Rue des beaux arts 51

Page 1

Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

RUE DES BEAUX ARTS Numéro 51 : Avril/Mai/Juin 2015


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

Bulletin trimestriel de la Société Oscar Wilde

RÉDACTRICE : Danielle Guérin Groupe fondateur : Lou Ferreira, Danielle Guérin-Rose, David Charles Rose, Emmanuel Vernadakis On peut trouver les numéros 1-41 de ce bulletin à l’adresse http://www.oscholars.com/RBA/Rue_des_Beaux_arts.htm

et les numéros 42 à 50 ici.


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

1. Editorial La tristesse de Constance

Constance

Quelles que soient les photos où elle apparaît, Constance ne sourit pas. Elle ne sourit jamais. Son regard se perd dans une rêverie mélancolique. Si elle fixe l’objectif, c’est d’un air grave et pensif. Estelle en famille, près de son mari et de son fils aîné, elle penche la tête et semble absorbée dans la lecture d’un livre ouvert sur un guéridon de jardin, presque absente, alors qu’Oscar rayonne et que Cyril, fièrement campé entre son père et sa mère, adresse au photographe un regard direct et un demi-sourire. Même sur cette photographie si tendre où Cyril et elle sont dans les bras l’un de l’autre, elle est sérieuse et presque triste. De son émouvant enlacement, émane de la douceur, de la sérénité, de l’amour maternel aussi, mais peu de joie. Un voile de brume passe toujours sur ce beau visage de jeune femme.


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

Il serait facile d’en conclure que Constance n’est pas heureuse. Sous-entendu : pas heureuse avec Oscar. Mais ceci n’est vrai que pour la seconde partie de leur mariage, celle qui s’étend après la naissance de Vyvyan. Avant, c’est un couple qui s’aime et qui s’accorde. Elle est très amoureuse de son mari qui devient célèbre et commence à gagner beaucoup d’argent. Il lui envoie des billets enflammés dès qu’il est loin d’elle. À Londres, ils sont le jeune couple en vue, celui dont on parle. On pourrait dire qu’au niveau de l’intérêt que leur porte le public, ils peuvent rivaliser avec l’actrice Lily Langtry, proche amie d’Oscar et star de l’époque. À leur manière, Oscar et Constance sont eux aussi des stars. Ils vivent dans un quartier prisé par les artistes et les intellectuels, et occupent une des plus jolies maisons de Chelsea, qu’ils ont meublée et décorée ensemble à grands frais, et qui abrite une vie sociale brillante et exaltante. Constance est une maîtresse de


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

maison accomplie. Elle est intelligente et cultivée. Elle lit Dante et Shelley, parle allemand, français et italien, joue du piano. Mais elle ne se contente pas de recevoir avec grâce. Elle s’investit dans les mouvements sociaux, soutient les grèves des ouvriers, s’engage pour le droit des femmes. Ses tenues vestimentaires, choisies en accord avec Oscar, dans la mouvance du mouvement esthétique et inspirées des peintures préraphaélites, font sensation.

Elle

s’intéresse aux textiles, prêche pour la libération du corps de la femme et la suppression du corset, comme le recommande la Rational Dress Society, dont elle est un membre actif. Elle s’intéresse aussi à la théosophie et appartient à la société ésotérique The Golden Dawn, où elle a été introduite après une cérémonie secrète le 13 novembre 1888, les yeux bandés, en tunique noire et chaussures rouges. En outre, elle écrit, des revues théâtrales, des articles sur la mode des femmes et des enfants, et un recueil de contes There was once, publié la même année que The Happy Prince. Plus que tout, ce qui contribue à son bonheur, c’est la naissance de deux garçons adorables, Cyril et Vyvyan, pour lesquels Constance et Oscar sont des parents attentifs et aimants. En un mot, jusqu’à ce qu’Oscar commence à déserter sa couche, Constance a tout pour être

heureuse.

On

pourrait

même

qualifier

sa

vie

de

particulièrement privilégiée. Et pourtant, même sur les photos prises en ces temps dorés, on chercherait en vain la trace de ce bonheur presque parfait.


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

Si on observe le portrait qui a été fait d’elle par Louis Desange avant son mariage, on ne peut qu’être frappé par son sérieux, par sa gravité. Desange ne peint pas une jeune fille rayonnante. C’est que la jeunesse de Constance n’a pas été heureuse. La perte de son père, quand elle avait seize ans, a été pour elle une dure épreuve. Sa mère s’est remariée avec un homme qu’ils n’apprécient pas, ni son frère Otho, ni elle, et qui ne leur témoigne aucune affection. Elle est très proche d’Otho, mais il fait ses études à Oxford, et elle doit rester seule avec sa mère Ada, qui, non seulement, n’est pas tendre avec elle, mais prend plaisir à l’humilier, et même à la maltraiter physiquement, lui cognant même parfois la tête contre le mur. Cela la rend peu sûre d’elle, au point qu’elle se persuade que personne ne voudra jamais l’épouser. « Oh, moi, écrit-elle à son frère, quand me marierai-je ? Tu dis que j’ai une chance de me marier. Je n’en vois aucune. Je n’ai pas de beauté, pas de conversation, pas même des banalités à dire pour me faire aimer ou


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

admirer. Je finirai vieille fille. J’y suis condamnée, et tu verras ta sœur errer avec six chats et une demi-douzaine de chiens. »1 Son frère réussit à la soustraire à la brutalité de sa mère et à cette atmosphère vénéneuse où elle ne peut s’épanouir, mais la voici presque sans foyer, ballotée entre la maison de son grand-père paternel et celle de sa grand-mère maternelle, entre Londres et Dublin, où elle rencontre Oscar, qui va l’arracher à son célibat. Oscar qui, après lui avoir donné quelques années de bonheur, va se faire lui aussi l’instrument de son malheur. L’arrivée de Lord Alfred Douglas va sonner le glas de sa vie d’épouse. Quel coup de tonnerre dans son ciel que la déflagration du

scandale ! Il y a déjà quelques temps que rien ne va plus,

qu’Oscar déserte leur foyer pour vivre dans les hôtels de luxe avec Bosie. Elle est sans argent et sans nouvelles de lui. Que sait-elle exactement de ce qui se passe ? Au début de l’année 1895 – annus horribilis – elle trébuche sur un tapis d’escalier et tombe dans les marches de sa maison de Tite Street. La colonne vertébrale est lésée. Mais il y a déjà longtemps que Constance n’est pas en parfaite santé. Elle souffre de douleurs articulaires, de fatigue, et d’engourdissements dans les membres. Sa maladie ne fut jamais vraiment diagnostiquée, mais de récentes études suggèrent qu’elle aurait pu être atteinte de sclérose en

Franny Moyle, The tragic and scandalous life of Mrs Oscar Wilde – John Murray, 2011 traduction DGR 1


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

plaques1. C’est pour traiter ces symptômes qu’un médecin italien décida de l’opérer. On crut longtemps que Constance avait succombé à une opération du dos, les suites de sa chute ayant entrainé une paralysie progressive de son bras droit et de ses membres inférieurs. Se pourrait-il que ces symptômes de lente paralysie aient été dus, non à sa chute, mais aux premiers dégâts causés par la maladie ? C’est en 1888 que sa santé a commencé à se dégrader, c’est-à-dire seulement quatre ans après son mariage, célébré le 29 mai 1884. Ce n’est donc pas seulement le désastre qui a précipité sa mort, même s’il y a sûrement participé. Mais on peut supposer qu’en dépit des catastrophes qui avaient fondu sur elle, Constance voulait vivre, au moins pour ses fils, puisqu’en désespoir de cause, elle finit par se décider à avoir recours à des méthodes peu orthodoxes, dans l’espoir de trouver un remède à son mal. À Heidelberg, elle avait consulté un « médecin des nerfs », à Gênes, elle se remet entre les mains d’un chirurgien gynécologue italien, le Docteur Luigi Bossi. Constance avait été une première fois hospitalisée dans sa clinique de Gênes, au moment de la Noël 1895. Elle en était sortie persuadée que sa santé allait s’améliorer grâce à l’intervention pratiquée par Bossi. Mais hélas, elle dut vite déchanter, et début avril 1898, Constance fut de nouveau hospitalisée pour subir une autre opération. Des lettres de famille qui viennent d’être livrées au public par Merlin Holland, indiquent qu’il ne s’agissait pas d’une Ashley Robins, de l’University of Cape Town Medical School in South Africa, est arrivé à cette conclusion après l’examen des documents familiaux fournis par Merlin Holland, où les symptômes étaient décrits. 1


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

opération du dos destinée à relâcher la pression des nerfs sur la colonne vertébrale, mais de l’extraction d’une prétendue tumeur utérine, le Dr Bossi se targuant de rendre à Constance sa mobilité par une ablation gynécologique. Il était en effet de ces médecins qui pensaient que, chez les femmes, les maladies neurologiques étaient liées à des problèmes gynécologiques. L’opération eut lieu le 2 avril. Mais l’état de la patiente empira très vite, et le 6, Otho reçut de sa sœur un télégramme qui lui demandait de venir au plus vite. « Je suis très malade, ajoutait Constance. Je paierai le voyage et l’hôtel ». Il fallait une journée pour venir de Suisse. Otho arriva à la clinique le 7 pour s’entendre dire par une jeune sœur de charité que Constance était morte. Elle n’avait personne auprès d’elle, hormis sa dévouée servante italienne, Maria Segre.

À l’arrivée d’Otho, le médecin n’était pas là. Il séjournait à Savone, avant de se rendre en Espagne, et Otho, qui le regardait comme un charlatan responsable de la mort de Constance, hésita à lui intenter un procès. Il finit par y renoncer, mais en avril 1919, le gynécologue fut retrouvé mort, assis à son bureau, la main crispée sur son stylo.


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

Dans la même pièce, gisaient un homme inconnu et une femme mortellement blessée. Bossi le charlatan, qui, par son ignorance, avait tué Constance Wilde, avait été assassiné par un mari jaloux. À ma connaissance, on ne dispose d’aucune photo de Constance dans ses dernières années. Mais peut-on croire un seul instant que la tristesse ait pu disparaitre des yeux de cette femme au destin si tragique, que le sort poursuivit jusqu’au bout ? Dans la mémoire collective, elle restera à jamais cette jeune et belle épouse, au regard mélancolique, cette « petite Arthémis aux yeux violets », qui n’aura connu que quelques brefs éclats d’été. Mais aurait-elle cédé, contre une vie tranquille, le privilège d’avoir partagé l’intimité d’un homme fulgurant qui, avant de la plonger dans le malheur, lui permit de connaître de pures épiphanies de bonheur ? C’est par lui, l’auteur de sa disgrâce, qu’elle atteignit à la postérité. Combien de femmes d’écrivains ont suscité autant d’articles et d’études ? Pas moins de trois biographies importantes1, un roman

2

et plusieurs pièces de théâtre3. Peut-être l’infortunée Constance aurait-elle enfin aux lèvres un sourire amusé en voyant qu’après l’avoir jetée dans les ténèbres, son union avec Oscar Wilde la tirait à tout jamais vers la lumière. 1 Joyce Bentley, The Importance of being Constance : A Biography of Oscar Wilde's Wife (1983) – Ann Clark Amor, Mrs Oscar Wilde, a woman of some importance (1983) – Franny Moyle, Constance, The tragic and scandalous life of Mrs Oscar Wilde (2011) 2 Clare Elfman, The case of the pederast’s wife (2000) 3 Thomas Kilroy, The Secret Fall of Constance Wilde (1997)- Suzanne Lederer, Constance, The art of being Mrs Oscar Wilde (2013) - Clare Steams, Constance, The amazing Mrs Oscar Wilde (2014)


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

Danielle Guérin-Rose

2. Publications Oscar Wilde – Le millionnaire modèle et autres contes Folio – Janvier 2015 ISBN 978-2070462667

Oscar Wilde – Le Portrait de Dorian Gray Ligaran – Janvier 2015 Collection Grandes Lettres ISBN 978-2335011890


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

Oscar Wilde – La Ballade de la Geôle de Reading Ressouvenance, janvier 2015 Collection : Polychrome ISBN 978-2845051751

Wilde in Earnest Sous la direction d’Emily Eells (* voir sommaire en fin de chapitre) Presse universitaires de Paris-Ouest, Janvier 2015 ISBN 978-2-84016-218-6


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

Gordon

Millan :

croisée

Pierre

Correspondance

Louÿs

Georges

Louis 1870-1917, tome 1 18901898, édition établie et annotée par Gordon Millan Preface de Dimitri Stolypine Bibliothèque

des

Correspondances,

Mémoires et Journaux Honoré Champion, 2015 ISBN 9782745327482.

Stephane Huet, Elyane Dezon-Jones – Le fantôme du petit Marcel Bande dessinée Viviane Hamy, novembre 2014 IBSN 978-2878585896


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

Pierre Longuenesse – Yeats et la scène: L’acteur et sa voix à l’Abbey Theatre de Dublin Presses universitaires du Septentrion, janvier 2015 ISBN 978-2757408513

Anne-Sophie Lesage - Dante Gabriel Rossetti et la volupté féminine : Le héros du préraphaélisme 50 minutes, décembre 2014 Collection : Artistes ISBN 978-2806258014

Et ailleurs…


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

Joseph Bristow et Rebecca N. Mitchell – Oscar

Wilde’s

Chatterton :

Literary

History, Romanticism, and the Art of Forgery Yale University Press, mars 2015 ISBN 978-0300208306

Oscar Wilde, Nicholas Frankel – The annoted Importance of being Earnest. Harvard University Press, février 2015 ISBN 978-0674048980


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

Frank Hormesch – The latest appeal of "The

Picture

of

Dorian

Gray".

Character design, main themes and film adaptations GRIN Verlag GmbH, janvier 2015 ISBN 978-3656872702

Oscar Wilde – Lettere Il Saggiatore, décembre 2014 IBSN 978-8842819271

E. Rialti -Wilde. Interviste americane Ed. Lindau, 2015 ISBN 9788867082780


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

Constance Wilde – C’era una Volta Illustrations de John Lawson Viterbo, Stampa Alternativa, 2014 ISBN 9788862223338

* Sommaire Wilde in Earnest •

• • • •

Introduction. Oscar Wilde, The Importance of Being Earnest ; Emily Eells “Sincere and Studied Triviality”: The Importance of Being Earnest as an Aestheticist Comedy of Manners ; Petra Dierkes-Thrun A Close Reading of The Importance of Being Earnest ; Michael Patrick Gillespie “He is the Very Pine-Apple of Politeness”: Sheridan, Wilde and the English Comedy of the Manners ; Richard A. Kaye Wilde on Holiday: The Imitation of Englishness ; Peter Raby Jack and Algy in Wonderland ; Christopher S. Nassaar Naming in Earnest ; David Charles Rose Le Nom-du-Père, du fils, le (faux)-frère et autres concepts familiaux dans The Importance of Being Earnest ; MarieNoëlle Zeender Catching Butterflies: The Serious Aestheticism of The Importance of Being Earnest ; Stefano Evangelista Répétitions et variations dans The Importance of Being Earnest ; Gilbert Pham-Thanh Vérité du paradoxe et obscénité du réel dans The Importance of Being Earnest ; Jean-Jacques Lecercle The Importance of Being Playful ; Virginie Iché


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

The Importance of Being Earnest: Performance, Sincerity and Self-Creation ; Sos Eltis The Importance of Being Earnest  : politique et poétique du corps ; Xavier Giudicelli Cherchez la tante: The Queerness of The Importance of Being Earnest ; Nikolai Endres Postmodern Earnest: Performing the Self ; Kerry Powell


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

3. OSCAR WILDE ET LA BANDE DESSINEE OSCAR WILDE : LA RESURRECTION Par Dan Pearce Introduction — Deuxième episode — Troisième épisode — Quatrième épisode — Cinquième épisode — Sixième épisode — Septième épisode — Huitième épisode — Neuvième épisode — Dixième épisode — Onzième épisode — Douzième épisode – Treizième épisode — Quatorzième épisode — Quinzième épisode – Seizième épisode – Dix-septième épisode – Dix-huitième épisode – Dix-neuvième épisode -- Vingtième épisode

— Vingtième et unième épisode – Vingt-deuxième

épisode – Vingt-troisième épisode – Vingt-quatrième épisode – Vingt-cinquième épisode – Vingtsixième épisode - Vingt-septième épisode – Vingt-huitième épisode – Vingt-neuvième épisode – Trentième épisode – Trente et unième épisode – Trente-deuxième épisode.

Trente-Troisième épisode


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

À suivre…


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

4. Expositions A Victorian Obsession: The Pérez Simón collection at Leighton House Museum

Le collectionneur Mexicain Juan Antonio Pérez Simón possède un des plus beaux assortiments d’œuvres de l’art Victorien dans le monde. Elles sont exposées au Leighton House Museum de Londres, jusqu’au 29 Mars 2015. On pourra y voir cinquante œuvres de l’époque victorienne, parmi lesquelles celles de Dante Gabriel Rossetti, Edward Burne-Jones, John Everett Millais, John William Waterhouse, et ces “Roses d’Heliogabale” (ci-dessus) de Lawrence Alma-Tadema, œuvres que nous avons toutes pu admirer récemment à Paris au musée Jacquemart-André

dans

l’exposition

“Désir

et

volupté

dans

l’Angleterre Victorienne” (septembre 2013 à janvier 2015).

Une


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

session de rattrapage donc pour tous ceux qui auraient manqué l’expo parisienne et qui pourraient se rendre à Londres. 14 Novembre 2014 au 29 mars 2015 Leighton House Museum – London

Liberating Fashion : Aesthetic Dress in Victorian Portraits


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

À Guildford, dans le Surrey, la Watts Gallery présente les chefd’œuvres de plusieurs des maîtres victoriens qui ont exploré le vêtement féminin dans leurs toiles, en prônant à travers leur peinture la libération des corps avec des drapés amples et la suppression des corsets, révélant ainsi la beauté naturelle des formes féminines. L’exposition regroupe des œuvres de G F Watts, Frederick Leighton, Edward Burne-Jones, Lawrence Alma-Tadema, James Tissot, etc…

17 février – 7 juin 2015 Watts Gallery - Guildford


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

5. OPÉRA et CONCERTS Salomé De Richard Strauss D’après la pièce d’Oscar Wilde À Bonn

Roman Sadnik - Herodes Anjara I. Bartz - Herodias Nicola Beller Carbone [P] / Manuela Uhl [8., 20.3. | 11.4.] - Salome Mark Morouse - Jochanaan Tamás Tarjányi [P] / Johannes Mertes [8., 21.2. | 20.3. | 6., 15., 24.5. | 14.6.] - Narraboth Kathrin Leidig - ein Page der Herodias Beethoven Orchester Bonn Direction musicale: Stefan Blunier [P] / Hendrik Vestmann [11.4. | 2., 6.5.] 11 avril – 2, 6, 15 et 24 mai – 14 juin 2015

Theater Bonn


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

Dorian Gray à Bratislava

Opéra de L’Ubica Cekovska Livret de Kate Pullingerovej Direction musicale Mise en scène

Peter Valentovic / Christopher Ward

Nicola Raab

Décors, Costumes Anne Marie Legenstein, Alix Burgstaller Distribution : Sybil Vane

Helena Becse Szabó / Katarína Juhásová-

Štúrová Pani Leafová

Terézia Kru liaková / Jitka Sapara-Fischerová

Bordelmama

Denisa Hamarová / Denisa Šlepkovská

Dorian

Eric Fennell / Eamonn Mulhall

Alan Campbell

Martin Gyimesi / Róbert Remeselník

James Vane

Ján

Basil

Ján Galla / Martin Malachovský

Lord Henry

Pavol Remenár / Aleš Jenis

ur o / František

1O, 23 avril 2015, 14 mai 2015 Slovak National Theatre – Bratislava

uria


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

CONCERTS Le Prince Heureux à Lausanne

Musique de Jan Bach Direction Jamie Philipps Orchestre de chambre de Lausanne Caroline Imhof, récitante.

