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RUE DES BEAUX ARTS Numéro 50 : Janvier/Février/Mars 2014


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RUE DES BEAUX ARTS Numéro 50 :

Janvier/Février/Mars 2015


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Le jeune Oscar Wilde à Ashford Castle (Irlande), en 1878.


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Bulletin trimestriel de la Société Oscar Wilde

RÉDACTRICE : Danielle Guérin Groupe fondateur : Lou Ferreira, Danielle Guérin-Rose, David Charles Rose, Emmanuel Vernadakis On peut trouver les numéros 1-41 de ce bulletin à l’adresse http://www.oscholars.com/RBA/Rue_des_Beaux_arts.htm

et les numéros 42 à 49 ici.


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1.

Editorial

Courtisanes et Panthères

C’est dans son roman “Splendeurs et Misères des Courtisanes”, second tome des “Illusions perdues”, que Balzac situe le suicide de Lucien de Rubempré, dont la mort constitue, selon les dires d’Oscar Wilde, une des « plus grandes tragédies de sa vie ». La maitresse de Lucien, Esther Gobseck, était prostituée dans une maison de tolérance avant de le rencontrer. On sait combien Oscar Wilde admirait Balzac, et plus particulièrement « Les Illusions Perdues » et sa suite. Y a-t-il puisé le mot « courtisane » (« Harlot » en anglais) ? Rien n’est moins sûr. Toujours est-il qu’on le retrouve dans le titre de deux de ses œuvres : une pièce inachevée qu’il égara dans un cab : « La Sainte Courtisane », et un poème assez fameux : « La maison de la courtisane (« The Harlot’s house »). Balzac et Wilde ne sont pas les seuls à évoquer les milieux de la prostitution. Shakespeare s’y est frotté, mais aussi Thomas Hardy (The ruined maid), Anatole France, avec Thaïs, Zola, avec Nana, et bien d’autres encore.


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Il n’est sans doute pas innocent que Wilde ait choisi le mot « harlot/courtisane » ; plutôt que celui de « prostitute/prostituée », peut-être pour une simple question d’euphonie et de connotation sémantique, peut-être parce que le premier est plus poétique que le second et qu’il éveille des images différentes. On rencontre des prostituées dans le monde sombre et secret de Dorian Gray. Les filles perdues, qui vivent dans le ruisseau, vont de pair avec l’alcool, la drogue, la violence, le vice

et le crime, et finissent mal en

général. Le ventre déchiré par des sadiques comme Jack the Ripper, ou égorgées par leur amant comme le fut Marie Aguetant, avec qui Wilde avait eu une aventure à Paris. Marie Aguetant se tenait à la lisière des deux mondes, celui de la rue et des bas-fonds, et celui du music-hall, de l’univers en apparence plus chatoyant et plus libre des demi-mondaines. L’image glamour de ces lionnes est nettement plus tentante pour les écrivains du siècle qui les croisent au théâtre ou dans les salons. On en trouve quelques beaux spécimens chez Proust. Elles fourniront Marguerite Gautier à Alexandre Dumas fils et Violetta à Giuseppe Verdi (deux héroïnes en une seule personne). Dans la vraie vie, ces grandes horizontales comme on les appelle à Paris, ont pour nom Cléo de Mérode, Liane de Pougy, la belle Otéro, ou même Sarah Bernhardt qui commença par une carrière de cocotte. Elles ruinent les hommes et vivent dans un luxe tapageur, amantes de Princes et de Grands Ducs, avant de finir parfois seules et déchues, à jamais marquées par une réputation scandaleuse.


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Dans quelle catégorie se classent les « courtisanes » décrites par Wilde ? Sa pièce inachevée porte en sous-titre : « La femme couverte de bijoux », ce qui indique que Myrrhina, son héroine, est une femme de petite vertu richement entretenue. Elle est une somptueuse prostituée d’Alexandrie doublée d’une tentatrice, d’une femme fatale. Comme Salomé, elle s’est mise en tête de séduire un Saint homme, un jeune et bel ermite nommé Honorius, qui vit dans le désert, sans jamais poser un regard sur aucune femme. C’est en quelque sorte un frère, en foi et en pureté, de Iokanaan, cet ardent prophète, qui lui aussi vivait au milieu du désert dans la plus parfaite chasteté. Mais si la fille d’Hérodiade ne parvient pas à corrompre Jean-Baptiste, la grande beauté de Myrrhina aura raison de la foi d’Honorius en lui révélant le désir d’une vie de plaisir à laquelle il finira par succomber. L’intrigue pourrait se borner à la chute dans les abîmes du péché, mais ce serait mal connaître le goût de Wilde pour le paradoxe qu’il s’amuse à manier avec délectation. Par un surprenant renversement de situation, il déverse la grâce sur sa pècheresse, qui, touchée par l’amour de Dieu, renonce à sa vie de débauche et prend la place de l’ermite déchu dans la solitude du désert. « Sainte » et « Courtisane » sont deux concepts qui ne font d’ordinaire pas bon ménage. Et pourtant ces deux mots accolés évoquent immédiatement la plus célèbre de toutes les pècheresses repenties, Marie-Madeleine, fidèle disciple de Jésus, à laquelle


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Wilde fait référence dans « De Profundis ». Marie-Madeleine, sainte patronne de toutes les égarées sur le chemin du vice, et qui, peutêtre, leur promet miséricorde. « La Sainte Courtisane » présente de troublantes similitudes avec le roman

d’Anatole

France,

« Thaïs »,

mais

avec

une

intrigue

renversée. Ici, il ne s’agit plus d’une pècheresse qui veut corrompre un Saint Homme, mais d’un prêtre vertueux (en dépit d’une jeunesse désordonnée à laquelle il a renoncé pour l’ascétisme et la prière), qui veut sauver une courtisane de la damnation, mais qui y perd son âme. Dans les deux cas, la vertu succombe au péché. Tout comme le jeune pêcheur renonce à son âme pour l’amour d’une sirène dans le conte de Wilde, « The fisherman and his soul ». Au moins, ici, est-il question d’amour, intimement lié au désir. Dans

le

poème

« The

Harlot’s

house »,

que

Wilde

écrivit

probablement à Paris au printemps 1883 et qui parut dans la Dramatic Review en avril 1885, il n’est plus question que de péché. L’amour reste à l’extérieur, il n’entre pas dans la maison du vice. Les deux amants regardent du dehors ce qui se passe à l’intérieur. Il y a de la musique et des danses, mais le tableau n’est pas gai. La chanson qui résonne entre les murs de la maison de passe, Treues Liebes Herz - « Le cœur tendre et fidèle » - de Richard Strauss, est comme un pied-de-nez adressé à l’amour vrai, que les danseurs profanent. Ce n’est qu’un simulacre de l’amour. Ceux qui s’y livrent sont des figures grotesques, de hideuses marionnettes sans cœur ni âme, ridicules mécaniques qui se livrent seulement au plaisir des corps. À peine sont-ils vivants : ce sont des ombres, des fantômes


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qui tentent en vain d’imiter les sentiments véritables : « Ce sont des morts qui dansent avec les morts, c’est de la poussière qui tourbillonne avec de la poussière ». Wilde leur dénie toute humanité. Le narrateur est fasciné, certes, par ce qu’il voit. Peutêtre même est-il tenté de rejoindre cette fête funèbre présidée par le lucre et le vice, puisqu’il s’est arrêté pour regarder, en cette nuit baignée de clair de lune, au lieu de passer son chemin. Il y a du voyeur en lui, en proie à un double sentiment d’attirance et de répugnance, de jouissance et de culpabilité. Car il est dégoûté aussi par la fausseté des rires, par la proximité des corps dépravés qui se livrent à une parodie de l’amour. Dans la maison close, règnent la luxure et la mort, thèmes récurrents chez Wilde, chez qui le sexe est toujours une danse de mort. Mais voici que l’aimée se laisse séduire par la musique enjôleuse du violon, qu’elle cède aux traitres chants des sirènes, qu’elle échappe aux bras de son amant : « L’Amour pénétra dans la maison du Plaisir ». L’innocence vaincue ne subsiste plus que dans la lumière de l’aube « aux pieds chaussés d’argent » qui fuit, « comme une jeune-fille apeurée » devant la défaite de l’amour. La prostitution constituait un problème majeur dans l’Angleterre victorienne qui la qualifiait de « Great Social Evil ». Wilde semble ici partager cette opinion en adoptant une attitude résolument réprobatrice. Mais faut-il lui attribuer entièrement le point de vue du narrateur?


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Wilde ne s’est jamais posé en défenseur de la rigide morale victorienne dont il était au contraire très souvent le pourfendeur. Cette condamnation sans appel semble d’autant plus étrange qu’il avait eu dans sa jeunesse affaire aux prostituées féminines (qui lui auraient peut-être transmis la syphilis quand il était à Oxford) et qu’il eut recours ensuite aux services de jeunes prostitués masculins. L’appartement parfumé d’Alfred Taylor, avec ses lourds rideaux tirés, était-il moins suspect que « La maison de la courtisane » où dansaient des squelettes ? Wilde a toujours eu tendance à se placer au-dessus du lot. À ses yeux, ses propres relations illicites ne pouvaient rien avoir de sordide, puisque frayer avec des jeunes gens louches et dangereux, c’était « festoyer avec les panthères ». À l’entendre, il les fréquentait « en

tant

qu’artiste »,

et

leur

statut

d’outlaw

les

rendait

« délicieusement inspirateurs et stimulants ». « Leur venin faisait partie de leur perfection », comme il devait l’affirmer à son procès. Les mauvais éléments de la vie, les garçons dépravés à qui il offre des porte-cigarettes, ces petits maîtres-chanteurs qui veulent lui soutirer de l’argent, sont le matériau brut qui sert à l’élaboration de son art. Ils sont la glaise dont il fera son chef d’œuvre. Et tant mieux s’ils lui donnent du plaisir par-dessus le marché. Qui pourrait y trouver à redire ? L’art est au-dessus de tout. Wilde, en tant qu’artiste, est au-dessus de tout. La Société victorienne allait cruellement se charger de lui apprendre combien il avait tort, et qu’elle n’était pas seulement impitoyable pour ceux qui vendaient leur corps, mais aussi parfois, s’ils se


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montraient trop dérangeants, pour ceux qui les achetaient en croyant faire œuvre civilisatrice. Danielle Guérin-Rose


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2. PUBLICATIONS

Pascal Aquien et Xavier Giudicelli – The Importance of being Earnest. Presses de l’Université Paris-Sorbonne – octobre 2014. ISBN 978-2-84050-959-2 (** voir table des matières à la fin de la rubrique)

Oscar Wilde – Le fantôme de Canterville et autres contes Traduction : Jules Castier Illustration de couverture : Véronique Deiss Livre de poche jeunesse – Octobre 2014 ISBN 978-2010023743


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Elodie Degroisse : The Paradox of identity – Oscar Wilde’s The Importance of being Earnest. PUF – Octobre 2014 ISBN 978-2130632955

Pas Maintenant – 35 lettres inédites d’ArthurCravan à Sophie Tredwell Editions Cent pages – Novembre 2014 Ignacio Ramos Gay : Curious about France : Visions Littéraires Victoriennes Peter Lang Gmbh – Novembre 2014 ISBN 978-3034314916


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Sophie Bach - Rastaquarium Marcel Proust et le Style Moderne. Brepols, novembre 2014 ISBN 978-2503552538

Jean-Pierre Prévost – André Gide – Saint- John Perse – Une rencontre insolite 1902 – 1914 Orizons – Juin 2014 ISBN 9782336298559

Et ailleurs… Giles Whiteley – Oscar Wilde and The Simulacrum :

The

Truth

Maney Publishing – Mars 2015 ISBN 978-1909662506

of

masks.


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John Wyse Jackson – Best-Loved Oscar Wilde. Illustrations : Emma Byrne The O’Brien Press – Mars 2015 ISBN 978-1847177292

The Importance of Being Earnest, par Pascal Aquien et Xavier Giudicelli Table des matières Ignacio Ramos Gay: Oscar Wilde et le vaudeville français Daniel Jean: L’importance d’être absolument moderne: théâtre et modernisme chez Oscar Wilde Nathalie Saudo-Welby: Poses, postures et positions féministes dans The Importance of being Earnest Pascal Aquien: Du gay savoir au genre idéal? Alexis Tadié: ‘An Age of Surfaces’: le langage de la comédie dans The Importance of being Earnest. Françoise Canon-Roger: Mœurs et caractères, figures et paradoxes. Approche sémantique de The Importance of being Earnest. Thierry Dubost: The Importance of being Earnest : liminalités conjugal.


