Cahier thématique de Hochparterre, mars 2019
Le beau paysage
Une histoire de la zone à bâtir, un voyage dans la vallée de la Reuss, dans le Jura et au bord du lac de Sempach – et la conclusion qui s’impose: une nouvelle initiative pour le paysage est nécessaire.
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Halle d’engraissement de volailles près de Besenbüren.
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Éditorial
Sommaire
4 Une petite histoire de la zone à bâtir Comment toutes les exigences possibles sans aucune vision globale ont rendu poreuse la loi sur l’aménagement du territoire.
8 Une vallée perd son caractère Des fabriques d’animaux, des exploitations horticoles sous serres, des halles industrielles, des silo-tours: la vallée de la Reuss en Argovie est un foyer de l’activité de construction hors zone à bâtir.
12 Le guide est le bréviaire Dans le canton du Jura, un guide définit les limites à l’intérieur desquelles il est possible de construire dans le paysage.
14 Tant qu’à faire, autant que ce soit bien La transformation d’une dépendance de ferme en surplomb du lac de Sempach, un exemple d’une construction réussie hors zone à bâtir.
Et maintenant, le paysage Depuis 1980, la Suisse a une loi sur l’aménagement du territoire. Sa disposition la plus importante: il existe une zone à bâtir. En dehors, il n’est – en principe – pas autorisé de construire. Pourtant, on y construit beaucoup, et le paysage disparaît sous les routes et autres infrastructures, les nouveaux bâtiments agricoles et les constructions touristiques. On construit autant l’extérieur qu’à l’intérieur de la zone à bâtir. En chiffres: rien qu’entre 1985 et 2009, la surface construite hors zone à bâtir a augmenté de 186 kilomètres carrés, ce qui correspond à la superficie des villes de Genève, Zurich, Bâle et Berne réunies. Le Conseil fédéral va consacrer la prochaine révision de la loi sur l’aménagement du territoire à la construction hors zone à bâtir. Mais il hésite à y mettre un terme. La procédure de consultation laisse penser que le Parlement ne changera pas cela – au contraire. C’est pourquoi il est nécessaire, opportun et utile que Pro Natura, la Fondation suisse pour l’aménagement et la protection du paysage, Birdlife Suisse et Patrimoine suisse lancent ensemble une initiative pour le paysage afin de stopper le bétonnage de la nature et des terres cultivables. Ce cahier est consacré à la zone à bâtir et à la zone non constructible. Un essai dépeint leur destin, marqué par 43 exceptions qui favorisent, depuis 1980, la construction hors zone à bâtir. Une visite de la vallée de la Reuss, dans le canton d’Argovie, présente ce que cela signifie pour le paysage. Une visite dans le Jura montre comment le canton gère la construction hors zone à bâtir, et un coup d’œil à une ferme qui surplombe le lac de Sempach donne le ton: si l’on doit construire hors zone à bâtir, que ce soit avec une ambition esthétique. L’initiative ‹ Contre le bétonnage de notre paysage › exige clairement que l’on ne construise que dans la zone à bâtir. Et elle dit que si, exceptionnellement, on construit hors de cette dernière, autant que ce soit en accord avec le paysage. Les photos de ce cahier ont été prises par Vanessa Püntener, vidéaste et photographe de Winterthour connue pour ses images émouvantes de la vie à l’alpage. Pour nous, elle a parcouru le Plateau suisse avec son appareil photo. Köbi Gantenbein
Photo de couverture recto: nouvelle ferme près de Sulz dans un paysage d’importance nationale (inscrit à l’IFP). Photo de couverture verso: une ligne de Swissgrid dans la vallée de la Reuss, près de Rottenschwil.
Impressum Édition Hochparterre AG Adresses Ausstellungsstrasse 25, CH-8005 Zurich, Téléphone +41 44 444 28 88, www.hochparterre.ch, verlag@hochparterre.ch, redaktion@hochparterre.ch Éditeur et rédacteur en chef Köbi Gantenbein Directrice des éditions Susanne von Arx Idée et rédaction Köbi Gantenbein Photographie Vanessa Püntener, www.vanessapuentener.ch Conception graphique et mise en pages Antje Reineck Production Daniel Bernet, Linda Malzacher Traduction Annie Jeamart Lithographie Team media, Gurtnellen Impression Stämpfli AG, Berne Directeur de la publication Hochparterre en collaboration avec Pro Natura et la Fondation suisse pour la protection et l’aménagement du paysage Commandes shop.hochparterre.ch, Fr. 15.—, € 12.—
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Une petite histoire de la zone à bâtir Ce sont le typhus et les avalanches qui ont fondé la zone à bâtir. Mais sa législation a été malmenée au cours des années. Cependant, le paysage a besoin de la zone à bâtir. Texte: Köbi Gantenbein Plans: CNES, Spot Image, Swisstopo, NPOC
Le fléau est venu de l’étranger. En février 1963, un ouvrier italien porteur du typhus l’a amené jusqu’à Zermatt où il habitait dans un baraquement au-dessus du village. Le bacille, transporté par l’eau des toilettes, passa par le ruisseau qui traverse le village pour arriver dans le captage d’eau des hôtels. Et avec la clientèle des hôtels, le voilà qui voyage jusqu’à Berne, Zurich, Paris, Berlin et Londres. État d’alerte dans toute l’Europe. Zermatt devient un village fantôme. Le bacille sera finalement éradiqué par un antibiotique mais passera du statut de vecteur de maladie à celui de vecteur culturel. Car les cantons, l’un après l’autre, se mettent à collecter et à épurer les eaux usées et donc à préserver l’eau potable. Le bacille de Zermatt, accompagné d’une série de scandales sur des eaux empoisonnées provenant d’usines et des eaux usées de lotissements, a su imposer l’obligation de raccorder chaque maison à une canalisation. C’est ce qu’exige la loi fédérale sur la protection des eaux qui devient, en 1971, le premier outil efficace sur le plan national en matière d’aménagement du territoire. Elle stipule où l’on peut construire, dans quelles conditions, et où c’est interdit. La lutte contre la construction désordonnée Le tourisme n’a pas seulement changé Zermatt mais aussi Davos. L’hiver avalancheux de 1968 détruisit 65 bâtiments et coûta la vie à 13 personnes. L’ancienne sagesse qui énonce où et comment on doit construire dans les montagnes n’est pas toujours infaillible. En plus du bacille, l’avalanche devient, elle aussi, un facteur d’aménagement du territoire: il est interdit de construire dans les zones à risques ! Et la nostalgie aide ces deux moteurs. Entre 1945 et 1965, la Suisse a vu son nombre d’habitants augmenter de 4,5 à 6,5 millions. D’aucuns craignent de perdre leur patrie à cause de la construction