Yaguine & Fodé - Mémorandum

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MéMORANDUM POUR UNE MéMOIRE OPéRATIONNELLE DE YAGUINE & FODé 2 août 2014

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Trouvés morts de froid le 02 août 1999 dans le train d’atterrissage d’un avion de la Sabena, Yaguine et Fodé, deux adolescents guinéens ont laissé une lettre qui, 15 ans plus tard, laisse un goût amer à sa lecture. Un goût amer dû au constat que les problèmes évoqués par les deux jeunes gens dans cette lettre sont toujours d’actualité, se posant parfois même avec plus d’acuité qu’au moment de leur sacrifice. En effet, comment appeler autrement ce mortel voyage entrepris en pleine conscience du danger, tel qu’ils l’ont si clairement exprimé dans leur lettre, si ce n’est un sacrifice. Si un pareil drame était survenu en Europe, la prise de conscience politique et médiatique se serait vivement manifestée et traduite par des mesures politiques fortes, au moins sur le plan du symbole, et un suivi médiatique périodique des conséquences du drame en question. L’on pourrait nous objecter que Yaguine et Fodé ne sont pas morts sur le sol européen. Ils sont morts quelque part dans le ciel, certes. Mais dans le ciel de quel pays sont-ils donc morts en réalité ? Nul ne le saura jamais. Et qu’importe, ce sont deux morts de trop ! C’est justement pourquoi tous, responsables Africains et Européens – auxquels les deux jeunes se sont spécifiquement adressés dans leur lettre – doivent se sentir concernés par ce drame et réagir en conséquence. Après 15 ans de mutisme de la part des autorités politiques européennes et africaines et du monde médiatique, alors que des drames similitaires continuent à se produire, nous, organisations membres de la Plate-forme pour la mémoire de Yaguine & Fodé, lançons cet appel, en ce 15ème anniversaire de leur mort, pour que la réaction face au sacrifice de ces deux enfants soit enfin digne et à la hauteur du séisme socio-politique que la mort de Yaguine & Fodé aurait dû provoquer. Et ce d’autant plus que depuis le cri de désespoir de ces deux jeunes et leur mort tragique, les intitiatives entreprises pour offrir à la jeunesse africaine une meillleure qualité de vie, de bonnes conditions d’études et des perspectives d’emplois effectives ou des initiatives génératrices de revenus durables demeurent très insuffisantes. La situation n’a d’ailleurs pas cessé de se détériorer, poussant ainsi, chaque année, des milliers de jeunes dans une fuite périlleuse de la misère et du désespoir vers un avenir meilleur hypothétique en Europe. La lettre de Yaguine et Fodé pointent les maux qui continuent à miner le continent africain: • les guerres et les déstabilisations politiques sur le continent ; • la maladie, et notamment la lutte inefficace contre les maladies à fort taux de mortalité et de morbidité ; • la famine ; • la pauvreté ; • l’insuffisance d’enseignement et de la prise en charge éducationnelle des enfants et des jeunes ; • le manque de reconnaissance et de respect des droits de l’enfant, notamment par rapport au travail précoce, à la guerre, aux sévices sexuels et autres violences tant physiques et psychologiques; • le manque de transfert des connaissances par la possibilité d’étudier dans des structures étrangères plus performantes.


pour une mémoire opérationelle de yaguine et fodé A tous ces maux, les solutions jusqu’ici mises en œuvre par les pays africains eux-mêmes, ou proposées et soutenues par les pays européens, se sont avérées d’une inefficacité et d’une inadéquation coupables. Au point que les prérogatives et les champs d’actions ordinairement dévolus aux instances et organisations étatiques ou gouvernementales, sont actuellement pris en charge par des organisations non gouvernementales. Les résultats des interventions de ces ONG sont tout aussi mitigés. Les ONG étrangères et les donateurs publics comme privés ne tiennent pas compte de l’effet de déresponsabilisation de leurs actions sur les autorités locales auxquelles ils se substituent. Fort de ce constat, les organisations membres de la Plateforme pour la mémoire de Yaguine & Fodé formulent les proposition suivantes.

