Expresso 07

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Expresso

17 01 2019

quotidien du master de journalisme de l’ institut français de presse - promo 2020

L’essentiel FRANCE

P.2

Sénat : l’Elysée charge Benalla

# 07

Le président prend de vitesse son Premier ministre sur les 80km/h

Macron reprend les manettes

n Face aux sénateurs,

Patrick Strzoda, chef de cabinet d’Emmanuel Macron, a accusé Alexandre Benalla d’avoir utilisé de faux documents de l’Elysée.

INTERNATIONAL

P.4

L’UE se prépare à un Brexit dur

n Le rejet de l’accord de sortie par le Parlement britannique inquiète les Européens, qui n’envisagent pas de renégocier le texte.

SOCIETE

P.6

Pourquoi faisonsnous moins d’enfants ?

n Depuis quatre ans, le taux de natalité baisse en France. Les raisons financières, écologiques et sociales sont nombreuses.

CULTURE

P.8

Colette, biopic sans aspérités

n Wash Westmoreland

vise à côté de sa cible avec un portrait lisse de l’écrivaine Colette.

PORTRAIT

P.10

Katelyn Ohashi, gymnaste qui enflamme la toile

n Retour sur le parcours

de celle qui est devenue un véritable phénomène mondial après une performance endiablée.

Emmanuel Macron a remis sur la table la réforme des 80km/h présentée par son Premier ministre (Service presse Renault)

n Dans le cadre du grand débat une remise en question du passage

national lancé mardi, Emmanuel Macron a tenté de renouer le dialogue avec les élus locaux. Il a annoncé, au risque de désavouer son Premier ministre Edouard Philippe,

à 80km/h sur les routes secondaires. Une première concession face à une mesure qui avait suscité un grand mécontentement parmi la population. Page 2


FRANCE ROUTES La limitation de vitesse au coeur du grand débat national

Les 80 km/h, première concession d’Emmanuel Macron n Ouvert à des aménagements sur les 80 km/h, Emmanuel Macron se rapproche des élus locaux au risque de désavouer son Premier ministre.

C

’est le principal challenge du moment pour le président de la République : renouer le dialogue avec les élus locaux pour tenter de trouver une sortie de crise des « gilets jaunes ». Et cela passe par un geste, une concession. A l’occasion du lancement du grand débat national, Emmanuel Macron a, devant près de 600 maires de l’Eure, annoncé de possibles Le gouvernement pourrait aménager la limitation à 80 km/h. (SB/ « aménagements » pour faire AFP) en sorte que la limitation de la vitesse à 80 km/h sur les routes secondaires soit « mieux ac- nement. Edouard Philippe dé- Ouvert au dialogue ceptée » et plus efficace, au fend ardemment cette mesure Prudent, le chef de l’Etat ne risque de désavouer publique- depuis ses débuts car c’est lui s’est pas prononcé pour une ment son Premier ministre. qui est à l’initiative de ce dé- annulation de la mesure mais « Il faut ensemble que l’on cret. Droit dans ses bottes, il a sur sa modulation : dans le trouve une manière plus intel- toujours balayé d’un revers de cadre d’une autonomie locale ligente de [la] mettre en œuvre. main l’idée de possibles agen- renforcée, les élus locaux Il n’y a pas de dogme » , a cements locaux réclamés no- choisiraient quelles départeexpliqué le chef de l’Etat, de- tamment par des présidents de mentales doivent ou non pasbout au milieu d’un parterre de conseils départementaux mais ser au 80 km/h. « Il faut faire maires. aussi des députés de la majo- confiance aux territoires, aux Si l’annonce a été bien reçue rité. Il espère que les chiffres élus locaux, aux préfets pour par les acteurs locaux et les de la sécurité routière prévus à faire du cas par cas », plaide associations d’automobilistes, la fin du mois de janvier vien- le député LREM de Gironde elle pourrait cependant contra- dront démontrer la pertinence Benoit Simian. Et d’ajouter : « rier le numéro un du gouver- de la mesure. Infléchir des décisions contes-

tées par le plus grand nombre, c’est tout simplement mettre de l’huile dans les rouages de notre démocratie ». Après l’intervention présidentielle, Matignon a modéré sa position : « Il n’y a aucun débat interdit, on peut parler de tout, y compris des 80 km/h », ont réagit les proches du Premier ministre. L’inflexion n’a pas échappé aux membres de son ancien parti. « J’avais prévenu le Premier ministre, nous sommes là pour vous aider, pas pour vous enfoncer. Il ne m’a pas cru. Aujourd’hui, c’est lui qui se retrouve vraiment affaibli par le président », constate Michel Raison, sénateur LR de HauteSaône, également défenseur d’un 80 km/h « décentralisé » au cas par cas. De fait, en se montrant ouvert au dialogue, le Président affirme que c’est lui qui a le dernier mot au sein de l’exécutif. « Emmanuel Macron peut d’autant plus facilement reculer sur les 80 km/h qu’il avait exprimé des doutes en off et laissé son Premier ministre porter quasiment seul la mesure », observe la politologue Chloé Morin. Le président le fait cependant avec suffisamment de doigté pour que le Premier ministre n’en fasse pas un casus belli. o Valentin Cebron

POLITIQUE Le président de la République défend son quinquennat

Le grand débat, exercice inédit pour Emmanuel Macron n Emmanuel Macron change

de méthode. Mardi soir à GrandBourgtheroulde (Eure), après sept heures de débat au milieu de 600 maires normands réunis dans un hangar transformé pour l’occasion en agora, le chef de l’état a lancé : « la République c’est nous ». Et franchi, salué par une standing-ovation à l’issue de l’échange, la première étape du grand débat national mis en place par l’exécutif pour tenter de sortir de la crise des « gilets jaunes ». L’exercice est inédit. L’image du président en bras de chemise entouré d’élus en écharpe tricolore est saisissante parce qu’elle contraste radicalement avec celle du Macron jupitérien du début de quinquennat. Fini, la présidence verticale ! C’est en tous cas le message qu’a souhaité faire passer Emmanuel Macron, en se

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(LM/AFP)

laissant encercler le temps d’une soirée par des élus locaux pour répondre à leurs questions. «Acte II»

Pour que la mise en scène réussisse, il fallait que les maires jouent le jeu, qu’ils acceptent de participer à cette scène de réconciliation entre le président et le peuple. Avaient-ils vraiment le choix ? Ils ont, depuis le début

du quinquennat, si souvent protesté contre un président qui les délaisse qu’ils ne pouvaient, sous peine de se voir reprocher l’incohérence ou le refus du dialogue démocratique, se passer du grand débat. C’est aussi l’occasion pour eux de montrer à leurs administrés, de plus en plus méfiants vis à vis de leurs représentants, qu’ils peuvent être leurs portes-paroles, porter leurs revendications, interpeller sans crainte le chef de l’Etat sur des mesures aussi impopulaires que la suppression de l’impôt sur la fortune (ISF) et le passage aux 80 km/h. Emmanuel Macron de son côté veut montrer qu’il n’est pas en déconnexion vis à vis du pays, comme on le lui a souvent reproché. « Nous pouvons faire du moment que traverse la France

une chance », a-t-il souhaité dans l’espoir de relancer son quinquennat. Mais si au cours des échanges le président a tombé la veste de son costume, il ne l’a pas pour autant retournée. Certes, une concession, et non des moindres, à été envisagée pendant le débat à GrandBourgtheroulde sur les 80 km/h. Mais pas question de revenir sur l’ISF ou sur la « flat tax », autre mesure sujette au mécontentement. L’executif veut bien dialoguer, changer de méthode, mais surtout pas changer de cap. En a-t-il les moyens ? Dans les sondages, le mouvement des « gilets jaunes » reste toujours populaire, majoritairement soutenu par les Français. Le rapport de force entre la base et les sommets ne fait que commencer. o Lola Scandella