nécessaire de logements, de routes et d’usines. Ils aiment leur voiture et leur maison individuelle mais se plaignent que le béton risque de détruire le beau pays qu’est la Suisse. Finalement, les canalisations, les risques naturels et l’esthétique mettent tout le monde d’accord: il n’est plus possible de construire partout. Il faut qu’il y ait une zone à bâtir et une zone non constructible. Depuis 1969, ce principe figure dans la Constitution: « La Confédération fixe les principes applicables à l’aménagement du territoire. Celui-ci incombe aux cantons et sert une utilisation judicieuse et mesurée du sol et une occupation rationnelle du territoire. » Les professeurs de l’EPF avaient déjà réfléchi depuis vingt ans à l’aménagement du territoire. Ils dessinèrent des images de la Suisse et eurent du succès – surtout dans les zones urbaines. Ils contribuèrent à la rédaction de l’article de la Constitution mais, dans le doute, ils furent considérés comme des socialistes. Et tant qu’à faire, mieux vaut que ce soit une alliance d’intervenants bien organisée qui arrange l’aménagement du territoire et la construction entre eux. Des exploitants agricoles aux propriétaires fonciers, architectes et bâtisseurs en passant par les entreprises de
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travaux publics et les compagnies d’électricité avec leurs barrages, centrales et lignes à haute tension. C’est cette coalition de la Suisse prospère qui marque la forme du pays et de ses paysages. C’est ce que montre sa résistance par rapport à une loi contraignante. En 1972, trois ans après l’article de la Constitution, il n’y a toujours rien. C’est alors que le Conseil fédéral édicte un arrêté fédéral urgent, le premier arrêté en matière d’aménagement du territoire. Il ordonne aux cantons de désigner « sans délai » les territoires où la construction sera autorisée et ceux où elle est interdite. Les politiciens s’acharnent à travailler à la loi sur l’aménagement du territoire jusqu’à ce que personne ne parle plus de « gestion centralisée », « d’expropriation » ou de « prélèvement de plus-value ». Mais la loi qui entre finalement en vigueur à partir de 1980 tient compte du principe de différenciation entre zone à bâtir ( territoire constructible ) et zone non constructible. Non seulement elle permet au paysage de retrouver un peu de souffle mais elle crée également deux marchés fonciers. En zone non constructible, le mètre carré de terrain coûte désormais cinq francs, en zone à bâtir trois cents francs. Une différence qui fait de quelques paysans des millionnaires. Des lois et des réglementations – en principe Jusqu’en 1972, la construction désordonnée faisait partie des us et coutumes, surtout dans l’espace rural. Des dizaines de milliers de constructions se trouvent hors zone à bâtir: des fermes avec des remises, des étables, des granges, des constructions pour le fonctionnement du pays, des routes aux places de tir en passant par les barrages, et finalement des installations touristiques allant des remontées mécaniques aux parcours de golf en passant par les ponts suspendus. Et comme ces constructions ont une activité économique intense, le parc est constamment transformé et agrandi – sur la base des privilèges de l’ancien droit. Avec les expressions « conforme à l’affectation de la zone », « non conforme à l’affectation de la zone » et « à l’implantation imposée par sa destination », la loi essaie de gérer la construction hors zone à bâtir. L’alliance de la Suisse prospère fixe ici ses exigences: « D’accord sur le principe, mais une exception pour nous. » Aucune autre loi en Suisse n’est aussi poreuse. Il n’y a guère de session de l’Assemblée fédérale sans intervention pour une nouvelle exception en matière de construction hors zone à bâtir. Toute idée cantonale qui est ainsi parvenue à se faire imposer devient valable à l’échelon national. Ces négociations deviennent souvent le terrain de bataille des parlementaires des cantons montagneux et ruraux, soutenus par leurs collègues bourgeois des villes. En échange, ces derniers peuvent s’attendre à ce que les gens de la campagne les aident à balayer les prétentions socio-démocrates. Depuis 1980, les conseillers nationaux et d’État ont introduit 43 exceptions, du « changement complet d’affectation de bâtiments résidentiels » à « la détention d’animaux à titre de loisir » en passant par les « activités accessoires non agricoles ». Si, en 1980, on notait trois interventions couronnées de succès, en 2011 elles sont au nombre de dix. →
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En 1853, quinze maisons – en 2013, un village morcelé absorbé par la ville sur le Rhin alpin: Landquart est un exemple typique d’une croissance réussie mais 0 200 400 600m Scale 1: 20,000 dévorant le paysage, qui a besoin d’une Printed on 17.01.2019 14:11 CET https://s.geo.admin.ch/7f874b0a55 1983 www.geo.admin.ch is a portal provided by the Federal Authorities of the Swiss Confederation to gain insight on publicly accessible geographical information, data and services forme et d’une structure. Limitation of liability. Although every care has been taken by the Federal Authorities to ensure the accuracy of the information published, no warranty can be given in respect of the accuracy, reliability, up-to-dateness or c empty text
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La servante aux deux maîtres Bien évidemment, les terres en dehors des lotissements constituent l’espace de production des agriculteurs qui, que ce soit de manière délibérée ou contrainte, adaptent leurs constructions aux évolutions – la fabrication de biogaz, l’engraissement de poulets ou l’hébergement sur la paille. Mais il n’en est pas moins impressionnant de voir à quel point cette catégorie professionnelle et de personnes, modeste en nombre mais forte politiquement, modifie le paysage et aménage la « zone agricole » – c’est ainsi qu’elle appelle le territoire non constructible – comme son royaume. Et avec quelle virtuosité ! Le dimanche, ses politiciens prêchent la beauté du paysage et, pour ce faire, montrent des images du film « Uli le valet de ferme », le lundi ils érigent des étables grand format, élargissent les routes pour leurs tracteurs de plus en plus lourds et font une bonne affaire en vendant leur dépendance de ferme à un citadin entiché de campagne. Et tant qu’à faire, ils proposent à sa sœur une petite ferme isolée inoccupée depuis longtemps. Suite à une exception introduite en 2014, elle peut être vendue à des non agriculteurs, démolie