère permis d’inverser la tendance. La LCAP était une loi de la haute conjoncture. Les aides étaient conçues pour les grands ensembles situés dans les agglomérations vertes et reposaient sur l’hypothèse d’une croissance économique continue. Le boom de la construction de grands ensembles et la croyance en une croissance économique illimitée se sont craquelés.
La critique de la ville moderne survécut à la crise des années 1970. « Critique de la ville plutôt qu’euphorie de l’avenir,
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15 Cf. Furter, Fabian ; Schoeck-Ritschard, Patrick : Göhner Wohnen. Wachstumseuphorie und Plattenbau, Baden 2013.
préservation et espaces ouverts plutôt que modernisation et transformation radicale », tel était le credo de larges cercles allant de la protection du patrimoine à la gauche alternative, en passant par les architectes. Même si, comme le démontraient régulièrement des enquêtes, les habitants eux-mêmes aimaient bien habiter dans les cités, l’image des grands ensembles et des tours d’habitation basculait nettement vers le négatif, tandis que les anciens bâtiments datant du XIXe et du début du XXe siècle étaient fortement valorisés dans les discours et érigés en contre-thèse des constructions neuves en série prétendument sans âme 16 .
Les coopératives ont peiné à s’adapter aux contextes changeants. Elles ont été confrontées non seulement à la crise, mais aussi à l’augmentation du nombre des ménages individuels et des jeunes couples. Encore souvent enfermées dans les idéaux traditionnels de la famille nucléaire (avec l’homme à la tête de la famille et de nationalité suisse), elles ont eu du mal à se libérer des conceptions héritées du passé. Le plus souvent, elles se sont contentées de préserver et de gérer leur parc existant. Les coopératives nouvellement créées par des cercles de jeunes diplômés de la classe moyenne avaient tendance à construire des ensembles plus petits, permettant de mieux concrétiser la vie de voisinage. Le lotissement Zelgliacker, construit en 1981 par la société Gemeinnützige Mietwohn AG Gemiwo à Windisch, a été un exemple très remarqué.
Dans les années 1980 et 1990, une nouvelle génération de coopérateurs a émergé avec une nouvelle identité et de nouvelles exigences. La construction de logements d’utilité publique a ensuite connu un essor croissant et un renouveau notable au cours du nouveau millénaire. Les coopératives d’utilité publique ont à nouveau construit à grande échelle, et la nouvelle génération a expérimenté des formes d’habitat alternatives, adopté des objectifs urbanistiques, sociaux et écologiques, et testé de nouvelles formes de codécision.
Ce retour en force des coopératives a coïncidé avec une période de redécouverte des qualités urbaines. Après une phase de suburbanisation et d’exode des centres urbains, les villes ont retrouvé leur attrait et la population y a augmenté. Sous l’effet des tensions sur les marchés locatifs urbains et de la gentrification, les coopératives ont été aidées par deux évolutions. D’une part, la désindustrialisation a modifié les
16 Cf. Althaus, Eveline : Sozialraum Hochhaus, Bielefeld 2018, pp. 111–116 ; Schnell, Dieter (éd.): Die Architekturkrise der 1970er-Jahre, Baden 2013 ; Zberg, Nadine : Von der Gartenstadt in den Stadtdschungel. Stadtkritik am Anfang und am Ende der städtebaulichen Moderne, in : Lebensreform um 1900 und Alternativmilieu um 1980. Kontinuitäten und Brüche in Milieus der gesellschaftlichen
Selbstreflexion im frühen und späten 20. Jahrhundert, Göttingen 2019, pp. 87–104.
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Lotissement Zelgliacker de Gemiwo à Windisch : ce petit lotissement se compose de douze unités d’habitation disposées en rangées et d’un espace communautaire central interdit à la circulation. © Revue « Wohnen », édition décembre 2021, Thomas Bürgisser, Metron
Immeuble d’habitation et commercial Kalkbreite, Zurich : la cour et les toits-terrasses de l’ensemble forment un parc verdoyant qui offre des zones de rencontre spacieuses.
© Coopérative Kalkbreite, Volker Schopp
Immeuble d’habitation et commercial Kalkbreite : vue générale du vaste ensemble en bordure de route avec une cour intérieure protégée du bruit de la circulation. © Coopérative Kalkbreite, Martin Stollenwerk
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structures des villes et les surfaces ainsi libérées ont offert de nouvelles possibilités urbanistiques. D’autre part, en réaction à la suppression d’une grande partie des aides fédérales directes au début des années 2000, les aides publiques ont repris dans plusieurs villes, notamment celles où la gauche était majoritaire, dans le sillage d’un climat politique tendu. Depuis les années 2010, de nombreuses initiatives locales ont été déposées, donnant ainsi un coup de pouce à la construction de logements coopératifs 17 .
La très remarquée coopérative Kalkbreite, fondée en 2007, qui a réalisé jusqu’en 2014 à Zurich un lotissement à usage mixte à l’intersection des arrondissements 3 et 4 de la ville, constitue un exemple récent de la nouvelle génération de coopératives. Le lotissement surplombe un dépôt de trams, sur le toit duquel a été aménagée une vaste cour intérieure végétalisée. Tout autour sont regroupés, dans un ensemble à plusieurs étages, des logements, des locaux commerciaux et des structures culturelles. Le projet Kalkbreite témoigne de la volonté non seulement de mettre à disposition des logements à prix modérés, mais aussi d’encourager de nouvelles formes de cohabitation, une mixité et des interactions sociales, ainsi que d’expérimenter des solutions urbanistiques et écologiques durables.
Certaines entreprises innovantes du secteur privé ont elles aussi récemment fait progresser la construction de logements coopératifs en tant que secteur d’activité, comme le montre l’exemple du lotissement Huebergass de la coopérative de développement « Wir sind Stadtgarten » à Berne, développé par Halter SA et livré en 2021. Les 103 appartements, destinés pour la plupart à des familles, sont attribués selon le principe du loyer basé sur les coûts, les espaces communs et extérieurs sont conçus pour favoriser l’interaction sociale et les habitants bénéficient de possibilités de codécision participative.
Les avancées politiques et les projets de construction montrent que la construction de logements coopératifs a récemment repris de l’élan. Il est vrai que les coopératives doivent toujours lutter contre une certaine résistance, et que l’initiative populaire « Davantage de logements abordables », selon laquelle la part de logements d’utilité publique dans les nouvelles constructions aurait dû être portée à plus de 10%, a été rejetée par les électeurs en février 2020. Mais il faut bien reconnaître que la troisième voie de la construction de logements gagne à nouveau du terrain en tant que forme de
17 Cf.
©
114 Société & Environnement – Essai
Balmer, Ivo ; Gerber, Jean-David : Why are housing cooperatives successful ? Insights from Swiss affordable housing policy, in : Housing Studies 33 (2), 2017 ; Cuennet, Stéphane ; Favarger, Philippe ; Thalmann, Philippe : La politique du logement, Lausanne 2002 ; Koch, Philippe : The role of housing cooperatives in Switzerland ; Working Paper ZHAW, Winterthour 2021.
Lotissement coopératif Huebergass à Berne : façade en bois et surfaces extérieures végétalisées.
Halter SA, Damian Poffet
Immeuble d’habitation et commercial Kalkbreite, Zurich : vue depuis la Badenerstrasse. © Coopérative Kalkbreite, Volker Schopp
construction de logements à prix modérés parfaitement adaptée au système suisse. Des coopératives innovantes testent des solutions urbanistiques et ouvrent la voie à une offre de logements durable et abordable. Elles apportent « une valeur ajoutée dont profitent non seulement les habitants, mais la société dans son ensemble », comme l’a exprimé le conseiller fédéral Guy Parmelin (UDC) à l’occasion du centenaire de l’Association faîtière des coopératives d’habitation suisses en 2019 18 .
Florian Müller (37 ans), docteur en lettres, est historien de l’économie et mène des recherches sur l’évolution du marché et de la politique du logement d’un point de vue historique. Il est coresponsable d’un projet de recherche au Centre de recherche en histoire sociale et économique de l’Université de Zurich et assistant scientifique à la Fernuni Schweiz. Le présent essai s’appuie en grande partie sur les résultats de sa thèse de doctorat sur la construction de logements et la politique du logement en Suisse, dont certains passages sont présentés ici sous une forme abrégée pour un public intéressé.
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18 Habitation : revue trimestrielle de la section romande de l’Association suisse pour l’habitat, juin 2019, p. 24.
Lotissement coopératif Huebergass de la coopérative de développement « Wir sind Stadtgarten » à Berne : vue du lotissement avec une rue de rencontre interdite à la circulation au centre du complexe. © Halter SA, Damian Poffet
LA PROSPÉRITÉ DÉVORE SES ENFANTS
Le manque de densification et les coûts exorbitants des terrains à bâtir ne constituent qu’une partie du problème. En effet, le marché de l’immobilier résidentiel suisse souffre également de la demande croissante de logements engendrée par l’individualisation de la société et l’immigration effrénée. Cette pénurie a des effets dévastateurs : les ménages modestes doivent dépenser une part croissante de leur revenu pour se loger. La politique de taux d’intérêt bas menée par la Banque nationale suisse pendant des décennies n’a fait qu’attiser cette tendance, faisant grimper le taux de propriété et enclenchant un processus de redistribution des pauvres vers les riches.
116
Texte et graphiques : Martin Neff
Société & Environnement
La Suisse est un îlot de prospérité. Elle caracole en tête de tous les classements internationaux qui mesurent les indicateurs économiques pertinents. La stabilité politique, la structure allégée de l’Etat, les excellentes infrastructures, le bon fonctionnement du système éducatif ainsi que l’efficacité des services publics sont les garants d’une compétitivité exceptionnellement élevée. Le secteur des entreprises est par ailleurs considéré comme particulièrement efficace et productif. Par conséquent, le revenu par habitant est l’un des plus élevés du monde. Tout va pour le mieux, pourrait-on conclure. Au demeurant, la Suisse est aussi depuis bientôt deux décennies un pays d’immigration classique. Elle a par exemple dépassé depuis bien longtemps les Etats-Unis, qui avaient fait honneur à cette réputation pendant des décennies, en termes de migration nette par habitant. Une immigration supérieure à la moyenne est un indice très fiable de la qualité de la place économique et de la prospérité.
Or depuis peu, la Suisse risque d’être victime de son propre succès. La croissance démographique entraîne des goulets d’étranglement en de nombreux endroits. Les infrastructures de transport sont notamment surchargées et le marché du logement est de plus en plus saturé. Si l’offre est très qualitative, elle est loin d’être suffisante sur le plan quantitatif. Quiconque se déplace aux heures de pointe en train ou en voiture en sait quelque chose. Idem pour quiconque cherche un appartement dans l’un des centres économiques les plus dynamiques. Cette situation est partiellement due à des causes structurelles, mais aussi à des circonstances internes. Le dilemme actuel résulte du boom de l’accession à la propriété qui a duré près de trente ans et a encore été aggravé par la crise financière de 2008. Pour comprendre comment on en est arrivé là, il faut remonter le temps de quelques décennies.
Sur les traces de l’histoire
Le krach immobilier du début des années 1990 a fait éclater une énorme bulle spéculative. A l’échelle de la Suisse, le désastre de l’époque était comparable à la crise des subprimes aux Etats-Unis. Chez nous, la perte de valeur s’est élevée à environ 60 milliards de francs, soit près d’un tiers du produit intérieur brut de l’époque. Il a fallu des années pour surmonter la crise. Le mythe
de la place économique suisse stable a été sérieusement écorné. Mais en même temps, ce fut aussi un nouveau départ économique et la naissance du boom de l’accession à la propriété en Suisse. Suite au krach, les prix des terrains et de l’immobilier ont subi de fortes corrections, les cartels de la construction se sont effondrés, les coûts de construction ont chuté et, à partir de 1994, les taux d’intérêt ont nettement baissé, ce qui a permis à de larges couches de la population d’accéder pour la première fois à la propriété dans ce pays de locataires. Parallèlement, la propriété par étage s’est démocratisée dans toute la Suisse – auparavant, les propriétaires étaient de facto exclusivement des propriétaires de maisons, et non d’appartements – et une politique de promotion de la construction de logements extrêmement expansive en 1994/95 a eu l’effet d’une étincelle.
Ensuite, ce ne sont plus des récessions classiques, mais une accumulation de crises financières qui ont provoqué des bouleversements économiques. La débâcle des dotcoms en 2000, la crise des subprimes aux EtatsUnis en 2007/08 et la crise de l’euro entre 2011 et 2013 ont toutes connu la même issue. Les taux d’intérêt n’ont cessé de chuter, et c’est en Suisse, havre de stabilité au cœur de toutes ces turbulences, qu’ils ont chuté le plus fortement, pour finir carrément dans le négatif. La Banque nationale suisse s’est accommodée du fait que cette politique de taux bas a également généré un certain nombre d’effets secondaires indésirables. C’est ainsi que s’est mis en place un processus de redistribution d’une ampleur historique, qui se poursuit encore aujourd’hui, malgré la récente hausse modérée des taux d’intérêt ; un processus de redistribution des pauvres vers les riches, c’est-à-dire des épargnants vers les investisseurs ou les débiteurs et, pour le marché immobilier, des locataires vers les propriétaires.
Si le droit du bail en Suisse avait fonctionné comme prévu, les coûts auraient dû baisser non seulement pour les propriétaires, mais aussi pour les locataires. Or, cela n’a pas été le cas. Peu importe que cela soit dû au fait que peu de locataires aient réclamé les baisses de loyer auxquelles ils avaient droit suite à la baisse des taux d’intérêt de référence, ou que les propriétaires n’aient pas répercuté ces baisses sur les locataires. Mais le fait est qu’un
117 Komplex No 16/2023
en raison de la réduction de la taille des ménages (individualisation) en raison de l’excédent des naissances en raison du solde migratoire * Estimation
raison de la réduction de la taille des ménages (individualisation) en raison de l’excédent des naissances en raison du solde migratoire
* Estimation
(Enquête sur le budget des ménages)
Part des coûts du logement, charges comprises, dans le revenu brut du ménage, par classe de revenu (quintiles). Source :
10 000 20 000 30 000 40 000 50 000 60 000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019 2020 2021 2022* 0 5 15 25 35 1998 2000/02 2003/05 2006/08 2009/11 2012/14 2015/17 10 000 30 000 50 000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019 2020 2021 2022* 0 5 15 25 35 1998 2000/02 2003/05 2006/08 2009/11 2012/14 2015/17 118 Les nouveaux ménages en Suisse résultent
l’excédent
l’immigration. Source : OFS, Raiffeisen Economic Research
de l’individualisation, de
des naissances et de
en
OFS
1er
Nombre
nouvellement créés
2e
4e
5e
Nombre
nouvellement créés Société & Environnement
quintile de revenu 2e quintile de revenu 3e quintile de revenu 4e quintile de revenu 5e quintile de revenu Coûts du logement en pourcentage
de ménages
1er quintile de revenu
quintile de revenu 3e quintile de revenu
quintile de revenu
quintile de revenu Coûts du logement en pourcentage
de ménages
écart énorme s’est creusé entre la charge financière des propriétaires et celle des locataires. Ces distorsions perdurent et devraient rester irréversibles. En effet, il est peu probable que des taux d’intérêt à la hausse soient répercutés aussi timidement que des taux à la baisse. Sans compter que, depuis bien longtemps, la demande de logements dépasse l’offre. L’attractivité de la place économique suisse et les évolutions susmentionnées ont mis le marché du logement à rude épreuve. C’est pourquoi nous nous trouvons en 2023 dans une phase de triple pénurie structurelle.
La situation est tendue
Premièrement : nous construisons trop peu. Deuxièmement : nous construisons aux mauvais endroits. Troisièmement : nous construisons pour la classe et non pour la masse. Concernant le premier point, il convient de noter que l’excédent de la demande s’accentue pour deux raisons. D’une part, en raison de l’immigration soutenue et non freinée, et d’autre part, en raison des exigences élevées. Les ménages sont de plus en plus petits sous l’effet de l’individualisation, la surface occupée par habitant continue d’augmenter (voir graphique p. 118 en haut). En ce qui concerne le deuxième point, il faut préciser que l’activité de construction est trop faible dans les endroits demandés, à savoir les centres économiques dynamiques du Mittelland, alors que dans les endroits périphériques, on trouve des logements vacants dont personne ne veut ou n’a besoin. Compte tenu des maigres réserves de terrains à bâtir et de la lenteur de la densification, les terrains sont devenus si chers qu’il est quasiment impossible de proposer des logements abordables. Aussi, et c’est le troisième point, les investisseurs se concentrent sur les logements haut de gamme : des maisons individuelles ou des appartements locatifs à prix élevés pour une clientèle solvable. Et ce, alors que nous manquons surtout de logements abordables.
Un îlot de prospérité
Une solution est-elle en vue ? Probablement pas, et encore moins dans un délai valable ! Tant que les limites de la croissance ne seront pas au centre du dialogue et que des thèmes contraires à la conception fondamentalement libérale de la Suisse, comme les restrictions migratoires, la construction de
logements sociaux, voire le contingentement des logements, ne seront pas mis à l’ordre du jour, la pénurie ne pourra être résolue pour l’instant que du côté de l’offre. Seulement voilà : on sait que personne ne peut manger à sa faim rien qu’en regardant un livre de cuisine rempli de belles images. La densification est sans aucun doute la recette de l’avenir, mais sa réussite se heurte à l’absence des ingrédients nécessaires.
Il en va de même pour la mise à disposition de logements abordables. Ce dilemme est aggravé par le manque de terrains à bâtir, par des prescriptions de construction obsolètes et par la tendance actuelle à faire d’abord opposition à tout et à tous, que l’on soit concerné ou non par la question. Ce phénomène est un symptôme de la prospérité, ce qui nous ramène au début de cet article.
Car ce que l’on oublie volontiers sur l’île de la prospérité, c’est la question de sa répartition et de sa redistribution dans le temps. Sur ce point, le bilan de la Suisse n’est pas si brillant. Surtout pour les 20% des ménages les plus modestes, la charge financière du logement est passée à plus d’un tiers du revenu, alors que les 20% des ménages les plus aisés ne dépensent que 10% de leur revenu pour se loger. Depuis 2012, l’ensemble des ménages, à l’exception des 20% les mieux rémunérés, doivent même consacrer un pourcentage plus élevé à leur logement (voir graphique p. 118 en bas).
Une chose est donc sûre : nous n’avons pas seulement besoin de plus de logements, mais aussi et surtout de plus de logements abordables. Et ce, là où les terrains sont déjà rares et où la densification lente et timide n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan.