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Denis Lagae-Devoldère & Angelo Rinaldi: The Importance of being Earnest, ou le triomphe de l’indiscrétion. Xavier Giudicelli: Variations sur The Importance of being Earnest: Généalogie du camp (Firbank, Coward, Ravenhill). Emmanuelle Guedj: Histoires des Sacs: The Importance of being Earnest de Wilde, The Caretaker de Pinter et Baglady de McGuinness. Raymond Prost: The Importance of being Earnest d’Anthony Asquith, ou le mise en image d’un texte. Xavier Leret, Xavier Giudicelli : « Avec Tinder et Grindr, ils seraient bunbuyristes à plein temps ! ». The Kaos, Importance of being Earnest (1999)


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3. OSCAR WILDE ET LA BANDE DESSINEE OSCAR WILDE : LA RESURRECTION Par Dan Pearce Introduction — Deuxième episode — Troisième épisode — Quatrième épisode — Cinquième épisode — Sixième épisode — Septième épisode — Huitième épisode — Neuvième épisode — Dixième épisode — Onzième épisode — Douzième épisode – Treizième épisode — Quatorzième épisode — Quinzième épisode – Seizième épisode – Dix-septième épisode – Dix-huitième épisode – Dix-neuvième épisode -- Vingtième épisode

— Vingtième et unième épisode – Vingt-deuxième

épisode – Vingt-troisième épisode – Vingt-quatrième épisode – Vingt-cinquième épisode – Vingtsixième épisode - Vingt-septième épisode – Vingt-huitième épisode – Vingt-neuvième épisode – Trentième épisode – Trente et unième épisode – Trente-deuxième épisode – Trente-troisième épisode

Trente-quatrième épisode

À suivre…


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4. Expositions Oscar Wilde à Moscou Oscar Wilde. Aubrey Beardsley. A Russian Perspective

Du 23 septembre au 16 novembre 2014, le Musée Pouchkine à Moscou a proposé une exposition consacrée à Oscar Wilde et Aubrey Beardsley, et à l’influence qu’ils ont exercée sur certains artistes russes. Les illustrations vénéneuses et raffinées de Beardsley ont inspiré plusieurs créateurs Russes, comme le fit aussi Wilde, regardé comme le leader du mouvement esthétique anglais. De nombreux artistes, en particulier ceux du Silver Age of Russian Arts, s’inspirèrent de l’image du dandy et du concept de « L’Art pour l’Art ». L’esthétisme de Wilde et Beardsley exerça une influence majeure sur le style et les concepts du mouvement Mir Iskusstva, à Saint Petersbourg, dans les années 1890. C’est cependant en 1900 que les deux artistes atteignirent le sommet de leur popularité à Moscou, lors de la publication par Scorpion and Grif des œuvres d’Oscar Wilde, avec les œuvres de poètes russes décadents. Les arabesques sophistiquées de Beardsley influencèrent des artistes


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comme Konstantin Somov, Leon Bakst, Nikolay Feofilaktov, Miss (Anna Remizova-Vasileva), Sergei Lodygin, and Dmitriy Mitrokhin.

23 septembre au 16 Novembre 2014 Pushkin Museum – Moscou

Oscar Wilde’s Salomé: Illustrating Death and Desire

De nombreux illustrateurs ont été inspirés par la pièce d’Oscar Wilde. L’exposition se propose de montrer toutes les litographies


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originales d’Aubrey Beardsley, mais aussi les gravures de Barry Moser, dernier en date à avoir illustré l’œuvre de Wilde (2011). En outre, on pourra voir une nouvelle traduction de Salomé par Joseph Donohue.

Illustrations de Salomé par Barry Moser

7 février au 10 mai 2015 Delaware Art Museum – Etats Unis

Everything is Going On Brilliantly: Oscar Wilde in Philadelphia Cette exposition met l’accent sur la vie et l’œuvre d’Oscar Wilde, et sur ses connections avec Philadelphie et sa région, où il donna une série de conférences en 1882. Les matériaux de plusieurs collections publiques et privées y sont réunies pour la première fois, en particulier certains appartenant à la collection Mark Samuel Lasner de la bibliothèque de l’Université de Delaware.


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Le titre de l’exposition s’inspire d’une lettre que Wilde écrivit de Philadelphie lors de son séjour, en 1882, et qui fera partie des œuvres exposées. Notons que l’Opéra de Philadelphie programme en février 2015 l’opéra

de

Theodore

Morrisson,

“Oscar”,

créant

ainsi,

avec

l’exposition, un véritable évènement wildien dans la ville.

23 janvier au 16 avril 2015 Rosenbach Museum and Library – Philadelphie

Oscar Wilde and Reading Gaol Le département de littérature anglaise en collaboration avec le Bershire Record Office, présente une exposition spéciale pour marquer la fermeture définitive de la prison de Reading. Elle présente des documents d’archives de la


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prison, centrés plus spécifiquement sur l’époque où Wilde y a été emprisonné. On pourra en particulier y voir des photos de certains prisonniers qui partagèrent la captivité d’Oscar Wilde, comme celle d’un dénommé Henry Bushnell, ouvrier non qualifié et voleur, par exemple. Cette exposition jette une nouvelle lumière sur ce que fut la vie de prison à l’époque où Wilde y était enfermé. Elle inclut notamment l’enregistement de l’exécution du cavalier de la garde Charles Thomas Wooldrigde, comdamné à mort pour l’assassinat de sa femme, et qui inspira à Wilde son poème “La Ballade de la Geôle de Reading”. The Execution of Trooper Charles Thomas Wooldridge On 30 March 1896, the subject of Wilde’s Ballad of Reading Gaol was admitted to the prison. The day before, Wooldridge had travelled from his Army barracks in London to see his wife, Ellen, in Clewer. They had been married for 15 difficult months, and had been forced to live apart for most of those. Ellen had recently written to Wooldridge and asked him not to visit her again. The letter incensed him. As he crossed the threshold of their terraced home, he cut her throat. Wooldridge gave himself up immediately to the police.

He explained that he and Ellen had

quarrelled, that he suspected her of having an affair, and that his anger had driven him to murder. There was some expectation locally that, despite his guilt, Wooldridge might be spared the gallows. But mercy was not forthcoming, and he was condemned to death at the Assizes on 18 June 1896.


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Some 19 days later he was hanged at the Gaol in the hut that served as the photographic studio. This register entry records the mechanics of his death, as well as providing feedback on the conduct of his executioner. Rapport de prison relatant l’exécution de Thomas Wooldridge.

Figurent

également

dans

l’exposition

différents

documents

concernant Wilde directement, en particulier le rapport établi après une enquête portant sur l’état mental et physique de Wilde en juillet 1896. Le rapport conclut que sa situation n’est pas pire que celle de ses camarades de détention, même s’il reconnait que « la vie de prison doit évidemment être plus stressante et plus dure pour un homme de son éducation et avec ses antécédents, qu’elle ne l’est pour un prisonnier ordinaire ». Il reconnait aussi que Wilde souffre de l’oreille, problème qui date de son incarcération à Wandsworth. Les

membres

du

comité

chargés

de

l’enquête

étaient

majoritairement des membres de la gentry. Leur président, le capitaine Alexander Cobham, vivait à Shinfield Manor; George Palmer était un membre de la biscuiterie familiale.


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Lettre rapportant la visite médicale de Wilde après qu’il crût devenir fou.

À l’occasion de l’exposition, un faux badge d’identité a été produit à l’effigie du plus célèbre prisonnier de Reading.


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Jusqu’au 6 février 2015 Berkshire Record Office, 9 Coley Avenue, Reading.

Le mythe des courtisanes à Paris Des demoiselles d’opéra de la fin du XVIIIe siècle aux grandes courtisanes de la Belle Époque : un monde de glamour (souvent tragique) est ici présenté à travers portraits, photos, caricatures, bijoux et robes du soir, dans un splendide décor Art Nouveau.


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Du 7 novembre 2014 au 29 mars 2015

Musée Maxim’s –

3, rue Royale, 75008 Paris


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5. OPÉRA Oscar De Theodore Morrison Musique de Theodore Morrison Livret de John Fox et Theodore Morrison Distribution : David Daniels

Oscar Wilde

Heidi Stober

Ada Leverson

William Burden

Frank Harris

Dwaine Croft

Walt Whitman

Reed Luplau

Lord Alfred Douglas

6, 8, 11, 13 et 15 février 2015

Opéra de Philadelphie


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Une tragédie Florentine D’Alexander Zemlinsky Livret d’après la pièce d’Oscar Wilde « A Florentine Tragedy » traduite par Max Meyerfeld Créée en 1917, La Tragédie florentine de Zemlisky est un des opéras les plus remarquables de la première moitié du XX e siècle. Basé sur un drame poétique d’Oscar Wilde – le sujet avait tenté un moment Puccini et Busoni –, l’opéra concentre en un acte le plus singulier des triangles amoureux. Direction musicale : Pinchas Steinberg Mise en scène et lumières : Daniel Benoin Décors : Rudy Sabounghi Costumes : Nathalie Bérard-Benoin Avec : Guido Bardi, prince de Florence : Zoran Todorovich Simone, un négociant : Samuel Youn Bianca, sa femme : Barbara Haveman Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo Je19 - 20 H - Di 22 - 15 H - Me 25 et Sa 28 Février 2015 - 20 H

Opéra de Monte-Carlo


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6. THÉÂTRE

De Profundis

Mise en scène de Marjolaine Humbert Avec Christophe Truchi

3, 10, 24 et 31 janvier 2015 Théâtre Pixel – Paris 26, 27, 28 février – 1er mars 2015 Carré Rondelet Théâtre – Montpellier

Le Bouc émissaire ou les tragédies d’Oscar Wilde


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Au soir de ses derniers jours, espérant que Bosie va le rejoindre, Wilde l'interpelle, l'associe à ce que sa vie connut de prodigieux, des sommets à l'horreur. Avec : Jean Le Couëdic Du 16 Novembre 2014 au 4 janvier 2015 – les dimanches à 20H30

Théâtre de l’Ile Saint-Louis – Paul Rey

Le Portrait de Dorian Gray Mise en scène Thomas Le Douarec


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Adaptation et mise en scène : Thomas le Douarec Dorian Gray : à déterminer Basil Hallward, le peintre : Fabrice Scott ou Gilles Nicoleau Harry, Lord Henry Wotton : Thomas le Douarec Sybil Vane, la prostituée, la Duchesse : Caroline Devismes James Vane, frère de Sybil et musicien : Mehdi Bourayou Décors et Costumes : Frédéric Pineau Chorégraphe et Assistante à la mise en scène Sophie Tellier

19 février 2015 Théâtre du Château – Eu

Oscar Wilde and the black Douglas

Spectacle en anglais, surtitré en français Mise en scène : Patricia Kessler Avec : Leslie Clack 10 janvier 2015 – 15H


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Médiathèque George Sand – Ville Luce

Le Fantôme de Canterville

Compagnie les Apicoles Adaptation et mise en scène : Bruno Bernardin

5 et 6 février 2015 Studio théâtre de Charenton

Salomé


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Adaptation et mise en scène : Hazem el Awaldy

24 octobre au 28 décembre 2014 Théâtre Nout – Ile Saint Denis

Lectures Le Portrait de Dorian Gray Samedi 14 mars à 17H00 Médiathèque René Cassin – Livry-Gargan

Pour mémoire… Les spectacles que nous avons manqués…


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Le Fantôme de Canterville Texte de Blaise Charlet, d’après Oscar Wilde 24, 26, 29 et 30 0ctobre 2014

Théâtre Louis Richard – Lille et Le 22 octobre 2014 au Canet en Roussillon Le 22 décembre 2014, à l’espace Molière, de Luxeuil-les-Bains Compagnie Une poignée d’images Mise en scène : Jean-Paul Lang Scénarios et textes : Natalia Bougaï et Antonin Lang Comédiens : Natalia Bougaï, Antonin et Jean-Paul Lang