et reconstruite de manière luxueuse. C’est une politique d’intérêts qui, sans coordination et sans idée d’une vision globale, rend la loi de plus en plus poreuse. Et pourtant cette politique n’a aucun effet sur la disparition des exploitations agricoles: des 68 784 exploitations recensées au tournant du siècle, il en reste encore 51 620 en 2017. Chaque année, environ 1500 fermes tombent en friche, avec des habitations, des étables, des granges et des remises –ruines silencieuses ou objets de convoitise. La construction effrénée dans le paysage a donc un lien étroit avec la mutation de l’agriculture. Avec la pression croissante de ceux qui veulent passer de la zone à bâtir à la zone non constructible – bon marché, au milieu de la verdure et isolée à l’orée de la forêt. Et elle est liée à une spécificité: l’aménagement du territoire a deux maîtres. En principe, il est régi par le canton. Mais c’est la Confédération qui prescrit ce qui peut se faire hors zone à bâtir. Avec pour conséquence qu’une exception raisonnable – dans le principe – pour l’extension d’un hôtel dans le val Poschiavo est également possible pour toutes les extensions déraisonnables de Campocologno à Céligny. Le régime d’exceptions fait également en sorte que la loi, l’ordonnance, les décisions prises selon le droit de l’aménagement hors zone à bâtir deviennent la terreur de tous les aménagistes, de tous les maîtres d’ouvrage et de tous les fonctionnaires des cantons et des communes – les avocats sont les seuls à se frotter les mains ! Cette opacité croissante à chaque nouvelle exception est dès lors également l’une des raisons de la pression des cantons à vouloir simplifier l’aménagement du territoire. Mais au préalable, une nouvelle réglementaLa valse des chiffres 37 % de la surface construite en Suisse se situent hors zone à bâtir. Ce sont 116 000 hectares, ce qui correspond à la surface des cantons d’Uri et de Schwyz. 63 000 hectares de routes, 36 000 de fermes, 10 000 de décharges et 7000 d’espaces verts. Ces quatre catégories sont en augmentation. 590 000 bâtiments se trouvent hors zone à bâtir. Dans les Préalpes, au Tessin et dans les vallées alpines, les fermes se trouvent depuis toujours hors zone à bâtir. Et elles pourront y rester. 190 000 constructions hors zone à bâtir sont des maisons d’habitation: des fermes qui ont été abandonnées ou qui sont habitées de plus en plus par des gens qui n’ont pas d’activité agricole.
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Entre 1985 et 2009, la surface construite hors zone à bâtir a augmenté de 18 600 hectares, ce qui correspond à la superficie des villes de Berne, Bâle, Genève et Zurich réunies. Les surfaces pour le trafic ont augmenté de 15 %, les surfaces d’habitat de 32 %. Depuis 1980, 43 interventions au Parlement ont favorisé la construction hors zone à bâtir par des exceptions.
tion est urgente parce qu’aujourd’hui déjà un tiers de tous les bâtiments se trouve hors zone à bâtir – et maintenant, des transformations de maisons aux routes, on y construit autant qu’en zone constructible. Tendance à la hausse. Des doutes quant à l’efficacité Le Conseil fédéral veut agir en procédant à une révision partielle de la loi sur l’aménagement du territoire ( LAT ). Quatre objectifs émanent de sa proposition. Premièrement, si c’était jusqu’ici la Confédération qui fixait les exceptions valables pour l’ensemble du pays, à l’avenir, il devrait y avoir des régimes au niveau des cantons. Deuxièmement, il existe désormais un mécanisme de compensation: quiconque veut agrandir sa maison à l’orée de la forêt doit démolir ailleurs une construction de taille similaire hors zone à bâtir. Troisièmement, les privilèges des exploitants agricoles sont renforcés – ils peuvent mieux protéger leur maison d’habitation contre l’argent des citadins qui veulent s’établir à la campagne et leur ferme contre celui des constructeurs de parcours de golf. Mais pour leurs fabriques d’animaux dans les « zones spéciales » où ils élèvent des centaines de milliers de poulets pour les supermarchés, ils se voient imposer des règles stipulant où et comment elles doivent être planifiées. Quatrièmement, il y aura désormais une obligation de démolir un bâtiment qui n’est plus utilisé. Quand on lit le projet, on doute qu’il parvienne à freiner le mitage du paysage. Aucune exception n’est supprimée, les zones pour les fabriques d’animaux vont nécessiter de vastes superficies, la compensation va se transformer en monstre juridique. Et quand on lit les prises de position, on s’imagine ce qui attend le projet lorsqu’il passera au Parlement. Ce n’est pas seulement la politique virtuose des agriculteurs qui veut des terres, mais aussi l’économie des loisirs. Le Valais et les Grisons réclament même avec des initiatives cantonales que les milliers de mayens inutilisés puissent devenir de confortables résidences secondaires. Au bouquet d’exceptions s’ajoute l’aversion de nombreux politiciens bourgeois envers l’aménagement du territoire. Cela va-t-il donc continuer comme avant ? Non – encore plus vite. Des interventions politiques Il est – serait – facile de répondre au souhait d’une loi moins détaillée et d’une gestion raisonnée de la ressource menacée qu’est le paysage: dans la zone à bâtir, on construit, on densifie, on urbanise et on exploite. Et on ne construit pas en territoire non constructible. Ici aussi « en principe » car, bien évidemment, les paysans doivent utiliser leurs fermes – mais ils ne doivent pas le faire de manière incontrôlée. Et c’est aussi ici que réside l’essence d’une initiative avec laquelle les associations de protection de l’environnement accompagnent cette révision de la loi sur l’aménagement du territoire. Elles veulent que ce principe soit inscrit en tant qu’article 75c dans la Constitution fédérale. Leur initiative ‹ Contre le bétonnage de notre paysage › possède de bons atouts. L’un d’entre eux est d’influencer la révision actuellement en cours. Il y a quelques années, l’‹ Initiative pour le paysage › avait déjà marqué la dernière version de la révision de l’aménagement du territoire de 2013: le bon sens de la densification. Le second atout s’abattra – si le Parlement n’améliore pas la mauvaise proposition du Conseil fédéral. Il y aura alors une votation. Un nombre croissant de gens, en ville comme à la campagne, veut une gestion plus respectueuse du paysage. Ils gagnent régulièrement des votations au niveau des communes, des cantons et de la Confédération. Ils refuseront que le paysage continue à disparaître sous les constructions.