Martin Neff (62 ans) est chef économiste du Groupe Raiffeisen depuis avril 2013. Après des études en économie à l’Université de Constance, il a d’abord travaillé comme conseiller chez S & Z GmbH à Allensbach, en Allemagne, avant de rejoindre en 1988 la Société suisse des entrepreneurs (SSE) à Zurich. Il y était responsable de secteur pour l’observation conjoncturelle. Fin 1992, il a rejoint le secteur Economic Research de Credit Suisse où il a mis en place la plateforme Schweiz Research, qu’il a ensuite dirigée. En 2008, il a été nommé responsable de l’ensemble de l’Economic Research et chef économiste de CS. En plus de sa vaste expertise économique, Martin Neff est un fin connaisseur des marchés immobiliers suisses. Ses analyses étaient un élément important de l’expertise de Credit Suisse et de Raiffeisen en matière d’économie et de politique économique. Martin Neff est en outre conseiller spécialisé et professeur à l’Institut für Finanzdienstleistungen (IFZ) de Zoug et enseigne l’économie immobilière à l’Université du Danube à Krems, en Autriche. Depuis mai 2023, il est membre du Conseil d’administration de Halter SA. → www.raiffeisen.ch
119 Komplex No 16/2023
120
« LA SOUVERAINETÉ DES DONNÉES, QUELLE BELLE IDÉE ! »
Martin Strub, directeur du fonds immobilier suisse UBS (CH) Property Fund – Swiss Mixed « Sima », veut franchir une étape majeure dans la gestion durable de son immense portefeuille immobilier grâce à la numérisation. C’est sur le chantier du projet Grimselhof à Zurich-Altstetten qu’il nous explique quels sont les défis à relever et comment il se rapproche de cet objectif avec ses partenaires.
121 Komplex No 16/2023
Texte : David Strohm
Photos : Lukas Wassmann
Zurich-Altstetten, par une grise journée de janvier. Martin Strub a fait le voyage depuis Bâle, où il a son bureau. C’est de là que le gestionnaire de fonds gère un impressionnant portefeuille d’immeubles dans toute la Suisse. Le Grimselhof est l’un des chantiers en cours d’achèvement. Une bonne raison pour visiter les lieux. Komplex était présent.
Komplex : Qu’est-ce qui caractérise le fonds immobilier UBS « Sima » ?
Martin Strub : UBS « Sima » est l’un des plus anciens fonds immobiliers suisses, il a été créé en 1950 et s’est développé au fil du temps. C’est sa très large diversification, sur le plan géographique et par-delà tous les types d’usages, qui le distingue. Avec quelque 360 biens immobiliers et une valeur d’investissement de plus de 11 milliards de francs, l’envergure du fonds nous permet de nous attaquer à des projets complexes. En ce qui concerne les thèmes ESG que sont l’écologie, le social et la gouvernance, nous nous considérons à bien des égards comme des précurseurs. Ce succès, nous le devons avant tout à notre équipe, à la banque en arrière-plan et à un réseau de partenaires fiables.
Pour gérer un portefeuille aussi vaste, vous avez besoin de prestataires professionnels. Quelles tâches sont les plus importantes ?
Pour l’exploitation, il s’agit principalement des sociétés de gérance immobilière. Les locataires sont nos clients. Nous tenons à établir et à entretenir avec eux de bonnes relations à long terme. Les gérances sont proches des locataires et assurent le lien avec eux. Avoir un bon prestataire à ses côtés est donc la clé du succès.
Quels sont les plus grands défis à relever dans l’exploitation des biens immobiliers ?
Actuellement, l’ensemble du secteur est en pleine mutation. Nous sommes à la veille d’une étape importante en matière de numérisation. Dans la foulée, le profil professionnel
des gestionnaires changera aussi considérablement. Dans l’idéal, ils auront plus de temps à consacrer aux préoccupations des locataires. Il est également clair que la manière dont nous avons travaillé jusqu’à présent ne sera plus possible à l’avenir.
En ce qui concerne la performance des différents biens immobiliers, quelles sont les exigences critiques posées aux exploitants ?
Il y a deux choses que nous devons garder à l’esprit. D’une part, le recours à la technique, qui nécessite un juste équilibre. Trop de technique pourrait dépasser les capacités de certains et entraîner des coûts inutiles. Mais trop peu ne serait pas non plus souhaitable en raison des opportunités manquées. D’autre part, il ne faut pas perdre de vue la dimension sociale. Les exigences auxquelles nous sommes confrontés ne cessent d’augmenter : que ce soit lors des constructions neuves, de la modernisation du parc existant ou de l’exploitation. Mon objectif est de maintenir la performance et les distributions du fonds à un niveau élevé et stable.
En tant que propriétaire, vous devez également maîtriser les coûts d’exploitation. Quel rôle les applications numériques jouentelles à cet égard ?
Les nouveaux outils numériques nous permettent d’accéder à des données précieuses beaucoup plus vite, souvent même en temps réel. Jusqu’ici, nous devions attendre longtemps avant de pouvoir consulter les décomptes. Souvent, ils ne sont disponibles que l’année suivante. Les résultats des nouvelles applications nous permettent de tirer sans délai les conclusions nécessaires, de procéder immédiatement à des corrections, de prendre des mesures ou de lancer des projets.
La direction du fonds a défini comme l’un de ses objectifs la couverture complète des données
122
Exploitation & Cycle de vie – Entretien
pour tous les biens immobiliers d’ici 2030. Où en êtes-vous ?
Nous travaillons d’arrache-pied pour atteindre cet objectif, peut-être même avant cette échéance, ce qui nécessite des personnes engagées et des approches innovantes. J’espère que nous pourrons déjà franchir une étape majeure cette année. Mais il est important que tout cela se réalise à un coût raisonnable. La mise en œuvre est exigeante et ne sera pas possible dans les mêmes conditions pour tous les biens immobiliers.
Etes-vous satisfait de la qualité des données immobilières existantes ?
Je suis plutôt du genre impatient et jamais entièrement satisfait. Le chemin vers des données de très bonne qualité, et surtout à jour, est long et ardu. Mais nous sommes déjà assez loin. Nous disposons de la quasitotalité des données concernant presque tous les biens immobiliers, même si leur qualité
est très variable. Disposer de ces données est une chose. Travailler avec en est une autre. Ce n’est qu’en les interprétant que l’on peut déboucher sur des projets concrets, par exemple des mesures de rénovation.
Quelle plus-value la transparence des données en temps réel apportet-elle ?
Nous devons apprendre à connaître le bon volume de données. Qu’est-ce qui est important ? De quoi avons-nous vraiment besoin ?
Travailler avec de grands volumes de données peut vite devenir trop lourd. Et parfois, elles finissent dans le fameux cimetière de données. Il faut donc faire preuve de discernement. Au fond, ce ne sont souvent que quatre ou cinq données qui nous sont réellement utiles.
Le gestionnaire d’actifs pourraitil devenir un opérateur numérique dans un avenir proche ?
123 Komplex No 16/2023
Aujourd’hui déjà, nous, les gestionnaires d’actifs, avons beaucoup de tâches à accomplir et peu de temps. Avoir la souveraineté de l’ensemble des données est une idée agréable. Hélas, cela nécessiterait beaucoup plus de personnel. C’est pourquoi nous devons déléguer là où c’est possible, sans perdre de vue l’objectif commun. Mais allez savoir, notre profil professionnel évolue lui aussi.
Quelles opportunités voyez-vous dans les nouvelles solutions numériques dans le domaine de l’exploitation ?
Il est rafraîchissant de voir tout ce qui se développe et s’expérimente actuellement. On me bombarde de propositions dans tous les domaines possibles. Pour les évaluer, je dois les examiner attentivement et me demander : « Qu’est-ce que cela nous apporte ? » Souvent, il s’agit de solutions insulaires qui s’avèrent finalement moins romantiques qu’elles ne le laissaient penser au départ. Nous avons besoin de solutions globales qui couvrent un maximum de besoins à la fois.
Où réside le défi dans l’évaluation de ces nouveaux instruments ?
Nous procédons à l’évaluation dans le cadre d’un dialogue. J’essaie toujours d’être honnête. C’est ce qu’apprécient également les personnes qui viennent nous présenter un nouveau produit. Au final, c’est moi qui suis responsable et qui dois décider, avec le risque de me tromper parfois.
Voyons cela de plus près avec le Grimselhof à Zurich-Altstetten, l’un de vos projets pilotes en matière de numérisation. Quels objectifs poursuivez-vous ici ?
Pour nous, ce projet est effectivement une sorte de prototype pour une gestion numérique cohérente. Nous voulons acquérir de l’expérience. L’approche qui consiste à représenter numériquement toute la chaîne des tâches et à ne pas simplement produire un tas de documents supplémentaires me plaît. Les
locataires emménageront le 1er avril 2023, nous verrons alors si cela a bien fonctionné.
Au Grimselhof, vous collaborez avec le prestataire de services immobiliers Tend AG. Comment cela s’est-il mis en place ?
Pour tous nos projets, nous lançons un appel d’offres neutre et regardons quels prestataires nous conviennent le mieux. Après divers contacts avec les acteurs pertinents du marché, nous avons décidé de lancer le projet pilote du Grimselhof avec Tend, une entreprise sœur de Halter SA. Il y a deux ans environ, nous nous sommes réunis pour la première fois et avons clairement identifié une plus-value. Comme nous, les responsables de Tend sont très entreprenants. Leur force d’innovation est manifeste et la collaboration est un plaisir.
Où en
êtes-vous
aujourd’hui en termes de numérisation ?
Nous avançons petit à petit. Au niveau des activités administratives classiques, les applications sont déjà assez abouties. La prochaine étape consistera à mettre en place des interfaces avec d’autres acteurs : les artisans qui soumettent des offres, les fabricants d’appareils avec lesquels nous devons résoudre des cas de garantie, ou les assureurs qui établissent une police. Mais ne l’oublions pas, les projets informatiques sont complexes et souvent sous-estimés.
Et qu’avez-vous encore sur votre liste de souhaits
?
Nous ne voulons pas juste surfer sur la vague, mais participer activement à façonner l’avenir. Selon moi, les thèmes prioritaires s’articulent autour de cinq axes : outre la numérisation et la visualisation, il s’agit bien sûr de la durabilité, puis de la poursuite du développement en matière d’industrialisation, notamment le travail de bout en bout avec le BIM, mais aussi le développement de la construction en série, qui permet de produire à moindre coût et d’accélérer les projets de construction. Les avantages de la construction modulaire avec ses éléments
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standardisés peuvent être transposés aux logiciels. Le dernier point concerne la collaboration, que les différents acteurs doivent organiser efficacement afin d’atteindre des objectifs communs et ne pas rester bloqués, comme c’est souvent le cas.
Quels sont les défis à relever dans le parc immobilier existant ?
Souvent, les biens immobiliers plus anciens ne remplissent pas les conditions techniques nécessaires à la transition numérique. Là, il faut voir s’il n’est pas possible de mettre malgré tout en place une nouvelle technique à un coût raisonnable. Parfois, on rencontre des résistances externes, par exemple quand la compagnie d’électricité n’est pas prête à travailler avec des appareils intelligents.
la protection de l’environnement. La direction du fonds a récemment fixé des objectifs ambitieux. Qu’est-ce qui les a motivés ?
Ces thèmes nous préoccupent depuis des années, mais ils ont clairement gagné en importance ces derniers temps. La société est prête à accepter des mesures. Je me réjouis que le fonds UBS accorde plus de poids aux critères ESG. Cela nous soutient dans le domaine de l’immobilier. Mais nos investisseurs, qui y accordent de plus en plus d’importance, nous le demandent également.
Quels sont les objectifs concrets de
votre vaste portefeuille ?
Venons-en
aux sujets importants que sont la durabilité, la réduction des émissions de CO₂ et
D’ici 2030, nous entendons réduire les émissions de CO₂ de 50% par rapport au niveau de 2019 et ne plus utiliser de combustibles fossiles pour l’exploitation. D’ici 2050, nous voulons atteindre la neutralité climatique avec un bilan zéro net. Nous concré-
tisons la trajectoire de réduction que nous tenons absolument à respecter à l’aide d’une liste de mesures. Pour moi, il est important que nous agissions et que nous ne nous contentions pas d’en parler. Cela exige de garder le cap sur l’objectif ambitieux et de ne pas nous perdre dans les détails.
Cela coûte cher. D’où viennent les fonds nécessaires ?
Nous devons accorder de la valeur à la durabilité et être prêts à payer pour ça. Nous essayons d’échelonner les investissements et d’en prévoir les fonds dans la planification pluriannuelle et dans les budgets.
Vous procédez à une évaluation interne de la durabilité aussi bien pour les biens immobiliers existants que lors de l’acquisition des nouveaux biens. Quels sont alors vos critères ?
Pour ce qui est des constructions neuves, les labels connus nous aident. Je n’en suis pas un grand fan, mais c’est la norme. Lorsque nous achetons des bâtiments existants, nous effectuons l’analyse à l’aide de checklists. Généralement, on voit tout de suite ce qui est nécessaire et où.
Quels sont les autres défis qui vous attendent à l’avenir ?
Le cadre réglementaire est un aspect que nous surveillons en permanence. Ici, nous devons tenir compte de directives de plus en plus complexes. Mais nous nous préoccupons également du discours social, par exemple sur la question des logements abordables ou les préjugés à l’égard des investisseurs immobiliers. Nous souhaitons agir de manière responsable et nous confronter au débat.
Une dernière question : où voyezvous UBS « Sima » dans cinq ans ?
Dans un sens, UBS « Sima » représente le secteur de l’investissement immobilier en
Suisse. Notre structure héritée du passé confère une certaine stabilité au fonds. Le monde continue de tourner, mais je présume que dans cinq ans, nous serons toujours le fleuron des fonds immobiliers d’UBS. J’espère que mes successeurs pourront en dire autant un jour, lorsque le fonds fêtera ses cent ans.
p. 120 – La façade du Grimselhof est encore recouverte de bâches, mais les premiers appartements devraient être occupés dès le 1er avril 2023.
p 123 – Les plans sont vérifiés dans le bureau de chantier (à gauche). L’alimentation électrique sur le chantier (à droite).
p. 124 – Le gestionnaire du fonds se rend lui-même régulièrement sur ses chantiers dans toute la Suisse.
p. 126 – Vue de la cour intérieure du Grimselhof. C’est ici que se rencontreront bientôt les habitants et que joueront les enfants.
p. 127 – Martin Strub sur l’échafaudage. Le contact avec les ouvriers sur place est très important pour lui.
Martin Strub (54 ans) est Managing Director et gestionnaire du fonds UBS (CH) Property Fund – Swiss Mixed « Sima », l’un des plus anciens et plus importants fonds immobiliers de Suisse. Le fonds a reçu de nombreuses distinctions au cours des dernières années. Martin Strub a été initié très tôt à l’immobilier. Son père, qui était entrepreneur en bâtiment, emmenait son fils sur les chantiers dès son plus jeune âge. Au cours de sa carrière, il a acquis une vaste expérience dans la planification, la construction et la gestion immobilière. Il travaille pour le fonds UBS depuis 2007. Martin Strub est membre du conseil d’administration du Branch Do Tank. Il est marié et vit avec sa famille dans le canton de Soleure. → www.ubs.com
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PARFAITEMENT ASSORTIS
Visualisations et captures d’écran : Tend AG
En fin d’année dernière, le spécialiste de la visualisation
Raumgleiter AG a été en majeure partie intégré au prestataire de services immobiliers Tend AG. Cela a débouché sur un nouveau processus de commercialisation numérique global qui allie une longue expérience dans la commercialisation de biens immobiliers aux possibilités offertes par les nouveaux instruments interactifs. Les processus peuvent ainsi être optimisés durablement, les coûts supplémentaires réduits et une expérience utilisateur unique créée jusqu’à l’exploitation.
128
Texte : Bettina Kunzer
Exploitation & Cycle de vie
Le plan panoramique pivote sur les hautes vallées schwytzoises, et voilà qu’Einsiedeln se présente sous un ciel bleu, avec le lac de Sihl en toile de fond. Le regard se porte ensuite sur l’emblème de la localité : l’abbaye bénédictine baroque. Alors que la caméra zoome, un moine sort de l’imposante bâtisse et emmène les spectateurs à la découverte de la commune. S’ensuivent des séquences vidéo présentant les offres de shopping, de gastronomie et de loisirs, ainsi que la visualisation d’un site proche du monastère, sur lequel seront construits 25 appartements en copropriété de 2½ à 5½ pièces. Le spectateur se rend vite compte qu’en ce lieu idyllique, le temps passe moins vite, les trajets sont plus courts et les plus beaux endroits de la nature sont plus proches qu’ailleurs.
Le teaser en ligne annonçant le projet Einsiedlerhof, où l’on pouvait voir la vidéo, misait déjà sur l’expérience émotionnelle pour susciter l’intérêt des acheteurs potentiels. Et même dans les phases suivantes, de la prise de décision à l’achat, Halter SA, en tant que promoteur et propriétaire du site, tenait à offrir une expérience utilisateur de qualité. Halter a confié au prestataire de services immobiliers Tend l’ensemble du processus de commercialisation, pour lequel le nouveau package de commercialisation « Full House » a été utilisé pour la première fois. Celui-ci comprend non seulement la mise à disposition des technologies numériques, la création et la mise en œuvre de toutes les mesures, mais aussi le savoir-faire en matière de gestion de projet et d’optimisation des processus de ce spécialiste de la commercialisation immobilière. Cela permet de positionner parfaitement les biens immobiliers résidentiels et d’en assurer le suivi jusqu’à l’exploitation numérique.
Une solution numérique tout-en-un
Le fait que les clients recherchent leur bien immobilier principalement en ligne est quasiment une évidence en cette période postCovid, même si le phénomène n’est pas directement lié à la pandémie. Là aussi, la numérisation a permis d’ouvrir des portes : grâce aux visualisations virtuelles, aux visites en ligne et aux processus numérisés allant jusqu’à la signature des contrats, la location ou l’achat d’un bien immobilier devient possible presque à tout moment et de n’importe où. Si les technologies modernes sont
disponibles depuis bien longtemps, le modèle de traitement actuel est encore en retard sur l’image idéale d’une commercialisation numérique de bout en bout. En effet, il faut toujours coordonner les prestations de l’entreprise de commercialisation avec celles des agences, des entreprises de visualisation et des services numériques nécessaires. Cela demande déjà beaucoup d’efforts aux propriétaires immobiliers, car ils sont sollicités pour chaque décision majeure. De plus, ils doivent assumer le risque élevé de surcoûts liés au manque de standardisation, aux processus obsolètes et aux coûts additionnels difficilement calculables.
L’intégration d’une majorité des experts en communication visuelle de l’entreprise Raumgleiter AG à la société Tend AG permet désormais de réunir sous un même toit les compétences nécessaires à la commercialisation largement numérique des biens immobiliers. Ce processus de commercialisation porte le nom de « Full House » et permet à Tend de proposer un package complet et cohérent. Il comprend la commercialisation intégrale d’un projet et sa mise sur le marché à la date d’emménagement. Cela permet de soulager les mandants des contraintes temporelles et financières. Par ailleurs, une expérience utilisateur unique est créée tout au long du processus de commercialisation et, si souhaité, jusque dans l’exploitation et l’offboarding. Cette approche globale permet de fidéliser davantage les locataires ou les acheteurs.
