Superlaboratoire
En mariant expérimentations, recherche et enseignement, le Swiss Center for Design and Health ( SCDH ) à Nidau cherche à savoir comment le design peut améliorer la santé.
Première et quatrième de couverture: au SCDH, des expertes interviennent afin d’améliorer la santé grâce au design.
L’espace de simulation en réalité étendue occupe 560 mètres carrés.
Focus thématique
Les articles de ce cahier sont repris dans un focus thématique sur le site de Hochparterre: scdh.hochparterre.ch
5 Centré sur le bien-être
Créé en 2019, le Swiss Center for Design and Health ( SCDH ) connecte, étudie et accompagne.
10 Métho dologie de design: le Graal
Minou Afzali, directrice du pôle Recherche à propos de l’interdisciplinarité et de l’evidence-based design au SCDH.
13 Comprendre entre des murs en carton
Dans l’espace de simulation du Living Lab, les plans d’architecte prennent forme pour la première fois.
1 7 « Qu’en penserait Florence Nightingale? »
Grâce à des simulations précises, médecins, architectes et soignants testent des modèles de soins numérisés.
20 Ressentir, échanger, perfectionner
Regard sur les projets en cours au SCDH.
Les photos de ce cahier
Le photographe bernois Marco Frauchiger s’est rendu sur place et a capturé, trois jours durant, l’effervescence du Living Lab. Ses clichés nous plongent au cœur du focus thématique et documentent tant la variété que le dynamisme des prestations dans la grande halle industrielle de Nidau.
Editorial
Sous tous les angles
Les enjeux sont de taille: un système de santé qui ploie sous les coûts et le manque de personnel, des processus opérationnels en constante évolution, la sécurité des patients et des équipes, des horizons de planification exprimés en années et des projets de construction difficiles. Les bâtiments, les systèmes et les processus du domaine de la santé sont complexes à bien des égards. Depuis 2022, il existe en Suisse un pôle de compétences unique en son genre qui se charge de les concevoir. Le Swiss Center for Design and Health ( S CDH ) à Nidau, à proximité de Bienne, est ouvert à toute personne souhaitant tester un projet dans le secteur de la santé, le valider ou l’optimiser, que celui-ci porte sur la conception, la planification, la mise en œuvre ou les soins.
Dans ce cahier, nous poussons les portes du SCDH et montrons comment, avec ses services, il accompagne et améliore la conception de bâtiments, de systèmes ou de processus dans le secteur de la santé. Nous zoomons aussi sur les simulations. Leur but: tester projets et processus dans des conditions réalistes pour identifier les défauts dès la phase de planification et y remédier rapidement et à moindre coût. Le SCDH est le lieu où se rencontrent les personnes impliquées dans ces projets. Les architectes y voient comment les soignants et les chirurgiennes travaillent dans les espaces qu’ils ont conçus. La direction de l’hôpital, elle, découvre les réflexions qui sous-tendent les plans d’architecte. Dans les vastes locaux du SCDH, tous ces spécialistes et acteurs ont la possibilité de développer une vision commune. Et cette vision finit par profiter à tous une fois ces projets achevés, lorsque nous sommes pris en charge, opérés et soignés. Urs Honegger
Ce cahier / focus thématique est une publication journalistique née de la collaboration entre différents partenaires. La rédaction de Hochparterre examine la pertinence du sujet et est responsable de la recherche, de la conception, du texte et des images, de la mise en page, de la relecture et de la traduction. Nos partenaires financent le cahier, valident le concept et donnent leur accord pour publication.
Impressum
Maison d’édition Hochparterre AG Adresses Ausstellungsstrasse 25, CH-8005 Zürich, Telefon +41 44 444 28 88, www.hochparterre.ch, verlag@hochparterre.ch, redaktion@hochparterre.ch Direction Deborah Fehlmann, Roderick Hönig Direction éditoriale Axel Simon Direction cahiers thématiques Roderick Hönig Conception et rédaction Urs Honegger Photographie Marco Frauchiger, www.marcofrauchiger.ch Conception graphique Antje Reineck Mise en pages Jenny Jey Heinicke Production Nathalie Bursać Traduction Weiss Traductions Genossenschaft Lithographie Team media, Gurtnellen Impression Stämpfli AG, Berne Directeur de la publication Hochparterre en collaboration avec Swiss Center for Design and Health ( SCDH ) hochparterre.ch / scdh Commander ce cahier thématique en français, en allemand ou en anglais ( Fr 15.–, € 12.– ) et lire l’e-paper
Des espaces de test proches de la réalité: simuler des procédures de soins puis les passer en revue.
Stefan Sulzer est à la tête du SCDH. Son objectif déclaré est de faire du centre de compétences l’organisation de référence à l’interface entre le design et la santé
Raphael Huber est membre de la direction élargie et co-directeur Ateliers. Ébéniste de formation, son expertise recouvre les domaines de la planification, de la production et du montage.
Barbara Schwärzler est co-directrice de la collection de matériaux du SCDH. Cette coloriste et architecte d’intérieur a réalisé de nombreuses études pour des bâtiments du domaine de la santé et est experte en matériaux et couleurs.
Centré sur le bien-être
Fondé en 2019 le Swiss Center for Design and Health ( SCDH ) se consacre entièrement à la conception dans le secteur de la santé. Les maîtres mots: réseau, recherche et accompagnement.
Texte: Eveline Rutz
Au Swiss Center for Design and Health ( S CDH ), les bruits de chantier n’ont rien d’inhabituel. En effet, deux ans et demi après avoir emménagé, les travaux se poursuivent. Se confronter aux enjeux liés aux processus de conception est inscrit dans l’ADN du pôle de compétences de Nidau. Ce bâtiment industriel baigné de lumière sert à évaluer des projets de construction ou de transformation, des études de communication visuelle ou même des processus et des systèmes, offrant jusqu’à 2500 mètres carrés dans sa configuration maximale et plaçant le secteur de la santé au cœur de ses priorités. Ce qui est conçu ici entend favoriser le bien-être.
« Nous proposons aux responsables de projet un lieu d’échange neutre pour appréhender différentes perspectives et réaliser des expérimentations sur un périmètre étendu », dé clare Stefan Sulzer, managing director, dans son bureau situé dans une galerie du hall d’entrée. La vaste baie vitrée lui permet de voir une grande partie des installations. « Ici, universitaires et personnes de terrain collaborent sur un pied d’égalité », dit-il. Et il ne parle pas seulement de la trentaine de personnes issues de disciplines et de métiers divers qui forment les effectifs. Stefan Sulzer pense aussi à toutes les personnes qui ont recours aux offres et aux services du centre de compétences.
Le SCDH connecte les acteurs des milieux économiques, scientifiques et publics, les accompagne et les conseille. Il opère des ateliers et des installations de test, coopère avec des hautes écoles, initie des travaux scientifiques et assure des formations. Il s’agit d’un lieu où se rencontrent designers, scientifiques et utilisatrices pour s’appuyer sur une pratique variée du design. « Travailler dans un hôpital ou dans une école donne de nombreuses informations sur les flux et les processus », explique Stefan Sulzer, en ajoutant qu’il est intéressant d’en tenir compte le plus tôt possible dans des simulations. « C ela évite d’avoir à corriger le tir une fois la construction terminée, ce qui coûte très cher. » D e plus, tenir compte de besoins des usagers dans un projet en améliore la réception.