27 mai 2015 – 17H BCV Concert Hall - Lausanne


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

6. THÉÂTRE L’Importance d’être Constant à Paris

Mise en scène : Paul Bruna-Rosso-Carré Avec : Paul Bruna-Rosso-Carr É, Mathieu Duhazé, Charlotte Gouillon, Anaïs Jean, Julia le Texier, Guillaume Millètre, Clémence Mollet, Berouke Tesfay Du 5 février au 26 mars 2015 – les jeudis à 21H

Théâtre Darius Milhaud ***

… et à Agen (Il importe d’être Constant)


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

Mise en scène de Robert Angebaud

15 au 30 mai 2015 Théâtre du jour – Agen

Le Prince Heureux à Montpellier Compagnie Le Baldufa


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

Adaptation : Jorge Picó, Enric Blasi, Emiliano Pardo et Carles Pijuan Mise en scène : Jorge Picó Musique : Óscar Roig Costumes : Teresa Ortega Voix off : Marie Ortega, Dag Jeanneret et Aurélie Namur Avec : Enric Blasi, Carles Pijuan (comédiens) et Miki Arbizu (technicien)

2 avril 2015 (14H30) – 3 avril 2015 (14H30 et 20H30) Théâtre Jean Vilar - Montpellier

Le Portrait de Dorian Gray à Bordeaux

Avec : Franck Desmedt 19 au 24 mai 2015

L’Inox à Bordeaux


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

Et toujours… La compagnie des Framboisiers au théâtre Laurette … Salomé – du 11 janvier au 22 mai 2015 – les ve à 20H L’Importance d’être Constant – du 10 janvier au 23 mai 2015 – Les samedis à 20H Le Portrait de Dorian Gray – du 7 janvier au 13 mai 2015 – Les mercredis à 20H

Et ailleurs… The Importance of being Earnest


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

Hercule Poirot as


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

Lady Bracknell


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

Mise en scène : Adrian Noble Avec : David Suchet (Lady Bracknell) – Michael Benz (Jack Wothing) – Philip Cumbus (Algernon Moncrieff) – Imogen Doel (Cecily Cardew) – Michele Dotrice (Miss Prism) – Richard O’Callaghan (Canon Chasuble)

13 Au 16 mai 2015 Theatre Royal – Nottingham 1er au 6 juin 2015 Mayflower Théâtre – Southampton 8 au 13 juin 2015 Théâtre Royal - Newcastle 15 au 20 juin 2015 Théâtre Royal – Bath


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

Lord Arthur Savile’s Crime

Deconstruction Theatre Compagny Dramatisation : Ronald Selwin Philipps 28 avril au 18 mai 2015

Baron’s Court Theatre - Londres

The fisherman and his soul

De Michael Baltzell and Michael Hartwell

1er au 25 avril 2015 Boise Contemporary Theater – Idaho


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

The Picture of Dorian Gray

Adaptation : Merlin Holland et John O’Connor Mise en scène : Peter Craze Décors et costumes : Dora Schweitzer Avec : Guy Warren-Thomas (Dorian), Rupert Mason (Basil), Gwynfor Jones (Lord Henry), Helen Keeley (Sybil) En tournée en Grande-Bretagne, Ecosse, Pays de Galles et Irlande du Nord du 8 avril au 20 juin 2015 20 Juin 2015

Saint-James studio theatre – Londres Ces représentations commémoreront le 125e anniversaire de la publication du Portrait de Dorian Gray.


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

7. Les couleurs du livre (Oscar Wilde bibliophile) Par Pascale McGarry

Une anecdote, parmi tant d’autres, témoigne de la passion de Wilde pour la couleur. Il découvre quelques mois avant sa mort les plaisirs de la photographie, et y renonce, ne pouvant se résigner à l’absence de couleurs 1. Dans son attention au visible pour citer une formule de Gautier qu’il affectionne et utilise à propos de Dorian Gray, l’attrait des couleurs est infiniment plus vif que celui des lignes et des formes. On peut dire qu’il écrit en couleur et qu’en cela il réalise cette position symbolique à l’égard de l’art et de la culture de son siècle dont il parle dans De Profundis 2. Il reflète et concentre une époque qui invente la couleur des voyelles, fonde des revues d’art et de littérature « Blanche », « Lilas », « Bleu Nuit », ou

The Letters of Oscar Wilde, R. Hart-Davis (éd.), Londres, R. Hart-Davis, 1962, p. 827828 : « My photographs are now so good that in my moments of mental depression (alas ! not rare) I think I was intended to be a photographer. But I shake off the mood, and know that I was made for more terrible things of which colour is an element. » (« Mes photographies sont si bonnes que dans mes moments de dépression (trop fréquentes hélas) je pense avoir été destiné à être photographe. Mais j’écarte cette tentation ayant la certitude d’avoir été créé pour de plus terribles aventures dont la couleur est indissociable ») 2 Complete Works of Oscar Wilde, V. Holland (éd.), Londres, Harper Collins, 1994, p. 1017 : « I am a man who stood in symbolic relations to the art and culture of my age. » 1


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

« Jaune »1 et joue sans cesse sur les correspondances et les harmonies. Les couleurs envahissent les poèmes de jeunesse de Wilde dans de nombreux pastiches de Whistler ou de Gautier intitulés « Symphony in Yellow », « La Dame Jaune », « Remorse, a study in saffron », etc. Mais à l’époque de ces exercices de style, il songe déjà à un véritable livre en couleur, comme en témoigne ce compte rendu prophétique d’un recueil de poésie : La couverture est de papier brun comme les couvertures des brochures de Whistler. L’impression fait appel à des caractères d’une variété toute fantaisiste, la couleur des pages va du bleu au brun, du gris au vert cendré, du rose au jaune de chrome. Le philistin va peut-être refuser ce chaos chromatique, mais pas nous. Comme les peintres volent constamment aux poètes, pourquoi le poète n’annexerait-il pas le domaine du peintre en utilisant la couleur pour exprimer son humeur, sa musique : bleu pour le sentiment, rouge pour la passion, gris pour une mélancolie cultivée, et vert pour la description ? Le livre est alors une sorte d’arc-en-ciel miniature, et avec toutes ses feuilles variées, il est beau comme un panneau publicitaire)2. Une expérience tentée par Remy de Gourmont quelques années après la mort de Wilde réalise en quelque sorte cette rêverie 1 Une revue publiée à Oxford vers 1870, juste avant l’arrivée de Wilde, avait pour titre Dark Blue. Beardsley, venant juste de terminer les illustrations de Salomé, fonda en 1894 sa revue d’art de littérature The Yellow Book et en fut chassé l’année suivante parce que selon des rumeurs non fondées Wilde en avait un exemplaire sous le bras lors de son arrestation. 2 Reviews, Londres, Methuen and Co., 1908, p. 90 : « The cover is of brown paper like the covers of Whistler’s brochures. The printing exhibits every fantastic variation of type, and the pages range in colour from blue to brown, from grey to sage green, and from rose pink to chrome yellow. The Philistine may sheer at the chromatic chaos, but we do not. As the painters are always pilfering from the poets, why should not the poet book, then is a kind of miniature rainbow, and with all its varied sheets, is as lovely as an advertisement hoarding. »


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

prophétique. Dans son recueil de contes Couleurs, Contes nouveaux suivis de choses anciennes la table des matières se lit comme une palette : jaune, noir, blanc, bleu, violet, rouge, vert, zinzolin, etc. Chaque chapitre a pour titre une couleur différente correspondant aux émotions des personnages qui y figurent 1. Sans aller aussi loin, Wilde s’aventure déjà dans cette voie en imaginant certaines harmonies de couleurs pour chacun de ses livres. Ainsi le volume de Salomé serait-il pourpre et or, et pas seulement pour l’assortir aux cheveux de Lord Alfred Douglas. Quant au Portrait de Dorian Gray, « that strange coloured book »2, il a dans l’imagination de Wilde une toile d’or traversée du fil pourpre du malheur3. Il ne s’agit d’ailleurs pas seulement pour Wilde de pures spéculations. L’existence matérielle des livres lui coûte des soins incessants. Lui qui, en prison, tuait le temps en recouvrant des livres de bibliothèque de papier d’emballage a beaucoup réfléchi et beaucoup écrit sur l’art de la reliure, le choix des papiers et des caractères d’imprimerie, souvent au désespoir de ses éditeurs. Dans l’attention passionnée accordée par Wilde à la reliure des livres (les siens ou ceux de ses amis) se cristallisent d’autres passions complémentaires fondant la logique de son esthétique. Il rêve d’un livre qui serait un être humain dont la robe et la parure Remy de Gourmont, Couleurs, Contes nouveaux suivis de choses anciennes, Chavagne, Ubacs, 1988. Les contes avaient été publiés en 1906 et 1907 au Mercure de France. 1

The Letters of Oscar Wilde, p. 352 (« ce livre aux couleurs étranges »). Wilde affectionne particulièrement cet adjectif à propos des livres qu’il aime, et parle ailleurs (p. 277) d’un livre « strained by colour and passion ». 2

3

Ibid. p. 475.


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

correspondraient à la beauté naturelle, la reliure – au lieu de trahir le texte – en annoncerait la beauté. Ainsi reproche-t-il à Williams Morris une reliure indigne de son texte : La couverture me fait verser des larmes : la matière est loin d’être assez belle pour une prose telle que la vôtre. Mais pour que le livre lui-même ait un habillement idoine, il faudrait du damas cousu de perles et étoilé d’or.1 Peu importe si le rêve du livre et son incarnation réelle diffèrent, si les asphodèles de la reliure élyséenne du Portrait de Dorian Gray que lit Gautier2 ne sont que soucis dorés dans le travail réel de Ricketts. Goethe et Gautier font fi des anachronismes, et dans la même magie la parure des livres de Wilde leur redonne vie. La cohabitation des livres sur les rayons de bibliothèque inspire à Wilde de spirituelles rêveries, il se demande si l’exemplaire de Salomé saura rester sage ou sera gourmandé par un austère tome du

XVIIIe

siècle3, il refuse qu’un de ses livres voisine avec ceux de

George Moore4, ou il insiste sur les prérogatives d’une édition de luxe de The Importance of Being Earnest offert en cadeau de mariage à une amie au temps de son dénuement : Je ne puis rien vous offrir si ce n’est un de mes livres, cette absurde comédie, L’Importance d’être Constant, mais je vous l’envoie dans l’espoir qu’il vivra sur vos rayons et aura le droit de vous regarder de Ibid. p. 290 : « I weep over the cover which is not nearly lovely enough in material, for such prose as you write. But for the book itself to have suitable raiment, it would need damask sewn with pearls and starred with gold. » 2 Ibid. p. 269. 3 Ibid. p. 331. 4 Ibid. p. 778. 1


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

temps en temps. L’habillement est joli, il est revêtu de vélin japonais et vient d’une petite famille de neuf rejetons. Il n’adresse pas la parole à l’édition populaire, refusant de saluer des parents pauvres dont la valeur n’est que de sept shillings et six pence. Tel est le prix de la naissance. C’est une vraie leçon.1 Le ton de la lettre accompagnant le cadeau, pastiche des tirades de Lady Bracknell elle-même, rappelle l’idéal d’une correspondance parfaite entre l’apparence du livre et son texte. Mais Wilde se méfie d’une assimilation terme à terme qui serait le danger d’une simplification du symbolisme. Sa longue lettre justifiant les choix de Ricketts et Shannon, ses illustrateurs, pour la reliure de son recueil de contes La Maison de Grenades est une admirable mise au point sur l’esthétique symboliste autant qu’une moquerie adressée à un critique imprudent : le corail, l’ivoire et l’or de la reliure reflètent comme un miroir l’âme du lecteur-spectateur, une âme visitée de grenades, de paons et de fontaines dans le cas de Wilde, ou prisonnière d’objets grotesques pour son malheureux critique2. La référence logique dans cette lettre à la préface du Portrait de Dorian Gray rappelle la place centrale, dans la réflexion de Wilde, des miroirs et des masques. Ce sont eux qui lui

Ibid, p. 802 : « I have nothing to offer you but one of my books, that absurd comedy The Importance of Being Earnest, but I send it to you in the hopes that in may live on your bookshelves, and be allowed to look at you from time to time. The dress is pretty, it wears Japanese vellum and belongs to a limited family of nine and is not on speaking terms with the popular edition. It refuses to recognise the poor relations whose value is only seven and six pence. Such is the price of birth. It is a lesson. » 1

2

The Letters of Oscar Wilde, p. 301.


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

permettent de formuler sa problématique de « l’Art et de la Nature », de la représentation et de la réalité. Cette

problématique

s’articule

autour

d’une

dialectique

de

l’extérieur et de l’intérieur où le livre renonce provisoirement à prendre vie mais se choséifiant à l’extrême se confond avec l’ameublement de la maison de l’esthète jusqu’à même devenir son seul ameublement. Dans l’une des nombreuses lettres écrites par Wilde pour venir à la rescousse de son roman, il définit en ces termes Le Portrait de Dorian Gray : Le mouvement esthétique produisit certaines couleurs, d’une beauté subtile, qui fascinent par leur ton presque mystique. […] Mon récit est un essai sur l’art de la décoration. 1 Au moment où les illustrations de Beardsley pour Salomé y réduisaient l’ameublement à une étagère où les bibelots voisinent avec Les Fleurs du mal et un roman de Zola, Wilde reproche à son éditeur, Lane, la laideur de la couverture de sa pièce indigne du texte : « […] it spoils the real beauty of the interior »2. Le choix du terme « interior » indique que le livre est perçu comme une maison, avec sa façade et ce que l’on appelle en anglais « interior decoration », son ameublement. Dans un mouvement d’identification réciproque, le livre devient maison, la maison se fait livre. En cela, Wilde reprend à son compte les tendances contemporaines, les manies de chineurs et de bibliophilie des Goncourt si bien analysées par Paul

Ibid. p. 264 : « The aesthetic movement produced certain colours, subtle in their loveliness and fascinating in their almost mystical tone. […] My story is an essay on decorative art. » 2 Ibid. p. 348. 1


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

Bourget1, ou plus directement pertinentes pour Dorian Gray les manies des personnages de Huysmans. Un bel article de Jean de Palacio montre comment André Jayant, le héros de En ménage, range ses livres comme un peintre de l’école pointilliste, soucieux de ce que « les formes et les couleurs se répondissent », commençant ainsi une expérience qui trouve son aboutissement – et sa négation – dans À rebours, où la description de la devanture d’une librairie anglaise transforme les livres en taches et masses de couleur : Il s’approcha, attiré par la vue de ces cartonnages en papier bleu perruquier et vert chou gaufrés, sur toutes les coutures, de ramages d’argent et d’or, de ces couvertures en toiles couleur carmélite, poireau, caca d’oie, groseille, estampée au fer froid, sur les plats et le dos, de filets noirs.2 Sans le contexte, le lecteur pourrait penser lire la description d’une boutique de mode ou d’un potager… Je m’attarderai quelque peu sur la conception « à rebours » que Des Esseintes a du livre parce qu’elle inspire évidemment directement Wilde lorsqu’il recrée l’un des livres ou Le Livre de Dorian Gray, celui qui change sa vie, même si Wilde a donné des indications apparemment contradictoires quant à sa source d’inspiration. En effet il a pu écrire d’une part :

1 P. Bourget, Nouveaux essais de psychologie contemporaine, Paris, A. Lemerre, 1886, p. 148 sq. 2 J.K. Huysmans, À rebours, H. Juin (éd.), Paris, Union générale d’éditions, 1975, p. 215.


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

Le livre de Dorian Gray est l’un de ceux que je n’ai jamais écrits, mais il est inspiré en partie par À rebours de Huysmans. […] C’est un conte fantastique offrant une variation de l’étude (trop réaliste chez Huysmans) du tempérament artistique dans notre âge hostile à l’art.1 (Le lien du réalisme et du fantastique mériterait évidemment réflexion ici). D’autre part, on lit dans une autre lettre de Wilde : Ce livre qui empoisonna Dorian Gray, ou le rendit parfait, n’existe pas, ce n’est qu’une de mes fantaisies.2 Richard Ellmann – entre autres – a montré le bien-fondé de ces deux déclarations : source d’inspiration effectivement prise chez Huysmans, avec de grandes différences dans la « description » de chapitres

imaginés

par

Wilde

et

importantes

sources

complémentaires, en particulier de Pater (Wilde parle de son influence sur lui-même exactement dans les termes qu’il utilise à propos de Dorian Gray) et de nombreux symbolistes français comme Catulle Mendès ou Rachilde. Des Esseintes pratique de manière systématique l’interversion du livre et de l’ameublement. La maison est « reliée » comme un livre « avec du maroquin, à gros grains écrasés, avec de la peau du cap, glacée par de fortes plaques d’acier, sous une puissante presse » 3. The Letters of Oscar Wilde, p.313 : « The book in Dorian Gray is one of many books I have never written, but it is partly suggested by Huysmans À rebours. […] It is a fantastic variation on Huysmans’s over realistic study of the artistic temperament in our inartistic age. » 2 Ibid. p.352 : « The book that poisoned, or made perfect, Dorian Gray, does not exist, it is a fancy of mine merely. » 3 J.K. Huysmans, À rebours, p.67. 1


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

La maison devenue livre, les livres et les objets qui leurs sont d’habitude

associés

servent

d’ameublement,

d’éléments

de

décoration : […] en fait de meubles, Des Esseintes n’eut pas de longues recherches à opérer, le seul luxe de cette pièce devant consister en des livres et des fleurs rares.1 Sortant de prison et tentant de convaincre ses amis qu’il pouvait se contenter de bien peu pour vivre, Wilde déclara qu’il n’aurait besoin que de livres et de fleurs… Chez Des Esseintes, le lutrin, la bibliothèque perdent leur fonction d’origine et sont utilisés « à rebours » avec « un jeu de chaussettes de soie » disposé sur les rayons. La bibliothèque ne sert plus à contenir de livres et le livreobjet n’est plus là pour être lu. Comme l’écrit Jean de Palacio : […] dans À rebours tout ce qui a trait à l’activité de lecture est systématiquement mis au passé, il n’est plus question que de la matérialité du livre, de la texture des papiers […]. Le livre ne relève plus de la vue mais du toucher.2 La bibliophilie de Des Esseintes aboutit donc à une négation du livre avec une épuration destructrice, la bibliothèque se réduisant à un seul livre, le livre à un seul poème, le public à un seul lecteur. La complaisance narcissique de l’esthète va cependant de pair avec la pertinence indiscutable de ses choix. La coïncidence de ses décisions

pour

les

reliures,

les

papiers

et

les

caractères

d’imprimerie de ses éditions personnelles de Baudelaire et de Mallarmé est signifiante à cet égard : 1

2

Ibid.