FRANCE BENALLA Nouvelles révélations lors d’une audition du Sénat

L’Elysée charge Alexandre Benalla n Affaire Benalla Acte II. Devant les sénateurs mercredi, le directeur de cabinet d’Emmanuel Macron, Patrick Strzoda, a accusé Alexandre Benalla de s’être procuré un passeport dit « de service » illégalement. « Pour l’obtenir, M. Benalla a adressé au ministère de l’intérieur une note dactylographiée à entête du chef de cabinet, et non signée de façon manuscrite », a déclaré M. Strzoda avant d’annoncer que l’Élysée avait saisi le procureur de la République de Paris. « Ce dont je suis sûr, c’est que le document utilisé par Alexandre Benalla pour obtenir un passeport de service est un faux », a conclu le chef de cabinet. La commission d’enquête sénatoriale a procédé à de nouvelles auditions mercredi après les révélations de la presse indiquant qu’Alexandre Benalla avait accompli plusieurs voyages dans des pays africains en utilisant des pas-

Alexandre Benalla devant l’Elysée (PR/AFP)

seports diplomatiques alors même qu’il avait été limogé par l’Elysée. Les sénateurs ont également entendu dans ce

cadre le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner et le ministre des Affaires Étrangères, Jean-Yves Le Drian. Selon le

EDUCATION Les syndicats s’opposent aux nouvelles mesures

Les évaluations de la discorde nLancées en septembre pour

de tendre vers une « école plus équitable ».

plus de 1,6 million d’écoliers de CP et de CE1, les évaluations en mathématiques et en français ont été fortement critiquées par les syndicats d’enseignants. Ils proposent de les boycotter et demandent leur suppression. 11h30, mercredi. Fin de la journée scolaire pour les élèves de l’école élémentaire Madame, dans le 6ème arrondissement de Paris. Un quartier huppé, où nounous, grands-parents et parents pressés attendent les enfants. Vêtue d’un manteau violine et d’une queue de cheval stricte, Mila, une jeune élève de CP, accourt vers son grand frère qui patiente devant l’école. Pendant les évaluations de septembre, elle n’a rencontré aucun problème. Elle indique même qu’elles « étaient faciles ». La petite fille renchérie, sous le regard approbateur de son frère : « je savais déjà lire à la rentrée ». Les élèves de l’école Madame ne connaissent pas de grosses difficultés scolaires. Ils sont issus pour la plupart d’une classe sociale aisée. Venue chercher son petit-fils, Bernadette, une ancienne professeure des écoles de Limoges, affirme que «

Nouvelles évaluations pour les CP

Une classe de CP. (PR)

les évaluations ne servent à rien. » Elle avoue à demi-mot : « on fait des bilans, mais la prise en charge des élèves n’existe pas. On ne nous donne pas les moyens. Ceux qui proposent ces choses ne connaissent pas la réalité de ceux d’en bas. » Une femme, qui attend elle aussi, lui coupe la parole. Cadre au ministère, elle soutient Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Education nationale, qui a expliqué sur France Info que les évaluations sont là « pour hausser le niveau des élèves ». « Ces évaluations sont plus que nécessaires, elles sont indispensables pour connaitre les lacunes de chaque enfant », indique-t-elle. Convaincue, elle note une différence significative entre les quartiers difficiles et ce type d’école. Pour elle, les mesures du ministre permettent

En Seine-Saint-Denis, Nabil ben Yedder, directeur de l’école Apollinaire de Stains, explique à Café Pédagogique, qu’ « il faut éviter les ruptures dans la scolarité de l’élève. En arrivant en CP, il a encore besoin d’être rassuré, materné ». Pour son équipe enseignante, « les résultats n’étaient pas réalistes et n’étaient pas représentatifs du niveau des élèves, certains ayant un très bon niveau mais étant très stressés ont été mis dans le groupe des « élèves à besoin » alors qu’ils ne le sont pas du tout ». Idem pour les syndicats d’enseignants. Ils ont signé, mardi, une lettre demandant « l’abandon » des évaluations. Elles « sont inadaptées aux jeunes élèves de CP et sont facteur de stress », ajoutent-ils. Malgré le constat « de dysfonctionnements » par certains professeurs des écoles, Jean-Michel Blanquer refuse de revenir sur cette mesure. Les CP plancheront donc sur la deuxième salve d’évaluations le 21 janvier. o Mélanie Costa

directeur de cabinet d’Emmanuel Macron, Alexandre Benalla a utilisé ces documents « une vingtaine de fois entre le 1 août et le 31 décembre 2018 ». Le Canard Enchainé a également révélé l’existence d’un téléphone crypté. Sur ce sujet, M. Strzoda a assuré que l’appareil « n’avait pas été utilisé depuis le 20 octobre ». Il a cependant reconnu « des dysfonctionnements ou des manques de réactivité » au sein de l’Élysée. L’audition de Patrick Strzoda affaiblit fortement la défense d’Alexandre Benalla. L’ancien chargé de mission d’Emmanuel Macron avait affirmé jusqu’à présent que les documents et le matériel mis à sa disposition par l’Élysée étaient restés dans son bureau lorsqu’il a quitté ses fonctions. Il sera entendu par le Sénat lundi, tout comme le gendarme réserviste salarié de LREM, Vincent Crase. o Romain Phillips

en bref

Flash-ball : Rappel à l’ordre du directeur de la police n Des forces à l’ordre rap-

pelées à l’ordre, un comble. D’après France 3, le préfet Eric Morvan demande, dans un télégramme envoyé le mardi 15 janvier, au policiers « de veiller rigoureusement au respect des conditions opérationnelles » des flash-ball. Controversée, cette arme a priori non létale, a fait de nombreux blessés pendant les manifestations des « gilets jaunes ». « Le tireur ne doit viser exclusivement que le torse ainsi que les membres supérieurs ou inférieurs », a-t-il précisé. Et de d’appeler au « respect très strict des dispositions contenues dans ce message »

Claude Guéant condamné à de la prison ferme n L’ancien homme d’état a

vu rejeté mercredi son pourvoi en cassation dans l’affaire des primes en liquide du ministère de l’Intérieur. Il a été condamné à deux ans d’emprisonnement.