La very music boxe Spectacle de musique et texte autour d’Arthur Cravan par l’ensemBle baBel et water-water avec Nicolas Carrel / textes et voix, Jérémie Canabate / boxe, Antonio Albanese / guitare, Laurent Estoppey / saxophone, Anne


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Gillot / clarinette basse et flûtes à bec, Luc Müller / batterie, Noëlle Reymond / contrebasse. Poète et boxeur, né en 1887 à Lausanne, Arthur Cravan, neveu par alliance d’Oscar Wilde, fait de sa vie une œuvre d’art et sera considéré par André Breton comme le précurseur du dadaïsme et du surréalisme. Joué sur un ring par un boxeur, des musiciens et un acteur, La Very Music Boxe restitue cette force vive, extrême et absolument non réductible que fut Arthur Cravan, « le poète aux cheveux les plus courts du monde » Coproduction : l’ensemBle baBel, water-water, Théâtre La Grange de Dorigny-UNIL Du 20 au 22 novembre 2014

Théâtre La Grange de Dorigny – Lausanne

Et ailleurs… En Italie… Il Fantasma Di Canterville secondo la Signora Umney (Selon Mme Umney)


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de Ugo Chiti (librement inspiré d’Oscar Wilde) Mise en scène de Lucia Poli Avec Lucia Poli, Simone Paucci et Lorenzo Venturini 10 au 26 janvier 2015 Teatro della Cometa – Rome 24 au 29 mars 2015 Teatro di Rifredi - Florence

*** Il rittrato di Dorian Gray Mise en scène : Annig Raimondi Avec : Maria Eugenia D’Aquino, Riccardo Magherini, Annig Raimondi Musique originale : Maurizio Pisati Costumes : Nir Lagziel


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30 janvier au 15 févier 2015 Teatro Oscar, Milan. ***

Mais aussi… L'importanza Di Chiamarsi Ernesto (mise en scène de Geppy Glaijes), en tournée du 8 janvier eu 15 février 2015.

Aux Etats-Unis…


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3 pièces autour d’Oscar…

A Man of No Importance – 21 janvier au 7 février 2015. Gross Indecency – 22 janvier au 5 février 2015. The Importance of being Earnest – 29 janvier au 8 février 2015.

Redhouse – Syracuse, New York


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7. Illustrer «The Picture of Dorian Gray » : les paradoxes de la représentation Par Xavier Giudicelli Dans la lettre enthousiaste qu’il adresse à Oscar Wilde après avoir terminé la lecture de The Picture of Dorian Gray, Stéphane Mallarmé met au jour ce qui est au cœur même de cette œuvre, c’est-à-dire le rapport entre portrait peint et portrait écrit, entre texte et image : « It was the portrait that had done everything. » Ce portrait en pied, inquiétant, d’un Dorian Gray, hantera, mais écrit, étant devenu livre lui-même. (Lettre du 10 novembre 1891, Mallarmé 328) Pour un artiste, illustrer The Picture of Dorian Gray est sans doute une entreprise séduisante, mais également une gageure : c’est une œuvre qui, par certains aspects, appelle l’illustration, mais qui, dans le même temps, se prête difficilement à une tentative de représentation. Le roman met en scène une crise de la mimèsis : dans l’œuvre, le portrait cesse de ressembler à son modèle. De plus, le portrait qui figure au centre même du récit s’inscrit dans le texte sous le mode de l’absence. L’un des enjeux de l’illustration de ce texte est donc la représentation d’un tableau imaginaire, succinctement décrit et, qui, comme je le montrerai, touche aux limites de la représentation. En ce sens, l’illustrateur se trouve placé dans la même position que le lecteur du roman, invité à combler cette lacune centrale du récit. En d’autres


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termes, illustrer The Picture of Dorian Gray offre une mise en abyme de ce qu’est la lecture de ce roman. De ce fait, l’illustration se trouve dotée du pouvoir herméneutique que son sens originel de « mise en lumière » lui confère : elle éclaire le texte sous un jour différent, qui varie en fonction de la perspective adoptée par les artistes tentant de relever les défis lancés par The Picture of Dorian Gray. L’écart existant entre le texte et les images qu’il a suscitées crée un jeu, au sens physique d’écart entre les rouages d’un mécanisme, et met en place un dialogue entre les deux systèmes sémiotiques. Étudier l’illustration conduit à explorer les rapports qui se tissent entre le texte et l’image et à interroger ce que produit cette rencontre de deux subjectivités et de deux systèmes de signes au sein d’une édition illustrée. L’illustration ne peut jamais « attaquer de front » le texte : elle se fait regard de biais, adopte une perspective oblique sur l’œuvre ; elle passe par des détours qu’il est instructif d’étudier, afin de mettre en évidence la relation dialectique qui se noue entre texte et image, et les éclairages respectifs qu’ils suggèrent. Pour périlleuse que paraisse l’entreprise, The Picture of Dorian Gray a pourtant fait l’objet d’un nombre assez important de versions illustrées (aucune n’ayant été publiée du vivant de Wilde). J’ai recensé, pour la Grande-Bretagne, les États-Unis et la France, dix-huit éditions illustrées du roman : celles d’Eugène Dété et Paul Thiriat (Paris, C. Carrington, 1908-1910), de S. A. Moss (New York, Lamb, 1909), de Fernand Siméon (Paris, Mornay, 1920), d’André


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Hofer (Paris, Stock, 1925), de Henry Keen (Londres, The Bodley Head, 1925), de Jean-Émile Laboureur (Paris, « Le livre », Emile Chamontin, 1928), de Majeska (New York, Horace Liveright, 1930), de Donia Nachsen (Londres, Collins, 1930), de Lui Trugo (New York, Illustrated Editions Company, 1931), de Reynold Arnould (Paris, Stock, 1946), de Leo Manso (New York, The World Publishing Company, 1946), de Michael Ayrton (Londres, Castle Press, 1948), de MacAvoy (Paris, Stock, 1957), de Lucille Corcos (New York, Heritage Press, 1958), de Graham Byfield (Paris, Cercle du Bibliophile, 1968), de David Cuzik (Harlow, Essex, Penguin Readers, 1994), de Tony Ross (Paris, Gallimard Jeunesse, 2000) et de Zaïtchik (Clermont-Ferrand, Paléo, 2003). Ces Portraits de Dorian Gray illustrés constituent une collection hétérogène d’objets de nature différente, destinés à des publics variés. On trouve, par exemple, des ouvrages de luxe destinés à des bibliophiles (l’édition illustrée par Jean-Émile Laboureur a ainsi été tirée à 280 exemplaires) mais également des livres pour la jeunesse (les deux plus récentes éditions illustrées par Tony Ross et Zaïtchik). Je m’appuierai sur des images tirées de trois éditions illustrées de The Picture of Dorian Gray afin de mettre au jour les modalités et les enjeux de la mise en image(s) de ce roman : deux éditions britanniques (Henry Keen, 1925 et Michael Ayrton, 1948) et une édition française récente (Tony Ross, 2000). Illustrer The Picture of Dorian Gray revient à tendre à ce roman un miroir où se reflètent et se redoublent les dualités et paradoxes, inhérents à la notion de représentation, que l’œuvre écrite met en lumière. Ce sont les questions de la présence absente, de la


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représentation comme théâtralisation et de l’irreprésentable que l’analyse

du

frontispice

réalisé

par

Henry

Keen

permettra

d’aborder. En outre, la transposition du texte à l’image que l’illustration réalise passe par un ensemble de filtres et de prismes : elle s’effectue souvent par le recours à des références exogènes au roman. Deux images de Michael Ayrton serviront à étudier les jeux inter-picturaux sur lesquels les illustrateurs s’appuient afin de faire un portrait de Dorian Gray : les représentations renvoient à d’autres représentations, et ce à l’infini. Le roman accomplit enfin ce paradoxe pictural d’inscrire le temps dans l’espace du visuel, ce qui explique en partie l’absence d’ekphrasis d’un tableau en constante transformation. L’étude de l’illustration invite à s’interroger sur les détours qu’empruntent les artistes afin de figurer le temps dans le cadre de l’image, par définition statique. De plus, à l’instar du portrait-palimpseste de Dorian Gray sur lequel, dans le récit, s’inscrivent les marques du temps,

les

versions

illustrées

de

cette

œuvre

fournissent

cumulativement une image de la réception du roman de Wilde. L’analyse des illustrations de Tony Ross permettra de rendre compte des métamorphoses d’un texte qui a sans doute pour propriété de renvoyer au lecteur un reflet de lui-même. L’invisible et le visible (Henry Keen, 1925) Le principe même de l’illustration est de donner à voir, sous la forme d’un artefact visuel, ce que le texte évoque sous la forme de mots. Le cas de l’illustration de The Picture of Dorian Gray est en ce sens digne d’attention, puisque ce roman soulève la question des limites de la représentation verbale. Re-présenter, c’est tout d’abord présenter une seconde fois — duplication à l’œuvre dans


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une illustration qui figure de nouveau ce qu’il y a dans le texte. La notion de représentation se fonde en outre sur la double métaphore

du

théâtre

et

de

la

diplomatie.

Sa

dimension

spectaculaire est révélée par l’illustration, qui « met en scène(s) » le texte : elle le découpe, certes, mais exploite souvent également le potentiel dramatique du roman pour le mettre en images. La représentation a également pour fondement l’oxymore de la présence absente : tel un ambassadeur, elle supplée une absence par une présence ; paradoxalement, elle dit l’absence et, dans le même temps, la comble. Dans The Picture of Dorian Gray, le portrait du héros fonctionne comme un signe vide, un blanc, et, pour l’illustrateur, comme pour le lecteur, il se mue en surface réfléchissante, et en écran de projection des désirs et des fantasmes.


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Henry Keen. London: The Bodley Head, 1925 Dorian Gray est exceptionnellement beau, c’est ce que le roman de Wilde répète à l’envi. Cette extraordinaire beauté, essentielle à la diégèse, est à l’origine du vœu de Dorian (DG 26) et, partant, des principales péripéties du récit. Cette beauté n’est toutefois décrite que de façon très allusive : de ce portrait, présent dès le titre et la première page, on ne saura que peu de chose. Obéissant à la logique de la tautologie définie par Roland Barthes dans S/Z (Barthes 1970, 36), Wilde a souvent recours à des expressions mélioratives ou superlatives pour dire la beauté de Dorian (par


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exemple DG 7), et son portrait est réduit à n’être qu’un cadre vide, abritant une forme floue qui requiert l’imagination du spectateur pour se préciser et s’incarner. En outre, la beauté ne peut se dire dans son essence. Faisant ici écho aux mythes antiques, la beauté hyperbolique de Dorian fait songer à celle d’Hélène de Troie : elle aussi ressortit à l’irreprésentable parce qu’elle correspond à l’idée même de beauté, ipso facto désincarnée. L’écriture ne peut alors que tracer des arabesques autour d’un sujet et d’un corps absents : comme la danse de Salomé (S 140), le corps parfait de Dorian échappe aux mots et fait toucher du doigt l’inéluctable écart entre signifiant et signifié. En outre, pas plus que la beauté, la laideur ne peut se dire. Si le portrait que font les illustrateurs de Dorian Gray n’est jamais assez beau, inversement, les avatars monstrueux du tableau ne sont jamais assez laids pour rendre compte de façon satisfaisante de l’horreur qui peu à peu s’inscrit sur la toile. Comme pour la beauté, le texte opère sur le mode de la suggestion. Les expressions superlatives et, au bout du compte, allusives utilisées pour peindre la forme parfaite de Dorian trouvent leur pendant dans celles auxquelles Wilde a recours pour dire la laideur qui se dessine sur le tableau : les épithètes « hideous », « horrible » et « loathsome », associées aux descriptions des changements du tableau restent imprécises (DG 99, 134, 168). Quant à l’ellipse finale qui sépare le bruit de chute accompagné du cri de douleur de la découverte du cadavre (DG 169), elle consacre le caractère indicible de la laideur absolue, envers de la médaille de l’exceptionnelle beauté initiale, et comme elle touchant aux limites de la représentation.