J. de Palacio, Figures et Formes de la Décadence, Paris, Séguier, 1994, p. 211.


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

[Des Esseintes] s’était fait imprimer […] les œuvres de Baudelaire […] sur un feutre très léger du Japon, spongieux, doux comme une moelle de sureau et imperceptiblement teinté, dans sa blancheur laiteuse, d’un peu de rose. Cette édition, tirée à un exemplaire, d’un noir velouté d’encre de chine avait été vêtu en dehors et recouverte en dedans d’une mirifique et authentique peau de truie choisie entre mille, couleur chair, toute piquetée à la place de ses poils et ornée de dentelle noires au fer froid, miraculeusement assorties par un grand artiste 1. Quant à L’Après-midi d’un faune, voici quelle édition lui a choisi Des Esseintes : Des Esseintes éprouvait aussi de captieuses délices à palper cette minuscule plaquette, dont la couverture en feutre du Japon, aussi blanche qu’un lait caillé, était fermée par deux cordons de soie, l’un rose de Chine et l’autre noir. Dissimulée derrière la couverture, la tresse noire rejoignait la tresse rose qui mettait comme un souffle de veloutine, comme un soupçon de fard japonais moderne comme un adjurant libertin, sur l’antique blancheur, sur la candide carnation du livre, et elle l’enlaçait, nouant en une légère rosette, sa couleur sombre à la couleur claire, insinuant un discret avertissement de ce regret, une vague menace de cette tristesse qui succèdent aux transports éteints et aux surexcitations apaisées des sens.2

1 2

J.K. Huysmans, À rebours, p. 230-231. Ibid. p. 303.


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

Les choix du bibliophile rendent visibles la filiation directe de Baudelaire à Mallarmé, leur profonde affinité avec Manet (dont Baudelaire avait chanté le bijou rose et noir dans l’érotisme de Lola de Valence), leur attachement à l’art de l’Extrême-Orient. Chaque livre devenant une robe parée de dentelles, de velours, de soie, etc., la féminité nourricière dans la référence au laiteux, féminité dégénérant en truie pour le recueil de Baudelaire, fardée et attristée, épuisée par l’orgasme dans le poème de Mallarmé. La clôture de l’œuvre de Mallarmé est aussi clairement indiquée avec l’invention des cordons de soie fermés et noués. Dans ces merveilleuses rêveries Huysmans s’inspire évidemment des

expériences

et des

extravagances

réelles

de

Robert de

Montesquiou qui avait par exemple mis Whistler à contribution pour la décoration de son recueil de poèmes Les Chauves-souris, et offert le recueil à ses rares lecteurs dans une boîte enveloppée de soie brochée avec un envol de chauves-souris sur fond mauve en couverture. À son tour, Wilde poursuit l’aventure commencée par Montesquiou et reprise par Huysmans en imaginant Dorian Gray bibliophile : Il en fit venir de Paris jusqu’à neuf exemplaires sur grand papier de l’édition originale qu’il fit relier de couleurs différentes, afin qu’elles correspondent à ses humeurs diverses et aux caprices changeant d’une nature dont il semblait avoir totalement perdu la maîtrise.1 O. Wilde, The Portrait of Dorian Gray, in Complete Works of Oscar Wilde, p. 97 : « He procured from Paris no less than nine large-paper copies of the first edition, and had them bound in different colours so that they might suit his various moods and the changing fancies of a nature over which he seems, at times, to have almost lost control. » 1


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

La comparaison entre les deux versions du roman de Wilde, celle publiée dans le Lippincott Magazine en 1890 et celle de 1891, est utile à ce propos, et montre Wilde travaillant dans le sens d’une exagération de l’extravagance bibliophile, non de son atténuation. En effet la première version parle de cinq exemplaires commandés par Dorian, qui deviennent neuf dans la seconde. Voici le commentaire de Jean de Palacio à ce sujet : Ce trait […] jette un jour étrange sur le bibliophile décadent, accumulant neuf exemplaires de l’édition originale du même ouvrage, c’est-à-dire les trois-quarts du tirage de tête, puisque Vicaire nous apprend que Charpentier n’en fit tirer que douze « grands papiers », soit deux exemplaires sur Japon et dix sur Hollande 1 La manie du collectionneur va ici « à rebours » de la fonction de communication du livre et explique la connivence – malgré tous leurs déboires – de l’éditeur Smithers et de Wilde, qui lui écrivait lors de la parution de la Ballade : Vous avez tellement l’habitude d’éditer des livres en trois exemplaires [Smithers éditait essentiellement des textes pornographiques] que je trouve que vous vous rabaissez en éditant un livre à six pence. Comme je souhaite que le poème atteigne les classes pauvres, nous pourrions peut-être offrir un pain de savon Maypole avec chaque

J. de Palacio, « La postérité d’À rebours ou le livre dans le livre », Cahiers de l’Herne, 1985, p. 185. 1


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

exemplaire : on me dit que cela teint les cheveux des plus jolies couleurs et nettoie également.1 Une anecdote comparable montre l’engouement de la bibliophilie dans l’entourage de Wilde. Lorsque John Gray, l’un des « modèles » de Dorian, publia, aux frais de Wilde, un recueil de poèmes, Silverpoints, avec la collaboration de Ricketts, leur amie commune, Ada

Leverson,

le

« Sphynx »,

fut

tellement

frappée

par

la

disproportion de la marge et du texte qu’elle suggéra à Wilde de publier un livre où il n’y ait que la marge […] remplie de belles pensées silencieuses, et de faire relier ce volume vierge en un cuir vert de Nil saupoudré d’or par Ricketts (voire Shannon) imprimée sur papier japonais ; chaque exemplaire doit être une pièce de collection d’une édition « première » (et dernière) tirée à cent un, « très rare ». Wilde fut d’accord. « Il vous sera dédicacé », déclara-t-il au Sphinx, « et le texte non écrit sera illustré par Audrey Beardsley. Il faudra cinq cent exemplaires signés pour les amis personnels, six pour le grand public, et un seul pour l’Amérique ».

2

Ainsi émergent dans les fantasmes bibliophiles de Wilde deux tendances extrêmes : l’une qui serait la négation du texte et The Letters of Oscar Wilde, p. 737 : « You are so accustomed to bringing out books limited to an edition of three copies, one for the author, one for yourself, and one for the Police that I really feel you are sinking beneath your standard in producing a six-penny edition of anything. Perhaps, as I want the poem to reach the poorer classes, we might give away a cake of Maypole soap with each copy : I hear it dyes people’s hair the most lovely colours, and it is also cleansing. » 1

S. Weintraub, Beardsley, a biography, Pennsylvania University Press, 1967, p. 73 : « […] full of beautiful unwritten thoughts, and have this blank volume bound in some Nile-Green skin powdered with gold by Ricketts (if not Shannon) and printed on Japanese paper ; each volume must be a collector’s piece, a hundred one of a limited “first” (and last) edition : “very rare”. Wilde approved. “It shall be dedicated to you” he told Sphynx, “and the unwritten text illustrated by Aubrey Beardsley. There must be five hundred signed copies for particular friends, six for the general public, and one for America”. » 2


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

pratiquement du public, l’autre qui commercialiserait le livre à outrance, et il est significatif du génie que Wilde avait de la publicité qu’il reconnaisse dès leur naissance certaines techniques de vente, l’idée d’accompagner l’objet vendu d’un « cadeau » en promotion, ou la saturation du paysage urbain par les couleurs des affiches publicitaires qu’il compare au livre arc-en-ciel dont il rêve : The book, then, is a kind of miniature rainbow, and with all its varied sheets is as lovely as an advertisement hoarding. Dans un cas comme dans l’autre, les sarcasmes spirituels de Wilde accompagnent la disparition du livre en tant que tel. Le livre désormais n’est qu’un objet comme un autre, qu’il soit rare et précieux offert en cadeau à quelque « happy few », ou produit en masse et vendu pour une somme dérisoire à ceux que Wilde appelle « the poorer classes ». De la même façon qu’il y a une cohérence parfaite entre les textes de Mallarmé pour le magazine féminin La Dernière Mode et le reste de son œuvre, ses rêveries sur le livre dans Divagations par exemple, c’est en éditeur de Woman’s World que Wilde pense le livre et ses couleurs, comme une robe de femme ou l’ameublement d’une maison. Dans Le Portrait de Dorian Gray, l’identification de la robe et de la reliure est proposée comme un bon mot, tel personnage ridicule de la haute société est censé ressembler à une édition de luxe d’un mauvais roman français.1

1

O. Wilde, The Picture of Dorian Gray, p. 129.


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

À travers l’ironie, une discussion se poursuit ici sur le décoratif – l’essentiel selon Mallarmé – et sur la relation du matériel et du spirituel, réflexion aussi pertinente à propos des femmes que des livres, et où la couleur intervient. C’est dans la bouche de Lord Henry que Wilde place les commentaires suivants : Les femmes appartiennent à un sexe ornemental. Elles n’ont jamais rien à dire mais elles le disent avec le plus grand charme. Les femmes représentent le triomphe de la matière sur la morale, de même que les hommes représentent celui de l’esprit sur la morale. Après une interruption de Dorian, il propose cette classification : « Il n’y a que deux types de femmes, la simple et la fardée. » Jouant sur l’ambiguïté entre fard et peinture, il reparle plus tard à Dorian des femmes peintes (l’actrice Sybil Vane vient de s’empoisonner à l’acide prussique ou au blanc de céruse) et propose la théorie suivante sur les femmes : Les femmes ordinaires se consolent toujours. Certaines le font en arborant des couleurs sentimentales. Ne vous fiez jamais, quel que soit son âge, à une femme qui porte du mauve, ni à une femme de plus de trente-cinq ans qui aime les rubans roses. Cela signifie toujours qu’elles ont un passé.1

Ibid. p. 28 : « Women are a decorative sex. They never have anything to say but they say it charmingly. Women represent the triumph of matter over mind, just as men represent the triumph of mind over morals. » […] « There are only two kinds of women, the plain and the coloured ». […] « Ordinary women always console themselves. Some of them do it by going for sentimental colours. Never trust a women who wears mauve, whatever her age may be, or a woman over thirty-five who is fond of pink ribbons. It always means they have a history ». 1


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

Le costume ou le maquillage des femmes comme les choix de l’ameublement servent ici à Wilde, comme ailleurs à Baudelaire ou à Mallarmé, de laboratoire où des expériences sur la nature même du symbolisme ont lieu. Wilde, on l’a vu, invite explicitement son lecteur à lire son roman comme un essai sur le décoratif. Il s’agit d’un système de la décoration avec une cohérence et un lien d’identification réciproque entre les différents éléments, parure, ameublement, reliure. À une époque qui raffole de correspondances et d’harmonies, Wilde propose l’utopie d’une harmonie parfaite entre l’ameublement des demeures de Dorian et de Lord Henry en suivant les principes qu’il avait présenté dans son magazine ou ses conférences et qui rejoignent les idées de Whistler et de l’architecte Godwin. Fuyant les « couleurs sentimentales » comme le rose et le mauve, il utilise, comme eux, une harmonie de trois couleurs, qui sont aussi celles des livres de Dorian, le jaune, le bleu et le vert. Les expériences de Whistler ont sans aucun doute inspiré Wilde, que ce soit les harmonies bleu et or pour la maison de la famille Alexander, jaune et or pour la maison « Primevère » présentée à l’Exposition universelle de Paris de 1878, l’omniprésence du jaune dans l’exposition de 1883 à laquelle Whistler arborait des chaussettes jaunes assorties à son fameux papillon ainsi que toutes les maisons de Chelsea en harmonie de jaune, bleu et vert où il habita successivement. La même harmonie de couleurs fut choisie par Wilde, sur les conseils de leur commun architecte, Godwin, pour sa maison de Tite Street. Dans un tel choix s’unissent l’appropriation et la redéfinition d’une esthétique, la volonté de s’identifier à une mode et de bénéficier de la notoriété de Whistler, le goût personnel et l’intuition de l’efficacité des couleurs sur le plan strictement


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

publicitaire. Lorsque Wilde, très tôt à Oxford, déclare avoir du mal à rivaliser avec sa porcelaine bleue, lorsqu’il invente ensuite l’œillet vert pour le lancement de Lady Windermere’s Fan – tout comme Whistler avait créé le papillon jaune ou plus tard Joyce la cravate bleu « Ulysse » – et lorsqu’il écrit dans Le Portrait de Dorian Gray que le satin jaune peut consoler de toutes les misères de la vie

1

il

s’approprie l’art whistlerien de la promotion de soi tout en créant son propre système esthétique, un système qui serait l’exacte synthèse de la formule de Lord Henry sur les femmes, triomphe de la matière sur l’esprit, et les hommes, triomphe de l’esprit sur la morale. Il rêve ainsi d’un artiste androgyne, triomphe de la matière et de l’esprit sur la morale. Les références aux livres dans Le Portrait de Dorian Gray s’organisent en une mise en scène systématique qui annonce leur fonction

respective.

D’un

côté

les

livres

de

Lord

Henry,

l’empoisonneur de Dorian, de l’autre ceux qui sont associés au peintre Basil Hallward qui a tendu un miroir à Dorian. Ceci étant, les liens entre ces deux fonctions de la représentation, poison et miroir, sont tels que la symétrie se complique dans le texte d’interférences entre les deux. Le premier livre décrit dans le roman apparaît comme un objet parmi tant d’autres dans l’ameublement de la librairie de Lord Henry. Ce livre est cité au même titre que le tapis, la table en bois de rose, la statuette de Clodion, les vases de Chine bleus et les vitraux :

1

Ibid. p. 87.


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

Sur une minuscule table de bois satiné se dressait une statuette de Clodion, à côté de laquelle était posé un exemplaire des Cent Nouvelles, relié pour Marguerite de Navarre par Clovis Ève et semé des marguerites d’or que cette reine avait choisi pour emblème 1. Comme chez Des Esseintes, le livre bibelot n’est pas là pour être lu. Dans l’économie du roman, il signale plusieurs éléments clés : l’importance de la mise en scène entourant la référence au livre, par exemple la table ou le guéridon où il repose ; l’importance attachée à la reliure plus qu’au texte lui-même, et la personnalisation extrême de la bibliophilie ; l’identification du livre à l’un des mentors de Dorian, ici Lord Henry ; et subtilement une double référence à la Renaissance et indirectement au poison à travers le personnage de Marguerite de Valois. Ce thème sera développé lors de la description des huitième et neuvième chapitres imaginaires du Livre Jaune de Dorian qui sont des chapitres consacrés à la Renaissance et où Wilde s’inspire directement de Symonds et de Pater plutôt que de Huysmans. Enfin le choix de la reliure suggère une mise en abîme entre le roman de Wilde lui-même et le livre qui y est décrit, avec un jeu de reflet entre les marguerites d’or de la reliure des Cent Nouvelles et les soucis dorés ou les asphodèles dont Wilde rêve pour la couverture de son propre roman. Toujours dans cette scène de la bibliothèque – où Dorian attend Lord Henry – se

. Wilde, The Portrait of Dorian Gray, p. 45 : « On a tiny satin-wood table stood a statuette by Clodion, and beside it lay a copy of Les Cent Nouvelles, bound for Margaret of Valois by Clovis Eve, and powdered with the gilt daisies that Queen had selected for her device. » 1


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

trouve une référence à un deuxième livre, lui aussi négligé par Dorian et décrit non pour son texte mais pour ses illustrations : […] with listless fingers he turned over the pages of an elaboratelyillustrated edition of Manon Lescaut that he had found in the bookcases. ([…] ses doigts tournaient distraitement les pages d’une édition richement illustrée de Manon Lescaut qu’il avait trouvée dans l’une des bibliothèques). Dans « la scène de la bibliothèque », Wilde met en place certaines composantes de son esthétique qui toutes ont en commun un refus des restrictions et des cloisonnements et une valorisation de la fluidité. Le refus des cloisonnements entre les valeurs féminines et masculines – exacerbées dans la société victorienne comme le montre bien Declan Kiberd – s’explique dans une androgynie utopique où les valeurs féminines et masculines au lieu de s’exclure s’uniraient de manière complémentaire. La même valorisation de la fluidité concerne aussi la relation entre le texte et l’image (statuette, illustrations), la relation d’une culture à l’autre signalée ici avec insistance par la francophilie de Lord Henry et de Dorian, enfin le refus des restrictions du puritanisme ambiant avec la valorisation du piquant, du libertin ou du sensuel à travers les références aux Cent Nouvelles, à Clodion ou Manon Lescaut. Comme les couleurs de l’ameublement de Des Esseintes, les couleurs des livres de Dorian Gray sont présentées dans un ordre déterminé et symbolique. L’or de la reliure du premier et du dernier livre les transforme en joyaux précieux tandis que la progression


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

naturelle du jaune au bleu puis au vert donne aux autres une qualité chromatique. Trois sortes d’harmonies s’établissent ici : entre les couleurs des livres eux-mêmes, entre les couleurs et Dorian, enfin entre chaque livre et le décor dans lequel il est présenté. C’est ici que le nom du héros prend tout son sens : à la flamboyance du prénom, « Dorian », s’oppose la neutralité du nom de famille, « Gray ». Même si Wilde a pensé en choisissant le nom de son héros à un jeune homme de son entourage, John Gray, il est vraisemblable que la neutralité de la couleur a aussi été un facteur de son choix. Dans la première version de son roman, celle qui fut publiée dans le Lippincott Magazine, Wilde avait d’ailleurs joué sur le sens du nom de famille de son héros. Au moment où Dorian parlant avec Lord Henry demande ce que l’avenir lui réserve, Wilde avait d’abord écrit : « But suppose […] I became haggard, and gray, and wrinkled » (« Mais supposez que je devienne hâve, gris et ridé »). L’adjectif « gray » a été supprimé de la seconde édition mais, de manière significative, Wilde a gardé la grisaille du décor dans lequel se déroule cette conversation : La pièce s’assombrissait avec le soir. Silencieuses, les ombres du jardin progressaient de leurs pieds argentés, les couleurs des choses, lassées, s’éteignaient.1