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international BREXIT Theresa May a trois jours pour trouver un plan B

Les Européens espèrent pouvoir éviter un Brexit dur

n Par 432 voix contre 202, les députés britanniques ont massivement rejeté mardi soir l’accord de sortie de l’UE présenté par Theresa May. L’Union européenne et ses États membres craignent alors une sortie brutale du Royaume-Uni.

L

e scénario catastrophe s’est concrétisé. Après le rejet attendu de l’accord sur le Brexit par le Parlement britannique, la menace d’un « no deal » plane sur les parties négociatrices. Pour éviter cette issue redoutée de tous, Theresa May a jusqu’à lundi pour trouver un « plan B ». La Première ministre pourrait tenter de sauver sa peau en proposant de négocier un nouvel accord à Bruxelles, ou en demandant un report de la date-butoir du 29 mars pour la sortie de l’UE. À défaut, le Brexit prendrait la voie d’un divorce sans accord. En attendant, Theresa May devra affronter la motion de défiance déposée contre son gouvernement par Jérémy Corbyn, le leader du parti travailliste. Si la manoeuvre a peu de chance d’aboutir, elle constitue pour la dirigeante britannique une énième humiliation dans son parcours vers la sortie de l’UE. Cette situation est loin de rassurer ses homologues européens, qui estiment que c’est à

L’incertitude règne sur le devenir du Brexit. (Reuters)

Londres de conjurer un Brexit sans accord. « J’invite instamment le Royaume-Uni à clarifier ses intentions dès que possible. Il ne reste plus beaucoup de temps », a déclaré le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker, qui juge que l’accord actuel est la « seule solution pour garantir un retrait ordonné du Royaume-Uni de l’Union européenne ». Les dirigeants des États membres semblent en effet faire bloc contre une modification des 600 pages du « traité de retrait » négocié pendant dix-sept mois avec le gouvernement britannique. Emmanuel Macron affirme que « la pression est du côté » du Royaume-

Uni, alors que Benjamin Griveaux certifie que le texte « n’est pas renégociable ». Une déclaration soutenue par Charles Michel, le Premier ministre belge, qui assure que pour les 27 membres de l’UE, l’accord sur la table est « le seul possible ». L’UE se prépare déjà au « hard Brexit » Face à la perspective d’une sortie de l’UE sans accord, l’inquiétude des Européens s’est accrue. Exprimant ses « regrets » suite au rejet du texte par le Parlement britannique, Michel Barnier, négociateur en chef de l’Union, a déclaré que « notre résolution est d’éviter

un tel scénario, mais nous avons la responsabilité d’être lucide ». Une crainte qui semble avoir poussé les dirigeants européens à anticiper les conséquences d’une séparation sans accord. L’Elysée a en effet indiqué vouloir intensifier les préparatifs relatifs au scénario d’un « no deal ». Jeudi matin, le Premier ministre Édouard Philippe réunira d’ailleurs « les principaux ministres concernés pour faire le point sur les préparatifs et les accélérer ». L’UE ne compte donc pas se laisser déborder par le scénario du pire. Et ça tombe bien, selon le Times, elle serait prête à reporter à 2020 la date du Brexit. o Julie Radix

Les expatriés dans l’expectative n Ils seraient environ 400

000 selon les chiffres du Quai d’Orsay. Les Britanniques installés en France, pas vraiment surpris par le vote du Parlement lundi soir, se bousculent pour organiser leur avenir, avec une carte de séjour ou une nouvelle nationalité. Le long de la Seine, sous l’ombre protectrice de Notre-Dame, en contrebas, dans les ruelles du quartier latin, jusqu’aux abords des grilles vertes du Jardin du Luxembourg, s’étalent les pubs, salons de thé et librairies anglaises. Les anglophones y retrouvent l’accent de leurs racines, les éclats de voix et le choc des chopes de bières sur les

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tables en bois des bars, la saveur des thés dans un fauteuil rose poudré ou les premières de couverture orange, blanc et noir des Penguin Books. Charlotte Lindley est attablée autour d’un « fish and chips » aux Corcorans. Vivant en France depuis six ans, elle commence les démarches pour obtenir la nationalité française : « Si les allers-retours deviennent difficiles et qu’il y a un choix à faire, je resterai en France », soutient-elle. Le Brexit a divisé sa famille, comme partout dans le pays. Sa mère qui avait voté « leave » regrette aujourd’hui son choix, mais « malheureusement c’était un référendum, pas un sondage » soupire sa fille. Derrière le

comptoir du Moose, Andy ne discute plus du Brexit avec les clients, le sujet est trop délicat. Il en va de même avec sa famille restée en Angleterre. « Evidemment c’est facile de juger pour ceux qui vivent en France mais là il faudra dix ans pour que le Royaume-Uni s’en sorte, entre temps que va-t-il se passer ? », se soucie-t-il. Andy répugne à demander la nationalité française alors qu’il y réside depuis vingt ans : « trop de paperasse ». Charlotte Mason, étudiante, se contentera elle aussi d’un titre de séjour. « Je suis optimiste, il y a tellement d’Anglais en France et inversement que nous sommes la priorité des gouvernements français et britannique », es-

père-t-elle. Pour Catherine Bennett, journaliste, le passeport est un incontournable. « Si je ne l’obtiens pas, s’alarme-t-elle, je peux dire adieu à mes contrats en Belgique, à ma liberté de mouvement en Europe et à mon identité – précieuse – européenne ». Pénélope Fletcher, libraire au Red Wheelbarrow se range à son avis et aspire surtout à pouvoir voter aux prochaines élections françaises. « Je m’inquiète plus pour le futur de la France que celui du RoyaumeUni. Il faut lutter contre les populismes et les extrêmes, s’insurge-t-elle, ne pas reproduire le schéma du Brexit ». o Marion Bellal


INTERNATIONAL BRESIL Le président applique son programme radical

Bolsonaro, toujours plus loin

J

air Bolsonaro passe à l’action. Le président du Brésil a signé mardi un décret qui facilite la détention d’arme à feu à domicile. Selon lui, il doit permettre « aux gens biens d’être en sécurité chez eux ». Le président a déjà l’intention d’aller plus loin, même si pour cela il doit convaincre le Parlement. Cette mesure était une promesse du chef d’état qui a fait de la sécurité une priorité. Durant sa campagne, le président avait aussi promis de ne « pas céder un centimètre de territoires aux tribus indiennes ». Le 2 janvier, quelques heures après son investiture, il a ordonné la démarcation des terres indigènes. Jair Bolsonaro a aussi retiré la question LGBT des préoccupations du gouvernement. Pendant sa campagne, il n’avait pourtant annoncé aucune mesure contre cette communauté. Il avait même assuré que « les homosexuels seraient heureux avec lui comme président ». Une déclaration qui apparait aujourd’hui seulement comme un moyen de camoufler l’image d’homophobe qui lui colle à la peau depuis qu’il a déclaré qu’il « ne pourrait pas aimer un fils homosexuel » et qu’il préférerait « le voir mourir dans un accident ».

tion du constructeur automobile français pourrait se tenir dimanche, alors que son PDG est toujours en détention au Japon. Le tribunal de Tokyo a rejeté mardi la demande de libération sous caution de Carlos Ghosn, estimant qu’il existait un risque de destruction de preuves. Le franco-libanais est inculpé pour des malversations financières dans les rapports boursiers de Nissan entre 2015 et 2018.