L’étendue du package de prestations numériques est fonction des besoins du client et des caractéristiques individuelles du projet. Tend prend en charge la sélection des mesures de commercialisation requises pour la vente réussie des biens immobiliers, et ce, de manière adaptée à chaque phase. L’accent est mis sur un parcours client ciblé avec une navigation intuitive, des possibilités d’interaction pratiques, des visualisations parlantes et toutes les informations pertinentes sur le projet.
Gain de temps et d’argent
La commercialisation numérique globale s’étend du branding du produit, de l’accès et de l’enregistrement au bail numérique ou à la réservation de l’appartement en copropriété, en passant par le teaser en ligne, le site web de commercialisation avec le navigateur d’appartement et, pour les appartements en
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Le panorama interactif à 360 degrés montre les lieux importants des alentours. Même les domaines skiables proches sont indiqués.
Dans le navigateur, un jumeau numérique est représenté avec des unités d’habitation marquées en couleur. Le scan 3D a été réalisé à l’aide d’un drone.
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copropriété, un configurateur d’équipement. Une équipe expérimentée dans la commercialisation numérique et formée ad hoc accompagne le processus, en se concentrant sur la gestion de projet et le développement des compétences technologiques. Christoph Stücheli, responsable de projet senior en commercialisation numérique chez Tend, précise : « Bien entendu, les différents instruments numériques requis pour un projet sont interchangeables, mais pas notre service d’accompagnement global des processus, largement numérisé, dans le cadre duquel nous orchestrons les mesures. Nous simplifions les processus en les standardisant. Cela nous permet de proposer nos services de haute qualité à des prix attractifs. »
En ce qui concerne le projet Einsiedlerhof, la commercialisation opérationnelle a été confiée, à la demande du propriétaire, à un prestataire de services bien implanté dans la localité, qui gérera également le bien immobilier pendant les deux premières années. Le package de commercialisation numérique ainsi que le suivi du processus et l’assurance qualité correspondants relèvent de Tend. Ainsi, l’entreprise de commercialisation en première ligne peut se concentrer sur le suivi personnel de la clientèle et la signature des contrats.
Selon Rolf Peruzzo, chef de projet Einsiedlerhof chez Halter Développements, le fait que les supports de communication visuels soient produits en interne par Tend dans le cadre du processus « Full House » constitue un avantage décisif. « Grâce à ce concept, Tend réduit considérablement le risque de coûts additionnels pour le propriétaire du bien immobilier, qui résulte souvent de l’achat de prestations externes. » Et il poursuit : « Puisque l’ensemble de la commercialisation, y compris toutes les prestations de tiers, nous est fourni par un seul et même prestataire, le nombre d’intervenants impliqués dans le projet est réduit à un minimum. Je suis convaincu que cela conduit également à un transfert plus efficace vers l’exploitation. »
Des visites virtuelles via le navigateur
Depuis la fin de l’année dernière, les appartements en copropriété de l’Einsiedlerhof peuvent être réservés via le navigateur sur le site web du projet. L’outil de recherche d’appartement non seulement fournit toutes les informations sur le produit, telles que
la situation, le prix, la surface habitable et le plan, mais représente également un jumeau numérique de la propriété. Il permet ainsi de voir comment le bâtiment s’intègre dans son environnement et quelles zones sont ensoleillées au cours de la journée. Lors de l’une des deux visites panoramiques à 360 degrés d’un appartement meublé, le visiteur peut se promener virtuellement dans les pièces afin de les découvrir. Un outil de mesure innovant répond à toutes sortes de questions telles que « L’armoire est-elle de la bonne taille ? », « Est-ce que mon canapé rentre dans la pièce ? » ou « Sur quel mur mon tableau sera-t-il le mieux mis en valeur ? ». « Nous perfectionnons sans cesse nos outils numériques, explique Christoph Stücheli. Nous voulons créer un maximum de transparence et offrir une bonne base de décision. Plus les facteurs inclus sont nombreux, plus la décision d’achat peut être prise en connaissance de cause. » Et d’ajouter en souriant : « Bien sûr, il y a aussi un petit côté ludique. On s’amuse avec les outils et on consacre ainsi plus de temps au bien. Cela crée des liens émotionnels et augmente la probabilité d’achat. Mais cela permet aussi de faire le tri à un stade précoce. Les personnes qui estiment que leurs meubles ne trouveront pas de place ici abandonnent le projet à ce moment-là. Cela nous permet de réduire le travail de gestion des ventes. »
Quiconque a été convaincu par les visualisations et les informations sur les appartements de l’Einsiedlerhof peut sélectionner l’appartement souhaité dans le navigateur et le réserver. Dès que l’entreprise de commercialisation en première ligne a vérifié les documents envoyés et fait son choix, la promesse d’achat numérique est envoyée pour signature. Avec le versement de l’acompte, la réservation devient effective. En ce qui concerne l’Einsiedlerhof, 17 des 25 appartements ont été réservés de cette manière quelques jours seulement après le début de la commercialisation.
Une expérience utilisateur unique
Un mois plus tard, le configurateur numérique des appartements a été mis à la disposition des acheteurs. Il permet de choisir parmi les nombreuses options prédéfinies de haute qualité pour les revêtements de sol, les façades de cuisine, les plans de travail et les appareils électriques, ainsi que le carrelage et la robinetterie des salles d’eau. Des
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échantillons sont également présentés lors d’un entretien de conseil avec le responsable de la commercialisation, afin de permettre au client de toucher les matériaux. Le configurateur permet de visualiser le rendu sur une grande surface et de trouver une composition harmonieuse. Ici aussi, une nouveauté technique est mise en œuvre. Les échantillons sont munis d’étiquettes RFID, si bien qu’à l’aide d’un scanner, les échantillons physiques peuvent être directement insérés pour visualiser l’équipement dans le configurateur. La fusion ainsi obtenue entre le monde numérique et le monde réel permet d’améliorer encore l’expérience client.
Le choix des matériaux est ensuite consigné dans le contrat de vente. De cette façon, le configurateur permet de connaître très tôt les coûts supplémentaires que devra supporter l’acheteur d’un appartement. Le financement peut être réétudié à tout moment et adapté si nécessaire. Le mandant profite lui aussi de la définition précoce de l’équipement. Cette technologie disruptive permet de se passer complètement d’un conseiller pour les acheteurs, car l’accompagnement tout au long du processus de sélection est effectué en toute simplicité par voie numérique avant même la conclusion du contrat. Cela crée de la transparence et de la sécurité au niveau des coûts, permet un calcul et une commande exacts et, en fin de compte, une qualité d’exécution élevée.
Un accompagnement numérique jusqu’à l’exploitation
« Nous estimons que nous ne sommes pas dégagés de notre responsabilité une fois le contrat de vente authentifié, souligne Christoph Stücheli. Afin de garantir des processus efficaces et continus ainsi qu’une grande satisfaction de la clientèle, tant du côté du mandant que de celui des acheteurs, nous accompagnons le projet jusque dans la phase administrative. »
Un autre cas pratique montre qu’une commercialisation intégralement numérique offre des bases optimales pour une exploitation efficace et conviviale. Les données clients obtenues lors de la phase de commercialisation peuvent être facilement transférées vers la phase d’exploitation sans rupture médiatique, et restent disponibles pour le suivi numérique de la clientèle.
Dans un autre projet, le Grimselhof (lire aussi « La souveraineté des données, quelle
belle idée ! », p. 120), les locataires des 111 appartements de Zurich-Altstetten reçoivent l’appli Grimselhof, un outil qui leur permet de prendre contact avec la gérance, de consulter des actualités, des informations et des documents et d’échanger avec le voisinage. Elle contient par exemple des modes d’emploi, le numéro OTO pour l’inscription au raccordement à la fibre optique ou encore une application pour réserver la date de déménagement à venir. Cet exemple montre que la grande transversalité des données, qui permet une commercialisation numérique globale, simplifie aussi durablement la gérance et le changement de locataire.
Lorsque Tend et Raumgleiter ont décidé d’unir leur solide savoir-faire immobilier et technologique pour emprunter ensemble cette nouvelle voie de la commercialisation intégralement numérique, on aurait pu croire que les deux entreprises avaient simplement swipé vers la droite comme s’ils étaient tombés amoureux au premier regard sur Tinder, tant la fusion partielle semble évidente et naturelle pour le développement de la commercialisation immobilière numérique.
→ www.einsiedlerhof-wohnen.ch
Tend AG
L’entreprise immobilière Tend propose une offre de prestations intégrée visant à garantir les revenus, à baisser les coûts d’exploitation et à réduire les émissions de CO₂ dans les immeubles résidentiels, commerciaux, de bureaux et spéciaux. L’expertise englobe la commercialisation immobilière numérique, la planification et l’optimisation de l’exploitation, ainsi que le conseil en technique du bâtiment et en énergie. Tend n’a cessé de démontrer son excellence professionnelle dans ces domaines, tout en identifiant les opportunités offertes par les technologies d’avenir dans le contexte de nouveaux processus. Ainsi, Tend utilise non seulement des plateformes développées en interne, mais aussi des solutions numériques courantes qui permettent d’améliorer considérablement la transparence et l’efficacité des processus lors de la planification, de la réalisation et de l’utilisation des biens immobiliers. L’intégration partielle de Raumgleiter à la société Tend s’inscrit dans cette logique. Le solide savoirfaire en tant que prestataire de services immobiliers, de communication visuelle et de nouvelles technologies permet désormais de concevoir des packs complets de prestations pour des biens immobiliers de plus grande valeur.
→ www.tend.ch
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Le configurateur d’appartement permet aux acheteurs de choisir les matériaux d’aménagement souhaités et de tester leur effet dans l’espace.
La visite virtuelle panoramique à 360 degrés permet aussi de mesurer facilement les surfaces et les distances à l’intérieur d’une pièce.
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SUPERFICIAIRE, SUPERFICIANT, UN CALCUL INÉGAL
Les biens immobiliers en droit de superficie devraient avoir le vent en poupe à une époque où les prix de l’immobilier sont élevés et où les banques appliquent des règles restrictives en matière de capacité financière. Mais la réalité est tout autre. Les investisseurs restent réticents, notamment parce que le risque est assumé de façon trop unilatérale par le superficiaire. Avec le secteur Attisholz Est, Halter SA emprunte une nouvelle voie grâce à un contrat de droit de superficie adapté et à un profil risque / récompense bien équilibré.
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Texte : Philipp Schelbert
Illustrations : Dominique Wyss
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Dans le contexte actuel du marché, la location d’une parcelle de terrain au lieu de son achat permettrait de réduire les besoins initiaux en capital ainsi que la capacité financière prévisionnelle. La construction en droit de superficie présenterait donc un potentiel de gagnant-gagnant, mais de nombreux investisseurs ne l’apprécient pas particulièrement. Cela s’explique principalement, d’une part, par le fait qu’il est souvent impossible de prévoir la rente du droit de superficie, le retour et l’indemnité de retour et, d’autre part, par le fait que le partage des risques et des bénéfices est extrêmement unilatéral, selon la devise : la banque, c’est-à-dire le superficiant, est toujours gagnante, et ce, quasiment sans risque.
Le problème de la valeur du terrain
L’une des principales raisons expliquant la réticence vis-à-vis des biens immobiliers en droit de superficie concerne probablement l’indemnité de retour. Dans la plupart des cas connus, celle-ci correspond à la valeur vénale du bâtiment au moment du retour – dans le meilleur des cas à 100%, mais bien plus souvent à 80% ou 60% seulement de cette valeur. Se pose alors la question de savoir comment calculer la valeur vénale (ou valeur de marché) d’un bâtiment sans terrain. Généralement, on se base sur la valeur vénale du bien immobilier sans droit de superficie et on en déduit la valeur du terrain. Celle-ci est quant à elle calculée par rétropolation d’un projet virtuel de construction neuve, en déduisant de sa valeur de marché les coûts de construction et, dans le meilleur des cas, le profit du développeur ou une marge de risque. Selon les règles et pratiques courantes, le reste équivaut à la valeur du terrain.
Imaginons qu’au bord d’une route, dans la même zone à bâtir, deux bâtiments identiques, construits la même année dans le même style et avec des coûts identiques, se font face. Le bâtiment sur le côté droit de la rue appartient à un propriétaire très engagé et entreprenant. La propriété est donc bien entretenue et louée. Côté gauche, en revanche, c’est un peu le laisser-aller, ce qui se traduit non seulement par l’apparence de l’immeuble, mais aussi par la disponibilité constante de surfaces à louer bon marché. Si l’on faisait estimer la valeur de marché des deux immeubles, le résultat serait probablement le suivant : 200 millions de francs du côté droit, 150 millions de francs du côté
gauche de la rue. Au moment de la construction, les coûts de planification et de construction, y compris le financement de la construction et le profit du développeur, se sont élevés à 150 millions de francs pour chacun des deux immeubles. Il en résulte une valeur foncière de 50 millions de francs pour le bâtiment de droite, tandis que la parcelle de gauche n’a mathématiquement aucune valeur. Dans le cas d’un droit de superficie, le superficiant attribuera le résultat du côté droit à son terrain favorable, grâce auquel le propriétaire de l’immeuble a pu réaliser son revenu lucratif. Du côté gauche, le même superficiant ne considérera probablement pas son terrain comme la cause du problème. Pour calculer la valeur du terrain d’un bien immobilier en droit de superficie, on utilise parfois un raccourci, notamment si l’on souhaite obtenir une valeur basse. Cette dernière est alors calculée sur la base de la valeur de marché du bien immobilier existant sans droit de superficie, déduction faite des coûts de construction dépréciés par l’âge. Toutefois, on indemnise alors simplement un pourcentage de la valeur réelle du bâtiment, indépendamment du niveau de loyer et de la performance de la propriété. La plus-value est donc uniquement attribuée au terrain. Et si l’augmentation de la productivité, qui n’a que trop tardé, se manifeste aussi dans le secteur de la construction au cours des prochaines décennies, la part de la valeur du terrain en sera d’autant plus élevée et l’indemnité de retour d’autant plus faible.
C’est là que l’on voit que le superficiant profite pleinement de la réussite du superficiaire dans le positionnement et la gestion de son bien immobilier. De ce fait, le superficiaire ne déploiera plus beaucoup d’efforts, surtout au cours des dernières années avant l’expiration et le retour du droit de superficie. Il en va de même pour les contrats de droit de superficie avec adaptation de la valeur du terrain et, par conséquent, de la rente du droit de superficie pendant la durée du bail. Là encore, ce n’est pas le superficiant qui est à l’origine des évolutions positives, mais il en profite sans prendre le moindre risque.
La valeur du terrain est donc tout sauf claire – et son calcul, qui dépend de nombreuses hypothèses, encore moins. Une querelle d’experts est ainsi prévisible. Selon certaines mauvaises langues, le meilleur atout d’un droit de superficie de cent ans
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est le fait que les signataires du contrat de droit de superficie n’en verront pas la fin. D’un point de vue économique, on peut considérer que le terrain n’a pas de valeur intrinsèque, mais qu’il représente plutôt une option pour générer des revenus. Dans cette optique, les modèles d’options (réelles) constitueraient une bien meilleure base pour l’évaluation de la valeur. Mais il est également clair que le terrain constructible est un bien limité et qu’il y aura donc toujours quelqu’un pour en payer le prix, surtout quand les moyens financiers sont importants et les possibilités d’investissement limitées. Pour une approche cohérente des prix réels du marché, un marché liquide, une signification statistique et la transparence nécessaire font défaut dans la plupart des cas. Il faut se rendre à l’évidence : les prix élevés des terrains ne sont payés que s’ils impliquent une possibilité de revenus ou de bénéfices correspondants.
L’exemple d’Attisholz
Dans le cadre du projet Attisholz dans le canton de Soleure, la société Halter SA a décidé de vendre le secteur Attisholz Est, qui sera développé au cours des prochaines années, et de le reprendre sous la forme d’un droit de superficie – autrement dit, de procéder à une transaction de cession-bail (lire aussi «Un îlot dans le paysage», p. 10). Cela permet, d’une part, de libérer une partie du capital investi et, d’autre part, de garantir le développement et la mise en œuvre de la vision initiale d’un point de vue global et dans le respect des intérêts supérieurs de l’ensemble du site.
Dans la pratique, cette solution de droit de superficie signifie que Halter vend dans un premier temps le terrain à un investisseur, puis, tout en devenant superficiaire, continue à développer le site comme prévu et vend successivement certaines parcelles développées à des investisseurs tiers. Halter vend donc deux fois, d’abord le terrain de base, et ensuite les parcelles développées en droit de superficie. Voilà pourquoi il faut réfléchir soigneusement à la manière de structurer une telle transaction, afin qu’il en résulte un investissement intéressant aussi bien pour l’acquéreur de la parcelle octroyant le droit de superficie (propriétaire du terrain) que pour l’acquéreur ultérieur de la parcelle bénéficiant du droit de superficie (superficiaire) – tout en
préservant les intérêts supérieurs mentionnés pour l’ensemble du site et en tenant compte de la problématique des biens immobiliers en droit de superficie décrite plus haut.
L’objectif général est de garantir au superficiant un investissement sûr et protégé contre l’inflation, et au superficiaire la base d’un développement et d’une transformation réussis du site, avec la motivation et l’incitation correspondantes en vue d’un développement durablement positif. Ce faisant, l’idée inhérente au droit de superficie serait également prise en compte : le superficiant cède l’utilisation de son terrain au superficiaire pour une durée prolongée, moyennant des intérêts appropriés. Dans la mesure où le superficiaire assume les risques liés au développement et à l’exploitation, les revenus correspondants doivent également lui revenir, et ce, intégralement et exclusivement.
Pour remplir ces conditions, trois éléments du contrat de droit de superficie sont essentiels : une rente de droit de superficie raisonnablement basse, un couplage de la rente de droit de superficie à l’IPC (indice suisse des prix à la consommation) et une participation à une éventuelle augmentation de la valeur du terrain par une fixation de la part de terrain. Cela se fait en fixant l’indemnité de retour dans le contrat de droit de superficie à un pourcentage accepté par les deux parties de la valeur de marché du bien-fonds sans droit de superficie. Ainsi, le contrat de droit de superficie est réglé de manière simple et claire, et il octroie en grande partie le potentiel de rendement à la partie qui assume les risques économiques. Le superficiant bénéficie quant à lui d’un investissement réellement protégé contre l’inflation, pour lequel le risque de non-paiement est minime grâce à la rente du droit de superficie relativement basse. Le superficiaire dispose ainsi de la marge de manœuvre nécessaire pour traverser des périodes difficiles. Mais ce contrat de droit de superficie comporte surtout, avec la participation à une éventuelle plus-value, un élément qui incite effectivement le superficiaire à redoubler d’efforts jusqu’à la fin du contrat de droit de superficie, mais rend aussi l’investissement globalement plus attrayant de son point de vue. Cela devrait aboutir à une meilleure fongibilité du bien immobilier sur le marché des transactions, mais aussi s’avérer utile en cas de financement éventuel par un tiers.