Le SCDH a vu le jour en 2019 dans le cadre d’un partenariat public-privé, sous la forme d’une société anonyme financée par la Confédération, le canton de Berne et des partenaires privés. Opérationnel depuis 2022, il est prévu qu’il soit autonome d’ici 2030. « Nidau est l’endroit idéal », déclare Stefan Sulzer, « pas seulement du point de vue des transports ». L’emplacement à la limite entre la Suisse alémanique et la Romandie est selon lui enrichissant. « Cela incite à regarder au-delà des limites de sa propre région ». Et au sein de l’équipe, on parle l’allemand et le français.
1 Espaces de test proches de la réalité p. 17
Le Living Lab permet de reproduire des salles, de les agencer, de les meubler et de les tester. On peut donc simuler des flux de travail et des processus de soins, ou encore tester des produits dans des configurations spatiales proches de la réalité. Les espaces de test servent de plateformes de simulation et de recherche d’une part, et de showroom pour les fabricants d’autre part. Photos: SCDH
2 Cuisine / restauration
Pour les repas de midi ou les pauses, le Living Lab offre une cuisine ainsi qu’un espace destiné aux services traiteur.
3 Open space
Cet espace, qui propose des machines et appareils de modélisme, des machines à coudre domestiques et manuelles ainsi que des imprimantes, peut être loué et utilisé par des tiers.
5 Espace de simulation en réalité étendue p. 13
Dans l’espace de simulation en réalité étendue le plus vaste de Suisse, il est possible de projeter au sol un tracé à l’échelle 1 : 1 puis de le compléter avec des cloisons légères et du mobilier. Les espaces se font tridimensionnels, il devient possible d’évoluer à travers les plans. Dans le cadre d’ateliers de simulation, ceux-ci peuvent ensuite être testés et optimisés avec tous les groupes d’intérêt.
6 Installations de test
Des installations de test permettent d’étudier l’impact de facteurs tels que lumière, couleur, acoustique ou toucher dans des conditions contrôlées et reproductibles, ou d’examiner le niveau d’accessibilité. La configuration et les équipements de ces installations varient selon les missions ou les objets de recherche.
7 L’atelier métal
Un atelier métal parfaitement outillé vient en appui des prestations et des projets de recherche du SCDH, permettant notamment le co-prototypage.
4 Collection de matériaux p. 22
Disponible sous forme physique et numérique, cette collection indexe des matériaux favorables à la santé et respectueux des ressources en s’appuyant sur des faits scientifiques. Le SCDH entend par là proposer aux planificatrices, aux designers et aux architectes un outil qui facilite leurs recherches, simplifie la sélection de matériaux appropriés et fournit des informations pointues sur les différentes matières et leurs applications.
8 L’atelier bois
Le Living Lab compte un atelier bois doté d’équipements professionnels. Ici, les environnements de test ou de simulation sont adaptés aux différents projets ; des idées d’innovation s’y concrétisent également.
La littérature scientifique établit clairement un lien entre design et santé. Le SCDH contribue à la mise en pratique de ces observations. « Nos travaux s’appuient sur des preuves et nous assurons un transfert de connaissances », observe Minou Afzali, qui dirige le service Recherche voir ‹ Méthodologie du design: le Graal ›, page 10. Elle et son équipe intègrent à leurs projets des éléments de connaissance tirés d’études, évaluent les travaux en cours et en publient les résultats. Collaborant avec des universités, associations, fondations ou partenaires du secteur privé, le centre de compétences s’est doté d’un Scientific Board et d’un International Advisory Board. « Nous é changeons régulièrement, abordons les thèmes d’actualité et explorons les questions pertinentes », témoigne Minou Afzali. Minou Afzali nous montre le Living Lab et les quatre espaces de test actuellement en place. Ces installations permettent de tester des schémas d’organisation spatiale, des innovations conçues par des start-ups ou encore différents matériaux voir ‹ Espaces de test proches de la réalité ›, page 7 Selon les projets, les matériaux doivent répondre à des contraintes différentes. Dans une salle d’opération, par exemple, les décharges électrostatiques sont proscrites. « Afin de protéger les personnes et les équipements, le sol doit permettre une évacuation contrôlée », explique Barbara Schwärzler, architecte d’intérieur et coloriste. Parmi les
« T ravailler dans un hôpital ou dans une école donne de nombreuses informations sur les flux et les processus. »
Stefan Sulzer, Direction
différents échantillons éparpillés sur son poste de travail, elle désigne un revêtement bleu-gris qui remplirait ce critère. Trouver un matériau adapté prend du temps, assuret-elle. « Un b on réseau et une connaissance pointue du domaine sont utiles. » Avec la chercheuse en design Meri Zirkelbach, Barbara Schwärzler est chargée de développer la collection des matériaux du SCDH. L’objectif est de collaborer avec les fournisseurs et les utilisateurs pour répertorier les produits adaptés à un usage en structures de santé. Elles attachent une importance particulière à l’innovation. Une première collection de matériaux, amenée ensuite à évoluer, devrait voir le jour début 2025 à Nidau et sous forme numérique voir ‹ Collection de matériaux ›, page 7
Tout en un même lieu
Le SCDH est également en mesure de fabriquer des prototypes. Les ateliers de Nidau sont équipés pour le travail du bois, du métal, du plastique, du textile et du carton. « L es circuits sont courts », expose Raphael Huber, co-directeur Ateliers et ébéniste de formation, soulignant que cela permet de réagir rapidement s’il faut adapter quelque chose lors de tests ou d’une simulation. Et de concrétiser sans difficulté et efficacement les idées d’innovations. La proximité qui existe entre les différents domaines est unique, souligne Raphael Huber en traversant les ateliers. « Elle est inspirante et fait naître des choses nouvelles. » Ainsi, pour un tableau d’orientation, on a collé de la tôle sur des panneaux de bois. Cette table est magnétique et
permet donc de changer les plaques des éléments de signalétique. « Ici, plusieurs connaissances et savoir-faire de métiers artisanaux convergent », résume Raphael Huber. Pour le SCDH, les ateliers sont indispensables, confie Stefan Sulzer. « Ils nous p ermettent d’accompagner les processus de conception avec compétence et efficacité ». Le centre ne concurrence pas les entreprises privées: le SCDH lui-même ne développe aucun produit commercialisable. « L es simulations devraient être plus répandues », conclut-il en insistant sur le fait qu’une approche participative basée sur l’interdisciplinarité mène toujours à de meilleurs résultats. Il estime qu’il faut intégrer cette démarche au processus de planification, tel un outil supplémentaire, a fortiori lorsque les projets sont complexes. ●
« Pour le SCDH, les ateliers sont indispensables. »
Stefan Sulzer, Direction
Swiss Center for Design and Health
Le centre de compétences de Nidau ( BE ) promeut un design au service de la santé. Il accompagne et étudie les processus de conception et intervient sur trois axes: ‹ Communication visuelle ›, ‹ Objets et environnement › et ‹ Systèmes et processus ›. Il s outient les personnes chargées de projets au moyen d’analyses, d’études scientifiques, de co-prototypage et de simulations. Le SCDH dispense par ailleurs des formations et organise des manifestations publiques. Il fait le lien entre des spécialistes venant des milieux scientifiques, politiques et professionnels. Ce pôle financé par la Confédération, le canton de Berne et des partenaires privés, a vu le jour en 2019 dans le cadre d’un partenariat public-privé et a démarré son activité à Nidau en 2022. Début 2025, il élargira son offre avec sa propre collection de matériaux. www.scdh.ch
Des plans projetés au sol et des cloisons mobiles en carton rendent plus flexible l’évaluation de bâtiments hospitaliers à l’étude.
