1920-2012
CARTOGRAPHIE ET ATLAS EN DESIGN GRAPHIQUE
Illustration de couverture « Marking Europe High Speed » - Lust
Historiogaphie du design graphique - Catherine De Smet Janvier 2013 Héloïse Chaigne
SOMMAIRE
00 Introduction 001 Présentation des revues
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01 Place de la carte dans AMG et Eye : comment le design graphique supplanta la géographie 011 AMG - conservatisme ou éclectisme ? 012 Eye - tourné vers le futur 013 Comparaison
02 L’exemple d’un article en relation avec une édition 021 AMG, publicité engagée
10 20 28
0211 Seine, chef-lieu Paris, l’atlas engagé de l’explorateur local 022 Eye, planète de papier : le désir inassouvi 0221 The Atlas of the conflict, l’atlas dont vous êtes le héros
30 34 42 48
03 Conclusion
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04 Bibliographie
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00 introduction Comment le sujet de la carte a-t-il évolué dans le design graphique ? L’objet graphique carte a-t-il été perçu différemment ? Afin de s’interroger sur l’histoire du design graphique, il s’agit ici de s’intéresser à un sujet, et à son traitement, à travers une revue des années 1920-1930 et dans une revue contemporaine. Le regard sur la carte, la cartographie et ses dérivés a-t-il évolué depuis les années 1920 ? Quelles seraient les différences, les nuances, les constantes ?
Ce choix de la carte et de l’atlas comme sujet vient du constat de la récurrence du sujet dans la revue AMG (AMG). Si, certes, cela n’est pas un sujet majeur pour la revue, comme peuvent l’être le livre ou la typographie, il n’empêche qu’on peut observer une certaine régularité dans l’apparition d’articles liés aux thèmes de la carte, qu’ils soient géographiques, historiques, concernant des expositions, etc. Ce choix d’un thème comme angle de comparaison n’est pas innocent. La cartographie est un sujet qui concerne tant mes expériences professionnelles propres (le paysage) que l’actualité du design graphique. La carte et les atlas se trouvent à la convergence de plusieurs approches : scientifique, poétique, artistique, etc., mais il est toujours question de représentation graphique (représenter un espace), de techniques d’impression (dessin, gravure...), de typographie (légende, commentaire...) et d’édition (dans le cas des atlas).
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Introduction
La cartographie serait donc un objet du design graphique, puisqu’il s’agit de représenter graphiquement une réalité. Il paraît évident que la carte et ses techniques de réalisation ont évolué. Il ne s’agit pas ici de faire un historique de la cartographie ou de l’atlas, mais plutôt de tenter de mesurer la manière dont ce sujet est traité, de voir comment ce sujet prend place dans le domaine du design graphique. La cartographie, considérée souvent comme liée à la géographie, devient-elle un domaine propre au graphisme, ou reste-elle en périphérie, comme un moyen de représentation plus qu’un objet d’étude ? Quelles reconnaissance ou appartenance peutelle avoir ? Si, au préalable, on s’attend à noter de grosses différences dans les cartes elles-mêmes, on part ici de l’idée que la carte est un objet graphique avant tout, qui de manière générale, séduit jusqu’à devenir un sujet à la mode. Les cartes et les atlas ont produit une vaste littérature, mais cela ne date pas d’aujourd’hui. Quelle constante dans le goût pour les cartes trouvera-t-on ?
Il est évident que la définiton du terme de « cartographie » a bougé entre les années 1920 et aujourd’hui. En faisant une recherche par mot-clé sur les sites internet d’Étapes ou Eye, on trouve un grand nombre d’articles sur la cartographie. Le terme de cartographie s’étend aujourd’hui à une méthode de représentation, de classification; on cartographie aussi des choses immatérielles, comme des relations entre éléments, personnes, des moments etc., en plus des données spatiales. La carte n’est plus seulement une représentation de l’espace. Cela se trouve également dans l’acception d’« atlas », qui, au-delà de la question géographique, fait référence à un mode de classement, d’archivage. Le Larousse définit ainsi l’atlas comme un « Recueil ordonné de cartes, conçu pour représenter un espace donné et exposer un ou plusieurs thèmes (géographie, économie, histoire, astronomie, linguistique, etc.) ; ensemble de planches de même destination joint à un ouvrage. » L’enjeu sera donc de démêler les nouvelles compréhensions des termes, pour mesurer l’évolution du traitement du sujet cartographie, dans son acception spatiale à travers l’étude de deux revues éloignées dans le temps.
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001 PRÉSENTATION DES REVUES ARTS ET MÉTIERS GRAPHIQUES EYE
La revue AMG est créée en septembre 1927 et diffusée jusqu’en 1939. Lancée par Charles Peignot, directeur de La Fonderie, elle sert de vitrine pour présenter les caractères que Debergny et Peignot créent, en dépassant cet aspect publicitaire. AMG est aussi une maison d’édition, qui publie des livres, des revues, des albums jusqu’en 1974. En plus de ces deux facettes, elle publie aussi les Divertissements Typographiques, ouvrant un atelier de composition, donnant un autre aspect à La Fonderie, celle de conseil sur la composition, se plaçant en position de concurrence avec d’autres ateliers. Un des objectifs de la revue est la valorisation de la typographie française, les sujets les plus abordés sont le livre et la typographie.
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Introduction
Les perspectives d’étude sont abordées selon un angle tant contemporain qu’historique. Revue de luxe à l’époque, elle propose toute une gamme d’échantillons, de papiers et de techniques d’impression divers, en réimprimant tels quels les documents qui les intéressent, couvertures de livre, gravure, dessins, publicités, textures, etc. On ne constate pas de grille générale au magazine, on est plutôt face à de la composition par article, qui amène des techniques d’impression différentes tout le long d’un même numéro. Un numéro est imprimé par morceaux puis relié. Au-delà de l’aspect visuel de la revue, c’est aussi l’aspect tactile (par les différences de papier) qui joue un rôle majeur dans la perception du magazine. Le format 24,5 par 31 compte environ 70 pages, assez dynamiques vu la variété de textures et de compositions rencontrées.
Couvertures de la revue Arts et MĂŠtiers Graphiques - 1927/1939 source : http://amgweb.rit.edu/issue_index.asp
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La revue anglaise Eye, sous-titrée The International review of design graphic, a été créée à Londres en 1990 par Rick Poynor. Écrivain britannique, Rick Poynor commence en tant que journaliste, sur des sujets comme les arts visuels, puis le design, le design graphique, la typographie et la culture visuelle. Il travaille pour le magazine Blueprint, à Londres. Auteur actif, il écrit pour d’autres revues de design graphique, comme la revue Emigre (n°51 – 1999).1 Il fonde Eye et en est l’éditeur de 1990 à 1997. Il continue d’écrire pour le magazine, laissant la place à Max Bruinsma de 1997 à 1999, puis John L. Walters depuis 1999. Cinq maisons d’édition se sont succédées à la publication de la revue : Wordsearch, East Midlands Allied Press, Quantum Publishing, Haymarket Group et Eye Magazine Ltd. Eye est un périodique publié quatre fois par an, sous-titré par saison. Il est composé d’une même grille de mise en page qui propose des variations tout au long de la revue. Un ou deux articles principaux se différencient du reste de la revue par leur papier. Parfois coloré, parfois blanc, il marque souvent un article plus long, une interview. Il s’agit (pour les derniers numéros, du moins) des mêmes papiers, qui varient de couleur. À chaque publication, Eye invite des caractères typographiques à se présenter - ce que la revue appelle des « guest typefaces » -, avec le lien du créateur et
du site où les trouver. Le format 24 par 32 compte entre 100 et 130 pages. Chaque numéro comporte une demi-douzaine de titres principaux notés sur le dos, par rubriques (articles thématiques : typographie, photographie ; interviews : Vignelli, Robin Kinross..) ou par numéro spécial (musique et design, histoire de l’infographie). Le sujet qui revient le plus souvent étant la typographie (« commercial type », « typographic covers », etc), ce qui se retrouve d’ailleurs par le nombre de publicités consacrées aux nouveaux caractères. Eye représente une vision contemporaine du design graphique, leur propre description, très succincte, évoque une position confiante, large et universelle : « Eye is the world’s most beautiful and collectable graphic design journal, published quarterly for professional designers, students and anyone interested in critical, informed writing about design and visual culture. »2 La comparaison de AMG avec Eye permettra d’avoir un regard global sur ce thème, dans une revue reconnue du design graphique. Eye semble être une revue de grande distribution, adaptée à un large public, en restant experte et qualifiée dans la qualité de ses articles. Elle semble représenter une position contemporaine sur la question du design graphique, sans être trop pointue, sans être accessible aux seuls professionnels. 2 http://www.eyemagazine.com/about
1 http://www.emigre.com/Editorial. php?sect=1&id=13
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Introduction
Couvertures de la revue Eye - 1991/2012 source : http://www.eyemagazine.com/issues
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Dans un premier temps, une approche globale, en commençant par répertorier les occurrences des articles liés à la carte et aux atlas dans les revues, permettra de voir quelles sont les acceptions et tendances dominantes qui caractérisent la cartographie. Pour ce faire, il sera intéressant d’observer, en parallèle du traitement du sujet dans AMG, les tendances contemporaines sur le sujet. Nous nous intéresserons ensuite à la revue Eye, de la même manière, en répertoriant les articles et en tentant de trouver une tendance générale contemporaine, que l’on pourrait ensuite comparer à celle d’AMG. Par la suite, un parallèle plus précis mettra en relation deux articles des deux revues qui ont pour objet un atlas : la maison d’édition AMG éditant l’atlas de la Seine, Eye consacrant un article au travail d’atlas de Joost Grootens. Après avoir étudié ces deux articles, nous nous pencherons sur les atlas eux-mêmes. La comparaison permettra d’étudier les formes et regard de chacune des revues sur les publications
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Introduction
contemporaines d’atlas. Sur un article précis, il sera intéressant de noter les différentes manières de présenter formellement un atlas. Quelles sont les méthodes utilisées pour mettre en valeur le travail de cartographie et les objets graphiques qui en découlent ? Enfin, nous verrons ces deux atlas eux-mêmes, Seine, chef-lieu Paris, de Léandre Vaillat, et The Atlas of the conflict de Joost Grootens, pour observer d’éventuelles différences dans la fabrication d’un atlas et prendre la mesure des changements opérés dans le design graphique.