Bolsonaro après avoir signé le décret qui assouplit le port d’arme au Brésil. (Marcelo Camargo/Agência Brasil) Le naturel revient au galop

L’homme est aussi réputé misogyne après de nombreux dérapages. S’il applique son programme, il pourrait bientôt retoquer une loi qui alourdit les peines pour les féminicides. Fervent croyant, il défend « l’Etat chrétien » et invite ceux qui ne sont pas d’accord à partir. Son slogan : « le Brésil au dessus de tout, Dieu au dessus de tous ». Un crédo qui d’après plusieurs spécialistes s’inspire de celui utilisé par l’Allemagne

nazie. Une affirmation crédible concernant cet admirateur des régimes dictatoriaux qui déclarait en 1993, « je suis en faveur d’une dictature, un régime d’exception ». Maintenant élu, Bolsonaro souhaite un « grand nettoyage du pays des marginaux rouges ». Ses opposants de gauche qui devront quitter le pays ou aller en prison. De l’armée, l’ancien capitaine de n’a pas conservé que son goût pour les armes. o Coline Chauffard

Des centaines de candidats au départ se rassemblaient mercredi dans la ville de San Pedro Sula, au Honduras, en vue de former une « caravane » à destination des États-Unis. Répondant à un message sur les réseaux sociaux, une première colonne de plus d’un demimillier de personnes s’est déjà constituée. Ils fuient la pauvreté et le manque d’emplois explique Darwin Omar Reyes à l’AFP, âgé de 19 ans : « Dans ce pays, il n’y a rien : seulement du chômage, de la corruption, de la violence, du racket ». Donald Trump ne cesse de réclamer la construction d’un mur à la frontière mexicaine et s’attend à une colonne « plus

grande que tout ce qu’on a vu ». 5 900 soldats sont actuellement déployés à la frontière pour soutenir les douaniers. Le ministre américain de la Défense (par intérim), vient d’ailleurs de prolonger leur présence jusqu’à septembre. Mais ce délai intervient alors que l’opposition entre le Président et la majorité démocrate entraîne le shutdown le plus long de l’histoire américaine, laissant présager une évolution dans les prochains jours. Entre-temps, des représentants du Salvador, du Guatemala, du Honduras et du Mexique ont négocié mardi à San Salvador un plan d’assistance aux migrants avec l’ONU. Le Mexique a de son côté indiqué monter un camp d’accueil près de la frontière guatémaltèque, mais a prévenu qu’il allait investir dans

L’enquête russe n’est « pas une chasse aux sorcières », dit William Barr n Le Sénat américain a com-

mencé à auditionner William Barr, candidat désigné par Donald Trump en vue de confirmer sa nomination au poste de ministre de la Justice. Contre toute attente, dès l’ouverture des débats William Barr s’est engagé à protéger l’enquête sur les ingérences russes de la campagne de 2016 et s’est défendu de toute complaisance vis-à-vis de Donald Trump.

Soupçons de corruption autour de l’ancien président mexicain n El Chapo aurait versé 100

Un millier de migrants on the road migrants se forme au Honduras pour aller aux Etats-Unis.

Bientôt un successeur à Carlos Ghosn n Un conseil d’administra-

HONDURAS Le pays d’Amérique centrale agit dans l’urgence

n Une nouvelle caravane de

EN BREF

millions de dollars de pot-devin à l’ex-président mexicain Pena Nieto, selon un témoin. Pour la première fois depuis le début du procès du narcotrafiquant mexicain, un témoin implique directement Pena Nito. Son ancien chef de cabinet a immédiatement démenti l’information. El Chapo, extradé aux EtatsUnis en janvier 2017, risque la perpétuité.

L’AfD menacée d’être surveillée n Les services de renseigne1200 migrants se dirigent vers les Etats-Unis (J.Cabrera/Reuters)

la sécurité de la sienne pour empêcher les entrées en force sur son territoire. La police guatémaltèque a activé, quant à elle, un plan « pour assurer la protection des droits humains des migrants ». o Eloi Thiboud

ment allemands ont mis en garde mardi le parti d’extrême droite AfD contre un placement «sous surveillance» du fait notamment des discours extrémistes de certains de ses membres. Une enquête s’organisera pour tenter d’établir les liens éventuels de membres de l’AfD avec l’extrême droite radicale et les milieux néonazis.

JEUDI 17 JANVIER- EXPRESSO - 05


ECO/CONSO SOCIETE La fécondité baisse pour la quatrième année consécutive

Les Françaises font moins d’enfants n Pour la quatrième année consécutive, la fécondité des femmes françaises est en baisse, pointe le bilan démographique 2018 publié mardi par l’Insee. Redoutant ce qui les attend ou souhaitant vivre libres, les Françaises passent de moins en moins par la maternité.

s’inscrire dans ce mouvement, Marie-Caroline Royet, journaliste de 24 ans, estime penser à son prochain en refusant d’être mère contrairement à ce qui est couramment reproché aux sansenfants : « je trouve cela égoïste de vouloir des enfants dans un monde qui mélange guerres, pauvreté et un environnement de plus en plus sale. Quel avenir donnerais-je à mon enfant si j’en avais un ? », s’interroge-telle.

E

n 2016, la France faisait figure d’exception en Europe. Elle était le pays à la fécondité la plus élevée en Europe, avec en moyenne 1,92 enfant par femme. Mais le retournement amorcé il y a quatre ans se confirme : selon le bilan démographique 2018 de l’Insee, la fécondité continue de baisser, atteignant 1,87 enfant par femme. Ce déclin s’explique par la conjonction de plusieurs facteurs, au premier rang desquels l’évolution de la politique familiale et un nouveau rapport à l’avenir. « La baisse - qui s’amorce depuis 2015 - s’explique par le fait que les décisions les plus importantes de remise en cause des politiques familiales ont été prises en 2014 », avance le géographe et démographe Jean-François Dumont. La diminution du complément de mode de garde, le report à plusieurs reprises du plafonne-

Une aire de jeux... sans enfants (Pixabay)

ment des allocations familiales (supprimées à des familles parfois pour quelques centimes) et la baisse des dotations aux collectivités territoriales (suspendant ainsi la création de crèches ou de relais d’assistantes maternelles) précarisent les parents et entraînent une « perte de confiance » des Français, d’après le chercheur.