Comment promouvoir la santé grâce au design ?
Directrice Recherche au SCDH, Minou Afzali assure que la réponse à cette question est interdisciplinaire.
Texte: Meret Ernst
Méthodologie
de design: le Graal
Le SCDH s’adresse aux personnes intéressées par les points de croisée où architecture et design rejoignent des questions liées à la santé. « C es points de croisée ne se matérialisent pas uniquement dans les espaces bâtis », explique Minou Afzali, directrice Recherche. Pour elle, le terme « espace » désigne un environnement bâti et aménagé. Ce dernier comprend aussi les espaces numériques, par exemple une plateforme offrant des informations et des possibilités d’échange à des infirmiers en oncologie, ou bien des modèles hybrides de télémédecine pour un soutien à domicile.
L’être humain placé au centre
En qualité de docteure en anthropologie sociale, Minou Afzali s’intéresse à la nature des interactions humaines en lien avec la santé dans les espaces analogiques, numériques et hybrides. Et en qualité de diplômée en design, elle sait que tout relève d’une conception, pas seulement les espaces, mais aussi les interactions et les objets qui y déploient leurs effets. Cela va du pansement pour enfant à la sonde d’intubation, de la salle d’attente dans un cabinet d’urologie à la salle d’opération, de la visite d’un service ASD à la téléconsultation médicale. Même le système de santé est une conception: il reflète une volonté politique. Et il marque aussi le champ d’action sur lequel le SCDH s’oriente, pour ancrer le développement de la formation continue, le transfert de technologie et la coopération avec différents partenaires professionnels et scientifiques. Ses prestations sont regroupées autour des périmètres ‹ Communication visuelle ›, ‹ Objets et environnement › ainsi que ‹ Systèmes et processus ›. « Dans tous ces domaines, notre objectif est d’étudier et de développer des solutions d’aménagement et des normes favorables à la promotion de la santé », dé clare Minou Afzali.
En s’en tenant au Graal qu’est la méthodologie du design, les offres du SCDH sont centrées sur l’être humain et pensées de manière participative et itérative: « Nous plaçons l’être humain au cœur de notre réflexion ; nous s ollicitons les perspectives de l’ensemble des participants et les intégrons dès le départ, et nous savons que la conception d’une solution passe par un réexamen permanent. » En tant que chercheuse, Minou Afzali est particulièrement attachée au quatrième principe du SCDH: une approche basée sur les preuves.
L’architecture peut-elle guérir ?
Car, au-delà de tous les efforts, se pose la question cruciale de savoir si et comment santé et design peuvent interagir. Notre expérience du quotidien nous confirme du moins que l’environnement bâti, les produits que nous utilisons ou les services auxquels nous avons recours ont un impact sur notre bien-être.
Mais l’architecture peut-elle guérir ? S eule, certainement pas, freine Minou Afzali pour éviter toute attente excessive. « D e nombreux autres facteurs contribuent à notre santé. » S on parcours de scientifique la pousse à vouloir comprendre précisément: quel impact quantifiable l’architecture et le design ont-ils sur la santé ? On a aujourd’hui des éléments scientifiques à ce sujet.
Une étude publiée en 1984 dans la revue ‹ S cience › marque la naissance du champ de recherche de l’evidence-based design ( EBD ). S ous la direction du professeur américain Roger Ulrich, une équipe scientifique a examiné les dossiers de 46 patients hospitalisés entre 1972 et
1981 dans un hôpital en Pennsylvanie pour une ablation de la vésicule biliaire. Les 23 patients qui avaient une vue sur des espaces verts sont restées moins longtemps à l’hôpital, leur dossier contenait moins de remarques négatives des soignants et la consommation d’analgésiques était plus faible que dans l’autre moitié du groupe. Là, les chambres étaient comparables, mais la fenêtre donnait sur un mur de briques. En ce qui concerne la santé, le lien attesté entre nature et réduction du stress n’est qu’un facteur parmi d’autres. Quantité d’études ont démontré comment des espaces, des objets et des processus bien conçus et bien aménagés permettent de réduire les infections nosocomiales, les erreurs médicales, les chutes de patients ou les blessures des personnels, d’abaisser le stress des patients et des soignants, ou encore d’améliorer la sécurité, la productivité ainsi que la durabilité environnementale et économique. Ces connaissances établies constituent la base de nouvelles questions de recherche et de conception. Qui se posent aussi aux scientifiques du SCDH. « Nous évaluons l’état actuel de la recherche et définissons les conditions initiales avec nos partenaires académiques et professionnels. Lorsque les faits n’existent pas, nous les créons », explique Minou Afzali à propos de la démarche. « Partant de là, nous identifions les solutions et les améliorations envisageables. »
Les exigences fonctionnelles posées à des espaces dédiés à la santé s’inscrivent dans une longue tradition. De fait, les directives, les normes et les prescriptions recèlent des connaissances nombreuses. Pourquoi alors faudrait-il de nouvelles preuves ? « C’est juste, nous construisons des espaces pour la santé depuis des siècles. Mais nos recherches et nos aménagements ont lieu dans des contextes spécifiques et pour des besoins variés », ajoute Minou Afzali. Ce qui est bienfaisant pour un groupe de patients est anxiogène pour un autre. Des contextes différents produisent des faits contradictoires et une conception dépend toujours de son contexte. À ce titre, les aspects liés à la psychologie de la perception jouent aussi un rôle. Et cela nous mène droit à la question: comment établir des preuves d’ordre esthétique ? Pour y répondre, l’équipe du SCDH compte également des designers et des architectes.
Interdisciplinarité extrême
L’équipe du SCDH définit la notion de preuve de manière large. Pour Minou Afzali: « Collecter des données, observer, concevoir et tester – tout cela fait partie de l’evidence-based design. Et, comme dans toute recherche, nous nous appuyons toujours sur l’état des connaissances. » Au SCDH, ce niveau de savoir est appréhendé de manière active, en organisant des symposiums sur des sujets de santé et en conviant des chercheurs invités ou des partenaires associés à un projet issu du milieu académique, afin qu’ils partagent leurs connaissances et fassent avancer les choses collectivement.