Extraits de cartes en parallèle revues AMG et Eye articles « Plans d’urbanisme » AMG et «Joost Grootens : Paper planet »Eye atlas Seine, chef-lieu Paris et Atlas of the conflict
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011 Place de la carte dans AMG et Eye ARTS ET MÉTIERS GRAPHIQUES conservatisme ou écletisme ?
Une des spécificités de la revue AMG est le rapport aux publicités et la difficulté parfois à donner un statut aux « articles ». Pour observer les occurrences du sujet cartographique dans la revue, il ne fallait pas s'arrêter au seul sommaire, mais bien regarder l'entièreté de la revue. Le sommaire lui-même est subdivisé en deux parties : articles et planches hors-texte. Imprimées à part, sur des papiers et par des techniques spéciaux, ces planches sont distinguées dans le sommaire. Elles ne sont d'ailleurs pas nécessairement commentées par un article. Par ailleurs, d'un numéro à l'autre, on trouve des références (une publicité qui fait écho à un article sur un ouvrage qui vient de paraître)1, des objets graphiques non identifiés, des commentaires non référencés dans le sommaire. Ces deux aspects de la revue, entre « article spécifique »2 et statut flou d’un texte hésitant entre la publicité et l’article, fait que l'on ne s'est pas arrêté au sommaire, de peur de manquer des occurrences. 1 Voir le cas des numéros 9 et 10 à propos du Grand Atlas de géographie 2 La revue est composée d’articles juxtaposés, n’étant pas pensés pour une unité graphique finale.
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Place de la carte dans AMG et Eye
comment le design graphique supplanta la géographie
La liste qui suit laisse penser que l’apparition du sujet n’est pas régulière chronologiquement parlant. En plus de ces diverses occurrences, la maison d’édition Arts et Métiers Graphiques publie en 1934 le livre, ou plutôt l’atlas, Seine, chef-lieu Paris. Cet atlas est présenté dans la revue par un article dont le statut est brouillé une fois de plus. À la fois publicité, annonce, très visuel dans sa composition (on le verra), il est tout de même signé et référencé en tant qu’article, et propose une position critique et un regard très contemporain. Les articles d’AMG ont cette particularité d’être assez diversifiés.
n°7 - 1928 - Maximilien Vox - « Rentrée des classes» n°9 - 1929 - D. Aïtoff - « Comment sont faites les cartes d’un grand Atlas de géographie » n°10 - 1929 - Planches hors textes : Pages en couleurs extraite du Cours supérieur de géographie de Jean Brunhes « Arguments graphiques » M.V. (non référencé dans le sommaire) publicité pour le Grand Atlas de géographie du XXe siècle n°30 - 1932 - André Bérines - « Au fil du Yang-Tsé » Jean Galloti - « Cartes et portulans » n°41 - 1934 - Robert Brun - « Un illustrateur / graveur méconnu, Dronce Finé » n°42 - Maximilien Vox - couverture de catalogue n°43 - 1934 - Jean Galloti - « Les Cartes anciennes de l’Exposition du Sahara » n°44 - 1934 - L. L. - « Plans d’urbanisme » Planche hors texte - « Plan de Suresnes » n°48 - 1935 - Jean-Philippe May - « Plan des villes de France et des Colonies » n°50 - 1935 - Louis Chéronnet - « Créations des mondes » Planche hors-texte - « Une feuille à plat d’un globe Forest, image du monde » n°53 - 1936 - Charles Peignot - « le Groupe de l'Imprimerie et du Livre à l'Exposition de 1937 » n°54 - 1936 - Robert Marichal - « Les plans des routes de France, de Trudaine et Perronet » Planche hors texte : « Plan de la route de paris le havre (1771) » n°56 - 1936 - A. Bargilliat - « La cartographie à grande échelle en France » Planches hors-textes : « Cartes extraites de Ptolémée et Mercator », imprimées par l'imprimerie union sur papier couché une face des papeteries Grillet et Féau n°57 - 1937 - A. Bargilliat – « La cartographie à grande échelle en France, suite et fin » Planches hors-textes : « Fragment de la nouvelle carte au 1/50 000° en couleur du Service Géographique de l'Armée » - vélin pur chiffon fabriqué spécialement par les papeteries d'Arches, imprimée en 5 couleurs par les soins du service géographique de de l'armée n°59 - 1937 - planches hors-texte : « Carte géographique extraite de l'Atlas pratique de la librairie Hachette », imprimé par l'Imprimerie Henry Maillet à Paris « Fragments de cartes, extrait de la planche "réseau hydrographique et régimes fluviaux" de l'Atlas de France », publié par le Comité National de Géographie. Chromo spécial des Papeteries Aussédat. Gravé et imprimé par la société française de cartographie, 121, bd St Michel, Paris « Carte Michelin au 200 000° » (extrait de) tirage offset en cinq couleurs n°62 - 1937 - M. T. Bonney - « New-York 1939 » n°68 - 1938 - Héron De Villefosse - « Les plans de Paris »
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Planches hors-texte « Rentrée des classes » [in] AMG n°7 « Comment sont faites les cartes d’un grand atlas de géographie », [in] AMG n°9 « Une feuille à plat d’un globe Forest, image du monde », [in] AMG n°50 « Carte géographique extraite de l’Atlas pratique de la librairie Hachette » [in] AMG n°59 « Fragments de cartes, extrait de la planche «réseau hydrographique et régimes fluviaux» de l’Atlas de France » [in] AMG n°59 « Carte Michelin au 200 000° » (extrait de) [in] AMG n°59 Photographies Héloïse Chaigne, Bibliotèque Forney.
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Place de la carte dans AMG et Eye
Dès les premiers articles, AMG met en avant la dualité de la carte : entre bel objet et document utile, « petits chefs-d'œuvre d'intelligence et d'édition moderne », « la carte vise à devenir plaisante à l'œil en même temps que lisible » écrit M. Vox dans l'article « Rentrée des classes », de septembre 1928, à propos des manuels scolaires. On lit autant de descriptions visuelles « vues de mille mètres, les couleurs sont assez bêtes : celle d'un aquarelliste débutant, du brun rouge, beaucoup de cendre verte, de l'indigo, un peu de jaune, et du vert-de-vessie pour les arbres, [...] dessin d'un cubisme minutieux et expressif »3 que de descriptions techniques. Dans l'article « Comment sont faites les cartes d’un grand atlas de géographie », de Aïtoff, on peut lire une très longue description de la fabrication de la carte : « Le dessin et la gravure d’une grande carte originale passent souvent par un grand nombre de mains. Un dessinateur dessine le réseau des méridiens et des parallèles et l’hydrographie : côtes, cours d’eau, lacs, etc. Cette première partie de la carte étant gravée, on tire une épreuve et sur cette dernière le même dessinateur ou souvent un autre, dessine le figuré du terrain qui sera gravé par un graveur autre que celui qui a gravé ce qu’on appelle le trait. Nouvelle épreuve sur laquelle quelquefois un troisième dessinateur rédige le modèle de lettre. Si la gravure se fait sur le cuivre, cette lettre est gravée par deux personnes : le graveur qui ébauche les pleins et le liaisonneur qui termine la gravure
de chaque lettre. La carte dessinée, gravée, revue par son auteur, passe à l’imprimerie. Si elle est gravée sur cuivre, on la tire en taille-douce. Gravée sur pierre, elle est tirée en lithographie et, dans ce cas, elle peut être tirée en couleurs. » Une série de phrases très techniques comme celles-ci présente en détail les différentes étapes de l'élaboration de la carte. On note un fort intérêt pour l’aspect pédagogique, qui est sans doute une des spécificités de la revue. Dans ces articles, la pédagogie passe surtout par le texte, par la description des étapes de fabrication de l’objet. AMG présente souvent, et pas seulement pour les cartes, les processus, les modes de fabrication, comme des modes d’emploi pour l'élaboration d'un objet. Ce regard très contemporain s'intéresse aux techniques actuelles et aux innovations techniques. Après reliure, on trouve dans les volumes la table des matières des numéros par année. Les articles sont alors classés par catégories : « Illustrateur caricaturiste », « La photographie et les photographes », « Variétés », « Articles de tête », « Histoire du livre et de l'imprimerie », « Monographie d'artistes », « Actualité graphique », « Technique », « Bibliophilie » et « La publicité ». On s'attend à trouver principalement les articles concernant les cartes et plans dans la catégorie Variétés mais on trouve cependant quelques exceptions.
