03 COSMOS 2013

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Mars 2013

cosmos

Institut Français de Presse Paris II

Avril 2011

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La prison en chantier

Les deniers de la foule

Le Michelin retoqué Le porno en danger

PROFS À LA DÉRIVE

Débutants désabusés et contractuels résignés, voyage chez les hussards cabossés de l'éducation nationale


cosmos Institut Français de Presse - Magazine Master Journalisme M2

NumĂŠro 03 - mars 2013


Sommaire Mars 2013 Réalisé par les étudiants de M2 sous la direction de Fabien Rocha

SociETE

06 Confessions des déçus de l'Education nationale – Pierre Labrunie 10 Profs de seconde classe – Séverin Graveleau 14 Les naufragés du numérique – Claire Branchereau 18 Avancer sur la case prison – Sara Taleb

Eco

24 Le pouvoir de la foule – Vincent Bouquet 28 Le papier fait de la résistance – Charlotte Staub 32 Ras le kiosque ! – Alexis Duval 36 Auto-édition : pas d'absolution numérique – Kim Levy 40 On a délocalisé mon contrat de travail – Justine Salvestroni

cULTURE

46 Gloire et déboires du guide Michelin – Thibault Dubreuil 50 Ségrégation électrique, une autre histoire du rock – Guillaume Gendron 54 Attention danger porno ! – Julien Sartre

COSMOS Le magazine de l'Institut Français de Presse - Paris II Master Journalisme COSMOS - Création graphique © Fabien Rocha Session magazine - Mars 2013



Opportunités

L'image et le texte

Parce qu’il existe une multitudes de facteurs qui caractérisent la crise de la presse imprimée, le secteur entier doit s’adapter à cette nouvelle donne qu’est l’ère du numérique. Production, distribution et consommation connaissent dans le domaine de l’information un changement de paradigme.

Cosmos, un magazine de plus ? Pas tout à fait. D’abord parce qu’il n’est pas qu’un magazine. C’est un aussi un bel objet qui se regarde, se feuillete et qui produit du plaisir, au-delà de sa simple lecture. C’est aussi un objet « hybride » qui, à l’image de ce qui se fait de mieux aujourd’hui dans l’univers de la presse, se découvre aussi sur le net (http://issuu.com/ ifpparis2/docs/03_cosmos_2013).

Toutes les presses seraient-elles pour autant en crise ? L’information perdrait-t-elle en qualité ? La lecture sur écran se substituerait-elle à celle du papier ? Les maux que l’on attribue aux situations mouvantes et complexes sont souvent moins le résultat d’analyses que de routines. Pour les jeunes journalistes formés à l’IFP, ces mutations sont autant de contraintes pour l’emploi que d’opportunités et d’horizons ouverts pour une presse écrite d’avenir. COSMOS incarne une des nouvelles perspectives de la presse, où la qualité de l’objet-support combine profondeur d’analyse et originalité de ton.

Nathalie Sonnac

Professeur des universités en Sciences de l'Information et de la Communication, Directrice de l'Institut Français de Presse, Paris II

Ceux qui pensent encore qu’une maquette peut nuire au texte en seront pour leurs frais : Cosmos démontre que l’alliance du texte et de l’image peut aider à y voir plus clair autant qu’à donner envie de plonger dans des articles qu’on aurait à peine regardés ailleurs. Cosmos est écrit par des étudiants en journalisme, durement sélectionnés pour accéder à l’une des treize écoles ayant obtenues le label recherché de « reconnues par la profession ». Ces futurs journalistes en presse écrite ne sont pas seulement armés de l’enthousiasme de leur jeunesse. Leurs articles ne sont pas à lire avec je ne sais quels défauts supposés d’entrants qui apprendront encore un peu plus demain. Voici un vrai magazine de journalistes.

Jean-Baptiste Legavre

Professeur des universités en sciences de l’information et de la communication, Directeur de l’Ecole de journalisme de l’IFP, Paris II.

Le Master 2 Journalisme de l'Institut Français de Presse


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Société

Des profs sans diplômes, des prisons sans murs et un monde tout-numérique... La France change. Qui sont les sacrifiés ?

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Confessions des déçus de l'éducation nationale Alors que de plus en plus de professeurs fraîchement nommés pensent à démissioner, Vincent Peillon s'attaque à un chantier difficile. Il souhaite réadapter le système de formation et augmenter les salaires avec un objectif : susciter 40 000 nouvelles vocations. De quoi retenir, peut-être, les désabusés de l'enseignement. Devenus enseignants par vocation, certains professeurs déchantent pourtant une fois en poste. (Photo: Flickr/CC/Melinda Seckington)

A

près des mois d'attente, l'aboutissement. En septembre 2010, Mathilde en-

fois son costume de professeur stagiaire. Un master et un Capes de lettres modernes dans la poche, elle se retrouve à 24 ans, presque pour la première fois, face à des élèves, dans un collège de Drancy (93). « La première heure de cours se passe très bien. Les élèves sont calmes, ils semblent écouter. À ce moment-là, je me suis dit, en fait c'est peut-être pas si sorcier d'enseigner. Après coup, j'ai compris qu'ils étaient juste endormis. » Quatre mois plus tard, en janvier, la jeune femme décide de démissionner. Depuis la réforme de la formation des professeurs de Luc Chatel en 2009 (voir encadré) le malaise des jeunes

enseignants est grandissant. Ceux pour qui l'enseignement était une vocation ressentent parfois un décalage brutal entre la représentation du métier et sa réalité. Une situation délicate qui pousse certains à rapidement quitter l'éducation nationale après des années de préparation et l'obtention

vu l'arrivée de la première génération

terrain, les syndicats sont inquiets. « Les abandons sont énormes chez les professeurs stagiaires, on parle quasiment d'un sur deux dans notre secteur. Les démissions sont bien plus importantes depuis quelques années », s'indigne Guy Prudon, délégué syndi-

à des abandons ou à des décisions de retrait. »

le ministère de l'Éducation nationale est peu bavard sur la question. En juillet 2011, au terme de l'année scolaire ayant

générale de l'éducation nationale parlait de démissions résiduelles, autour de 1% suivant les académies. Un chiffre étonnamment faible qui pose question, d'autant que le rapport reconnaissait l'existence de vrais problèmes : « Certaines

Formation pas assez robuste longtemps à les rencontrer. Dès les premiers jours de classe, elle cherche à asseoir son autorité. Lors d'une sortie dans les couloirs de l'établissement, pour aller récupérer des manuels scolaires, elle tente la sévérité. Les élèves chahutent gentiment et Mathilde promet une punition. Les bavardages continuent, elle se remémore un

conseil: « Ne jamais manquer à ses promesses au risque de ne pas paraître crédible. » Avec le recul, elle analyse aujourd'hui : « Je les ai puni, alors qu'en fait, ils ne faisaient pas grand chose. Ça a été très tendu ensuite avec cette classe, ils me l'ont fait payer. Plus tard j'ai compris ma bêtise, mais personne ne m'avait permis d'anticiper ce genre de situation. » Première coupable, la formation. professionnalisante, elle ne donnerait pas les armes nécessaires pour affronter une classe, quasiment à plein temps comme c'est le cas dès l'obtention du concours. Aurélien, 23 choisi la voie de l'enseignement après le bac et a démissionné en novembre 2012, seulement deux mois après ses premières heures de classe dans 7


« La formation n'est pas inintéressante, mais on passe très peu de temps devant des élèves, à peine trois semaines en un an. Le jour de la rentrée, c'est presque une découverte. » Lors de la première année, ceux qui ont réussi les concours de l'enseignement accèdent au rang de professeur stagiaire et sont affectés sur un ou la majeure partie de leur temps devant des élèves et quelques jours seulement en formation continue. De stagiaire, ils n'ont en fait que le nom, car leur marge d'erreur est très limitée. « On demande souvent à ces jeunes gens d'être des enseignants à part entière, alors qu'ils débutent. On les envoie dans le mur. » Pour François Dubet, sociologue de l'éducation, la préparation des futurs enseignants elle n'est pas la seule à expliquer le sentiment d'impuissance ressenti par beaucoup des professeurs stagiaires. « Les élèves qui se retrouvent devant les enseignants appartiennent aujourd'hui à toutes les classes sociales de la population. Il y quarante ans, la sélection était plus dure. Les élèves turbulents, ceux qu'on disait pas faits pour l'école, sortaient très tôt du système scolaire. » La bascule s'opère à 8

partir de 1985, lorsque Jean-Pierre Chevènement, alors ministre de l'Éduau bac pour 80% d'une classe d'âge. physionomie des classes.

« On demande souvent à ces jeunes gens d'être des enseignants à part entière, alors qu'ils débutent. On les envoie dans le mur » Mi-temps thérapeutique

L'automne se termine à peine, mais Mathilde est déjà usée, stressée par ces classes avec lesquelles elle n'arrive pas avancer. En route vers le collège, elle songe parfois à se jeter sous les roues des voitures qu'elle croise. Dans ces instants, un lit d'hôpital serait préférable à une salle de classe. La décision commence péniblement à faire son chef d'établissement, elle veut passer à mi-temps. « On me répond que ça va

je demande un congé maladie ou un mi-temps thérapeutique. » La jeune femme ne veut pas s'y résoudre. Chloé, elle, n'a pas réussi à faire autrement. Professeur stagiaire en école élémentaire depuis septembre 2012, elle craque rapidement face à l'isolement et aux critiques. « En décembre, j'ai eu une visite de l'inspecteur. Je me suis fait démolir, alors que je débute, comme si je n'avais pas droit à l'échec. J'ai fait une dépression et depuis je suis en arrêt maladie. » Avant de démissionner, elle attend de trouver un autre emploi. Aurélien, avec sa classe de grande section, a connu le même genre d'expérience. Rapidement largué, il demande conseil à son tuteur et à un conseiller pédagogique qui l'enfoncent. « J'étais demandeur, mais on n'a pas voulu me faire progresser. Apparemment ma façon de voir les choses n'allait pas. » depuis retourné à l'animation. Lors de cette première année, les professeurs stagiaires décrivent tous « faire semblant » d'être des enseignants la réussite, condition sine qua non « Aujourd'hui, l'avenir profession-

nel dépend quasi exclusivement de la réussite scolaire, ce qui implique une pression énorme sur l'école et donc sur les enseignants. Pour eux, ce peut être compliqué, d'autant que socialement, ils ne sont plus sur un piédestal. Aujourd'hui avoir un master II ne fait plus de vous un intellectuel. Le mal est d'autant plus fort que les jeunes enseignants sont très isolés », analyse François Dubet. Certes, l'éducation est loin d'être le seul secteur professionnel où s'exerce une forte pression, mais les démissionnaires reprochent aussi à l'éducation nationale une gestion de l'humain calamiteuse.

Arrêter et revivre

En salle des professeurs, Mathilde n'ose pas rapporter ses diffaiblesses aux collègues. Elle encaisse. Ceux qui devraient l'aider le font peu. Car les professeurs stagiaires ont un tuteur, ou maître formateur, censé les accompagner et les aider dans leur le suivi varie de très bon à quasi inexistant. Ceux qui ont décidé de tourner le dos à l'enseignement ont en géné« Il m'a manqué quelqu'un pour redonner courage », raconte Chloé, « et quand


j'ai commencé à me renseigner pour démissionner, ça a été la croix et la bannière. Tout le monde a essayé de me dissuader on m'a dit "Mets-toi en arrêt maladie, tu reviendras l'année prochaine dans une autre école".

« Mets-toi en arrêt maladie, tu reviendras l'année prochaine » Pour les mêmes raisons, Claire, enseignante à l'école élémentaire à failli abandonner, lors de sa deuxième les Yvelines. Pourtant, elle a décidé de continuer par envie d'y croire, parce qu'elle parvient à prendre du plaisir, parfois. Aujourd'hui, en phase de doute, elle se refuse à recommander l'enseignement et regrette un peu de ne pas avoir écouté certains conseils. « J'avais rencontré des enseignants qui m'avait encouragé à changer de voie, mais je voulais vraiment faire ça depuis longtemps alors j'ai continué. » contexte économique actuel pourrait être perçu comme un caprice, mais Mathilde, Aurélien ou Chloé décrivent

avait pas d'alternative à la démission. Deux ans après avoir renoncé, avenir dans l'enseignement. Le jeune femme parle d'une seconde vie depuis qu'elle a quitté l'éducation nationale pour reprendre des études d'orthophoniste. Tous en veulent un peu à la formation de ne pas les avoir mieux préparés à la réalité du métier, mais admettent, presque coupables, « que l'expérience a montré que le métier n'était pas fait pour [eux] ». Pour qui est-il fait alors ? Pour ceux qui ont « envie d'apprendre à apprendre » expliquent cation nationale version Peillon qui semble avoir compris que le salut pasréforme prévoit ainsi de confronter les aspirants professeurs aux élèves plus pour leur permettre d'« apprendre à apprendre ». C'est bien ce qui a manqué à ces déçus de l'éducation nationale.

Pierre Labrunie

De réforme en réforme Avant 2010 : Les aspirants profesaprès une licence. Pendant un an, ils y préparent le concours. Ceux qui sont admis sont ensuite formés pendant un stages pratiques à la clé. À partir de la rentrée 2010 : Avec la réforme Chatel, les élèves enseignants sont désormais formés dans les universités au sein des masters enseignement. élèves, pas plus de trois semaines par an À partir de septembre 2013 : place des écoles supérieures du profes-

rants professeurs intègrent ces nouvelles exercer des fonctions d'enseignement quelques heures par semaines.

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Profs de seconde classe Comme leurs collègues titulaires, ils gèrent les élèves, les copies, les heures de colle. Le diplôme et la légitimité en moins. Ils sont 23 000 contractuels de l'Education nationale à espérer un nouveau statut, pour ne plus se sentir comme des enseignants au rabais.