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Une zone industrielle comme un îlot dans le paysage de Niederwil.
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La gravière Steiacher, près de Stetten, est située dans une zone inscrite à l’IFP, un paysage d’importance nationale.
Une vallée perd son caractère Des fabriques d’animaux, des exploitations horticoles sous serre, des halles industrielles – la vallée de la Reuss est bétonnée hors zone à bâtir. Une visite sur place. Texte: Raimund Rodewald
La vallée de la Reuss, dans le carton d’Argovie, est l’un des « paysages fluviaux cohérents proches de l’état naturel les plus variés du Plateau ». C’est ce qu’on peut lire dans la fiche d’objet n° 1305 de l’Inventaire fédéral des paysages, sites et monuments naturels ( IFP ). La loi fédérale sur la protection de la nature et du paysage stipule qu’une telle perle paysagère doit être gardée intacte ou en tout cas ménagée le plus possible lors de constructions dont l’emplacement est imposé par leur destination. Pourtant, la vallée de la Reuss est un point chaud de l’activité de construction hors zone à bâtir. On y construit beaucoup. Pas seulement des lotissements. De nombreux intérêts font pression sur les terrasses de l’espace fluvial: la protection de la nature, celle des eaux de surface et des eaux souterraines, les loisirs, l’extraction de gravier, les fabriques d’animaux, les cultures maraîchères, les plantations de sapins de Noël, les lignes électriques, l’artisanat, les infrastructures de transport et bien sûr l’habitat. Dans l’attente de jours meilleurs Un matin de pluie et de brouillard de décembre 2018, je me suis mis en route avec la photographe en voiture Mobility de Baden en direction de la vallée de la Reuss. Notre carnet de voyage commence ainsi: après le petit joyau de Mellingen, nous arrivons à la première grande plaine ouverte donnant sur la Reuss. Dans le hameau d’Eichhof, c’est tout d’abord une large route goudronnée qui surgit du brouillard, et finalement un peu en contrebas un grand terril avec des espaces de stockage et les
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bâtiments d’exploitation d’une gravière. Des camions se dirigent vers la construction métallique d’une installation de remplissage qu’ils quittent après une brève halte. Il pleut des cordes. Des ouvriers agricoles emmitouflés dans des imperméables en plastique se démènent dans les champs de carottes de ce décor lugubre. Ils travaillent pour un producteur de légumes régional dont on aperçoit, quelques centaines de mètres au-dessous de la route principale, l’exploitation maraîchère flanquée d’une maison d’habitation des années 70 à deux étages: quatre rangées de grandes serres, des champs de carottes récoltés. Dans le voisinage, l’élégant bâtiment à colombages de la ferme Eichhof, enserré par de longs tunnels en plastique. La carte du plan directeur du canton d’Argovie identifie cette zone comme un no man’s land entre l’IFP et un paysage protégé d’importance cantonale. Après le village fortement urbanisé de Stetten, nous bifurquons en direction de la boucle de la Reuss. Un terrain de camping se trouve à proximité immédiate du fleuve et du parc de protection des zones alluviales. En été, il fait sans doute le plein d’amoureux de la nature, mais maintenant ce ne sont que des caravanes abandonnées parquées le long de la route, une moto oubliée sous la pluie, la structure métallique d’un chapiteau, le tout attendant des jours meilleurs. Des champs de carottes à perte de vue. Sur la route de Sulz, à l’orée de la forêt, se dresse une maison d’habitation visible de loin, d’un blanc lumineux, fraîchement crépie, manifestement de construction récente, jouxtée d’étables neuves, d’un grand tas de terre et de nivellements de terrain. Nous quittons cette partie inhospitalière du paysage de la Reuss protégé au niveau national et poursuivons notre route en passant par Künten pour rejoindre Eggenwil – un village accueillant et compact directement en
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Le terrain de camping de Sulz est également situé dans un paysage d’importance nationale.