3 « Rentrée des classes », M. Vox, [in] AMG, n°9, 1928
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En particulier, l'article « Plans d'urbanisme », qui est référencé dans « Technique », et auquel nous nous intéresserons plus précisément plus tard. La variété des articles touchant à la carte et la cartographie n’est pas seulement thématique mais temporelle puisque AMG s’intéresse aussi bien aux réalisations du passé qu’aux projets contemporains. On trouve tout autant des articles liés à des expositions historiques (sur les cartes et portulans par exemple) que des articles liés aux projets d'urbanisme contemporains (l'exposition universelle de New-York en 1939 donne lieu à un article sur la ville, son évolution et ses projets contemporains, ainsi qu'une impression sur bristol saumon raisin de 35 kgs des papeteries Maunoury). À travers les cartes, AMG s'intéresse aussi aux formes des villes, comme avec l'article « Plans Manuscrits de Paris », qui réagit à l'exposition du Palais de la Ville de Paris en présentant une série de plans de projets de la ville de Paris. L'article se conclut d'ailleurs par une critique de certains projets contemporains : « Le plus grand Paris laisse éclore bien des projets absurdes dont nos petits fils s'amuseront comme du prolongement de la rue Champollion jusqu'à la mer. »
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Place de la carte dans AMG et Eye
L’article « Arguments graphiques » de Maximilien Vox, signé de ses initiales, du n°10, se détache du reste, semblant être un commentaire des planches hors-texte « Pages en couleurs extraite du Cours supérieure de géographie» de Jean Brunhes. Ce court article de quelques phrases n'est pas référencé dans le sommaire, mais approche le sujet de la géographie d'une manière assez inattendue : ce que M. Vox appelle des « arguments graphiques extraits du cours supérieur de géographie » ressemble à ce qu'on nommerait aujourd'hui des « datascapes ». On y voit quatre figures informatives et quantitatives, comme par exemple « le pôle sud est un massif de 3000 mètres, le pôle nord une fosse profonde », ou « toute la population de la terre tiendrait sur la surface du département de la seine » ou encore « si le sel contenu dans la mer était étalé sur la surface du globe, il formerait une couche haute de 47-50 mètres » et « si l'or contenu dans la mer était partagé entre tous les habitants de la terre, ils auraient chacun d'eux un bloc valant 120 millions ». Ces petites informations géographies et quantitatives sont ensuite représentées graphiquement par des petits schémas de statistiques que M. Vox qualifie de « pittoresques ».
Statut flou La planche hors-texte du n°10 « Pages en couleurs extraite du Cours supérieur de géographie de Jean Brunhes » est accompagnée d’un commentaire signé M. V. « Arguments graphiques » hésite entre l’article et la légende, offrant la seule occurence de « design d’information » de la revue. Photographies Héloïse Chaigne, Bibliotèque Forney.
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Composition littérale Les titres d’articles dans AMG n’hésitent pas à reproduire littéralement le sujet dont ils parlent, créant ainsi une fusion fond-forme ornementale. Photographies Héloïse Chaigne, Bibliotèque Forney.
À la diversité des articles s’associe la diversité des compositions. Chaque article est composé différemment, et souvent, les articles de tête ont une mise en page très illustrative, le texte se fondant dans les formes des objets dont il parle. Pour les différents articles sur les cartes historique, les paragraphes sont en forme de planisphère, de globe, etc.
Composition littérale Les articles « Au fil du Yang-Tsé » (n°30 - 1932 - André Bérines), « Créations des mondes » (n°50 - 1935 - Louis Chéronnet) et « La cartographie à grande échelle en France »(n°56 - 1936 - A. Bargilliat) continuent à reproduire littéralement le sujet dont ils parlent, à l’intérieur même des pages, créant ainsi une fusion fond-forme ornementale complète. Photographies Héloïse Chaigne, Bibliotèque Forney.
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Place de la carte dans AMG et Eye
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Diversité des articles « Cartes et portulans », Jean Galloti [in] AMG n°30 - 1932 Photographies Héloïse Chaigne, Bibliotèque Forney.
En conclusion, l'approche générale du sujet de la cartographie pour AMG semble assez éclectique. Si au départ elle semble très tournée vers l'aspect historique ou plastique, on se rend vite compte que cela va au-delà. On retiendra bien sûr le regard très technique de la revue qui présente souvent des cartes seules dans le seul but de montrer un papier et une technique d'impression. Ce qui frappe, c'est également l'orientation critique et contemporaine de la revue, qui ressort même dans des articles historiques, qui prennent position sur des projets d'urbanisme. La carte, l'atlas, sont des moyens de participer au projet urbain et paysager.
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Place de la carte dans AMG et Eye
Diversité des articles « Comment sont faites les cartes d’un grand Atlas de géographie », D. Aïtoff [in] AMG n°9 - 1929 « New-York 1939 »,M. T. Bonney [in] AMG n°62 - 1937 Photographies Héloïse Chaigne, Bibliotèque Forney.
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012 Place de la carte dans AMG et Eye EYE tourné vers le futur Pour la revue Eye, une recherche par mots-clés sur le moteur de recherche du site web a fait apparaître une grande diversité d’articles. Le moteur de recherche propose de sélectionner le type d’article recherché, critique d’ouvrage ou d’exposition, article du blog, article de la revue, auteur, notes, opinions, etc. Pour tenter de garder une équivalence entre la recherche sur AMG et Eye, on a conservé toutes les entrées, laissant la possibilité de trouver des articles très courts, mais qui pourraient correspondre aux articles non référencés dans le sommaire. Pour le terme « geography » on trouve vingtdeux entrées, pour « cartography » on en trouve treize, pour « map » on en trouve deux cent cinquante, pour « atlas » quarante-deux et enfin pour « Joost Grootens » on en trouve douze. Bien sûr, certains articles réapparaissent dans les différentes recherches. En regardant plus en détail ces articles, on peut réduire de moitié au moins le nombre d’articles qui concernent directement la carte et l’atlas. Le marqueur sémantique de géographie laisse une grande possibilité d’interprétation, dirigeant vers des articles majoritairement à thématique « internationale » ; que cela soit par
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Place de la carte dans AMG et Eye
comment le design graphique supplanta la géographie
l’interview d’un designer étranger, la parution d’un livre sur le graphisme hollandais, ou le travail spécifique du graphisme financier, etc. L’approche géographique ne correspond pas du tout au regard qu’on peut trouver dans AMG, qui s’intéresse au domaine scolaire par exemple. Ce sont surtout à travers les critiques que l’on trouve des articles consacrées aux cartes et plans : ceux-ci sont d’ailleurs majoritairement liés au plan de métro, comme par exemple l’article du 25 janvier 2011 « Going Overground », sur le travail de Lulu Piney, qui traite du plan du métro londonien et plus spécifiquement au travail d’illustration de l’artiste de la ligne Picadilly. Plusieurs articles liés à des expositions traitent du même sujet : « A tale of two diagrams », publié pour la première fois dans le n° 83 du volume 21 (2012), évoque rapidement l’exposition « Mind the map » à Londres, à travers l’histoire du plan de métro de Londres, et des diagrammes de Harry Beck. « Essentially it’s a story about two different approaches to the map: the informational and the decorative. The underground’s network map is now an icon of information design and
through a series of examples the story of the emergence and development of Harry Beck’s diagram is made clear. » Il est dit explicitement en quoi la carte de métropolitain est bien un domaine du design graphique, soit en qualité de design d’information, soit par sa qualité graphique illustrative. En 2010, un article sur le blog paraissait déjà afin d’évoquer ce même sujet des cartes de métropolitain. En commençant par la carte de Harry Beck, l’article montrait en quoi le dessin iconique du plan de métro dissocié de la géographie terrestre était devenu un standard, sans forcément correspondre à une simplification de la réalité. Écrit par Maxwell Robert, un psychologue, il présentait également l’exposition Underground Maps Unravelled : Explorations in Information Design. Sur les plans de métropolitain, on trouve un article de 2012, publié dans le n°83 également, présentant Massimo Vignelli, designer à New York. À travers une interview entre le designer et R. Roger Remington, l’article présente l’ensemble du travail de Massimo, et en particulier sa carte System Map du métro new-yorkais, qui suit les diagrams de Beck. Cette interview amène Vignelli à interroger la notion de « design d’information » : pour lui, le terme permet de différencier le travail d’un designer graphique et d’un artiste graphique. « We are information architects who structure information. Like architecture, what we do is not only structural but it is also appearance and visual form. »
Captures d’écran Going Overground A tale of two diagrams Knots and geography source : http://www.eyemagazine.com/
Eye
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Dans le cas du marqueur sémantique « cartography », les articles sont beaucoup plus ciblés. La moitié d’entre eux correspondent au numéro 78 de la revue, numéro consacré au design d’information. Une fois de plus, la carte est associée au design d’information plus qu’à un objet artistique ou historique. On trouve également des critiques d’ouvrages récents, référencés dans différents numéros de la revue comme l’Atlas of Remote Islands, de Judith Schalansky, publié par Particular Books / Penguin qui apparaît dans le numéro 78, ou encore Else/where: Mapping - New Cartographies of Networks and Territories édité par Janet Abrams and Peter Hal, qui apparaît dans le n° 61 d’automne 2006. Le terme « atlas » annonce lui aussi une assez grande diversité d’articles. Cela tient, comme pour cartographie, à l’acceptation large du terme. Le sujet d’un atlas n’est pas nécessairement l’espace, et c’est pourquoi on trouve aussi des atlas de livres « the big book of books » ou de typographie.1
1 Un article de 1991 (publié dans le n° 2 de la revue) de Rick Poynor présente le travail de Jake Tilson, un artiste peintre dont l’obsession est de retranscrire le paysage urbain. Créant une maison d’édition, il publie « Atlas », une revue occasionnelle. Le travail de l’artiste est une acceptation particulière de la carte et de l’atlas.