S

En 2013, en France, on compte plus de 23 000 professeurs contractuels. C'est 6% du corps enseignant. (Photo : CC)

ymboliquement, le rendez-vous avait été pris à la Bourse du travail, dans le 10ème arrondissement de Paris. C’était en septembre 2012, l’année scolaire était déjà entamée. Et toujours aucune affectation, aucun remplacement en vue pour des dizaines de contractuels parisiens. A cette réunion de crise organisée par Jérémy Buldo, le fondateur du collectif des contractuels, onze ans de CDD pour l’Education Nationale en poche, ils n’étaient pourtant que trois à avoir répondu présent. Il y avait là Laurent ; prof de maths non-titulaire depuis sept ans. Steffy en histoire-géo, depuis six ans. Onka, depuis dix ans. Aucun n’avait encore reçu le coup de téléphone tant attendu du rectorat. « On ne sait même pas combien on est dans ce cas là ! Ce n’est pas à quatre qu’on va faire avancer les choses ! » s’énerve Steffy. L’ordre du jour devait être

sur les moyens d’actions, il se transforme en « comment mobiliser ? » Le reste de la réunion sera consacrée à convaincre les uns et les autres de l’utilité d’aller au rectorat pour comprendre, et se faire entendre.

La voie normale, et les autres

« Depuis rien, raconte Jérémy Buldo. La secrétaire générale du rectorat de Paris nous a simplement expliqué qu’ils ont temporairement moins besoin de contractuels dans l’académie ». Depuis septembre, il y a donc ceux qui sont au chômage, et ceux qui se voient proposer des contrats, mais courts et précaires. Comment faire alors ? « Utilisez la voie normale » ; voilà ce qu’on leur répond régulièrement. Et la voie normale pour intégrer l’Education Nationale, pour la sécurité de l’emploi, etc : c’est le concours. Une histoire de statut. « Quand tu parles à des amis et que tu leurs dis ‘je suis prof et au

chômage’, c’est assez compliqué. Les gens ne comprennent pas car ils ont une vision idéalisée de la fonction publique», explique celui qui a interrompu sa maîtrise de Lettres en 2001, lorsqu’on lui a proposé un poste d’enseignant contractuel près de Marseille. « Nous sommes un peu les parias de l’Education Nationale, renchérit Pierre (le prénom à été changé), professeur de maths contractuel à Lille depuis 2 ans. Des fait arriver là par hasard, après un échec à un concours souvent, et on y reste parce qu’on aime notre métier. Mais le système nous incite à garder ce statut. Dans la fonction publique, même sans concours, il est si simple de se retrouver devant des élèves.»

Discrète variable d’ajustement

Avec la suppression d’au moins 66 000 postes de fonctionnaires de l’Education Nationale depuis 2007, l’administration a en effet dû com-

penser : une augmentation de 25% du nombre de contractuels estime le SNES-FSU, principal syndicat d’enseignants du secondaire. Comme Jérémy, Steffy, Laurent et Pierre, ils seraient aujourd’hui quelques 23 000 non-titulaires de l’Education Nationale, soit près de 6% des enseignants. La plupart exercent dans le second degré et l’enseignement professionnel. En mars 2010, Luc Chatel, alors ministre de l’Education, encourageait les recteurs d’académie à se doter « d’un vivier complémentaire de personnels contractuels remplaçants (…) composé de retraités et d’étudiants », la variable d’ajustement de la suppression d’un fonctionnaire sur deux. Et puis de quoi compenser la crise des vocations, aussi. En mathématiques, musique, lettres ou anglais ; ce sont bien souvent à eux qu’on fait appel lorsque le nombre d’admis au concours est inférieur au nombre de 11


en nombre dans les établissements délaissent. Ainsi dans l’académie de Créteil, 12% des enseignants sont des contractuels. Des enseignants de « seconde zone », comme ils se sibilité et la passivité n’ont d’égales que la peur d’être mal vu par le rectorat, de ne pas être repris sur un autre contrat. Des « bouche-trous » des informations générales. Côté ministère, on refuse d’aborder le sujet. Côté chercheurs, on nous renvoie à une étude sociologique de Jean Cabanel, vieille de trente ans.

« Ils parlent toujours de leur salaire… »

Dans les collèges et les lycées, on les voit arriver depuis quelques années, de plus en plus nombreux. fois le même que celui des stagiaires, il n’y a aucune différence en salle des profs. Ils ont le même taux de réussite que nous, corrigent le bac, peuvent même être prof’ principal parfois…» explique Julien, un titulaire de l’académie d’Orléans-Tours. Avant de se reprendre :

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sont en permanence en train de se plaindre de leur salaire, c’est à ça qu’on les repère! ».

500 euros de différence entre contractuels et titulaires, parfois plus. Avec 1200€ à 1400€ net par mois, le contractuel coûte en effet bien moins cher que son homologue titulaire. Comme les vacances sont souvent l’occasion de stopper les contrats pour les reprendre à la rentrée, les non-titulaires perdent aussi régulièrement leurs congés payés. Florian Tournier est en train de découvrir ce système. Après un Master en écophysiologie-éthologie et une longue période de recherche d’emploi, il s’est décidé en août 2012 à contacter son rectorat en Alsace. En deux jours, il décroche un poste de prof de SVT dans un collège, pour le remplacement d’un congé-maternité. « Ce n’est pas tant pendant ma mission que je déplorais les inconvénients de ce statut. Car avant de

signer je savais à quoi m’en tenir et j’étais content de pouvoir exercer ce métier dans lequel je m’épanouissais », explique-t-il. Mais son contrat s’est terminé en décembre. Et depuis, plus rien.

Campagne de recrutement

« Monsieur le ministre de l’Education nationale, à l’heure où vous ouvrez une grande campagne de recrutement des enseignants, je crois bon de vous rappeler l’existence d’une catégorie d’enseignant : les non-titulaires ». C’est sous le pseudo d’Audreymifasol que cette enseignante vacataire avait décidé d’interpeller Vincent Peillon dans une lettre publique en décembre dernier. Dans la perspective de créer ses quinquennat, le ministre a en effet ouvert plus de 22 000 postes aux concours 2013 de l’enseignement. Et lancé une campagne de publicité, originale, pour inciter les étudiants à s’y présenter. « Une démarche contre nous » peut-on lire sur les blogs dédiés aux contractuels ; préparer ce concours externe étant impossible lorsque l’on fait 15 ou 20 heures de cours par semaine. L’animateur d’un

de ces blogs, sous le pseudo de John « À l’heure où l’on constate une pénurie de professeurs, il y a tout un vivier de contractuels qui n’attendent que d’être titularisés. Mais le ministère refuse. » Avant d’ajouter « La contradiction est extraordinaire : des professeurs en activité, ne sont pas jugés capables… d’enseigner. Tout ça parce que l’on veut protéger un statut ».

Titularisations et CDIsations

« Un serpent de mer de la fonction publique » : c’est ainsi que Marcel Pochard, alors conseiller d’Etat, tative de résorption de l’emploi précaire dans le secteur public. Depuis 1950, près de seize plans de titularisation ont été mis en place dans la fonction publique. « On passe l’éponge régulièrement, mais les contractuels constituent un vivier qui ne peut pas ne pas se reconstituer » expliquait-il au journal Le Monde. C’était quelques mois avant l’adoption de la loi Sauvadet en mars 2012, un petit coup d’éponge. Plutôt « la B.A du gouvernement précédent » estime Jérémy Buldo. Une bonne action reprise à la lettre par la nou-


velle équipe. Le dispositif prévoyait un concours « réservé » et des CDI aux contractuels qui répondent à certains critères. Avec à la clef plus de 6000 titularisations (avec le statut de fonctionnaire) et CDIsations (sans le statut de fonctionnaire), le tout réparti sur plusieurs années, et déjà comptabilisé dans les 60 000 postes de Vincent Peillon. « J’ai passé 3 mois à essayer de voir si ça collait à ma situation, explique Jérémy Buldo. Pour le CDI, c’était 6 ans d’ancienneté sans interruption de plus de 4 mois. Ce qui est Pour le concours réservé, il fallait être à 70 % de quotité horaire au moment où la loi est passée. J’étais sur un mi-temps ». Et de conclure « Une aberration, avec 26 CDD pour l’Education nationale, je ne rentre dans aucun des cadres proposés ».

Sacré concours !

La faute à qui ? A « l’idéal républicain du concours » répond Guillaume Morin. A 29 ans, après par décrocher le concours d’enseignant mais regarde, amèrement, les -

ment de Vincent Peillon. « Dans la philosophie de nos élites, le concours reste la voie royale, celle de la méritocratie, celle qui donne sa chance à tout le monde », explique-t-il. La sélection par le sésame...

«Le concours reste la voie royale, mais il est, par définition, inégalitaire.» base du raisonnement est biaisée, « puisqu'on ne part pas tous avec les même chances dans la vie. Ce qui compte, c’est le nombre de livres dans la bibliothèque des parents, c’est ça qui fait la différence. On ne naît pas et on n’arrive pas tous égaux devant le concours. Or celui d’enseignant n’est peut-être pas fait pour eux, mais ils ont à la fois la vocation et les compétences ». Mais dans l’idéal républicain, ce sont bien les concours qui font le fonctionnaire et son statut. L’article 6 de la Déclaration des droits

de l’homme et du citoyen de 1789 n’énonçait-il pas « Tous les citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, place et emplois publics, selon leur capacité (…) » ? Ce qui pourrait expliquer pourquoi, dans les 150 pages du livre de Vincent Peillon, Refondons l’école, ne se trouve pas une seule fois utilisé le mot « contractuel ».

Des syndicats schizophrènes ?

« La faute aux syndicats » tentent, à voix basse, certains des contractuels rencontrés. Des syndicats de profs-titulaires, dont les intérêts sont de l’autre côté de la barrière, celle du statut, « se retrouvent à devoir défendre des contractuels, c’est schizophrène » pense Antoine, 15 CDD au compteur. « On est pour la défense du statut de la fonction publique, et ces contrats la mettent clairement en danger » se défend Brigitte Crêteur, la secrétaire régionale de la CGT Edu’Action de Lille, « c’est pour cela que nous voulons la titularisation sans conditions de ces gens qui ont montré ce qu’ils valaient pendant des années ». Tous les syndicats

ne sont pas de cet avis…Et dans ce brouhaha une voix étonne, détonne, celle de Jean-Renaud Pyke, maître de conférence et secrétaire CGT à l’Université d’Evry. Pour lui le problème est politique : « N’oublions pas que Bernard Thibaud, le secrétaire général de la CGT, avait appelé a voter Hollande. Sous Sarkozy, la gauche et les syndicats dénonçaient ensemble la précarité. Maintenant qu’ils sont au gouvernement, ils cogèrent la crise et la pénurie endemander de dénoncer le premier employeur de précaires en France, le gouvernement ». Les intéressés apprécieront.

Séverin Graveleau

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Les naufragés du numérique L’illettrisme n’a pas peur des mots. Il vient carrément d’être élu « Grande cause nationale 2013 ». Pourtant, il est sur le point de se faire doubler par un autre phénomène, né avec la fracture numérique : l’illectronisme. Plus répandu qu’on ne le croit, cet autre fléau tétanise ceux qui ont raté le coche des nouvelles technologies.

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Prendre ses billets de train ou consulter ses comptes en ligne : mission impossible pour les illectroniques. (Photo : CC)

rendre des nouvelles de la famille sur Facebook,

les horaires de la séance de cinéma : tout cela relève de l’impossible pour Jeanne. Normal, cette habitante de l’est de la France souffre d’illectronisme : elle ne sait pas se servir d’un ordinateur, et encore moins naviguer seule sur internet. Il y a quinze ans, on aurait parlé de « détail », mais aujourd’hui, avec l’essor du numérique, il faut bien le dire, Jeanne est presque handicapée.

Expliquer à quoi sert la souris

Sandra Marsis anime une « cyber

numérique comme Jeanne, elle en accueille des dizaines chaque semaine. « On démarre avec le B. A.-ba – pose Sandra - on explique ce qui se trouve dans une tour d'ordinateur, ce que c’est qu’une souris, à quoi ca sert etc. ». L’objectif, au terme de la formation, est de pouvoir naviguer seul

sur internet pour consulter ses comptes en ligne, acheter un billet de train ou envoyer un mail. La base, quoi.

La maitrise du numérique, aussi important que de savoir lire et écrire. Ou plutôt une « compétence clé ». D’après l’Union européenne et son 27, la maîtrise du numérique est aussi importante que celle de la lecture ou de l’écriture. C’est d’ailleurs pour cela qu’on parle de « nouvel illettrisme » qu’en général, ils savent lire et écrire. Attention, la réciproque n’est pas toujours juste. Certains illettrés peuvent très bien faire leurs achats en ligne ou se connecter à Facebook

Franck Taton, de l’association Tousbranchés.com : « Paradoxalement, il y a plein de gens illettrés qui se servent des ordis. Ils savent déchiffrer un peu les textes, ils maîtrisent les lettres donc le clavier. Et puis sur internet c’est des mots-clés, c’est donc SNCF » par exemple, ça ils peuvent faire ». Sans compter les diverses applications et initiatives destinées à leur faciliter la vie sur tablettes ou smartmet de répondre à un message lu par lectionne un dessin qui lui ressemble et l’affaire est conclue. C’est ce que Frédéric Haeuw, spécialiste du numérique et de l’apprentissage, appelle « bien conduire sans savoir comment marche la voiture ». De son point de vue, l’illettrisme est moins handicapant que l’illectronisme : « La non-maîtrise du numé-

contourner. Quand on ne maîtrise pas, il n’y a rien à faire ».

Tous illectroniques?

A raison de plusieurs ateliers par semaine, en 2012 l’association tousbranchés.com a rencontré plus de 600 illectroniques. Un public hétérogène, que le cofondateur de l’asso« Il y a le grand public, classiquement, papi mamie qui veulent s’y mettre à cause de la pression sociale. Et puis on s’est vite rendus compte qu’à côté de ce public, qui a tout pour s’y mettre facilement, il y a des publics nouvelles technologies, mais pour des raisons plus lourdes, et qui ont besoin d’un accompagnement plus fort. » cette répartition du phénomène : une grande partie des personnes sont en situation d’illectronisme du fait de leur grand âge. Dans la Cyber base de Sandra, le doyen a 97 ans. Comme 15


beaucoup d’autres il s’est vu offrir un ordinateur par ses proches, pour lire les mails de ses petits enfants et se sentir moins isolé. Nombre de jeunes retraités sont aussi de la parsageries instantanées il y a 15 ans, mais qui depuis ont besoin d’une sérieuse mise à jour. Une formalité selon Franck Taton, qui poursuit : « En trois séances de 2 heures maximum, c’est souvent réglé ». qui sont en situation d’illettrisme sociale. Au total, 10 à 20% des illectroniques, pour qui la fracture numérique ne va pas se refermer aussi facilement que ça. La faute au coût faits internet ? A en croire Frédéric Haeuw, ce n’est plus là que se situe l’épicentre de la fracture numérique aujourd’hui : « Ca, c’était il y a 10 ou 15 ans. Aujourd’hui, les écrans plats et les smartphones ne sont plus réservés aux privilégiés. Et avec les forfaits actuels, on économise presque sur le téléphone. Maintenant on est plutôt sur une fracture 16

numérique d’usage. En général, plus on est pauvre, plus nos usages d’internet sont limités ».