1 Ibid. p. 82 et 83 : « The evening darkened in the room. Noiselessly, and with silver feet, the shadows crept in from the garden. The colours faded wearily out of things. »


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

Le gris, de toutes les couleurs, est celle qui se laisse le plus facilement influencer par celles qui l’entourent, elle dépend des couleurs voisines pour s’affirmer. C’est donc la couleur idéale du héros d’un roman d’apprentissage prêt à subir de multiples influences. Et précisément l’une des influences les plus profondes et les plus durables subies par Dorian Gray est celle du Livre Jaune, qui apparaît ensuite dans le roman : For years Dorian Gray could not free himself from the influence of this book. Or perhaps it would be more accurate to say that he never sought to free himself of it. (Pendant des années, Dorian Gray ne put se libérer de l’influence de ce livre […]). Le décor dans lequel ce livre apparaît crée lui aussi une harmonie symbolique : […] a little table of dark perfumed wood thickly encrusted with nacre, a present from Lady Radley, his guardian’s wife, a pretty professional invalid, who had spent the preceding winter in Cairo. ([…] une petite table de bois sombre et parfumé incrusté d’une nacre épaisse qui lui avait été offerte par l’épouse de son tuteur, Lady Radley, aimable invalide qui avait passé l’hiver précédent au Caire). L’exquise sophistication du meuble, son origine exotique et la fragilité réelle ou feinte de la santé de la donatrice sont elles aussi


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

significatives, rappelant que Dorian est orphelin, comme destiné à être marginal, à l’instar de Des Esseintes dans le Livre Jaune. Trois objets ont été déposés sur la petite table : le livre, une lettre de Lord Henry et le journal du soir, The St James’s Gazette. La lettre sert à accompagner le livre et le journal et insiste donc sur le lien entre Lord Henry, l’homme aux gants jaunes, et le livre. Quant au journal, il annonce à Dorian la mort de l’actrice Sybil Vane, suicide dont il est directement responsable. La simultanéité des deux textes confronte Dorian à la souffrance (le journal) et à son remède (le roman) et offre le choix entre deux modes de représentation : le documentaire, rejeté par Dorian pour son horrible laideur, ou le fantastique où il s’absorbe avec délices. Peut-être Wilde avait-il pensé en rapprochant ainsi les deux textes à l’expression que l’on donnait à l’époque à la presse à sensation, « the yellow press ». Toujours est-il qu’il insiste sur la couleur de la couverture de ce livre qui va avoir une telle influence sur la vie de son héros. Il le décrit en ces termes : […] it was a book bound in yellow paper, the cover slightly torn and the edges soiled [puis de nouveau :] his eye fell on the yellow book that Lord Henry had sent him. What was it he wondered. ([…] un livre à couverture jaune ; celle-ci était légèrement déchirée et ses bords abimés […] son regard se posa sur le livre que Lord Henry lui avait envoyé. Il se demanda ce que c’était). Il s’agit d’un roman français, revêtu, pour reprendre l’expression de Huysmans,

de

l’ «uniforme

jaune

de

l’éditeur

Charpentier ».


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

L’insistance de Wilde signale l’importance qu’il attache à cette couleur, elle lui permet tout d’abord d’identifier parfaitement Dorian à son temps, de faire de Dorian le symbole même de son époque, car le jaune c’est la couleur de toute une époque. On a pu parler, à propos des années 1890, des « yellow nineties » : le papillon jaune de Whistler, la « soie safran » choisie par Des Esseintes pour imiter le « jaune administratif et clérical », le célèbre jaune jonquille de la cravate d’Edmond de Goncourt, les Amours jaunes de Tristan Corbière rendus célèbres par Verlaine dans les Poètes maudits, la nouvelle de Charlotte Perkins Gilman The Yellow Wallpaper, enfin le titre donné par Beardsley à son magazine, The Yellow Book, tout cela témoigne de l’obsession fin-de-siècle du jaune. Lorsque Beardsley invente The Yellow Book, dans son esprit, c’est un hommage direct au roman français contemporain et à l’esprit décadent. Les connotations de la couverture jaune du livre de Dorian sont donc clairement associées à la littérature française contemporaine telle qu’elle était perçue par le public anglais, c’està-dire moralement dangereuse. Qui dit jaune dans ce cas dit maladif ou sulfureux et c’est ainsi que le public anglais percevait la littérature française contemporaine. Wilde à la fin de sa vie cite des vers de Browning où il est question de « some scrofulous French novel » 1, et c’est en termes médicaux que les critiques du Portrait de Dorian Gray définissent le style décadent dont Wilde subit la contagion :

1

The Letters of Oscar Wilde, p. 733 (« quelque roman français scrofuleux »).


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

C’est un récit engendré par la littérature de la décadence française – un livre vénéneux – où l’atmosphère dégage l’odeur méphitique d’un pourissement moral et spirituel 1. Ils avaient vu juste, reprenant, volontairement ou non, exactement les mêmes termes à propos du Portrait de Dorian Gray que ceux que Wilde avait utilisé pour suggérer l’empoisonnement de son héros par le Livre Jaune. La couleur jaune de la couverture du livre de Dorian et du magazine de Beardsley évoque la littérature française dans ce qu’elle peut avoir de moralement condamnable. Mais pour le lecteur plus éclairé, elle est synonyme de certains auteurs, d’écoles et de styles littéraires, d’un éditeur. Gautier, Flaubert, Maupassant, Zola, les Goncourt, Huysmans ont publié chez Georges Charpentier. Dans une certaine mesure, lorsque Wilde écrit Le Portrait de Dorian Gray et dans son roman lorsqu’il imagine les chapitres du Livre Jaune, son ambition est une synthèse de l’art pour l’art, du réalisme et du naturalisme ainsi que de l’écriture décadente. Dans la lettre où il reconnaît sa dette envers Huysmans Wilde suggère une telle synthèse : « It is a fantastic variation on Huysmans’s over-realistic study of the artistic temperament in our inartistic age »

2

On peut aussi penser que Wilde connaissait

suffisamment le Paris littéraire des années 1880-1890 pour apprécier

l’extraordinaire

symbole

que

représentait

l’éditeur

Charpentier. Il est l’incarnation même de la rencontre entre littérature et peinture puisqu’en plus de son travail d’éditeur c’est 1 Ibid. p. 263 : « It is a tale spawned from the literature of the French Décadents – a poisonous book – the atmosphère of which is heavy with mephitic odours of moral and spiritual putrefaction. » 2

The Letters of Oscar Wilde, p. 313.


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

un

mécène

qui

joue

un

rôle

décisif

dans

l’histoire

de

l’impressionnisme, rassemble une collection importante, fonde une revue d’art (La Vie moderne) et gère une galerie. Aux valeurs habituelles de cette couverture jaune, Wilde en rajoute une autre, d’autant plus remarquable qu’elle contraste avec la sophistication de la mise en scène dans laquelle apparaît le livre. Celui-ci a une couverture un peu déchirée, une tranche défraîchie. Ces détails indiquent bien sûr que le livre a été lu et relu par Lord Henry (comme il le devient par Dorian qui en fait littéralement son livre de chevet). Mais la couverture jaune résiste mal à une manipulation fréquente. Il s’agit ici d’une préoccupation caractéristique du soin dont Wilde entoure les livres. Elle est confirmée par exemple par une lettre à l’un de ses éditeurs, Humphreys, où il insiste pour avoir une reliure de toile parce que les couvertures cartonnées sont trop salissantes en Angleterre

1

! Il semble s’agir d’un problème

climatique. Dans une lettre à un autre éditeur, Smithers cette fois, Wilde se plaint qu’en Angleterre l’air est salissant pour les couvertures jonquille. La souillure du livre, le fait qu’il soit sali, terni, abîmé avant même de parvenir à Dorian a d’autres valeurs. C’est un moyen pour Wilde d’insister sur le fait que son héros n’a pas accès directement au livre, mais seulement en seconde main. On pourrait dire que toute l’esthétique fin-de-siècle est fondée sur ce principe de la transmission, de la contagion. Robert de Montesquiou inspire Des Esseintes qui inspire Lord Henry qui inspire Dorian qui à son tour inspire une multitude de jeunes éphèbes à Oxford. La souillure du livre renforce aussi l’impression d’une flétrissure morale, d’un pouvoir maléfique. Le jaune est de 1

Ibid. p. 378. Il s’agit de l’édition d’Oscariana préparée par Constance Wilde.


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

toutes les couleurs l’une des plus instables, facilement ternie et salie, ses pigments sont souvent dangereusement toxiques. Dans son beau livre sur les couleurs, Chroma 1, Derek Jarman intitule son chapitre sur le jaune « Le péril jaune » et il y passe en revue les pigments jaunes dont plusieurs sont des poisons. Le jaune dans le roman de Wilde est presque toujours la manifestation visible du mal, du vieillissement et de la laideur morale, de la mort. Lord Henry vieillissant compare son teint jauni à celui, intact, de Dorian. Le cadavre de Basil Hallward assassiné par Dorian est jaunâtre. Le portrait de Dorian lui-même vire de l’or au jaune dans la même dégradation irréversible. Il est particulièrement significatif à cet égard que Wilde place côte à côte sa description du livre jaune et la prise de conscience chez Dorian de l’avenir de son portrait : Des pattes d’oie jaunâtres se formeraient peu à peu autour des yeux affaiblis et les rendraient hideux. Les cheveux perdraient leur éclat, la bouche s’entrouvrirait ou s’effondrerait […] il y aurait ce cou ridé, ces mains froides veinées de bleu.2 Lord Henry empoisonne Dorian d’un Livre Jaune, il lui fait aussi cadeau d’un miroir dont Dorian se sert sans cesse pour comparer son image et celle que lui renvoie son portrait. À plusieurs reprises dans le roman Wilde indique clairement que le Livre Jaune, le portrait et le miroir ont la même fonction. Le chapitre XI, entièrement consacré au Livre Jaune, commence ainsi :

D. Jarman, Chroma, Londres, Century, 1994. The Portrait of Dorian Gray, p. 94 : « Yellow crow’s feet would creep round the fading eyes and make them horrible. The hair would lose its brightness, the mouth would gape or droop […] there would be the wrinkled throat, the cold blue-veined hands. » 1 2


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

Le héros, ce jeune Parisien extraordinaire en qui se mêlaient si étrangement les tempéraments scientifique et romantique, devint à ses yeux une sorte de préfiguration de lui-même. Et en vérité l’ouvrage tout entier lui semblait contenir l’histoire de sa propre vie, écrite avant qu’il l’eût vécue. Il avait sur un point plus de chance que le héros imaginaire du roman. Il ne connut jamais – il n’eut jamais, à vrai dire, la moindre raison de la connaître – cette peur un peu grotesque des miroirs, des surfaces de métal poli et de l’eau dormante, qui très tôt s’empara du jeune Parisien, à la suite du déclin brutal d’une beauté qui avait apparemment été jusque-là remarquable.1 Dans son analyse de ce chapitre2, Richard Ellmann a bien montré comment la mise en abîme chez Wilde surimpose des images d’origines diverses. Le Livre Jaune est souvent un reflet du roman de Huysmans À rebours, mais l’anecdote concernant la peur des miroirs est inventée par Wilde et prend tout son sens par rapport à la préface qu’il a rajouté à la seconde édition. Le jeu des miroirs et des masques, le degré de fidélité ou d’infidélité de la représentation sont une préoccupation centrale de Wilde qui s’exprime aussi dans le livre qui suit le Livre Jaune dans sa gamme chromatique, le Livre Bleu.

Ibid. p. 97 : « The hero, the wonderful young Parisian, in whom the romantic and the scientific temperaments were so strangely blended, became to him a kind of pre-figuring type of himself. And, indeed, the whole book seemed to him to contain the story of his own life, written before he had lived it. In one point he was more fortunate than the novel’s fantastic hero. He never knew – never, indeed, had any cause to know – that somewhat grotesque dreads of mirrors, and polished metal surfaces, and still water, which came upon the young Parisian so early in his life, and was occasioned by the sudden decay of a beauty that had once, apparently, been so remarkable. » 2 R. Ellmann, Oscar Wilde, Londres, Hamish Hamilton, 1987, p. 298 seq. 1


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

Tout semble opposer, de prime abord, le Livre Bleu au Livre Jaune. Wilde utilise efficacement le contraste des deux couleurs primaires puis leur fusion dans le dernier livre, le Livre Vert. Le Livre Jaune est un roman, le Livre Bleu un registre officiel que Dorian consulte pour trouver une adresse : Dorian Gray […] passa dans la bibliothèque. Durant un quart d’heure il arpenta la pièce, se mordant les lèvres et réfléchissant. Puis il prit le Livre Bleu sur l’une des étagères et commença à en tourner les pages. Alan Campbell, 152 Hertford Street, Mayfair. Oui, c’était là l’homme dont il avait besoin1 De même qu’un bleu pur s’obtient en l’absence de toute trace de jaune, l’exactitude d’un document officiel nécessite l’absence de toute trace romanesque. Mais Wilde doute de l’existence d’une exactitude pure et simple. Le Livre Bleu que consulte Dorian n’est donc pas le registre absolument fiable qu’il devrait être. Pour introduire son héros au début du roman, Wilde imagine que Lord Henry rende visite à son oncle et l’interroge à propos de Dorian Gray : - Ce que je veux, ce sont des renseignements ; non pas des renseignements utiles, bien sûr, des renseignements inutiles.

The Portrait of Dorian Gray, p.119 : « Dorian Gray […] passed into the library. For a quarter of an hour he walked up and down the room biting his lip, and thinking. Then he took down the blue book from one of the shelves and began to turn over the leaves. Alan Campbel, 152, Hertford Street, Mayfair. Yes : that was the man he wanted. » 1


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

- Eh bien je peux te donner tous les renseignements contenus dans n’importe quel Livre Bleu anglais, Harry ; bien que ceux qui les rédigent aujourd’hui y écrivent beaucoup de sottises. […] - M. Dorian Gray n’appartient pas à l’univers des Livres Bleus […] (adapté).1 Cette bribe de conversation renforce le caractère marginal de Dorian qui n’est pour ainsi dire pas recensé, introuvable, elle est aussi l’occasion pour Wilde d’associer la satire politique à sa réflexion sur le degré d’exactitude de la représentation. En effet, en 1889, au moment où Wilde écrit Le Portrait de Dorian Gray, il publie parmi de très nombreux articles un compte rendu sur un roman de l’historien Froude The Two Chiefs of Dunboy.2 Mais il intitule satiriquement ce compte rendu « M. Froude’s BlueBook ». En feignant de confondre un roman et un rapport officiel, Wilde indique que les rapports officiels ne sont que des romans, et son compte rendu éclaire la boutade de l’oncle de Lord Henry sur les livres bleus lorsqu’il dit qu’on y écrit beaucoup de sottises. Le compte rendu de l’ouvrage de Froude permet à Wilde d’écrire une brillante mise au point sur les relations entre l’Angleterre et l’Irlande et commence ainsi : Blue-Books are generally dull reading, but Blue-Books on Ireland have always been interesting. They form the record of one of the great Ibid. p.37 : « What I want is information ; not useful information, of course ; useless information. – Well, I can tell you anything that is in an English Blue-Book, Harry, although those fellows nowadays write a lot of nonsense. […] – M. Dorian Gray does not belong to Blue-Books, Uncle George, said Lord Henry, languidly. » 2 Pall Mall Gazette, 13 avril 1889. 1


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

tragedies of modern Europe. In them England has written down her indictment against herself and has given to the world the history of her shame. (Les Livres Bleus sont généralement d’une lecture ennuyeuse, mais les Livres Bleus sur l’Irlande ont toujours été intéressants. C’est là qu’est consigné le registre d’une des grandes tragédies de l’Europe moderne. C’est là qu’on trouve le réquisitoire de l’Angleterre contre elle-même et qu’elle a donné au monde l’histoire de son infamie). Selon Declan Kiberd, Wilde exprime ici son hostilité aux nombreux rapports officiels compilés en Angleterre sur la question irlandaise, les fameux « Blue-Books », comme le « Report of the Congested District Board » (« le rapport de la Commission pour les régions surpeuplées »). Bien des années plus tard, Joyce se souviendra de ces rapports officiels lorsqu’il décrit, dans Finnegan’s Wake, Ulysse dont la couverture dans la première édition était bleue, comme « a uselessly unreadable Blue Book » (« un Livre Bleu inutilisable et illisible »). 1889, l’année du compte rendu vitriolique du roman de Froude, est aussi l’année où Wilde écrit Pen, Pencil and Poison dont le sous-titre est A study in green. Le prétexte en est l’artiste criminel Wainewright, virtuose des poisons, mais c’est à la fois un portrait imaginaire comme ceux de Pater, un texte autobiographique et une esquisse du Portrait de Dorian Gray. Voici comment Wilde y introduit son personnage :


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

Il écrit sur la Joconde, sur les poètes français du Moyen Âge et sur la Renaissance italienne. Il aime les pierres précieuses grecques, les tapis persans, les traductions élisabethaines de Cupidon et Psyché et l’Hypterotomachia, les reliures, les éditions anciennes et les épreuves à grande marge. Il est vivement sensible à l’intérêt de vivre dans un beau cadre, et ne se lasse jamais de nous décrire les appartements où il vécut, et ceux où il aurait voulu vivre. Il avait ce curieux amour du vert qui chez un individu est toujours le signe d’un subtil tempérament d’artiste, et dans une nation est censé indiquer un relâchement, voire une

décadence

de

la

morale.