La crise écologique n’y est peut-être pas pour rien. Pour sauver la planète, le mouvement Green Inclination, No Kids (« engagement vert, pas d’enfants ») vante le fait de ne plus faire d’enfant. Créé par l’éditorialiste écolo-féministe Lisa Hymas, il revendique surtout de limiter la fécondité afin de réduire l’empreinte carbone. Sans

Ce qu’accoucher implique La parole des personnes qui ne veulent pas d’enfant se libère. Certaines femmes ne cachent plus avoir recours à la stérilisation, légale en France depuis 2001. D’autres ont choisi de partager leur expérience sur l’accouchement ou la grossesse sur les réseaux sociaux. Ainsi en est-il de Léa, 21 ans, blogueuse de “jenesuispasjoli” qui a récemment partagé sur Instagram une photo de ses vergetures après la naissance de son fils avec le #MonCorpsChéri. Marie-Caroline Royet conclut : « dans la conscience collective, femmes = mères potentielles. Jamais on ne voit l’homme sous ce prisme là. L’homme est un homme avant tout alors pourquoi pas la femme ? » o Armandine Castillon

ENVIRONNEMENT Un premier pas dans la bataille contre le glyphosate

Un tribunal lyonnais interdit le Roundup Pro 360 n C’est une première sur le territoire français. Le tribunal administratif de Lyon a demandé l’interdiction immédiate du Roundup Pro 360, herbicide produit à base de glyphosate et classé « cancérogène probable » par le Centre international de recherche sur le cancer (Circ). Le tribunal a estimé que l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation (Anses) a commis « une erreur d’appréciation » en validant ce produit. Même si l’Europe autorise les produits à base de glyphosate, les études scientifiques « montrent que le Roundup Pro 360 » - utilisé par les agriculteurs de cultures légumières, fruitières et de la vigne - est toxique pour la santé des utilisateurs. Cette décision a pu être rendue 06- EXpresso - jeudi 17 janvier

car il s’agit du dernier produit à avoir bénéficié d’une autorisation de mise sur le marché. C’est le Comité de recherche et d’information indépendantes sur le génie génétique (Criigen) qui a réclamé son retrait. L’avocate du Criigen, Corine Lepage, a qualifié cette victoire de « grande première qui doit être généralisée » à la dizaine de produits de la gamme Roundup. On ignore si l’Anses fera appel de cette décision. Créer un précédent en France, donner suite en Europe

La décision rendue par la justice prend effet immédiatement en France. « En conséquence, vente, distribution et utilisation du produit sont interdites », a réagi l’Anses. Alors que Corine Lepage estime que ce verdict

va permettre de « faire jurisprudence » du point de vue du droit, d’autres responsables appellent à une réponse politique. Pour l’ancienne ministre de l’écologie Delphine Batho, il faut que « le gouvernement » interdise « tous les produits à base de glyphosate ». Emmanuel Macron avait promis en 2017 la fin du glyphosate dans un délai de trois ans. Influence des lobbies

Problème, le chef de l’Etat français ne peut pas interdire le glyphosate lui-même. Cela relève du droit communautaire de l’Union européenne. En novembre 2017, les conclusions de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) et de l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA)

avaient conduit l’UE à renouveler son autorisation. Mais depuis, de nouveaux éléments sont intervenus, qui fragilisent sa position. Plusieurs eurodéputés de gauche et écologistes ont publié mardi une étude qui montre à quel point les lobbies tentent d’influencer le dossier. Ils y expliquent qu’un rapport des autorités sanitaires allemandes, réalisé à l’occasion du renouvellement de la licence du glyphosate en Europe, « recopie mot pour mot » des passages à la demande du géant de l’agrochimie Bayer-Monsanto, constituant un « plagiat orienté ». La France a donc gagné une bataille contre le Roundup Pro 360, mais pas encore celle contre le glyphosate en Europe. o Julien Gal


ECO/CONSO STREAMING Pour conforter son leadership

Netflix augmente ses tarifs pour rester le plus grand

I

l ne s’agit que d’un ou deux dollars par mois, mais la nouvelle a fait se dresser plus d’un sourcil outre-Atlantique : le tarif des abonnements à Netflix aux États-Unis, dans certains pays d’Amérique latine et des Caraïbes, vont passer de 7,99 à 8,99 dollars (de 7 à 8 euros) pour la formule d’entrée de gamme et de 13,99 à 15,99 dollars pour le tarif intermédiaire. Si Netflix continue de proposer une des offres les plus abordables du marché de la vidéo à la demande, ces quelques dollars en disent long sur la situation de la firme de Los Gatos. Netflix s’est taillé la part du lion dans un secteur hyperconcurrentiel : outre Amazon Prime et Hulu, le marché du streaming voit arriver en grandes pompes Disney+, Comcast et AT&T, mais aussi YouTube. « La concurrence arrive. Elle est énorme, et elle va s’intensifier », analyse l’enseignante-chercheuse en management stratégique Valérie Michaux. « Si Netflix est devant les autres aujourd’hui, c’est grâce aux risques qu’ils prennent en proposant des projets vraiment différents ». En 2018, la firme avait consacré à la production de 700 créations originales et de 80 longs métrages entre 8 et 12 milliards de dollars. Les chiffres

Un nouveau plan d’action pour Air France-KLM n Le nouveau PDG du groupe Air France-KLM Benjamin Smith a été auditionné au Sénat hier matin par la commission du Développement durable et de l’Aménagement du territoire pour présenter son plan d’action. Il annonce vouloir améliorer la marge de la compagnie en développant le haut de gamme afin que le groupe se place à la tête des transports aériens en France.

Péages : vers une réduction des coûts pour les trajets domicile-travail Le marché du streaming s’agrandit (MPHILLIPS007) exacts sont jalousement gardés secrets, sauf lorsqu’il s’agit de mettre en avant les réussites, comme les 45 millions de vues du film Birdbox. Marché américain saturé Si le géant, valorisé à 154 milliards de dollars, étend ses tentacules dans plus de 190 pays, ce sont ses 58 millions d’abonnés états-uniens qui représentent sa base la plus sûre et lucrative. Le marché américain arrivant à saturation, Netflix se trouve contraint d’augmenter le tarif de ses abonnements pour compenser l’essoufflement de la croissance de ses nouveaux abonnés. Tant qu’elle jouit d’une large avance sur ses concurrents,

la plateforme hégémonique peut se permettre d’habituer ses abonnés à payer plus sans craindre qu’ils n’aillent voir ailleurs. Une rumeur avançait récemment que la firme envisageait de mettre fin au partage de comptes, qui permet à plusieurs personnes d’accéder à la plateforme en ne payant qu’un seul abonnement. Si la nouvelle a été (à demi-mot) démentie, « ils ont tout intérêt à protéger leur ressource » estime Valérie Michaux. Le pari serait risqué, mais Netflix peut miser sur sa solide base de spectateurs fidèles - pour ne pas dire dépendants. o Nicolas Celnik

Le streaming musical sur le devant de la scène n Un rappeur a atteint le sommet du classement des ventes d’albums aux Etats-Unis, avec seulement 823 albums matériels écoulés.