« L es chercheuses et chercheurs apportent leur expertise, utilisent notre savoir-faire ou nos infrastructures et peuvent ainsi trouver des réponses spécifiques à leurs projets », r ésume Minou Afzali. Cet échange est le fruit d’une interdisciplinarité extrême, qui est en soi une exigence du vaste domaine de recherche dans la santé. En effet, d’après l’OMS, la santé ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité. Elle recouvre un état de complet bien-être physique, mental et social. Transcrire cela dans des conceptions basées sur la recherche est une entreprise de taille à laquelle il est judicieux de se consacrer en unissant ses forces. ●
Minou Afzali a étudié le design de produits, obtenu un doctorat à l’Institut d’anthropologie sociale de l’Université de Berne avant d’exercer des activités de recherche et d’enseigner à la Haute école des arts de Berne en tant que professeure en Social Design dans le domaine du design et de la santé. Minou Afzali est membre de la direction élargie du SCDH et dirige le service Recherche.
Evidence-based design ( EBD ) Cette notion est apparue pour la première fois dans le secteur de la santé. Elle trouve son origine dans l’étude ‹ View Through a Window May Influence Recovery from Surgery› ( publié e dans: Science 224( 4647 ) :420 – 1 ), Roger S. Ulrich. Depuis 2007, la revue spécialisée ‹ Health Environment Research & Design Journal › ( HERD ) publie des études qui mettent les questions de la santé et du design en perspective. D’un point de vue méthodologique, l’EBD exige que les décisions relevant du design soient prises sur la base de résultats de recherche validés. Cela suppose une procédure fondée sur des règles conformes aux principes de la rigueur scientifique. Les décisions de conception, c’est-à-dire concernant la construction et le design, doivent être motivées et les résultats vérifiés, avec de nouvelles preuves à la clé. La recherche dans ce domaine montre que la conception des environnements analogiques et numériques se répercute sur le bien-être des usagers du système. Aborder l’EBD comme une méthode fait aussi l’objet de discussions dans le milieu de l’UX Design. Les études relatives à l’emploi d’interfaces numériques et à leur efficacité reposent avant tout sur des observations faites depuis les années 1980 dans le cadre de recherches scientifiques sur l’utilisabilité.
Le Living Lab est un lieu où se rencontrent des spécialistes de disciplines diverses pour y développer une vision commune.
Monika Codourey est membre de la direction élargie du SCDH et occupe la fonction de directrice du Living Lab. Titulaire d’un doctorat en architecture, elle est spécialisée dans la recherche transdisciplinaire et a une grande expertise dans la santé.
Comprendre entre des murs en carton
Le plus grand espace de simulation de Suisse se trouve au SCDH. On peut y reproduire des plans et des pièces à l’échelle 1 : 1 afin de les tester.
Texte: Urs Honegger
L’espace de simulation en réalité étendue du Living Lab occupe quelque 560 mètres carrés, ce qui en fait le plus grand de Suisse. Il permet de projeter au sol des plans grandeur nature, puis d’y ajouter des cloisons légères et des maquettes créées dans les ateliers du SCDH, tout comme du vrai mobilier. Les espaces se font ainsi tridimensionnels, il devient possible d’évoluer à travers les plans. Les ateliers de simulation sont en outre un moyen d’identifier des défauts de conception à un stade précoce du projet et de les éviter. Cette approche optimise la prévisibilité et les processus tout en permettant de réduire les coûts.
Des jeux de rôles pour apprivoiser la réalité L’idée des simulations trouve son origine dans une méthode développée par Nora Colman, pédiatre américaine spécialisée en soins intensifs voir ‹ Améliorer l’architecture par la simulation ›, page 14 lors de la conception de l’hôpital pédiatrique d’Atlanta. « En tant que chercheuse invitée, elle a travaillé avec nous sur l’utilisation de la méthode de simulation fondée sur des critères », explique Monika Codourey, directrice du Living Lab. La première étape consiste à établir avec le partenaire de terrain ce qui sera testé et dans quelles situations. En fonction des problématiques, les approches seront définies différemment. Dans l’espace de simulation, les plans de construction prennent pour la première fois une forme concrète. « On n’observe pas les mêmes choses entre des murs en carton que devant un
ordinateur ou dans une pièce virtuelle », constate Monika Codourey, ajoutant que le plus souvent, les faiblesses se manifestent dès l’installation, comme un couloir trop étroit, par exemple. Les défauts moins facilement perceptibles sont identifiés lors de simulations dirigées et animées par l’équipe du SCDH. « Nous reproduisons plusieurs scénarios réalistes », explique Monika Codourey. Les tests portent sur les flux de travail, mais intègrent souvent des processus logistiques ou de situations d’urgence.
Dans le Living Lab, les parties prenantes découvrent les pièces étudiées à taille réelle. « Elle s appréhendent bien mieux les distances par exemple, et perçoivent des contextes spatiaux qu’elles auraient à peine remarqué sur le plan », p oursuit-elle. Personne ne peut mieux comprendre les flux de travail que les futurs usagers, pas mêmes les architectes et les bureaux d’études. En revanche, comprendre des plans est souvent difficile pour les usagers. C’est pourquoi une simulation facilite la communication entre les parties prenantes. Près de la moitié des participants observe ce qui se passe et prend des notes. L’autre moitié se met en situation en adoptant des rôles liés à leurs activités professionnelles. Au cours du débriefing, les personnes présentes confrontent leurs observations. « D es ajustements minimes peuvent parfois avoir des répercussions importantes », assure Monika Codourey. Nous créons ainsi des espaces au service des personnes qui les utilisent, un aspect décisif compte tenu de la crise des compétences actuelle.
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« Améliorer l’architecture par la simulation »
Nora Colman, comment faites-vous pour convaincre des responsables de structure hospitalière et des architectes qu’une simulation peut être intéressante ?
Nora Colman: En leur p arlant des possibilités que cela ouvre: plus de sécurité et moins de dépenses. Nous savons que le bâti a un impact sur la sécurité des patients. Des espaces mal conçus entraînent des frais de personnel plus élevés parce que leur utilisation est inefficace ou qu’ils peuvent causer des problèmes de sécurité coûteux. Qui incite, en général, à intégrer une simulation à la phase d’étude ?
Au cours du processus de conception, les architectes font face à des questions sur lesquelles la direction d’un établissement hospitalier peut difficilement trancher. Cela leur donne la possibilité de dire: nous pourrions tester ce point particulier dans le cadre d’une simulation. Nous obtiendrons ainsi des informations plus complètes qui aideront à la décision. Dans le même temps, la direction peut aussi dire: cet espace ne ressemblera pas du tout à ce que nous avons l’habitude de voir. Nous aimerions avoir le retour de nos équipes cliniques pour pouvoir prendre les bonnes décisions.
Pour un cabinet d’architecture, en quoi une simulation est-elle bénéfique à la planification ?
‹ Work as imagined › s e traduit rarement par ‹ work as done ›.
Les bureaux d’études peuvent concevoir un espace et se projeter dans son utilisation, mais la réalité est souvent bien différente. Le personnel hospitalier se l’appropriera peut-être d’une tout autre façon. Une simulation matérialise ce décalage.