Comme

Baudelaire

il

aimait

passionnément les chats, comme Gautier il était fasciné par ce « doux monstre de marbre » des deux sexes que nous retrouvons encore à Florence et au Louvre.1 « That curious love of green » donne à Wilde l’occasion d’une prise de position politique et esthétique, dont on trouve l’écho dans une lettre écrite à la même époque : Je me trouve […] au milieu de la bruyère mauve et de la brume argentée. Quel soulagement pour le Celte que je suis, après le vert lassant de l’Angleterre. Je n’aime le vert qu’en art. C’est une de mes nombreuses hérésies.2

1 Complete works of Oscar Wilde, p.1095 : « He writes about the Gioconda, and early French poets and the Italian Renaissance. He loves Greek gems, and Persian carpets, and Elizabethan translations of Cupid and Psyche, and the Hypnerotomachia, and book-bindings, and early editions, and wide-margined proofs. He is keenlydescribing to us the rooms in which he lived or would have liked to live. He had that curious love of green, which in individuals is always the sign of a subtle artistic temperament, and in nations is said to denote a laxity, if not a decadence of morals. Like Baudelaire he was extremely fond of cats, and with Gautier, he was fascinated by that “sweet marble monster”, of both sexes we can still see at Florence and in the Louvre. » 2 The Letters of Oscar Wilde, p.274 : « I am […] in the midst of purple heather and silver mist – such a relief to me, Celt as I am, from the wearisome green of England. I only like green in art. This is one of my many heresies. »


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

Le reste de la lettre concerne le cardinal Newman auquel Wilde rend hommage. De nouveau dans l’esprit de Wilde l’identité politique rejoint l’identité esthétique. Et l’identité esthétique qui s’affirme ici revendique sa nature paradoxale. Le vert, qui parmi toutes les couleurs est celle qui évoque le plus la nature, surtout aux yeux d’un Irlandais, devient la couleur de la culture (« I only like green in art », « that curious love of green […] is always the sign of a subtle artistic temperament »). C’est ce paradoxe qui inspire Des Esseintes lorsqu’il va « à rebours » de la nature pour trouver la fleur la plus artificielle possible, et qui inspire Wilde dans la création de l’œillet vert. Ses références au bizarre et au décadent l’amènent tout naturellement à comparer Wainewright à Baudelaire et à Gautier : « […] with Gautier, he was fascinated by that “sweet marble monster”, of both sexes that we can still see at Florence and in the Louvre. » Cette dernière référence est le lien le plus direct entre Pen, Pencil and Poison et Le Portrait de Dorian Gray. Le dernier livre de Dorian est en effet Emaux et Camées, également publié par Charpentier et dont l’évocation se termine par une allusion au poème « Contralto » où Gautier célèbre les beautés de l’androgyne. Logiquement le goût du bizarre inclut la sexualité et c’est le même adjectif baudelairien que Wilde choisit pour décrire l’amour du vert et la statue de l’androgyne, « that curious love of green », « that curious statue that Gautier compares to a contralto voice, the “monstre charmant” who couches in the porphyry-room of the Louvre ».1

1

The Portrait of Dorian Gray, p. 121 (« couché au Louvre dans la salle des porphyres »).


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

La reliure choisie par Dorian Gray pour le recueil de poèmes de Gautier remplace le papier jaune de l’édition Charpentier par un maroquin vert citron orné d’un treillis doré et de grenades. Livre bijou doré comme les Cent Nouvelles, le premier de la série. Livre fruité

1

avec un choix significatif : l’exotisme des fruits choisis, le

citron et la grenade, est renforcé par l’utilisation du français dans la description : « The binding was of citron-green » (« La reliure était en cuir vert citron»). Le choix de la grenade est clairement une forme d’appropriation du texte de Gautier 2, la grenade étant le fruit de Wilde par excellence. Les deux fruits, le citron et la grenade, sont sans doute aussi choisis pour leur acidité redoutable, confirmée par le fait que pour Dorian, la lecture d’Emaux et Camées n’est pas une expérience

agréable.

rafraîchissement

Le

espéré,

Livre poursuit

Vert,

au

l’œuvre

lieu

d’offrir

le

d’empoisonnement

commencée par le Livre Jaune, malgré ou plutôt à cause de sa beauté. « The search for beauty being the poisonous secret of life »3 avait d’abord écrit Wilde dans une formule qu’il supprime dans la deuxième édition. Le vert est ici synonyme de tous les poisons, l’arsenic qui entre dans la composition de la couleur émeraude ou la confiture verte des Paradis Artificiels. Le personnage d’Adrian Singleton, qui a donné à Dorian l’exemplaire d’Emaux et Camées, réapparaît en effet au chapitre XVI où Dorian cherche dans l’opium l’oubli que lui a refusé la poésie. Dorian le retrouve dans le bouge

La même couleur pour Henry James avait une connotation différente, il décrit la couverture des éditions Charpentier en ces termes : « lemon-coloured volumes, fresh as fruit on the tree. » 2 Richard Ellmann raconte que Wilde posa « déguisé en Théophile Gautier », revêtu d’un gilet rouge (Oscar Wilde, p. 204). 3 The Picture of Dorian Gray, Lippincott Magazine, juillet 1890, p. 15 (« La recherche de la beauté étant le secret vénéneux de la vie »). 1


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

des mangeurs d’opium après avoir soulevé un rideau vert en lambeaux. Les livres de Dorian, le Livre Jaune, le Livre Bleu et le Livre Vert ont tous en commun les circonstances dans lesquelles ils apparaissent. Ils sont inséparables de la mort. Le Livre Jaune est un cadeau de Lord Henry au moment où Dorian apprend la mort de Sybil Vane. Le Livre Bleu permet à Dorian de retrouver l’adresse d’Alan Campbell, le chimiste qui fait disparaître le cadavre de Basil Hallward, le peintre assassiné par Dorian. Le Livre Vert est feuilleté en vain par Dorian pour oublier son meurtre mais tout l’y ramène, la main jaune de l’assassin Lacenaire ou les couleurs de Venise où Basil

avait

découvert

le

Tintoret.

Le

Livre

Jaune

sert

de

divertissement efficace contre la mort et procure l’oubli. Le Livre Bleu fait littéralement disparaître la mort puisque grâce aux magies de la chimie Alan Campbell débarrasse Dorian du cadavre de Basil. Mais le Livre Vert n’a pas ce pouvoir et la mort triomphe. Lorsque Wilde avait placé simultanément devant Dorian le Livre Jaune et l’article de journal annonçant la mort de Sybil Vane, il avait repoussé l’article et son horrible réalité. Par un renversement saisissant, l’horrible réalité prend sa revanche sur l’imaginaire à la fin du texte ; lorsque le Livre Vert, inutile, tombe des mains de Dorian et qu’il cherche refuge dans l’opium, Wilde écrit : La laideur, qui lui avait jadis été odieuse parce qu’elle rendait les choses réelles, lui devint chère pour cette raison même. La laideur était l’unique réalité. La querelle vulgaire, le bouge répugnant, la violence brutale d’une vie désordonnée, jusqu’à la vilenie du voleur et


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

du hors-la-loi, créaient une impression de réalité plus intense et plus nette que toutes les formes gracieuses de l’Art, que toutes les ombres langoureuses du Chant. C’est ce dont il avait besoin pour oublier.1 La littérature, célébrée dans le Livre Jaune comme l’ultime divertissement, détournant Dorian de penser à la mort, devient avec le Livre Vert ce qui lui rappelle sans cesse la mort. L’œuvre de Wilde est avant tout le roman d’un portrait. Mais on pourrait aussi dire que c’est le portrait d’un roman, le Livre Jaune, et quelques autres natures mortes avec livres. Wilde y réussit l’union de l’image et du texte si chère à son cœur : « All work of art are either poems or pictures, and the best are both at once ».2 Au moment même où Oscar Wilde écrit Le Portrait de Dorian Gray, Van Gogh, encore inconnu, avide de romans parisiens, renoue comme lui avec la tradition des « Vanités » et des « Memento Mori » en peignant plusieurs natures mortes aux livres jaunes.

1 The Portrait of Dorian Gray, p.135 : « Ugliness that had been hateful to him because it made things real, became dear to him for that very reason. Ugliness was the one reality. The coarse brawl, the loathsome den, the crude violence of disordered life, the very vileness of thief and outcast, were more vivid, in their intense actuality of impression, than all the gracious shapes of Art, the dreamy shadows of song. They were what he needed for forgetfulness. » 2 Ibid. p. 576 (« Toute œuvre d’art est poème ou tableau : les plus belles sont les deux à la fois »).


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

Ce texte, « Les couleurs du livre, Oscar Wilde, bibliophile », a été originellement publié par les Presses Universitaires de Caen Entrelacs franco-Irlandais – 2004 Auteur Pascale McGarry Pascale McGarry, ancienne élève de l’ENS de Fontenay-aux-Roses et agrégée de lettres modernes, a enseigné une trentaine d’années à University College Dublin. Ses recherches portent sur le texte et l’image du XIXème siècle à nos jours dans les cultures françaises et anglophones et comprennent plusieurs études sur Oscar Wilde. Elle travaille aussi sur l’histoire des mentalités et à l’occasion du centenaire de la Grande Guerre elle a consacré trois essais à l’été 14.

8. BIBLIOGRAPHIE Oscar Wilde et Henry James Par David-Charles Rose Auteur

Titre

H. Montgomery Henry James at Hyde Home

Methuen, Londres

Extrait de…

Date

pp.28, 50, 51, 62

1958


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

Jerome H. Buckley

Toward Early-Modern Harvard Autobiography: The University Roles of Oscar Wilde, Press George Moore, Edmund Gosse, and Henry James

Kiely, Robert & Hildebidle, John (edd.): Modernism Reconsidered

1983

Paula V. Smith

A Wilde Subtext for ‘The Awkward Age’

Vol 9 – N°3 Fall Article/Essai

1988

Henry James Review

1993/ 1994

George Monteiro A Contemporary American View of Henry James Literature 35 & Oscar Wilde Ronald Knowles ‘The Hideous Obscure' –Macmillan The Turn of the Screw London and Oscar Wilde

Article/Essai

S.I. Salamensky

Vol 20 – N°3 Fall Article/Essai

1999

Thèse

1999

William Andrews Clark Memorial Library (conférence) Volume 71, Numéro 4

1999

Guy Davidson

Richard Dellamora Neill Matheson

Henry James, Oscar Henry James Wilde, and Review 'Fin-de-Siecle Talk': A Brief Reading. Regions of pleasure : Sydney masculine desire, the aesthetic and consumer culture in Robert Louis Stevenson, Henry James and Oscar Wilde Oscar Wilde and Henry Los Angeles James in 1895. Talking Horrors: James, American Euphemism, and the Literature

Neil Cornwell and 1998 Maggie Malone (edd): The Turn of the Screw and What Maisie Knew Chapitre 8

1999


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

Specter of Wilde Kevin Jon Hisao Innocence and rapture: Ohi The erotics of childhood in Æstheticism (Henry James, Vladimir Nabokov, Walter Pater, Oscar Wilde). Eric Haralson Gratifying « the eternal boy in us all » : Willa Cater, Henry James and Oscar Wilde

Dissertation Abstracts International

Cambridge University Press

Article/Essai Thèse

Henry James and Queer modernity

2001

2003

Chapitre 5 – pp. 134 A 172 Stuart Robertson Figures for the artist in Université de Thèse 2004 the writings of Henry Glasgow James and Oscar Wilde Henry James Against 2006 David Garrett A pair of afterwords the Aesthetic Izzo The Disappearing Act Movement: Essays on Of Gabriel Nash, or the Middle and Late how his « Wildefiction par David ness » got the better Garrett Izzo et of him Daniel T. O’Hara Pp 229 à 236

Michèle Mendelssohn

Henry James, Oscar Wilde and Aesthetic Culture

Angela Kingston Henry James – The Tragic Muse

Edinburgh University Press,

Palgrave Mcmillan

2007

Oscar Wilde as a 2007 character in Victorian Fiction


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

Jil Larson

Oscar Wilde and Henry Cambridge James: aestheticizing University ethics Press

Ethics and Narrative 2009 in the English Novel, 1880–1914

Zsuzsanna Lukács

Decadence and Budapest repression in Henry James and Oscar Wilde Posterior Priorities: Henry James, Oscar Wilde, and Then Some

Thèse

2012

Twentieth Century Literature Vol 57 – N°2 Pp 343 à 350 Article/Essai

2013

Jess Matz

Michael R. Catanzaro

Reading the Unknown/Speaking the Unspoken—An Analogy between Henry James’ What Maisie Knew and the Oscar Wilde Trial: Did James Really Know What Maisie Knew?

Journal of Arts and Humanities (JAH), Volume -2,

2013


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

9. La rencontre d’Oscar Wilde et Henry James (1)

Le 3 janvier 1892, Oscar Wilde arrive aux Etats-Unis à l’invitation de Richard d’Oyly Carte pour effectuer une tournée de conférences. Le 22, il est à Washington, et c’est dans cette ville qu’il va rencontrer l’écrivain Henry James. James est américain, même s’il est très anglais de tempérament, et qu’il vive à Londres depuis 1876 (il sera d’ailleurs naturalisé en 1915). Il n’a jamais rencontré Wilde, mais il a entendu parler de lui, de ses extravagances, de ses tenues clinquantes, de son goût de l’autopromotion, toutes choses qu’il déteste, lui, l’homme introverti et discret par excellence, et qu’en même temps, il lui envie. À Washington, où il se trouver en visite, ses hôtes sont l’historien Henry Adams, et sa femme Marion, que tout le monde appelle Clover, et qui, elle aussi, se montre réfractaire à Wilde : « J’ai demandé à Henry James de ne pas amener son ami Oscar Wilde Cet article doit beaucoup au livre de David M. Friedman : « Wilde in America : the invention of modern celebrity », W. W. Norton & Company, 2014. 1


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

chez moi quand il viendra, écrit-elle à son père. Je dois me garder des voleurs et des nouilles ». Qu’elle qu’ait été sa détestation de l’apôtre de l’esthétisme, Clover Adams se trompait lourdement en supposant un lien d’amitié entre celui-ci et James qui, nous l’avons dit, n’avait pas la moindre sympathie pour le jeune visiteur irlandais. Tout le monde à Washington ne nourrissait pas les mêmes réserves. La venue d’Oscar Wilde qui, pourtant, n’avait encore rien écrit de remarquable, suscitait la curiosité d’une grande partie de la bonne société de la ville, et chacun frissonnait d’excitation à l’idée de rencontrer l’excentrique jeune homme à la soirée donnée par le juge Edward Loring et sa femme. En dépit de son antipathie, James, qui ne savait pas refuser une invitation à dîner, se rendit tout de même à la réception du juge où Wilde paradait, en culotte à la française, un grand mouchoir de soie jaune à la main. James, qui le jugea répulsif et fat, devait prétendre que personne n’avait fait attention à lui, comme il l’écrivit à la philanthrope Isabella Stewart Gardner

1

à

Boston : « (…) Oscar Wilde que, je suis heureux de le dire, personne ne regardait » Cette assertion sera démentie par les propos de la fille des hôtes, Harriet Loring, qui décrivit l’apparition

d’Oscar en ces termes :

« Nous eûmes Oscar ! Il surgit à notre vue un dimanche - culotte moulante, mouchoir jaune, et tout. Il est l’objet le plus grotesque que j’aie jamais vu, mais il est très amusant. Plein de gentillesse irlandaise et vraiment intéressant. » Amie des arts, Isabella Steward Gardner est la fondatrice du Musée du même nom, qui fut inauguré à Boston en 1903. 1


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

Après cet épisode chez les Loring, on ne pouvait guère s’attendre à une tentative de nouvelle rencontre entre les deux hommes, surtout à l’initiative de James. C’est pourtant lui qui appela l’Arlington Hotel où séjournait Wilde, et qui lui rendit visite le 24. Sans doute n’avait-il pas assisté à la conférence qui avait eu lieu la veille au Lincoln Hall, et on se demande bien pourquoi James éprouva subitement le besoin d’aller voir un homme qu’il estimait si peu et, que, d’une certaine façon, il regardait comme un imposteur, puisque Henry James considérait que c’était sa propre littérature qui avait introduit l’esthétisme en Amérique, devançant celui qui s’en faisait maintenant le prosélyte.

Arlington Hotel à Washington

Lincoln Hall

Les vraies raisons de cette visite laissent donc pour le moins songeur. On a dit que James était à la fois rebuté et attiré par Wilde, qui portait sans gêne une identité sexuelle rendue ambigüe par ses manchettes de dentelle, ses gants lavande et ses cheveux longs, alors que lui, James, s’était toujours contraint à cultiver une normalité qui manquait cruellement d’évidence. On prétend aussi


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

que James aurait entendu ou su que Wilde avait vanté certaines de ses œuvres, et sans doute avait-il l’intention de l’en remercier. Ou simplement était-il curieux de voir de plus près, en tête à tête, le représentant d’une époque nouvelle, véritable symbole d’une ligne de démarcation entre un passé où on devenait célèbre pour ce qu’on avait fait, et le présent où on pouvait l’être en se contentant d’exister. Dans quelle disposition d’esprit est Henri James quand il se présente, en ce mardi 24 janvier 1892 ? On peut supposer qu’il n’est

pas

très

à

l’aise,

mais

qu’il

espère

être

accueilli

chaleureusement, presque dévotement. Après tout, il est un écrivain majeur qui a déjà écrit une dizaine de romans, dont « Washington Square », « The Bostonians » et « Portrait of a Lady »1 tandis que ce jeune Wilde n’est qu’un beau parleur, convié en Amérique pour faire la promotion de l’opérette de Gilbert de Sullivan, « Patience », et dont la notoriété tapageuse pourrait bien lui exploser au nez comme une bulle de savon. Le grand homme, c’est lui. Dans son subconscient, c’est sans doute une faveur qu’il accorde à ce jeune irlandais trop voyant et trop sûr de lui. Et Wilde, que ressent-il ? Est-il flatté par cette visite ou la considère-t-il comme un juste hommage d’un aîné (onze années les séparent) à une jeunesse qui affirme son talent ; comme une suite naturelle au succès qu’il a recueilli la veille ? En tout cas, il n’est pas intimidé. Pire, il se permet un soupçon de condescendance. Quand James évoque sa nostalgie de Londres, Wilde lui répond En 1890, il publiera un roman (d’abord paru en feuilleton dans l’Atlantic Monthly), « The tragic muse », où l’un de ses personnages, Gabriel Nash, s’inspire beaucoup d’Oscar Wilde. 1


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

avec un aplomb infernal : « Vraiment ? Les lieux ont de l’importance pour vous ? Le monde est ma demeure ». Wilde n’avait sans doute pas l’intention d’être offensant, mais James prit cette réflexion pour une insulte. En outre, Oscar n’avait pas manqué de se vanter d’aller bientôt à Boston, muni d’une lettre d’introduction rédigée par un de ses chers amis, le peintre Edward Burne-Jones, pour un professeur d’Harvard, Charles Eliot Norton, que James connaissait bien. Il espérait être accueilli triomphalement dans cette ville ouverte aux idées esthétiques, comme le lui avait assuré une dame dans une soirée newyorkaise : « Oh, monsieur Wilde, on vous a adoré à New York. À Boston, vous serez idolâtré !». Toute cette suffisance rendit James enragé. Il s’en retourna, furieux, chez les Adams, déclarant à qui voulait l’entendre qu’il se s’était pas trompé sur le compte de Wilde, que c’était un imbécile, un vaurien de la plus basse espèce, une bête impure. Comme on voit, la visite avait été un succès ! Le

destin

réservait

encore

à

James

une

nouvelle

avanie,

involontairement infligée par Wilde. Le 5 janvier 1895, la première de sa pièce « Guy Domville » au théâtre Saint-James de Londres, connut un retentissant fiasco qui poussa l’auteur à quitter la salle sous les quolibets d’une partie du public. « Guy Domville » quitta l’affiche

le

2

février

1895,

après

seulement

trente

et

une

représentations, tandis qu’au Haymarket, la pièce de Wilde, « An Ideal Husband » connaissait un éclatant succès.