L’âge d’or des disques est révolu. C’est ce que semble annoncer le succès fulgurant de « Hoodie SZN », un album de A Boogie Wit Da Hoodie. Ce rappeur de 23 ans, originaire du Bronx, a atteint la semaine dernière la première place du classement hebdomadaire Billboard, qui recense les albums les plus écoutés aux Etats-Unis. Un détail interpelle : il n’a écoulé que 823 copies physiques de son disque. Le gros de son succès, le rappeur le doit au streaming. Au total, le New-yorkais compte 83 millions d’écoutes, soit l’équi-

en bref

A Boogie Wit Da Hoodie (D. Valdez)

valent de 58 000 exemplaires, une première pour un album dématérialisé. Un nouveau mode de consommation musicale C’est en 2017 qu’a explosé l’utilisation des plateformes de streaming, gratuites comme

payantes. D’après le baromètre Snep/GFK, les revenus du streaming musical ont augmenté de 23% cette annéelà. Le streaming représente aujourd’hui 42% des revenus du marché de la musique. Le pari est donc réussi pour les plateformes comme Spotify et Deezer, qui ont su séduire et fidéliser un public important et varié. Les Français sont nombreux à accepter de payer pour écouter de la musique : les abonnements aux plateformes dégagent 83% des revenus du streaming et 35% de ceux du marché. Aujourd’hui, la musique est de moins en moins considérée comme un objet culturel matériel. Une nouvelle conception de la musique est née. o Marie Martirossian

n Face à la hausse des ta-

rifs de péages prévue le 1er février, des sociétés autoroutières (Vinci, Sanef, Eiffage) ont présenté à la ministre des transports Elisabeth Borne, des offres d’abonnements à tarifs préférentiels pour les usagers réguliers effectuant des trajets domicile-maison, qui seront étudiées dans les prochains jours

Apple peine à recharger ses batteries n Le géant de la Silicon Val-

ley aurait remplacé près de 11 millions de batterie d’Iphone en 2018 contre 1 à 2 millions en moyenne les années précédents. Le manque à gagner d’Apple serait d’environ 660 millions d’euros. Fin 2017, la compagnie avait été forcée d’admettre qu’il bridait volontairement les capacités des processeurs de certains iPhone suite aux nombreuses accusations d’obsolescence programmée.

Ivanka Trump ne sera présidente de la Banque mondiale

Ivanka Trump, fille et conseillère du président américain Donald Trump, va aider les Etats-Unis à choisir leur candidat à la présidence de la Banque mondiale pour succéder au démissionnaire Jim Yong Kim. Contrairement à ce qui a été annoncé, elle ne sera pas elle-même candidate a indiqué la Maison-Blanche dans un communiqué.

n

JEUDI 17 janvier- Expresso - 07


culture CINEMA Le biopic de Wash Westmoreland raconte une écrivaine sans aspérités

Colette, l’ennui plutôt que la vie

«C

’est la main qui tient la plume qui écrit l’Histoire », répète Colette à son mari Willy. La main de Wash Westmoreland, elle, n’a pas su raconter celle de la célèbre femme de lettres française. On s’ennuie devant un film trop long, américanisé et romancé à souhait, sans réelle intensité, diluant toute ardeur créatrice. Le pari, pourtant, aurait pu être réussi. La protagoniste est d’abord une actrice de choix. Keira Knightley incarne, comme dans Orgueils et préjugés, sensibilité, espièglerie et insoumission. Regard fier, boucles difficilement domptées, elle colle bien à l’image affranchie de Colette. Le parti, ensuite, de ne s’attacher qu’à une période de la vie de l’auteur : celle où, après son mariage avec Willy, Gabrielle devient Colette. La naissance de l’écrivain et l’émancipation d’une femme.

Mais, à aucun moment, on ne ressent avec assez de force cet accouchement douloureux, ni l’intensité de la création littéraire. Le sujet est abordé superficiellement, sans profondeur. L’élan qui pousse Colette à écrire se résume à l’amour qu’elle porte à Willy, entrepreneur littéraire de quatorze ans son aîné, tirant sa gloriole des écrits de nègres. Si c’est bien grâce à cet homme que la jeune femme se révèle comme écrivain, l’ombre du mari plane trop ostensiblement sur le film. Le réalisateur a négligé la flamme intérieure. Il se contente d’illustrer une émancipation féminine par une coupe à la garçonne et quelques scènes d’amours lesbiennes rappelant la bisexualité de Colette. Rien de complexe, ni de subversif. Tout semble convenu, léché. Le décor, même, impeccablement planté, ne suffit pas à nous plonger dans une vie dont les aspérités ont été lissées. Sans parler

MODE Le créateur qui en fait toujours plus

La machine Abloh n En pleine fashion week

homme, zoom sur le cas Virgil Abloh, créateur toucheà-tout qui n’en finit plus de produire.

Voilà bientôt un an que Virgil Abloh a été propulsé à la tête de Louis Vuitton homme. Bientôt un an que le créateur de 38 ans est devenu le « monsieur cool » du monde très strict des grandes maisons françaises. Sweats à capuche oversize, gilets d’inspiration pare-balles couleur néon et baskets taille XL, Virgil Abloh a su dépoussiérer ce bon vieux Louis. Et l’Américain, loin de s’essouffler après cet exploit, ne cesse de produire pour les millenials, désormais cible privilégiée des marques de luxe. Pour preuve, ses activités pullulent : il a lancé pas moins de 3 collections cette semaine. La première est un hommage à Jean-Michel Basquiat dans laquelle les vêtements et accessoires reprennent les oeuvres de l’artiste. Cette collection capsule a été créée par sa marque streetwear haut de gamme Off-White, laquelle a également lancé cette semaine une autre collaboration avec le site de mode masculine Mr Porter. 08 - EXpresso - JEUDI 17 janvier

Série Métamorpolis, 2011-2015 - Photo : Tim Franco

Intitulée “Modern Office”, elle s’attelle à redéfinir l’uniforme de travail. Rien que ça. La sortie prochaine de sa première collection de bijoux éponymes a également été annoncée il y a quelques jours. En marge de tout cela, le créateur a présenté hier son défilé homme OffWhite automne/hiver 2019. Une myriade de collections qui sous-entendent une masse de travail à en faire sombrer plus d’un dans un burn-out profond. A la tête de plus d’une dizaine de collections et de collaborations en 2018, le nouveau chouchou de la mode ne semble pas vouloir en faire moins pour 2019. Aujourd’hui le public se rue sur tout ce qu’il touche, reste désormais à savoir si son travail prolifique ne provoquera pas un ras-le-bol fashion d’ici peu. o Juliette Lenrouilly

Keira Knightley interprète Colette (Copyright Mars Films) de la langue anglaise qui ne peut retranscrire que grossièrement la réalité d’une femme de lettres française. La Colette anglo-américaine n’apparaît alors que comme une pâle copie de la vraie, jeune bourguignonne découvrant le Paris artistique de la Belle Epoque. On retrouve difficilement celle

que Jean Cocteau comparait à une “lionne”. Une femme obstinément anticonformiste, vivante, dont l’oeil vif colore avec justesse ses souvenirs. Un biopic somme toute décevant, même si on peut lui attribuer le mérite de mettre en lumière une écrivaine résolument moderne. o Chloé Martin

ARTS Mise en scène « Mobile/Immobile »

Explorer nos déplacements n Lancer un débat sur les mobilités. C’est ce qui a amené le think tank consacré à la mobilité du futur Forum Vies Mobiles à présenter l’exposition « Mobile/ Immobile » aux Archives nationales du 16 au 29 avril 2019.