Que retirent les personnels hospitaliers d’une simulation ?
Ils ont souvent du mal à se représenter un plan en deux dimensions dans leur contexte professionnel. Lorsqu’un espace ne correspond pas à leurs besoins, ils développent des solutions alternatives qui leur facilitent la tâche. Toutefois, ces solutions peuvent être incertaines ou inefficaces, raison pour laquelle il est important de les impliquer tôt dans la planification.
Pouvez-vous nous donner un exemple ?
Au moment de la construction de notre hôpital à Atlanta, nous avions prévu la répartition des espaces en nous assurant de pouvoir loger tous les équipements. Sur le papier, cela était formidable. Mais lorsque les personnels hospitaliers ont utilisé l’espace lors de la simulation, on a vu qu’ils ne pouvaient pas atteindre la tête de lit quand un patient était appareillé. Une simulation oblige les architectes, mais aussi la direction d’un établissement hospitalier, à dépasser le processus de planification classique. Remettre les usagers d’un espace au centre de la démarche architecturale profite à tout le monde.
L’architecture influence donc non seulement la qualité de la prise en charge, mais aussi le bien-être des effectifs. Agencer des espaces sans avis clinique crée une charge de travail supplémentaire pour les employés. Ils ne veulent pas travailler dans des espaces qui ne répondent pas à leurs besoins. Pour un hôpital, ne pas impliquer les collaboratrices à la planification revient à signifier que leur avis n’est pas valorisé, ce qui affecte le moral et accentue les fluctuations de personnel. Et cela coûte cher. Selon vous, les architectes sont-ils prêts à s’ouvrir au processus de simulation ?
Aux États-Unis, nous observons un changement des mentalités. Les architectes impliquent toujours plus souvent les utilisateurs finaux dans leurs processus, mais il faut aussi que la direction des hôpitaux y soit favorable. Les simulations entraînent souvent des modifications de l’agencement et chacune des parties doit être prête à les accepter. L’objectif d’une simulation n’est pas de critiquer la proposition architecturale, mais de l’affiner et de l’améliorer de sorte à obtenir le meilleur résultat possible. L’architecture hospitalière n’est-elle pas standardisable ?
La prise en charge médicale présente de nombreuses gradations et peut même être totalement différente d’un hôpital, d’un pays ou même d’une équipe à l’autre. Il n’existe pas de solution standard en matière d’agencement hospitalier, parce que chaque système organise les soins différemment. Les architectes doivent trouver un équilibre entre standardisation et individualisation. Et cela suppose une implication du personnel hospitalier afin de comprendre comment la prise en charge fonctionne dans leur contexte spécifique.
Nora Colman est professeure-assistante en pédiatrie et médecin praticienne en soins pédiatriques intensifs au Children’s Healthcare of Atlanta ( États-Unis ). Cette experte en simulation étudie l’influence de l’architecture et du design sur la sécurité des patients. Nora Colman a organisé de nombreux grands projets de simulation dans le cadre de la planification d’hôpitaux et a dirigé un atelier de deux jours au SCDH sur le thème ‹ Hospital design and care delivery › ( conception hospitalière et prise en charge ).
Comment vous assurez-vous qu’architectes et responsables de structures hospitalières communiquent de manière claire pendant une simulation ?
Toutes les personnes qui participent doivent avoir une compréhension partagée des objectifs d’une simulation, et de ses limites. S’il y a des éléments pour lesquels une modification est impossible, cela doit être clair dès le départ. Nous utilisons aussi des outils, tels que l’analyse d’er reurs possibles et d’impact ( AEPI ), p our hiérarchiser les problèmes selon des critères de sécurité et d’efficacité. Il est primordial que l’architecte et la ou le propriétaire de l’hôpital s’accordent sur la façon dont les décisions seront prises à l’issue de la simulation. Elles doivent être portées par les instances dirigeantes de sorte à assurer la bonne mise en œuvre des résultats obtenus.
Les simulations sont des opérations laborieuses qui avortent souvent en raison de leur coût.
La question des coûts préoccupe particulièrement les hôpitaux. Une simulation nécessite ressources en personnel et en temps, ce qui peut sembler dissuasif au premier abord. Mais elle n’est pas forcément chère. Nos simulations sont évolutives, allant d’une seule pièce à tout un service. Le but est de montrer aux hôpitaux les économies de coûts à long terme. Plus la détection des défauts de planification précoce et moins leur élimination est coûteuse.
Vous avez un exemple ?
Nous utilisons un concept, la courbe coût-influence. Cette courbe montre dans quelle mesure les modifications réalisées tôt dans la phase d’étude sont peu coûteuses alors qu’elles sont beaucoup plus chères après le début des travaux. Dans un cas, il a fallu remanier un service d’urgence dans sa totalité et cela s’est chiffré en millions. Les simulations permettent d’identifier ce genre de problème suffisamment tôt et donc de maîtriser les budgets travaux, tout comme les frais d’exploitation.
Quel rôle le SCDH peut-il jouer dans un processus de ce type ?
Avoir recours à des simulations pour valider la conception d’un hôpital est une application relativement récente et l’expertise en la matière est peu répandue. Quand bien
même un hôpital utiliserait des simulations pour la formation, ce n’est pas pareil que de valider un environnement réel. Et ces connaissances-là manquent jusque dans les bureaux d’architectes spécialisés en structures hospitalières. Le SCDH offre des espaces adaptés et l’expertise nécessaire à la mise en œuvre de simulations.
Cette expertise peut-elle aller au-delà de l’étude pour un projet isolé ?
L e SCDH opère en toute neutralité, il n’est lié à aucun bureau d’architectes, aucun hôpital, ni aucun fournisseur. C’est donc un lieu voué à la collaboration et à l’innovation. Il permet aux architectes, aux personnels hospitaliers et aux responsables d’établissements de santé de se rencontrer. Cette plateforme unique en son genre a le potentiel d’instaurer un nouveau référentiel pour l’architecture des structures hospitalières à l’échelle mondiale.
Qu’est-ce que cela signifie pour les architectes ?
Un cabinet d’architectes pourrait développer des compétences au SCDH, qu’il serait en mesure d’utiliser dans différents pays. On pourrait intégrer les personnels de santé de dix hôpitaux distincts au sein d’une architecture universelle. Une étude de ce type, dotée de caractéristiques bien précises, pourrait fonctionner pour de nombreux projets. Et on pourrait poursuivre l’optimisation de ces conceptions de base pour les adapter à des besoins individuels. Interview: Urs Honegger. ●
« L a question des coûts préoccupe particulièrement les hôpitaux. »
Nora Colman, spécialiste de médecine intensive et experte en simulation
Effet sur la courbe d’impact des coûts d’une validation par simulation pour une structure hospitalière à l’étude
Courbe établie d’après Wideman ( 2001 ) ainsi que Christensen et Manuele ( 1999 )
Début du projet
Coûts élevés
Coûts faibles
Calendrier du projet
P ré-construction: capacité à agir sur les coûts en amont
E xamen du projet par simulation
P ost-construction: aménagements liés à des coûts élevés
Fin du projet
Processus numériques: quel impact sur les patientes, les personnels soignants et les médecins ?