Il y a 10 ou 15 ans, la fracture numérique c'était ne pas pouvoir s'équiper. lescents d’un quartier défavorisé où tousbranchés.com anime des ateliers régulièrement. Franck Taton raconte : « Utiliser un clavier, une souris, ça ils ont compris. Aller sur Facebook ou envoyer des SMS aussi. Par contre, ils ne savent pas envoyer une pièce jointe. Quand on est en insertion professionnelle, qu’on cherche un travail c’est quand même la base » . A l’inverse, certains publics en technologies et à internet que dans un but utilitaire. Plusieurs ateliers, , sont ainsi conçus pour leur montrer que sir, quelque chose de divertissant. En

témoignent les malades d’Alzheimer de Metz que tousbranchés.com est allé former début mars. D’après nos interlocuteurs, la fracture numérique aurait donc pris d’autres formes. Ils diraient « La fracture numérique ne se réduit jamais, pour personne. Moi, je suis en fracture numérique : Twitter par exemple, ca fait tout juste un an que j’ai compris à quoi ça servait. Si on est un peu geek, on la domine soimême, sinon… » Sinon on est condamnés à virer illectroniques, sous-entend Franck Taton. En réalité, au rythme ou évoluent les nouvelles technologies et le web, les bases et codes à maîtriser changent sans cesse, à tel point que personne ou presque ne peut prétendre les maîtriser à 100%. A ce compte là effectivement, nous sommes tous des fondateur de tousbranchés.com !

Ateliers de réparation

S’il n’y a pas d’espoir de l’éradiquer totalement donc, à moins d’arter de faire reculer l’illectronisme. sion sociale qu’il génère.

C’est ce à quoi s’applique le Resto social Pierre Landais, à Nantes. Chaque semaine, une séance d’initiation à l’informatique y est orgades SDF y ont appris à scanner et à mettre sur clé USB leurs papiers d’identité, pour les avoir toujours accès visiteurs peuvent ainsi mettre à jour le « blog solidaire » que les animateurs du resto leur ont aidé à mettre sur pied. traite de Moulin lès Metz où tousbranches.com fait coacher des personnes âgées en repli sur ellesFranck Taton : « Hier, on avait cette personne de 93 ans, coachée par un jeune de 11 ans. Ils étaient tous les deux autour d’un ordi, ils cherchaient des vieilles chansons ou des photos de l’époque de la dame. Et puis à un moment, la dame a demandé " et toi montre moi quelque chose et a été sur une page Facebook. La retraitée était vraiment contente de découvrir ça. ». L’action contre


l’illectronisme vise aussi les enfants, à titre préventif la plupart du temps, car depuis 2008, l’école se charge de faire leur éducation informatique : en témoigne le B2i, le brevet informatique et internet passé au collège et lycée. Frédéric Haeuw raconte par sur l’ensemble du territoire en 2010, scolaire : « Chaque groupe de jeunes son territoire et le déposer sur internet. Ils doivent donc construire une page ou un site web, l’alimenter, arbitrer des débats sur un forum, ils reçoivent et envoient du courrier… » Certains parents choisissent de limiter le problème autrement et au code informatique. C’est tout le propos des « Coding goûters », organisés une fois par mois à Paris chez un parent volontaire.Une initiative qui peut sembler marginale ou sur les bords, mais qui prend de l’essor mine de rien : aujourd’hui ces goûters refusent du monde et essaiment dans d’autres grandes villes de France. Sans parler des ateliers de

hacking pour enfants organisés dans les festivals numériques comme l’Open Bidouille Camp ou Pas sage en Seine. Prendre le mal par la racine, c’est américain, David Holz. Avec son projet, Leap Motion, il propose tout bonnement de supprimer le passage obligé par l’informatique pour accéder au monde numérique, autant dire les illectroniques. L’utilisateur n’a alors qu’à se placer face à l’écran et à diriger les contenus avec les mouvements de son corps. Plus besoin de souris, plus besoin de cliquer jours qu’il lancerait une interface où l’écran et le contenu seront contrôlés par les ondes cérébrales. Une prouesse, que David Holz résume en une phrase : « Ce n’est pas à nous de savoir comment fonctionne l’ordinateur, c’est à l’ordinateur de s’adapter à ce que nous sommes. »

Claire Branchereau

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Avancer sur la case prison Un récent rapport rendu au gouvernement interroge l'efficacité des peines de prison. Elles préviendraient mal la récidive et ne favoriseraient pas la réinsertion. A Christiane Taubira de trouver les moyens, avec sa réforme pénale, de convaincre l'opinion qu'il est temps sortir du « tout carcéral ».

D

ans la nuit du 18 au 19 janvier 2011, Laëtitia Perrais, une

disparaît près de Pornic, une ville de Loire-Atlantique. Ses membres et sa tête seront retrouvés quelques jours Le rapport rendu plus tard, son buste presque trois par la conférence de mois après. Un fait divers particulièconsensus pour la prévention rement effroyable qui aurait pu rester de la récidive remet la question une affaire sordide de plus. Mais ce de l'emprisonnement qu’on appellera par la suite l’affaire dans la lumière. de Pornic ou l’affaire Laëtitia, va (Photo : Flickr/CC/Aapo prendre une tournure nationale. La Haapanen) raison ? Tony Meilhon, le suspect interpellé quelques jours seulement après la disparition de Laëtitia, a un lourd passé judiciaire. Comment ce multirécidiviste (qui n’a d’ailleurs toujours pas été jugé pour le meurtre de Laëtitia), sexuels depuis 2001 et censé être accompagné par le service pénitentiaire d’insertion et de probation a-t-il

pu se retrouver dehors et sans suivi ? Le rôle de la justice n’est-il pas d’empêcher cela ? Ces questions ont fortement agité l’opinion publique. Nicolas Sarkozy, alors président de la République, n’avait pas hésité à s’emparer de l’affaire en fustigeant les « dysfonctionnements graves » qui avaient conduit à la libération de Tony Meilhon, s’attirant au passages les foudres des magistrats et de l’Administration pénitentiaire. Au-delà de l’atrocité des faits, cette affaire montre à quel point la récidive est un sujet sensible et polémique que de nombreux élus ont tenté de résoudre sans vraiment y parvenir jusqu’à présent. En prévision de la réforme pénale qui devrait débuter au printemps, le gouvernement Ayrault s’est à son tour emparé du problème de la récidive. A l’initiative de la garde des Sceaux Christiane Taubira, une conférence de consensus sur la prévention de la récidive a été mise en place en septembre 2012.

Rupture de politique pénale

Derrière ce nom pompeux, un jury d’une vingtaine de personnes a auditionné pendant six mois des magistrats, des membres de l’Administration pénitentiaire mais également des détenus, des associations de victimes et des syndicats. Ces échanges ont abouti à un rapport rendu le 20 février dernier au gouvernement. Ses douze recommandations sont radicales. Parmi elles par exemple, la suppression des peines automatiques, la création d’une peine de probation « sans lien ni référence à l’emprisonnement », ou encore la généralisation de la liberté conditionnelle pour qu’elle ne soit plus une « faveur » mais un « mode normal de libération des détenus ». Ces pistes, si elles sont exploitées par le gouvernement socialiste, marqueront une rupture conséquente avec la politique pénale de ces dix dernières années. Car, au-delà de la récidive, c’est bien à la logique

du « tout carcéral », prônée et revendiquée sous l’ère Sarkozy, que Dans sa circulaire de politique pénale, feuille de route du ministère de la Justice pour le quinquennat, la garde des Sceaux insiste – malgré le risque politique d’une telle prise de position – sur le fait que « le recours à l'incarcération doit répondre aux situations qui l'exigent strictement » et que la prison ne représente qu’un « dernier recours ». Ce qui n’est pas le cas à l’heure actuelle.

La prison, peine référence

C’est d’ailleurs le premier constat établi par la conférence de consensus sur la prévention de la récidive. « La peine de prison semble constituer aujourd’hui, aux yeux du public comme des professionnels de la justice, la forme la plus évidente et la mieux admise des peines », explique le jury qui recommande de « concevoir la peine de prison non plus comme une 19


peine de référence, mais comme une sanction parmi d’autres ». L'emprisonnement fait donc « référence », paradoxalement à nuancer. « Il y a consensus sur le fait que les conditions de détention ne permettent pas en l’état de préparer utilement la sortie et aggravent au contraire le risque de récidive pour une part de la population carcérale », déplore le jury de la conférence de consensus. Pour en venir à ce constat, ce dernier s’est notamment appuyé une étude de deux chercheurs de l’Administration pénitentiaire, Annie Kensey et Abdelmalik Benaouda. D’après leur recherche, 59% des personnes détenues sont de nouveau condamnées dans les cinq ans qui suivent leur libération et dans 46% des cas, à de la prison ferme. Ces chiffres peuvent s’expliquer par l’absence de processus de réinsertion. Car si l’incarcération a pour but de punir, la réinsertion des personnes emprisonnées fait également partie des objectifs de la peine. Mais là encore, le contrat n’est pas toujours rempli, notamment par manque de moyens mais aussi par manque de volonté politique. Une réalité souli20

gnée par le jury de la conférence de consensus qui souhaite notamment « faire entrer les services de droit commun à l’intérieur des établissements pénitentiaires » ainsi que « d’adapter, dans toute la mesure du possible, le droit du travail au milieu carcéral et de donner aux détenus l’accès aux droits sociaux. »

59% des personnes détenues sont de nouveau condamnées dans les cinq ans qui suivent leur libération « Mastère en criminologie »

À ces deux facteurs s’ajoutent enconditions de détention indignes, comme l’ont récemment rappelé les photos de la prison marseillaise des Baumettes. Ces conditions font penser à certains que passer par la case prison est un pousse-au-crime. L'idée détenu auditionné par la conférence de consensus. Il expliquait qu’en

prison « on côtoie les réseaux de drogue, on apprend à fabriquer des faux papiers », avant d’ajouter : « Vous entrez avec un CAP de voleur à la tire, vous en sortez avec un mastère en criminologie ». Autant d’éléments qui poussent à s’interroger sur le sens de l’enfermement. Dans ces conditions, si elle favorise la récidive, si elle est criminogène et ne permet pas la réinsertion, à quoi sert la prison ? Ne vautil pas mieux développer des peines alternatives comme le préconise la conférence de consensus ? « Non », répondent en cœur les partisans de l’incarcération, et en premier lieu, l’opposition. Eric Ciotti, secrétaire national de l’UMP à la sécurité, avait vivement réagi suite aux recommandations faites par la conférence de consensus. « Ce message de laxisme envoyé une fois de plus par la garde des Sceaux est totalement inacceptable vis-à-vis des victimes, des Français et des forces de l’ordre », avait-il déclaré sur son blog.

Vers un « fiasco sécuritaire » ? L'indignation est partagée par les fonctionnaires de police. Interrogé

par Le Figaro, Patrice Ribeiro, secrétaire général du syndicat Synernonce » et que cette politique « surréaliste ne pourra conduire qu’à une explosion encore plus forte de la délinquance ». Même son de cloche du côté du syndicat Alliance qui « craint qu’avec cette nouvelle politique pénale, les voyous se sentent en totale impunité et qu’ils considèrent que tout leur sera désormais permis. A quoi servira le travail des policiers dans la recherche et l’interpellation des délinquants s’il est admis qu’ils n’iront pas en prison ou qu’ils seront, d’emblée, peu ou pas sanctionnés ? Peut-on raisonnablement croire que de telles mesures seront un frein à la récidive ? » Ces premières réactions sont la promesse d’un débat passionné si le gouvernement Ayrault a le courage politique de suivre les recommandations du jury de la conférence de consensus. En effet, la peine de prison est considérée comme l’unique sanction valable dans les consciences. Et même dans celles des prévenus. Preuve en est, cette anecdote racontée au Monde par


Michèle Bernard-Requin, présidente de la 10ème chambre correctionnelle de Paris. « Chaque fois que j'interroge un prévenu, que je lui demande s'il a déjà été condamné, il me répond très sincèrement "non", alors qu'il a eu deux sursis, un sursis avec mise à l'épreuve et un travail d'intérêt général. Dans sa tête, il traduit "condamné" par "incarcéré". »

Débloquer des moyens

Pas étonnant alors que l’Observatoire international des prisons utilise le terme de « revirement culturel » suite aux propositions faites par la conférence de consensus. Un revirement que d’autres pays comme le Canada ont choisi il y a quelques années déjà. Si on sait que la récidive a baissé dans ce pays, il n’existe pas de chiffres qui permettraient de faire un comparatif franco-canadien. La récidive est un phénomène assez peu étudié et lorsqu’il l’est, les méthodes varient selon les pays. « La diversité des systèmes judiciaires, des données administratives et des critères lièrement ardues les comparaisons internationales de taux de récidive et de réitération », précise la confé-

rence de consensus. En l’absence de comparatif possible, le « revirement » français se fera donc d’abord s’opère, car il aura inévitablement un coût. Dans un communiqué, l’Union syndicale des magistrats (USM) a regretté « qu’à aucun moment ne soit abordée la question cruciale des moyens et des méthodes à laquelle la précédente majorité n’a jamais voulu se confronter, mettant en échec tout le dispositif en vigueur. […] L’USM s’interroge sur la possibilité de mettre demain en œuvre des peines de probation et assurer un suivi effectif des personnes "libérées qués clairement les recrutements de conseillers d’insertion et de probation, la mise en œuvre des évaluament des placements extérieurs, des centres de semi-liberté ». Sortir du « tout carcéral » et privilégier les alternatives aux peines d’emprisonnement demande

il lui en faudrait 50 pour un bon suivi, notamment pour les peines de probation. Au-delà des opinions à convaincre, la question du budget A défaut d’un investissement conséquent, ces recommandations ambitieuses pourraient rester vaines. Et au premier fait divers sanglant mettant en cause un récidiviste, l’opinion publique demandera à repasser par la case prison. Sara Taleb

Ils devront être considérables : en moyenne un conseiller pénitentiaire traite aujourd'hui 120 dossiers quand 21


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Economie

Avec la crise, financer un projet est parfois aussi difficile que d'obtenir un emploi stable. En réaction, de nouveaux modèles économiques émergent et contournent les circuits conventionnels. Technologies, presse, culture y trouvent notamment un moyen de rebondir.