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

Le soir de la première de sa pièce, James était allé voir la pièce d’Oscar, dans l’espoir de calmer son agitation. Il le racontera dans une lettre adressée à son frère William : « La nuit du 5, trop nerveux pour faire quoi que ce soit d’autre (…), j’allai au Haymarket, voir une nouvelle pièce du nommé Oscar Wilde, qui venait juste d’être montée – « An Ideal Husband ». Je m’assis et la vis jouer avec ce qui avait toute l’apparence (…) d’un complet succès, et cela me donna la plus terrible appréhension. La chose me sembla si impuissante, si brutale, si maladroite, faible et vulgaire que, tandis que je traversai le square St. James pour apprendre mon propre destin, la prospérité de ce que je venais de voir me parut une si affreuse présomption du naufrage de G.D1, que je m’arrêtai au milieu du square, paralysé par la terreur d’une telle éventualité – effrayé de continuer et d’en apprendre davantage. « Que pouvait faire ma propre pièce avec un public qui faisait un succès à ça ? » (…) la vérité, c’est que dans quelques mois, ma pièce serait balayée pour faire place au triomphant Oscar Wilde »2 James ne savait pas si bien dire. Sa pièce tint à peine un mois, et comble de l’ironie, elle fut remplacée par une nouvelle œuvre de Wilde qui serait reconnue comme son chef-d’œuvre théâtral incontesté :

« The

Importance

of

being

Earnest »,

qui

allait

remporter le plus éblouissant succès qu’on ait vu depuis longtemps au théâtre. La revanche de James sur celui qui écrivait dans « The Decay of lying» ; « Monsieur Henry James écrit la fiction comme s’il 1 2

Guy Domville Letters of Henry James, vol 1, ed. Percy Lubbock, New York, 1920 ;


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

remplissait un devoir pénible », allait venir, bien sûr, avec la retentissante chute de Wilde. On doit porter au crédit de James qu’il ne se réjouit pas outre mesure de la fulgurante disgrâce de son rival. Il refusa, il est vrai, de signer la pétition demandant une amélioration du sort de Wilde, mais ce ne fut de sa part ni une mesure

de

rétorsion,

ni

un

mouvement

d’humeur.

Il

était

simplement persuadé que cette pétition serait inutile, qu’elle n’aurait aucun effet, et qu’il était préférable d’agir en exerçant une pression discrète sur le Home Office. Même si James affirme qu’il n’a jamais eu le moindre intérêt pour Wilde, il écrit à son frère au moment des procès : « la violence sordide de la chute lui donne un intérêt (dans la misère), qu’il n’avait jamais eu (…) pour moi avant. C’est étrange à dire, mais je pense qu’il peut avoir un « futur » (…) quand il sortira de prison, s’il survit à l’horrible sentence de « hard labour » auquel il sera probablement condamné ». James apprit plus tard, en discutant avec un membre de la Commission pour la réforme pénale, qui avait visité Wilde en prison (sans doute Richard Haldane) que Wilde était plongé dans une profonde

dépression,

physique

et

mentale,

mais

qu’une

amélioration de sa situation pouvait peut-être encore survenir. Sur quoi, James conclut dans une lettre à Alphonse Daudet : (si c’est le cas) « quel chef-d’œuvre peut-il encore produire ! » Wilde survécut à son incarcération mais n’écrivit ensuite que « De Profundis », et « The Ballad of Reading Gaol ». Deux œuvres


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

seulement, mais qui devaient à tout jamais transformer l’image de Wilde aux yeux du monde. Et qui, peut-être, la transformèrent aussi à ceux de son vieil opposant, Henry James. Danielle Guérin-Rose

10 – Conférences Le professeur Pascal Aquien, auteur de la biographie d’Oscar Wilde, « Les mots et les songes », donnera une conférence sur le thème :


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

« Les comédies de société d’Oscar Wilde », Le 17 avril 2015, de 12H30 à 13H30 Bibliothèque François Mitterrand – Petit Auditorium Quai François-Mauriac - Paris 13e


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

11. Wilde, dans la littérature

Miss Charity de Marie-Aude Murail

Pendant le règne de la reine Victoria, Miss Charity Tiddler est une petite fille solitaire qui aime observer la nature et vivre avec une ménagerie de petits animaux blessés qu’elle a recueillis dans sa chambre. Elle apprend par cœur des pièces de Shakespeare et apprend à dessiner sous l’égide de sa gouvernante française, qui lui enseigne l’aquarelle. En grandissant, tandis qu’elle se lance dans l’écriture des aventures du lapin Master Peter, elle éprouve une attraction singulière pour l’insolent Kenneth Ashley, un jeune homme qui se donne des allures de dandy, et a embrassé la carrière d’acteur. Le voici bientôt engagé pour jouer le rôle de Cecil Graham


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

dans

la

pièce

d’un

écrivain

qui

fait

scandale :

Oscar Wilde. « Le théâtre St. James était plein à craquer au soir de la première (…) Il n’était question dans les conversations que de ce Mr. Wilde, si scandaleusement amusant (…) L’Eventail de Lady Windermere raconte, comme vous le savez peut-être, l’histoire d’une jeunefemme récemment mariée, très pure et même puritaine, qui croit s’apercevoir que son mari la trompe en entretenant une femme de mauvaise vie (…) La pièce de Mr. Wilde fut un véritable triomphe, on se leva pour applaudir et on poussa des « bravo ! », des « vivat ! ». J’eus le grand honneur de voir Mr. Wilde en personne passer de la coulisse à la scène pour saluer le public au milieu de ses interprètes. Il avait d’étranges gants mauves et un œillet vert à la boutonnière, il tenait une cigarette au bout de ses doigts gantés (…) (pp.444 à 446) Notons la dédicace de l’auteur, en exergue : « Avec mes remerciements pour leur participation


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

au lapin de Beatrix Potter, au corbeau de Charles Dickens,

à

Oscar Wilde et à Bernard Shaw. »

Miss Charity De Marie-Aude Murail Illustrations de Philippe Dumas L’école des Loisirs, Paris, 2008


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

12. The critic as artist Danielle Guérin-Rose, Oscar Wilde. « Qui suis-je ? ». Grez-sur-Loing : Pardès, 2014.

Par Christine Huguet1 Pardès, maison d’édition française fondée dans les années 1980 et dont le siège se trouve à Grez-sur-Loing, s’adresse volontiers à un public de néophytes, grâce à la publication, notamment, de petits ouvrages répartis dans deux collections, « B.A-BA » et « Qui suisje ? ». Ce dernier titre, énoncé sur un mode interrogatif faussement autobiographique, en dit long sur la politique éditoriale de Pardès. L’idée est en effet de faire naître, en moins de 130 pages A5, des liens privilégiés entre, en général, un lectorat curieux mais non spécialiste, et des personnages ayant marqué leur époque d’une façon ou d’une autre : écrivains, philosophes, journalistes, artistes visuels ou encore grandes figures historiques. Pour l’année 2014, ce sont des noms aussi contrastés que ceux de Pétain, Nietzsche, Anouilh et Wilde, qui ont ainsi été mis en exergue, et c’est à la coprésidente de la Société Oscar Wilde, Danielle Guérin-Rose, qu’a incombé la tâche de rendre justice à l’auteur de textes inoubliables, d’une richesse et d’une vitalité remarquables : Le Portrait de Dorian Gray, L’Eventail de Lady Windermere ou encore De Profundis et La Ballade de la geôle de Reading, pour ne citer que certains des plus connus.

Christine Huguet est Maitre de conférences à l’Université Charles-de-Gaulle Lille 3. Laboratoire CECILLE 1


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

L’approche volontairement intimiste qui caractérise la collection « Qui suis-je ? » sied bien à Mme Guérin-Rose, dont le récit clair, nerveux, rédigé le plus souvent au présent, crée une stimulante illusion d’instantanéité. « A Paris, au cœur du Quartier Latin, il est là » : tels sont les premiers mots, accrocheurs, poignants, de cet ouvrage. Plus loin, avec la même émotion sobre, la biographe raconte, en perpétuant cette impression de vécu simultané : « Quand, en 1874, il arrive à Magdalen College après avoir brillamment satisfait ses examens d’entrée où il s’est classé premier, Oscar est un jeune homme doué d’un excellent caractère et d’une étourdissante facilité de parole… » (35). Lorsque, ici et là, le présent cède la place à un passé ou un futur proche, c’est pour mieux tenir le lecteur en haleine. Un exemple suffira : la fatidique année 1895 est arrivée ; le piège, nous prévient Danielle GuérinRose, « a été dressé avec une habileté de chasseur, et Wilde va s’y précipiter aveuglément » (72). Ailleurs, c’est grâce à des questions rhétoriques d’un grand naturel que la biographe entretient le suspense : « Pressent-il le danger quand il pénètre avec assurance dans cette vieille salle de l’Old Bailey… ? » (72). A chaque page, l’expression est directe, vigoureuse, imagée : « Deux ans que cet organisateur passionné de combats de boxe [le marquis de Queensberry], attend de rencontrer son adversaire et de lui infliger un K.O. définitif » (71). Et sous la plume de Danielle Guérin-Rose – voici qui n’aurait pas déplu à Wilde – la courte vie de l’auteur est théâtralisée, va de rebondissement en coup de théâtre. Ainsi, les 35 avril 1894 se joue « l’Acte I », écrit la biographe, d’une affaire en passe de concrétiser le vœu que Wilde, tragique ironie, avait peu de


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

temps avant imprudemment formulé : devenir un jour le héros d’une cause célèbre (71). Pour le non initié qui cherche à obtenir rapidement des repères biographiques significatifs sur un auteur dans l’espace restreint d’une collection comme celle-ci, le récit chronologique semble s’imposer comme la formule la plus confortable. Pourtant, ce n’est pas celle qu’adopte stricto sensu Mme Guérin-Rose, qui allie approches chronologique et thématique dans certains chapitres. Son ouvrage est en effet divisé en six chapitres d’une vingtaine de pages chacun, exception faire du premier, « Posing as Oscar », introductif et donc plus court. Les chapitres 2 à 6 s’intitulent comme suit : « La Famille Wilde » ; « Amis et amants » ; « La compagnie des femmes » ; « Procès et prisons » ; « Paris, brillant et sombre ». L’absence de dates dans ces titres ou dans les titres des sous-parties n’empêche toutefois pas le lecteur de suivre sans peine la chronologie de la vie de Wilde, que trois pages d’annexe (113 à 115) récapitulent d’ailleurs très clairement. Avouons-le, c’est avec un certain soulagement que l’auteur du présent compte rendu a constaté, en ouvrant cette biographie, que le chapitre en deux « actes », « Procès et prisons », ne devenait pas le principal centre d’intérêt de cette biographie. Certes, cette douloureuse expérience orienta à jamais, c’est indéniable, le destin de Wilde. Cependant, Mme Guérin-Rose ne cède pas à la facilité en privilégiant le spectaculaire et le scandaleux, au détriment de tout ce qui fait de Wilde un artiste infiniment complexe, dont les principes esthétiques et philosophiques ont récemment été étudiés avec subtilité par Lou Ferreira (dans Oscar Wilde. Une philosophie de la provocation, 2013).


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

Mme Guérin-Rose consacre la même attention à des aspects peutêtre

moins

connus

de

la

vie

de

Wilde :

les

universitaires

apprécieront en particulier les pages consacrées à la fin de vie, parisienne, de l’auteur. De même, les pages 94 à 102 fourmillent de détails passionnants sur ce que la biographe nomme à juste titre « l’épanouissement littéraire » de Wilde (95), en particulier sur les rapports entre son œuvre, sa philosophie et le symbolisme français. L’œuvre de Mallarmé, de Gide et de Pierre Louÿs, un fidèle des « mardis » de Mallarmé aujourd’hui largement oublié, est ainsi évoquée avec une précision appréciable. Le savoir vite n’est pas synonyme du savoir mal dans la biographie de Danielle GuérinRose,

qui

n’ignore

rien

de

la

recherche

effectuée

par

des

prédécesseurs illustres, Richard Ellmann en particulier. Au détour de chaque page, le lecteur devine combien Mme GuérinRose aime et admire l’auteur dont elle a entrepris la biographie, et avec quel degré d’empathie elle revisite les différentes étapes de sa vie. Elle sait pourtant garder mesure : « La confession de Wilde est déchirante », nous prévient-elle avec émotion, avant d’ajouter, clairvoyante :

« mais

injuste,

qui

transforme

Bosie

en

bouc

émissaire. Bosie qui, à sa manière, fut lui aussi frappé par le désastre, dont le reste de la vie fut bouleversé » (51). Oscar Wilde a été doublement mis à l’honneur en France en 2014 – par Danielle Guérin-Rose, de la sympathique façon que nous venons d’évoquer, mais aussi par les organisateurs de l’agrégation d’anglais, concours de recrutement d’enseignants du secondaire. On se réjouira de cette coïncidence : aucun rappel de la pensée


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

éthique et libertaire du grand Irlandais ne semble redondant. Ne fut-il pas admis dans le coin des poètes à Westminster Abbey près d’un siècle seulement après sa mort, le 14 février 1995, lorsqu’un panneau de vitrail lui fut officiellement dédié ? Mme Guérin-Rose a su tirer un remarquable parti du format restreint dans lequel elle a travaillé. Certes, l’on serait tenté de regretter que la présentation de son ouvrage n’ait pu être davantage aérée : aucune page blanche ; sommaire encombré, à la typographie peu confortable (car il fallait, entre autres, laisser de la place pour la traditionnelle étude astrale, « constante originale de la collection ‘Qui suis-je’, précise l’éditeur). La concision avec laquelle la biographe a dû s’exprimer ne l’empêche pas d’agrémenter son texte de nombreuses illustrations, généreusement tirées des « archives de l’auteur et D. R. ». Danielle Guérin-Rose a eu raison de choisir, pour orner la couverture de son ouvrage, la célèbre photographie prise par l’Américain Napoleon Sarony en 1882, alors que Wilde, âgé de 28 ans seulement, présente des conférences outre-Atlantique sur la renaissance anglaise, et sur la décoration d’intérieur. Cette photo, où Wilde plonge son regard dans le nôtre, à tout jamais, est de celles, comme le dit si bien Lou Ferreira (Une philosophie de la provocation, Tome 1, 21), « que l’on ne range pas dans un tiroir » : gageons que le lecteur se forgera vite la même opinion de la biographie de Danielle Guérin-Rose !


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

13. Personnages secondaires Le gardien Thomas Martin Qui se souviendrait encore du nom de Thomas Martin, si son chemin n’avait pas croisé celui d’Oscar Wilde dans la prison de Reading, s’il n’y était pas devenu son ange gardien ? La peine d’Oscar Wilde parvenait à son terme quand, sept semaines avant sa libération, arriva à Reading le gardien Thomas Martin. Ce jeune irlandais allait adoucir les dernières semaines de Wilde, qu’il nommait affectueusement « Le Poète ». Wilde devait lui écrire en avril 1897 : « Mon cher ami, Qu’ai-je à vous dire de mieux que, si vous aviez été en fonction à Reading depuis un an, ma vie eût été beaucoup plus heureuse ? »1

1

Lettres d’Oscar Wilde, N° 172, vers avril 1897, Gallimard, 1994.


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

Martin cassa les règles de la prison pour lui venir en aide autant qu’il lui était possible. Mais, loin de se limiter à un favori, ses bontés s’adressaient à tous. Par exemple, les prisonniers atteints de dysenterie à cause de la mauvaise nourriture, ne pouvaient vider leur seau d’aisance qu’une fois par jour, et se voyaient donc alors contraints de passer la nuit dans une atmosphère empuantie quasi insupportable. L’un des prisonniers malades demanda un soir la permission de vider son seau avant d’être enfermé pour la nuit. Le gardien-chef refusa et Martin, compatissant, déclara alors qu’il viderait le seau lui-même, ce qu’il fit, au mépris des règles carcérales. Il enfreignit également maintes fois le règlement en faveur d’Oscar Wilde. Celui-ci s’étant plaint à lui d’être coupé du monde, il prit la décision de lui apporter chaque jour le Daily Chronicle, qu’il accompagnait parfois de rations de nourriture supplémentaire, et de biscuits au gingembre, poussant la gentillesse jusqu’à choisir ceux de chez Huntley & Palmer, qui avaient la préférence d’Oscar. « Tous me disent que j’ai l’air mieux portant et plus heureux », écrit Wilde dans ce même billet d’avril, « C’est parce que j’ai un bon ami qui me passe le Chronicle et me promet des biscuits au gingembre. » Ce à quoi, Martin répondit : « Vous êtes un ingrat, j’ai fait plus que promettre »1 1 Martin avait écrit « Your ungrateful. I done more than promise », ce qui est incorrect et semble révéler un homme peu instruit. Il aurait dû écrire : « You’re ungrateful. I did more than promise ». Cependant, au dos du même billet, il avait noté (Wilde lui ayant demandé l’adresse d’un de ses compagnons d’infortune) ; « However to compromise matters, I will ask him verbally for his address if that would suit you as well », ce qui est cette fois parfaitement correct. Ces deux phrases ont-elles pu être écrites par le même homme ? (cf The Complete Letters of Oscar Wilde, Fourth Estate, 2000, p.798, n.)