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Tout cela explique que représenter le portrait de Dorian Gray touche à l’idée même d’illustration. Texte « à trous », The Picture of Dorian Gray ouvre des interstices qui invitent à être remplis ; il crée un désir de représentation, creuse une béance propice à l’investissement fantasmatique. La tentation est grande, en effet, d’offrir aux regards cette œuvre d’art imaginaire à peine esquissée, de lui donner corps. Ce faisant, l’illustrateur emboîte le pas au portraitiste. « Trait qu’on tire pour former le contour de quelque chose », selon une définition datant du XVIe siècle, le portrait a pour fonction première de pallier l’absence en la rendant présente par le truchement de la représentation (Pommier 18). « Empreinte amoureuse et mortuaire, [le portrait] fétichise la présence de l’absent, sacralise la trace », écrivent Jean-Claude Fozza, AnneMarie Garat et Françoise Parfait (Fozza 154). Le portrait serait ainsi le parangon de ce qu’est la représentation, le fait, selon Louis Marin, de « porter en présence un objet absent, le porter en présence comme absent… » (Marin 347). Ainsi, pour séduisant que soit le sujet, le défi que lance The Picture of Dorian Gray est aussi fort difficile à relever, puisqu’il s’agit de donner une expression visuelle à ce qui n’est pas dit, ou peut-être, plus exactement, à ce qui ne peut se dire. L’illustration de Henry Keen figure en frontispice de l’édition dans laquelle elle est placée. Le frontispice fait partie des éléments du paratexte éditorial recensés par Gérard Genette (Genette 1987, 20). Il s’agit de l’un des « seuils » à franchir avant d’entrer dans le texte et il marque une limite entre extérieur et intérieur, entre hors-texte et texte. Juxtaposée au titre, cette image matérialise


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également le passage du texte à l’image, de la suggestion des mots à la monstration de l’image. Cette gravure se présente comme un portrait de Dorian Gray. Un jeune homme est placé dans un cadre, une légende inscrite sur la page, en dessous de la gravure, indique qu’il s’agit bien de « Dorian Gray ». Ce personnage se tient devant un tableau caché par une tenture aux motifs floraux qu’il soulève pour laisser entrevoir un coin du cadre. Cette représentation fixe le spectateur sur le genre sexué du personnage, sur lequel le titre et l’étrange prénom de Dorian pouvaient laisser planer un doute. Elle constitue cependant une transposition des ambivalences et des ambiguïtés que le titre suggérait. Tout d’abord, on notera une opposition entre d’une part les arabesques formées par les motifs de la tenture et la décoration du cadre ouvragé, et d’autre part la raideur du personnage dans son smoking, qui le place dans le contexte des années 1920, comme si deux esthétiques se superposaient ici : les volutes Art Nouveau et lignes droites Art Déco. Par ailleurs, la mise en image relève d’une mise en scène au sens théâtral du terme. Cette « théâtralisation » est suggérée par l’artifice de la tenture cachant le tableau. Le geste du personnage revêt

enfin

également

une

dimension

ambigu :

il

peut

résolument s’interpréter

dramatique. comme

Il

est

celui

du

collectionneur désireux d’offrir le tableau aux regards des spectateurs. Mais peut-être au contraire le jeune homme désire-til masquer le tableau par le biais de cette tenture ? Le lecteur est invité à entrer dans le roman, à franchir le seuil afin de percer le mystère de cette œuvre cachée. Le regard du personnage se


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détourne d’ailleurs du tableau et est orienté vers la droite, incitant le lecteur à tourner la page, ce qui lui permettra peut-être de lever le voile sur l’œuvre d’art masquée aux regards. À l’instar de cette illustration de Henry Keen, la transposition du texte à l’image que réalisent les illustrations de The Picture of Dorian Gray repose souvent sur le recours à des artifices théâtraux, comme celui du rideau, qui a pour fonction, comme l’écrit Georges Banu, de « rappeler l’existence d’un autre côté qu’il se charge de faire apparaître ou disparaître » (Banu 7). La mise en images de The Picture of Dorian Gray se fonde souvent sur une mise en scène du désir de voir ou de savoir. Le premier chapitre est emblématique de ce désir : le désir de voir Dorian Gray, présent uniquement sous la forme de son double peint, qui est celui de Lord Henry, est sans doute partagé par le lecteur. Reprenant le topos de la toile voilée ou au contraire dévoilée, les illustrateurs matérialisent ce qui fait le « plaisir » du texte wildien. Comme l’écrit Roland Barthes : « L’endroit le plus érotique d’un corps n’est-il pas là où le vêtement bâille ? […] C’est l’intermittence qui est érotique : celle de la peau qui scintille entre deux pièces, […] entre deux bords, […] c’est le scintillement même qui séduit, ou encore : la mise en scène d’une apparition-disparition. (Barthes 1973, 19) Ce battement entre le montré et le caché, le visible et l’invisible, le dicible et l’indicible, est ce qui constitue en grande partie l’attrait de The Picture of Dorian Gray. En jouant de l’artifice du tableau


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voilé, les artistes éclairent cette dimension essentielle du texte. De plus, en exploitant ce thème, les illustrateurs mettent en abyme leur propre travail, puisque tenter de représenter le portrait de Dorian Gray, c’est à la fois combler le désir de voir qui est celui de tout lecteur du roman, mais également toucher aux limites de l’illustration, puisque est inéluctable l’écart entre les mots, l’image mentale qu’ils suscitent et l’image concrète qui est donnée du texte. On remarquera enfin que, dans le frontispice de Keen, la perspective est abolie. L’effet de profondeur est rendu impossible par la présence du voile qui masque le portrait imaginaire de Dorian Gray. Ce phénomène est d’autant plus digne d’attention que la tenture, qui forme une légère ondulation, porte des motifs de feuilles et de fleurs, formant des volutes Art Nouveau, et rappelant les réalisations de William Morris, où des feuilles s’enroulent sur elles-mêmes et produisent un effet de clôture, voire d’étouffement. La tenture représentée par Keen préfigure également les rideaux de tussor sur lesquels s’inscrit le vol des oiseaux dans la première page du roman (DG 7). Influencé par l’art japonais, l’Art Nouveau se caractérise par le rejet des effets tri-dimensionnels, l’accent mis sur les surfaces planes et sur la ligne, notamment l’arabesque. Comme l’écrit William Hardy : « The emphasis was … on flatness, a surface on which this concern for the linear, the line of Art Nouveau was developed » (Hardy 8). Cette référence à l’Art Nouveau,

présente

dans

cette

image

sous

la

forme

des


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enroulements que constituent les motifs de feuilles et de fleurs, se déclinera tout au long de l’édition illustrée par Keen. À la page de titre qui présente deux papillons se faisant face, posés sur un motif végétal formant des volutes, répondent les décorations placées en début et en fin de chaque chapitre. Il s’agit de floraisons fantastiques, auxquelles s’ajoute parfois un papillon, insecte renvoyant à Whistler, et plus généralement à l’esthétisme. D’autre part, ces motifs végétaux se caractérisent toujours par les boucles et volutes que forment les branches. Ces volutes sont à mettre en rapport avec le motif du cercle, qui domine dans The Picture of Dorian Gray, les bagues de Dorian au chapitre XX (DG 170) répondant aux volutes de fumée de Lord Henry dans le premier chapitre (DG 8). Elles sont aussi à rapprocher de la dimension décorative de l’écriture wildienne, dominée par la figure du paradoxe (qui est oscillation entre deux pôles sans aboutir à une résolution), traversée de contradictions, sans cesse renvoyant à sa propre nature. L’abolition de la perspective par l’artifice du rideau à l’œuvre dans la gravure de Henry Keen peut enfin conduire à une réflexion sur la question du fantasme, que soulève The Picture of Dorian Gray. « Ce que le voyeur cherche et trouve, ce n’est qu’une ombre, une ombre derrière le rideau », écrit Jacques Lacan (Lacan 66). Pour Lacan, le fantasme est à la fois un écran protégeant le sujet du vide et une fenêtre ouverte sur ce vide. Il compare le fantasme à un tableau dont le cadre s’insérerait parfaitement dans une fenêtre — image qui évoque la toile de René Magritte La Condition humaine (1933, huile sur toile, 100 × 81 cm, National Gallery of


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Art, Washington) —, et il explique que traverser cette toile reviendrait à se jeter par la fenêtre. En effet, il n’y a très littéralement rien derrière le rideau, derrière le tableau. La fin de The Picture of Dorian Gray illustre ce principe. « All art is at once surface and symbol. Those who go beneath the surface do so at their peril » (DG 3), dit la préface en guise d’avertissement. Ce portrait magique accomplissant le fantasme pictural d’inscrire le temps dans l’espace du visuel est rendu in extremis à sa réalité de surface et le coup de couteau final rompt l’échange de propriétés entre l’art et la vie. Comme le miroir aux amours dans lequel se mire Dorian Gray, qui au fil des pages perd sa profondeur, le portrait indique le caractère périlleux et l’impossibilité de la traversée des apparences. Le Jeu des codes (Michael Ayrton, 1948) « […] la beauté ne peut s’alléguer que sous forme d’une citation », écrit R. Barthes (Barthes 1970, 36). Dans The Picture of Dorian Gray, la beauté du héros se dit en effet par la comparaison, par l’intermédiaire de la construction d’un réseau de références. Le roman de Wilde met en place un double réseau de comparaisons pour

évoquer

le

personnage

de

Dorian :

l’Antiquité

et

la

Renaissance italienne. Cette œuvre convie également le lecteur à emboîter le pas à Dorian tandis qu’il déambule dans la galerie des portraits de Selby Royal (DG 111) et ainsi à se faire une représentation mentale du personnage à l’aune des portraits de ses ancêtres. De même que le lecteur est invité à construire une image du jeune homme à la lumière des différents tableaux accrochés dans la galerie de portraits qu’il parcourt au chapitre


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XI, les illustrateurs s’appuient sur des modèles picturaux préexistants afin de présenter un portrait du personnage.

Michael Ayrton. London: Castle Press, 1948 Michael Ayrton, dans une édition illustrée britannique de 1948, propose vingt illustrations en tête de chapitres et sept portraits de Dorian Gray, intercalés dans l’édition. Le premier et le huitième portrait sont identiques, les autres représentent la dégradation


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progressive du tableau. J’analyserai ici les premier et cinquième portraits de cette série. Le premier est directement inspiré d’une œuvre du peintre maniériste florentin Agnolo Bronzino (1503-1572) intitulée Portrait de jeune homme au livre (c. 1540, huile sur toile, 95,6 × 74,9 cm, Metropolitan Museum of Art, New York), auquel le Dorian Gray d’Ayrton emprunte la pose. Le choix de ce peintre et de ce tableau pour servir de modèle au personnage de Wilde est intéressant à plus d’un titre. Tout d’abord, comme l’explique Maurice Brock, Agnolo Bronzino est un peintre poète qui a composé des vers d’inspiration pétrarquiste et qui croyait à une profonde parenté entre peinture et poésie (Brock 7), choix déjà intéressant pour illustrer une œuvre qui interroge le rapport entre peinture et écriture. Dans le tableau de Bronzino, coupé à mi-jambe, un jeune homme, vêtu d’un pourpoint noir et d’une fraise et au visage peu expressif, se dresse dans un intérieur dépouillé. Cette perfection lisse et froide des traits — c’est au statut social que s’intéressait essentiellement Bronzino, pour qui le visage était un masque (ce qui n’est pas sans rappeler Wilde : « A mask tells you more than a face », écrit-il au sujet de Wainewright dans « Pen, Pencil and Poison. A Study in Green », CW 1095) — est contrebalancée par deux têtes grotesques qui se trouvent l’une sur la volute que forme l’accotoir du fauteuil, l’autre entre les deux enroulements décoratifs qui soutiennent le plateau de la table. Cette curieuse juxtaposition évoque le concetto pétrarquiste, qui repose sur la juxtaposition d’éléments n’entretenant pas de lien apparent.