« Qu’en penserait Flor ence Nightingale ? »
Grâce à des simulations précises, des médecins, des architectes et des soignants évaluent la performance de modèles de soins numérisés. Le potentiel est énorme – tout comme les enjeux.
Dans un salon à l’aménagement confortable, un homme âgé est assis, recroquevillé. Il inspire et expire difficilement, semble glisser dans un état de somnolence, lorsque des coups à la porte le font sursauter. Il peine à se lever de son fauteuil, puis ouvre la porte à une jeune femme. Elle est vêtue d’une blouse verte et tient une valise noire bien remplie, qu’elle pose avec soin sur la table en bois. Immédiatement, l’homme lui explique qu’il a des palpitations cardiaques et qu’il a peur de perdre connaissance. Tous deux portent des pantoufles en feutre enfilées sur leurs chaussures, d’énormes projecteurs sont suspendus au-dessus de leur tête.
La scène fait partie du symposium ‹ Building trust: Designing for remote care › du S wiss Center for Design and Health. Des observatrices suivent attentivement ce qui se déroule, prennent des notes et filment sur smartphone. Parmi ces personnes, de nombreux membres de l’équipe SCDH qui a préparé quatre scénarios de test pour l’évènement de deux jours. Ces simulations entendent montrer l’impact que l’intégration de processus numériques dans la prise en charge peut avoir pour les patientes, les soignants, les médecins et les proches. Ce cas d’étude relate l’histoire d’un homme souffrant de troubles cardiaques qui, après avoir quitté l’hôpital, reçoit des soins médicaux à domicile. Ce concept, qui porte l’appellation ‹ Hospital at Home ›, prévoit une prise en charge à domicile de soins cliniques.
Tirer parti du savoir des utilisatrices
Parmi les protagonistes, des soignants, des médecins et différents personnels. Quelques acteurs sont également présents. Bien que l’expérience des patients fasse défaut, les ressentis de ces personnes pendant le jeu de rôle sont des indicateurs essentiels. « Dans le cadre d’études de design, la simulation est une méthode précieuse », indique Minou Afzali, directrice Recherche au SCDH. « Vivre cette scène de manière concrète est un point de départ idéal pour lancer la discussion. »
Et les discussions, ici, sont nombreuses: chaque décision, chaque geste des participants est analysé au moment du débriefing. « L e processus n’était-il pas presque trop parfait ? Cette attitude imperturbable, reflète-t-elle vraiment la réalité ? », demande Deane Harder aux participantes. Il est co-organisateur de ce symposium, membre du Scientific Board du SCDH et enseigne à la Haute école spécialisée bernoise.
Sont également présents plusieurs membres de l’International Advisory Board, venus des États-Unis, du Canada et de Suède. Des personnes issues d’horizons aussi divers que la santé publique, les soins, l’informatique médicale, l’anthropologie sociale, la chirurgie, la médecine d’urgence, le design et l’architecture convergent dans ce vaste hall.
Très concentré, le groupe s’intéresse à l’outil de communication numérique et à son emploi. D’après le script, la collaboratrice ASD initie une visioconférence avec le cardiologue de l’hôpital qui donne des instructions via une consultation à distance et rassure le patient. L’écran nécessaire est dans la valise noire, par ailleurs remplie d’accessoires médicaux. Bien que les spécialistes présents voient des avantages dans le traitement à deux niveaux mis en scène, ils identifient également des points critiques. Ceux-ci portent avant tout sur le rôle des soignants, dont l’éventail des missions s’accroît avec ce support technologique.
Il est urgent de se saisir de la question posée par les modèles de soins numérisés: seule l’expérience permet de savoir quels outils sont nécessaires et de quelle manière s’en servir. Au carrefour entre patients, proches et hôpital, les soignants occupent une place prépondérante. Il est essentiel de transmettre leurs savoirs aux développeuses dans la tech. « Il faut que soient développées des technologies qui nous aident à aider à notre tour les patients », martèle une informaticienne médicale. Cette ancienne infirmière tenait le rôle de la collaboratrice ASD. Il apparaît clairement que la valise noire avec l’écran ne tient pas
On
peut supposer qu’un jour, du fait des progrès techniques, les hôpitaux ne recevront plus que les patients dont le traitement n’est pas possible autrement.
compte des besoins du personnel infirmier: la valise pèse douze kilogrammes. Il est assez peu vraisemblable que ce dispositif soit gérable au quotidien pour quelqu’un qui traverse les villes de long en large pour rendre visite aux malades.
Concevoir des espaces hybrides
La simulation soulève de nombreuses questions d’ordre technologique. Mais l’espace réel joue lui aussi un rôle important. Dans de nombreux endroits, il est à la traîne: les hôpitaux ne disposent souvent que de quelques bureaux, et c’est à peine si certains sont prévus pour les personnels soignants. Mais alors, où réaliser ces visioconférences rendues nécessaires par la télémédecine ?
Si elles se déroulent dans un cadre où les nuisances sonores et visuelles sont fréquentes, il est peu probable que ce contact contribue à établir un lien de confiance avec les patients. Or, la confiance est une condition essentielle à la réussite d’un traitement.
Les ‹ espaces de test proches de la réalité ›, tels que sont désignées ces reconstitutions de logements en interne, permettent d’étudier des facteurs tels que lumière, couleurs ou matériaux ainsi que leur impact sur l’expérience des utilisateurs.
Toutefois, la possibilité qu’elles offrent de tester les flux de tâches est encore plus importante. Car si lors d’une visioconférence, les patients n’entrent pas réellement dans la salle de consultation, l’agencement de ces dernières est primordial. La façon dont elles sont organisées doit donc être soigneusement planifiée et répondre à différents scénarios. Si une thérapeute réalise sa séance depuis le canapé, l’écran doit être abaissé au niveau des yeux et le mobilier être conçu pour. Car dans un cabinet, médecin et patient se regardent aussi face à face. « Il faut penser la thérapie conjointement à la technologie, elles forment un système. Il ne faut pas implémenter la technique a posteriori », résume une psychanalyste présente.
Les hôpitaux évoluent progressivement en lieux hybrides, construits pour une prise en charge classique autant que numérique. Au SCDH, on voit clairement à quel point les concevoir deviendra complexe. Il suffit d’imaginer le ‹ p arcours utilisateur › pour une consultation numérique, depuis la salle d’attente numérique jusqu’au cabinet. L’équipe a donc apporté un soin particulier à la préparation du script pour les scénarios de test. La priorité y est clairement fixée. « Au bloc opératoire, par exemple, le risque d’infection occupe une place importante alors que dans un EMS, ce sera plutôt la sécurité des résidents », précise Minou Afzali.
« Que dirait Florence Nightingale de tout cela ? », lance à la ronde Nirit Pilosof, directrice de recherche au Sheba Medical Center en Israël et l’une des organisatrices du symposium. « Elle apprécierait certainement de disposer d’autant de données grâce à la technologie et de les exploiter pour organiser les environnements. » Infirmière et statisticienne britannique décédée en 1910, Florence Nightingale est considérée comme la fondatrice des soins infirmiers dans leur forme moderne. Elle s’est notamment intéressée aux effets qu’ont les environnements sur la santé.