bordure de la terrasse très escarpée au-dessus de la Reuss. Des potagers naturels, une église bien située avec une terrasse panoramique et de jolies fermes entourées d’arbres fruitiers sur le versant laissent supposer attention et grand soin. Le long de la route, un panneau publicitaire pour de banales maisons en terrasses « avec une belle vue ». Cependant, à la sortie du village, la vue tombe sur des grandes serres, alignées comme des barres de chocolat blanc. Les rangées de peupliers et d’autres arbres trahissent l’histoire de cette exploitation sous serre qui existe depuis 1963 et qui a déclenché de vives discussions à Eggenwil. C’est ainsi que, dans les années 1990, on a voulu délimiter plusieurs zones de serres sur les terrasses alluviales des rives de la Reuss – ce qui a pu être évité en 2004 avec un plan révisé des zones agricoles. C’est pourquoi il ne subsiste qu’un îlot perdu de serres d’une superficie de 2,6 hectares sur les ‹ Cheibenächer › en contrebas du village. A la différence de Birmenstorf, où 13 hectares de nouvelles serres doivent être installés à la pointe nord de l’objet IFP « Paysage de la vallée de la Reuss ». Avec la justification qu’il n’y aurait de toute façon plus rien à y protéger. Changement d’affectation de zones et mitage Après Zufikon, la route serpente vers le haut en direction d’Oberwil, 200 mètres au-dessus du paysage protégé de la vallée de la Reuss. De nombreuses nouvelles constructions orientées vers l’ouest témoignent de l’attrait de la situation panoramique, avec la vallée de la Limmat à l’arrière. Peu après le village, nous sommes ralentis par un tracteur qui rentre sans doute à la maison, c’est l’heure de la pause de midi. A notre gauche, une maison isolée qui n’est plus habitée par des agriculteurs, derrière laquelle bifurque le tracteur. Nous nous situons sur l’‹ Augeweid › où se trouve une énorme entreprise laitière, récemment agrandie, avec une maison d’habitation moderne et trois gigantesques étables flanquées de silos à fourrage. La ferme est posée comme une barre sur le haut du versant. Sur la carte, on découvre d’autres grandes exploitations dans les environs immédiats. Du pays de la viande sur les hauteurs, on redescend maintenant vers le royaume de la carotte dans la plaine alluviale. A Unterlunkhofen, nous traversons la Reuss et arrivons à Rottenschwil: nous voilà de retour dans le site IFP. De beaux bras morts – le ‹ Stilli Rüss › – et des zones humides à proximité du fleuve. Des allées de bouleaux le long de la route, des haies, des bosquets. Et pourtant, en contrebas de la route vers Aristau, une halle toute en longueur avec trois silo-tours. C’est un entrepôt de fourrage acheminé depuis l’étranger et qui repartira après environ 40 jours sous forme de volailles. Nulle trace d’une quelconque ferme alentour. Nous pour-
suivons notre route en direction de Besenbüren. Encore une halle d’engraissement de poulets, une route d’accès goudronnée pour le transport rationnel des animaux destinés à l’abattage par des 40 tonnes, à proximité une ligne électrique qui traverse le fleuve en direction d’Ottenbach. Le temps s’éclaircit. « Cette région était autrefois une zone de protection du paysage », dit Andreas Bosshard, de Vision Landwirtschaft, mais vers 2011, on aurait changé l’affectation de ce secteur spécialement pour cette exploitation d’engraissement de volailles. Ici aussi une étable sans ferme, qui mite le paysage comme si l’aménagement du territoire n’existait pas. Nous traversons des villages sans âme. Fischbach-Göslikon, Niederwil, Nesselnbach. Entre les villages, une utilisation intensive du sol, des étables transplantées avec des silo-tours morcellent les terres arables encore et encore. Avant Nesselnbach, une zone industrielle sans aucun lien avec une zone d’habitation, toutes sortes de dépôts de matériaux, un entrepôt, un hangar. Le tout surmonté par une grue, légèrement à l’extérieur du périmètre de protection du paysage d’importance nationale. Après Mellingen, nous plongeons à nouveau dans l’agglomération de la vallée de la Limmat. Peine perdue Depuis 1977, le paysage de la vallée de la Reuss est protégé par le droit fédéral. Nous nous demandons après cette journée: comment un tel développement de la construction a-t-il pu se produire depuis lors ? Hans Jürg Bättig, chef de section du service des permis de construire du département Constructions, transports et environnement du canton d’Argovie, déclare à ce sujet: « D e nombreux développements résultent d’une dynamique historique. La pression de l’urbanisation, précisément dans la vallée inférieure de la Reuss, qui est due à la proximité des agglomérations de la vallée de la Limmat et de Zurich, est considérable. » L’implantation de nouvelles constructions agricoles constitue un défi de taille étant donné que la disponibilité du sol fait défaut pour de meilleures solutions appropriées aux sites. « L es réglementations sur les distances minimales rendent souvent impossibles de bonnes solutions en raison des valeurs limites d’émission de la loi fédérale sur la protection de l’environnement. » En fin de compte, l’intégration au paysage doit fréquemment céder le pas aux intérêts mesurables. De plus, la vallée de la Reuss serait beaucoup trop hétérogène et l’effervescence du secteur de la construction aurait fortement dilué la typologie régionale des bâtiments. « Même le statut d’IFP n’y change rien. Le canton d’Argovie connaît tout de même depuis 2010 une disposition légale concernant la distance pour les bâtiments agricoles hors zone à →
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Les serres d’Eggenwil se trouvent, elles aussi, dans un paysage inscrit à l’IFP.
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→ bâtir. » En ce qui concerne les bâtiments d’habitation non conformes à l’affectation de la zone, on se préoccupe, certes, de la qualité des nouvelles construction qui en remplacent des anciennes, mais les résultats laissent souvent à désirer. « La possibilité d’une nouvelle construction à la place d’une ancienne, qui existe depuis 2012, pose problème au niveau de la préservation de l’identité. De manière générale, l’augmentation, dans la zone agricole, des utilisations non conformes à l’affectation de la zone sur la base des dispositions dérogatoires de la loi sur l’aménagement du territoire ( LAT ) entraîne des conséquences indésirables qui sont souvent sous-estimées. » Thomas Gremminger, directeur du domaine Paysage et mise en réseau du canton d’Argovie, confirme la prise en compte souvent lacunaire des objectifs de protection de l’IFP. D’après lui, cela va désormais lentement évoluer car les communes doivent davantage prendre en compte la protection légale de la vallée de la Reuss par la Confédération dans leur plan d’affectation. Grâce à la nouvelle LAT, on a tout de même également pu limiter les zones constructibles. Mais la mise en œuvre d’exigences en matière de qualité architecturale est effectivement une entreprise délicate car il n’existe pas de commission cantonale pour la protection de la nature et du paysage et la commission fédérale correspondante n’entre en jeu que pour les projets de construction d’une certaine envergure, explique Gremminger. Les petites communes, elles, sont tout simplement dépassées par les questions de qualité qui viennent s’ajouter à la charge de travail croissante qui leur incombe. De plus, en raison de réductions budgétaires, la protection cantonale des sites n’est pas à même de débattre dans la mesure nécessaire et souhaitable. Des divergences difficiles à concilier En parcourant la vallée de la Reuss, ce qui nous frappe, outre le nombre élevé de constructions hors zone à bâtir et l’extension effrénée de l’urbanisation du paysage, est la banalisation croissante de la culture du bâti. Il est rare que des constructions agricoles deviennent des bâtiments résidentiels non agricoles sans modifications importantes. Les nouveaux habitants amènent de nouvelles exigences d’aménagement pour les façades, fenêtres, balcons, garages, jardins, clôtures et accès. L’intervention est encore plus radicale s’il s’agit du rehaussement d’un bâtiment ou de la démolition de fermes anciennes suivie d’une reconstruction basée sur le principe d’un « usage d’habitation répondant aux normes usuelles », comme le permet depuis 2012 l’article 24c de la LAT suite à une initiative du canton de St-Gall. Cet article autorise des modifications du bâtiment, sa démolition et sa reconstruction. Dans la pratique, les divergences entre les besoins d’un usage répondant aux normes usuelles et l’impératif de la préservation de l’identité des constructions sont difficilement surmontables. Sur le plan conceptuel, les nouvelles constructions de remplacement sont rarement de qualité. Et ce changement de priorité estompe la lisibilité et la singularité régionale de nos paysages. En 2017, pour le seul canton d’Argovie, 192 demandes de permis de construire ont été déposées dans le contexte de l’article 24c de la LAT. La typologie des bâtiments non résidentiels hors zone à bâtir n’est pratiquement pas recensée. La question de savoir quels bâtiments doivent être utilisés de quelle manière est aussi peu tirée au clair que celle de savoir quelles constructions sont vacantes et pourraient être démolies. La statistique officielle des bâtiments ferme les yeux justement là où il est question de l’exigence constitutionnelle de la séparation entre territoires constructibles et non constructibles.