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Le pouvoir de la foule Plus de 90% des jeunes entrepreneurs ne trouveront pas d'aide financière de la part des banques pour monter leur propre société. Une situation alarmante qui les pousse à se tourner vers la communauté Internet. Véritables investisseurs ou simples donateurs, les internautes sont les acteurs d'une nouvelle conception de l'économie.

M

anger à bord d’un camion Peugeot J9 en se rafraîchissant avec une bière parisienne revenue d’outre-tombe, la Gallia. Le projet lancé par Jacques Ferté et Guillaume Roy est désormais La société MilleGen cherche quant per des thérapies contre le cancer, notamment une molécule prometteuse contre le cancer du sein. Pour ces deux projets ? Leurs créateurs utilisent le crowdfunding, littéralepour faire naître leurs idées ou développer leurs entreprises déjà existantes. A l’aide d’une présentation où les images et vidéos côtoient un texte accrocheur, les entrepreneurs tentent d’amadouer les investisseurs bien leurs projets. Ils tentent ainsi de ditionnels.

Un financement décuplé

-

Selon une étude récente du groupe Human Consulting Group (HCG), « dans le cadre de l'ouver-

ture d'un compte professionnel et d'une demande de prêt, 92% des banques n'aideront pas les jeunes entrepreneurs ». Un chiffre alarmant des petits nouveaux à se lancer et à voir leurs idées prendre concrètement forme ailleurs que dans leurs têtes. Alors, ils ont décidé de directement s’adresser à des investisseurs particuliers via des plates-formes posent de faire l’intermédiaire. « On n’est parti d’un constat simple : les banques prêtent peu ou plus du tout, les 4 000 business angels français ne peuvent pas soutenir tous les projets de création et d’innovation. Dès lors il fallait ouvrir un nouveau canal neurs », explique Joachim Dupont, le tout jeune co-fondateur du site Anaxago qui se propose de faire le lien entre internautes désireux d’investir et projets d’entrepreneurs. Et toile : WiSEED, KissKissBankBank, Reservoir Funds ou encore Babyloan proposent, chacun à leur façon, d’aider des particuliers à faire naître leurs entreprises ou leurs projets ponctuels. Et la mayonnaise semble

issus d’une trentaine de plateformes

en ligne. Mais ce n’est rien à côté du développement fulgurant outre-Atlantique, incarné par le leader monliards d’euros cette année. Une montée en puissance dont Barack Obama l’économie américaine : dans sa loi Jobs (Jumpstart our Business Starricain a levé tous les freins à ce mode sont encore présentes en France : « L’activité du crowdfunding est actuellement très réglementée. Par exemple, pas plus de 150 personnes prise », assure Joachim Dupont.

Une manne d'argent utile

Des entraves au libre investissement que Fleur Pellerin, ministre des PME et de l’Economie numérique, a de janvier dernier : sons aux moyens d’attirer davantage d’épargne des citoyens vers les fonds propres des sociétés ou vers les créations d’entreprises. » En cette période de ralentissement de l’activité économique, avec une création d’entreprises en chute libre de plus de 8% sur les trois derniers trimestres, le gouvernement français voit d’un

très bon œil l’arrivée de cette nouvelle manne d’argent frais plus utile d’entreprises nouvelles que dans les coffres forts des banques. Une motivation qui pousse la ministre à vouloir « faire sauter des verrous réglementaires pour faciliter ce type Mais, il ne s’agit pas pour autant Les activités doivent être viables, innovantes et surtout positionnées sur un marché porteur et en croissance. Les projets locaux ou encore

entrepreneurs, la sélection est rude : dans le cas d’Anaxago, sur près de une dizaine ont été effectivement sélectionnés et soumis aux investisseurs. Et les internautes font à nouveau un tri dans les projets sélectionnés par la plate-forme : sur cette dizaine, trois ont trouvé acquéreurs, trois ont été rejetés et le reste est en bien pour les entrepreneurs de passer le cap fatidique du « pouvoir de la sa mise sur le marché, cela augure de bonnes perspectives pour ses ventes à venir. 25


Pour se faire, le site WiSEED a décidé de mettre aux voix les projets déposés. Après une pré-sélection effectuée par la plate-forme elle-même, les projets sont soumis aux internautes qui votent, ou non, Autant de garde-fous qui sont sensés garantir le succès de l’entreprise une « Il faut que le projet soit un minimum sexy pour pouvoir a de très bonnes idées mais la présentation manque d’attrait et le pro, met en garde Joachim Dupont.

Stratégie du gagnant-gagnant

Car les investisseurs cherchent avant tout un projet dans lequel ils se reconnaissent, qui les touchent et, surtout, qu’ils ne trouvent pas actuellement sur le marché. Le modèle économique s’en trouve inversé : d’une politique de l’offre de services, on passe à une entreprise créée à la demande des investisseurs, et ce en circuit court qui exclut le plus d’intermédiaires possibles. Il est loin quelles entreprises, ni quelles activités. Les investisseurs veulent désormais savoir exactement à quoi servira leur argent. Pour garantir cette transparence, les plates-formes mettent en place des retours aux investisseurs sur le développement de l’entreprise Dans le cas de WiSEED, ce retour a lieu au minimum deux fois par an. traçabilité de leur argent. rôle des investisseurs ne s’arrêtent pas là. Ils deviennent les ambassa-

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deurs de l’entreprise, notamment par le biais des réseaux sociaux qui amPour l’entreprise, c’est un double coup gagnant car leur communication se trouve externalisée à moindre coût. Une économie qui permet aux entrepreneurs d’utiliser ces fonds gagnés grâce aux investisseurs pour développer encore un peu plus leurs entreprises. Cette stratégie relève du gagnant-gagnant : l’entreprise gagne en visibilité grâce au travail de comeux aussi, tout intérêt à ce que la leurs gains. impacté le mode de fonctionnement des investisseurs : le modèle qui servait à nourrir le gros monstre de mie réelle, a vécu. « Après m’être occupé de grosses fortunes dans de rendu compte que tout cet argent l’emploi et de la valeur dans l’économie réelle », explique Joachim porte de la banque américaine Merrill Lynch pour créer sa propre société. Mais, si ce nouveau mode de preneurs, il est tout aussi risqué car la théorie du capital-risque s’invite rie qui, sur dix entreprises, en voit trois être liquidées, deux faire un gain multiplié par dix par rapport à la mise de départ et cinq entre un

et trois fois l’investissement initial. Pour les investisseurs, il s’agit aussi le temps où la bourse rapportait est lui aussi révolu. Si, par exemple, la capitalisation boursière de Microsoft introduction en bourse, il n’en va pas de même pour les arrivées récentes comme celle de Facebook. Dorénaau tout début, lors de la naissance de l’entreprise.

« Le temps où la bourse rapportait est révolu » Ainsi, ce ne sont pas sur les dividendes, le plus souvent réinvestis dans l’entreprise, mais sur les plusvalues de cession d’activité, lors de la revente de tout ou partie des entreprises, que les investisseurs comptent pour récupérer un peu plus de billes qu’ils n’en avaient déposées. En revendant leurs parts de la site WiSEED et spécialisée dans la découverte de nouvelles molécules pour prévenir et traiter les infections nosocomiales, certains investisseurs ont pu doubler leur mise initiale. cas, le crowdfunding donne aussi un coup de jeune au don contre don. C’est le cas du site Reservoir Funds. Les seize donateurs – la terminologie est adaptée – qui ont participé au entrepreneurs se verront offrir un ta-

trois menus et des bons d’achat d’autant plus nombreux que la mise de départ sera importante jusqu’au seuil dans un appartement de la très chic Rue du Bac à Paris. Dans ce cas, si le gain est bien moindre que lors du

Anaxago, le risque l’est tout autant puisqu’il s’agit d’un don et que cet argent ne sera de toute façon jamais Pour être certain de retrouver son capital initial, l’investisseur devra plutôt se tourner vers un site comme Babyloan. Cette plate-forme, créée propose aux investisseurs du microcrédit solidaire pour développer une activité économique dans les pays émergents où les banques ne sont pas légion. Une vache laitière ici, une machine à coudre là et, ainsi,

projets, seuls deux entrepreneurs ont échoué à rembourser la somme prêtée initialement. Un défaut que Babyloan a pu combler lui-même en piochant dans sa trésorerie. Mais, là, se fait sans intérêt. Car il en va du ment traditionnel, sans risque, point

Vincent Bouquet


« Le risque d'une nouvelle bulle est réduit » Le financement participatif pourrait être un levier efficace de reprise économique. Passé au crible des internautes, les activités des PMEs financées sont tout aussi viables que celles soutenues par les investisseurs traditionnels.

Les petites entreprises ont du traditionnels (banques, venture capitalists, business angels). Elles cement alternatifs. Par ailleurs, le développement des réseaux sociaux a amené de nouveaux intermédiaires à proposer des modèles d'affaires innovants visant à mettre en contact les entreprises à la recherche de anonymes. L'idée est d'atteindre le additionnant de petites contributions venant d'un grand nombre de participatif est généralement lié à diverses formes de sélection de projets par les candidats investisseurs. La

cer.

-

Il est encore trop tôt pour se prononcer à ce sujet. Le phénomène est relativement récent et les données manquent donc pour évaluer correctement si la formule fonctionne. Les plates-formes qui sont actives pour l'instant sont encore, pour la plupart, à la recherche d'un modèle d'affaires long terme, il faut assurer une participation soutenue des deux côtés de la plate-forme. D'une part, les entrepreneurs, porteurs de projets, doivent avoir la garantie qu'ils trouveront le

gative s'engage rapidement. De tels effets de réseau rendent donc très fragile l'existence des plates-formes de crowdfunding. Par un raisonnement similaire, des spirales positives peuvent venir renforcer une plateforme particulière au détriment de ses concurrentes. Dès lors, s'il fallait faire un pronostic quant à l'évolution future du crowdfunding c'est que s'il perdure, il sera sans doute aux mains d'un nombre limité de plates-formes qui domineront le marché.

être compensée correctement pour les fonds qu'elle avance. Cette compensation ne doit pas exclusivement

La réponse est oui. L'équation est la suivante. L'innovation est un des moteurs essentiels de la croissance économique. Les petites et moyennes entreprises (PMEs) génèrent une part importante des innovations. Mais une condition pour cela est que les PMEs puissent accéder correcte-

récompenses existent et semblent faire leurs preuves) mais elle doit

ces innovations. Dès lors, dans une période où l'accès au crédit est rendu

continue à participer. Comme la participation de chaque côté de la plate-forme est dépendante de la participation de l'autre côté, toute réduction de l'activité d'un côté (par exemple, un désintérêt passager des investisseurs) se répercute de l'autre côté et une spirale né-

susceptible de lever cette contrainte et donc, de relancer l'innovation par les PMEs et la croissance économique qui en découle. Le gouvernement américain ne s'y est pas trompé en passant le Jumpstart Our Business Startups (JOBS) Act. La Commis-

sion européenne a également engagé

Le risque paraît réduit dans la mesure où le nombre de projets restent relativement faibles. Il est vrai que l'augmentation est constante mais on reste bien en deçà de ce qui milliard de dollars dans le monde. Bien que ce montant est signiloin des montants générés par l'investissement informel (les business angels, les entrepreneurs eux-mêmes et leur entourage) et les venture capitalists qui, en France, représentent PIB. Par ailleurs, les plates-formes de crowdfunding combinent généralement les conseils de professionsélectionner les projets qui méritent apparaissent comme non viables ne passent donc pas plus facilement la rampe via le crowdfunding que via les investisseurs traditionnels.

Propos recueillis par Vincent Bouquet

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Le papier fait de la résistance À contre-courant du tout-numérique, des titres comme Vmarseille, Causette ou encore Paulette misent tout sur l'imprimé. Malgré les difficultés du secteur, ces magazines se lancent contre vents et marées.

Face à une presse

S

emaine funeste pour la presse », « le papier va mourir », « x emplois de journalistes vont être supprimés », « les jeunes ne lisent plus », une ritour-

un magazine à un banquier en pleine , Causette

mois. Pourtant des médias papier sont

So Foot même ». Causette

« On a réussi à réunir 90 000 euros grâce à nos familles et à des prêts à la

-

seille

Vmar-

.

« On est tous

-

-

So Foot, So Film, Doolittle et

De l'énergie et de la maturité

-

de la réussite ? « Une ligne édito-

, pour« Une part égale une ou presque. Le mensuel appartient . Vmarseille ment en version papier. « On croit

"on ne iPad" Vmarseille, sortie Le

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, dit ter !"

-

« Tandis que le magazine

, plaisante-

-

-

« Notre indépendance

un publireportage pour faire la pro-

Killian.

don. Ultra populaire aux États-Unis -

-

Killian.

Recourir aux dons exemplaires, Le Mensuel dispose « La 30

-

« On -


nous donnent des tuyaux pour trou-

de Vmarseille est formel

-

-

-

té Paulette

« On est

, Cercle.

conseillent pour ton plan de commu-

Cercle

Le danger de l'effet de mode « Au moment pas large... On ne pensait pas que

KKBB, Cercle péennes.

étape ?

Cercle

-

-

-

-

« Paulette, c'est l'histoire d'une communauté. »

lette,

papier pensent « même le plus beau

.

Charlotte Staub

-

-

Cercle.