Associant des chercheurs en sciences sociales à des artistes, elle vise à explorer les manifestations de cette mobilité de tous les jours et étudier les conséquences de son évolution sur nos rythmes de vie, l’aménagement du territoire ou encore les migrations. C’est par exemple ce que s’attache à faire Vincent Jarousseau dans une série de photos où il suit tous ces travailleurs mobiles. Dans un Nord de la France économiquement dévasté, il suit Tanguy, 20 ans, contraint d’accepter un emploi de chauffeur-livreur. Chaque nuit, il parcourt ainsi 500kms pour livrer du pain. Plus loin une BD met en scène une enquête sur les travailleurs hyper-mobiles. Entre ceux qui subissent cette « injonction à la mobilité » et d’autres qui ont trouvé leur bonheur dans la périurbani-

sation et l’immobilité territoriale l’exposition s’intéresse à la diversité des rapports aux déplacements. Entre l’éclatement de nos vies sociales, selon Laurent Proux, et l’utopie des néonomades, habitant des camions aménagés suivis par Ferjeux van der Stigghel, les nouvelles formes de mobilités ont transformé nos sociétés. Une mobilité source de liberté pour les uns et d’entraves pour les autres. Au travers de photos et vidéos, Ai Weiwei explore la mobilité « sous contrôle » des réfugiés en se penchant sur l’influence du téléphone portable sur leurs visions du monde qu’ils quittent et celui dans lequel ils sont précipités. Quand Marie Velardi et son horloge lunaire croît en la capacité des hommes du futur à ralentir et invite à la « décélération » d’autres se plongent dans la science-fiction. Le film « Sleep Dealer » imagine l’embauche de travailleurs mexicains exécutant leur tâche à distance aux EtatsUnis grâce à un système de réalité virtuelle. Comme une abolition définitive de la distance et le triomphe de la séparation. o François Willmann


Sport TENNIS Quatre Français placés en garde à vue

en bref

La corruption n’a pas quitté les courts

Pas de victoire mais la qualif’ n Mardi 15 janvier, l’équipe

de France de handball a arraché le match nul dans les dernières minutes du match face à l’Allemagne. Un résultat qui permet, malgré tout, aux Bleus de conserver la tête du groupe A et de se qualifier pour la suite de la compétition. Ils seront dans le groupe I pour le tour principal et peuvent encore rêver à un troisième sacre mondial d’affilé.

U

ne nouvelle fois, la ligne blanche a été franchie. Mardi 15 et mercredi 16 janvier, Jules Okala, Mick Lescure et deux autres jeunes tennismen français du circuit « Futures » (l’équivalant de la troisième division professionnelle) ont été placés en garde à vue alors qu’ils s’apprêtaient à débuter un tournoi à Bressuire dans les Deux-Sèvres. Les deux sportifs sont soupçonnés d’avoir accepté de l’argent en échange de la perte d’un set sur un score précis. Des matchs truqués qui pourraient être en lien avec une vaste affaire de corruption sportive. Ces arrestations sont loin d’être un cas isolé. Le tennis est, depuis plusieurs années, gangrené par la corruption et les matches truqués. Pour Richard Ings, ancien vice-président de l’ATP (l’association qui organise le circuit mondial) : c’est une menace bien plus importante que le dopage. Le phénomène touche notamment les divisions inférieures où le scénario est toujours le même. Les veilles ou jours de matches, les tennismen sont approchés pour accepter de perdre des sets sur des scores exacts en échange de quelques

Golden State is back

Le tennis ne parvient pas éradiquer le fléau de la corruption (DR) milliers d’euros. Des sommes supérieures aux dotations prévues par ces tournois de seconde zone qui poussent certains joueurs à accepter le marché. D’autant que pour ces joueurs de « Futures », situés de la 300ème à la 2000ème place mondiale, les frais de transports, de matériels… peuvent coûter cher. Rares sont ceux qui ont des sponsors. Une fois les frais déduits, la plupart d’entre-eux ont des revenus inférieurs au SMIC.

la Tennis Integrity Unit (TIU). Chargé de « prévenir, éduquer et investiguer », l’organisme a rédigé ce qu’elle appelle, un programme anticorruption qui impose notamment à chaque joueur approché pour ce genre d’accord de le faire savoir. La TIU a également le pouvoir de sanctionner les joueurs et arbitres corrompus. Ces sanctions peuvent être sportives et financières. Depuis sa création, plusieurs suspensions ont été prononcées.

La TIU police de la corruption

Pour l’heure, nul ne sait si les quatre Français vont être poursuivis, mais il ne fait aucun doute que, s’ils ont fait faute, ils seront sévèrement sanctionnés.

Pour tenter d’endiguer le problème de la corruption, les différentes instances du tennis international ont crée en 2008

o Sacha Nelken

n Dans le choc de la nuit en NBA, les Golden State Warriors n’ont fait qu’une bouchée des Denver Nuggets. Porté par ses stars, le champion en titre s’est largement imposé (142-111) et retrouve ainsi la tête de la conférence ouest. En marquant 51 points dans le premier quart-temps, ils ont, au passage, fait tomber un nouveau record.

Monfils et Paire out

n Fin de parcours pour Gael Monfils et Benoit Paire à l’Open d’Australie. Les deux Français se sont inclinés au second tour de la compétition. Le premier a subi la loi de l’Américain Taylor Fritz tandis que son compatriote a bataillé durant cinq sets contre Dominic Thiem avant de rendre les armes. Lucas Pouille et Jo-Wilfried Tsonga peuvent encore espérer passer le second tour.

FOOTBALL US Les joueurs sont de plus en plus nombreux à demander un transfert

Quarterbacks stars cherchent temps de jeu n Aux Etats-Unis, le processus de recrutement agressif des équipes universitaires de football américain fait des déçus chez les joueurs. Cette année, plusieurs vedettes en manque de temps de jeu ont déjà demandé à changer d’université.