Remote care
Pouvoir bénéficier de soins dans le cadre familier de son domicile a des effets positifs sur la guérison. Plusieurs études montrent que des patients suivis dans le cadre du programme ‹ H ospital at Home › gardent le lit moins longtemps et se rétablissent plus vite. Ce mode de prise en charge ne convient pas toujours: il dépend avant tout du type de maladie et des conditions de vie. En Suisse, les soins à domicile sont fréquents chez les séniors, mais ils ne couvrent pas les soins cliniques aigus. D’autres pays, comme la Norvège, Israël ou le Japon, vont déjà plus loin. Sous l’influence de la pandémie, on souhaite aujourd’hui aller de l’avant ici aussi. On peut supposer qu’un jour, du fait des progrès techniques, les hôpitaux ne recevront plus que les patients dont le traitement n’est pas possible autrement. Les autres seraient soignés chez eux.
Dans cette démarche, le bien-être des patients n’est pas le seul aspect considéré. Ce nouveau modèle, qui promet également d’abaisser la pression sur les infrastructures hospitalières, et donc les coûts, semble pour l’heure exiger énormément de ressources en temps et en personnel. Si l’on en croit un expert cité en mai par un média zurichois, cette situation pourrait s’améliorer à mesure que l’expérience et l’efficacité augmenteront. Il a également porté la Grande-Bretagne aux nues: « Là-bas, grâce au monitoring électronique, quatre personnels soignants ayant reçu une formation spécifique suivent jusqu’à 60 patients simultanément. » La question de savoir s’il s’agit d’un scénario souhaitable reste ouverte, sans remettre en cause le potentiel de l’approche ‹ Remote Car e ›. Au SCDH, personne ne doute que des technologies adaptées seront bientôt utilisées. C’est pourquoi il y a lieu de veiller à ce que leur mise en œuvre réponde aux besoins des utilisatrices. Et à ce que les planificateurs, les architectes, les designers et les développeuses apprennent à adopter le point de vue des patientes et des personnes assurant la prise en charge. ●
Si une thérapeute réalise sa séance depuis le canapé, l’écran doit être abaissé au niveau des yeux et le mobilier être conçu pour.
Quelles patientes seront hospitalisées à l’avenir et dans quels agencements ?
Ressentir, échanger, perfectionner
Dans ses champs d’activité ‹Communication visuelle›, ‹Objets et environnement› et ‹Systèmes et processus›, le SCDH propose des services variés commençant par l’analyse, passant par le conseil et la formation et allant jusqu’à la simulation ou au co-prototypage. Petit tour d’horizon des projets actuels. Photos: SCDH
Hôpital de soins aigus
Dans le contexte d’une procédure d’assurance qualité, un concours d’études a été réalisé en 2023 pour le nouvel hôpital Bienne-Brügg. Le projet, qui porte sur un hôpital de soins aigus assez dense avec près de 200 lits, tient largement compte de l’évolution vers plus d’ambulatoire. Dans une logique d’optimisation des processus, ce nouvel établissement entend se démarquer clairement de l’offre ambulatoire, avec comme axe majeur les prestations hospitalières et techniques. Animés dans l’espace de simulation en réalité étendue du SCDH, des ateliers impliquant les utilisateurs du futur bâtiment permettent d’en tester et d’en optimiser les plans en employant des projections, des cloisons légères, du mobilier adapté et des maquettes. Ils mettent l’accent sur la sécurité des patients, sur le bien-être des effectifs et sur les flux de travail. On y simule des chambres d’hôpital et des couloirs, des salles d’opération avec flux entrants et sortants, des unités urgences et soins intensifs ainsi que la radiologie et l’unité de soins ambulatoires. Les résultats obtenus lors de l’atelier simulation viendront enrichir la planification détaillée du nouveau bâtiment.
Ateliers simulation, nouvel hôpital Bienne-Brügg, 2025 – 2026
Champ d’activité: ‹ Objets et environnement ›
Offre: services Plateforme: espace de simulation en réalité étendue
Repenser la conception
Comment concevoir les hôpitaux de demain? Cette question était au cœur de l’atelier ‹ Hospital design and care delivery ›. Nora Colman, experte en simulation et spécialiste de médecine intensive voir ‹ Am éliorer l’architecture par la simulation ›, page 14 a exposé les trois éléments principaux de la conception hospitalière dans sa présentation d’introduction: sécurité des patients, aménagements opérationnels et architecturaux. À diverses reprises, les discussions entre les participantes à l’atelier ont permis de faire émerger les différences spécifiques à chaque pays en ce qui concerne les questions liées à la planification et à l’aménagement d’hôpitaux, neufs ou rénovés. Mais il existe un point commun: construire des institutions de santé, surtout des hôpitaux, est toujours complexe. Maîtriser cette complexité nécessite d’impliquer toutes les parties prenantes. La conception doit reposer sur un processus décisionnel valorisant la continuité des échanges. Il y a également lieu de former les équipes dirigeantes des hôpitaux afin qu’elles aient une perception plus claire des pratiques de planification architecturale. À l’inverse, les architectes doivent parfaitement comprendre les processus opérationnels d’un hôpital. Après des échanges intéressants en plénière et en petits groupes, les participants ont eu recours le deuxième jour à l’espace de simulation en réalité étendue, afin d’explorer la méthode de simulation et d’évaluer et optimiser des processus et des espaces à taille réelle.
‹ Hospital design and care delivery ›, juin 2024
Champ d’activité: ‹ Objets et environnement ›
Offre: formation continue
Plateforme: espace de simulation en réalité étendue
Extension optimale
La clinique de réadaptation ( Rehaklinik ) Hasliberg est un établissement hospitalier de renom spécialisé dans la réadaptation en médecine interne et oncologique, psychosomatique et musculosquelettique. Elle dispose de près de 80 lits et envisage différents chantiers, à savoir la rénovation de deux étages et une extension accueillant 20 chambres supplémentaires. La mise en service de ces nouvelles infrastructures est prévue pour mai 2028. En préparation de ces travaux, les personnes impliquées se sont rendues au REHAB Basel en compagnie d’une équipe du SCDH. Cette clinique de réadaptation neurologique et paraplégique traite les patientes et les accompagne dans leur parcours pour gagner en qualité de vie. En dépit du contexte clinique complexe dans lequel ces patients se trouvent, ils doivent se sentir à l’aise durant leur séjour, généralement long de plusieurs mois. Conçue par le bureau d’architectes Herzog & de Meuron, cette structure bâtie en 1999 fait figure de référence parmi les édifices hospitaliers en Suisse. La pensée et les principes qui sous-tendent ce bâtiment ont prouvé leur efficacité durant toutes ces années. Après ce passage à Bâle, les représentants de la clinique de réadaptation Hasliberg se sont rendus au Living Lab du SCDH pour être formés et sensibilisés au thème de l’architecture axée sur la promotion de la santé.
