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CONSTATATIONS : SE METTRE EN ACTION
Les observations rassemblées dans le présent état des lieux nous amènent à entrevoir ce qu’un enfant ayant subi des violences sexuelles ou sexistes peut s’attendre de la part du système de protection. Cet état des lieux nous a ainsi permis de constater que le système de protection de l’enfant présente des lacunes qui privent les enfants du Burkina Faso victimes de VSS de solutions effectives et respectueuses de leurs droits. Voici à la suite les principales constatations issues de cette étude menée par l’IBCR.
Constatations liées à la réponse aux violences sexuelles et sexistes à l’égard des enfants par les secteurs négligés du système de protection
Les récentes réalités, en particulier celles liées aux enjeux sécuritaires, font émerger de nouveaux acteurs de première ligne auprès des enfants, tels que les militaires, qui ne sont pas formés aux droits de l’enfant. Outiller ce corps de métier et renforcer les compétences nécessaires en vue d’accueillir et de référencer adéquatement les enfants, tels que ceux en mouvement non-accompagnés ou considérés membres des groupes armés, multiplierait le nombre d’alliés veillant aux droits des enfants au Burkina Faso.
Par ailleurs, le secteur de l’éducation tolère implicitement les violences sexuelles et sexistes au sein des établissements scolaires. La position d’autorité et de pouvoir que détient le corps enseignant ou de soutien envers les élèves instaure un climat d’impunité qui s’étend aux élèves, se rendant eux aussi coupables de VSS. Mettre en place des mécanismes de dénonciation anonymes et fiables, adopter un code de conduite ou de déontologie qui prohibe toute forme de VSS et qui prévoit des sanctions sévères en cas d’infraction sont autant de mesures qui favoriseraient l’instauration d’une culture respectueuse de l’intégrité physique et mentale des enfants au sein des institutions éducatives.
Constatations liées à l’accès à la justice et à la réparation pour un enfant victime de violences sexuelles ou sexistes
Le taux de dénonciation des violences sexuelles et sexistes commises envers des enfants auprès des acteurs formels de protection de l’enfant est moindre que leur ampleur à l’échelle du pays. Ce constat s’explique en partie par l’inclinaison de la société à réduire les manifestations de VSS aux seuls cas de viol, de mariage d’enfants et de mutilations génitales féminines. Il faut que des efforts soient engagés pour que les viols soient systématiquement dénoncés et non seulement lorsqu’une fille tombe enceinte, ainsi que la répression des VSS soit vue comme relevant de l’ordre public et de la protection. Il importe également que la solution adoptée, que ce soit par voie judiciaire ou extra-judiciaire, en vue de protéger un enfant victime de violences sexuelles, ne consiste plus à le retirer de sa famille, de son école ou de sa communauté. En effet, ces réponses sont questionnables eu égard aux différents droits de l’enfant et font retomber sur lui les conséquences de gestes commis par une autre personne dont il est la victime. Assurer la capacité de tous à prendre de telles décisions en considérant l’opinion et en respectant l’intérêt supérieur de cet enfant est d’autant plus important pour la confiance en soi et l’épanouissement de cet enfant.
Le niveau de méfiance des communautés envers les représentants étatiques constitue un obstacle à une réponse respectueuse des droits des enfants. En outre, la différence drastique entre le nombre de cas reportés à l’action sociale et les dénonciations à la police ou gendarmerie démontre que les VSS à l’égard des enfants se retrouvent rarement dans le système de justice. Ce lien de confiance ne pourra se développer que si, dans la pratique, ces professionnels démontrent leur compétence à accueillir et accompagner l’enfant et à traiter son cas. Former et mettre constamment à jour les compétences de ces professionnels de la protection, rendrait possible des interventions plus efficaces et adaptées aux enfants. Ces mesures, combinées à des changements structurels et à l’investissement de ressources, permettraient d’augmenter la confiance envers les représentants de l’État.
Par ailleurs, les pratiques judiciaires focalisant l’établissement de la preuve de violences sexuelles sur l’existence d’un certificat médical ou d’une grossesse sont limitatives et sont susceptibles de provoquer une revictimisation. En effet, le certificat doit être établi dans les 72 heures suivant l’abus dans des centres de santé parfois éloignés ou dépourvus de personnel habilité et ce, aux frais de la victime, ce qui décourage l’engagement de poursuites. Ces multiples obstacles empêchent l’enfant qui a été victime d’obtenir justice et réparation. Admettre ces difficultés devrait conduire à la diversification des sources de preuves admises en matière d’abus sexuels. De même, mettre en place une procédure judiciaire adaptée aux enfants et garante de leur protection participe au respect des droits des victimes. Cette procédure offrira des alternatives à la « confrontation » entre l’enfant et l’auteur désigné, en prévoyant des mesures de confidentialité ainsi que des mesures limitant le risque de victimisation secondaire. Ensemble, ces mesures permettraient une réduction du nombre d’abandons de poursuite et d’acquittements par manque d’éléments probants et un recours plus systématique à la justice.
Constatations liées à la coordination multisectorielle entre les acteurs du système de protection
Les processus suivis par les acteurs institutionnels pour répondre aux besoins des enfants victimes de violences sexuelles et sexistes ne sont pas uniformes sur l’ensemble du territoire. Cela engendre des inégalités d’une région à l’autre dans le traitement des cas et la qualité des services. Par ailleurs, faute de ressources et de procédures claires et accessibles, les acteurs du système de protection de l’enfant doivent souvent compter sur leurs propres moyens et réseaux afin d’assurer l’orientation d’un enfant victime vers le service adéquat. Harmoniser et systématiser ces processus en dotant les acteurs des ressources dont ils ont besoin permettrait de garantir un accompagnement de qualité pour tous les enfants victimes.
Au surplus, les défis de partage d’information entre secteurs concernant les cas créent des délais et réduisent l’efficacité de la réponse. Ces défis entraînent parfois la non-exécution des réquisitions et des ordonnances judiciaires ou encore la non-conformité entre la réquisition et l’acte délivré, notamment en matière de certificats médicaux, faute d’une communication efficace entre le système de justice et les professionnels de santé. Établir des canaux de communication efficaces entre les différents acteurs permettrait d’améliorer la cohérence et l’efficacité de la réponse.
De même, au niveau de la coordination au sein même de l’Action sociale, les rôles des services sociaux ne sont pas bien définis et clairs pour tous ce qui crée des interférences et des chevauchements dans la chaîne d’accompagnement. Il y a aussi un cloisonnement et donc des ruptures dans l’intervention auprès d’un même enfant lorsque, dans sa trajectoire, il quitte la zone d’intervention ou l’établissement auquel est rattaché le travailleur social en charge de son dossier. Clarifier les rôles de chacun au sein des services sociaux permettraient d’améliorer les procédures d’accompagnement des enfants victimes et d’en assurer la continuité.
Enfin, la mise en place des Réseaux de protection de l’enfance est une des solutions à privilégier, bien que, pour une réponse garantissant la sauvegarde et afin de permettre une protection optimale des enfants face aux violences, le mandat et les tâches des RPE ainsi que leurs interactions avec les services sociaux et les organisations de la société civile devraient être clarifiés, par le biais, par exemple, de partenariats formels.
Ainsi, renforcer les compétences des acteurs, notamment les acteurs négligés, du système de protection de l’enfant, améliorer la collaboration multisectorielle entre ces acteurs et favoriser le recours et l’accès à une justice et à des services de prise en charge efficaces et adaptés aux enfants victimes sont autant d’actions qui permettront de renforcer une approche systémique bénéfique aux enfants victimes.