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La première de ces figures grotesques est une tête d’animal coiffée d’une sorte de chapeau. La seconde est un visage dont les traits se défont, faisant ainsi songer aux transformations qui affectent le portrait dans The Picture of Dorian Gray. Si ce détail est absent de la gravure d’Ayrton, qui présente pourtant de nombreux points communs avec le tableau de Bronzino — notamment le cadrage et la main du modèle placée sur la taille —, c’est sans doute que cette déformation des traits apparaît dans les autres illustrations réalisées par l’artiste britannique. Au titre des différences entre le tableau de Bronzino et l’illustration d’Ayrton, on notera que l’intérieur à l’architecture géométrique de la toile du maître italien a disparu chez Ayrton au profit de ce qui semble être une tenture ou un rideau à l’arrière-plan, formant des plis et mettant l’accent sur la dimension théâtrale de cette représentation. On remarquera également la modification du costume, qu’Ayrton a rendu conforme à la mode du XIXe siècle. À cela s’ajoute l’effet de mise en abyme que crée l’illustration de 1948. Le portrait de Bronzino n’a pas été choisi au hasard, puisque son trait marquant est la présence du livre que tient le jeune homme. On notera que si le volume est posé sur la tranche dans le tableau de Bronzino, il est ouvert dans la version d’Ayrton, les deux longs doigts de la figure posés sur cet objet ayant pour fonction de le désigner. Ce livre renvoie à la nature originellement textuelle de ce portrait et met ainsi en scène le geste de l’illustrateur.


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Michael Ayrton. London: The Castle Press, 1948 Chez Ayrton, la déformation et la dégénérescence frappent tout aussi bien le décor que la figure. Au fil des pages, le fond se fait de plus en plus sombre. Les roses placées dans le vase font sans doute allusion à la tradition du carpe diem et au thème pétrarquisant du temps dévorant, dont les échos résonnent dans les discours que profère Lord Henry au chapitre II (DG 20, 23). Ici


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les fleurs dans le vase se fanent à mesure que le portrait se dégrade, de même que celle que Dorian porte à la boutonnière. Dans le dernier avatar du portrait, les fleurs ont disparu et le vase est brisé. Le livre se déforme et vieillit à l’image de la figure : le volume est, semble-t-il, contaminé par la dégénérescence générale qui frappe l’œuvre d’art, ce qui confirme le lien entre portrait peint et portrait écrit. Progressivement, les pages du livre se cornent et se dessèchent. Il n’est plus à la fin qu’un bout de papier froissé et couvert de taches de sang. Chez Ayrton, les détails qui changent le plus sont les yeux qui, après avoir été dotés d’une sorte de strabisme, s’enfoncent peu à peu dans le visage jusqu’à disparaître quasi totalement dans la sixième version. La bouche est de plus en plus tombante, et, à l’instar du livre, le costume et le visage de Dorian se froissent et se parcheminent. Ce qu’il y a de plus frappant toutefois dans ces transformations est le fait qu’à mesure que le corps du personnage enfle, que les doigts de la main s’épaississent, se déforment et se couvrent de pustules, la silhouette de la figure s’alourdit jusqu’à prendre l’apparence de celle d’Oscar Wilde lui-même, confirmant la confusion entre l’homme et l’œuvre, qui est un des traits marquants de la réception de ce roman. Plus le portrait se transforme, plus apparaît nettement la ressemblance de la figure avec le Wilde bouffi représenté par exemple par Toulouse-Lautrec en 1895, au moment des procès qui conduiront à sa chute (Oscar Wilde, 1895, huile sur carton, 60 × 50 cm, collection particulière).


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Dans le tableau de Toulouse-Lautrec, se détache, sur un fond brumeux de Tamise et de Parlement, un grand corps lourd habillé d’un costume bleu qui renforce l’aspect blême du visage, celui-ci étant ponctué d’une seule touche de couleur : le rouge de la bouche. Ce gros visage fardé évoque un masque de tragédie antique. Arthur Symons y voit davantage une image de la déchéance de l’écrivain et commente l’œuvre de Toulouse-Lautrec dans un développement qui revêt un intérêt essentiellement idéologique : As he [Wilde] grew older the womanish side of him grew more and more evident. Lautrec saw him in Paris, and in the appalling portrait of him he shows Wilde swollen, puffed out, bloated and sinister. The form of the mouth which he gave him is more than anything exceptional; no such mouth ought ever to have existed: it is a woman’s that no man who is normal could ever have had. The face is bestial. A man with a ruined body and a ravaged mind and a senseless brain does not even survey the horror of this hideous countenance in a mirror: this thing that is no more a thing gazes into a void. (Symons 146-47) L’effémination du personnage correspond selon Symons à une punition pour ses mœurs « dégénérées ». Le ton de condamnation morale est sensible, le style, outré. On notera dans ce passage une accumulation de notations négatives, hypertrophie qui fait écho au corps bouffi de Wilde tel qu’il est décrit par l’auteur. De plus, les termes employés, le dégoût qu’inspire Wilde à Symons, évoquent


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les réactions d’horreur devant les avatars monstrueux du portrait de Dorian Gray : la vie et l’art se superposent. Dans ce texte de Symons, écrit Joseph Bristow, « The sexual criminal had been transformed by degrees into something of a gothic spectre, implicitly like the protagonist of Wilde’s only novel, The Picture of Dorian Gray, working at the hideous thing that his immorality had led him to become » (Bristow 18). Cependant, quoi qu’en ait Symons, le portrait de cet homme déchu peint par ToulouseLautrec revêt tout de même une dimension pathétique. Cet aspect disparaît également chez Ayrton, au profit du grotesque d’un homme difforme dans une pose de jeune dandy. Si l’on peut qualifier de grotesque cette illustration d’Ayrton, c’est tout d’abord parce qu’elle repose sur le principe d’hybridité qui est une des formes les plus anciennes du grotesque (Bakhtine 314). Dans ses illustrations, Michael Ayrton mêle en effet références au tableau maniériste de Bronzino et image du corps lourd de Wilde à la fin de sa vie, produisant de la sorte un hybride et créant un effet de contraste saisissant. Cette double référence, qui s’oppose au caractère allusif de la description du texte, crée en outre un effet de saturation. Cette exagération grotesque est sensible aussi dans la déformation des traits, dans l’affaissement des chairs de la figure, qui n’a plus grand chose d’un homme dans la dernière version du portrait. L’image d’Ayrton souligne enfin le fait que l’illustration constitue souvent une « implicitation idéologique d’un texte littéraire » (Bassy 334) et témoigne de la réception du roman à un moment donné de son histoire. L’épaisseur du temps


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Dans The Picture of Dorian Gray, Wilde brouille la distinction établie par Lessing dans le Laokoon entre la peinture, art de l’espace, et la poésie, art du temps (Lessing 120) : le portrait vient s’inscrire sur la chaîne temporelle, et se fait ainsi récit, tandis que le récit prend la forme d’un portrait. Variation sur l’oxymore du portrait vivant, l’œuvre de Wilde repose sur l’effet fantastique d’animation de l’inanimé. Peut-être est-ce d’ailleurs là la clef de l’impossible ekphrasis du tableau ? S’il n’est pas possible de peindre en mots cette œuvre d’art, c’est sans doute parce que jamais elle n’est stable. L’ekphrasis suppose la stase. Or la qualité inhérente du portrait de Dorian Gray est précisément qu’il est en constante mutation. Ainsi, une des questions soulevées par le roman est la problématique inscription du visuel dans le texte. Une étude des illustrations conduit à renverser la question : comment les illustrateurs tentent-ils d’inscrire la temporalité du récit dans l’espace du visuel ? Dans l’édition illustrée par Ayrton, texte et image suivent deux lignes parallèles. La suite d’illustrations qu’il réalise peut se consulter indépendamment du roman et permettre ainsi d’en reconstituer le déroulement temporel. Le mode du travestissement (« cross-dressing »), défini par Lorraine Janzen Kooistra comme la tentative de transcender les différences entre texte et image (« [cross-dressing] signifies the attempt to deny differences by becoming the “other” », Kooistra 20), est sans doute celui qui correspond le plus exactement au dialogue entre récit et illustrations dans cette édition. Cette « mise en séquence » des images s’apparente à une « mise en mouvement » : en tournant


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rapidement les pages, l’effet créé par la lecture est cinétique, voire cinématographique, à l’image de ces « flip-books » ou « folioscopes » qui donnent l’illusion du mouvement. C’est en somme par le geste de la lecture que l’image statique devient mobile et vient ainsi s’inscrire sur la chaîne temporelle, à l’instar du texte. Par ailleurs, les transformations successives de The Picture of Dorian Gray au gré de sa mise en livre et de sa mise en image permettent d’écrire une histoire des lectures que l’on a faites de ce roman au fil du XXe siècle et elles soulignent que c’est en définitive le spectateur que l’art reflète (« It is the spectator … that art really mirrors », DG 3). Le dialogue qui se noue entre le texte et l’image dans une édition illustrée est celui du passé et du présent, d’un double présent, en réalité : celui de l’illustrateur qui donne corps a posteriori au roman, et celui du lecteur qui pose son regard sur ces illustrations. L’image serait cette « dialectique à l’arrêt » qu’évoque Walter Benjamin, « ce en quoi l’Autrefois rencontre le Maintenant dans un éclair pour former une constellation » (Benjamin 478). Les illustrations de Tony Ross réalisées pour une édition datant de 2000, destinée aux adolescents, témoignent de l’évolution de la perception du roman de Wilde. On notera tout d’abord leur caractère ludique. À titre d’exemple, dans l’une des dernières images de l’ouvrage (Ross 267), représentant Dorian sur le point de transpercer le portrait, l’illustrateur joue avec l’espace de la page. Le portrait sort du cadre, deux gouttes de sang sont sur le point de tacher le texte. Un rapport étroit s’instaure avec le texte écrit, qui ne prime plus ici sur l’illustration mais qui, au contraire,


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doit s’adapter à l’image. Une complémentarité physique existe entre les deux systèmes sémiotiques : l’illustration n’est plus reléguée aux marges du texte, puisqu’on assiste au contraire à un emboîtement du texte et de l’image. Par ailleurs, la relative noirceur des dernières pages du roman est contrebalancée par la dimension humoristique de cette illustration. Si texte et image sont deux voix, le modèle musical du pointcontrepoint pourrait peut-être servir d’analogie aux relations qui se tissent entre les deux systèmes sémiotiques dans l’édition illustrée par Ross. C’est ici sur le mode parodique que se noue le dialogue entre le texte et l’image. Gérard Genette définit la parodie comme « le fait de chanter à côté […] dans une autre voix, en contre-chant ou en contrepoint, ou encore de chanter dans un autre ton… » (Genette 1982, 17). Dans le contexte des rapports texte — image, Lorraine Jansen Kooistra la présente ainsi : « As a parody of the text, the image imitates the verbal while asserting its own critical position » (Kooistra 18-19). Si la parodie poursuit souvent un but satirique, chez Ross, ce n’est pas tout à fait le cas, puisque si les illustrations sont effectivement drôles et mettent bien le texte à distance par le biais de l’humour, elles ne sont pas véritablement irrévérencieuses. Cet humour, souvent absent des illustrations de The Picture of Dorian Gray, est aussi une forme d’hommage à l’esprit (« wit ») de Wilde. Ces illustrations soulignent l’ambivalence de la parodie notée par Linda Hutcheon dans A Theory of Parody, où elle met au jour la dimension duelle de toute parodie, à la fois prise de distance par rapport au texte parodié et hommage « oblique » fait à celui-ci (Hutcheon 5). Cette dualité est celle qui se fait jour dans l’édition illustrée par Ross : roman


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« sulfureux », The Picture of Dorian Gray est devenu un « classique » de la littérature pour la jeunesse, l’édition Gallimard Jeunesse de 2000 attestant le plus grand degré de liberté offert à l’illustrateur par un texte qui, d’une position marginale, a peu à peu rejoint le « canon » de la littérature de langue anglaise du XIXe siècle. « … Criticism … is in its way more creative than creation », affirme Gilbert, porte-parole de Wilde dans « The Critic as Artist » (CW 1125) : l’illustration relève de cette paradoxale création critique ; elle est par essence lecture et commentaire. La nécessaire inadéquation entre le texte et l’image, discordance entre deux voix qui jamais ne chantent à l’unisson, représente la source même du dialogue qui se noue entre elles. En outre, cet écart ouvre un espace d’interprétation pour le lecteur-spectateur. Texte et image ne sont pas placés dans un simple rapport d’opposition : à l’instar d’un paradoxe, une édition illustrée est le lieu d’une mise en rapport et d’une mise en tension des divergences entre eux deux. L’oscillation, mode opératoire du paradoxe, est aussi le principe de lecture d’une édition illustrée, dans laquelle l’image vient rythmer le texte, entre en dialogue avec celui-ci et en modifie la perception. Enfin, The Picture of Dorian Gray est une œuvre qui, aux yeux du public, a longtemps été étroitement associée à la vie de son auteur : la prétendue immoralité de l’œuvre était envisagée comme un miroir de celle pour laquelle Wilde fut condamné en 1895 à deux ans de travaux forcés. Ainsi, comme le « livre à images » de Proust (Proust 194), les éditions illustrées de ce roman sont la mémoire de la réception de son auteur, un témoignage partiel et parcellaire des lectures dont cette œuvre a fait l’objet, un fragment


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à partir duquel recomposer un — ou plutôt des — portrait(s) d’Oscar Wilde. Elles placent également le lecteur-spectateur au cœur d’une galerie des glaces qui lui renvoie les reflets des autres mais aussi de lui-même. Xavier Giudicelli Première publication : Études anglaises 62/1, janvier-mars 2009, p. 28-41. Ce texte sera repris dans Portraits de Dorian Gray, à paraître aux Presses de l'université Paris-Sorbonne. •

Nous remercions Pascal Aquien et Xavier Giudicelli

d’avoir permis sa reproduction dans Rue des Beaux-Arts. Bibliographie •

Aquien, Pascal. The Picture of Dorian Gray. Pour une poétique du roman. Nantes : Éditions du Temps, 2004.