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Place de la carte dans AMG et Eye
Ce sont également les articles et critiques du numéro 78 que l’on trouvera par cette recherche, ainsi qu’un grand nombre d’articles dont les sujets sont autres que l’atlas géographique ou spatial. Figures and Facts , Great moments in information design, du numéro 78, est composé de seize articles. Consacré à la cartographie véritablement, on en trouve sept : « Hail that cab map » – NYT Taxi frequency map – Mark Porter « Pin Point » – Google Maps – Jack Schulze « Undergrowth » – iA’s Web Trends Map – John Ridpath « Drawn to the land » – Wainwright’s guide – Angharad Lewis « Future projections » – The true size of Africa – Saki Mafundikwa « Life’s little detours » – Chris Ware’s book wrapper – Eric Heiman « Joost Grootens: paper planet » - John L. Walters
La partie « review », quant à elle,fait une critique de Mapping the city of the future, Migropolis: Venice / Atlas of a Global Situation et The Atlas of Remote islands, comme on l’a vu plus tôt. Sur ces huit articles, quatre ont pour sujet la cartographie de véritables espaces (Google Map, le web, le guide et les atlas de Grootens), deux des localisations de données spatiales (la densité de taxis selon les lieux et la taille du continent africain), et un est une mise en espace par la cartographie d’un tout autre domaine (une narration).
Figures and Facts - Eye n°78 - hiver 2010 article de tête photographies Héloïse Chaigne, Bibliotèque de l’ENSAD
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Figures and Facts - Eye n°78 - hiver 2010 Hail that cab map- NYT Taxi frequency map – Mark Porter Pin Point - Google Maps – Jack Schulze photographies Héloïse Chaigne, Bibliotèque de l’ENSAD
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Place de la carte dans AMG et Eye
Figures and Facts - Eye n°78 - hiver 2010 Future projections – The true size of Africa – Saki Mafundikwa Life’s little detours – Chris Ware’s book wrapper – Eric Heiman eview : Mapping the city of the future, Migropolis: Venice / Atlas of a Global Situation et The Atlas of Remote islands photographies Héloïse Chaigne, Bibliotèque de l’ENSAD et Bibliothèque Forney
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Il est étonnant que les choix des auteurs aient porté sur des réalisations du XXe siècle au plus tard, alors que l’introduction de l’article propose « to select some great moments in information design history, from the familiar to the obscure ». Les projets choisis sont des références que l’on peut encore qualifier de contemporaines, en ce qu’elles utilisent des moyens de fabrication (internet, le web, la signalisation routière) assez récents et en plein développement. L’article «Drawn to the land» fait exception : introduisant A pictorial guide to the lakeland fells, de A. Wainwright, publié en 1960, il met en avant un travail de cartographie et de description entièrement fait à la main, textes compris. L’auteur, A. Lewis, co-éditeur de la revue Grafik, entame son article en mettant en perspective l’utilisation de l’ordinateur. Les qualités requises pour un bon graphisme informatif sont pour lui autant la précision, la clarté et la pensée analytique qu’un esprit vif et sensible engage en même temps qu’une réflexion sur l’utilisateur final, la manière dont il va lire et interpréter le document. Il conclut par le fait que pour lui, ce livre, au-delà de son aspect pratique, est tout simplement intéressant pour sa beauté. « Alfred Wainwright was not a designer, but his remarkable mapping project, (...) is loved by designers and walkers alike ». Il semble être le seul à évoquer le graphisme comme n’étant pas l’affaire uniquement des graphistes,
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Place de la carte dans AMG et Eye
en prenant comme référence un travail réalisé avant l’existence du terme « graphisme », mais qui à son avis y a autant sa place. À l’opposé, l’article de John Ridpath, écrivain et développeur, semble correspondre à l’actualité du design graphique et de la conception de la carte. Son article présente la cartographie d’internet, The Web Trend Map réalisée par le groupe Information Architects. Il s’agit d’une carte qui reprend les codes graphiques des plans de métro, pour représenter ce domaine virtuel qu’est le web. L’introduction de son article s’attache à démontrer, en prenant appui une fois de plus sur les plans de métro, que l’exactitude et la correspondance géographique ne sont plus indispensables pour dessiner une carte. Il en ressort que la carte prend appui sur une réalité spatiale (le plan de Tokyo) pour faire correspondre les lieux principaux d’internet aux stations. « Google was moved from Shibuya, "a humming place for young people" to Shinjuku "a suspicious, messy, yakuzacontrolled, but still pretty cool place to hang out" ». La référence aux plans de métro est faite dans trois différents articles : on voit l’impact de cette nouvelle forme de cartographie, une fois de plus.
Figures and Facts - Eye n°78 - hiver 2010 Undergrowth – iA’s Web Trends Map – John Ridpath Drawn to the land – Wainwright’s guide – Angharad Lewis photographies Héloïse Chaigne, Bibliotèque de l’ENSAD
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013 COmparaison
Si le sujet de la carte revient régulièrement dans la revue Eye, il s’avère moins présent que dans AMG. La cartographie en tant que domaine spécifique est peu étudiée, pas plus que la géographie. L’approche du sujet diffère aussi par le point de vue. Quand AMG propose autant des articles sur l’actualité que des articles historiques, Eye ne s’intéresse pas autant au point de vue historique. On sent que l’idée de design graphique a évolué entre ces deux moments, devenant un domaine peutêtre plus spécialisé. Les cartes montrées sont en effet toujours produites par des graphistes, ou des artistes, mais pas par d’autres corps de métiers, ou très rarement. L’angle d’attaque des deux revues diffère aussi dans l’aspect pédagogique : AMG développait l’aspect technique (jusqu’à en faire une rubrique) tandis que Eye ne s’y arrête qu’en complément d’un article (comme dans le cas de Joost Grootens). Hors de ces cas, Eye n’aborde pas l’aspect technique de la fabrication.