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

Ces petits billets, que Wilde et Martin se passaient, étaient évidemment clandestins. Ils donnaient un réconfort inestimable au prisonnier C.3.3., mais faisaient courir bien des risques au jeune gardien qui, on le sait, sera renvoyé après la libération de Wilde, pour avoir donné des biscuits à des jeunes enfants emprisonnés qui avaient faim. C’est un risque bien plus grand que courut encore une fois Thomas Martin pour aider celui qu’il considérait à présent comme un ami. Un matin de mars 1897, il avait trouvé Wilde au lit, incapable de se lever et se plaignant de douleurs à la tête et dans le dos. Il refusait qu’on aille quérir le médecin, prétendant qu’il avait seulement besoin de boire quelque chose de chaud. Martin partit lui préparer un bouillon de bœuf, le versa dans une bouteille et s’en retourna vers la cellule en dissimulant la bouteille brûlante sous sa veste. Malheureusement, en cours de route, il fut arrêté par le gardienchef qui voulait l’entretenir de questions diverses. La bouteille, qui avait glissé entre sa chemise et sa peau, commença à lui brûler la poitrine. À l’agonie, Martin se tortillait si bizarrement que le gardien-chef crut qu’il avait bu. Enfin libéré, il se précipita jusqu’à la cellule du malade et raconta sa mésaventure à Wilde, qui éclata aussitôt de rire. Furieux de ce qu’il prit pour une moquerie, le gardien partit en claquant la porte, vexé d’être si mal récompensé de ses bons soins. Il revint cependant un peu plus tard apporter son petit déjeuner à un Wilde contrit, qui, comme un enfant repentant, refusa d’absorber quoi que ce fût tant qu’il n’aurait pas obtenu son pardon. Le lendemain, Wilde remit à Martin un billet où


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

il s’excusait d’avoir ri et promettait de ne plus jamais le faire. « Si j’écris encore des livres, ce sera pour constituer une bibliothèque des lamentations… ils seront destinés à ceux qui souffrent ou qui ont souffert. Je les comprends, et ils me comprennent. Je serai une énigme pour le monde du Plaisir, mais le porte-parole du monde de la douleur. (Sherard, 1928). Dans les derniers temps de l’emprisonnement d’Oscar, une nouvelle catégorie de prisonniers avait été instituée. Elle regroupait ceux qui en étaient à leur première condamnation et instituait pour eux un régime moins rigoureux. Ils se distinguaient des autres par une étoile

rouge

cousue

sur

leur

veste

et

sur

leur

casquette.

Malheureusement, cet assouplissement ne s’appliquait qu’aux nouveaux venus, et Oscar ne put en bénéficier. Quand ces prisonniers « étoilés » passaient dans les couloirs, tous les autres – y compris Wilde – étaient obligés de se tourner face contre le mur pour leur céder le passage. Cette position humiliante imposée à un homme tel que Wilde indignait le gardien Thomas Martin, qui devait écrire plus tard : « J’ai vu le Poète contraint de rester debout, le visage contre le mur, tandis que passait un ruffian à méchante allure ». Martin se révéla pour Wilde un véritable ami, et presque un complice dans ses tentatives d’aide à ses compagnons de misère. Par les billets qu’ils échangèrent, il réussit à porter secours à plusieurs d’entre eux. Wilde demanda en particulier à Martin de trouver le nom du prisonnier A.2.11, un malheureux qui avait été flagellé et dont les hurlements l’avaient bouleversé, et de payer de


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

sa part les amendes infligées à des enfants qui avaient été emprisonnés parce qu’ils n’avaient pas pu les régler. « Je vous en prie, cher ami, rendez-moi ce service. Il faut que je les fasse libérer. Pensez à ce que ce serait pour moi de venir en aide à trois petits enfants. (…) Si je peux l’obtenir en versant l’amende, annoncez aux enfants qu’ils seront libérés demain par un ami et demandez-leur d’être heureux et de n’en rien dire à personne. »

1

Martin était son bon Samaritain. Quand il fut licencié, après la libération d’Oscar, celui-ci écrivit la première de ses lettres au Daily Chronicle pour protester contre cette mesure injuste. Datée du 28 mai 1897, elle s’intitulait : « Le cas du gardien Martin : quelques cruautés de la vie de prison » et entendait s’élever, non seulement contre le licenciement de Martin, mais contre le sort réservé aux enfants dans le prisons anglaises. Wilde, cependant, ne dispensa pas son ami d’une volée de bois vert quand Martin s’aventura à lui écrire à Berneval sous son vrai nom, alors qu’il s’évertuait à dissimuler son identité sous le pseudonyme de Sebastian Melmoth : « Je vous ai dit que j’avais changé de nom, et je vous ai écrit tout spécialement pour vous indiquer mes nouveau nom et adresse – en dépit de quoi, vous vous adressez à moi sur l’enveloppe comme Oscar Wilde, Esquire, aux bons soins de Sebastian Melmoth. C’est stupide de votre part. J’ai changé mon nom pour ne pas être importuné, et vous continuez à m’écrire sous le nom d’Oscar Wilde (…) J’ai hautement loué votre caractère et

1

Lettres d’Oscar Wilde, n° 175, à Thomas Martin, 17 mai 1897. Gallimard, 1994.


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

votre intelligence. Je vous prie instamment de mériter tout le bien que j’ai dit de vous. 1» Le même mois cependant, (juin 1897), le gardien s’étant retrouvé sans travail, Wilde essaya de lui adresser de l’argent2 par l’intermédiaire de Robbie Ross, mais Thomas Martin refusa avec beaucoup de dignité et renvoya les 5 £ qu’il avait reçues. Il s’expliqua dans une lettre à Ross, du 26 août 1897 : « Vous ne devez pas penser que le moindre des petits services que j’aie pu rendre à M. Wilde, était fait dans l’intention de recevoir une récompense (…) La seule chose que je regrette est de ne pas avoir pu en faire davantage pour lui. Mais il ne voulait jamais accepter quoi que ce soit, qui aie pu me faire courir un risque de suspicion ».3 Oscar Wilde et Thomas Martin ne devaient pas se revoir. Mais Martin rapportera ses souvenirs de Wilde dans le chapitre 17 de la biographie de Robert Sherard (1906), intitulé : « The Poet in prison ». Même s’il y fait la part belle au lyrisme et à l’emphase, on peut lire dans ces lignes toute la force de son empathie : « Ce que le Poète était avant d’être en prison, je m’en moque. Ce qu’il a pu faire après avoir quitté la prison, je l’ignore. La seule chose que je sache, cependant, c’est que pendant qu’il était en prison, il a mené la vie

1 Complete Letters of Oscar Wilde, To Thomas Martin, circa 1er juin 1897, p. 871, Fourth Estate, 2000 2 Un appel à le secourir sera également lancé en février 1898 par Murdoch & Co, dans un pamphlet où était republiée la lettre que Wilde avait adressée au Daily Chronicle le 28 mai. Elle y était reproduite sous le titre : « Children in Prison and Other Cruelties of Prison Life » 3 Complete Letters of Oscar Wilde, Thomas Martin to Robert Ross, p, 932, Fourth Estate, 2000. Traduction DGR


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

d’un saint, ou du moins qu’il était aussi proche de l’état de sainteté qu’un pauvre mortel puisse jamais espérer l’être. » Danielle Guérin-Rose PS : Je n’ai pu trouver aucune photo du gardien Thomas Martin. Je le regrette : j’aurais aimé connaître son visage.

14 – Mad Scarlet Music La pantomime Der Geburtstag der Infantin de Franz Schreker par Tine Englebert


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

Der Geburtstag der Infantin, la pantomime dansée de Franz Schreker (1878-1934) et inspirée par la nouvelle d’Oscar Wilde L’anniversaire de l’infante, a été créée le 27 Juin 1908 à Vienne par des membres des Philharmoniker sous la direction du compositeur. Ce ballet faisait partie de la légendaire exposition d’art de la Sécession viennoise et devait être une œuvre d’art totale, démonstrative des talents de cette cellule qui regroupait outre Koloman Moser, Emil Orlik, Josef Hoffmann, Otto Wagner et Alfred Roller. La fameuse pantomime est issue d’une commande des sœurs Grete et Elsa Wiesenthal, célèbres danseuses viennoises. Franz Schreker était un compositeur autrichien, chef d’orchestre, professeur

et

administrateur.

Il

travaillait

dans

la

capitale

autrichienne avec Arnold Rosé et Robert Fuchs. Fondateur du Chœur philharmonique, il enseignait la composition à Vienne et à Berlin. Son plus grand succès était l'opéra Der ferne Klang (Le Son lointain, c. 1901-1910, 1912).1 Der Geburstag der Infantin est, de quelques années, antérieure à ce succès. 1

Une virgule sépare les années de composition de l'année de création.


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

Traqué par les nazis, Schreker mourra d’une crise cardiaque le 21 mars 1934. L’engouement pour sa musique était aussi phénoménal que son déclin tragique. Aujourd’hui, l’œuvre lyrique de Schreker retrouve enfin l’estime qu’elle mérite. L’art de Schreker, avec sa sensualité orchestrale et ses courts motifs, tient à la fois de Richard Strauss, Richard Wagner et Gustav Mahler. Essentiellement compositeur d’opéras, Schreker a développé un style caractérisé par la

pluralité

esthétique,

l’expérimentation

de

timbre

et

une

conception du théâtre total dans le récit de la musique du 20ème siècle. La version de 1908, composée pour petit ensemble, donne beaucoup d’éclat au talent du compositeur. Cette version de Der Geburtstag der Infantin donne un aperçu d’une des périodes les plus passionnantes dans l’oeuvre de Schreker. Hautement inspiré, Schreker a écrit une musique fascinante et ensorcelante. Pendant des années, Schreker avait travaillé sur son opéra inachevé, Der ferne Klang. Après les premiers succès qui suivirent l’obtention de son diplôme, les représentations de ses œuvres restaient rares. C’est grâce à l'exposition d’art à Vienne qu’on lui passa commande d’une pantomime tirée de L'anniversaire de l'infante de Wilde. Jusque-là, le compositeur travaillait comme professeur privé, chef de chœur au Volksoper de Vienne puis, plus tard, comme chef du Chœur philharmonique fondé en 1907. C’est seulement en 1908 que Schreker connut son premier grand succès, au moment de l’exécution de la musique qu’il avait composée pour Der Geburtstag der Infantin. II devra attendre 1912 et la création de Der ferne Klang


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

pour voir sa réputation s’étendre à l’Europe entière. Son second opéra, Das Spielwerk und die Prinzessin (Le Jouet et la Princesse, 1909-1912, 1913) n’obtint pas grand succès. C’est avec Die Gezeichneten1

(Les

Stigmatisés,

1913-1915,

1918)

et

Der

Schatzgraber (Le Chercheur de trésors, 1915-1918, 1920) qu’il continua à conquérir les scènes européennes. En 1908, il travaillait encore à l’opéra Der ferne Klang et devait bientôt commencer Das Spielwerk und die Prinzessin. Entre ces deux œuvres ambitieuses – conçues pour grand orchestre – la partition de Der Geburtstag pour orchestre de chambre semble plutôt modeste. Et pourtant, on est frappé de voir quelle incroyable richesse sonore Schreker réussit à obtenir avec des moyens relativement modestes. De chaque trait instrumental et de chaque note, il fait surgir l’émotion. La fraîcheur et la transparence de cette musique évoquent la fluidité de la danse des sœurs Wiesenthal. Derrière la façade du Jugendstil viennois, on devine dans les tons sombres de Der Geburtstag der Infantin la présence des forces éruptives de l’expressionnisme. Depuis 1908, les danseuses du corps de ballet du Hofoper de Vienne Elsa et Grete Wiesenthal, avaient attiré l’attention sur elles par des apparitions à Vienne (Cabaret Fledermaus), Berlin, Budapest

et

Saint-Pétersbourg.

Parmi

leurs

admirateurs

on

comptait Hugo von Hofmannsthal, Peter Altenberg, Gustav Klimt et Max Reinhardt. Ces artistes voyaient dans la grâce mélodieuse des sœurs une correspondance avec l'esprit libre et insouciant du 1

Rue des Beaux Arts, Numéro 44, Juillet, Août, Septembre 2013, § 8


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

Jugendstil. Les sœurs Wiesenthal ont dansé avec passion sur la musique de Beethoven, Lanner, Schubert et Johann Strauss jr. Elles ont commandé spécialement à Franz Schreker la musique de la pantomime. Elsa Wiesenthal incarnait l’infante, sa sœur Grete était le nain. Oscar Wilde s’est inspiré du célèbre tableau Les Ménines (1656) de Vélasquez pour écrire son conte. Pour la Kunstschau, Eduard Josef Wimmer a conçu des décors inspirés des motifs de Vélasquez.

Les Ménines (1656) de Vélasquez

La pantomime attira l’attention sur Franz Schreker en tant que compositeur. L’œuvre a été composée en dix jours. Ces dix jours doivent avoir été un moment passionnément. Rudolf HuberWiesenthal,

le

mari

d’Elsa

Wiesenthal,

permet

de

mieux

comprendre l’état d’esprit dans lequel se trouvait Schreker: “Er warf sich mit aller Kraft auf diese Arbeit, er war ganz benommen von ihr; die Melodien spannen sich in ihm fort, wenn er auf der Tram fuhr,


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

unter Leuten auf der Straße ging. Immer häufiger kam er zu Wiesenthals, um Teile der Musik vorzuspielen, die soeben fertig geworden waren. Und wenn er freudiger Anerkennung, vollen Verständnisses bedurfte, er fand sie stets bei den Schwestern, für die es keinen Zweifel darüber gab, daß hier das Werk eines überragenden Talentes vor ihren Augen entstand. Sie spürten den großen Zug, das Temperament in diesen Klängen; aber es war auch ganz die Musik, die sie sich zum Träger ihrer Kunst wünschen mußten.”1 Avec le succès de la pantomime Schreker reçut des éloges universels. Il s’ensuivit la signature d’un contrat avec Universal Edition. Parmi les premières œuvres publiées figurait une réduction pour piano à quatre mains de Der Geburtstag der Infantin. Tel était le succès de la pantomime que Schreker composa plusieurs œuvres pour les sœurs qui, en 1909, furent rejointes par leur sœur cadette, Berta). Pour elles, il écrivit la pantomime Der Wind pour cinq instruments (1909), pour Grete, Pans Tänze (1909, perdu), pour Elsa, Den Weißen Tanz pour petit orchestre (1910).

Schreker a

également écrit d’autres partitions inspirés par la danse, tels que Rokoko pour orchestre (1908-1909, publié comme Valse lente).2 Mais Der Geburtstag der Infantin resta le centre de l’attention. Premier opus écrit pour les deux sœurs, c’est avec cette œuvre que Robert Huber-Wiesenthal, Die Schwestern Wiesenthal, Wien, Saturn-Verlag, 1934, p. 155-156 : “Il se jeta de toutes ses forces dans ce travail, jusqu’à s’en étourdir; les mélodies continuaient en lui quand il était sur le tram ou qu’il se promenait entre les gens, dans les rues. De plus en plus il est venu chez les Wiesenthal pour jouer de nouvelles parties de sa musique. Et s’il avait besoin de reconnaissance joyeuse, de compréhension, il l’a toujours trouvé chez les sœurs. Il ne fait pas de doute que là, sous leurs yeux, est né le travail d’un talent exceptionnel. Elles sentaient la grande puissance, le tempérament de ces sons; mais c’était aussi tout à fait la musique qu’elles voulaient pour soutenir leur art.”- Traduction TE 2 Tous publiés chez Universal Edition. 1


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

Schreker fit ses débuts au théâtre, avant que le même sujet ait inspiré Alexandre Zemlinsky (Der Zweig – Le Nain).

Elsa, Grete et Berta Wiesenthal Fin 1909, Grete Wiesenthal écrit : “[U]nser Ideal ist eben ein Musiker, der sich unseren Ideen ganz und doch wieder eigenartig selbständig anpasst und so seine Musik für uns komponiert. Im Geburtstag der Infantin von Franz Schreker ist die Musik zu den Tänzen des Zwergs die Erfüllung all dessen, was ich mir nur wünschen konnte.”1 À cette époque, Grete et Else envisageaient la possibilité d’une reprise de la pantomime. Ce souhait fut bientôt rempli, cette fois avec le peintre et graphiste Erwin Lang. En 1910 Grete épousa Erwin Lang qui conçut pour elle des affiches et des dépliants. Schreker a ajouté une nouvelle scène dans la première partie et rédigé la scène finale.

Grete Wiesenthal, Unsere Tänze, dans : Der Merker I/2 (25. Oktober 1909), p. 65-66: “Notre idéal, c’est juste un musicien qui corresponde à nos idées, mais étrangement les adapte librement, et ainsi compose sa musique pour nous. Dans Der Geburtstag der Infantin de Franz Schreker la musique des danses du nain est l'accomplissement de tout ce que je pouvais demander. ” 1


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

Le 28 Février 1910 à l’Apollo Theater de Vienne, les sœurs ont représenté avec succès la nouvelle version de Der Geburstag der Infantin. Le critique Heinz Hartmann a salué cette musique de Schreker comme la première tentative réussie de créer une musique de danse moderne.1 Les débuts étaient prometteurs, mais Der Geburtstag der Infantin se heurta

très

vite

à

des

obstacles

insurmontables.

Après

la

présentation privée du 28 Février, les représentations devaient commencer le 1er Mars pour un mois. C’était, comme l’a écrit Hartmann, une expérience étrange parce que l’Apollo était un théâtre de vaudeville. L’histoire touchante du nain a été entourée par des marches et des valses, des acrobates et des comédiens, des scènes d’opérette, des projections de films, un numéro d’équilibriste et même… un kangourou de boxe. La première nuit fut ponctuée de sifflets. Le directeur de théâtre Ben Tieber demanda alors un changement de programme sous prétexte que la pantomime était une œuvre trop exigeante pour son public. On finit par adopter un compromis. Der Geburtstag der Infantin ne fut plus à l’affiche que pour

les

matinées

des

quatre

dimanches

suivants.

Une

représentation prévue à Londres fut annulée. Peu de temps après les sœurs Wiesenthal se séparèrent. Ce n’était pas facile de trouver un

cadre

approprié

pour

leur

nouvel

style

de

danse,

l’Ausdruckstanz, qui était trop libre pour la scène de ballet traditionnel, mais aussi trop délicat et trop exigeant pour le théâtre commercial. L’insatisfaction de Schreker autour de cette expérience et d’autres expériences similaires, et son ambition en termes de Heinz Hartmann, Der Geburtstag der Infantin, in: Der Merker I/13 (10. April 1910), p. 565: “…der erste gelungene Versuch, eine moderne Tanzmusik zu schaffen.” 1


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

reconnaissance institutionnelle diminuérent son enthousiasme pour l’Ausdruckstanz.

Dans une lettre datée du 28 Août 1910, Schreker suggéra à son éditeur d’arranger la pantomime d’une demi-heure en un ballet pour grand orchestre d'une heure. Schreker et son éditeur ont vraiment pensé à exploiter ce travail comme un ballet. Des corrections apportées aux manuscrits montrent que Schreker a opéré des changements au moins jusqu’à 1914. En 1922, Schreker a décidé de retravailler l’œuvre comme une suite pour grand orchestre. Il a réorchestré la pantomime avec moins d’efficacité dramatique et narrative, et il a transformé la partition en une suite pour

grand

orchestre

comportant

plusieurs

instruments

inhabituels, notamment deux guitares et quatre mandolines. Cette longue suite de vingt minutes a été créée comme morceau de concert le 18 octobre 1923 à Amsterdam par l’Orchestre du Concertgebouw sous la direction de Willem Mengelberg, à qui le travail est dédié. Schreker lui-même a enregistré la suite deux fois sur LP (Polydor, 1925 et Parlophone, 1926). En 1926, il a arrangé le matériau comme un ballet Spanisches Fest. C’est sous cette forme


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

que l’œuvre est finalement créée le 22 Janvier 1927 au Berliner Staatsoper, dans une choréographie par Max Terpis. Der Geburtstag der Infantin est une œuvre qui marque un tournant dans l’esthétique de la vie culturelle viennoise et une pièce de musique qui vaut bien la peine d’être découverte.