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ÇA COINCE DANS
LES ROUAGES DE LA DENSIFICATION
« Oui, mais… », entend-on aux quatre coins du pays – bien que, objectivement, il y ait peu d’arguments contre la densification urbaine comme moyen efficace pour relever les défis actuels de l’aménagement du territoire. La raison dit oui, mais les ventres sont trop pleins. Il faut passer outre les intérêts personnels. La politique et les autorités, les investisseurs et le secteur de la construction sont tous mis au défi de dissiper les doutes.
De plus en plus de personnes veulent vivre en ville. A l’échelle mondiale, on observe une mégatendance à l’urbanisation. C’est dans l’espace urbain que se cristallisent les principaux enjeux de notre époque : la lutte contre le changement climatique, la disponibilité de logements abordables, l’avenir du travail et de la mobilité. La population suisse continue de croître – entre 0,7 et 0,8% par an ces cinq dernières années. Le revirement des taux d’intérêt a des conséquences directes sur le marché immobilier. Les taux de vacance, déjà très bas, continuent de chuter. L’activité de construction diminue – des terrains à bâtir sont certes disponibles, mais aux mauvais endroits. L’offre et la demande se déséquilibrent encore plus.
Pourtant, il y aurait une solution : la densification urbaine. Elle contribue à la réalisation des objectifs climatiques, crée des logements abordables dans des endroits recherchés et lutte contre l’étalement urbain et l’imperméabilisation des sols. En théorie, d’accord. Mais la différence entre la théorie et la pratique – et c’est là tout le paradoxe – est bien plus grande dans la pratique que dans la théorie. La densification en tant que stratégie d’aménagement du territoire n’est pas encore entrée dans les mœurs. Les terrains constructibles sont perçus comme une ressource infinie. Parfois, il manque aussi tout simplement la motivation politique, avec en toile de fond une attitude « pas de ça chez moi » de la population urbaine. Les réformes
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Texte : Robin Neuhaus
Exploitation & Cycle de vie – Chronique
Illustration : Dominique Wyss
des règlements locaux sur les constructions et les zones stagnent. Le droit d’opposition constitue un autre obstacle, car il est de plus en plus utilisé à mauvais escient pour une opposition de principe ou pour défendre des intérêts particuliers. C’est dans ce contexte qu’il faut replacer l’attitude de Patrimoine suisse qui, en invoquant l’argument de l’énergie grise, demande une interdiction formelle des démolitions.
L’exemple de Patrimoine suisse illustre de manière édifiante la manière dont certaines organisations et associations se servent de la crise climatique à leurs propres fins et idéologies. Ainsi, la revendication d’une interdiction formelle de démolition par Patrimoine suisse est inappropriée, et ce, précisément pour des raisons de politique énergétique. Lors de leur coûteuse remise en état, les bâtiments devenus obsolètes sur le plan énergétique et fonctionnel consomment en général autant, voire plus d’énergie grise qu’une construction neuve et moderne. Au final, un remplacement de l’existant à travers la densification urbaine, conformément aux dispositions de la loi sur l’aménagement du territoire, est l’une des mesures les plus efficaces sur le plan climatique. L’argument selon lequel les bonus d’utilisation du sol créeraient de fausses incitations pour les propriétaires et détruiraient un parc immobilier intact sur le plan énergétique est donc trop simpliste. Le propriétaire d’un bâtiment parfaitement fonctionnel densifiera dans la mesure du possible l’existant, car il voudra (au moins) préserver la valeur économique de son bien immobilier. Il est à la fois judicieux et nécessaire de ne pas considérer les bâtiments de valeur historique et culturelle selon la double logique exclusive de la protection du climat et de la rentabilité, mais de peser honnêtement les intérêts en jeu. Toutefois, la population suisse continue de croître, et avec elle la pénurie de logements. La seule alternative à la densification urbaine est de continuer à construire sur des terrains vierges. Or, personne ne peut vraiment souhaiter cela.
Réduire l’empreinte carbone et créer des logements abordables
Que faut-il pour faire sortir la densification urbaine de l’impasse des intérêts ? De toute évidence, la stratégie de densification n’est pas un concept applicable partout. C’est précisément pour cela qu’il faut définir des objectifs clairs et les mettre en œuvre de manière cohérente. Selon la typologie territoriale de l’Office fédéral de la statistique, les communes des couronnes d’agglomération, ainsi que les centres principaux et secondaires des communes-centres d’agglomération, sont au cœur des réflexions.
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Un mètre carré de surface habitable construit dans un emplacement central a une empreinte carbone plus faible qu’un mètre carré de surface habitable construit dans un emplacement non central. Cela est dû à la consommation de surface plus faible par habitant là où les terrains coûtent cher. Simultanément, la consommation d’énergie liée à la mobilité diminue par rapport aux sites excentrés. La densification urbaine offre en outre un mécanisme permettant de fixer un quota de logements abordables en fonction de l’utilisation supplémentaire générée. Une partie du potentiel d’utilisation atteint grâce à la densification urbaine peut être soustraite au marché et proposée comme logements à prix modéré.
Tous les acteurs sont appelés à lever le frein à la densification urbaine et à contribuer à ce que le processus reprenne son cours. Les villes et les communes doivent mettre en œuvre les potentiels disponibles sur leur territoire communal en augmentant les degrés d’utilisation et/ou en procédant à des changements de zone. Les derniers signaux en provenance de Berne concernant l’obstacle politique à la densification urbaine qu’est la protection contre le bruit sont également positifs, puisque le Conseil fédéral entend modifier la loi sur la protection de l’environnement pour supprimer l’autorisation exceptionnelle jusqu’alors obligatoire dans les secteurs exposés au bruit. Les investisseurs et les propriétaires fonciers devraient se saisir des instruments de la planification d’affectation spéciale là où les avantages justifient les coûts, afin d’élargir les possibilités d’utilisation. Le secteur de la construction doit adopter de nouvelles méthodes de planification et de fabrication afin de construire des bâtiments adaptés à l’économie circulaire et de préparer dès à présent le parc immobilier aux cycles de densification de demain.
Robin Neuhaus (38 ans), né à Zurich, a effectué un apprentissage de dessinateur en bâtiment. Il a ensuite obtenu un diplôme d’ingénieur HES en gestion des processus de construction à Berthoud (BE). Son professeur, Andreas Campi, l’a orienté vers Swiss Spa Group AG, où il a notamment été responsable de projet de l’Europaallee de CFF Immobilier. Après avoir fait le tour du monde, il a commencé chez Priora Development AG, où il était gestionnaire de portefeuille pour les biens immobiliers situés autour de l’aéroport de Zurich. Pendant cette période, il a étudié au CUREM de l’Université de Zurich et est devenu membre de la RICS. Il a ensuite été nommé responsable du Portfolio Management chez Flughafen Zürich AG. Depuis novembre 2021, Robin Neuhaus est chef de projet de développement chez Halter SA. → www.halter.ch
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Démolition ou rénovation ? Entre densification, durabilité, rentabilité et protection du patrimoine.
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D’ici 2050, le secteur de la construction devra être en mesure de couvrir les besoins en espace de la Suisse de manière neutre en CO₂. Le contexte : aujourd’hui, la construction génère 20% des émissions de gaz à effet de serre en Suisse et aucune trajectoire de réduction n’est en vue. La consommation effrénée de matériaux et le gaspillage des ressources sont les principales causes de ces émissions : la construction est à l’origine de plus de 80% des déchets suisses. Les matériaux de démolition générés chaque année permettraient de construire un mur de 20 mètres de haut de Genève à Kreuzlingen.
La logique de la planification et de la construction doit changer. L’économie circulaire montre la voie. Ses principes sont les suivants : Refuse – réfléchis d’abord si tu peux t’en passer. Reduce – réduis la consommation de ressources. Reuse, repair, refurbish – réutilise, répare et améliore. Recycle, recover – si aucune des solutions précitées n’est possible, sépare les matériaux et réintroduis-en un maximum dans le cycle des ressources. La forte réduction des émissions de CO₂ dues à la consommation d’énergie montre que le recours à l’économie circulaire permet d’obtenir des résultats positifs. Les émissions de gaz à effet de serre liées au chauffage et à l’exploitation des bâtiments sont presque sur la trajectoire de réduction pour atteindre le zéro net d’ici 2050. Pour y parvenir, il faut remplacer les systèmes de chauffage et rénover les bâtiments. Résultat : un secteur CVC florissant qui cherche désespérément de la main-d’œuvre qualifiée. Une telle trajectoire de réduction est également requise pour la planification et la construction dans son ensemble.
Il faut accorder davantage d’importance à la réparation et à l’amélioration que nous ne le faisons aujourd’hui. Les concours portant sur des bâtiments scolaires de la ville de Exploitation & Cycle
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de vie
Patrick Schoeck (45 ans) est responsable de la culture du bâti chez Patrimoine suisse. Après avoir étudié l’histoire et l’histoire de l’art à Zurich et à Örebro, en Suède, il a travaillé pendant plusieurs années dans le domaine de l’immobilier avant de rejoindre son employeur actuel en 2011. Patrick Schoeck publie régulièrement des articles sur des thèmes liés à la culture du bâti et à l’histoire de l’architecture. → www.patrimoinesuisse.ch
Zurich montrent où nous en sommes : cette ville respectueuse du climat laisse aux bureaux participants le choix de démolir l’existant ou de construire à partir de celui-ci. Mais au final, le jury opte souvent pour une construction neuve de remplacement. Le motif invoqué : il est ainsi plus facile de concilier la sécurité de la planification, les préoccupations liées au droit de la construction et les normes en vigueur.
Pour parvenir à une culture de la transformation et de la rénovation climatiquement neutre et économiquement viable, il est donc indispensable d’adapter l’ensemble du système qui régit la planification et la construction. Nous avons besoin d’opportunités et d’incitations à l’innovation. De nombreux cantons encouragent aujourd’hui les constructions neuves de remplacement en augmentant les degrés d’utilisation. Cette incitation, qui ne tient pas compte des émissions globales, pourrait être réinterprétée en faveur d’une culture de la transformation : quiconque rénove de manière convaincante, sans démolir, bénéficie d’une plus grande flexibilité par rapport aux normes et aux dispositions légales en matière de construction. Les nouvelles formes de densification urbaine qui en résulteront ne manqueront pas de nous surprendre.
Quelque 8,9 millions de personnes vivent actuellement en Suisse. Sans contre-mesures politiques, nous devons nous attendre à une immigration ininterrompue avec une croissance démographique d’environ 1% par an. Dans une bonne dizaine d’années, notre pays comptera 10 millions d’habitants. Le problème est de taille et personne ne semble vouloir s’y attaquer.
Même sans immigration, la pression sur les centres économiques augmente. C’est là que les gens trouvent du travail et peuvent se former. C’est là qu’existent des offres attractives en
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Balz Halter (61 ans) a étudié le génie civil à l’EPF et le droit à l’Université de Zurich. Il est actionnaire principal et président du Conseil d’administration de Halter SA et dirige l’entreprise depuis 1987. → www.halter.ch
matière de biens et services, de culture et de mobilité. Dans les centres économiques, les zones à bâtir sont quasiment épuisées – tout comme le potentiel de reconversion des sites industriels. C’est pourquoi la pression augmente sur les structures urbaines existantes. Nous devrons démolir en masse si nous voulons créer assez de logements abordables tout en préservant le paysage et les espaces naturels.
Mais comment le développement de l’urbanisation vers l’intérieur doit-il se faire à l’avenir ? Les instruments de planification actuels n’apportent aucune réponse à cette question. Ils la délèguent au maître d’ouvrage. Si ce dernier souhaite densifier, il est renvoyé vers le plan d’affectation spécial. Ce faisant, il s’expose aux multiples revendications de particuliers, d’associations et de commissions spécialisées, qui cherchent à faire valoir leurs intérêts spécifiques via le processus politique ou la voie juridique. En général, il évitera ce processus long, coûteux et risqué et construira en respectant le règlement standard sur les constructions et les zones. De nombreux bâtiments seront démolis et la densification sera marginale. Le développement de l’urbanisation vers l’intérieur tant vanté ne se fera pas dans la mesure souhaitée – ni sur le plan quantitatif ni sur le plan qualitatif.
Nous avons à nouveau besoin d’urbanisme et d’aménagement urbain, des disciplines tombées dans les oubliettes avec la croissance de la mobilité de l’après-guerre. L’urbanisme relève du secteur public. Il en va de même pour l’aménagement urbain, lorsqu’il s’agit d’espaces publics et d’infrastructures étatiques. Cantons et communes ont été mis à contribution. Mais ils manquent de volonté, de compétences et d’argent.
Les agglomérations sont en première ligne. C’est là que la densification peut et doit avoir lieu dans l’intérêt du développement durable, et ce, pour une bonne part dans des endroits qui sont déjà parfaitement desservis. L’urbanisme permet de créer de la centralité, de l’urbanité, des espaces attrayants et une offre diversifiée. Il en résulte des structures urbaines polycentriques qui ménagent les espaces naturels, tout comme les villages, cités-jardins et quartiers de maisons individuelles dignes d’être préservés.
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Les villes doivent être planifiées au-delà des centres urbains et de leurs limites administratives, dans des espaces fonctionnels. Cela ne peut ni ne doit être fait par des bureaux de planification, d’ingénierie ou d’aménagement du territoire. Il faut des urbanistes travaillant avec des équipes interdisciplinaires qui, dans le cadre de concours publics, ne se contentent pas de proposer les meilleures solutions possibles, mais suscitent un large débat ouvert à la population.
Les procédures de concours de ce type exigent des connaissances et des compétences en matière de planification du milieu bâti, d’aménagement local et d’urbanisme, tant de la part des planificateurs que des autorités. Elles favorisent la prise de conscience au sein de la population et des différents groupes d’intérêt. Elles imposent un débat sur le développement de l’urbanisation vers l’intérieur, ainsi qu’un examen précoce des intérêts en jeu et constituent la base d’instruments de planification fédéraux, démocratiquement légitimés, garants de la qualité et juridiquement contraignants. Les augmentations du taux d’utilisation qui en résultent garantissent la rentabilité en générant des recettes issues des taxes sur la plusvalue et des impôts sur les bénéfices, permettant ainsi de financer les compensations découlant de mesures de planification, l’aménagement de rues, de places et de parcs attrayants, et la réalisation des bâtiments publics nécessaires.
Ingemar Vollenweider (58 ans) a étudié à l’EPF de Zurich et à la Columbia University de New York. Il a ensuite travaillé chez Kollhoff & Timmermann à Berlin. En 1999, il a fondé avec Anna Jessen le bureau d’architecture Jessenvollenweider à Bâle. De 2006 à 2018, il a été professeur d’urbanisme à l’Université technique de Kaiserslautern. Outre ses activités régulières au sein de jurys, Ingemar Vollenweider a été membre du conseil de la construction (Baukollegium) de la ville de Zurich entre 2018 et 2022. Depuis 2018, il codirige avec Anna Jessen la chaire d’urbanisme de l’Université technique de Dortmund. → www.jessenvollenweider.ch
« Re-use » est une notion conservatrice. La dimension culturelle du désir de conservation réapparaît, mais dans un contexte matériel de changement climatique et de raréfaction des ressources. Si, au fond, tout mérite d’être conservé, cela s’accompagne d’un déplacement des critères de valeur : ce n’est
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plus le souvenir nostalgique ou patrimonial d’époques révolues, incarné par des objets idéaux, mais la nécessité de restriction qui marque la démarche architecturale. Que se passe-t-il lorsque les maisons sont assimilées à l’énergie ? Et comment cela affecte-t-il l’évaluation des espaces urbains, par exemple lorsqu’il s’agit de lotissements des années 1970 ?
Influencés très tôt par le regard empathique d’artistes comme Fischli / Weiss, qui ont tout photographié (y compris des lotissements et des agglomérations typiques de leur époque), nous essayons toujours, dans notre propre travail au bureau et dans l’enseignement, d’aborder sans préjugés les contextes les plus divers, qu’ils soient quelconques ou uniques, récents ou anciens. En réalité, cette attitude repose aussi tout simplement sur la curiosité et l’intérêt que nous portons aux différents genres architecturaux, et probablement aussi sur la présomption d’innocence des « bonnes intentions » que nous accordons par principe à toute activité architecturale, même si cela est parfois difficile.
Dès nos premiers projets, nous avons rarement réalisé de pures constructions neuves, mais avons le plus souvent transformé et rénové, et avons plus d’une fois gagné des concours parce que nous avons démoli moins que ce qui était prévu. Mais soyons clairs : en fin de compte, il s’agissait toujours de potentiels architecturaux ou urbanistiques de l’existant que nous avons perçus et qui ont déclenché les décisions correspondantes. C’est avec la même logique que nous avons également détruit, de manière ciblée, mais parfois aussi plus que ce qui était défini dans les directives initiales de la protection des monuments historiques, en vue de créer un nouvel ensemble cohérent. Transposé à l’échelle plus large de la ville ou du quartier, ce n’est pas uniquement la dimension sociale qui est accentuée, mais aussi et surtout le dilemme fondamental du développement durable, qui a le choix entre efficacité des ressources et préservation radicale des ressources, c’est-à-dire entre densification urbaine et moratoire sur les démolitions. Au regard d’une crise existentielle, il serait cynique de qualifier d’euphorique la phase dans laquelle nous nous trouvons actuellement en matière de conservation et d’interdiction de
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démolition. Le terme « idéologique » serait plus approprié, et c’est justement cette approche qui a rarement permis d’améliorer le monde. De plus, la citation légendaire de Luigi Snozzi
« détruis avec conscience », parfois sortie de son contexte, ne semble plus suffire à légitimer une profession caractérisée par un changement radicalement accéléré et de plus en plus global. C’est pourquoi nous plaidons pour une mentalité qui déploie de la créativité à partir de la confrontation avec l’existant, parfois même avec l’insignifiant, tout en introduisant la nouveauté dans le monde de manière si responsable qu’elle ne vise pas en premier lieu la date d’expiration, la substitution et le remplacement, mais la pérennité architecturale et la densité de l’espace urbain. Et si, ce faisant, il était possible, en tant que règle simple, d’augmenter le taux d’utilisation d’une parcelle du double de la substance bâtie conservée ?