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Place de la carte dans AMG et Eye
La différence majeure est en fait la manière dont la cartographie est abordée : finalement, Eye Magazine, comme on l’a vu, définit assez bien les deux aspects de la carte, aspect graphique illustratif voire décoratif, et aspect scientifique, informatif. Certes, ces deux aspects sont indissociables la plupart du temps, cependant l’angle d’approche chez Eye est majoritairement informatif. Presque toujours lié à la définition du design d’information, la carte et les atlas sont traités comme des exemples de cette nouvelle apparition des termes « information design », « data visualisation » etc., laissant de côté l’aspect historique de la carte. On ne trouve quasiment aucun article qui traiterait des cartes d’avant le XIXe siècle. Les cartes historiques sont présentes, mais surtout à travers des innovations fortes comme le premier plan de métropolitain. AMG aborde quant à elle beaucoup plus les cartes anciennes et les modes plus « classiques » ou « ornementaux » de la cartographie. Cela se matérialise par une récurrence des articles sur les portulans et cartes
historiques, souvent écrits d’ailleurs par la même personne : Jean Galloti. Cependant, il faut nuancer. Cette approche historique de AMG n’est pas majoritaire. Si elle est plus présente que dans Eye, elle n’en est pas exclusive pour autant. Comme on l’a vu, l’approche de AMG est aussi très contemporaine ; elle expose un regard critique sur d’autres domaines, comme l’architecture, le paysage, ou l’urbanisme. Chez Eye, cette approche en biais n’existe pas. La recherche sémantique autour des notions d’urbanism ou landscape architecture n’ouvre sur aucun plan, carte ou projet. L’étude plus fouillée de deux articles représentatifs des deux revues nous permettra d’établir plus précisément les spécificités de chacune.
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ARTS ET MÉTIERS GRAPHIQUES Plans d’urbanisme publicité engagée
La première phrase de l'article annonce directement l'enjeu de la double page : « Arts et Métiers graphiques publie un livre en cinq volumes de M. Léandre Vaillat, intitulé Seine, chef-lieu Paris. » L'article apparaît a priori comme une forme de publicité pour l'atlas que la maison d'édition AMG édite. Il est composé d'une double-page, avec à droite une illustration sur papier spécial, et à gauche un court article. L'étoile formée par les quatre paragraphes en parallélépipèdes pointus semble faire directement référence au code graphique conventionnel de la cartographie : l'indication du Nord et la rose des vents normalement dessinés sur chaque carte. Cette composition donne l'impression d'un article surtout visuel et spectaculaire, par cette forme assez étonnante pour un texte, par ailleurs assez peu adaptée à la lecture. La forme pointue de chaque paragraphe induit des justifications inégales et des césures assez brutales à la lecture.
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021 L’exemple d’un article en relation avec une édition
De plus, si l'ordre de lecture est indiqué par un chiffre à chaque pointe, il ne paraît pas évident en première lecture. En face de cette composition très spécifique on trouve une planche horstexte, un échantillon d'une des cartes de l'atlas. Celle-ci est le plan de Suresnes, dessiné par M. De Groer, imprimé en lithographie, en couleurs, par Mourlot frères, sur vélin Aussédat. Pour mettre en valeur la carte, comme à leur habitude, AMG n'hésite pas à l'imprimer séparément, pour choisir un papier et une technique qui mettront parfaitement en valeur l'objet. Le ton est à la fois très appréciateur, présentant de manière très positive l'ouvrage (« un écrivain dont la compétence en ces matières est unanimement appréciée » et « un urbaniste formé à la meilleure école ») et assez sec, décrivant succinctement et précisément le plan présenté et le lieu auquel il fait référence.
L’exemple d’un article en relation avec une édition
Arts et Métiers Graphiques n° 44 Plans d’urbanisme – L. L., vue d’ensemble et détail de la planche hors-texte. Photographies Héloïse Chaigne, Bibliotèque Forney.
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Après lecture, on se rend compte que l'article n'est pas seulement un article de forme mais que les choix opérés dans cette double-page ne sont pas neutres. En effet, la planche imprimée en illustration est tout de même le plan d'urbanisme de Suresnes, ce qui ne paraît pas innocent dans les années 1930. L'article fait d'ailleurs directement référence au maire socialiste de Suresnes ; Henri Sellier : « On remarquera que ce plan, à l’initiative de M. Sellier, respecte le principe du zoning, cher à tous les urbanistes. » Maire pendant vingt-deux ans, Henri Sellier met en place les cités-jardins de Suresnes, projet d'urbanisme lancé en 1915 par l'Habitation à Bon Marché (HBM), commencé en 1921 et abouti en 1939, qui comprend, en plus des logements collectifs et individuels, un dispensaire, une crèche, des groupes scolaires, des équipements sportifs, des lieux de culte catholique et protestant, un théâtre, un magasin coopératif, un foyer pour célibataires et une maison pour personnes âgées. Henri Sellier, qui évolue entre le
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parti communiste, la SFIO et le Parti Socialiste Révolutionnaire, est à l'origine de nombreuses cités-jardins autour de Paris, et est très engagé dans le renouvellement urbain de la région parisienne. Le choix de Suresnes, qui est la cité-jardin la plus importante et sûrement la plus étudiée aujourd'hui, semble être une position assez forte pour la revue AMG. L'article encense le projet de M. Sellier. « Il sauvegarde les pentes et les glacis du fort du Mont Valérien. Il installe une belle cité-jardin [...]. Il s'efforce d'assurer la jonction entre les deux parties de la commune [...] ». S'agit-il d'une position politique ? Sans aller jusque-là, on voit en tout cas une fois de plus l'éclectisme et la position très contemporaine de la revue, qui édite un ouvrage récent et novateur, montrant l'« importance de cette vaste synthèse ». L'article, même court, prend position sur cette question de l'urbanisme : de manière globale, en tant qu'éditeurs, AMG se positionne comme « attentif non seulement au passé mais aussi au présent et au futur ».
L’exemple d’un article en relation avec une édition
Plus spécifiquement, chaque commune a été étudiée et différenciée : « Si nous considérons maintenant le plan de Neuilly, nous remarquons qu’il comporte des servitudes ; mais elles manquent de logiques ». Il n'hésite pas à critiquer les plans existants et certains projets, comme celui de Courbevoie, qui « ne tient pas assez compte du zoning ni des îlots anciens... ». L'article se veut critique et pas seulement descriptif « Ainsi les plans de M. De Groer constituent par leur évidente clarté une critique assez malicieuse de la conception que les municipalités suburbaines se font de l'urbanisme. ». L'article n'oublie pas l'aspect graphique des cartes, en citant M. De Groer d'une part, mais aussi en expliquant certaines illustrations, comme un mode d'emploi de lecture du document graphique : « Celui [le plan] du département de la Seine, qui sert de frontispice à l’ouvrage, constitue une sorte de simplification, mettant en relief le sens de la circulation par route, par chemin de fer et par eau, des cercles marquent les schémas des centres d’agglomération actuelles... ». L'article apparaît alors, à un second degré de lecture, comme engagé, qui, s'il se veut spectaculaire et publicitaire, défend une position critique forte en arrière-plan. Nous verrons en observant l’atlas lui même si cette position critique fait écho à la position de l’auteur, Léandre Vaillat.
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ARTS ET MÉTIERS GRAPHIQUES Seine, chef-lieu Paris l’atlas engagé d’un l’explorateur local
Léandre Vaillat est un écrivain du XXe siècle, qui a écrit sur deux domaines principaux : la danse et la géographie régionale. Il écrit pour la revue L'illustration une série d'articles classés sur l'art et le régionalisme.1 L'atlas Seine, chef-lieu Paris est publié par AMG en 1937 en cinq volumes. Le premier se consacre aux communes du nord-ouest ; le second aux communes du nord, est et sud. Léandre Vaillat explique ce choix géographique dans une petite introduction : « J'ai discerné un premier complexe de communes s'insérant dans la boucle que la Seine décrit au Nord de Paris, [...]. Je crois pouvoir en distinguer un autre dans la plaine Saint-Denis [...]. » L'atlas s'attelle à la description de chacune de ces communes, à partir de cartes historiques (géologique, carte des chasses), pour expliquer leurs créations, localisations et évolutions. Les communes se suivent comme un trajet : on passe d'Aubervilliers à La Courneuve, en allant vers le nord, puis vers le Bourget. De manière générale, l'atlas se lit comme
0211 L’exemple d’un article en relation avec une édition
une promenade géographique. L'auteur le dit lui-même, dans sa postface : « Je suis l'homme qui a mis cinq ans pour faire le tour de Paris. [...] Avant de commencer mon voyage, sinon autour de ma chambre, au moins autour de Paris, je prétendais que les environs recelaient dans les méandres de leur labyrinthe compliqué plus de mystère que le Hoggar. Après avoir achevé ma pérégrination, je suis encore plus persuadé de la quantité d'inconnu qu'ils contiennent ». Se plaçant dans une lignée d'écrivains voyageurs, il donne un tour sensible et assez poétique aux communes de la Seine. Cette position « sportive », comme il l'appelle, vient en réaction à la décision de l'Assemblée Nationale de délimiter le département de la Seine par un cercle de trois lieues de rayon, le centre étant le parvis de Notre-Dame, créant des irrégularités et qui provocant des levées de boucliers. Son arpentage physique du terrain l'amène à expérimenter la réalité des décisions d'aménagement urbain.