Banu, Georges. Le Rideau ou la fêlure du monde. Paris : Adam Biro, 1997.

Barthes, Roland. S/Z. Paris : Seuil, 1970.

—. Le Plaisir du texte. Paris : Seuil, 1973.

Bassy, Alain-Marie. « Du texte à l’illustration : pour une sémiologie des étapes ». Semiotica, 11 (1974) : 297-345.

Benjamin, Walter. Paris au XXe siècle. Le livre des passages. [1934]. Trad. Jean Lacoste. Paris : Éditions du Cerf, 1989.

Bristow, Joseph. Effeminate England. Homoerotic Writing after 1885. Buckingham: Open UP, 1995.

Brock, Maurice. Bronzino. Paris : Éditions du Regard, 2002.


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Fozza, Jean-Claude, Anne-Marie Garat et Françoise Parfait.

Petite Fabrique de l’image. Paris : Magnard, 2003. •

Genette, Gérard. Palimpsestes. Paris : Seuil, 1982.

—. Seuils. Paris : Seuil, 1987.

Hardy, William. Introduction to Art Nouveau Style. London: Quintet P, 2002.

Hutcheon, Linda. A Theory of Parody. New York and London: Methuen, 1985.

Kooistra, Lorraine Jansen. The Artist as Critic. Bitextuality in Fin de Siècle Illustrated Books. Aldershot: Scolar P, 1995.

Lacan, Jacques. Séminaire. Livre XI. Paris : Seuil, 1973.

Lessing,

Gotthold

Ephraim.

Laokoon.

[1766].Trad.

J.

Bialostocka. Paris : Hermann, 1964. •

Louvel, Liliane. The Picture of Dorian Gray. Le Double Miroir de l’art. Paris : Ellipses, 2000.

Mallarmé, Stéphane. Correspondance IV, 1890-1891. Paris : Gallimard, 1973.

Marin, Louis. De la représentation. Paris : Gallimard, 1994.

Montandon, Alain, dir. Iconotextes. Paris : CRCD-Ophrys, 1990.

Pommier, Édouard. Théories du portrait. Paris : Gallimard, 1998.

Proust,

Marcel.

Le

Temps

retrouvé.

[1927].

Paris :

Gallimard, 1990. •

Symons, Arthur. « Sex and Aversions ». The Memoirs of Arthur Symons: Life and Art in the 1890s. University Park, PA: Pennsylvania State UP, 1977.


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Wilde, Oscar. Complete Works. Glasgow: HarperCollins, 1994. CW.

—. The Picture of Dorian Gray. Ill. Henry Keen. London: John Lane, The Bodley Head, 1925 and New York : Dodd, Mead and Co., 1925.

—. The Picture of Dorian Gray. Ill. Michael Ayrton. London: Castle P, 1948.

—. The Picture of Dorian Gray. New York and London: Norton, 1988. DG.

—. Le Portrait de Dorian Gray. Ill. Tony Ross. Paris : Gallimard, 2000.

—. Salomé. Bilingue. Paris : Flammarion, 1993. S.

Ancien élève de l'ENS Fontenay-St-Cloud, agrégé d'anglais, Xavier Giudicelli est maître de conférences à l’université de Reims Champagne-Ardenne,

il

enseigne

la

littérature

et

la

traduction. Après une thèse de doctorat à l’université ParisSorbonne consacrée aux éditions illustrées de The Picture of Dorian Gray d’Oscar Wilde, il poursuit ses recherches sur l'illustration des textes littéraires aux XIXe et XXe siècles. Il s'intéresse également à la réécriture et la réinterprétation de la littérature victorienne et édouardienne aux XXe et XXIe siècles.


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8. Bibliographie Plume, pinceau et poison La première version de « Pen, Pencil and Poison" » a été publiée par Frank Harris en janvier 1889 dans son journal “The Fortnightly Review”. C’est un portrait imaginaire de Thomas Griffith Wainewright, peintre, critique d’art et empoisonneur. La seconde version révisée faisait partie des quatre essais composant “Intentions” publiés à Londres par Osgood McIlvaine and Co, en mai 1891. Titre

Date

Editeur

En français Plume, pinceau,

2009

Préface Martin

poison, suivi de

Page, Traduit de

Sebastian Melmoth,

l’anglais par

par Hugo Von

Diane Meur

Hofmannsthal Remarquables

2011

assassinats

Arléa

Préface Martin

Arléa

Page, Traduit de

poche

l’anglais par Diane Meur

En anglais Pen, Pencil and Poison

1922

Pen, pencil and

2002

poison, a study in green

HaldemanJulius Company


RUE DES BEAUX ARTS Numéro 50 : Janvier/Février/Mars 2014 Pen, pencil and poison

2004

Pen, Pencil and

2010

Kessinger Publishing

Poison, A study in green, a study in green Pen, pencil and

2012

Kessinger Legacy

poison, a study in green Pen, pencil and

CreateSpace Independent Publishing

poison, a study in green

Pen, pencil and

2014

CreateSpace Independent Publishing

poison, a study in green

En espagnol Pluma, lapiz y veneno

1924

Traduction Julio Gomez de la Serna

Biblioteca Nueva – Madrid


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En italien Penna, matita e veleno

1979

Il Melograno Edizioni

9. Témoignage d’époque L’abbé Mugnier L’abbé Mugnier est un prêtre catholique français, célèbre pour avoir participé à la vie mondaine et littéraire parisienne qui, pendant plus de soixante ans, a tenu un journal où il évoque ses relations avec les artistes et les membres de l’aristocratie de son époque. Son surnom le plus connu reste celui de « confesseur du Tout Paris ». Voici un extrait de son journal où il parle d’un dîner où Wilde est évoqué. ‘Diné chez les Chauvelot avec la comtesse de Chevigné, les Philippe Berthelot, Mme Alphonse Daudet et Lucien. Berthelot1 a bien connu Oscar Wilde. Il déjeunait avec lui, au coin de l’Odéon2. Wilde lui racontait toutes sortes des choses curieuses. Il avait dit à je ne sais qui: “Ce qui a été frappé ne se relève pas”3. Il disait que le fils prodigue avait des parents abominables. On avait tué un veau en sachant qu’il n’aimait pas le veau. Il disait que, quand la femme adultère s’est 1 Philippe Berthelot était un éminent diplomate français, qui a favorisé les carrières de Paul

Claudel, de Saint-John Perse, Jean Giraudoux et Paul Morand. 2 Sans doute chez Foyot, qui se trouvait à l’angle de la rue de Tournon et de la rue Vaugirard. 3 La véritable citation est « il ne faut pas en vouloir à quelqu’un qui a été frappé », dite à A. Gide.


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trouvée délivrée de ses accusateurs, son mari a venu qui lui a jeté la pierre; et encore que Judas à qui les prêtres proposaient 10 deniers, n’en avait pas voulu, les appelant des misérables. Puis 20 deniers, il les repoussa, plus faiblement; 30 deniers, il les accepta. Et Judas d’ajouter: les misérables! Ces deniers étaient faux. Quand Oscar Wilde mourut, dit Berthelot, nous fumes 9 à son enterrement 1. Il n’y avait qu’une couronne, de la part d’un locataire. On le conduit au cimetière de Pantin.’ Journal de l’Abbé Mugnier - Le Temps retrouvé – Mercure de France, 1985.

1 Il semble donc que Philippe Berthelot ait assisté aux funérailles d’Oscar Wilde (bien

que sa présence n’ait été mentionnée nulle part). Néanmoins, les précisions qu’il donne sont erronées. C’est à Bagneux, et non pas à Pantin, que Wilde fut enterré. La couronne dont il est question est sans doute celle du patron de l’Hôtel d’Alsace, Jean Dupoirier, qui portait la mention « à mon locataire ». D’autre part, Ellmann et la plupart des biographes s’accordent à dire qu’il y avait de nombreuses couronnes sur le cercueil, et non pas une seule. Il est vrai que cette conversation eut lieu en 1921, c’est-à-dire 21 ans après la mort de Wilde, ce qui peut excuser le flou des souvenirs.


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10. Wilde, dans la littérature Les dandys de Manningham Par Jan Guillou

Ce roman suédois, tome 2 du « Siècle des grandes aventures », se situe dans le monde des arts à l’époque du groupe Bloomsbury. Il met en scène Sverre qui, après des études en génie civil à Dresde, s’enfuit à Londres avec son amant Albie, qui vient d’hériter du titre de comte de Manningham et doit gérer le domaine légué par son père. Albie a bien connu Oscar Wilde avant son procès, il a appartenu à son cercle, et même peut-être un peu plus. Mais après les poursuites dont Wilde a fait l’objet, Sverre et Albie sont contraints de cacher les apparences au sein de l’aristocratie anglaise. Oscar Wilde n’est pas le sujet central de ce roman écrit par Jan Guillou, né de père français et de mère norvégienne, mais il occupe une place importante dans toute la première partie de l’œuvre, dont voici un extrait (pp 69 et 70) : « Il en était resté au moment où l’écrivain Oscar Wilde, manifestement doté d’un talent hors pair mais aussi – trois fois hélas – le grand amour malheureux d’Albie, se voyait condamné à deux ans de travaux forcés pour actes singulièrement indécents (…) Le passage qui faisait suite à la condamnation d’Oscar Wilde était encore plus effrayant, d’une certaine façon. Car il montrait le torrent de haine, de joie du malheur d’autrui et de folie pure et simple ayant inondé la presse londonienne (…) Les journaux avaient commencé par présenter Wilde comme « un étranger »,


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ce qui n’avait rien à voir avec le fait qu’il était irlandais d’origine, mais uniquement avec sa qualité de colporteur particulièrement hypocrite d’une culture française dégénérée (…) Monsieur Wilde n’était pas seulement un représentant typique du dandysme français, mais aussi l’incarnation de « l’art français dépravé tel que le pratiquent les impressionnistes, par exemple ». Les dandys de Manningham – Jan Guillou – traduit du suédois par Philippe Bouquet – Éditions Acte Sud.