Ulrich Widmer (62 ans) a grandi à Trogen, en Appenzell Rhodes-Extérieures. Il a été élu conseiller d’Etat de ce canton à 31 ans, chargé du Département des travaux publics, de l’aménagement du territoire et de l’environnement. Après avoir dirigé l’Office fédéral du développement territorial et travaillé dans l’industrie, il est aujourd’hui CEO de Kibag Holding, une entreprise qui emploie 2000 personnes dans le domaine des matériaux de construction, de l’environnement et du bâtiment. Il cumule plus de trente ans d’expérience, comme ingénieur et planificateur, tant du point de vue des autorités que des entrepreneurs. → www.kibag.ch
Premièrement : la majorité des gens veulent de la lumière, de l’espace, de la place. Cela plaide en faveur de la démolition et des constructions neuves. Deuxièmement : les belles maisons anciennes, notamment dans le contexte d’un paysage urbain cohérent, doivent être conservées et rénovées. Sur le plan émotionnel, nous sommes attachés à l’ancien, à la beauté, à ce qui caractérise le lieu. Cela nous procure de la singularité, de la chaleur, de la culture, de l’identité.
Mais alors qu’en est-il de la densification vers l’intérieur, cruciale sur le plan de l’aménagement du territoire, si nous décidons de rénover avant tout ? Les transformations empêchent parfois une surélévation, un agrandissement ou un meilleur taux d’utilisation. Des questions se posent sur les isolations extérieures, le système de chauffage, la protection contre
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les incendies, l’accès pour les personnes handicapées. Il faut peser le pour et le contre en toute objectivité, et non pas se laisser guider par l’esprit du temps. Dans l’un ou l’autre cas, la rentabilité doit être au rendez-vous.
Escaliers raides, couloirs étroits, cuisines sombres : la majorité des personnes aspirent à la nouveauté. Même dans ma région d’origine, l’Appenzell, avec ses maisons en bois emblématiques, typiques du paysage et très belles au fond, la tendance s’inverse. De la lumière, de l’espace, de la place ! Une nouvelle ère s’ouvre-t-elle ? De nouveaux termes font leur apparition : économie circulaire, construction circulaire. C’est ce que nous faisons déjà depuis des lustres, mais en l’appelant autrement. Les matériaux utilisables ont toujours trouvé leur chemin vers un nouvel usage. Les acteurs en étaient les ferrailleurs, les recycleurs de plastique, les spécialistes de l’élimination des déchets et les entreprises qui séparent habilement les différents matériaux. C’est la mise en œuvre systématique qui a augmenté. Dans les zones urbaines comme Zurich, quasiment aucune tonne de matériaux de construction minéraux (béton, briques…) n’est mise en décharge depuis des années. Des centaines de milliers de tonnes sont recyclées en nouveaux matériaux de construction de haute qualité.
Chez Kibag, nous sommes fiers d’avoir produit, rien qu’en 2022, 50 000 mètres cubes de béton bas carbone, contenant jusqu’à 75% de matériaux de démolition. 500 tonnes de CO₂ gazeux ont été stockées directement par injection dans le granulat de béton recyclé. Concrètement, ce volume correspond à l’équivalent de 40 000 arbres, à environ 4 millions de kilomètres parcourus en voiture avec un moteur à essence moderne ou à plus de 500 voyages en avion Paris – New York. Cela nous permet d’économiser environ le double de la quantité de CO₂ d’une distance de transport moyenne vers un chantier. Et ce n’est que le début de l’utilisation d’une nouvelle technologie pour de grands volumes également. Cela nous donne le moral.
Voici donc ma conclusion : nous devrons peser le pour et le contre de manière pragmatique et sans préjugés. Rénovons là où c’est utile, construisons là où c’est utile. Et entre les deux, discutons.
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CONSTRUCTION 4.0
SOMMES-NOUS ENCORE SUR LA MONTAGNE DES ATTENTES
DÉMESURÉES OU
DÉJÀ SUR LE PLATEAU DE LA PRODUCTIVITÉ ?
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Texte : Alexandra Stamou
Visualisations : Alexandra Stamou (p. 150), Matthias Knuser (pp. 153, 155)
« Construction 4.0 fait référence à l’intégration de technologies de pointe telles que l’intelligence artificielle, l’internet des objets (IdO) et la robotique dans le secteur de la construction afin d’améliorer l’efficacité, la sécurité et la productivité. Son objectif est de créer un chantier intelligent et connecté, sur lequel les processus sont automatisés et les données analysées en temps réel afin d’optimiser les performances. Cela se traduit par une amélioration des résultats des projets, un achèvement plus rapide et une réduction des coûts.
La Construction 4.0 entraînera des changements considérables dans le secteur du bâtiment, notamment :
Une efficacité accrue : l’automatisation et l’analyse des données simplifieront les processus, réduiront les déchets et raccourciront la durée des projets.
– Un renforcement de la sécurité : les technologies de pointe telles que les drones, la réalité virtuelle et augmentée et les wearables permettront de renforcer la sécurité sur les chantiers et de faire baisser le nombre d’accidents.
Une planification et une coordination améliorées : l’utilisation des jumeaux numériques améliorera la collaboration entre les équipes de conception, de construction et de maintenance.
Une construction plus durable : les technologies de pointe permettent de lutter contre l’impact environnemental de la construction, en optimisant l’utilisation des matériaux et en concevant des bâtiments à faible consommation d’énergie.
Une meilleure performance des bâtiments : l’utilisation de systèmes de construction compatibles avec l’IdO améliore les performances des bâtiments et l’efficacité énergétique, permettant ainsi de réduire les coûts d’exploitation et d’améliorer l’expérience des usagers. Globalement, la Construction 4.0 aboutira à la création de bâtiments et d’infrastructures plus intelligents, plus durables et plus fonctionnels. »
La machine prend la parole
En théorie, cet article sur l’avenir du secteur de la construction pourrait s’arrêter là, et nous pourrions nous mettre au boulot pour créer un nouveau monde merveilleux. Mais la description ci-dessus ne fait certainement pas tout le tour de la Construction 4.0,
et pour beaucoup, la révélation suivante ne sera pas une grande surprise : ce texte a été rédigé en quelques secondes par une intelligence artificielle (IA) appelée Chat GPT en réponse à la question d’un humain « Qu’est-ce que la Construction 4.0 ? » via une fonction de chat basée sur le web.
Il y a là quelque chose de fascinant. Quelques semaines ont suffi pour qu’une application d’IA suscite un engouement dans toutes les branches. Nul besoin de lire un rapport McKinsey pour s’en rendre compte. Il suffit de lire la presse, les blogs et les posts sur les réseaux sociaux. « Ce texte a été rédigé
par Chat GPT », que l’on voit apparaître dans de nombreuses variantes dans toutes sortes de textes, semble être la phrase actuellement la plus utilisée.
Chat GPT s’est rapidement imposé dans notre quotidien et nous a démontré avec brio que l’intelligence artificielle a un potentiel incroyable. Bien qu’il s’agisse encore d’un prototype, Chat GPT a contribué à rendre l’intelligence artificielle compréhensible à tout le monde. Même si peu d’utilisateurs de ce service savent exactement comment fonctionne cette technologie, chacun peut au moins imaginer comment cela pourrait modifier ses propres tâches. Le fait que ce service soit accessible en ligne à toute personne disposant d’une adresse e-mail et d’un numéro de téléphone ainsi que l’extrême simplicité de l’interface utilisateur ont permis d’abaisser dès le départ le seuil d’accès au service. De plus, le battage médiatique
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Image créée avec Dall-E sur le thème : « Future, living, house, architecture, space, drawn, 3d construction, colourful and technical built by robots. »
a suscité une grande curiosité pour essayer soi-même la fonction de chat. Selon les indications du service, Chat GPT comptait déjà un million d’utilisateurs cinq jours seulement après son lancement. Une évaluation de Statista montre que cette marque n’a été franchie par Netflix qu’au bout de trois ans et demi, par Twitter au bout de deux ans et par Spotify au bout de cinq mois, par exemple.
Quiconque ne s’intéressait pas encore activement à l’intelligence artificielle l’année dernière n’aurait pas pu citer immédiatement de bons exemples de son utilisation possible. Mais aujourd’hui, les choses semblent avoir bien changé. Ce n’est que fin novembre 2022 que l’entreprise américaine Open AI a publié le prototype d’un chatbot basé sur l’apprentissage automatique et le modèle GPT-3.51. Le modèle GPT a été entraîné avec une immense quantité de données textuelles dans le cadre d’un processus entièrement automatisé, ce qui en fait l’un des modèles linguistiques les plus populaires disponibles à ce jour. En tant qu’application d’IA générative, Chat GPT est un réseau neuronal qui imite le langage humain et offre la possibilité d’un échange basé sur le dialogue entre l’homme et la machine. Ce dialogue est possible car la machine est capable de compiler, de relier, de synthétiser et de fusionner les informations dont elle dispose. Si l’on interroge Chat GPT sur l’origine de ses informations et sur son modèle d’entraînement, on obtient même la recommandation de ne pas faire aveuglément confiance aux informations fournies et de ne pas les utiliser sans en vérifier l’exactitude, l’actualité ou la véracité2. Après tout, Chat GPT n’est pas une technologie sans défaut. Tous les systèmes d’IA recèlent le potentiel d’un usage malveillant, d’une diffusion involontaire de préjugés ou d’incertitudes quant à des sujets tels que les deepfakes et les questions de droits d’auteur.
1 GPT est l’acronyme de Generative Pre-trained Transformer (transformeur génératif pré-entraîné).
2 « Je suis un modèle linguistique développé par Open AI, qui a été entraîné avec un grand nombre de textes en anglais publiés sur internet. Ces données d’entraînement comprennent des sites web, des livres, des articles et d’autres œuvres écrites disponibles sur internet, qui me permettent de générer des réponses et de mener des conversations sur une multitude de sujets. Il est toutefois important de noter que les informations que je fournis ne sont pas toujours exactes, à jour ou appropriées. C’est pourquoi il est toujours conseillé de vérifier les informations avant de les utiliser. »
Ces prochaines années, Chat GPT et d’autres technologies d’IA générative similaires deviendront plus puissantes et permettront de remodeler de nombreuses applications. La société d’études de marché américaine
Gartner estime que d’ici 2030, au moins un blockbuster sortira sur les écrans de cinéma, dont 90% du contenu (du texte à la vidéo) sera généré par l’IA, alors qu’en 2022, cette technologie n’était pas encore utilisée du tout. Gartner prévoit aussi que d’ici 2025, environ 30% des messages marketing sortant des grandes entreprises seront synthétisés. En 2022, ce chiffre était inférieur à 2%.
Attaque de l’autre côté
De telles prévisions sont également considérées comme des idées valables au sein de Halter SA, dont les collaborateurs ont commencé à se familiariser avec le petit assistant numérique. L’objectif étant d’explorer les possibilités de la technologie, de gagner en compétences et en aptitude, de juger par soi-même comment on peut l’utiliser à bon escient et de découvrir par l’expérimentation quelles tâches pourront à l’avenir être effectuées plus efficacement grâce à des services comme Chat GPT. Dans un premier temps, l’IA sera probablement utilisée pour faciliter les tâches répétitives et monotones dans un environnement coordonné par l’homme et la machine. Mais plus intéressant encore et plus prometteur du point de vue des entreprises est le potentiel d’augmentation de la productivité qui découle de l’utilisation de Chat GPT et de technologies similaires. Elle permettrait un tri radical des processus inutiles et sans valeur ajoutée.
Depuis plusieurs années, on entend dire, à propos de la transformation numérique, que les systèmes logiciels intelligents et les robots déchargeront l’homme de tâches simples. Le terme « simple » mérite toutefois une clarification, car jusqu’à présent, il désignait généralement des tâches non intellectuelles. A en croire cette théorie, on remplacerait d’abord les chauffeurs de camion par des systèmes de conduite autonomes, puis plus tard par des robots de livraison qui se chargeraient de livrer les marchandises sur le pas de la porte. Mais comme le relate le journal allemand Handelsblatt3, les progrès en matière de conduite
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3 Christian Rickens, Handelsblatt Morning Briefing plus, 3 février 2023
autonome stagnent. Amazon a également mis un terme à ses expériences avec des robots de livraison, et il n’existe pas encore d’IA capable de débarrasser une table de restaurant sans trop de dégâts. Avec le développement de l’IA et d’autres technologies automatisées, le travail intellectuel semble justement être davantage menacé : tout à coup, un radiologue doit craindre davantage que le personnel soignant, un chauffeur de camion moins qu’un comptable. Même dans notre branche, les personnes travaillant dans le domaine du savoir semblent plus menacées que les ouvriers du bâtiment. Si la situation est très différente de ce à quoi on pouvait s’attendre auparavant, c’est peut-être aussi dû au fait que la plupart des articles sont écrits par des intellectuels ; un ouvrier du bâtiment aurait probablement toujours eu une tout autre vision des choses.
Dans le secteur de la construction, les maîtres d’ouvrage ont l’habitude de s’adresser non pas à un seul, mais à plusieurs experts afin d’obtenir des réponses à leurs questions, de comprendre les tenants et aboutissants suffisamment tôt et d’en déduire de bonnes décisions. Quelles sont les affectations des bâtiments situés à proximité du projet de construction ? Quelle est la longueur maximale d’une voie d’évacuation dans un hôpital ? Quels sont les meilleurs stores pare-soleil pour les magasins ? Vaut-il le coup d’installer des modules PV sur une façade nord ? Quelles doivent être les caractéristiques du revêtement de sol pour un espace de coworking ? Quel est le niveau de bruit autorisé dans un bureau individuel et dans un bureau paysager ? De quel espace a besoin un chariot élévateur pour effectuer un virage à 90 degrés ? Et ainsi de suite.
Le paradoxe est que de telles questions ont déjà été posées des milliers de fois par le passé et que des personnes y ont déjà souvent répondu à grands frais et en perdant beaucoup de temps. Et pourtant, leurs clients semblent vouloir maintenir ce fonctionnement, ce qui contribue à rendre le secteur de la planification et de la construction peu innovant et peu enclin au changement.
C’est précisément dans ce domaine qu’une intelligence artificielle comme Chat GPT va entraîner des changements drastiques. D’une part, il ne sera plus aussi simple de présenter les tâches monotones et sans valeur ajoutée comme étant du travail intellectuel, car c’est justement là que résident les
points forts des IA, qui s’en chargent plus facilement et plus rapidement. D’autre part, les IA permettent aux personnes travaillant dans le domaine du savoir de disposer de plus de temps à consacrer aux tâches créatives. Par conséquent, l’automatisation du travail intellectuel simple libérera plus de temps pour l’inspiration et l’innovation. C’est important, car malgré toute la fascination que l’on peut vouer à Chat GPT et Cie, ceux-ci ne peuvent que répéter et réarranger des choses qui ont déjà été écrites.
Pareil et pourtant différent
La vision qui anime le recours à l’industrialisation dans le secteur de la construction est également prometteuse à d’autres égards. En effet, la chaîne de création de valeur fragmentée et tous les déficits qui en résultent devraient disparaître à l’avenir grâce à l’industrialisation. La transformation de l’industrie se caractériserait alors par l’établissement d’architectures intelligentes aux formes libres et rapides à construire ; l’utilisation répétée de modules préfabriqués par des machines ; l’emploi de matériaux économes en ressources ; un taux d’erreur faible, voire inexistant ; des ouvriers qui travaillent dans des usines sûres, propres et protégées des intempéries et qui n’ont plus besoin d’effectuer des tâches physiquement pénibles ; des simulations de processus de construction automatiques et intelligentes qui planifient à la seconde près le déploiement des ouvriers, des camions et des engins de chantier ; des chaînes d’approvisionnement efficaces et des jumeaux numériques qui surveillent l’ensemble du bâtiment en phase d’exploitation et génèrent automatiquement des propositions d’optimisation opérationnelle. Cette vision peut aller jusqu’à un monde où l’homme et la machine travaillent ensemble dans une chorégraphie parfaite et utilisent une structure de données virtuelles continue pour construire des bâtiments ultramodernes ou rénover des bâtiments existants. Aussi bien l’architecture que les méthodes de construction reprendraient les principales questions de la culture du bâti et harmoniseraient les trois sphères interdépendantes de la durabilité : l’écologie, l’économie et la société. En réalité, la disponibilité des informations et le recours actuel aux méthodes et technologies de la Construction 4.0 pourraient bientôt conduire à un changement de
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paradigme dans notre branche. Plutôt que de voir des chantiers entièrement autonomes et des robots, nous assisterons d’abord à un bond en avant dans le développement et la planification – et ce, grâce à une simple élimination de certaines routines.
Cela fait des années que nous parlons de la rationalisation et de l’allégement de la conception, de la modélisation numérique dans la planification jusqu’au BIM, des jumeaux numériques dans l’exploitation, sans oublier la prise de décision basée sur des preuves et l’ingénierie de bout en bout des processus de planification et de construction. Si l’on se rappelle que la première version de l’IFC, la norme pour les modèles de construction, date de l’an 2000, on se rend compte de la lenteur de cette évolution.
Aujourd’hui, ces thèmes acquièrent un nouveau statut, à savoir celui d’ensemble d’entraînement pour les IA. Ce qui confère aux développements tels que Chat GPT une telle puissance, c’est qu’ils puisent dans un gigantesque réservoir de données. Il n’en existe pas pour le secteur de la construction et, quelle que soit la taille d’une entreprise et la qualité des données qu’elle a stockées au cours des dernières décennies, celles-ci ne représentent toujours qu’une infime fraction de la quantité d’entraînement dont doit disposer un Chat GPT. Mais on peut utiliser des systèmes pré-entraînés et les adapter étonnamment vite à ses propres besoins.
Des groupes de travail propulsés par l’IA
Le caractère cyber-physique de la Construction 4.0 semble être l’un des éléments les plus porteurs de renouvellement. Les systèmes cyber-physiques intègrent des technologies numériques de pointe telles que des capteurs, des appareils IdO ou des systèmes d’automatisation dans les processus physiques de la construction. Ils permettent de surveiller et de contrôler les processus de construction en temps réel afin d’accroître l’efficacité et la productivité, d’améliorer la qualité et de réduire les coûts. De telles possibilités secouent notre branche et ouvrent la voie à une approche plus automatisée, pilotée par les données et globale, au détriment d’une approche traditionnelle, manuelle et axée sur le modèle en cascade.