Pour les universités américaines, les meilleurs quarterbacks lycéens sont des perles. Ils sont précieux, mais elles aiment un peu trop en faire des colliers. Dès la première année de high school, des recruteurs sont envoyés aux quatre coins du pays pour repérer les passeurs stars de demain. Le jeu des prospects est disséqué, leur

potentiel évalué, avant qu’une note d’une à cinq étoiles leur soit attribuée. S’ensuit une cour assidue pour obtenir les faveurs du gratin des jeunes footballeurs. En collectionneuses compulsives, les facs cherchent à empiler les talents, quitte à recruter plusieurs cracks à la même position. Problème, il ne peut y avoir qu’un seul quarterback sur le terrain. En début de saison, ils sont donc mis en compétition par leurs entraîneurs pour désigner celui qui débutera les matchs. Inévitablement, les perdants passent la saison sur la touche. Mais difficile de rester dans l’ombre quand on est dans la

lumière depuis son plus jeune âge. L’envie de faire ses preuves pousse de plus en plus de talents à faire leur valise. L’exil des étoiles Cette année, trois des passeurs les plus prometteurs du pays ont demandé un transfert. Tate Martell, ancien des Ohio State Buckeyes, Justin Fields des Dawgs de Géorgie et Jaylen Hurt, star de l’Université d’Alabama. Tous les trois pourront rechausser les crampons avec leur nouvelle équipe la saison prochaine. Les quarterbacks cinq étoiles ne veulent plus se battre pour être titulaires. Si un autre joueur

vient remettre en cause leur statut, ils savent que les portes d’une autre université leur seront toujours grandes ouvertes. Comme les équipes prestigieuses ne manquent pas, ils sont de plus en plus nombreux à sauter le pas. La National Collegiate Athletic Association n’est souvent qu’un tremplin vers la ligue professionnelle. Les joueurs ne chassent pas un diplôme, mais des opportunités de briller au plus haut niveau. Outre-Atlantique, l’agitation médiatique autour des étoiles du foot universitaire est immense. Mais pour en bénéficier, encore faut-il pouvoir s’exprimer sur les terrains. o Aurélien Robert

JEUDI 17 janvier- Expresso - 09


Expresso

17 01 2019

# 07

portrait Une gymnaste qui revient sur le devant de la scène

La deuxième vie de Katelyn Ohashi n La gymnaste américaine

leur acceptation de soi. En 2017, elle exprime aussi son soutien aux 265 victimes de Larry Nassar, médecin de l’Equipe nationale américaine de gymnastique féminine, accusé d’agressions sexuelles. « La gymnastique scolaire est souvent la récompense d’années d’abus. Pourtant, c’est le moment de découvrir, de profiter, d’apprendre, de prendre nos vies en main », écrit-elle sur son compte Instagram.

Katelyn Ohashi enflamme la toile depuis dimanche avec une prestation parfaite au sol réalisée lors des Championnats universitaires américains.

L

a vidéo a révolutionné le monde de la gymnastique. En 90 secondes, Katelyn Ohashi a subjugué les juges, les entraîneurs, ses coéquipières, les spectateurs… et même les réseaux sociaux. Sa performance endiablée, visionnée plus de trente millions de fois sur Internet, a obtenu la note parfaite de dix sur dix. Un score rarissime mais qui « n’est pas suffisant » au vu de la performance exceptionnelle de la gymnaste, d’après son entraîneuse Valorie Kondos Field. Avenir prometteur Katelyn Ohashi incarne l’une de ces histoires dont les Américains raffolent : celle d’une chute puis d’une renaissance. En 2013, Katelyn Ohashi, native de Seattle, a seize ans. Sa carrière est toute tracée. Elle dispute l’American Cup, une compétition de prestige qui réunit les meilleurs gymnastes du monde. Ce jour-là, elle livre un duel acharné contre sa compatriote Simone Biles, future championne du monde de gymnastique, et s’impose. Les deux jeunes athlètes représentent alors l’espoir de la gymnastique américaine. Mais trois ans plus tard, alors que Simone Biles décroche quatre médailles d’or aux Jeux Olympiques de Rio, Katelyn Ohashi

La vidéo de la performance de Katelyn Ohashi est devenue virale sur Internet (AP Photo/Ben Liebenberg) reste chez elle. Juste après son triomphe à l’American Cup en 2013, la jeune prodige se blesse au dos puis à l’épaule. Elle doit renoncer à la compétition de haut niveau. « Il fut un temps où j’étais sur le toit du monde, j’étais imbattable », se souvientelle, dans une vidéo intitulée « I was broken » (J’étais brisée) pour The Player’s Tribune. Regain de confiance A 21 ans, l’Américaine renoue avec la gymnastique en intégrant l’équipe universitaire de l’UCLA (Université de Californie à Los Angeles). « Avant mes

blessures, on disait que j’étais trop maigre. Ensuite, j’étais devenue trop grosse et on me comparaît à un oiseau qui ne peut pas voler », avoue-t-elle. Elle confie : « la gym était ma vie mais je me détestais ». Finalement, cette nouvelle aventure dans le sport universitaire, très suivi aux Etats-Unis, lui permet de « trouver un nouvel objectif et un nouveau chemin à suivre pour renouer avec l’amour de ce sport ». En parallèle, elle s’érige en porte-parole et publie des récits de ses compétitions pour accompagner les jeunes gymnastes dans

Vent de fraîcheur dans la discipline La prestation parfaite de Katelyn Ohashi lors de la compétition universitaire a fait d’elle un véritable phénomène mondial. Partout en Europe, les internautes partagent l’impressionnant enchaînement de sauts, saltos, flips et figures réalisé par la gymnaste. Son large sourire et son énergie débordante séduisent particulièrement. « Je crois que ce que je montre, c’est de la joie. Aimer ce que je fais chaque jour me tient à cœur, parce que je sais ce que c’est de ne pas ressentir cela », confiait-elle à NBC au lendemain de sa performance. Au-delà de cette joie communicative, c’est la qualité de sa routine qui est saluée. L’exercice de gymnastique au sol demeure parmi les plus conventionnels. Pourtant, l’Américaine mêle de nombreux pas de danse originaux à ses figures réalisées à la perfection et se déhanche sans complexe au rythme de la musique de Michael Jackson. « Maintenant, il faut que j’apprenne à applaudir en rythme », s’amuse-t-elle sur son compte Twitter. o Eline Wisnicki

expresso insolite Privilège noir

Au travail !

Spiderman et le Brexit

n Grosse bourde de la part d’une ana-

n Tout vient à point à qui sait attendre et cette députée l’a bien compris. Alors que les membres du Parlement britannique votaient un énième accord sur le Brexit, la travailliste Tulip Siddiq a décidé de repousser la date de son accouchement afin de pouvoir voter. « Si mon fils vient à naitre (…) ce sera dans un monde où les relations entre le Royaume-Uni et l’Europe sont meilleures » déclarait-elle au Evening Standard.

n En une journée, deux infos importantes : le rejet par le Parlement britannique de l’accord de Brexit et la sortie de la bande-annonce du prochain Spider-Man. Suffisant pour que les fans de Marvel décelent un message subliminal du producteur. Le Brexit dur serait alors un nouveau genre d’ennemi à combattre. Avec plus de finesse, la séquence montrant le Tower Bridge en feu a été interprétée par des twittos comme le symbole d’un Brexit sans accord.

lyste de la chaine d’information américaine CNN mardi. Dans un débat sur le monde du travail et la discrimination raciale avec un présentateur de la radio américaine Fox Nation, Areva Martin a cherché à attaquer son adversaire en invoquant son « privilège blanc ». Sauf que… David Webb est noir. « Areva, désolé de te l’apprendre, mais tu aurais du mieux te préparer. Je suis noir. » Gênant.

10 - Expresso - MERCREDI 17 janvier


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