-

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Ras le kiosque ! Baisse des ventes, dictature de Presstalis, grèves à répétition... Depuis quelques années, les revendeurs de presse doivent s’adapter pour survivre. Face aux difficultés économiques, ils revendiquent leur amour de la profession.

Plus qu'un simple point de vente, le kiosque est aussi un lieu d'échanges. (Photo : AD)

C

e matin, la place Victor-Hugo, habituellement plutôt vivante, peine à sortir de la torpeur de l’épisode neigeux. Dans son petit kiosque du chic XVIe arrondissement niché entre une bouche de métro et un arbre, Alexandra Pianelli femme n’a rien pour se chauffer. Bonnet en maille vissé sur la tête et gants trentenaire aurait de quoi se plaindre. Son lieu de travail est exigu et perméable aux écarts de température. Mais il en faut davantage pour l’empêcher d’aller de l’avant. a un client qui se plaint d’avoir froid, elle répond, avec un franc sourire : « Eh, vous au moins, vous allez vite pouvoir rentrer dans votre salon bien au chaud ! » Pour les responsables des quelque 340 kiosques que compte la ville de Paris, le quotidien rime avec préca-

rité. D’abord parce que ces diffuseurs de presse ne peuvent pas être propriétaires du lieu où ils exercent leur activité professionnelle, à la différence des libraires. Leur concessionnaire s’appelle Mediakiosk. Après avoir

nale (PQN) ont enregistré une dégringolade de 12,5 % au cours du mois de La Croix (-0,1 %) et Les Echos léger recul. Pour Libération, c’est la chienlit : -24,6 %.

la société, le groupe de distribution Presstalis a cédé une grande partie de ses actifs au groupe JCDecaux,

Dépendance

qui explique le fait que, depuis deux ans, les panneaux qui habillent les kiosques se banalisent pour offrir le même type de publicités que sur les abris de bus ou dans le métro. Si les recettes des annonceurs publicitaires augmentent pour le propriétaire des murs, les ventes au numéro, soit la grande partie des reallure. Si l’on en croit l’OJD, l’orgatitres de la presse quotidienne natio-

avec une série de grèves de Presstalis, qui assure environ 70 % de la distribution de titres de presse et qui a l’exclusivité sur les quotidiens. Sur l’exercice 2012, les ventes déclarées par les éditeurs se révèlent stables par rapport à 2011 (-0,05 %). Si La Croix s’est maintenue en qui représentent 91 % des ventes, quand Libération culmine à 24 %. Les Echos de la disparition de leur concurrent La Tribune, dont l’édition papier s'est

de dépendance envers Presstalis, l’ensemble des kiosquiers la déplore. Pour Alexandra Pianelli, c’est la manière dont l’entreprise fonctionne qui pose problème : « Nous payons en avance les exemplaires qu’ils nous amènent. Contrairement à ce que l’on croit, nous ne pouvons pas choisir notre marchandise comme un commerçant lambda. Il n’y a aucun moyen de négocier avec Presstalis, alors qu’avec les MLP [Messageries lyonnaises de presse, deuxième acteur principal du marché de la distribution], c’est génial, car elles tolèrent qu’on refuse une arrivée. » Résultat : une bonne partie de sa entre 50 et 60 % », doit être consacrée au tri et au dénombrement des invendus. En moyenne, les kiosquiers perçoivent 17 % sur un exemplaire. Par conséquent, en période de grève du distributeur, pas de chiffre d’affaire. 33


Et au vu du monopole qu’exerce Presstalis, anciennement NMPP (Nouvelles messageries de presse parisienne), sur les titres de PQN, il semble impossible d’envisager un autre recours. « Nous sommes les premières victimes des grèves de Presstalis », constate Ali Thazem. Dans son kiosque de Pigalle qu’il a repris en 2008, il ne s’en sort pas. « On n’arrive plus à assumer les charges et toutes les factures à payer. Et il m’est impossible d’embaucher quelqu’un pour me remplacer, je n’en ai pas les moyens. » Pour augmenter son chiffre d’affaire, et propose désormais des souvenirs de Paris et quelques friandises. Problème

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font porter le nombre d'enseignes à dix. Une machinerie bien huilée avec laquelle le kiosquier de la place du pas rivaliser. « Depuis l’ouverture, ce kiosque est mort une dépression nerveuse ». Dans cette section du VIIIe arrondissement, les touristes sont légion. Mais lorsqu’ils s’arrêtent, ce n’est pas pour acheter Chaque jour, j’ai environ 500 personnes qui viennent me demander leur chemin », soupire Melhem Yaacoub. Pas besoin de rester très longtemps pour véri-

dans laquelle il se situe n’attire pas les touristes. Ces investissements se soldent par un échec dont il peine à se remettre. Mais ce dont souffrent le plus certains kiosques, c’est la concurrence du réseau de Relay Presse. Propriété du groupe Lagardère, le groupe implanté dans les gares, le métro, les aéroports et les hôpitaux sur l’ensemble

d’heure, une bonne dizaine de passants demandent un renseignement. Certains mettent les formes, d’autres

de frappe impressionnante. Rien qu’à l’intérieur de la gare Saint-Lazare, sept points de vente se partagent les trois niveaux du nouveau centre commercial inauguré en mars 2012.

Fenêtre sur le monde

aimable face à des importuns qui se contentent d’un « C’est où, les Galeries Lafayette ? ». Plusieurs dépôts parisiens ont d’ailleurs opté pour le panneau « Merci de ne pas demander votre chemin ». Au-delà de la simple fonction de GPS, le kiosque remplit un rôle social de commerce de proximité. Rive gauche, aux abords du Bon Marché, Marie-

Hélène Lombard claque régulièrement la bise à ses clients dans ce quartier cossu de Paris. Avec ce retraité qui vient chercher Le Monde tous les Point de vue, elle se montre affable et quand certains grommellent en cas de non-distribution, la pétulante sexagénaire fait preuve de pédagogie. « Je leur dis que les plus à plaindre, c’est nous. »

« Chaque jour, 500 personnes me demandent leur chemin » Pour Alexandra Pianelli, la presse est une affaire de patrimoine. Avant qu’elle n’en partage la gestion avec sa mère, le kiosque de la place Victor-Hugo était occupé par son arrièregrand-mère, puis par ses grands-parents. Et même si l’étroitesse du local l’empêchait, petite, de traîner dans les vite mise au diapason d’un quartier où les avocats d’affaires et les employés d’ambassades se mêlent à des familles aisées installées depuis plusieurs générations.

part entière du folklore parisien, la municipalité a mis en place une politique de soutien à une profession en crise. Contrairement à une idée reçue, le nombre de kiosques à Paris a augmenté ces dernières années, passant puis 2011, la redevance que doit verser chaque point de vente à la mairie a été considérablement réduite. Plusieurs enveloppes d’aide d’urgence ont par ailleurs été débloquées à destination du Centre d’entraide parisien de la presse et de l’édition. Le 25 et 26 mars, le Conseil de Paris délibérera sur le versement de 200 000 euros à la structure qui répartira équitablement entre les revendeurs. La somme a beau être homéopathique (moins de 700 euros par point de vente), elle n’en sera pas moins la bienvenue. Mais aux yeux d’Alexandra Piaéconomique ne sont pas l’essence du métier, ce sont seulement des àcotés avec lesquels il faut composer. C’est sociologiquement hyper intéressant, car un kiosque, c’est une fenêtre sur le monde ». Si sa mort a souvent contre mauvaise fortune bon cœur.

Alexis Duval


« On est un comme un chien qui ne sait pas ce qu'on va lui donner à manger » Marthe Picouza, 72 ans, est libraire de presse depuis 1980. De son point de vente du XVIIe arrondissement, elle a été le témoin privilégié des évolutions du papier.

travaillais dans le tabac avec ma sœur. Le problème de cette profession, c’est qu’on est tributaires du personnel, on ne peut pas travailler seul. J’ai voulu m’installer à mon compte en tant que libraire de presse fait en 1980. J’ai choisi le XVIIe arrondissement parce que le quartier à l’époque était assez cosmopolite, avec des appartements réservés aux employés d’ambassades. Et puis il y avait un local qui me plaisait, car derrière la boutique, il y avait un logement, ce qui est plus commode. Dans les années 1980, la presse était agréable à lire. Malheureu-

sement, elle s’est beaucoup trop en particulier la presse pour enfants, où le magazine compte de moins en moins par rapport au gadget avec lequel il est souvent fourni. Quand l’enseigne FNAC Eveil s’est installée rue de Courcelles ter de vendre les livres pour enfants, presse. Même chose pour la papeterie. De manière générale, les petits commerces se font manger par les grandes surfaces. Pour survivre et attirer une nou-

d’autres services, comme l’activité Point Relais. Cela représente désormais 25 à 30 % de mon chiffre d’affaire, ce n’est pas rien ! Je passe toutes mes matinées à répertorier les invendus, ça demande un travail énorme. Lorsque Presstalis nous livre, on ne sait pas les titres qu’on va avoir. On est un peu comme un chien qui ne sait pas ce qu’on va lui donner à manger… J’aime encore la presse, mais

vais dévorer. »

Propos recueillis par Alexis Duval 35


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Auto-éditeurs : esseulés sur la toile A l'heure du numérique, le secteur de l'auto-édition connaît une évolution prometteuse sur le marché anglo-saxon, mais ne décolle pas en France. Les auteurs autonomes veulent croire à l'avenir d'un circuit-court pour la culture, qui garantirait leur indépendance face aux grandes maisons d'édition. Mais les nouvelles opportunités offertes par le support numérique se heurtent aux difficultés d'un marché d'hébergement naissant et encore peu stratégique.

Tout le monde peut-il écrire ? La technologie a répondu oui à cette question, mais pas les éditeurs. (Illus. Priscilla Vinetot)

C

ertains auteurs à succès ne sont redevables qu'à euxmêmes. La Britannique E.L.James auto-édite sa romance érotique « Fifty Shades of Grey », devenu un best-seller aux 40 millions d'exemplaires vendus. Outre-Atlantique, l'auteur du roman « Slammed », Coleen Hoover, a vu comme quatre autres auto-éditeurs américains, son oeuvre propulsée en tête des ventes et encensée par la critique. Se passant d'éditeur, les auteurs de 235.000 ouvrages auraient tenté leur chance aux Etats-Unis en 2011 sur un marché de plus en plus ouvert à la pratique. L'engouement pour le secteur connaît une nette accélération : c'est trois fois plus qu'il y a sept ans, selon l'institut Bowker, unique détenteur des données de l'édition américaine. Mais si aux États-Unis, les ventes de livres auto-édités et imprimés à la demande ont dépassé

en 2009 celles de l'édition traditionnelle, le marché français ne connaît pas cette évolution. La bonne fortune du roman « En série – Journal d'un tueur » est loin de faire vivre son auteur, David Forrest. Le Français a atteint le record français des ventes d'oeuvres auto-éditées, avec 20.000 exemplaires écoulés.

Retour à l'éditeur traditionnel

En proposant ses livres directement sur la toile via la plate-forme iTunes d'Apple, il est parvenu à vendre sans promotion ses premiers milliers d'ouvrages au prix qu'il a choisi : 3,99 euros. Il a ensuite multiplié les plates-formes : celle de la Fnac, Kobo, et celle d'Amazon, Kindle. « David Forrest reste une exception dans l'Hexagone et dans le monde grandissant des auto-éditeurs. D'abord, il connaît l'univers numérique et sa profession de journaliste le rapproche de l'édition », analyse un éditeur du net. En effet, la grande majorité des

ouvrages qui connaissent un début de succès sur la toile rejoignent le circuit de l'édition traditionnelle. Récupérés par des maisons qui les avaient refusés au départ, et qui leur permettent une fois sorti de l'anonymat de diffuser vers le grand public et de faire exploser leurs ventes. Ainsi « Fifty Shades of Grey », initialement édité au format numérique par E.L.James, n'a atteint la dizaine de milliers d'exemplaires vendus qu'après avoir été repéré et diffusé par l'éditeur londonien Vintage allemand Bertelsmann.

Les plates-formes dédiées sont embryonnaires

Pour se faire remarquer sur la toile, sans la promotion, les conseils éditoriaux, sans le prestige et le label des grandes maisons d'édition, tous les moyens sont bons. Devant les refus successifs, Mélissa Restous a décidé de se lancer seule dans la publication de son premier livre, « Dix avril »,

en 2009, dont elle a depuis vendu 50 exemplaires. « Pour tout ce qui est administratif comme le dépôt légal ou la demande d'ISBN, c'est assez simple. Le plus gros problème de l'auto-édition, c'est le manque de visibilité et la communication ». Elle a pourtant mobilisé son réseau, déposé des livres dans certains magasins culturels, comme à la librairie Cultura, qui les place en rayon pendant un certain temps et servent à toucher un plus large public. Puis, elle a envoyé un exemplaire au conseil général du Val d'Oise qui a publié un petit encart dans son magazine. « Il faut beaucoup démarcher pour se vendre. J'ai pour faire une séance de dédicaces dans une bibliothèque aussi. Cela Isolée, elle voulait compter sur le référencement de la plate-forme, Thebookedition. Mais celle-ci lui l'impression, à la demande, de l'ou37


vrage. La communication reste à sa seule charge. Le référencement du site ne lui offrant aucune vitrine, ses ventes stagnent. Par rapport aux meilleures ventes du moment, son livre aurait tout aussi bien pu ne pas exister. « Bien sûr, on peut se faire une place sur les plates-formes dédiées à l'auto-édition, admet Christophe Mayor, autoéditeur, mais comme elles sont toutes ler y jeter un oeil, pas encore en tout cas. » « Certains de ces sites dédiés font d'énormes efforts dans notre sens étant donné leur jeune âge. Elles nous apporte le peu qu'elles peuvent nous apporter. On veut vraiment qu'elles arrivent à gagner en visibilité. Monbestseller.com et Jepubliemonlivre.com sont des sites géniaux, très bien faits, mais pour ces petites plates-formes qui sont jeunes, il est bying littéraire français, qui prône une littérature intellectuelle et snobe les auteurs exogènes. » Lassé de cette indifférence, Christophe Mayor a créé en 2012 de concert avec une quinzaine d'autres auto-éditeurs le premier syndicat national de l'auto-édition, baptisé Syna, une version française de l'Alliance of Independent Authors américaine née la même année. « Aux Etats-Unis, pour les milliers d'auto-éditeurs, c'est plus simple. Il y a une culture de l'entreprise bien moins bridée, et des sites qui pèsent lourd. Amazon, ce n'est pas français. » L'utilisation de CreateSpace, la plate-forme d'Ama38

zon leader de l'auto-édition sur papier, garantit un référencement plus titres en 2011, quand Monbestseller. com propose en ligne 119 ouvrages. Trois autres plates-formes, Smashwords pour les livres numériques, Author Solutions (Penguin) et Lulu. com, se partagent le secteur. En comparaison, le marché français est modeste. La croissance a démarré en 2011 et s'est accélérée en 2012. Une évolution calquée sur celui de la lecture des livres numériques en France, qui tend à se développer. Seuls 14% des Français auraient fait l'expérience de lire un livre numérique en partie et en totalité, contre 8% six mois plus tôt. « En terme de chiffre d'affaires c'est compliqué. 22 millions sur 4 milliards pour tous les livres, mais les données sont imprécises, explique Stéphane Leroy, éditeur et libraire numérique chez Zebook.com. Sur le marché anglo-saxon, c'est très très fort. Cela représente plus de 20% du marché global. Le morcellement du marché français s'explique par le nombre élevé de libraires indépendants. Il y en a peu sur le marché américain. »