Architecture axée sur la promotion de la santé pour la clinique de réadaptation Hasliberg, décembre 2023
Champ d’activité: ‹ Objets et environnement ›
Offre: conseil
Plateforme: espace de simulation en réalité étendue
Mieux assis
La commune de Muri bei Bern souhaite aménager ses espaces publics pour mieux les adapter aux personnes âgées. Elle envisage notamment des circuits et du mobilier de repos adaptés aux séniors. En vue d’une consultation de la population, le SCDH a réalisé une maquette et un prototype conformes au banc imaginé par l’agence. Dans son développement, cette dernière a tenu compte d’aspects tels que les caractéristiques adaptées à l’âge, un usage intergénérationnel, une production peu coûteuse ainsi que la facilité de démontage et l’entretien par les services municipaux. Le prototype du SCDH sera comparé à un modèle de la commune ainsi qu’à une ébauche du Conseil des Anciens et de la population.
Mobilier de repos adapté aux séniors, automne à hiver 2024
Champ d’activité: ‹ Objets et environnement ›
Offre: services
Plateforme: simulation et co-prototypage
Symposium 2024
Les membres du Scientific Board et de l’International Advisory Board, l’équipe SCDH de même que des expertes invitées et des personnalités conviées se sont réunis en juillet 2024 à l’occasion du troisième symposium du SCDH. Il avait pour thème prioritaire le développement du ‹ remote care › et l’intégration des technologies de télémédecine dans les hôpitaux et l’environnement domestique des patients. Les exposés et les discussions qui ont suivi ont offert un éclairage sur la dynamique entre les technologies de soins à distance et l’environnement bâti, ainsi que sur l’expérience humaine. Divers scénarios de ‹ remote care › ont ensuite été reproduits en direct dans l’espace de simulation et dans les espaces de test proches de la réalité du Living Lab. Plusieurs exposés publics ainsi qu’une table ronde ont achevé la rencontre. L’objectif du SCDH consiste désormais à dégager des recommandations et des lignes directrices à partir des conclusions du symposium, à informer les décideuses et décideurs, les managers du domaine de la santé, les architectes, les designers, les développeuses et développeurs de nouvelles technologies et le personnel médical ainsi qu’à leur permettre de déployer pleinement le potentiel des modèles ‹ remote care ›.
Symposium 2024: remote care, juillet 2024
Champ d’activité: ‹ Objets et environnement ›, ‹Systèmes et processus ›
Offre: formation continue, simulation
Plateforme: espace de simulation en réalité étendue, espaces de test proches de la réalité
Nouveau centre chirurgical
Pour les exploitants de l’hôpital de Bülach, assurer l’avenir de l’établissement passe par un développement actif de l’offre ainsi que par un élargissement des prestations hospitalières. Le projet principal est axé autour d’un centre de chirurgie ambulatoire sur le campus de l’hôpital. Au printemps 2023, la planification du secteur chirurgie prévu dans la nouvelle unité de traitement a atteint la phase d’étude détaillée. Dans le cadre d’un atelier simulation, l’équipe chirurgicale de l’hôpital, le bureau d’architectes et des expertes du SCDH ont évalué la dernière version des plans du secteur chirurgie. L’atelier simulation permet d’identifier les enjeux architecturaux du projet sur le plan de la sécurité des patients, du bien-être des collaboratrices et de la mise en place d’une organisation fluide des tâches. Les résultats obtenus sont pris en compte dans les étapes de planification suivantes.
Atelier simulation secteur chirurgie
Hôpital de Bülach, mars 2023
Champ d’activité: ‹ Objets et environnement ›
Offre: simulation et co-prototypage
Plateforme: espace de simulation en réalité étendue
Collection de matériaux
La collection de matériaux du SCDH est une plateforme regroupant des matériaux sélectionnés pour leur impact bénéfique sur la promotion de la santé. Choisir des matériaux adaptés est un véritable casse-tête, qu’il s’agisse d’un bâtiment neuf ou d’une rénovation. En effet, ils doivent répondre à des exigences variées, parfois très strictes et très spécifiques. Avec sa collection de matériaux, le SCDH met à la disposition des planificatrices, des designers et des architectes un outil qui facilite leurs recherches, simplifie la sélection de matériaux appropriés et fournit des informations pointues sur les différentes matières et leurs applications. Toutes les entrées sont validées sur la base de résultats scientifiques récents et d’expériences pratiques, elles comportent des informations détaillées et sont montrées en contexte dans le cadre d’applications réelles. Cette collection propose des outils numériques et physiques, une base de connaissances enrichie régulièrement, des aides à la planification fondées sur des preuves ainsi que des manifestations.
Collection de matériaux, janvier 2025
Champ d’activité: ‹ Communication visuelle ›, ‹ Objets et environnement ›
Offre: analyse, conseil, simulation et co-prototypage
Plateforme: collection de matériaux
Site Web au banc d’essai
À quoi ressemble un site Web convivial ? C’est au regard de cette question qu’a été examiné le site Internet de l’association professionnelle Soins en Oncologie Suisse par les expertes du SCDH, de la Société scientifique des soins en oncologie, de la Haute école spécialisée de Suisse orientale, de l’Inselgruppe et de l’hôpital cantonal de SaintGall. Leur travail a consisté à identifier les obstacles gênant une recherche fluide d’informations, puis à évaluer dans quelle mesure des ajustements de l’interface utilisateur pourraient améliorer la lisibilité et l’intelligibilité du site onkologika.ch. Dans le respect de l’approche participative du SCDH, des usagers provenant de régions et de contextes de prise en charge différents ont été impliqués. La première étape a consisté à réaliser une analyse de conception. Elle a permis de montrer qu’une police de caractères dotée d’un contraste plus fort améliorait la lisibilité de la page de destination, que les dates de mise à jour sur les fiches contribuaient à plus de transparence et que des éléments de navigation et de filtre ainsi qu’une hiérarchie plus claire facilitaient le parcours utilisateur. La deuxième étape a été une enquête en ligne réalisée auprès de 60 soignante s, qui a permis de comprendre comment les utilisateurs percevaient les exigences et les objectifs d’onkologika.ch. Les résultats de l’analyse et de l’enquête ont donné lieu à des ateliers avec des soignants et avec les spécialistes d’onkologika.ch. Remis à Soins en Oncologie, le rapport final contenait les conclusions de cette étude et formulait des recommandations concrètes pour améliorer le site.
Analyse d’utilisabilité Onkologika.ch, avril 2023 à janvier 2024
Champ d’activité: ‹ Communication visuelle › Offre: analyse
Plateforme: sur site client
Quel sera le rôle de l’être humain dans l’hôpital de demain ?
Superlaboratoire
Le Swiss Center for Design and Health ( SCDH ) à Nidau est ouvert à toute personne souhaitant tester un projet novateur dans le secteur de la santé, le valider ou l’optimiser, que celuici porte sur la conception, la planification ou la mise en œuvre. Les locaux très vastes du SCDH permettent aux spécialistes de développer une vision commune. Avec un objectif: accroitre le bien-être et la santé dans la société grâce au design. www.scdh.ch
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