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11- Personnages secondaires Rigo

En 1891, Wilde est à Paris, dans un appartement du boulevard des Capucines. Il a jeté sur un carnet les grands traits d’une pièce dont le sujet l’habite depuis quelques temps, celui de Salomé. Tout l’aprèsmidi, il a improvisé sur ce thème, dans un café, devant une bande d’étudiants, puis il est remonté chez lui pour écrire. Le sujet l’obsède et, une fois couché, il n’arrive pas à s’endormir. Alors, au milieu de la nuit, il se rend au Grand Café où joue une bande tzigane dirigée par Rigo. C’est à lui que Wilde dira cette phrase célèbre : « Je suis en train d’écrire une pièce sur une femme qui danse pieds nus dans le sang d’un homme qu’elle aimait et qu’elle a tué. Je veux que vous me jouiez quelque chose en harmonie avec mes pensées.» « Et, ajoute-t-il, Rigo joua une musique si sauvage et terrible que tout le monde se tut et se regarda, le visage livide. Puis, je rentrai terminer Salomé. » Jancsi Rigo, un violoniste hongrois qui se définissait lui-même comme un prince bohémien, était arrivé à Paris en 1889, pour l’Exposition


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universelle. Il ne joue qu’un très petit rôle dans la vie de Wilde, celui de l’homme qui, en jouant sa musique sauvage, inspira Wilde pour terminer sa Salomé, mais le personnage mérite qu’on s’y attache un instant en raison de la romance flamboyante qu’il eut avec Clara Ward, jeune milliardaire américaine, épouse du Prince de CaramanChimay. Rigo s’était taillé une solide réputation, et jouait dans les meilleurs cafés de Paris où venait dîner toute la bonne société de la capitale. En 1896, Clara Ward, princesse de Chimay, vint dîner avec son mari, le prince belge Joseph de Riquet de Caraman, dans un ce ces fameux établissements (probablement chez Paillard), où jouait Rigo. Est-ce la musique ensorcelante ou l’éclat des yeux noirs du tzigane qui séduisit la jeune américaine : quelques jours plus tard, elle s’enfuyait avec lui vers Budapest. C’est là qu’en leur honneur fut inventée une nouvelle pâtisserie, un cake au chocolat nommé le Rigó Jancsi. On dit que le violoniste avait travaillé avec le chef pâtissier pour en faire la surprise à celle qu’il venait d’enlever !

Le 24 décembre 1896, le Ludington Record relatait leur fuite en agrémentant l’article d’une gravure en bois gravé intitulée « Gone with


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a gypsy ». Le couple illicite serait désormais suivi partout par des paparazzis alléchés par le scandale.

Jancsi Rigo et Clara Ward en 1905

Le prince divorça le 19 janvier 1897 et les deux tourteraux ne tardèrent pas à convoler en justes noces. Ils s’installèrent alors en Egypte où, raconta Rigo, elle lui « fit construire un palais de marbre blanc sur les bords du Nil. » « Un architecte italien dessina les écuries pour les seize chevaux arabes noir de jais qu’elle avait achetés pour moi… Elle fit l’acquisition d’une ménagerie de bébés éléphants, de lions et de tigres pour m’amuser. Elle me donna un violon de 5000£ et des cassettes pleines de joyaux. » Les deux époux divorcèrent cependant quelques années plus tard. Clara revint à Paris et se produisit dans les music-halls en collant couleur chair pour des numéros de poses plastiques, tandis que Rigo poursuivait sa carrière de violoniste à travers le monde. Pour clore ce chapitre, on peut ajouter une anecdote où apparaît encore l’étonnant Jancsi Rigo : alors que, dans un restaurant de l’East Side New Yorkais, il jouait dans le restaurant « Little Hungary », où Roosevelt avait déjeuné quelques jours plus tôt et où il avait l’habitude de s’asseoir sur une chaise ayant appartenu à son père, un incendie se déclara. Il prit dans la cave où cette chaise avait été rangée. 200 dîneurs festoyaient à l’étage, divertis par Rigo et son violon magique. Le feu s’amplifia, la chaise de Roosevelt brûla, mais tel l’orchestre du Titanic jouant sans désemparer tandis que le bateau coulait, Rigo n’en continua pas moins à jouer une Rhapsodie


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Hongroise endiablée tandis qu’envoûtés par la musique, les clients se laissaient évacuer sans aucune manifestation de panique.

Poster du Little Hungary annonçant Rigo et titre du journal Oakland Press relatant l’incendie de juin 1922.

Rigo mourut le 6 juin 1927, laissant son nom associé à l’intrépide Clara Ward, princesse de Caraman-Chimay, avec qui ToulouseLautrec l’avait peint sur une toile intitulée « Idylle Princière », mais aussi, fugitivement, à Oscar Wilde 1 qui était venu au Grand Café s’abreuver de sa musique, et imaginer, au milieu de la nuit parisienne, la danse sanglante d’une autre princesse scandaleuse.

1 Dans l’acte 1 d’« Un Mari Idéal », Lord Goring évoque un orchestre hongrois qu’il veut

aller entendre. À cette époque, à Londres, le tzigane le plus célèbre était Berke. Mais il se peut que ce soit en réalité Rigo qui ait inspiré Wilde dans cette scène.


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Henri de Toulouse-Lautrec – Idylle Princière - 1897


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12. Le personnage d’Oscar Wilde au théâtre C.3.3 De Robert Badinter

Du 14 octobre au 29 décembre 1995, le Théâtre de la Colline à Paris, mettait à l’affiche C.3.3 où l’injustice, une pièce de Robert Badinter, avocat, ancien garde des sceaux de François Mitterrand, qui avait mené à bien le combat pour l’abolition de la peine de mort. Il n’a jamais écrit pour le théâtre, et sa première pièce a pour sujet Oscar Wilde.


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Dans le programme, Robert Badinter écrivait : « La justice et la prison anglaises avaient fonctionné comme des machines à broyer un homme : les instruments de la destruction programmée de celui qui aura été le bouc-émissaire d’une société hypocrite et répressive. Je voulais que le public français connaisse cette histoire, et je suis très curieux de savoir comment il en mesurera la portée. Je sais aujourd’hui que je n’ai pas écrit cette pièce par hasard : elle était « dans ma ligne ». La rencontre avec Wilde m’a donné la chance de conjuguer mon amour du théâtre avec ce qui est et demeurera l’obsession de toute ma vie : la justice. »

Le metteur en scène, Jorge Lavelli déclarait pour sa part dans le cahier du spectacle : « À la lumière de De Profundis, je voulais que la sensibilité, la souffrance, l’illumination, tous les éléments qui permettent

d’éclairer

une

personnalité

multiple,

presque

insaisissable, soient présents. Un des principes de ma direction d’acteurs a donc été de ne jamais « fermer les portes », et notamment


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de ne pas donner de Wilde une idée trop précise, une idée préconçue (le dandy, l’homme du monde…). Il fallait que chaque comportement soit porteur d’ambiguïté, qu’il se prête à l’interprétation la plus large possible pour tenter de rendre compte de la plénitude souvent contradictoire que révèle l’œuvre, basée sur la toute-puissance d’une imagination débordante, d’une intelligence déductive et dialectique, d’une sensibilité à fleur de peau. »

C’est Roland Bertin, sociétaire de la Comédie Française, qui interpréte le rôle de Wilde. Le reste de la distribution était le suivant : •

Claude Evrard (le surveillant chef de la prison de

Pentonville – Littlejohn, détective privé, Bernard Shaw, le juge Wills, le docteur Gover, le gardien de Wilde à la prison de Reading) •

Jean-Loup Wolff (Robert Ross)


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Claude Aufaure (Maitre Travers Humphrey, avoué de

Wilde, le greffier, Sir Frank Lookwood, procureur général, le premier voyageur, un détenu de la prison de Reading) •

Luc-Antoine Diquero (Lord Alfred Douglas)

Philippe Laudenbach (Maitre Russell, un serveur au Café

Royal, Sir Eveelyn Ruggle-Brise, un surveillant de la prison de Reading, le Major Nelson, nouveau directeur de la prison de Reading) •

Bernard Spiegel (Le marquis de Queensberry, le docteur

Quentin, médecin de la prison de Wandsworth, le major Isaacson, directeur de la prison de Reading) •

Frédéric Norbert (Sir Edward Clarke, avocat de Wilde,

Robert Reid, Ministre de la justice, Richard Haldane, ami de Wilde, le révérend Martin T. Friend, chapelain de la prison de Reading) •

Jean-Claude Jay (Maitre Edward Carson, avocat du

marquis de Queensberry, Lord Asquith, Ministre de l’Intérieur, Robert Sherard, ami de Wilde, le docteur Olivier C. Maurice, médecin de la prison de Reading) •

Dolorès Torrès (Constance, épouse de Wilde, une dame sur

le quai de la gare), etc…


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Théâtre de la Colline – 14 octobre au 29 décembre 1995


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13. The Critic as Artist The complete works of Oscar Wilde Volume V - édité par Joseph Donohue

Le volume V de l'édition Oxford English Texts (The Complete Works of Oscar Wilde), vient d’être publié avec le sous-titre

Plays I : « La

duchesse de Padoue », "Salomé : Drame en un Acte," "Salomé : tragédie en un acte ». L'éditeur en est Joseph Donohue.

Une critique de Tracy C. Davis est parue dans le TLS (Times Literary Supplement) du 5 septembre 2014 (p. 13) puis reproduite THE OSCHOLARS.

en ligne

dans


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Nous publions ci-dessous une traduction, par David Rose, de l’article où le professeur Davis traite de Salomé. Cette reproduction a lieu avec l'aimable autorisation du professeur Davis et de TLS. Dans une édition qui s'attache à fournir l'intégralité des intentions de Wilde — et la clarté et l'authenticité avec lesquelles il le réalise— le commentaire de La duchesse de Padoue établit les fondations du projet dramatique de Wilde qui suivra. Ici, plutôt que d'invoquer les ombres de l’âge d’or des Grecs et des Stuart après leur cessation, la dette de Salomé envers Midrash et les textes Apocryphes, il éclaire la prétention intellectuelle de Wilde comme hommage littéraire. Le "marché excessif et même monstrueux" d’Hérode (430), son caprice d'offrir à sa belle-fille la moitié de son Royaume si elle accepte de danser, le font se démarquer de ses prédécesseurs. Le choix de Wilde d’écrire en français et de conserver l'usage idiosyncrasique, a survécu au contrôle d'une quantité d'amis francophones. Donohue s’est scrupuleusement documenté, autant qu’il était possible, sur les amendements apportés au manuscrit par Stuart Merrill, Adolphe Retté, Pierre Louÿs et peut-être Marcel Schwob : ce qui importe le plus, ce n'est pas qui a suggéré les changements, mais ce que Wilde a décidé de faire de leurs avis. Salomé pourrait avoir propulsé Wilde vers la gloire du West End si Sarah Bernhardt (célébrée pour sa Cléopâtre) avait révélé la pièce à l’English Opera House au printemps 1892, mais les représentations ne furent pas autorisées en Angleterre. Auparavant, Wilde avait négocié avec Paul Fort pour que la pièce soit produite au Théâtre d'Art, mais c'est Aurélien Lugné-Poe qui la créa le premier en février 1896, et plus tard dans l’année, Daumerie la monta en double affiche avec L’Eventail


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de Lady Windermere — également à Paris, à peu près au moment où son auteur était transféré à la prison de Reading. Laissant de côté les considérations biographiques a posteriori et ignorant les lectures queer, l'édition d’Oxford sert de guide aux lecteurs qui se demandent que penser de cette micro-story du Nouveau Testament, remplie de noms propres, d’intrigues sur fond politique et d’envoûtements terpsichoriens. En tant qu’expression moderniste, Salomé déploie genre, sexualité et désir, à la face de la calamiteuse opinion de masse comme si une religion mondiale majeure avait été lancée. Wilde en fait un drame d'action : la danse, le baiser, l'écrasement sous les lourds boucliers commandent les techniques optiques, émotives, soniques, et kinesthésiques d'absorption, tandis que la « fatalité ironique » (436) oppose une vierge et un méchant audessus de la tête coupée du prophète Iokanaan, tout cela dans un clair de lune en Technicolor. L'édition éclaire les points obscurcis par le temps afin de mettre en évidence des allusions littéraires, phonétiques et intellectuelles, en parallèle, quand c’est possible, avec des œuvres contemporaines de référence. C'est une stratégie adroite, très utile pour déterminer quand le traducteur de Salomé (à Salomé) fait un faux pas dans l'usage du français et de l’anglais. Donohue avance d’un pas ferme pour contrer les inexactitudes, d’amateur et savantes, contenues dans les éditions et œuvres critiques de la première édition anglaise, traduction dont Lord Alfred Douglas est crédité. La querelle entre Douglas et Wilde, à laquelle se joignirent John Lane et Aubrey Beardsley (en tant qu’éditeur et illustrateur), pose la question de savoir si Wilde a révisé la traduction de son amant, s’il a pris sa suite ou s’il l’a acceptée telle