1. Réactivation de l’intérêt de l’opinion publique sur les enjeux soulevés par Yaguine & Fodé Proposition 1.1 interpeller la conscience publique belge et notamment celle des jeunes sur les problématiques posées par Yaguine & Fodé Sensibiliser les écoles à la lettre de Yaguine & Fodé afin de susciter la (re)-prise de conscience des problèmes posés dans cette lettre par la lecture publique, dans toutes les classes terminales (Rétho) des écoles secondaires du Royaume, de la lettre de Yaguine & Fodé, traduite en néerlandais et en allemand. La lecture de la lettre de Yaguine et Fodé sera suivie d’une discussion pointue sur le sens des rapports Nord-Sud et de l’aide publique au développement, abordés librement, par les enseignants, sous l’angle de la mondialisation et ses conséquences sur la situation socioéconomique des pays. Cette action est certes symbolique mais elle constituera à coup sûr une entrée de l’appel au secours de Yaguine et Fodé dans l’espace social belge, avec l’objectif qu’à long terme l’engouement des citoyens oblige les politiques et les médias à donner à cette lettre et à ce sacrifice la réponse qu’ils auraient dû y apporter depuis longtemps. Proposition 1.2 : revoir le concept et les pratiques de l’aide publique au développement Organiser des états généraux sur la coopération au développement. Cette proposition, déjà formulée par certaines organisations de cette Plateforme lors des consultations gouvernementales de 2007 en Belgique, vise à permettre une analyse critique plus approfondie que celle effectuée durant les assises annuelles de la coopération dont l’utilité demeure mitigée. Ces états généraux impliqueront la participation non seulement des partis politiques, des institutions publiques, des ONGs et Associations de Solidarité Internationale spécialisées en cette matière, mais aussi des chercheurs, de la diaspora africaine, des acteurs de coopération institutionnels ou non

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des pays du Sud et des investisseurs privés, pour dresser le bilan des méthodes et des politiques de coopération menées depuis plus de 50 ans dans lesquelles l’aide étrangère est perçue comme la clé des problèmes des pays pauvres, et examiner si ces pratiques doivent être poursuivies, adaptées ou radicalement changées.

2. Prise en compte plus pertinente des problématiques spécifiques soulevées dans la lettre de Yaguine & Fodé Proposition 2.1. : contre les guerres et les déstabilisations politiques L’Union européenne, et plus spécifiquement la Belgique, doivent prendre position par rapport aux guerres et aux déstabilisations politiques sur le continent par des actions claires et radicales notamment : • La ferme condamnation des régimes ou des groupes clairement identifiés comme auteurs, initiateurs ou sponsors des conflits et de violations massives des droits humains en Afrique et la stricte application du droit international à leur endroit (les déférer en justice et en exiger réparation). Cette exigence est encore plus urgente pour le cas de la RDC où les populations de l’Est du pays et particulièrement les femmes et les enfants continuent de subir des violences multiformes, malgré les défaites récentes de certaines des forces négatives en présence. • L’arrêt de la coopération militaire avec les régimes dont le soutien à des forces négatives voisines ou nationales est établi. • La mise à l’agenda des résolutions et projets en vue de protéger des minorités ethniques, religieuses ou nationales dans les zones ou pays où ils sont systématiquement en danger de mort ou victimes de répression. • La mise à l’agenda du nouveau Parlement européen, d’une Commission d’Enquête sur la circulation des armes à destination des forces négatives sur le continent, telles que les forces dites rebelles de l’Est de la RDC (les FDLR Forces dites « hutues » ; les forces issues du CNDP-M23 ; ADF-NALU de l’Ouganda ; les Mbororo), les mouvements militaro-religieux sectaires ( Boko Haram, Armée de Résistance du Seigneur ) ; etc. Proposition 2.2 : contre la pauvreté et ses conséquences (maladie, famine, insécurité alimentaire) La maladie, la famine, l’insécurité et la pauvreté. Ces quatre facteurs sont parmi les plus importantes causes d’émigration des jeunes enfants comme Yaguine & Fodé. La pauvreté étant la cause-clé qui entraîne généralement l’émergence des autres facteurs. Une lutte véritable contre les causes et non seulement les symptômes de la pauvreté, avec des résultats tangibles et mesurables, est l’une des principales réponses que les pouvoirs compétents tant nationaux qu’internationaux doivent apporter aux demandes de Yaguine & Fodé. Le reste, en général, n’en est que la conséquence. La pauvreté demeure l’obstacle majeur à l’accès et au maintien des enfants africains à l’école ; selon l’UNESCO, la pauvreté explique 45% des abandons scolaires.