Une place à se faire

Marché dans le marché, l'auto-édition souffre de cette fragmentation. « On est dans une phase où c'est compliqué pour l'utilisateur Le livre, ça n'est pas que les best-sellers du moment. Et les moteurs de recherches d'Apple, par exemple, sont très mal faits. Il y a une place à se faire face à Amazon, estime Florent Souillot, en charge du développe-

ment digital chez Flammarion (Gallimard). Les libraires indépendants ont une place à prendre. Je vois les éditeurs suisses et belges qui passent les frontières, des éditeurs régionaux qui ouvrent à beaucoup de choses. Avec le numérique, on a des opportunités qui se créent pour les libraires. Il y a une place pour les libraires indépendants, les chaînes et les pure players ». Les écrivains solitaires sont nombreux à rechercher une assistance dans leur entreprise, mais les platesformes ne jouent pas encore ce rôle à leurs côtés. Il y a pourtant une ded'écrire un roman en ermite et de le faire, par soi-même, une place dans un système rôdé, il leur faut trouver au moins un intermédiaire capable d'assurer une sélection à l'entrée, une relecture, un rôle de conseil et de diffuseur actif : telle est l'ironie du sort de ceux qui ont choisi de se passer d'éditeur. « L'auto-édition pose des questions fondamentales. Ce n'est pas forcément très rentable. Je le ressens un peu comme un miroir aux alouettes, poursuit Florent Souillot. Qu'on me fasse croire que je peux gagner ma vie sur une plateforme d'édition, je n'y crois pas. L'auto-publication est une réalité. L'auto-édition est un leurre. »

Kim Levy


« Aux Etats-Unis, c'est plus simple » Christophe Mayor, ancien commerçant reconverti en auteur de polars, écrit et auto-édite ses ouvrages depuis 1985. Avec une quinzaine d'auto-éditeurs, il a créé en 2012 le premier syndicat national de l'auto-édition, baptisé Syna, pour fédérer les auteurs indépendants et ouvrir la réflexion sur les stratégies d'avenir du secteur. L'auto-édition française peut-elle connaître le même épanouissement qu'aux Etats-Unis ? Christophe Mayor : Aux EtatsUnis, pour les milliers d'auto-éditeurs, c'est plus simple. Il y a une culture de l'entreprise bien moins bridée. En France, on galère. J'émets de gros doute sur la possibilité d'être pris au sérieux quand on s'autoédite. C'est synonyme de médiocrité ici. Il n'y a qu'à voir comment les grosses maisons d'édition reçoivent les manuscrits de premiers romans, comment on n'arrive pas à se faire entendre. Ils en reçoivent tellement, des manuscrits, des tapuscrits, qu'ils font une première sélection avec le nom, avec la couverture, voir si elle ce qu'ils ont imaginé de l'oeuvre. Ce n'est que lors de la seconde sélection qu'ils envisagent de lire. C'est normal, je veux, c'est tout à leur charge, leur budget ne sont pas extensibles non plus. Je crois que j'ai fait toutes les maisons d'éditions de France, que soit à compte d'auteurs, d'éditeurs. Déjà, je constate que dès que vous acceptez de débourser 2 ou 3000 euros, tout le monde

répond présent. Quelles sont les actions du syndicat ? Nous montons des commissions, pour faire ce qu'il faut pour pouvoir se faire entendre. Ça commence tout juste. Nous voulons aborder une question vaste et néanmoins cruciale : Nous avons une machine incroyable, internet, qui nous permet de diffuser gratuitement ou presque, comment en tirer le meilleur parti ? On tente d'être présents sur les salons du livre, pour faire comprendre aux maisons d'édition qu'elles devraient faire de nous des partenaires plutôt que des adversaires. C'est quand même fou qu'en tant qu'auto-éditeurs, et pour percevoir des droits d'auteurs, on nous pousse à créer des maisons d'édition ! Ce n'est pas normal qu'il y ait tant d'intermédiaires qui sucrent au passage. Sur 17 euros vous allez gagner 1 euros. Et bon nombre d'auteurs acceptent ça. Est-ce qu'il y existe une qui militent contre une telle Il y a plus d'auteurs qui s'autoéditent par obligation, très peu se

lancent contre le système. Moi j'aurais bien aimé être publié dans une grande maison. Je n'ai pas eu cette chance. Je n'ai été contacté que par de petites maisons, qui m'ont permis de voir des choses et d'étudier leurs principes. Je ne comprenais pas pourquoi certains refusaient en bloc et d'autres acceptaient à vitesse grand V. Parfois, la ligne éditoriale d'une maison interdit telle ou telle écriture, mais au-delà ? Alors j'ai fait imprimer 2 000 ouvrages pour avoir leur point de vue sur un roman déjà écrit, déjà publié, et j'ai constitué un press-book intéressant avec leurs réponses. Il en ressort que beaucoup sont des escrocs. Entre l'envoi du livre et la réponse positive, certaines n'ont même pas eu le temps de lire. Ça aussi, c'est grave. Sous prétexte d'accepter votre livre, elles grossissent leur catalogue. C'est la loi du volume, votre bouquin est aussi utile que le bottin. La qualité ment contrôlable. C'est comme la BNF, ça m'étonnerait que les ouvrages soient lus. Pour l'auto-éditeur, le site de publication et de diffusion du livre est un maillon important, qui se substitue à l'éditeur, que lui-même n'est pas.

Or tous les livres ne sont pas a priori publiables sur ces sites. Lire le manuscrit, c'est la promesse faite par certaines platesformes. C'est dommage qu'il n'y ait aucun retour de leur part, ça nous aurait donné une orientation pour améliorer l'écriture.

K.L.

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On a délocalisé mon contrat de travail Travailler sous contrat étranger en France c’est possible… mais rarement avantageux. C'est pourquoi certaines entreprises n’hésitent pas à proposer des contrats offshore à leurs employés français pour contourner le droit du travail hexagonal.

La Princesse Anne en visite of Economics, en 1986.

sont soumis

E

n 2001, l’entreprise Pretory assurait la sécurité dans les avions et les aéroports pour Air France à un prix rence. La "combine" trouvée par les anciens policiers et militaires à la tête de cette organisation quelque peu opaque pour casser les prix : rémunérer une partie de ses employés sur la base de contrats de travail français à raison de 15 heures par semaine et délocaliser le reste des heures en offshore sur des contrats exotiques (Guernesey, Lichtenstein, etc.). Liquidée voilà 10 ans, l’enjugée. Rétrospectivement, les semibarbouzes de Pretory se posent en précurseurs d’une nouvelle forme de et travail au noir. Il n’y a pas que les gros bras qui sont concernés. Chez les cols blancs, le travail dissimulé à base d’exter-

nalisation de contrats se fait plus en douceur. Face un marché du travail déprimé, certains sont prêts à se priver des avantages sociaux et des droits à la retraite garantis par les contrats français. Soit le cas de Simon, un informaticien français qui a choisi l’Italie pour réaliser son stage obligatoire de

Mais en juin 2012, j’ai demandé à être réintégré à la maison mère en France [qui lui avait proposé ce stage]. Il y a eu très peu de formalités et je suis rentré rapidement mais en gardant mon contrat de travail italien. Le service des ressources humaines m’a un peu tapé sur les doigts, mais ils n’ont rien changé à mon contrat ! »

où le salaire des ingénieurs est parmi les plus bas d’Europe. En tant que stagiaire d’une école française, il touche mensuellement 1 350 euros net par cale d’une grande entreprise française. « Mon stage s’est très bien passé, mon chef voulait me garder après mon stage, mais il ne pouvait pas m’embaucher. Il m’a demandé de devenir salarié d’un prestataire de service, auquel l’entreprise a très régulièrement recours. » contrat de travail signé, Simon gagne mensuellement… 1 350 euros. « Pour un salaire italien, c’est la moyenne.

Un cas isolé ?

En quoi ce contrat, qui « laisse perplexe [ses] supérieurs » est-il avantageux pour l’entreprise ? Simon gagne aux alentours de 24 000 euros par an, contre 36 000 pour ses collègues à poste et expérience égaux. Ce qui représente pour son employeur 12 000 euros d’économies chaque année de salaire net, plus les charges. Mais il faut déduire le coût du prestataire de service. « Même si je suis sous-payé par rapport à ce que je fais, je coûte plus cher à l’entreprise. Mais mon employeur ne laisse pas le choix… Leurs procédures de création de poste

sont tellement compliquées ! Plus que le salaire, j’attends d’être engagé en CDI en France pour donner ma démission au prestataire italien. » Simon est persuadé d’être un cas isolé, le fruit de circonstances particulières dans son entreprise. Mais sur les forums spécialisés, de conseil juridique ou professionnel, les cas similaires se multiplient. Des ingénieurs, des développeurs, des commerciaux s’interrogent sur la possibilité de travailler en France avec un contrat étranger. Karl, consultant free-lance, se voit proposer une mission longue, mais le client refuse de le payer comme consultant et lui propose, à la place, d’être salarié d’une SSII internationale (société de services en ingénierie informatique) « A priori je suis d’accord, à condition d’obtenir un salaire équivalent à ce que je facturerais en tant que freelance. Et là, ça coince, à cause des charges patronales, etc. Alors la SSII me pro41


pose un contrat de travail suisse (ou belge, peu importe), pour le salaire que je demande, mais sur lequel elle aurait moins de charges à payer. » travail dissimulé.

Des contrats parfois illégaux

Les entreprises françaises qui passent par des intermédiaires ne le font pas forcément illégalement. Plusieurs statuts sont prévus par le droit français et le droit communautaire pour encadrer ces échanges de salariés. C’est la fameuse directive dite "Bolkestein" (2006) qui a fait craindre en France à une invasion de « plombiers polonais ». A partir de 2009, les formalités administratives sont facilitées pour les prestataires de services (guichet unique). Pour éviter le dumping social, aucune discrimination de salaire ne peut être pratiquée, et la directive ne doit pas être appliquée au droit du travail. Dans les faits, il est possible de disposer d’un contrat de travail étranger en étant Français et en travaillant « détaché » par son entreprise étrangère. C ‘est la que les abus peuvent survenir : nouveau contrat pénalisant, pas de droits sociaux en France, expatriés qui ont ce statut à tort, etc. Des accords bilatéraux transfrontaliers permettent de travailler depuis sa résidence française pour une entreprise suisse par exemple. Ou d’avoir un contrat étranger mais en payant en cas d’une ESEF (entreprise sans établissement en France). Or ces règles méconnues des salariés qui, par peur de perdre leur emploi, acceptent ces conditions sans moufter. Rue89 évoquait le cas, en mai 2012, d’un trader de la City détaché par le Crédit Suisse, qui, sous 42

contrat britannique, n’a pas cotisé en France. Viré brutalement, il s’est sécurité sociale. Car il faut un délai de résidence de deux mois avant de conséquence à laquelle ne pense pas forcément un banquier qui amasse 100 000 euros par an.

« On m'a proposé un contrat anglais pour cinquante jours de carence » Plus que le coût du travail français, ce sont surtout les embauches en CDI et les avantages qui y sont associés qui poussent les entreprises à délocaliser les contrats de leurs employés, comme en témoigne « Frandelf » sur un forum : « Étant donné que la société française m'a fait deux CDD, elle ne peut plus m'employer à moins de me faire un CDI. Pour me refaire un CDD, elle a un délai de carence à respecter de un tiers des cinq mois déjà travaillés sur mes deux contrats. L'idée est donc de me faire embaucher par la société anglaise directement pour au moins le temps de carence de 50 jours environ. » Les cadres produisent un travail qui n’est pas manufacturé mais intellectuel. Avec les nouvelles technologies, leur travail peut être fait de n’importe ou, puisqu’il est dématéticien américain sans scrupules qui sous-traitait son travail à un Chinois pour un cinquième de son salaire à six chiffres pendant qu’il passait ses été élu meilleur employé de l’année par son entreprise.

Justine Salvestroni

Il y a de l'offshore dans l’air Depuis 2010, cinq compagnies aériennes ont été poursuivies en France pour travail dissimulé. Pour le moment, trois ont été condamnées. Dans tous les cas, l’accusation portait sur le bidouillage de contrats étrangers, pour des travailleurs basés en France, dont certains détenaient la nationalité française.