Une halle d’engraissement de volailles près de Rottenschwil.
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La vallée de la Reuss est partout Le tableau de la Suisse brossé par la loi sur l’aménagement du territoire ( LAT ) de 1979 envisageait une ‹ Suisse de Gotthelf ›: des villages compacts avec une petite zone industrielle aux abords de la zone habitée, des terres cultivées et des prairies sans aucune construction et peu morcelées par des routes, de charmantes fermes composées d’une maison d’habitation, d’une étable et d’un grenier, à l’arrière un coin de forêt où se dissimulaient une gravière et une décharge. Ceci était un mythe déjà au moment de l’adoption de la loi. Aujourd’hui, un bâtiment suisse sur cinq – du rucher et du garage à la grande étable et à la fabrique d’animaux en passant par la maison d’habitation et le bâtiment commercial – se trouve là où il ne devrait y avoir aucune construction, ou seulement les plus nécessaires. 590 000 bâtiments sur 36 000 hectares, ce qui correspond à environ 50 000 terrains de football. Pourtant, la LAT prescrit la séparation stricte entre les territoires constructibles et les territoires non constructibles et stipule que la zone agricole doit servir à la production agricole et à la protection des terres cultivables. La moitié du parc immobilier hors zone à bâtir de Suisse se trouve dans les régions alpines. Une grande partie des bâtiments a été construite avant l’adoption de la LAT. Toutefois, en raison de la tradition habituelle dans ces régions, qui s’est perpétuée jusqu’à nos jours, de petites fermes exploitées au fond de la vallée, dans les mayens et sur les alpages, les surfaces requises par ces bâtiments sont quelque peu inférieures à celles du Plateau, où il y a certes moins de bâtiments dans les zones non constructibles, mais de taille nettement plus grande. En 2017, dans sa thèse de doctorat en aménagement du territoire à l’EPFZ, Rebecca Körnig-Pich a calculé que la majorité, et de loin, des constructions se trouve dans le canton de Berne, puis par ordre décroissant dans les cantons de Zurich, Lucerne, St-Gall, Fribourg et d’Argovie. Selon le recensement argovien de l’utilisation du sol, environ 8,3 hectares de terres ont disparu annuellement hors zone à bâtir entre 2014 et 2017 pour les constructions agricoles ; pour les infrastructures, il n’existe pas de chiffres exacts. Force est de constater: la vallée de la Reuss est partout ! Mais le fossé est rarement aussi important entre un texte de loi et la réalité. On ne peut en rester là: la construction effrénée hors zone à bâtir doit cesser !
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Le guide est le bréviaire L’agriculture veut construire. Avec un guide, le canton du Jura essaie de donner des lignes directrices à la construction hors zone à bâtir et de clarifier les choses. Texte: Marco Guetg Dessins: Sylvain Dubail
‹ décision sur les toitures en tôle › en 2011, on a eu le souhait « de fixer par écrit les préoccupations et les attentes de la Commission ». L’architecte Brigitte Cattin rédigea le ‹ Guide pour la construction de bâtiments à vocation agriRue des Moulins 2, Delémont. Alain Beuret, président de cole hors zones à bâtir ›, un guide qui regroupe la doctrine la Commission cantonale des paysages et sites ( CPS ) et de la CPS en 13 chapitres. Ce guide est le bréviaire de la Sylvain Dubail, secrétaire, reçoivent le visiteur au siège Commission. Il donne la superstructure théorique en esdu Service du développement territorial du canton du Jura. quissant les prémisses en matière d’aménagement du terPour débuter, Dubail projette des photos sur un écran – des ritoire et d’esthétique de la CPS. Ce guide facilement compaysages jurassiens, des sites ISOS à protéger, des zones préhensible et à la structure didactique habile précise les d’habitation au milieu des terres cultivables et des prairies. lignes directrices que la CPS s’est fixées pour les construcEntre celles-ci, il montre des montages photo de projets au tions hors zone à bâtir. Des textes avec des photos ou des beau milieu des champs ou dans un paysage protégé. Elles esquisses décrivent à chaque fois une situation, des noillustrent ce qui était planifié et avec quelles propositions tions clés dans des encadrés servent d’aide-mémoires. Là la Commission des paysages et des sites a réagi. où des termes pourraient prêter à confusion, des représentations schématiques avec une simple annotation « oui » ou Du rouge pour les toits « non » apportent une réponse claire. Ce savoir compact Souvent, et c’est ce que le visiteur apprend dans la salle doit servir de fil directeur aux architectes et aux maîtres de conférence, on trouve une solution au cours de l’entre- d’ouvrage pendant le processus de planification. tien. La CPS est restée stricte pour ce qui est des toitures qui devaient être recouvertes de tuiles rouges afin que le Cinq principes Ce guide n’est pas une loi mais un code d’interprétapaysage de toitures traditionnelles du Jura reste uniformément rouge. Ce diktat concernant les matériaux, à motiva- tion. Il ne peut pas empêcher la construction hors zone à tion esthétique, a toutefois subi une pression croissante bâtir mais a la volonté de permettre de bonnes solutions. pour des raisons de coûts, si bien que la CPS a autorisé les Il définit les limites à l’intérieur desquelles il est possible panneaux en fibrociment, moins chers. Seule condition: ils de construire. Cinq principes qu’Alain Beuret a formulés doivent être de couleur rouge. La tôle, encore moins chère dans un essai dans la revue ‹ Inforaum › servent d’outils de et souvent prônée par les maîtres d’ouvrage, a continué décision: « 1. Regrouper les bâtiments et ne pas les éparpild’être proscrite – jusqu’en 2011. Depuis lors, la tôle de cou- ler. 2. Respecter la topographie et éviter les mouvements leur rouge mate est également autorisée sur les toits du Jura. de terrain. 