pour une mémoire opérationelle de yaguine et fodé Sans présumer de l’inventivité des différents pouvoirs publics concernés, ni préjuger des résultats des politiques en cours de lutte contre la pauvreté, il est évident que la pauvreté ne fait qu’augmenter en Afrique, et que l’IDH ou mieux, l’indice de bien être diminue. Dans un article paru le 07 juillet 2014 sur le rapport annuel publié par l’ONU, il est clairement indiqué que l’Afrique subsaharienne est loin d’atteindre les objectifs du millénaire pour le développement à l’échéance de 2015 : « L'Afrique subsaharienne apparaît bien isolée dans le rapport de l'ONU […]. C'est la seule région du monde qui voit augmenter régulièrement l'extrême pauvreté sur son sol. Plus de 410 millions d'Africains y vivent encore avec moins de 1,25 dollar par jour quand ils n'étaient que 290 millions en 1990. La faim a tendance à reculer, mais la sous-alimentation progresse pour certaines catégories comme les jeunes enfants.” La Plateforme pour la Mémoire de Yaguine & Fodé recommande donc : • que les budgets affectés à la coopération militaires soient très significativement réduits ; • de renforcer le rôle de la société civile africaine comme acteur décisif de la jouissance des droits humains par les populations concernées, notamment en renforçant sa capacité à mener des plaidoyers auprès des autorités publiques pour qu’elles assument leurs responsabilités ; • d’investir dans l’appropriation des initiatives de relance socioéconomique par les acteurs locaux et le renforcement de leur capacité à concevoir, réaliser et gérer des projets d’investissement ; • aux autorités tant locales qu’étrangères, de veiller à ce que les sociétés et entreprises privées opérant sur le continent paient des impôts adéquats aux gouvernements locaux et/ou respectent strictement le pacte mondial de la Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE) en contribuant effectivement à l’amélioration de la qualité de vie des populations et au renfrocement du capital humain local ; • un renforcement du capital humain local, notamment par l’amélioration des services sociaux ; • que sur le plan de la lutte contre la famine et l’insécurité alimentaire, les accords de partenariats économiques soient revus pour y intégrer comme priorités le développement de l’agriculture vivrière et le développement de la commercialisation des produits vivriers à travers toute l’Afrique, ainsi que le soutien à la mise en place de jardins scolaires avec des plantes à haute valeur nutritive et des plantes médicinales permettant de lutter à grande échelle contre les pandémies dominantes ; • sur le plan médical, de créer et renforcer un système de coopération médicale intégrant une forte proportion de professionnels de la santé issus de la diaspora africaine et exerçant en Europe ; d’accélérer la mise en place de traitement à base des médecines traditionnelles notamment par l’adoption des méthodes basées sur les observations du terrain (evidencebased medicine – reverse pharmacology).