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

15. Le personnage d’Oscar Wilde au théâtre

The Judas Kiss de David Hare (6 hommes – 1 femme)

En mars 1998, l’Almeida Theatre de Londres vit la création d’une pièce de David Hare, intitulée « The Judas Kiss » (Le baiser de Judas). Le premier acte de cette œuvre mettrait en scène Oscar Wilde juste avant son arrestation à l’hôtel Cadogan de Londres. Le second acte se passait deux ans plus tard, dans la maison de


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

Naples, où Wilde, libéré de prison depuis quelques mois, avait rejoint son jeune amant, Bosie Douglas.

La pièce se joua jusqu’au 18 avril 1998, avec la distribution suivante : Liam Neeson (Oscar Wilde), Tom Hollander (Bosie Douglas), Peter Capaldi (Robbie Ross), Richard Clarke (Sandy Moffatt, hotel manager), Alex Walkinshaw (Arthur Wellesley, valet), Stina Nielsen (Phoebe Cane, femme de chambre), Daniel Serafini-Sauli (Galileo Masconi, jeune pêcheur italien, amant de Bosie) La mise en scène était signée Richard Eyre.


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

La pièce fut transférée dans le West End londonien (Playhouse Theatre) puis à New York, au Broadhurst Theatre, Broadway, où elle se joua du 23 avril au 1er août 1998. Le public reçut la pièce chaleureusement, mais la critique fut plus réservée. Ce ne fut pas le cas lors de la reprise en septembre 2012, quand le Hampstead Theatre de Londres la mit à nouveau à l’affiche. Le jeu de Rupert Everett, qui tenait le rôle d’Oscar Wilde, fit l’objet de louanges unanimes. Mais toute la distribution était parfaite, en particulier le jeune Freddie Fox qui incarnait Bosie, et Cal MacAninch, dans le rôle de Robbie Ross. On pourra lire dans “The Telegraph”, par exemple: “De longs passages de la pièce vous donnent l’impression d’être avec Oscar Wilde lui-même” (…) Everett fait de Wilde un homme plus mûr,


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

plus triste et plus sage que ne l’était l’esprit brillant retenu par l’imagination traversés

populaire.

d’une

Même

mélancolie

ses

moments

profonde,

d’humour

sont

passivité

qui,

d’une

paradoxalement, devient dramatiquement passionnante. (…) Il capte merveilleusement l’esprit contrit et la vaillance de Wilde … »1 Ou encore dans « The Guardian » ; « C’est le portrait de Wilde le plus convaincant que j’aie jamais rencontré – celui qui le saisit comme individualiste romantique et victime tragique. Il permet aussi à Rupert Everett de tenir là le rôle de sa carrière. (…) Le Wilde d’Everett est le personnage lourd, charnu, aux traits épais, des derniers portraits et des caricatures de Max Beerbohm. Mais Everett ne nous laisse jamais oublier l’intelligence persistante de Wilde quand Bosie nie traitreusement avoir jamais été homosexuel, et qu’il répond, dans un murmure sardonique « non, juste un brillant imitateur ».2

1 2

Charles Spencer, The Telegraph, 23 janvier 2013. Traduction DGR. Michael Billington, The Guardian, 12 septembre 2012. Traduction DGR


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

La mise en scène de l’australien Neil Armfield fut elle-aussi uninamement acclamée. Armfield avait déjà monté la pièce en Australie, en 1999, au Belvoir St Theatre de Sydney, avec Billy Brown dans le rôle principal et Malcolm Kennard dans celui de Bosie. Une tournée devait suivre qui menerait la troupe à Melbourne, Canberra, Ballarat, Bendigo, Geelong, Newcastle, Parramatta ou Adelaide. Il convient de rappeler les noms des comédiens qui se sont illustrés en 2012, au Hampstead Theatre de Londres, sous la houlette inspirée de Armfield : Rupert Everett (Oscar Wilde), Freddy Fox (Bosie Douglas), Cal MacAninch (Robert Ross), Alister Cameron (Sandy Moffatt), Ben Hardy (Arthur Wellesley), Kirsty Oswald (Phoebe Cane), Tom Colley (Galileo Masconi). Décors : Dale Ferguson – Lumières : Rick Fisher – Costumes : Sue Blane. La pièce tint l’affiche au Hampstead jusqu’au 13 octobre, date après laquelle elle partit en tournée : à Dublin (Gate Theatre, du 15 au 20 octobre), Bath (Royal Theatre, 22 au 27 octobre), Richmond (Richmond Theatre, 29 octobre au 1er novembre), Brighton (Theatre Royal, 5 au 10 novembre), Cambridge (Arts Theatre, 12 au 17 Novembre).


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

L’éclatant succès de la pièce entraîna sa reprise dans un théâtre du West End à Londres. Elle s’installa au Duke of York, avec la même distribution, du 9 janvier au 6 avril 2013.


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

Avant cette reprise de 2012, la pièce de David Hare avait été jouée dans d’autres lieux :

En 2005, à Brighton - 3 au 29 mars – Theatre Company – Mise en

scène : Ray Russel

• En 2088, dans les Asturies – (El beso de Judas – traduction de Nacho Artime) – mise en scène : Miguel Narros. Avec Joachim Kremel

(Oscar

Wilde), Enrique Alcides (Bosie), Juan Ribo (Robert Ross), Emilio Gomez (Sandy Moffatt), Luis Muñiz (Galileo Masconi)


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

En 2010, en Allemagne, à Heidelberg (Heidelberg Theatre Company)

du 8 au 24 juillet 2010. Mise en scène : Bruce Akers. Avec : Chris Badlock (Oscar Wilde), Tim Constantine (Lord Alfred Douglas), Angelo de Cata (Robbie Ross), Simon Papson (Sandy Mofatt), Elise Moorhouse (Phoebe Cane), Giovanni Piccolo (Galileo Masconi)

Fin 2011, à Atlanta – Mise en scène David Crowe – Avec Freddie

Ashley (Oscar Wilde), Clifton Guterman (Bosie Douglas), Christopher Corporandy (Robbie Douglas), John Stephens (Moffatt), Jilian Fratkin (Phoebe), Brody Wellmaker (Arthur), Antonio Pareja (Galileo)


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

Une nouvelle production a eu lieu en 2014 dans la banlieue de

Melbourne (Theatreworks de St Kilda) – 14 au 22 mars 2014. The Mockeringbird Theatre Company était dirigée par Jason Cavanagh, avec la distribution suivante : Chris Baldock (Wilde), Nigel Langley (Bosie), Oliver Coleman (Robbie Ross), Zak Zavoc (Arthur Wellesley), Lauren Murtagh (Phoebe Cane), Soren Jensen (Sandy Moffatt) et Nores Cerfeda (Galileo Masconi).

• On a pu voir « The Judas Kiss » à Bath, en septembre 2014 (Next Stage Theatre Company) – Mise en scène : Ann Garner. Avec : Richard Matthews (Oscar Wilde), Michael Bijok (Bosie Douglas), Jason LeMoir (Robbie Ross), Andrew Ellison (Sandy Moffat), Michael


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

Stevens (Arthur Wellesley), Lydia Cook (Phoebe Cane), Kris Rose (Galileo Masconi)

• Enfin, “The Judas Kiss” a été donné à Birmingham du 22 au 29 novembre 2014, au Crescent Theatre, avec David Leonard (Oscar Wilde), James Knapp (Bosie Douglas), Peter Neenan (Robbie Ross)


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

• Une nouvelle production de « The Judas Kiss », devrait avoir lieu à Chicago en août 2015, sous la direction de Jim Schneider (6 au 8 août 2015)

Publications « The Judas Kiss » a été publié en 1998 chez Grove Press

Chez Samuel French


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

Une nouvelle édition est parue en 2012 chez Faber and Faber à l’occasion de la production du Hampstead Theatre.

L’auteur de la pièce,

David Hare, est un dramaturge

britannique, scénariste, réalisateur et producteur, qui a écrit de nombreuses pièces à succès et remporté plusieurs récompenses prestigieuses et nominations, en particulier aux Golden Globe Awards, ou à l’Academy Award. Il a été fait chevalier en 1998.


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

16. Poèmes Oscar Wilde Par Anna de Brémont His body Into the ocean of Life was I thrown A rudderless barque of frail flesh and bone To sink in life’s billow, on ride life’s crest. A mariner bound on an an unknow quest. And I dipped my sail on the blood-red wine Of the fruit from passion and pleasure’s vine. The incense of life on my lips I burned, Till its sweetness to bitter ashes turned. His Soul Out of the depths of the Infinite Past, Into the bondage of soul was I cast. Out of the depths thro’s the merciless throes Of sin and repentance I purged my woes. Out of the depths to the uttermost height Of God’s forgiveness – Fame’s purified light ! Anna de Brémont Anna de Brémont, née Dunphy (1864 – 1922), est une écrivaine d’origine américaine. Amie de Wilde et de Speranza, elle est l’auteur de « Oscar Wilde and his Mother »


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

17. HANDBAG La Collection Wilde à la Clark Library

Une des plus importantes collections de documents wildiens se trouve au sein de l’Université de Californie de Los Angeles (UCLA), à la William Andrews Clark Memorial Library. La bibliothèque fut constituée par William Andrews Clark junior, en hommage à son père, le sénateur William Andrews Clark, collectionneur et philanthrope. Une donation fut faite à l’Université de Californie d’environ 13 000 volumes et documents, parmi lesquels la collection Oscar Wilde occupe une place primordiale. Clark, également connu pour être le fondateur de l’orchestre Philharmonique

de

Los

Angeles,

commença

à

acquérir

des


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

manuscrits auprès de Vyvyan Holland et de plusieurs autres, dont, peut-être Lord Alfred Douglas avec lequel il fut en correspondance. Aujourd’hui, la collection comporte des photos, des caricatures, des portraits originaux, des affiches. Elle s’étend au cercle Wilde, comme

Aubrey

Beardsley,

l’illustrateur

de

Salomé,

ou

le

caricaturiste Max Beerbohm, mais aussi à William Butler Yeats, contemporain de Wilde, comme lui originaire d’Irlande.

Le poème « Ravenna ». La couverture a été brodée par Constance Wilde

Sept rangées et demie d’étagères sont consacrées aux différentes versions du roman « The Picture of Dorian Gray », qui couvrent plusieurs décades et une variété de langues.


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

Chapitre 3 du « Portrait de Dorian Gray »

On trouve aussi de précieuses notes datant de l’époque où Oscar était élève ou étudiant. Elles prouvent que, tout en faisant montre d’une

nonchalance étudiée, le jeune Wilde travaillait dur, en

réalité. Plusieurs de ces notes sont rédigées en anglais et en grec, leur auteur passant indifféremment de l’une à l’autre langue, comme sans s’en apercevoir. Elles sont également parfois illustrées de petits dessins. La collection Wilde ne reste pas figée. Elle s’enrichit au fil des années. Par exemple, les notes écrites à Oxford ont été acquises seulement en 2004. La bibliothèque possède même les manuscrits de fausses œuvres de Wilde, comme celui de «For love of the King»,


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

en réalité l’œuvre d’une aventurière, Mabel Cosgrove Wodehouse Pearse. Los Angeles n’était à l’origine nullement destinée à abriter l’une des plus grandes collections consacrées à Oscar Wilde dans la mesure où celui-ci n’entretenait aucun lien avec la ville. Même sa grande tournée américaine, pendant laquelle il sillonna les Etats-Unis en tous sens, ne passait pas par Los Angeles. Il faudra attendre vingt ans après sa mort, et qu’un philanthrope local commence à collectionner ses œuvres pour que L.A. devienne une ville Wildienne, étape obligée de bien des chercheurs dans le monde.


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

18. Cinéma, DVD On annonce la production d’un film tiré de l’œuvre d’Oscar Wilde : The Importance of being Earnest par la réalisatrice Charis Orchard, sur un scénario d’Oscar Wilde et Alice Yessouroun.

Distribution : Sam Bompas (Jack), Harry Parr (Algernon), Madeleine Dunbar (Gwendolyn), Johanna Phillips (Cecily)


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

Les premières prises de vue devraient être réalisées à Londres en novembre et décembre 2015. L’action sera transposée dans la Haute Société anglaise de notre époque.

DVD Parus fin 2014 Il Importe d’être Constant

Mise en scène d’Anthony Asquith Avec Michael Redgrave, Michael Dennison, Edith Evans, Joan Greenwood, Dorothy Tutin. Bonus : Le film par Jean-Pierre Dionnet (15') Documentaire : "Au coeur de Il importe d'être constant" (30'), Bandes-annonces, Galerie d'images. Langues : Anglais et Français. Elephant Films.


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

Un Mari Idéal

Mise en scène d’Alexander Korda Avec : Paulette Goddard, Michael Wilding, Aubrey Smith, Diana Wynyard, Hugh Williams, Glynis Jones. Langue : Anglais et Français.

Elephant Films.


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

19 – The Wildean The Wildean est la revue bisannuelle de la Oscar Wilde’s Society. Elle parait en janvier et en juillet. Le sommaire du numéro de janvier était le suivant : • Ian Small: ‘Some Studies in Prose’: The Beginnings of Wilde’s Career in Fiction’ pp. 2-20 • Laurence Wrenne: Oscar the Addict? Part 1: An Occupation of Some Kind? pp.21-52 • Maho Hidaka: Portraits of the Human Body: Japanese adaptations of Oscar Wilde by Junchiro Tanizaki pp.72-87 • James Horrox: The Artist as Critic: [Gustav] Landauer on Wilde pp.53-71 • Donald Mead: Heading for Disaster: Oscar’s Finances, Chapter Five: Bankruptcy pp.88-103 • Roger Grant: Speranza’s Visit to Scotland, Summer 1847 pp.104-117 • Peter Rowland: Advising Mrs Parks pp.118-29 • Stephen Bertman: Platonic Inversion in The Picture of Dorian Gray pp.130-1


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

20 - WWW.OSCHOLARS.COM www.oscholars.com abritait un groupe de journaux consacrés aux artistes et mouvements fin-de-siècle. Le rédacteur en chef en était David Charles Rose (Université d’Oxford).

Depuis 2012, les

membres du groupe sont indépendants, et le site, délaissé par son webmaster ne reste plus sous le contrôle de M. Rose. THE OSCHOLARS est un journal international en ligne publié par D.C. Rose et son équipe de rédacteurs, consacré à Wilde et à ses cercles. Il compte plusieurs mille lecteurs à travers le monde dont un grand nombre d’universitaires. On pourra y trouver les numéros de juin 2001 à mai 2002 (archives), et tous les numéros réalisées depuis février 2007. Les numéros de juin 2002 à octobre 2003, et d’octobre

2006

à

décembre

www.irishdiaspora.net.

2007

sont

abrités

par

le

site

Vous y découvrirez une variété d’articles,

de nouvelles et de critiques : bibliographies, chronologies, liens etc. L’appendice ‘LIBRARY’ contient des articles sur Wilde republiés des journaux. Les numéros jusqu’à mars 2010 sont en ligne ici ; mais depuis

automne

2012,

THE

OSCHOLARS

apparaît

chez

http://oscholars-oscholars.com/ THE

EIGHTH

LAMP :

Ruskin

studies

to-day

rédactrices

Anuradha Chatterjee (Sushant School of Art and Architecture New Delhi) et Laurence Roussillon-Constanty (Université de Toulouse). On peut trouver no 3 ici — no 4 ici — no 5 ici — no. 6 ici — no 7 ici — no.8 ici — no. 9 ici.


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

THE LATCHKEY est consacré à ‘The New Woman’. Les rédactrices sont Petra Dierkes-Thrun (Stanford University), Sharon Bickle (University of Queensland) et Joellen Masters (Boston University). Le numéro le plus récent en ligne est daté de Summer 2013. MELMOTH était un bulletin consacré à la littérature victorienne gothique, décadente et sensationnelle. La rédactrice était Sondeep Kandola, Université de Liverpool John Moores. Le numéro 3 est en ligne, mais pour le moment d’autres éditions ne sont pas prévues. MOORINGS est consacré au monde de George Moore, écrivain irlandais, bien lié avec beaucoup de gens du fin de siècle, soit à Londres, soit à Paris.

Le numéro 3, été 2008, est en ligne.

Actuellement, on trouvera sa nouvelle version ici. RAVENNA effectue une exploration des liens anglo-italiens à la fin de siècle. Les rédacteurs sont Elisa Bizzotto (Université de Venise) et Luca Caddia (University of Rome ‘La Sapienza’). Le numéro 3 en ligne est celui de fin mai 2010, mais pour le moment d’autres éditions ne sont pas prévues.

Shavings est un bulletin consacré à George Bernard Shaw. Le numéro 28 (juin 2008) est en ligne ; désormais on le trouvera dans les pages de UpSTAGE.


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

The Sibyl

(commencé au printemps 2007) explore le monde de

Vernon Lee, écrivaine anglaise, née le 14 octobre 1856 au Château St Léonard, à Boulogne sur Mer; décédée à Florence, le 13 février 1935. La rédactrice est Sophie Geoffroy (Université de La Réunion). Le

numéro

4

(hiver

2008/printemps

2009)

est

en

ligne.

Actuellement, on le reprend ici. UpSTAGE est consacré au théâtre du fin de siècle, rédactrice Michelle Paull (St Mary’s University College, Twickenham).

Le

numéro 5 est en ligne. VISIONS (deux ou trois fois par an) est consacré aux arts visuels de la fin de siècle. Les rédactrices associées sont Anne Anderson (University of Exeter), Isa Bickmann, Tricia Cusack (University of Birmingham), Síghle Bhreathnach-Lynch (anciennement National Gallery

of

Ireland),

Charlotte

Ribeyrol

(Université

de

Paris–

Sorbonne) et Sarah Turner (University of York). Le numéro 8 est en ligne, mais pour le moment d’autres éditions ne sont pas prévues. www.oscholars.com

est/était

édité

par

Steven

Rivendale Press, spécialiste de la fin-de-siècle.

Halliwell,

The


Rue des Beaux-Arts - Numéro 51 – Avril/Mai/Juin 2015

21. Signé Oscar Wilde En général, je n’aime pas les mémoires modernes. Ils sont presque toujours écrits par des gens qui ont totalement perdu leurs souvenirs ou ne firent jamais rien qui vaille qu’on s’en souvienne. (Le Critique Artiste)

As a rule, I dislike modern memoirs. They are generally written by people who have either entirely lost their memories, or have never done anything worth remembering (The Critic as Artist)


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.