Avoir un contrat de travail délocalisé est une pratique courante dans l'aviation civile, low-cost notamment, qui a concerné plusieurs centaines de travailleurs sur le territoire (voir ci-contre). Si les compagnies aériennes prennent le risque de délocaliser leurs contrats, c’est pour réduire leurs coûts, à commencer par celui du travail. Ayant leur siège dans un certaines entreprises ont choisi de faire signer à leurs salariés des contrats qui dépendent du pays où se trouve leur raison sociale. Elles peuvent passer par des prestataires de services comme Contractair, qui propose des équipages et se targue de détenir des contrats de travail belges, suisses ou allemands. Soit dumping social, qui permet d’éco-

nomiser sur les cotisations patrosociétés et de disposer d’une mainprotégée. considère que le droit européen et le droit français établissent clairement que toute personne employée en France par une société étrangère qui a des locaux en France doit être assujettie au droit français. A l’exception des détachements temporaires (limités à 24 mois) ou des mises a disposition main d’œuvre, strictement salariés mieux protégés. les avocats des compagnies peuvent être pragmatiques (liberté d’exercer une activité rentable dont on fait le maximum pour qu’elle soit effectivement rentable) ou revendiquer une


La liste noire des low-cost Ryanair employait sous contrat irlandais 127 personnels navigants à Marseille, entre 2007 et 2010. L’affaire vient d’être renvoyée aux 30 et 31 mai. En avril 2010, c’est la compagnie Easyjet qui est condamnée à verser 1,4 million d’euros de domen plus d’une amende de 150 000

mait 8 millions, a été déboutée. La compagnie employait à l’aéroport d’Orly 170 salariés sous contrat britannique.

certaine vision du dumping social : « Nous avons fait signer des contrats de travail anglais à tous nos salariés par souci de justice interne » expliquait en 2007, Alec Werner, directeur juridique de Netjets Europe.

Une pratique qui divise

Cette lutte entre les compagnies aériennes et l’Etat français se joue dans les tribunaux correctionnels, les Prud'hommes ne pouvant être saisis, avec pour accusation principale le « travail dissimulé » (soit le travail au noir), mais c’est l’ensemble des droits des salariés qui s’effritent en l’absence d’un contrat français en bonne et due forme. Les gants de l’aviation civile ou le Syndicat national des pilotes de ligne) se portent généralement parties civiles et sont dédommagés (40 000 euros dans l’affaire Easyjet). Le SNPL a

très clairement pris position contre Ryanair en 2010, en rappelant que : « Le seul objectif du SNPL est que le droit social français en conformité avec le droit européen soit appliqué par toutes les entreprises employant des pilotes basés en France. » Au milieu de cette guerre juridique menée au nom de leurs droits, les personnels navigants ne sont pas unanimes. En bas de l'échelle, il y a les membres d’équipage préforcées d'accepter un contrat qui ne leur donne droit ni à la retraite ni aux primes de licenciement. Et il y a aussi certains pilotes de ligne qui ont un gros salaire et se félicitent de sur leur gros salaire. Et qui planent loin des réalités sociales de leurs collègues.

2012, de la compagnie low-cost Vueling (détenue a 46 % par l’espagnole Iberia) concernait quant à elle une dizaine de salariés, considérés par l’entreprise comme des employés sous contrat espagnol - avec une adresse à Barcelone - travaillant en détachement en France. Les salariés, partie civile, se sont partagés 100 000 euros d’amende. Air France aussi a cédé à la tentation de la délocalisation des contrats de travail. La compagnie a été condamnée en avril 2012 à 100 000 euros d’amende, pour avoir embauché du personnel sur le territoire français au moyen de contrats de travail anglais, via sa en 2010, Cityjet. La dernière compagnie impliquée dans un procès pour travail dissimulé est l’anglaise Netjets, qui utilise une licence d’exploitation portugaise, spécialisée dans les vols à la carte et employait des salariées sous contrat étranger en France. L’entreprise a été relaxée il y un tout juste un an. 43


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Culture

Le porno débande, le guide Michelin crève la dalle, des rappeurs jouent de la guitare... Où va le monde ?

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Gloire et déboires du guide Michelin L'institution évoque les plus belles heures de la gastronomie française. Affaiblie par de nombreux scandales, elle peine à renouveler une ligne éditoriale dépassée.

A Monaco, les cuisines du Louis XV, fer de lance de l'empire Ducasse avec ses trois étoiles. (Photo : LD)

I

l n’a pas pris une ride. Avec le temps il a même gagné du poids, de l’assurance, traversé les époques et les tourmentes. L’édition 2013 du Guide Michelin, couverture rouge oblige, vient de sortir. Qui n’a pas chez lui, dans un carton au grenier, chez ses grands-parents, une édition cornée ? De sa naissance sans bruit à cette nouvelle édition, le livre rouge a traversé le XXe siècle, marquant de ses étoiles la restauration mondiale. De Tokyo à Paris, de Los Angeles à Londres, le guide autant, est-il toujours le glorieux chantre, l’annonciateur de nouveaux talents et d’une certaine idée de la gastronomie ? Mis à mal sur le fond, il est aussi attaqué sur la forme. Le papier devient obsolète, le numérique apporte avec lui une pelletée de concurrents. Après 113 ans de bons et loyaux services, le XXIe siècle signera-t-il la mort du guide ? Contrairement à la croyance populaire, le livre rouge n’est pas le premier du genre. En 1827 le guide Baedeker aurait été édité en

Allemagne. Pour autant le Michelin s’est imposé de manière si puissante qu’il a comme effacé la concurrence et écrit sa légende. Tout commence en 1900. Le parc automobile de l’époque avoisine les 3000 automobiles. Peu importe, les deux frères Michelin, André et Edouard, croient dur comme fer à l’avenir de ce moyen de locomotion. Pour accompagner son développement et celui du marché des pneumatiques et du groupe Michelin, ils distribuent gratuitement dans les allées de l’Exposition universelle de Paris un document facilitant les voyages et la mobilité. L’ouvrage donne « tous les renseignements utiles à un chauffeur pour approvisionner son automobile, pour la préparer et lui permettre de se nourrir et de se loger ». Soit la liste des 600 garages de France, quelques cartes et autres informations pratiques. sionnels du tourisme commencent à s’intéresser de plus près à ce fameux guide qui est publié chaque année alors à plus de 35 000 exemplaires. L’anecdote voudrait qu’en

visite chez un distributeur de pneus, André Michelin, indigné, constate que les ouvrages servent à caler les pieds d’un établi. Depuis ce jour, il décide que les exemplaires seront payants, « car l’homme ne respecte vraiment que ce qu’il paie », auraitil dit. Il sera donc vendu 7 francs en 1920. Très vite, la partie gastronomie prend le dessus et les premières étoiles apparaissent dès 1923. L’objectif : classer les restaurants au bord des routes et ainsi inciter le lecteur à voyager… donc, à consommer du pneu. En instau« bonne table locale » « excellente table, mérite le détour » ou « une des meilleures tables de France, mérite le voyage », le guide inaugure dans la première moitié du XXe siècle un système de notation qui n’a jamais été détrôné depuis. Sa puissance, il la tire des nombreuses inspections réalisées par les inspecteurs du géant pneumatique. Petit à petit, l’inventaire des tables de France se dresse. L’édition de 1936 recense 23 trois étoilés, dont 6 à Paris. Parmi eux des grands noms de la cuisine

de l’époque, la Mère Brazier à Lyon, ou Fernand Point, le premier chef à venir saluer en salle, tradition maintenant presque imposée dans les restaurants gastronomiques. Avec le retour de la croissance dans les années 50 et 60, le tourisme et la gastronomie se développent.

Naissance du star system

Le guide devient la référence. Cité dans Le Livre noir de la gastronomie, l’ancien directeur du Michelin de 1968 à 1985 André Trichot ne s’y trompe pas : « Si la gastronomie est un des éléments devenus majeurs, ce n’est pas le fait du Michelin, mais de la clientèle et des médias. » La gastronomie au service du Michelin, Bibendum parrain de la gastronomie, la complémentarité est totale. C’est la naissance du star system. Obtenir le sésame des trois étoiles, c’est l’assurance de remplir son carnet de réservations pour les mois à venir. Plus qu’un but, une consécramodèle, le précurseur, celui à avoir fait sortir les chefs de derrière leurs pianos, se nomme Paul Bocuse. 47


Les trois étoiles obtenues en 1956, elles ne le quitteront plus. Les autres chefs, en rêvent la nuit. Le guide représente alors l’image des auberges au bord des routes, des plats en sauces et de la bonne ripaille. Bocuse, puis Ducasse, Robuchon, Veyrat, Gagnaire… tous s’engouffrent font de leurs noms une marque. À l’aube de l’an 2000, Michelin entreprend de poser son regard critique à l’international. Rapidement, il s’implante sur vingt-deux marchés européens et renforce l’idée multiséculaire qu’en matière de cuisine et de vins, la France est la référence. Comme à Paris ou à Lyon, l’élévation d’un restaurant vers les étoiles représente alors un évènement médiatique. Coup de théâtre en 1999, deux chefs londoniens, Marco Pierre White et Nico Ladenis rendent leurs trois étoiles, tournent le dos au Michelin et impulsent une nouvelle direction à leurs établissements. Les repas sont devenus trop chers et sont réservés à une élite. « Sortir du système Michelin était la seule solution » Michelin rétorquera que personne ne peut rendre ses étoiles. Trop tard, le mal est fait. Le guide est touché. Si le XXe siècle a vu sa fulgurante ascension, le XXIe pourrait bien assister à son explosion en plein vol. Si l’obtention des trois étoiles, du moins hors de 48

Paris est l’assurance d’une reconnaissance des pairs, c’est désormais aussi un boulet au pied. Gagnaire à Saint-Etienne et Veyrat en Haute-Savoie en ont fait les frais. La raison ? Les investissements colossaux engagés par les restaurateurs pour que le décor soit en adéquation avec les mets servis.

Briser l'omerta

Le guide sent le vent tourner et pour la dernière édition d’un siècle qui l’a vu naitre, le Michelin change de nom. Il s’appelle désormais Le Guide rouge et propose un bref commentaire pour chaque restaurant et hôtel, passant ainsi du statut d’ande la TVA à 5,5%. Choix marketing ou éditorial ? Le probable dépérissement du papier face au progrès d’Internet a pesé dans la balance. Bernard Loiseau a été retrouvé mort dans son appartement le lundi 24 février 2003. Le guide serait, indirectement, l’un des responsables. L’un des rares chefs à avoir su réunila dislocation de la nouvelle cuisine sion sur ses épaules. Surendetté, il se suicide. Choc et consternation dans le paysage gastronomique. La première pique viendra du parrain Bocuse qui dénonce le yo-yo des guides et des médias, qui aurait entrainé le geste de Bernard Loiseau.

C’est un autre bruit de casserole qui ébranle le souverain Bibendum en 2004. Pascal Rémy, un de ses anciens agents, publie un livre choc, L’inspecteur se met à table, violant ainsi l’omerta. Le pamphlet s’appuie sur le journal secret que l’auteur a tenu durant 16 ans. Rémy y révèle que le guide n’emploie que cinq agents pour toute la France. Détruisant un autre mythe, il dévoile que de nombreux restaurants ne sont pas visités annuellement et que parfois plusieurs années s’écoulent même entre les visites. Il assure aussi que d’intouchables et que certains chefs quémandent régulièrement une promotion. La planète gourmande est en émoi.

« J'espère que le Michelin retombera sur ses pieds. Il était brillamment dirigé autrefois »

La réputation du Michelin est écornée. Elle est de nouveau mise à mal en 2005. Dans Le Guide rouge Belgique et Luxembourg, un restaurant se voit attribué une évaluation avant même son ouverture. L’établissement a obtenu de de bonnes relations avec la direction. Petites magouilles et faveurs.

Résultat : 50 000 exemplaires au pilon, une édition retardée de deux mois et un scandale de plus.Repris dans La Cuisine française, un chefd'oeuvre en péril, Joël Robuchon accuse le coup : « Après toutes ces embrouilles, cela m’attriste que l’on commence à mettre en question l'impartialité du Michelin. J’espère qu’il retombera sur ses pieds. Il était brillamment dirigé autrefois. » Le coup de grâce viendra d’un des chouchous du guide, Alain Senderens. Après 28 ans de bons et loyaux services sous la triple bannière étoilée, le chef du Lucas Carton à Paris annonce en mai 2005 rendre à son tour sa distinction : « Je dépensais des milliers d’euros par an pour la salle à manger. » La gastronomie française est aujourd’hui entrée dans une nouvelle ère. Les chefs doivent servir une cuisine impeccable, respectueuse du produit, libre et créatrice sans pour autant offrir du faste et un excès d’obséquiosité. Michelin rate le coche. Il est pétri de conservatisme et vante les mérites d’une bourgeoisie d’un autre temps. Cette chape de plomb vole aujourd’hui en éclat. Le salut momentané du livre du Bibendum c’est que la cuisine française s’est construit autour de lui, comme une secte adoratrice d’un seul dieu. Le dieu est pourtant un simple mortel. La jeune génération de chefs, elle, s’émancipe.


Pour faire face à la désaffection du public français, le Michelin s’exporte encore et toujours plus : New York, Los Angeles, San Francisco, Las Vegas, Tokyo, Osaka, HongKong… Ce qui permet de compenser les chutes inquiétantes des ventes en France. De 500 000 exemplaires en 1999, les ventes se sont écroulées à 107 000 en 2010. Dans une interview accordée à Slate le 6 février 2012, Jean-Luc Naret, patron de 2003 à 2011 et architecte de la rénovation éditoriale « La vocation du Michelin reste la sélection méthodique des adresses de restaurants, d’hôtels, d’auberges, de bibs gourmands et la confection de cartes géographiques. Cette sélection peut être commercialisée par d’autres vecteurs –le numérique, Internet– que l’édition papier en pleine récession. Il faut évoluer côté contenant comme ce que le guide fait sur Smartphone.» Les étoiles ne sont plus les seuls critères. Les bibs gourmands récompensent depuis 1997 les établissements offrant un très bon rapport qualité/prix. Une manière pour le livre de se réapproprier la tendance de la bistronomie. Si la transition numérique s'est faite assez facilement, le site Internet recense plus de 20 millions de visites par an, la question des commentaires ouverts à tous les internautes reste en suspens. Une institution comme le guide qui a fondé sa gloire sur

l’impartialité de ses jugements de goût peut-elle laisser s’exprimer le quidam sur le site, faire l’éloge d’un chef, critiquer un autre, raconter son repas et lancer des rumeurs ? Cette révolution drastique du Web laisse de marbre les chefs. Dans Le Livre noir de la gastronomie, JeanLuc Naret s’indigne « C’est de la pollution organisée, les avis des internautes n’ont aucun fondement, aucune expertise: on envoie ce que l’on veut sur le Web. La modération des propos: éliminer les insultes, les injures, les gros mots –tout cela paraît bien nébuleux. » Le guide ne rapporte même pas 1 % du chiffre d’affaire de la nébuleuse Michelin. Est-ce là une manière d’abandonner progressivement le papier ? Fini l’époque où la publication du guide Michelin évoquait échappées et escapades en automobile sur la route des étoilés. L’irrésistible ascension est terminée. L’accumulation de bévues et de faiblesses a fait du Michelin une référence gastronomique comme une autre. À l’heure du numérique, Bibendum est aujourd’hui en quête de crédibilité et de renouvellement. Alors que les blogs pullulent, que les commentaires ont un poids considérable et que le numérique menace le papier, le guide rouge se retrouve à la croisée de deux mondes. D’un côté, le souvenir d’une gloire passé et de l’autre un avenir incertain.