1 bibliographie.lebeaulivre.com/leandre-vaillat. php
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L’exemple d’un article en relation avec une édition
Composition dynamique Les paragraphes dans Seine, chef-lieu Paris, sont irréguliers, laissant des blancs et des espacements dans la page,. Photographies Héloïse Chaigne, Bibliotèque Forney.
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Chaque commune est décrite assez précisément, avec son lot d'anecdotes locales, « Dans un champ, on distingue les fragments de l'enceinte circulaire [...] et dans de Chabrol, le pont Madame, sur lequel la Duchesse d'Angoulême passa la première, à cheval, le 10 septembre 1817 ». L'auteur n'hésite pas à nous interpeller : « Poursuivez votre chemin vers Stains... ». Progressivement, l'auteur en arrive à décrire une situation contemporaine de la commune, et propose un regard critique sur les projets urbains : « La principale affaire est évidemment de faciliter la circulation sur la route nationale n°1 [...]. Comment éviter cet entassement ? Par deux voies : l'une à l'est, l'autre, à l'ouest, qui contournerait [...] 2 ». Les situations et lieux d'intérêts sont illustrés par des photographies ou des plans, dessinés par M. De Groer la plupart du temps quand ils sont contemporains. À la fin du deuxième volume, l'auteur signe une postface où il exprime ses intentions et positions politiques et civiques à travers cet atlas « Je crois avoir assez fait ressortir, au cours de ce livre, les bizarreries de la délimitation des communes de Seine, chef-lieu Paris, pour qu'il soit utile d'y revenir. »
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L'ouvrage est d'une composition assez classique et continue, avec colonnes de textes et illustrations centrées. Chaque commune y est présentée par ordre géographique, avec des articles illustrés qui présentent l'histoire et les caractéristiques du lieu, leur état actuel et pour certaines le plan d'urbanisme réalisé par M. De Groer. On trouve dans cet atlas les spécificités d'AMG. L'ouvrage a beau avoir une structure continue, on y trouve des fantaisies, dans la composition de la page tout d'abord. La composition n'est pas la même tout au long de l'atlas. Chaque chapitre est composé différemment. Sans aller jusqu'aux illustrations de biais que l'on trouve dans la revue, l'espace de la mise en page se permet quelques irrégularités : dans les fins de chapitres les paragraphes se distinguent, les colonnes ne se remplissent pas sur toute la longueur de la page et on joue avec l’espace de la page. Pour plus de cohérence entre le fond du chapitre et la forme, les caractères de titre varient pour chaque lieu, avec le souci d’adapter le caractère au lieu, afin de le représenter au mieux. Dans le cas de Levallois-Perret, on trouve un caractère sans empattement, qui rend compte l'aspect moderne de la commune, alors que pour Neuilly, on trouve un caractère plus ornemental, avec empattements, qui correspond à l'aspect plus conservateur de la commune.
Seine, chef-lieu Paris, p.96
L’exemple d’un article en relation avec une édition
Composition les paragraphes [in] Seine, chef-lieu Paris, sont irréguliers, laissant des blancs et des espacements dans la page. Photographies Héloïse Chaigne, Bibliotèque Forney. Adaptation Les caractères des titres de chapitres sont choisies pour représenter le lieu décrit. [in] Seine, chef-lieu Paris Photographies Héloïse Chaigne, Bibliotèque Forney.
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Enfin, l'impression de l'atlas offre le même souci du détail que dans la revue : les cartes sont imprimées sur des papiers spéciaux, plus épais, en couleurs et on trouve des cartes dépliables en fin d’ouvrage. Celles-ci sont consacrées à l'aménagement de la région parisienne, et présentent les projets d'habitations, de routes, de points de raccordements de circulation, etc.
cartographies les cartes historiques (carte des chasses) et plans d’aménagement [in] Seine, chef-lieu Paris, sont imprimées sur des planches spéciales. photographies Héloïse Chaigne, Bibliotèque Forney
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L’exemple d’un article en relation avec une édition
cartographies les cartes historiques (carte des chasses) et plans d’aménagement [in] Seine, chef-lieu Paris, sont parfois pliées et manipulables. photographies Héloïse Chaigne, Bibliotèque Forney
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Lecture illustrée La proportion texte/image dans Seine, chef-lieu Paris laisse entendre que l’image a un rôle illustratif. Photographies Héloïse Chaigne, Bibliotèque Forney.
Cet atlas très descriptif se place en réaction à une situation politique d'actualité. Si on s'attendait, après lecture de « Plans d'urbanisme », de L.L., dans AMG, à une description plus agressive et critique des projets contemporains, on est étonné par l'approche plus locale que L. Vaillat propose. On ne trouve que quelques plans d'urbanisme, et majoritairement des descriptions historiques et paysagères, ainsi que des propositions d'aménagements. Le ton est différent, Vaillat se plaçant plutôt comme un guide, parlant à la première personne et nous proposant des trajets, des choses à observer, etc. La place du graphisme n'est pas principale. Orientée par le point de vue de l'écrivain, les cartes choisies sont des cartes historiques et les illustrations principalement des photographies descriptives. Les quelques plans d'urbanisme se font rares, et il s'agit finalement plutôt d'un ouvrage à lire qu'à regarder.
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L’exemple d’un article en relation avec une édition
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EYE Joost Grootens : paper planet planète de papier : le désir inassouvi
Le numéro 78, d'hiver 2010, de la revue Eye propose un dossier spécial sur le design d’information, intitulé « Figures and facts ». Il consiste à interroger des professionnels du graphisme en leur demandant de choisir une réalisation qui à leurs yeux représente ce domaine du design graphique, le design d’information. L'article se présente comme une série de doubles pages consacrées chacune à un designer et la réalisation qu’il a choisie. Cette diversité d'intervenants et leur liberté amène un regard contemporain (celui du designer) associé à une grande variété d'œuvres : plan de métro, infographisme, carte de randonnée, atlas, cartographie de données, nouveaux moyens de cartographier (Gps, Google Map), signalisation... Ce dossier est complété d'un article long consacré à Joost Grootens, afin de présenter son travail d'atlas. Comme il s'agit d'un numéro spécial, la carte est représentée dans toutes les parties de la revue, autant dans les articles centraux que dans l'éditorial que dans la « review ».
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022 L’exemple d’un article en relation avec une édition
L'intitulé du numéro « Figures and facts », n'est pas directement lié à la cartographie. Et une fois de plus, on voit qu’il s'agit plutôt de parler de design d'information que de cartographie au sens strict. L'article est composé de deux parties : un premier dossier central sur pages jaunes, uniquement textuel, et six doubles pages de papier couché brillant, d'illustration. L'article principal de la revue Eye est toujours mis en avant par cette distinction de papier. Au-delà de cette séparation, on ne remarque pas de différence de texture. Cette première partie est composée régulièrement, une grille structure l'ensemble de l'article. Celle-ci est pourtant assez spécifique : la page est divisée verticalement en tiers, le texte se plaçant sur les deux tiers supérieurs, laissant une marge en bas de page qui permet d'isoler et de mettre en avant des citations. Celles-ci, composées d'un caractère plus grand, sont marqués par un filet très gras, d'environ 1 cm d'épaisseur. Le texte est par ailleurs composé en deux colonnes, non justifié.
L’exemple d’un article en relation avec une édition
Figures and Facts - Eye n°78 - hiver 2010 Joost Grootens : paper planet Photographies Héloïse Chaigne, Bibliotèque de l’ENSAD.
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Les blancs de tête et de grand fond sont équivalents et assez petits, (environ 1 cm). Des sous-titres permettent de structurer la lecture. L'article, très facile à lire, confortable visuellement, raconte l'histoire de Joost Grootens, comme une sorte de compterendu d'interview. Globalement, il s'agit de présenter à la fois le designer, son travail, sa position . Grootens est d'abord présenté comme un autodidacte du graphisme, ayant à l'origine étudié l'architecture. Par la suite l'article est plutôt axé sur son travail : un paragraphe est consacré à expliquer le travail graphique et les choix de J. Grootens. Pour réaliser les atlas, il commence en étudiant trois manuels scolaires dont un en CMJN afin de comprendre pourquoi les plus anciens sont préférables. Il déduit de cette observation sur l’utilisation et l’impression des couleurs que ce dernier est affreux par rapport aux deux plus anciens, qui ont dix ou douze couleurs. Ce travail des couleurs pour ses propres atlas est de fait très important. L'exemple du Lime Atlas est donné : pour être lié à l'histoire du paysage hollandais, il fallait trouver une couleur qui montre la transition du marais au polder, du bleu au vert. Pour cela, il explique « I made a family of patterns with blue and green dots that illustrate this transition. » De la même manière, l'article présente les étapes du travail de Grootens, dont le travail préparatoire : « Grootens usually makes one
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or two 70x100 cm test prints, on which he put many variations of patterns ink mixes, trying out different papers ». Pour The Atlas of the Conflict, Grootens teste sept ou huit papiers différents avant de choisir « Gardapat kiara » et « Royal Print Matt ». L'article met en valeur les qualités de détails des atlas : « I added a varnish that covers the maps and seals it off as if it were covered by a sheet of glass. The edges of the paper that one touches when leafing through the book are unvarnished and here the texture, the full tactility of the paper, can be experienced. » Après cette partie explicative sur la fabrication des atlas, l'article ouvre sur les autres productions de Grootens, sa réflexion sur l'actualité de l'objet livre et les ouvertures qu'il propose à ses clients (site internet, impression sur demande, etc.). Pour lui, le design est autant pour le lecteur que pour l'auteur. Il se positionne dans la lignée de la tradition hollandaise : « excellent type and fine printing, and it comes from a culture that has long valued the social rôle of design ».