3. Utiliser des formes simples, des matériaux Tel est le résultat d’une évolution qui a commencé il y sobres et des couleurs neutres. 4. Aménager les environs a des années et qui a deux causes: la mutation structurelle avec de la végétation indigène. 5. Minimiser l’aménagede l’agriculture et la pression sur les coûts. « La construc- ment des espaces extérieurs. » tion hors zone à bâtir a fortement changé ces dernières années, tant sur le plan quantitatif que qualitatif », dit Alain Clarté et résistance Beuret. Si, il y a dix ans, la CPS traitait cinq à huit cas par an, Cela fait maintenant huit ans que ce guide est à la disactuellement il y en a environ quarante. La série de photos position de toutes les communes du Jura, avec pour princide Sylvain Dubail rend visible le changement qualitatif des pal effet que de nombreux points sont éclaircis avant que la nouvelles constructions agricoles. Dans le passé, il y avait CPS ne doive les expliquer. « Nous ne devons plus discuter dans le Jura principalement des étables et des granges, et de chaque détail avec les maîtres d’ouvrage et la procédure de temps en temps une maison d’habitation était plantée en est simplifiée », dit Alain Beuret. Même au sujet des toits, dans le paysage ; de nos jours, ce sont majoritairement des il n’y a plus de discussions interminables. L’orientation géélevages de volailles, la plupart du temps des construc- nérale du contenu du guide a sensiblement stimulé la prise tions industrielles livrées clés en main qui font jusqu’à cent de conscience en matière de construction hors zone à bâtir. mètres de long et abritent 15 000 à 18 000 poulets. Mais il y a des résistances – « surtout au niveau du principe de la concentration », constate M. Dubail, le secrétaire de la CPS. De nombreux agriculteurs ont encore du mal à comUn guide en 13 chapitres L’évaluation de ces constructions agricoles stéréo- prendre pourquoi ils ne sont pas autorisés à construire là typées a conduit à des réponses stéréotypées. Que ce où ils jugent bon de le faire pour des raisons de gestion de soit l’implantation dans le site, le choix des matériaux ou l’exploitation. Dans cette discussion, la CPS peut se perl’orientation des constructions: « Nos réponses se répé- mettre d’être à nouveau stricte. En effet, le principe de la taient », dit le président de la CPS. C’est ainsi qu’après la concentration a été approuvé par le Tribunal fédéral.
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Guides du canton d’Appenzell à celui de Zoug Appenzell Rhodes-Extérieures En 2001, Appenzell Rhodes-Extérieures a lancé la brochure ‹ Aménagement du territoire hors zone à bâtir ›, comprise explicitement comme des ‹ recommandations pour la mise en valeur de la culture du bâti des Rhodes-Extérieures ›. Puis, en 2007, est parue la brochure intitulée ‹ Construire des bâtiments agricoles dans le canton d’Appenzell Rhodes-Extérieures › qui est spécifiquement axée sur la construction agricole. Grisons ‹ La construction de bâtiments agricoles dans les Grisons ›, tel est le titre de la brochure élaborée par l’Office de l’aménagement du territoire du canton sur mandat du gouvernement des Grisons et publiée en 2007. Schwyz À partir d’une description de l’architecture et de la culture du bâti traditionnelle, le canton de Schwyz présente des recommandations pour pouvoir préserver et développer ce patrimoine en répondant aux exigences actuelles. Dans cet outil de planification de 2017, on trouve en outre des compléments d’information et des liens concernant les procédures d’octroi de permis de construire, la construction dans les zones de protection du paysage, la protection des monuments historiques et des bases juridiques déterminantes. Uri La brochure ‹ Construire dans le paysage ›, parue en 2012, avec les indications détaillées des dispositions légales, est plus qu’un recueil pour la construction de qualité hors zone à bâtir. En annexe, les utilisateurs trouvent des modèles et des tableaux, par exemple pour calculer les surfaces brutes de plancher ou une ‹ Déclaration personnelle de l’exécution dans les délais d’une démolition de bâtiment › déjà préformulée. Vaud Avec ‹ Construire des bâtiments agricoles: qualité architecturale et intégration paysagère ›, le canton de Vaud a été l’un des premiers à essayer d’optimiser la construction hors zone à bâtir avec un guide complet. Zoug Le guide que le canton de Zoug a édité en 2016 est intitulé ‹ Aménagement de constructions et d’installations hors zone à bâtir ›. Il traite des aspects esthétiques ainsi que des exigences légales et explique les conditions générales en matière d’aménagement du territoire.
‹ Oui › et ‹ Non › – la forte didactique visuelle du canton du Jura pour la construction hors zone à bâtir est aussi simple que cela.
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L’ensemble Buholz – maintenant réhabilité avec la dépendance de ferme ( à gauche ).