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quelle afin de rétablir la paix. La preuve manuscrite ne fournit aucune aide. « Bosie » s’en sort mal ici, car il invente, se justifie, confond, et se trompe non seulement dans le texte, mais aussi sur son propre rôle dans la traduction, et l'éditeur du vingt-et-unième siècle ne tolère aucun argument en sa faveur : pour chaque insertion justifiée d'une mise en scène il y a des altérations copieuses de sens, de l’emphase, un schéma de ligne rythmique, syntaxe, parallélisme, tonalité et figuration ; des transpositions, des élaborations et des gloses ; ou des omissions, des erreurs, des approximations et des anomalies. L'annexe complète des ligne à ligne de Ross dans les éditions 1906/7 et 1912 s'étend jusqu'à treize pages. Peu de personnes seraient en position de remettre en cause la prodigieuse érudition de Donohue : biblique, classique, géographique, bibliographique, intertextuelle et linguistique, qui sert un commentaire clair et complet sur la genèse textuelle, l'impression, la production et l’interprétation historique. S’y ajoute son idée de ce qui « marche », par exemple l’ordre final des discours, éclairant les répliques et les actions soutenues et soudaines. HÉRODE ... Eteignez les flambeaux. Cachez la lune! Cachez les étoiles! Cachons-nous dans notre palais, Hérodias. Je commence à avoir peur. (Les ESCLAVES éteignent les flambeaux. Les étoiles disparaissent. Un grand nuage noir passe à travers la lune et la cache complètement. La scène devient tout à fait sombre. Le tétrarque commence à monter l’escalier) LA VOIX DE SALOMÉ Ah! J’ai baisé ta bouche, Iokanaan, j’ai baisé ta bouche. Il y avait une âcre saveur sur tes lèvres. Était-ce la saveur du sang? . . . Mais peut-être, est-ce la saveur de l’amour. On dit que


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l’amour a une âcre saveur . . . Mais, qu’importe? Qu’importe? J’ai baisé ta bouche, Iokanaan, j’ais baisé ta bouche. (Un rayon de lune tombe sur SALOMÉ et l’éclaire) HÉRODE (Se retournant et voyant SALOMÉ) Tuez cette femme! (Les SOLDATS s’élancent et écrasent sous leurs boucliers SALOMÉ, fille d’HÉRODIAS, Princesse de Judée) (562) Comme Donohue l’affirme: « Que des publics ultérieurs puissent trouver

ces

mécanismes

dramaturgiques

arbitraires

et

peu

convaincants, voire même capricieux, ne diminue en rien le pouvoir et le sens de la vérité qu'ils pouvaient contenir en leur temps » même si cela semble incroyable ou excessif dans le nôtre (463). On peut difficilement reprocher à Wilde le fait que cela constituerait la palpitante finale d'un concert de rock. *** Tracy C. Davis est le Barber Professor of Performing Arts et vice-doyen aux affaires académiques dans la École supérieure à la Northwestern University. Elle est rédacteur en chef de The Broadview Anthology of Nineteenth-Century British Performance (2012).


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15. Poèmes SALOME ET LA TÊTE DE SAINT JEANBAPTISTE Par Matthieu Langlois

Pour Danielle Guérin Ah! thou wouldst not suffer me to kiss thy mouth, Jokanaan. Well! I will kiss it now. Oscar Wilde Le couple Du saint-homme elle chérissait, Tel le joyau d’une relique, Le chef encore fantastique, Que dans ses bras elle enlaçait. Les mots de l’amante « Ô petite tête que j’aime, Non ! tu ne refuseras pas, De me voir baiser ton front las Qui fut béni par Dieu lui-même.


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En t’adorant, je laverai Tous mes péchés et mes absinthes. Et, pure alors parmi les saintes Encore plus je t’aimerai. »

Le baiser Comme les goules enragées, Mordant de sa plus vive ardeur, Elle prit à l’homme frondeur Ses lèvres de sang outragées…


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16. HANDBAG Le Wilde nouveau est arrivé ! Une découverte particulièrement importante vient d’être faite à la bibliothèque de Philadelphie. Découverte qui n’en est pas vraiment une puisque les documents étaient là depuis de nombreuses années, et qu’ils avaient tout simplement été … oubliés. Il s’agit d’un manuscrit dactylographié de Salomé, corrigé à la main par Wilde, d’un carnet personnel de 142 pages où Wilde a jeté le brouillon de poèmes et esquissé plusieurs croquis, et de quatre pages inédites du manuscrit de son fameux poème « La Ballade de la Geôle de Reading ». L’ignorance où sont restés ces documents inédits s’explique par le fait que la Bibliothèque n’est pas destinée aux chercheurs, mais au grand public. Il y a longtemps qu’une découverte aussi importante n’avait pas refait surface, sans doute pas depuis les années 50. Ces documents seront exposés au Musée Rosenbach de Philadelphie en janvier prochain, en même temps que d’autres items qui explorent les connections entretenues entre Wilde et la ville de Philadelphie. Ces précieux documents ont été redécouverts par Mark Samuels Lasner et sa femme Margaret D. Stetz qui, chargés d’organiser l’exposition de janvier, étaient à la recherche de matériel. Ils demandèrent au département des livres rares s’ils possédaient quelque chose d’Oscar Wilde, et en retour, reçurent un email leur


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disant :

« nous

avons

ces

trois

manuscrits » !

L’importance

primordiale de ces manuscrits apparut aussitôt à M.S Lasner, spécialiste de la littérature victorienne, et au professeur M. Stetz.

Oscar Wilde, in an 1882 portrait by New York photographer Napoleon Sarony. Rosenbach Museum and Library


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16 – Cinéma – DVD Deux films sont annoncés pour fin 2014/début 2015 : •

Lady Windermere’s Fan, de Juan Illzaturri

Avec : Sarah Navratil, Lady Windermere, Jonathan Le Billon, Lord Windermere, Julia Farino, Mrs Erlynne, Garrett Replogle, Lord Darlington, etc … Mise en scène : Juan Illzaturri, Ketryn Indra, Joseph Henson, Sergio Contreras, Steven Reyes, Dakota Sixkiller, Jose Zamarripa •

The Green Fairy, de Dan Frank

Scénario de :

Daniel Celestina

,

Caroline Posada

Avec : Mindy Robinson (la fée verte), Richard Grieco (le narrateur), Roddy Piper (Oscar Wilde), Manu Intiraymi (Robert Ross), Ashley Laurence (Rachel), Trevor Snarr (Vincent Van Gogh), Josua Fredic Smith (Paul Gauguin), etc… The Green Fairy est un fantaisy documentary sur l’histoire de l’absinthe de 1730 à 1915. Vient de paraître… mais pas en France… Le Salomé d’Al Pacino n’a pas été projeté sur les écrans français, mais, vous pourrez tout de même le voir (enfin… !), sur le DVD qui vient de sortir (en anglais seulement)


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Ce DVD comprend deux films : « Salomé » et « Wilde Salomé », et n’est malheureusement pas en vente en France pour l’instant. On peut cependant l’acquérir sur les sites anglophones.


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17. THE OSCHOLARS Jusqu’en 2012,

www.oscholars.com

abritait un groupe de journaux

consacrés aux artistes et mouvements fin-de-siècle. Le rédacteur en chef en était David Charles Rose (Université d’Oxford). Aujourd’hui, les membres du groupe sont indépendants. THE OSCHOLARS est un journal international en ligne publié par D.C. Rose et son équipe de rédacteurs, consacré à Wilde et à ses cercles. Il compte plusieurs mille lecteurs à travers le monde dont un grand nombre d’universitaires. On pourra y trouver les numéros de juin 2001 à mai 2002 (archives), et tous les numéros réalisées depuis février 2007. Les numéros de juin 2002 à octobre 2003, et d’octobre 2006 à décembre 2007 sont abrités par le site

www.irishdiaspora.net.

Vous

y découvrirez une variété d’articles, de nouvelles et de critiques : bibliographies, chronologies, liens etc. L’appendice ‘ LIBRARY’ contient des articles sur Wilde republiés des journaux. Le numéro 51 : Mars 2010 est en

ligne

; mais on peut trouver sur le site plusieurs feuilletons

mensuels. •

Depuis automne 2012, THE OSCHOLARS apparaît sur le site

http://oscholars-oscholars.com/ THE EIGHTH LAMP : Ruskin studies to-day – rédactrices Anuradha Chatterjee (Xi’an Jiaotong University, China) et Laurence RoussillonConstanty (University of Toulouse). •

Désormais (janvier 2012), THE EIGHTH LAMP apparaît sur

http://issuu.com/theeighthlamp

. Le no. 8 est

en ligne.


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THE LATCHKEY est consacré à ‘The

New Woman’.

Les rédactrices sont

Petra Dierkes-Thrun (Stanford University), Sharon Bickle (University of Queensland) et Joellen Masters (Boston University). Le numéro le plus récent en

ligne

est daté de Summer 2013.

MELMOTH était un bulletin consacré à la littérature victorienne gothique, décadente et sensationnelle. La rédactrice était Sondeep Kandola, Université de Liverpool John Moores. Le numéro 3 est en ligne,

mais pour le moment d’autres éditions ne sont pas prévues.

MOORINGS est consacré au monde de George Moore, écrivain irlandais, bien lié avec beaucoup de gens de la fin de siècle, soit à Londres, soit à Paris.

Le numéro 3, été 2008, est en

Actuellement, on trouve sa nouvelle version

ligne.

ici.

RAVENNA effectue une exploration des liens anglo-italiens à la fin de siècle. Les rédacteurs sont Elisa Bizzotto (Université de Venise) et Luca Caddia (University of Rome ‘La Sapienza’). Le numéro 3 en

ligne

est celui de fin mai 2010, mais pour le moment d’autres éditions ne sont pas prévues. Shavings est un bulletin consacré à George Bernard Shaw. numéro 28 (juin 2008) est en

ligne

Le

; désormais on le trouvera dans les

pages de UpSTAGE. The Sibyl

(commencé au printemps 2007) explore le monde de

Vernon Lee, écrivaine anglaise, née le 14 octobre 1856 au Château St Léonard, à Boulogne sur Mer; décédée à Florence, le 13 février 1935. La rédactrice est Sophie Geoffroy (Université de La Réunion). Le numéro 4 (hiver 2008/printemps 2009) est en le reprend

ici.

ligne.

Actuellement, on


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UpSTAGE est consacré au théâtre du fin de siècle, rédactrice Michelle Paull (St Mary’s University College, Twickenham). Le numéro 5 est en ligne.

VISIONS (deux ou trois fois par an) est consacré aux arts visuels de la fin de siècle. Les rédactrices associées sont Anne Anderson (University of Exeter), Isa Bickmann, Tricia Cusack (University of Birmingham), Síghle

Bhreathnach-Lynch

(anciennement

National

Gallery

of

Ireland), Charlotte Ribeyrol (Université de Paris–Sorbonne) et Sarah Turner (University of York). Le numéro 8 est en

ligne,

mais pour le

moment d’autres éditions ne sont pas prévues. • www.oscholars.com est/était édité par Steven Halliwell, spécialiste de la fin-de-siècle.

The Rivendale Press,


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18. Signé Oscar Wilde Alors me tournant vers mon aimée, je lui dis: «Ce sont des morts qui dansent avec des morts; c'est de la poussière qui tourbillonne avec de la poussière.» Mais elle, elle répondit à l'appel du violon; elle me quitta, elle entra. L'Amour pénétra dans la demeure du Plaisir. Et soudain les sons prirent un timbre faux. Les danseurs furent las de valser; les ombres cessèrent de tournoyer, de virer. Et par la rue longue et silencieuse, l'aurore, aux pieds chaussés de sandales d'argent, parut furtive comme une jeune fille apeurée. (La Maison de la Courtisane - Traduction : Albert Savine)

Then turning to my love, I said : « The dead are dancing with the dead ; the dust is whirling with the dust. » But she, she heard the violin, and left my side, and entered in ; Love passed in the House of Lust. Then suddenly the tune went false. The dancers wearied of the waltz ; the shadows ceased to wheel and whirl, And down the long and silent street, The dawn with silver-sandalled feet, Crept like à frightened girl.


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