L’exemple d’un article en relation avec une édition
Figures and Facts - Eye n°78 - hiver 2010 Joost Grootens : paper planet Un détail d’une carte est photographié et fait la transition entre l’article et les atlas. Photographies Héloïse Chaigne, Bibliotèque de l’ENSAD.
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Figures and Facts - Eye n°78 - hiver 2010 Joost Grootens : paper planet Détail des informations techniques. Photographies Héloïse Chaigne, Bibliotèque de l’ENSAD.
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Les onze pages suivantes ont pour objets les atlas. Une première page seule montre une photographie d'un détail d'une page d'un atlas. Les cinq doubles pages sont consacrées aux cinq Atlas de Joost Grootens. Ces cinq atlas sont présentés selon la même structure, avec les mêmes informations, et une grille structure l'ensemble sans pour autant créer une sensation de répétition visuelle. Pour chaque atlas on trouve des photos de la couverture, ainsi qu'une série de doubles pages du livre ouvert à plat, avec parfois le cordon de marque-page laissé en évidence. Un petit texte présente le format, les dimensions, le nombre de pages, la langue, les auteurs et éditeurs, l'impression et les techniques d'impression, le papier, la couverture, la ou les typographie(s) choisie(s), les logiciels utilisés pour la réalisation des documents présentés, et les récompenses obtenues. Malgré ces détails riches, on est frustré de n'avoir qu'une seule photographie à échelle 1 des atlas. En effet, après des détails sur les qualités et choix des papiers et encres (fluorescentes, métalliques, relation avec les papiers) de l'article, on aimerait nous aussi sentir cette qualité du papier, la texture et la brillance des encres, etc. De plus, si on a des informations sur le format de chacun des atlas, à aucun moment on ne les voit manipulés. Du fait de la richesse de l'article, fort de détails sur la précision, la minutie et la qualité des livres, on en vient à souhaiter avoir des échantillons pour mesurer et apprécier ces qualités. L’observation de l’un de ces atlas répondra peut-être à ce désir de manipulation, et nous verrons si l’article est confirmé par l’ouvrage lui-même.
L’exemple d’un article en relation avec une édition
Figures and Facts - Eye n°78 - hiver 2010 Joost Grootens : paper planet présentation des cinq atlas de Joost Grootens Photographies Héloïse Chaigne, Bibliotèque de l’ENSAD.
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EYE The atlas of the conflict l’atlas dont vous êtes le héros
The Atlas of the conflict est le travail de l'architecte israélien Malkit Shoshan. Confronté lors de ses études au rapport entre les territoires israélien et palestinien, il décide d'engager des recherches sur les relations territoriales entre Israël et Palestine durant les cent dernières années. « I was interested in comparing the two processes of creating Israel while erasing Palestine. (...) I don't see this book (...) as intentionally political. I wanted only to make a straightforward analysis of the territorial features of the Israeli-Palestinian conflict. » Dès le départ, cet atlas ne se pose pas comme un atlas géographique; il s'agit de montrer les relations entre les deux territoires, et ce à partir de la cartographie d'informations comme les populations, l'évolution historique, le Mur, etc. Pour le design de cet atlas, Shoshan fait appel à Grootens qui dès l'introduction nous donne un mode d'emploi bienvenu de l'ouvrage.
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0221 L’exemple d’un article en relation avec une édition
Fort de ses 480 pages, l'atlas n'est en effet pas évident à décrypter. L'aspect simple des cartes quand on le feuillette séduit visuellement, mais la quantité et la répétition perdent le lecteur. Pourtant, l'ouvrage est très clairement structuré. En premier lieu, l'atlas est composé de deux parties distinctes : « the atlas part » et « the lexicon part ». Les deux parties sont mutuellement connectées par des renvois numériques en bas de page aux textes ou images correspondantes selon la partie où l’on se trouve. Shoshan justifie cette mise en relation « to lose the hierarchical or linear order in the book ». Une fois de plus, la mise en pratique de ces relations n'est pas évidente. Les correspondances faites sont multiples et parfois complexes, puisqu'il faut chercher dans la page lexique la définition qui correspond. Les marques-pages sont alors utiles, permettant de naviguer d'une partie à l'autre, de manière dynamique, selon le goût du lecteur. Par ailleurs, le livre peut se lire dans différents sens, puisque les références ne se correspondent pas forcément. On s'approche d'une vision dynamique et
L’exemple d’un article en relation avec une édition
Détails The Atlas of the Conflict La lecture est aidée par un système de renvois en bas de pages et par des délimitations des chapitres visibles sur la tranche. Photographies Héloïse Chaigne, Bibliotèque de la cité de l’architecture.
interactive du livre, comme les « livres dont vous êtes le héros », où l'enchaînement de la lecture se fait par proposition.1 De fait, l'atlas pourrait se lire d'innombrables manières différentes. Dans toute la partie cartographique, on ne trouve presque aucun texte, sauf pour certaines définitions ou en tête de chapitre. En effet, les deux parties sont elles-mêmes divisées en chapitres : « Borders », « The Wall », « Pattern of settlements », « Settlement typologies », « Demography », « Land Ownership », « Landscaping », « Water », « Archaeology and preservation », « Jerusalem » pour la partie « Atlas »; « Gallery », « Timeline » et « Negociations » pour la partie « Lexicon ». Les chapitres sont ensuite distingués sur la tranche, à l'aide d'un module positionné sur le côté, ce qui aide à se repérer quand on tient l'ouvrage en main. Les papiers diffèrent très légèrement pour les deux parties, la partie atlas étant imprimée sur un papier blanc, légèrement plus épais et brillant, tandis que la partie lexique est imprimée sur un papier plus fin et légèrement plus gris et texturé. 1 À la fin de la lecture d’un paragraphe, le lecteur a le choix entre plusieurs possibilités, représentant les actions du personnage qu’il incarne. Ces possibilités renvoient à d’autres paragraphes, qui développent les conséquences des choix du lecteur. http://fr.wikipedia.org/wiki/Livre-jeu
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Cartographies The Atlas of the Conflict varie ses moyens de cartographies et d’informations. Photographies Héloïse Chaigne, Bibliotèque de la cité de l’architecture.
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L’exemple d’un article en relation avec une édition
La partie lexique est organisée alphabétiquement et chronologiquement, et montre une temporalité, des événements marquants, des citations, etc. Très illustrée par des photographies, des diagrammes, des définitions, cette partie renvoie à une vision plus générale, non personnelle de l'auteur. En plus de photographies de l'auteur, on trouve des références faites à divers sites internet, Youtube, Wikipédia, seamless-israel.org, etc. Grootens argumente ensuite ses choix graphiques: « To allow for a concentrated reading of the maps, with all their subtleties in content, the size of the book has been kept small, (...). To further avoid distraction, the proportion of the book fit tightly the shape of the map of Israel-Palestine. » Dans l'article qui lui est consacré dans le numéro 78 de Eye, il explique que ce format lui vient de la manipulation d'un guide bleu français. La taille du guide qui tient dans la main l'a convaincu de refaire intégralement toute la mise en page de cet atlas. Il annonce dès le départ les différents formats de cartes utilisées. Celles-ci n’ont d'ailleurs pas forcément d'échelle : en feuilletant l'atlas, on constate qu'il y a plusieurs types de cartographies et documents, des cartes du territoire entier, à grande échelle, des zooms sur ces
cartes, des détails spécifiques (comment est fait un kibboutz, schémas architecturaux), des diagrammes spatiaux sans échelle (par exemple pour l'évolution historique des frontières, ou les implantions de population), des diagrammes quantitatifs (populations, histoire...). Pour rendre ces documents faciles à lire, Grootens utilise un code graphique assez simple a priori : une palette colorée binaire (bleu et brun, puis noir, gris et mélange des deux), et une large palette de motifs qui représentent de manière très simplifiée les objets cartographiés (localités palestinienne et israélienne, camp de réfugié, ville, kibboutz, etc.).