Stöckli Buholz, 2018 Beromünster LU Maîtrise d’ouvrage: Anna Müller, Christa Müller, Liselotte Müller, Beatrice Müller di Maio Architecture: Richard Kretz, Lucerne Ingénieurs: Brigger & Käch, Lucerne Construction en bois: Schaerholzbau, Altbüron Surface habitable totale: 122 m² Frais de construction ( CFC 1 – 9 ): Fr. 850 000.—
Tant qu’à faire, autant que ce soit bien fait La ‹ Four Sisters House › qui surplombe le lac de Sempach le prouve: les constructions hors zone à bâtir peuvent être réussies – si elles sont réalisées en accord avec le paysage. Texte: Köbi Gantenbein Photos: Anna Müller
De douces collines, des forêts, un habitat dispersé avec des fermes. Des maisons surgissent du ruban urbain qui serpente de Lucerne à Sempach et Zofingue en passant par Sursee pour grimper le long du versant. Car la vue d’ici en haut, en surplomb du lac de Sempach, est dégagée sur les montagnes et le ciel – d’autant plus avec le flamboiement du coucher du soleil. Vingt minutes de marche nous mènent de l’arrêt du car postal à l’exploitation agricole Buholz: une grange, des remises, un grenier et une dépendance de ferme – la vision de Gotthelf. Seulement, Uli le valet de ferme n’est pas à la maison. La ferme est louée, les terres sont affermées, la grange et les remises sont utilisées comme espace de stockage pour toutes sortes de choses et le verger est idyllique. « En été, c’est ici que je viens chercher mes pommes », dit Anna Müller, qui travaille à Zurich comme graphiste. Les activités des trois sœurs et de leur frère sont variées ( enseignement, culture, thérapie ). La ferme dans laquelle ils ont grandi est sans paysan. Du bois neuf remplace le bâti dégradé À la lisière du groupe de maisons se tenait la dépendance de ferme, maçonnée pendant la Seconde guerre mondiale. Les quatre sœurs, ‹ the four sisters ›, voulaient y aménager un espace pour la famille de l’une d’entre elles et de la place pour les trois autres, qui viennent de temps en temps en visite, et voulaient dans ce but réhabiliter l’ancienne dépendance. Le bâti existant était misérable. Alors, démolir et reconstruire ? Tant qu’à faire, les Four Sisters décidèrent de remplacer la maison en maçonnerie par une construction en bois qui s’intègre dans le paysage et l’ensemble de la ferme et qui offrira davantage de confort. Mais les champs de leurs souvenirs sont en zone agricole. La loi sur l’aménagement du territoire de 1972 ne l’interprète pas comme une zone sur laquelle on ne peut pas poser de pierres l’une sur l’autre: c’est la zone à bâtir des agriculteurs. Et ceux-ci, au cours des quarante dernières années, ont passablement réaménagé leur zone, transformant leurs fermes en fabriques d’animaux, y ajoutant une ferme piscicole ou un haras, ou les métamorphosant radicalement en maison de campagne avec piscine, parkings et voie d’accès de prestige. Un enchevêtrement d’exceptions a vu le jour, réglées dans une loi valable pour l’ensemble du pays dont la mise en œuvre des dispositions doit être effectuée par les aménagistes cantonaux. Et
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comme il n’est pas rare que leurs décisions finissent devant la justice, depuis 1972 l’enchevêtrement est devenu une jungle dans laquelle les Four Sisters et leur architecte lucernois Richard Kretz ont dû faire leurs preuves. Le résultat: une maison construite en éléments de bois, posée sur un socle de béton, occupant l’empreinte approximative de l’ancienne. Les pièces prolongées à chaque étage par une loggia ont de grandes fenêtres orientées vers le soleil tandis que la façade est fermée vers le nord – un avantage conceptuel par rapport à la terrasse de l’ancienne construction. Une paroi de béton assure la stabilité et soutient la toiture. D’un côté de celle-ci, la famille habite désormais au rez-de-chaussée dans un espace ouvert ; à l’étage se trouvent les deux chambres. De l’autre côté de la paroi en béton, deux pièces sont superposées au rez-de-chaussée et à l’étage et reliées par des escaliers en caissons. La surface habitable totale est de 122 mètres carrés. L’accès direct au verger se fait par un jardin d’hiver agrémenté d’une cheminée qui n’est pas destiné à être habité. La maison est légèrement décalée par rapport à l’ancienne, laissant davantage de place au jardin potager. La nouvelle dépendance de ferme s’intègre dans l’ensemble Buholz en se fondant dans le paysage. Le faîte de l’ancienne construction était situé dans la ligne de pente du versant. Pour la nouvelle construction, les Four Sisters voulaient profiter du soleil et l’utiliser comme source directe d’énergie ; elles ont donc orienté le faîte en diagonale, avec l’accord du canton. Par contre, les fonctionnaires ont refusé l’adjonction d’un sas devant l’entrée de la maison et d’un petit avant-toit au-dessus de celle-ci. Un nouvel élément de l’ancien ensemble bâti Les Four Sisters ont bâti une maison bien réussie comme nouvelle pierre angulaire du hameau de Buholz. La nouvelle construction enrichit le paysage, l’ensemble bâti et la vie des gens qui y habitent à l’année ou temporairement. L’initiative ‹ Contre le bétonnage de notre paysage › veut très clairement freiner la construction hors zone à bâtir. Les surfaces bâties ne doivent plus augmenter et les constructions existantes ne doivent pas pouvoir être considérablement agrandies. Des exceptions doivent être possibles si un bâtiment rénové « améliore de façon significative » un site ou ses environs – donc si la planification et la réalisation d’une construction sont soignées et si elle n’est pas plantée sans considération dans le paysage. L’exemple de la dépendance de ferme de Buholz montre que c’est tout à fait possible. Et dans quelques années, la patine aura coloré la ‹ Four Sisters House › en brun gris argenté.
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Vue sur le verger, la lumière et le paysage depuis la nouvelle dépendance à Buholz, intégrée comme l’ancienne dans le magnifique verger. À droite, le mur en béton qui soutient la maison en bois.
L’ancienne dépendance: maçonnée, bricolée, avec loggia et terrasse.
La nouvelle dépendance: en bois, tournée de 90 degrés, également avec loggia. À gauche le logement de la famille, à droite le logement des sœurs.
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Le beau paysage
Depuis 1980, la Suisse a une loi sur l’aménagement du territoire. Sa disposition la plus importante: il existe une zone à bâtir. En dehors, il n’est – en principe – pas autorisé de construire. Pourtant, il y a autant de constructions hors zone à bâtir qu’en territoire constructible. Ce cahier pose la question: pourquoi? Et il conclut: ça ne va pas! C’est pour cela que nous avons besoin d’une nouvelle initiative pour le paysage.
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