Chez Halter, nous améliorons en permanence la collaboration et la communication entre les différentes parties impliquées
dans un projet de construction. En intégrant des données et des informations en temps réel sur une plateforme numérique commune, nous permettons à tous les intervenants de prendre des décisions éclairées et de collaborer plus efficacement. Voilà qui nous amène aux modèles de gestion de projet intégrée. La gestion de projet intégrée, également appelée « conception-réalisation », est pour nous un modèle de prestataire global avec des groupes de travail. Au sein des groupes de travail, nous réunissons à un stade précoce des équipes de planification et de construction performantes. Mais la datafication, l’utilisation de technologies de pointe et la connectivité des systèmes cyberphysiques ne suffisent pas à elles seules à provoquer un changement de paradigme dans le secteur de la planification et de la construction. Il faut des équipes performantes axées sur la réussite des projets pour parvenir à un changement à long terme. Pour cela, les IA tombent à pic, et dans les modèles de gestion de projet intégrée, où les gens travaillent ensemble et non les uns contre les autres, nous trouvons de précieuses données d’entraînement pour les optimiser. La remise en question des processus traditionnels, la réorganisation des voies d’approvisionnement, l’automatisation des processus décisionnels, l’élimination
des réglementations et des normes inutiles, l’examen sérieux de nouveaux modèles commerciaux, contractuels et d’incitation et, enfin, l’établissement d’une culture de
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Image créée avec Midjourney sur le thème : « Meeting with people standing and discussing around a hologram. »
collaboration tournée vers l’avenir constituent les éléments clés qui permettront de créer un nouveau cadre pour le développement de notre branche. L’objectif est clairement de passer d’une chaîne de valeur fragmentée à une chaîne de valeur orchestrée de bout en bout, basée sur des pools de données intégrés et des équipes de plus en plus intégrées. Cela ne se fera pas grâce aux IA, mais des innovations comme Chat GPT nous seront très utiles à cet égard.
Par où commencer ?
Chez Halter, nous travaillons sans cesse sur des thèmes d’innovation qui influenceront l’avenir de notre branche et donc aussi de notre entreprise à moyen et long terme. Nous encourageons le transfert de connaissances interne et externe, mettons en œuvre des solutions innovantes dans les projets de notre clientèle et poursuivons ainsi un processus d’amélioration continue. Les thèmes d’innovation couvrent l’ensemble du cycle de vie et sont élaborés par des équipes internes interfonctionnelles et transversales. Nous ancrons la nécessité d’une approche globale dans la conscience du personnel dans le cadre de l’initiative interne de durabilité. Lors de la recherche et de la mise en œuvre de solutions, nous misons sur les compétences de l’écosystème proche ainsi que sur les connaissances de partenaires sélectionnés.
Le monde de la recherche et de l’enseignement s’intéresse depuis longtemps aux thèmes liés à la Construction 4.0. De nouvelles chaires et plateformes associant plusieurs disciplines dans les institutions de formation montrent qu’une imbrication de compétences autrefois inimaginable est aujourd’hui indispensable pour rendre la vision de la Construction 4.0 plus tangible. Des domaines traditionnels de la planification et de la construction, tels que l’architecture et le génie civil, brisent les barrières et s’associent à des compétences issues de domaines tels que la fabrication et l’ingénierie des systèmes, l’informatique et la robotique, ainsi que les sciences sociales et humaines4.
En Suisse, ce changement de paradigme se manifeste par Design++, le centre de conception assistée par ordinateur avancée pour l’architecture et le génie civil, fondé
4 Comme le cluster d’excellence Int CDC, récemment créé à l’Université de Stuttgart (Cluster of Excellence Integrative Computational Design and Construction for Architecture)
en 2019 par l’EPF de Zurich. En tant que plateforme, Design++ est associé à cinq départements et au National Center of Competence in Research (NCCR) Digital Fabrication. Conformément à notre volonté de faire évoluer la branche vers une véritable intégration des phases de conception et de construction, nous avons décidé, en tant qu’entreprise, de conclure un partenariat stratégique avec Design++. Au cours des six prochaines années, nous contribuerons activement au développement du centre, à la fois par un soutien financier et par le transfert de connaissances entre la pratique et la recherche (lire aussi « Un pas vers le futur », p. 5). Nous nous attendons à ce que la proximité avec les développements de Design++ entraîne une hausse de la productivité chez Halter, d’autant plus que les collaborateurs ont la possibilité d’acquérir leur propre expérience dans l’utilisation des nouvelles technologies et des nouveaux processus et de les exploiter directement là où cela s’avère utile.
La proximité et la collaboration avec des spin-off universitaires constituent un autre point important. Ces dernières années, les premières spin-off ont commencé à mettre en œuvre leurs solutions technologiques dans des projets réels et à tester leur modèle commercial directement sur le marché, en dehors de l’environnement protecteur d’un institut de formation. Connaissant bien notre industrie et sa vitesse d’adaptation, nous savons combien d’obstacles rencontrent les spin-off désireuses de lancer avec succès une innovation technologique. Ces obstacles semblent très élevés et l’industrie de la construction très lente à introduire des innovations dans la pratique.
Créer des espaces
L’innovation a besoin d’espace pour se développer et de relations partenariales dans lesquelles des phénomènes tels que les IA et l’utilisation de robots peuvent croître avec nous et nos groupes de travail. Avec le Futurama de Lupfig, en Argovie, nous essayons de créer un tel espace (lire aussi « Les deux font la paire », p. 160). Il s’agit d’un projet passionnant à deux égards. D’une part, nous essayons de créer un pôle attractif à Lupfig et, d’autre part, nous souhaitons non seulement mettre à disposition l’espace, mais aussi développer un environnement créatif et mutuellement enrichissant en
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l’associant à de nombreuses autres entreprises, spin-off et start-up.
Les défis auxquels nous sommes confrontés sont trop complexes pour que nous puissions les relever tout seuls. Et nous sommes convaincus que le protectionnisme non seulement empêche l’innovation et la concurrence, mais peut également avoir un effet dévastateur à long terme sur le développement de l’économie circulaire et la protection du climat.
Promue par des groupes de travail portés sur l’innovation, la Construction 4.0 nous offre un moyen de transformer fondamentalement notre industrie classique. La chaîne de valeur actuellement fragmentée, ainsi que les déficits dans les domaines de la planification, de l’approvisionnement et de la construction, peuvent être attaqués sérieusement au moyen d’un plan stratégique,
révolution cyber-physique de notre branche, des efforts communs sont nécessaires afin de développer de nouvelles solutions et de nouveaux processus, ainsi que de la transparence entre les acteurs pour éviter les doublons. Reste une seule question : est-ce Chat GPT qui a rédigé ce texte ? Heureusement, cela n’est pas pertinent. L’entrepreneuriat ne se mesure pas à nos paroles, mais à nos actes. L’état d’esprit de développeur, notre mentalité profondément ancrée dans l’ADN de Halter, nous conduit sur la voie du renouveau. La Construction 4.0 est en train de devenir une réalité, et les IA comme Chat GPT y contribueront. Le changement s’opère maintenant et, à chaque pas que nous faisons, à partir de nous. Nous avons pour ambition de participer activement à cette évolution. Et nous ne sommes pas les seuls à vouloir agir. Nous continuerons à l’avenir à investir dans ces thèmes et à partager nos progrès avec nos partenaires, ainsi qu’à les mettre en œuvre dans les projets de notre clientèle. Ensemble, nous devons faire en sorte que la promesse de la Construction 4.0 (même si elle a été formulée par une machine au début de ce texte) devienne une réalité.
Comme l’a souligné avec insistance Suneel Gupta5 dans son discours d’ouverture à la Design-Build Conference & Expo à Las Vegas en novembre dernier : « Let’s not play the game of someday. Let’s play the game of now. We can’t wait for courage in order to take action. We take action and let the courage catch up along the way6 »
tout en rendant possibles immédiatement la création de nouveaux services et l’émergence de nouvelles chaînes de valeur ou de nouveaux modèles commerciaux. Nous avons pu constater ces derniers mois à quel point cela peut aller vite.
Pour que nous puissions aller de l’avant, un changement systémique doit être encouragé. Celui-ci devrait reposer sur l’interdépendance entre les divers acteurs qui poursuivent différentes innovations autour de la Construction 4.0 et de nouveaux modèles de gestion de projet intégratifs. Dans les projets intégratifs, l’élimination des tâches et des processus inutiles et répétitifs profite à tout le monde. Pour provoquer la
5 Suneel Gupta, auteur, conférencier, chercheur invité à la Harvard Medical School, fondateur et CEO de Rise 6 « Ne jouons pas le jeu du futur. Jouons le jeu du présent. Nous ne pouvons pas attendre d’avoir le courage pour agir. Agissons et laissons le courage nous rattraper sur notre chemin. »
Alexandra Stamou (46 ans) est responsable, depuis octobre 2018, de la Gestion des produits et de l’innovation chez Halter SA. Elle est architecte, titulaire d’un MAS CAAD de l’EPF de Zurich et s’est formée en stratégie et développement organisationnel (HSG-SKU), ainsi qu’en planification et construction numériques (FHNW). Avant d’entamer sa formation postgrade à Zurich en 2006, elle était architecte à Athènes. Elle a travaillé durant cinq ans au Centre suisse d’études pour la rationalisation de la construction (CRB), en dernier lieu comme responsable adjointe du développement. En 2012, elle a participé au lancement de Buildup AG, une spin-off de l’EPF, au sein de laquelle elle était chargée de l’intégration de partenaires en qualité de responsable du développement. Elle est membre de la commission 451 de la SIA et membre du conseil d’administration de Tend AG et de Raumgleiter AG. → www.halter.ch
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Image créée avec Midjourney sur le thème : « Construction site in a city with a robotic crane. »
SANS DISRUPTION, PAS DE PROTECTION DU CLIMAT
« La folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent » – cette citation est souvent attribuée à Albert Einstein, mais rien ne prouve qu’elle soit vraiment de lui. Néanmoins, elle se prête bien à l’analyse du débat actuel sur la protection du climat. Cet « autre résultat », ce sont ici les exigences de notre société lorsqu’il s’agit d’endiguer le réchauffement climatique en réduisant les émissions de CO₂ et en sensibilisant au développement durable. Il s’agit même d’obtenir un « résultat radicalement différent », à savoir la neutralité climatique d’ici 2050.
Cela concerne et affecte toutes les branches, et notamment notre secteur de l’immobilier et de la construction, en raison de leur fort impact en la matière. Croire que nous pourrons atteindre les objectifs très ambitieux définis de manière contraignante en faisant toujours la même chose relève de la folie, pour ne pas dire que cela s’avère sans espoir. Pour atteindre les objectifs, l’économie circulaire et les modèles d’approvisionnement, de traitement et de collaboration intégrés qui en découlent sont indispensables. Nous devons adopter des approches et des modes de pensée fondamentalement nouveaux, car l’optimisation des processus et des modèles (en cascade) établis, voire obsolètes, ne suffit pas.
Le paysage des processus, des contrats et des rémunérations doit changer radicalement
Des avancées majeures en matière d’efficience, d’efficacité et d’innovation sont nécessaires et doivent être encouragées et exigées en conséquence. A cet effet, il convient de créer les bonnes incitations et de parvenir à une harmonisation des intérêts de tous les intervenants. Cela nécessite des processus intégrés : l’intégration précoce et en temps opportun de tous
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Texte : Maik Neuhaus
Ingénierie & Production – Chronique
Illustration : Dominique Wyss
les acteurs pertinents, ainsi que des modèles de contrat et de rémunération orientés vers les résultats et la performance, et qui les encouragent.
Le modèle de contrat et de rémunération conventionnel selon la SIA, qui caractérise encore (trop) fortement les processus dans la branche suisse de l’immobilier et de la construction, ne possède pas ces caractéristiques décisives. Basé sur la charge de travail et sur les coûts de construction (plus la charge de travail ou les coûts de construction sont élevés, plus la rémunération est importante), ce modèle crée de fausses incitations. De plus, il mène à une collaboration non intégrale, fragmentée et conflictuelle, freine l’innovation et la cohérence des données, des informations et du savoir-faire, et implique des processus plus longs ainsi que des coûts plus élevés. Autrement dit, il entraîne une utilisation inefficace des ressources (en personnel et en capital) et des résultats non optimisés. Ce gaspillage de ressources est diamétralement opposé à l’objectif de neutralité climatique évoqué plus haut.
La société est le véritable donneur d’ordre en matière d’augmentation de l’efficacité
Il arrive encore trop souvent que l’on procède selon des modèles dépassés – par peur, par commodité ou pour servir des intérêts particuliers – en ce qui concerne le déroulement des projets, l’acquisition de prestations ou de partenaires de projet, ainsi que la forme de collaboration. Il en résulte une rémunération qui est généralement trop basée sur les coûts et pas assez sur les résultats. On pourrait comparer les processus aux voyages en avion : quiconque réserve un vol ne paie que le voyage (sûr) jusqu’à la destination, et ce, indépendamment du fait que l’avion puisse y atterrir directement, qu’il doive effectuer des boucles ou peut-être même faire une escale imprévue dans un autre aéroport. Le prestataire, en l’occurrence la compagnie aérienne, ne peut pas facturer la durée de vol supplémentaire, jugée inutile par le passager (et qui, de surcroît, lui fait perdre son temps et l’agace). Il en va de même dans le sport, où une prime est attribuée pour la victoire lors d’un tournoi, d’une coupe ou d’un championnat, et non pour le nombre d’heures d’entraînement effectuées.
Cela doit être pareil dans notre branche : la rémunération ne doit pas porter sur les efforts fournis et les éventuelles boucles et détours, mais uniquement sur le résultat (optimal).
Tous les intervenants sont ainsi incités dans la même mesure à atteindre des résultats optimaux de manière efficace et en économisant les ressources, et à contribuer à fournir les
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résultats exigés par la société et largement prescrits par la loi. Le véritable donneur d’ordre en matière d’augmentation de l’efficacité et de disruption est la société et non pas, comme le prétendent souvent les médias et la politique, les investisseurs, les maîtres d’ouvrage et les promoteurs soi-disant obsédés par le rendement. Ceux-ci ne font qu’assumer la tâche de l’exécutif pour l’objectif décidé. L’argumentaire courant selon lequel des résultats optimaux ne peuvent être obtenus qu’en se basant sur le modèle conventionnel des phases et, par conséquent, par une rémunération basée sur la charge de travail et les coûts (plus la charge de travail et les coûts sont élevés, plus les honoraires sont élevés), ne correspond à rien d’autre qu’à la volonté d’un groupe d’intérêt qui cherche à maintenir, à travers le protectionnisme et le lobbying, un modèle commercial et d’honoraires obsolète. Les dommages qui en résultent sont immenses et constituent (outre les interminables processus d’autorisation et les conflits d’intérêts dans le cadre des normes et des lois) l’un des plus grands freins à la neutralité climatique exigée d’ici 2050.
Concrètement, cela signifie que les contrats d’honoraires et les modèles de rémunération basés sur les coûts doivent être fondamentalement revus et formulés en prenant (davantage) en compte les performances et les résultats. Cela implique que le catalogue des prestations soit réglé de manière plus précise et plus spécifique au projet (compétence du mandant). Cela permet à toutes les parties impliquées d’évaluer et d’optimiser très précisément la charge de travail et donc les coûts. Le but recherché étant de pouvoir quantifier avec (plus de) précision, en termes de temps et de coûts, les prestations demandées par le mandant ou à fournir par le mandataire. Les prestations qui ne doivent être fournies qu’au cas par cas, éventuellement à plusieurs reprises, ne sont plus incluses dans les honoraires de base, mais seront rémunérées – si elles sont effectivement fournies – en tant que prestations supplémentaires (abandon du principe « tout inclus » au profit d’un principe « à la carte » ou « selon la consommation réelle »).
Par ailleurs, le système de malus établi aujourd’hui, dans le cadre duquel les prestations déficientes du mandataire sont déduites de sa rémunération, est difficile à accepter sur le plan psychologique et conduit de facto systématiquement à des conflits et à une mauvaise ambiance – que la réduction soit légitime ou non. En effet, le mandataire s’est calé sur les honoraires (maximum) définis au départ et peut y perdre beaucoup. Les modèles d’incitation dans le cadre desquels le mandataire peut gagner un peu plus s’il fournit des prestations conformément au
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contrat sont plus motivants et favorisent le partenariat. A cet égard, il est important que les objectifs à atteindre soient compréhensibles et mesurables pour les deux partenaires.
A la recherche de compétences avérées
Afin de parvenir à une exploitation optimale des ressources, il est essentiel que tous les partenaires du projet fournissent d’excellentes performances à chaque phase. Pour y parvenir, il est possible de faire appel à deux partenaires différents pour les deux disciplines (principales) que sont la conception et la planification de l’ouvrage – deux partenaires qui sont spécialisés et « premiers de classe » dans les compétences respectives. Bien entendu, il est important que l’ADN du projet et ses éléments qualitatifs et identitaires soient garantis par des processus d’assurance qualité appropriés.
La branche doit s’ouvrir à des alternatives au modèle établi du « tout-en-un », dans lequel la conception et la planification de l’ouvrage sont assurées par un seul et même prestataire. Il existe de nombreux acteurs extrêmement compétents qui peuvent, souhaitent et doivent continuer à fournir des prestations de conception et de planification de l’ouvrage de haut niveau (c’est-à-dire une solution tout-en-un), mais il en existe au tout autant qui sont incapables ou ne souhaitent pas fournir les prestations requises dans l’une ou l’autre discipline.
Nous devons sortir des schémas et des processus figés, faire confiance et oser innover – même si cela peut faire mal ponctuellement. Collectivement, en tant que branche, nous devons sortir de notre zone de confort des dernières décennies, car ce n’est qu’ainsi que nous pourrons atteindre les résultats que la société exige et que nous devons à notre environnement.
Maik Neuhaus (43 ans) a effectué un apprentissage de dessinateur en bâtiment dans un bureau d’architectes à Fribourg. Après sa maturité professionnelle, il a étudié l’architecture à la Haute école spécialisée de Fribourg tout en travaillant dans un bureau d’architectes à Genève. Il a ensuite exercé comme promoteur immobilier chez Marazzi, avant de rejoindre Halter Développements en 2008. Il y a été responsable du développement et membre de la direction jusqu’en 2013. En 2014, il a rejoint Halter Prestations globales en qualité de responsable du développement et de l’acquisition. Depuis 2019, Maik Neuhaus est directeur général de Halter Prestations globales et membre de la Direction du groupe. → www.halter.ch
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LES DEUX FONT
LA PAIRE
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Depuis la crise immobilière des années 1990, les Futura Towers de Lupfig, en Argovie, sont en grande partie vides. Aujourd’hui, ces deux tours de bureaux orphelines sont repositionnées par la société Halter SA sous le nom de Futurama. Dans les années à venir, un centre de formation, de recherche et de production devrait voir le jour sur une surface d’environ 25 000 mètres carrés. Non seulement cette transformation progressive insufflera une nouvelle vie à ce lieu, mais la zone industrielle en pleine expansion qui l’entoure devrait également être dotée d’offres de loisirs et de restauration.