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Détails graphiques The Atlas of the Conflict La simplification de motifs ne rend pas la carte simple à lire, mais séduit. Photographies Héloïse Chaigne, Bibliotèque de la cité de l’architecture.
Superposition d’information The Atlas of the Conflict Les données sont rassemblées en diagrammes, melant histoire, stastiques, géographies, pour créer une infographie complexe et complète. Photographies Héloïse Chaigne, Bibliotèque de la cité de l’architecture.
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Si ce code graphique semble simple, la lecture ne l'est pas forcément. Car les couleurs, aplats ou motifs, restent abstraits, et les cartes sont souvent extraites d'un contexte géographique, sans fond de plan général. Tous ces documents ne donnent pas leur conclusion au premier coup d'œil. Il faut comprendre les différents types de documents, les associer en en lisant plusieurs à la fois pour opérer soi-même les comparaisons et tirer des conclusions. Mais il s'agit du choix de l'auteur, qui face à une situation très politisée, exprime sa position de ne pas prendre parti. Les documents présentés sont des constats, des descriptions, « using factual data » à interpréter. C'est un ouvrage complexe, de 480 pages qui tente de cartographier une situation géopolitique et pas seulement géographique. Exhaustif, il tente de cartographier une histoire en train de se faire. Il me semble que cet atlas est bien un atlas de territoire et non de terrain : très peu d'informations nous sont en effet données sur le terrain en lui-même (relief, hydrographie, végétation, circulations, etc.). Elles montrent plutôt une organisation, une gestion humaine du territoire. Objet pensé pour sa manipulation, au sens de prise en main mais aussi de sens de lecture, cet atlas invite à une complexité de la pensée. Il se rapproche de l'acception de l'atlas comme recueil. A la limite entre le dictionnaire, l'encyclopédie et le guide, il ne se donne pas au premier venu.
L’exemple d’un article en relation avec une édition
Eye
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03 CONCLUSION
Ces deux atlas représentent bien l'approche générale observée au départ : d'un côté on observe une approche géographique, locale, tournée vers l'histoire, de l'autre un atlas qui semble être tout à fait à la jonction de cette nouvelle forme de cartographie, quand la carte devient un outil d'information. Il va sans dire que la place de la carte, du graphisme n'est pas du tout la même pour les deux ouvrages. Dès le départ, The Atlas of the Conflict présente à égalité l'auteur et le designer, tandis que Seine, chef-lieu Paris n'évoque pas M. De Groer, l'urbaniste associé au projet. Il va sans dire que la proportion de carte n'est sûrement pas la même, la position contemporaine étant axée sur un ouvrage visuel, graphiquement séduisant, alors que celui de 1937 se place comme un ouvrage à lire. Cette position est renforcée par leur positionnement politique respectif : face à deux situations qu'on pourrait qualifier, à différentes échelles, de conflictuelles, l'un choisit de faire un atlas le plus neutre possible face à une situation qui incite souvent de prendre-parti, l'autre engage son atlas dans le conflit même en faisant une réponse politique à une décision qu'il conteste.
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Conclusion
On constate un changement dans la compréhension du design graphique même. L’apparition du terme de « design », sa popularisation, puis celle de « design graphique », donne l’impression qu’aujourd’hui le terme désigne un champ plus spécialisé. Les corps de métiers ne se mélangent plus de la même manière, les graphistes maîtrisant des outils et des références qui ne sont plus les mêmes que les géographes. La notion de carte a explosé, ne faisant plus référence à la seule géographie. Cela va sans doute de paire avec la notion de « design d’information » ou « datavisualisation », « datascape », « dataspace » qui est le sujet du n° 78 (hiver 2010) de la revue Eye. Partant, l’acception de la cartographie en tant que telle est devenue large et abstraite, déconnectée de la géographie, amenant ce terme à être associé à une sous-partie du design d'information.
Dans Data Flow : Design graphique et visualisation d’information1, un chapitre entier est consacré à la notion de paysage. La carte et le paysage sont présentés comme le moyen d’allier organisation des données et démarche esthétique : « En cartographiant les données géographiques en fonction de leur localisation, le designer graphique crée un univers de sens doté de références propres dans lequel attention, précision et répétition sont mises au service d’une explication la plus efficace possible. [...] Superposition et vues explosées sont utilisées pour révéler le fonctionnement interne de systèmes complexes, transformant par là même les données en un paysage de compréhension. Les cartes sont un moyen d’ordonner les informations en fonction de leur taille. » La carte serait, en design graphique, un moyen, et n’est plus considérée comme une finalité. Elle devient une « référence », « Nous sommes constamment en quête de moyens de conférer aux "données" et aux "informations" un aspect plus émotionnel pour que le spectateur puisse les lire de multiples façons. [...] Le DataSpace est structuré d’une façon très semblable à l’espace physique réel qui nous entoure. En reliant la base de données au DataSpace, les processus architecturaux et informatiques donnent naissance à un nouveau type d’intervention : l’infotecture. »2 1 Robert KLANTEN et Gilles BERTON, Data Flow : Design graphique et visualisation d’information, Paris, Thames and Hudson, 2009. 2 Interview de Lust [in] Robert KLANTEN et Gilles BERTON, Data Flow : Design graphique et visualisation d’information, Paris, Thames and Hudson, 2009, p.107
Cette acception et appropriation de la carte par le design graphique semble tout à fait logique : l’apparition des nouvelles technologies de mesure et de fabrication amène une changement de conception de l’objet carte (la photographie satellite, l’ordinateur et les logiciels qui permettent la superposition des informations par calques). L’apparition de la « géographie sociale » a progressivement détourné la carte de son rôle descriptif originel. Roger Brunet3, géographe, liste les utilisations de la cartes dans leur ordre d’apparition chronologique : « voyager, cheminer », « propriété de la terre », « gestion du territoire », « construire, équiper » et « connaissance géographique ». Dans AMG, les quatres dernières catégories sont présentes, de manière assez égale. On retiendra la position engagée de la revue vis à vis des projets d’aménagements. On reste étonné de l’absence d’intérêt pour la carte historique chez Eye, qui n’est presque jamais évoquée, au profit des plans et modes d’organisations. La fabrication du territoire est également laissée de côté. La comparaison entre AMG et Eye ne fait que mettre en avant cette évolution de l’objet carte et l’avènement du design graphique. 3 Brunet, Roger (1987) La carte, mode d’emploi. Paris, Fayard/Reclus.
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04 Bibliographie
Revues Arts et Métiers graphiques, 68 numéros, 1927-1939. Arts et metiers graphiques, tables 19271939. Eye, The International review of design graphic, (numéros 2, 78, 80, 81, 82, 83, 84), 1991- en cours. Eye, http://www.eyemagazine.com/ Les Carnets du Paysage, n°20, « Cartographies », Versailles, ENSP, Arles, Actes Sud, 2010. Ouvrages Roger BRUNET, La carte, mode d’emploi, Paris, Fayard/Reclus, 1987 Joost GROOTENS et Malkit SHOSHAN, The Atlas of the conflict, Israel-Palestine, Rotterdam, 010 Publishers, 2010. Joost GROOTENS, I Swear I Use No Art at All: 10 Years, 100 Books, 18,788 Pages of Book Design, Rotterdam, 010 Publishers, 2010. Robert KLANTEN et Gilles BERTON, Data Flow : Design graphique et visualisation d’information, Paris, Thames and Hudson, 2009. Philip B. MEGGS, A History of Graphic
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Bibliographie
Design [1983], New York, John Wyley and Sons, 1998. Judith SCHALANSKY, Pocket Atlas of Remote Islands, Fifty Islands I Have Not Visited and Never Will, Particular Book, 2012. Léandre VAILLAT, Seine, chef-lieu Paris, France, Arts et Métiers Graphiques, 1934. Michel WLASSIKOFF, Histoire du graphisme en France, Paris, Éditions Carré/ Union centrale des arts décoratifs, 2005. L’atlas des paysages de Seine-et-Marne, Conseil Général du 77, 2007. Atlas des pays et paysages des Yvelines, CAUE 78, 1992. Sites internet, vérifiés au 01/01/2013 http://www.histoiresdephotographie. fr/?p=154 http://amgweb.rit.edu/ http://www.eyemagazine.com/ http://www.fabula.org/actualites/g-didihuberman-atlas-ou-le-gai-savoir-inquiet-loeil-de-l-histoire-3_47191.php http://mondesfrancophones.com/ espaces/periples-des-arts/georges-didihuberman-atlas-comment-remonter-lemonde/
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