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Proposition 2.3 : pour le respect des droits de l’enfant, l’enseignement et la prise en charge éducationnelle des enfants et des jeunes Le respect des droits de l’enfant est perçu ici entre autres par rapport au travail précoce, à la guerre et aux sévices sexuels. Dans beaucoup des pays d’Afrique, nombre d’enfants et de jeunes travaillent au lieu d’aller à l’école. On citera par exemple les enfants retenus par les travaux agricoles nécessaires à la survie des familles rurales, ceux travaillant dans des entreprises et les filles chargées des tâches ménagères dans leur propre famille. A ceux-là s’ajoutent les jeunes travaillant comme domestiques et n’ayant donc pas accès à un enseignement primaire complet, dont le nombre reste inconnu. Les estimations actuellent indiquent que leur nombre atteint des centaines de millier sur le continent dont la moitié est sans doute analphabète ou néo-analphabète. Ils restent largement ignorés des autorités. Les distances excessives à parcourir pour parvenir aux rares écoles dans les zones rurales et la cherté des équipements scolaires contribuent à l’exclusion de beaucoup de jeunes enfants de l’accès à l’enseignement. Seuls 18% des enfants africains ont accès à une initiation préscolaire officielle, en comparaison à une moyenne mondiale de 50% et 85% dans les pays développés, en 2011. Trente millions d’enfants en âge d’être scolarisés en primaire en Afrique ne le sont pas, soit 96% des enfants non scolarisés dans le monde. En moyenne, seuls 2/3 des enfants africains qui entrent en première année de primaire terminent le cycle. Le taux de transition vers le secondaire est lui aussi insuffisant : seuls 70% des élèves arrivés en fin de primaire accèdent au secondaire. En 2011, le nombre d’adolescents non scolarisés était estimé à 12 millions en Afrique. Le nombre de jeunes africains illettrés continue d’augmenter au rythme effrayant de plus d’1 million de jeunes par an. Le phénomène des enfants-soldats est un fléau qui perdure sur le continent africain et nécessite une sérieuse prise en charge. Bien que la Cour pénale internationale (CPI) condamne cette pratique en tant que crime de guerre, à ce jour, aucun système de sanctions efficace ne touche les pays impliqués. Aussi une telle exploitation des enfants continue-t-elle de se faire en toute impunité, au mépris des règles de droit international et du droit des enfants. Des garçons et des filles (40%) sont recrutés en vue de combattre ou d’être utilisés à des fins sexuelles ou comme espions, messagers, porteurs ou domestiques. Certains doivent également poser ou enlever des mines terrestres. Le continent africain compte le nombre le plus important d'enfants soldats, actuellement estimé à environ 350 000 enfants dont certains âgés d'à peine neuf ans. La Plateforme recommande fermement de : • soutenir une croissance économique équitable et inclusive, pour que les familles pauvres acquièrent les moyens de scolariser leurs enfants et de survivre sans dépendre de l’apport en main d’œuvre de ceux-ci ;


pour une mémoire opérationelle de yaguine et fodé • faire appliquer avec plus de rigueurs les lois interdisant le travail aux enfants de moins de 14 ou 16 ans, selon les législations nationales. Cette norme doit aussi être appliquée aux nombreux enfants retenus par les travaux agricoles nécessaires à la survie des familles rurales et aussi surtout aux filles chargées des tâches ménagères dans leur propre famille ; • mener un plaidoyer auprès des gouvernements africains pour qu’ils investissent suffisamment dans l’éducation et surtout l’éducation de base (initiation préscolaire, enseignement officiel primaire, alphabétisation fonctionnelle des jeunes) ; • appliquer la gratuité de l’enseignement de base afin de stimuler les parents à envoyer leurs enfants - filles comme garçons - à l’école ; • infliger des peines dissuasives à toute personne qui recrute des enfants comme soldats et renforcer les programmes de réinsertion des enfants- soldats par un accompagnement spécialisé. ________________________________________

Signataires du Mémorandum Plateforme Mémoire de Yaguine & Fodé • • • • • • • • •

Fonds Message de Yaguine et Fodé African Axis Cercle Yaguine et Fodé Conseil des Communautés Africaines en Belgique (CCAEB) Djigui asbl IDAY-International aisbl Union des Femmes Africaines Raffia Syngeries Les petits anges de Guinée

Autres plateformes et associations • • • • • • • • • • • • • •

le Collectif Mémoire coloniale le Collectif des Femmes Congolaises pour la Paix et la Justice, la Ligue des Femmes Kasayiennes, SHARE, Forum des associations des Migrants le Réseau des femmes migrantes et d’origines étrangères (ReFi-oe asbl) l’Observatoire Négrophobie La plate forme des organisations africaines d’Anvers. Forum des Asssociations de Solidarité Internationale (FASI) Moja (Conseil Général des Africains en Belgique) EDUCAID CongoForum Lingeer asbl Sénégalaises de Belgique et Ami-e-s RVDAGE/VI Mayera pour l’enfance

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contact

Oscar Kombila Cercle de Yaguine et FodĂŠ 0476/87 35 42 okombila@hotmail.com

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