Texte et photos : Joris Jehle
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Les deux Futura Towers sont gigantesques et même un peu intimidantes. De loin, la fine structure des façades se perd dans leur taille imposante. Lorsqu’on s’approche, l’étroitesse des espaces extérieurs est déconcertante. Les véhicules peuvent y passer, mais il ne reste guère de place pour les piétons. L’intérieur des tours semble abandonné. Depuis leur construction, la plupart des onze niveaux supérieurs et des trois niveaux en sous-sol sont vides. Aucun revêtement de sol n’a été posé ni aucun éclairage installé. Seul un étage est éclairé par un interstice dans une cloison. Derrière se trouvent quelques salles de réunion et une réception qui donne l’impression que personne n’a été accueilli ici depuis longtemps. Les Futura Towers de Lupfig ont été construites en même temps que deux autres tours, entre 1990 et 1992, sur un terrain vierge. Situé à proximité de l’autoroute A1, du futur raccordement à l’A3 et de la gare S-Bahn de Lupfig ouverte en 1994, le terrain était déjà très bien desservi à l’époque. Le boom des années 1980 avait sans doute suscité de l’espoir chez l’ancien propriétaire, qui n’a pas hésité à réaliser 25 000 mètres carrés de surface utile rien que dans les deux Futura Towers. Mais c’est alors qu’est survenu le crash immobilier suisse de 1991. Une grande partie des tours de bureaux n’a jamais été louée ni même aménagée.
Le propriétaire des Futura Towers n’était alors pas le seul à s’être trompé dans ses calculs. L’économie en plein essor faisait flamber les prix de l’immobilier et la spéculation sévissait. Des nouveautés réglementaires, telles que l’introduction du régime obligatoire des caisses de pension en 1985, et la pression croissante de la concurrence entre les banques, gonflèrent la bulle naissante. Des crédits étaient accordés de plus en plus facilement. Après avoir presque doublé en dix ans, les prix de l’immobilier augmentèrent encore entre 1987 et 1990.
Le krach boursier de New York en 1987 avait certes freiné le boom économique suisse. Pour en atténuer les effets et relancer l’économie, les banques suisses abaissèrent leurs taux d’intérêt. Cette mesure porta ses fruits, mais plus qu’espéré. L’inflation augmenta massivement. L’immobilier était considéré comme un placement sûr et gagna encore en popularité auprès des investisseurs. En 1989, la Banque nationale tenta finalement d’atténuer le renchérissement en
relevant brusquement son taux directeur de 3,5 à 6%. Parallèlement, la Confédération prit des mesures d’urgence afin d’endiguer la spéculation. Les contre-mesures dépassèrent elles aussi largement leur objectif. La bulle éclata, les prix chutèrent, les crédits en souffrance durent être amortis. Résultat des courses : près d’un tiers des banques suisses ont fermé leurs portes, des entreprises de construction ont fait faillite, des épargnes privées ont été détruites. Le taux de vacance des immeubles commerciaux est passé à 12% en 1993. Tout juste achevées, les Futura Towers de Lupfig n’y ont pas fait exception.
L’Argovie, un canton industriel
Aujourd’hui encore, les tours sont en grande partie vides. Toutefois, la bonne desserte de leur emplacement prétendument périphérique n’est pas passée inaperçue. Des immeubles de bureaux, des bâtiments commerciaux et des centres de données sont construits tout autour. Diverses entreprises des secteurs de la production, de l’énergie, de l’alimentation et de l’importation de véhicules ont ouvert de nouveaux sites dans la zone industrielle de Lupfig ou ont agrandi des sites existants.
La société Suhner Suisse SA produit ici depuis des décennies, dans son siège principal de l’Industriestrasse, des pièces de machines de haute précision pour l’industrie automobile et aéronautique, entre autres. Depuis quelques années, elle loue également les deux rez-de-chaussée des tours 1 et 2, ainsi que la grande halle de production située entre les deux. Grâce à sa haute spécialisation et à la précision de ses produits, cette entreprise familiale de quatrième génération est active dans le monde entier. Sur son effectif total d’environ 750 personnes, 230 travaillent sur le site de Lupfig.
Suhner incarne ainsi le parfait exemple d’une entreprise argovienne. En effet, la proportion d’employés travaillant dans le secteur secondaire est presque deux fois plus élevée dans le canton (27%) que dans l’ensemble de la Suisse (14%), et plus de 80% des salariés sont employés dans des petites et moyennes entreprises, contre 67% dans l’ensemble du pays. L’Argovie reste donc un canton industriel de PME. Depuis le déclin massif dans les années 1970 et 1980, l’industrie suisse s’y maintient relativement bien –elle a trouvé ses niches. Il n’en reste pas moins que le nombre d’emplois dans le secteur de la production est en recul dans tous les
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cantons. La pression internationale de la concurrence et des prix augmente. L’industrie suisse est elle aussi soumise à la pression de l’innovation – elle doit reconsidérer des processus et des produits éprouvés ou les repenser intégralement. De nombreuses entreprises relèvent de l’industrie 2.0, car les chaînes de production nécessitent encore de très nombreuses interventions humaines manuelles. La production en série n’est que partiellement automatisée par des robots, ce que l’on appelle la troisième révolution industrielle ou l’industrie 3.0. Or aujourd’hui, on parle déjà d’une quatrième et d’une cinquième révolution industrielle : l’industrie 4.0 remplace la production de masse traditionnelle par la fabrication automatisée de produits uniques sur mesure, par exemple au moyen de l’impression 3D. L’industrie 5.0 annonce quant à elle une collaboration accrue entre les humains et les robots, ainsi qu’entre l’intelligence humaine et l’intelligence artificielle.
Les Futura Towers deviennent Futurama
Le deuxième sous-sol de la tour 2 abrite depuis mai 2022 Saeki Robotics, une entreprise de l’industrie 4.0 qui imprime des coffrages en béton pour la branche du bâtiment à l’aide d’un robot industriel géant. Cette start-up, une spin-off de l’EPF de Zurich, a développé une tête d’impression 3D ainsi que le logiciel correspondant. Alors que les coffrages convexes ou concaves devaient traditionnellement être fabriqués à la main en bois par des charpentiers pendant plusieurs jours, Saeki les imprime en quelques heures seulement dans un plastique spécial. N’importe quelle forme imaginable peut être imprimée – le temps de production dépend uniquement de la taille du coffrage. Les fabrications spéciales coûteuses comme des escaliers ou des plafonds voûtés en béton deviennent ainsi nettement moins chères.
L’arrivée de Saeki dans les Futura Towers n’est pas non plus passée inaperçue chez Suhner. La start-up a en effet donné envie à l’entreprise industrielle d’explorer les possibilités de l’impression 3D métallique pour ses produits. Des possibilités de collaboration sont d’ores et déjà évoquées.
Si ces deux entreprises se sont rencontrées, c’est parce que Halter SA a acquis les Futura Towers début 2022. Depuis lors, le site est repositionné sous le nom de Futurama en tant que hub pour la formation, la
recherche et l’industrie. Andreas Campi, directeur général de Halter Développements, et Alexandra Stamou, responsable Gestion des produits et de l’innovation, ont élaboré un concept en ce sens. Il prévoit la rénovation et l’extension progressives des bâtiments au cours des prochaines années, en fonction des besoins des nouveaux locataires. Cette transformation sur mesure des bâtiments devrait permettre au pôle d’innovation de croître de manière durable et organique. La proximité de la Haute école spécialisée du Nord-Ouest de la Suisse à Brugg et de l’Institut Paul Scherrer à Villigen devrait constituer un atout. L’objectif est de créer un hub vivant des industries 4.0 et 5.0, un lieu où les collaborateurs de différentes entreprises pourront échanger, créer des synergies et vivre l’innovation.
Les plafonds des onze étages supérieurs des bâtiments à ossature avec une trame de poteaux de 6 × 6 mètres doivent être percés sur deux ou trois niveaux afin d’offrir un meilleur éclairage. Un réaménagement des deux entrées existantes en foyers spacieux favorisera la création d’un site attractif. Par ailleurs, un espace vert vertical accessible entre les deux tours permettra d’améliorer la qualité de vie des usagers. Enfin, il est prévu de revaloriser les espaces extérieurs et l’accès au bâtiment. Alors que ces espaces étaient autrefois conçus pour les voitures (les trottoirs extérieurs sont totalement absents), ils deviendront désormais plus agréables et plus sûrs pour les piétons. La commune a d’ores et déjà pris de premières mesures visant à améliorer la qualité de vie dans la zone industrielle en aménageant des trottoirs et en plantant des arbres supplémentaires le long des voies publiques.
Futurama a ainsi toutes les chances de devenir le centre névralgique de toute la zone industrielle. Une offre de restauration attrayante à midi et, plus tard, également en soirée, accompagnera la transformation. Ainsi, il se pourrait qu’à l’avenir, le jardin situé sur le toit soit mis à la disposition du public en dehors des heures de travail. Des showrooms pour les entreprises implantées, des espaces de coworking et des micro-appartements de type MOVEment devraient insuffler de la vie et permettre de diversifier encore les usages. En attendant, quelques années peuvent encore s’écouler, mais la production bat déjà son plein au rez-de-chaussée et au sous-sol.
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Schéma du rez-de-chaussée : les nouvelles entrées spacieuses des tours 1 et 2 seront reliées de l’intérieur.
p. 161 – Les entrées actuelles des Futura Towers sont sombres et peu accueillantes. La couleur violette des fenêtres et des cadres de porte témoigne de la période de construction. A l’avenir, les visiteurs seront accueillis dans des foyers vitrés situés dans les angles des bâtiments. Les espaces extérieurs asphaltés seront également relookés.
pp. 162/163 – Vues de loin, les deux tours sont imposantes et font « grise mine ». Les nombreuses petites fenêtres forment une fine trame qui recouvre la façade. Mais l’atmosphère pourrait bien changer à l’avenir grâce à la végétalisation prévue entre les bâtiments et à un nouveau choix de couleurs.
pp. 164/165 – Dans la halle située entre la tour 1 et la tour 2, la société Suhner Suisse SA produit depuis quelques années, entre autres, des vilebrequins flexibles.
p. 166 – De nouveaux bâtiments sont construits autour des Futura Towers dans la zone industrielle de la commune argovienne de Lupfig. Parmi eux se trouve le Green Datacenter, un centre de calcul haute performance qui compte parmi les plus grands et modernes de Suisse.
p. 167 – Aucun des onze étages n’a jamais été entièrement aménagé. Chacun des grands côtés longs de près de 55 mètres comporte 54 fenêtres qui, curieusement, sont toutes équipées de leur propre store à lamelles et d’une manivelle manuelle.
Schéma du 1er étage : des percées verticales sur deux niveaux font entrer la lumière dans le bâtiment.
pp. 168/169 – Les Futura Towers ont été construites en ossature avec une trame de poteaux de 6 × 6 mètres. Le noyau de desserte abrite les ascenseurs, les cages d’escalier et les locaux sanitaires. La peinture violette est restée en place depuis trente ans.
p. 170 – Seuls certains étages comportent quelques salles de réunion séparées par des cloisons légères. Toutefois, l’aménagement n’a jamais été achevé.
p 171 – Vue de l’accueil abandonné dans la partie aménagée d’un étage supérieur. Ici aussi, les locataires ont quitté les lieux il y a bien longtemps.
Schéma des étages standard s : un espace extérieur végétalisé sera créé entre les deux tours.
p. 172 – Une partie du 2e sous-sol de la tour 2 a été transformée au printemps 2022 pour accueillir Saeki Robotics. La double hauteur d’étage et un monte-charge offraient des conditions idéales pour l’utilisation comme halle de production.
p. 173 – Un collaborateur de la start-up installe une tête d’impression 3D sur un robot industriel standard. Celui-ci permet d’imprimer des coffrages en plastique spécial pour l’industrie du bâtiment.
p. 174 – Saeki est en mesure d’imprimer des coffrages en béton de n’importe quelle forme en quelques heures et de manière entièrement automatique. Cela réduit les coûts et les délais pour l’industrie du bâtiment.
p. 175 – Près de 300 places de parking ont été réalisées dans les trois niveaux en sous-sol entre 1990 et 1992. Plus tard, ils ont été renforcés par des poteaux afin de mieux supporter les charges.
Schéma du dernier étage : le toit comprendra une installation photovoltaïque, des terrasses et des restaurants.
p. 176 – Le look des années 1990 : les flèches directionnelles au sol du parking souterrain sont de couleur jaune vif. Les portes et leurs encadrements dans tout le bâtiment ont été peints en violet.
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WILHELM DEVIENT VILIO
Le 29 août 1918, Wilhelm Pius Halter acquit, à l’âge de 27 ans, une entreprise de maçonnerie à Zurich-Altstetten. Ce natif du canton d’Obwald posa ainsi la première pierre d’un développement réussi de son entreprise, aujourd’hui dirigée par la troisième génération sous le nom de Halter SA. Pour le repositionnement de son unité Halter Bauservice, on s’est inspiré du prénom du fondateur de l’entreprise. Vilio AG symbolise une offre de prestations qui fait honneur à la tradition : un travail artisanal de qualité, la fiabilité, ainsi que la sécurité des délais et des coûts pour les rénovations exigeantes et les projets de construction singuliers.
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Texte : Christine Marie Halter-Oppelt Photos : Sabrina Golob
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C’était une autre époque. Lorsque Wilhelm Halter emménagea en 1918 avec sa jeune famille dans sa nouvelle maison de la Herrligstrasse à Zurich-Altstetten, il n’y avait pas de jardin verdoyant devant la porte. Un bâtiment annexe abritait les locaux commerciaux, entourés d’ateliers et d’entrepôts de matériel. Des écuries faisaient aussi partie du siège de son entreprise de construction, car à l’époque, on utilisait encore des charrettes tirées par des chevaux pour livrer les matériaux sur les chantiers. Le travail pénible sur place était effectué à la main et avec des outils simples. Les ouvriers, dont beaucoup étaient déjà originaires d’Italie à l’époque, effectuaient les travaux en hauteur, à la sueur de leur front, sur des échafaudages en bois exposés au vent. Ils passaient la nuit dans des hébergements spécialement construits pour eux. Anna HalterMing, l’épouse et collaboratrice active de Wilhelm Halter, s’occupait souvent personnellement de leurs préoccupations et de leur bien-être après le travail.
Au lendemain de la Première Guerre mondiale, la Confédération et les cantons investirent de plus en plus dans la construction de logements afin d’atténuer la pénurie qui affectait surtout la classe ouvrière, mais aussi les employés ordinaires. C’est au cours de cette période de croissance que Wilhelm Halter posa les fondations de son activité d’entrepreneur de construction à ZurichAltstetten et Albisrieden. Outre des immeubles d’habitation et commerciaux pour son propre portefeuille, plusieurs coopératives ont vu le jour à son initiative.
Après le décès du fondateur de l’entreprise, Halter fut d’abord gérée par son épouse, puis par leur deuxième fils, Jost Halter, et à partir de 1987 par le fils de ce dernier, Balz Halter. Afin d’élargir sa marge de manœuvre entrepreneuriale, celui-ci décida en 2008 de vendre les activités de construction de la société à son concurrent Anliker. A partir de ce moment-là, Halter a agi en tant que développeur, entrepreneur général et prestataire de services immobiliers. Seul le service de construction
« Halter Bauservice » est resté dans l’entreprise. Cette petite unité de choc servait déjà depuis des années de « troupe spéciale » pour les travaux délicats, particulièrement exigeants sur le plan artisanal et devant être exécutés rapidement. Forte d’un effectif fixe d’une vingtaine de personnes,
elle s’était constitué, depuis sa création en 1989, une clientèle solide et surtout basée sur le bouche à oreille.
Réorientation et changement de nom
A mesure que Halter SA se transformait d’une entreprise de construction en un groupe diversifié, différentes unités commerciales se sont développées et ont toujours été adaptées aux nouveaux besoins du marché. Pour répondre au besoin croissant de savoir-faire et de compétences dans la transformation de biens immobiliers existants, l’unité Rénovations a été créée en 2018. Sous la direction d’Anna von Sydow, celle-ci s’est constitué ces trois dernières années un portefeuille de clients impressionnant, avec de nombreux projets de premier plan (lire aussi « Ecrin sobre pour joyau étincelant », p. 68).
Pendant quelque temps, le petit service de construction a été intégré à Halter Rénovations. « Mais nous avons vite compris que nos modèles commerciaux étaient trop différents et que dans la pratique, il y avait peu de synergies, explique Anna von Sydow.
C’est pourquoi nous avons décidé de séparer à nouveau le service de construction et de le positionner de manière plus forte et autonome sur le marché libre.» Plusieurs workshops ont alors été organisés, qui ont abouti à un nouveau nom, un nouveau logo et une nouvelle image de marque. « Dès le début, j’avais ‹ Vilio › en tête. Dérivé de ‹ Wilhelm › et de sa forme abrégée ‹ Willi › , ce nom évoque la grande expérience et l’expertise artisanale de notre unité, mais permet également un positionnement moderne et proche de la clientèle », indique Andreas Wüthrich, directeur général de Vilio. En septembre 2022, tout était enfin prêt, et le site internet a été mis en ligne. Depuis, le slogan « Bauservice persönlich » (service de construction personnalisé) fait la promotion de l’orientation individualisée des prestations sous le nouveau nom de l’entreprise.
Dans les entrepôts de Vilio à Fahrweid près de Dietikon, les anciens outils de l’époque de Wilhelm Halter sont toujours conservés dans une caisse en bois. Ils ont été pris en photo pour le nouveau site internet et témoignent désormais en ligne, à la vue de tous, de la tradition artisanale plus que centenaire que Vilio AG porte dans son ADN. Mais bien entendu, Vilio ne se limite pas au passé. Des machines de construction modernes, ainsi qu’une vaste palette de matériaux et d’outils
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de construction, sont également entreposées dans les ateliers. Dans la cour, les véhicules frappés du nouveau logo de l’entreprise vont et viennent. Les gravats sont soigneusement triés dans de grandes bennes, dans un souci d’écologie et d’économie circulaire. Mais les activités vraiment exigeantes se passent chez les clients. « Nos projets sont toujours conçus sur mesure, en fonction des souhaits exprimés par le maître d’ouvrage ou des travaux qui nous sont confiés par les architectes ou les chefs de chantier », explique Stefan Cavallaro, responsable des services de construction chez Vilio.
Une liste de références qui s’allonge
L’un des projets dont Stefan Cavallaro s’est occupé l’an passé consistait en la rénovation complète d’une villa de la Rütistrasse, dans le 7e arrondissement de Zurich. C’est le bureau Peter Moor Architekten, chargé de la planification, qui a passé le mandat pour les travaux de démolition, de maçonnerie et de plâtrerie. Comme il fallait conserver le patrimoine de 1910, tous les détails d’origine tels que les portes, le parquet et les rampes d’escalier devaient être soigneusement recouverts. Vilio a installé les échafaudages auxiliaires et assuré la sécurité et la protection du travail pour les autres corps de métier. La restauration et l’ajout de stucs, ainsi que le crépissage de la façade, ont nécessité un travail minutieux.
A seulement quelques centaines de mètres de là, dans l’Aurorastrasse, les travaux de planification sont toujours en cours. Ici, le maître d’ouvrage, qui avait acheté une villa des années 1960, cherchait une solution rapide pour rendre une partie de la maison habitable. Il a directement chargé Vilio de rénover un appartement indépendant et de l’équiper de nouvelles salles de bain. Simultanément, la grande maison d’habitation a été déconstruite. Après analyse par Vilio de la substance dégagée, il s’est avéré qu’une transformation ne permettrait pas de répondre aux souhaits du maître de maison en termes de qualité et de coûts. Un architecte a donc été mandaté pour élaborer les plans d’une construction neuve de remplacement.
En revanche, dans la Marktgasse à Winterthour, la rénovation d’une maison classée dans la vieille ville a pu être achevée après un an de travaux. Vilio a sauvé la structure historique en piètre état et l’a décontaminée de ses substances nocives telles que
l’amiante et les PCB. Les poutres en bois classées et mises à nu dans l’appartement mansardé ont aussi pu être débarrassées des résidus de produits de protection toxiques. Actuellement, les ouvriers de Vilio accomplissent une mission très particulière sur le site d’Attisholz près de Soleure. Ils y rénovent une cheminée d’une centaine de mètres de haut. Les briques utilisées pour la restauration ont été produites spécialement selon le modèle historique original.
« Nous élaborons aussi des plans pour des transformations, réalisons des estimations de coûts, nous occupons des procédures d’autorisation, concevons le planning et nous chargeons de la direction des travaux. Vilio offre un service complet comme une entreprise totale, mais avec une facturation ouverte », explique Andreas Wüthrich. L’exécution est confiée à une équipe d’ouvriers bien rodée. Ils s’appellent Carlos López Rodríguez, José Manuel Miguélez Martínez, Roberto Quintieri, Joaquim Reanha – pour n’en citer que quatre – et partagent tous une grande habileté manuelle et le plaisir au travail.
« C’est quelque chose que l’on trouve difficilement aujourd’hui », souligne Andreas Wüthrich, qui espère que la place d’apprentissage de maçon offerte depuis quelque temps sera également pourvue bientôt. Après tout, en tant qu’entreprise de tradition, Vilio souhaite également investir dans la relève. → www.vilio-bauservice.ch
p. 180 – Wilhelm Halter (1891–1944) a repris le 29 août 1918 l’entreprise de construction de Jakob Müller à ZurichAltstetten. Fort de son esprit entrepreneurial, il a jeté les bases de Halter SA au cours des vingt-six années suivantes.
p. 182 – La villa de la Rütistrasse à Zurich a été soigneusement rénovée – à l’intérieur comme à l’extérieur. Détail historique : la sous-toiture en bois à caissons. Lors des travaux de crépissage, il était important d’obtenir une finition propre avec les murs en grès (à gauche de haut en bas). Les stucs ont été restaurés et complétés. Les anciennes ferrures ont été remises à neuf. Les plinthes d’origine ont été repeintes. Les salles de bain ont été aménagées avec goût (à droite, de haut en bas).
p. 183 – Le crépi a été refait dans toute la maison. Par endroits, de nouvelles parois ont été posées (en haut). Pendant les travaux, l’ancienne balustrade en bois a été soigneusement recouverte. Fraîchement vernie, elle contribue désormais au charme historique de la villa (en bas).
p. 185 – Les prestations de Vilio comprennent tout type de travaux de construction, par exemple des travaux de crépissage intérieur et extérieur, des travaux de carrelage et des travaux de démolition (en haut). Les ateliers de Vilio sont situés à Fahrweid, près de Dietikon (en bas).
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Ingénierie & Production
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DES PROCÉDURES MODÈLES
La numérisation du secteur de la construction s’étend peu à peu également au processus d’autorisation. De nombreuses autorités travaillent déjà sur la première étape de la soumission numérique des demandes de permis de construire. En collaboration avec une équipe de recherche, la ville de Vienne a développé un processus d’autorisation numérique Open BIM complet dans le cadre du projet Brise-Vienna financé par l’Union européenne. Ce processus montre déjà, en phase pilote, les avantages de l’utilisation des mécanismes de modélisation ouverts – pour les autorités, mais aussi pour les équipes de planification.
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Texte et graphiques : Christian Schranz, Harald Urban
Ingénierie & Production
L’équipe de planification du bureau d’architectes travaille à plein régime sur son modèle BIM. Tous les souhaits du mandant ont été pris en compte et la demande de permis de construire auprès des autorités est imminente. Mais avant cela, il faut produire les plans en 2D à partir du modèle BIM 3D, ainsi que d’autres documents au format papier – une rupture médiatique et un retour en arrière du numérique vers l’analogique. De plus, les plans en 2D nécessitent des informations qui sont à vrai dire déjà disponibles dans le modèle BIM 3D. Pourquoi ne pas tout simplement soumettre le modèle BIM ?
Le personnel de l’autorité de construction reçoit les plans et documents imprimés. Commence alors la répartition des documents entre les services compétents. Les documents au format papier sont transportés ou envoyés de part et d’autre. S’ensuivent les vérifications : les plans et documents 2D fournis sont-ils complets ? Peut-être la demande de permis de construire doit-elle être corrigée et soumise à nouveau. Ce n’est qu’ensuite qu’intervient la vérification du respect de toutes les dispositions légales et techniques. Une procédure assez longue suit son cours. La numérisation ne serait-elle pas également utile à l’autorité dans ce cas ?
C’est précisément ces questions que soulève la numérisation des procédures des autorités. Elle devrait aider aussi bien les équipes de planification que les pouvoirs publics dans le cadre du processus d’autorisation. Mais comment y parvenir ?
Degré de maturité numérique
Le modèle de maturité (graphique p. 188 en haut) montre les différents niveaux de numérisation dans le processus d’autorisation. Le Niveau 0 correspond à la saisie analogique en 2D : par le passé, les documents analogiques caractérisaient le processus d’autorisation. Les équipes de planification dessinaient tous les plans à soumettre.
Depuis l’introduction de la CAO, les plans sont imprimés et apportés sous la forme de plans papier avec de nombreux autres documents à l’autorité. Celle-ci les répartit entre les services compétents.
En Autriche, nombre de communes et de Länder travaillent déjà sur la première étape de la numérisation. Le Niveau 1 représente la soumission numérique des demandes de permis de construire : au lieu d’apporter les plans papier aux autorités, il existe une
plateforme web permettant de télécharger les plans et les documents au format PDF. La répartition des documents entre les différents services se fait automatiquement et en réseau avec des bases de données. Cette première étape de numérisation n’est pas aussi simple qu’il n’y paraît. Il est important que la plateforme web soit conçue de telle sorte, sur le plan technique, que les étapes ultérieures de la numérisation puissent être réalisées rapidement et facilement.
L’étape suivante correspond au Niveau 2 et intègre la maquette numérique : ici, les équipes de planification exportent le modèle Open BIM dans l’IFC (Industry Foundation Classes), le standard ouvert pour l’échange de données dans le secteur de la construction. L’utilisation d’Open BIM est essentielle, car les équipes de planification peuvent ainsi choisir librement leur logiciel compatible BIM. Les autorités, quant à elles, peuvent enregistrer les modèles mis en ligne et les utiliser à long terme, car la structure de données IFC est normalisée ISO. La vérification s’effectue désormais directement sur les modèles Open BIM.
Enfin, au Niveau 3, l’autorité dispose déjà d’un plan d’aménagement basé sur un modèle et peut l’utiliser pour vérifier les modèles Open BIM.
Le processus d’autorisation Open BIM
A Vienne, une équipe de chercheurs a développé un processus d’autorisation Open BIM en collaboration avec les services de la ville dans le cadre du projet Brise-Vienna, financé par l’Union européenne. Ce projet était entièrement axé sur le Niveau 2. Pour cela, l’équipe a d’abord représenté l’ensemble du processus d’autorisation analogique en le cartographiant, puis l’a optimisé pour établir le processus d’autorisation numérique Open BIM.
Seule la vérification semi-automatique des modèles Open BIM permet d’alléger la charge de travail des collaborateurs de l’autorité de construction. Cela requiert trois modèles : le modèle de demande de permis de construire BAM, le modèle de référence REM et le modèle d’informations de service SIM (graphique p. 188 en bas). Ces trois modèles fusionnent dans le modèle de vérification de l’autorité. Il permet à celle-ci d’effectuer les vérifications semi-automatiques des dispositions légales et techniques en matière de construction.
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Documents analogiques (plan, demande…)
Soumission analogique en 2D
Plateforme web
Niveau 1 Niveau 2 Niveau 3
Dépôt en ligne des documents de soumission
Communication basée sur le web Mise en réseau de bases de données
Soumission numérique des demandes de permis de construire
Niveau 0 SIM
Soumission
Vérification semi-automatique
Plan d’aménagement modélisé +
Contrôle
Communication basés sur un modèle
Consultation
Soumission Open BIM + Achèvement / jumeau numérique
Procédures d’autorisation Open BIM
Analyse du processus réel → objectif Intégration modèles Open BIM
Procédures des autorités Open BIM
Base 3D constructibilité
Le modèle de maturité montre les différents niveaux de numérisation (0, 1, 2 et 3) dans le processus d’autorisation.
BAM (maquette numérique)
Modèle de vérification de l’autorité
REM
IFC (Industry Foundation Classes) est le standard ouvert pour l’échange de données dans le secteur de la construction.
Trois modèles (BAM, SIM et REM) fusionnent dans le modèle de vérification de l’autorité dans le standard IFC.
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Ingénierie & Production
Le BAM déposé constitue la maquette numérique de l’architecture. Il est soumis à des exigences précises (Level of Geometry, Level of Information), car le BAM doit contenir toutes les informations qui étaient déjà exigées jusqu’ici lors d’une soumission classique. Il doit par exemple indiquer quelles pièces sont des pièces de séjour, car des dispositions spéciales s’y appliquent. Le REM représente les restrictions imposées par le terrain à bâtir ou le plan d’aménagement. Quant au SIM, il correspond à un cube symolisant les dispositions qui ne sont pas représentées géométriquement, mais qui sont nécessaires pour les vérifications juridiques et techniques.
L’autorité peut ainsi contrôler le BAM par rapport au REM et au SIM. Trois types de règles de vérification sont prévues à cet effet : les règles de vérification automatiques, les règles de vérification semiautomatiques et les règles de vérification auxiliaires. La règle de vérification automatique fournit un résultat univoque : disposition respectée ou non respectée. Les largeurs requises pour les portes, une taille suffisante des surfaces vitrées pour éclairer les pièces de séjour ou le respect des alignements et des hauteurs en sont des exemples. La règle de vérification semi-automatique indique un résultat, mais nécessite encore une décision de la part de l’autorité. L’analyse des issues de secours en est un exemple. Enfin, la règle de vérification auxiliaire aide graphiquement la personne chargée de l’évaluation, par exemple en affichant les éléments porteurs.
Ce type de vérification des modèles Open BIM soumis accélère considérablement le processus d’autorisation. De nombreuses étapes chronophages sont effectuées par le logiciel de vérification et ne doivent plus être réalisées par l’autorité elle-même.
Vérification avant le dépôt
La délai de vérification des dispositions légales et techniques n’est pas le seul facteur influençant la durée du processus d’autorisation. Les documents doivent être complets et de qualité suffisante pour être examinés et approuvés. Si tel n’est pas le cas, des documents supplémentaires doivent être demandés ou ceux qui ont été soumis doivent être renvoyés pour être améliorés.
L’exhaustivité des documents peut être obtenue dès le Niveau 1 grâce à la conception appropriée du masque de soumission de la
plateforme web. Dans le cadre du projet Brise-Vienna, l’équipe de chercheurs a mis en place une mesure qualitative supplémentaire : le contrôle préalable avant même la soumission. Cela permet de vérifier le modèle de demande de permis de construire BAM avant même le dépôt. Dans la mesure où l’autorité n’est pas encore impliquée, un contrôle est effectué avec toutes les règles de vérification automatique. L’équipe de planification peut vérifier le BAM autant de fois qu’elle le souhaite. Elle ne soumet le modèle que lorsque la vérification automatique ne signale plus aucune erreur.
Le processus d’autorisation Open BIM développé dans le cadre du projet BriseVienna montre que la numérisation des demandes de permis de construire est d’un grand soutien tant pour les équipes de planification que pour les autorités. Grâce à la vérification préliminaire automatique, les équipes peuvent améliorer leurs modèles BIM jusqu’à ce qu’ils soient d’une qualité suffisante pour être approuvés. L’autorité bénéficie d’un excellent outil d’assistance qui lui épargne des vérifications chronophages. Au cours de la procédure, le modèle Open BIM soumis offre des possibilités supplémentaires. Le recours à la réalité augmentée permettrait de visualiser l’ouvrage prévu directement sur le terrain (au lieu des gabarits ou en plus de ceux-ci).
Christian Schranz (49 ans) a commencé ses travaux de recherche à l’Université de l’Illinois aux Etats-Unis et les a poursuivis à l’Université technique de Vienne, où il dirige aujourd’hui le champ d’étude Processus de construction numérique. Ses recherches portent sur la modélisation des constructions et la numérisation dans le secteur de la construction. En tant que membre du conseil d’administration de Building Smart Austria, il est responsable du management de la qualité et de la formation Open BIM. Il fait partie de la commission d’examen pour la formation BIM-cert. Chez Building Smart International, il fait partie du comité de pilotage de la certification professionnelle. → www.tuwien.at/cee/ibb/zdb
Harald Urban (31 ans) est directeur adjoint du champ d’étude Processus de construction numérique à l’Université technique de Vienne, maître d’œuvre diplômé d’Etat et l’un des premiers formateurs certifiés (BIM) de Building Smart Austria. Il y dirige le groupe de travail national sur les procédures d’autorisation Open BIM, dont il poursuit le développement dans le cadre du projet de recherche Brise-Vienna financé par l’Union européenne. Il est coauteur de l’étude « Potenziale der Digitalisierung im Bauwesen » (Potentiels de la numérisation dans la construction), commandée par la Chambre de commerce autrichienne et le Ministère autrichien de la protection du climat. → www.tuwien.at/cee/ibb/zdb
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Mission
En collaboration avec nos clients, nous identifions le potentiel d’évolution des sites, des terrains, des projets de construction et des biens immobiliers, et le mettons en œuvre pour une utilisation efficace de nos ressources.
Effectifs
370 collaborateurs et collaboratrices
Chiffre d’affaires 2022
CHF 800–900 millions
Conseil d’administration
Balz Halter
Président
Roger Dettwiler
Urs Ernst
Nicolas Iynedjian
Martin Neff
Membres
Organisation de l’entreprise
Markus Mettler
CEO
Thomas Bachmann
Corporate Services
Andrin Gantenbein
Service juridique
Anna Domagala
Communication
Alexandra Stamou
Gestion des produits et de l’innovation
Olivier Thomas
Suisse romande
Raphael Burkhalter
Région de Berne
Raphael Strub
Suisse centrale et du Nord-Ouest
Rolf Geiger
Suisse orientale
Alex Valsecchi
Gestion des investissements
Prestations globales
Développer, planifier et réaliser de manière optimale constituent nos compétences fondamentales. Dans ce cadre, les stratégies des projets et entreprises de nos clients sont au centre de nos préoccupations et nous guident.
Organisation Maik Neuhaus
Directeur général
Diego Frey
Ingénierie / Planification et construction numériques
Marcel Weber
Région de Bâle
Daniel Blaser
Région de Berne
Frédéric Boy
Suisse romande
Oliver Kern
Région de Zurich
Adrian Roth
Business Development
Nous identifions les tendances et les plusvalues potentielles, nous développons des visions d’utilisation ainsi que des modèles commerciaux, et nous élaborons des Business Cases pertinents servant de base aux investissements de nos clients et partenaires.
Organisation
Ede I. Andràskay
Directeur général
Suisse orientale
Philip Kiefer
Suisse centrale
Rénovations
Nous savons déceler la plus-value apportée par une rénovation durable ou la réaffectation d’un bien immobilier existant, et mettons en œuvre des solutions rentables, pérennes et tournées vers l’avenir.
Halter SA en un coup d’œil
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HALTER SA
Organisation
Anna von Sydow
Directrice générale
Daniel Handschin
Développement et acquisition
Roland Baron
Alexander Delev
Burim Mustafa
Réalisation
Lars Steffen
Ingénierie
Développements
Nous développons et réalisons des biens immobiliers conformes au marché et prenant de la valeur. Les besoins des investisseurs et des usagers ainsi qu’un urbanisme offrant une plus-value durable sont au premier plan.
Organisation
Andreas Campi
Directeur général
Kurt Ernst Baumann
Responsable Développement
Paulo Brandao
Responsable Développement Suisse romande
Silvan Bohnet
Responsable Développement Bâle
Mario Ercolani
Gestion des constructions Est
Bertrand Borcard
Gestion des constructions Ouest
Adresses
Siège social Schlieren
Halter SA
Zürcherstrasse 39
8952 Schlieren
Tél. +41 44 434 24 00
Bureau de Bâle
Halter AG
Freilager-Platz 4
4142 Münchenstein
Tél. +41 61 404 46 40
Bureau de Berne
Halter AG
Europaplatz 1A
3008 Berne
Tél. +41 31 925 91 91
Bureau de Lucerne
Halter AG
Am Mattenhof 12
6010 Kriens
Tél. +41 41 414 35 40
Bureau de Lausanne
Halter SA
Rue de Genève 17
1003 Lausanne
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LE MAGAZINE DE HALTER SA
No 16/2023
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Ont participé à cette édition
Hubertus Adam, Philippe Béchet, Johannes Buchinger, Beatrice Catalani, Dan Cermak, Héloïse Gailing, Sabrina Golob, Benoit Hauviller, Joris Jehle, Sherin Kneifl, Matthias Knuser, Bettina Kunzer, Vittorio Magnago Lampugnani, Daniela Meyer, Florian Müller, Martin Neff, Maik Neuhaus, Robin Neuhaus, Jan Paulich, Damian Poffet, Nele Rickmann, Philipp Schelbert, Christian Schranz, Patrick Senn, Alexandra Stamou, David Strohm, Harald Urban, Lukas Wassmann, Reto Westermann
Correction et composition édition allemande
Patrizia Villiger
Traduction édition française
Supertext AG, Zurich
Correction édition française
Mario Giacchetta
Images en couverture
Lotissement coopératif Huebergass, coopérative de développement «Wir sind Stadtgarten», Berne. © Damian Poffet
Tirage
12 000 exemplaires (édition allemande) 2000 exemplaires (édition française)
Lithographie et impression
Druckerei Odermatt AG, Dallenwil
Remarque
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