Thibault Dubreuil

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Ségrégation électrique, une autre histoire du rock A l'occasion de la sortie de "People, Hell & Angels", un album inédit de Jimi Hendrix, retour sur l'histoire des guitaristes noirs, recalés de la légende du rock, de Chuck Berry à Lil Wayne.

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« Un guitariste de blues pendant une "recording session" (Photo : Peggy A. Bulger)

our moi, Jimi n’était pas Noir. C’était un blanc. Il ne pensait pas comme un coloré et il n’attirait certainement pas une foule noire à ses concerts. Il ne jouait pas de la musique de noir ». En quelques phrases, le manager de tournée du légendaire guitariste décédé en 1970 résume l’un des plus grands paradoxes de l’histoire de la pop. Ou comment le rock, dérivé des musiques noires américaines d’aprèsguerre, est devenu "une musique de Blancs" et la guitare électrique un totem de la culture populaire dominante. Presque 40 plus tard, le mythe d’une guitare exclusivement "blanche" perdure. Au point que sur Urban Dictionnary, le populaire web-dictionnaire collaboratif

de "black guitar player”, on peut lire : « un mythe, quelque chose qui n’existe pas ». D’autant plus ironique que Jimi Hendrix continue de truster la première place des classements des « plus grands guitaristes de tous les temps » dont sont friands les magazines musicaux. C’est le même préjugé qui pousse Noel Gallagher, le guitariste d’Oasis, à critiquer la venue de Jay-Z au festival anglais de Glastonburry en 2008, au motif que ce rassemblement s’est bâti sur une « tradition de musique à guitare ». Peu importe si le rappeur est accompagné depuis longtemps d’un liveband complet, guitariste inclus. Jay-Z répondra à Gallagher en déboulant sur scène avec une Stratocaster pour maltraiter Wonderwall, l’hymne des mancuniens. L’image d’une icône de la communauté noire se trimballant avec une guitare élec-

trique a fait sensation. Depuis, les rappeurs américains les plus mainstream se sont mis à brandir des guisavoir en jouer. La réappropriation de la guitare électrique par les afroaméricains serait-elle en marche ?

Les débuts de la guitare

Si dans les années 1830, c’est la haute bourgeoisie blanche qui introduit la guitare classique sur le nouveau continent en copiant l’engouement européen pour la six-cordes, c’est la classe ouvrière noire qui la rend populaire : elle devient un instrument folk (de folks, les gens). Après la guerre civile, alors que les Blancs préfèrent le son du banjo, les afro-américains réinventent l’usage de la guitare en instrument de danse et de fête. Fini les sages mélodies et les arpèges. Dans les troquets, dans les rues, chez les barbiers, les

accords syncopés grattés sur les "boîtes" (surnom de la guitare à cette époque) remuent les foules. Alors que ces pionniers posent les bases de la musique populaire du XXème siècle, la popularité de l’instrument chez les afro-américains est indiscutable : « Il y a plus de guitaristes noirs que de grains de sables sur la côte » écrit le journaliste George L. Know en 1893 dans le Indianapolis Freeman. Au début du XXème siècle, les big bands de jazz composent la bande originale des Années Folles quand dans les campagnes, le long du Mississippi, les premières notes bleues se font entendre sur les six-cordes défoncées des travailleurs des champs (noirs, il va sans dire). En 1931, la première guitare électrique est commercialisée, mais, privée de caisse de résonance et en forme de poêle à frire, elle n’est qu’une machine à larsen au look bi51


des instruments à cordes devient indispensable : à cette époque, les guitaristes de jazz et de blues peinent à se faire entendre dans les orchestres. La faute en grande partie à un nouvel instrument qui se développe aussi vite que le tempo de la musique pop s'accélère : la batterie.

Chuck Berry ouvre la voie

Après guerre, les innovations de Les Paul et Léo Fender - dont les modèles s’arrachent encore aujourd’hui offrent aux guitaristes frustrés l’outil idéal pour revenir sur le devant de la scène. Les bluesmen s’en emparent et réinventent l’éventail technique du musicien. Les manches de guitare doigts se délient. Touché par la foudre électrique, les guitaristes de R&B, auparavant relégués au rang de seconds couteaux, deviennent des showmen. Symboles de cette transformation : Chuck Berry et ses solos de guitare délurés (son tube Johnny B. Good en 1958 sera la source d’innombrables vocations, à commencer par celle de Keith Richards) ou encore Bo Diddley et ses proto-riffs endiablés. Tous les jeunes américains s’enA l’époque, les salles de concert du Sud sont encore interdites aux “colorés”, qui ne peuvent voir jouer leurs idoles. Le public blanc remplit les sièges vides et à Nashville comme 52

en Grande-Bretagne, les musiciens blancs - Elvis, The Rolling Stones et des centaines d’autres - amorcent la récupération des codes de la musique noire par la culture dominante. Immédiatement, la guitare électrique devient omniprésente, indispensable, le public américain est mûr pour le culte du guitar hero débitant les solos à la chaîne sur sa guitare électrique, à la fois symbole phallique et arme de distraction massive... Et ce premier guitar hero, évidemment, sera Jimi Hendrix.

Hendrix et la cause noire

« Jimi Hendrix, malgré sa renommée universelle, n’est pas entré au panthéon des icônes black du 20ème siècle » écrit le critique américain Greg Tate, (auteur de Midnight Lightning : Jimi Hendrix and the Black Experience) « En explosant les barrières de la ségrégation raciale, il a émergé comme une icône pour petits Blancs, poursuit-il. Le traitement de faveur exceptionnel qu’il a reçu de la communauté blanche venait du fait qu’il n’était pas perçu comme une menace politique - il traînait avec des blancs, attirait une foule blanche en concert, jouait avec un groupe blanc [The Jimi Hendrix Experience, avec le bassiste Noel Redding et le batteur Mitch Mitchell, tout deux britan-

niques] et en plus de ça, il laissait pantois les blancs sur leur nouveau terrain de jeu - c’est à dire le rock n’ roll. » Bien qu’ayant lui aussi commencé comme sideman de R&B, notamment pour le pianiste Little Richard, Jimi Hendrix ne connaît le succès que dans l’immédiat aprèsdroits civiques. Mêlé à la bohème de Londres, où il vivait, il n’a pas joué de rôle dans la lutte des Noirs. il déclare que « la musique est plus forte que la politique. J’ai de la compassion pour les minorités, mais je n’ai pas l’impression d’en faire partie. Et pour moi, la réponse, c’est la musique. » Mais de retour au pays, le choc est rude pour l’icône passée à la blanchisseuse rock dans une Amérique secouée par les émeutes raciales. « Oncle Tom psychédélique », Hendrix, adulé par une marée humaine d’hippies à Woodstock est renié par la communauté noire, alors que le Black Power atteint son apogée. « Hendrix est le dandy nègre écrira le critique (blanc) John Morthland dans Rolling Stone... Cependant, très vite, la question raciale le rattrape. Les Black Panthers tentent de lui faire les poches quand il est de passage à New-York. s’engager politiquement - son Band of Gypsies est 100% black, et en

concert, il dédie la chanson Machine Gun (mitraillette) - à tous les « soldats qui se battent à Chicago, Milwaukee et New-York » (les fameuses chocolate cities en pleine révolte) comme au Vietnam. Trop tard - Jimi Hendrix meurt l’année suivante, et dans la psyché américaine comme dans l’histoire du rock il restera « ni noir ni blanc, juste Jimi » comme le résume Maureen Mahon, (professeur d'anthropologie à la New-York University, qui a consacré un livre, Right to Rock, au sujet des rockeurs afroaméricains en 2003).

« Les nègres ne devraient pas jouer de la guitare »

Jimmy Page, Eric Clapton, Frank Zappa, Eddie Van Halen... Les guitar heroes pullulent dans les années 70. Un panthéon d’hommes blancs à cheveux longs et pantalons en cuir se constitue. Pas de place en revanche pour Eddie Hazel, guitariste afro de Parliament-Funkadelic, qui, au delà des cercles d’initiés, verra ses talents reconnus tardivement par les historiens du rock qui ont longtemps cantonné sa musique aux stations de R&B. La création de MTV au début des années 1980 transforme l’industrie musicale en refaçonnant la pop à destination des classes moyennes blanches. De 1981 à 1983, aucun clip d’artiste noir n’est diffusé sur la chaîne, une situation qui émeut des


stars comme David Bowie. « MTV est une chaîne de musique rock » répond sans sourciller Buzz Brindle, directeur de la programmation de la chaîne, entérinant ce qui est désormais une évidence : rock = musique blanche. Pourtant, de la Californie à Washington sévissent les afro-punks de Bad Brains ou Fishbone - qui ne trouvent de relai ni dans leur communauté, acquise au R&B, disco et hip-hop naissant, ni sur les radios rock, privilégiant les groupes caucasiens. Dans le même temps, MTV s’ouvre peu à peu aux artistes crossover, c’est-à-dire les chanteurs issus des minorités mais capables de plaire au public blanc, comme Michael Jackson. Lequel fera appel à Eddie Van Halen, probablement le plus stéréotypé "blanc" de tous les guitaristes de l’époque, pour « faire rock » sur Beat It. « Dans les années 1980, l’appropriation du rock par la culture blanche était si complète qu’il était devenu tout à fait illogique de voir des noirs en jouer » conclut Maureen Mahon. Au point qu’un groupe d’intellectuels et de musiciens noirs de la côte Est fonde la Black Rock Coalition (BRC) pour promouvoir leur « droit à rocker » - titre de l’ouvrage de Mahon - contre l’« Apartheid Orientated Rock ». De cette mobilisation naîtra le groupe Living Colour, un quatuor afro-américain de pur hard rock, virtuose et engagé,

mené par le guitariste Vernon Reid, cofondateur de la BRC. Soutenu par Mick Jagger, le groupe décrochera de la décennie, avant de sombrer peu à peu dans l’oubli.

« La musique est plus forte que la politique. J’ai de la compassion pour les minorités, mais je n’ai pas l’impression d’en faire partie. » La trajectoire de Slash, guitariste des Guns N’ Roses, illustre bien cette fracture culturelle. Né Saul Hudson d’une mère afro-américaine, le virtuose incarne dans les années 80 le "blanchiment" entrainé par le statut de « dieu de la guitare » dont a souffert Hendrix. Peu revendicatif de ses origines (il ne mouftera pas quand le chanteur Axl Rose, fera scandale en chantant « les nègres cassez vous de mon chemin ») et appliqué dans son rôle de guitar hero (les longs cheveux, la dégaine de cowboy, les frasques), Slash, métis à la peau claire, passe encore aujourd’hui pour

blanc auprès de la majorité du public. Une ambiguité qu’il aborde dans son autobiographie parue en 2008 : « J’ai souvent remarqué que les gens ajustait leur comportement quand ils était autour de moi car ils n’étaient pas sûrs que je sois blanc ou noir... » avant de reconnaitre certaines exceptions : « Toutes les attaques racistes que j’ai subi ont eu lieu dans le milieu ultra-blanc du métal des années 1980. Je me suis battu une fois avec Chris Holmes du groupe WASP qui claironnait que les nègres ne devaient pas jouer de la guitare.» Malgré tout, dissimulé derrière ses lunettes teintées, son épaisse tignasse bouclée et son haut-de-forme, Slash s’est frayé un chemin jusqu’au panthéon laire, Lenny Kravitz connaîtra aussi un certain succès, en imitant jusqu’au pastiche Jimi Hendrix pour la plus grande joie du public rock traditionnel. Sans pour autant ramener la guitare électrique vers la communauté noire.

Des rappeurs à guitare

tare électrique dans la culture afroaméricaine ne se fera pas vraiment par la musique ni par les instrumentistes. Si au début des années 2000, la dans la musique noire est à porter au crédit des rappeurs intellos comme The Roots ou encore Mos Def et son projet rock Black Jack Johnson monté

avec l’aide des vétérans de la Black Rock Coalition, c’est Lil Wayne qui en fera clairement le plus dans la catégorie rappeur à guitare. Il se réinvente en guitar hero - la dextérité en moins - de l’ère post-raciale des années Obama, alors que l’instrument est tombé en désuétude avec le recul de la popuR&B. Sur son album Rebirth sorti en 2010, le rappeur de la Nouvelle Orléans pose avec une six-cordes et rappe : « Nigga, it's just me and my guitar, yea bitch I'm heavy metaling. You can get the fucking Led Zepplin. » En concert, il impose chaque soir un interminable solo de guitare atonal sur trois notes à ses fans pendant de très longues minutes, comme au bon vieux temps. Il n’est pas seul - Kid Cudi et Andre 3000 d’Outkast, s’y mettent aussi, sans plus de réussite. L’excentrique leader du duo d’Atlanta traverse depuis plusieurs années une période Hendrix, ayant monté sur son nom une adaptation cinématographique de la vie du Voodoo Child, malgré les refus des ayants-droits, qui ont bloqué l’utilisation des chansons. cera donc la vie d’Hendrix sans qu’on puisse en entendre une note, avec l’espoir de réintégrer le guitariste dans l’histoire de la musique noire améristéréotypes raciaux liés à la guitare électrique.

Guillaume Gendron

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Attention danger porno L’Islande veut être le premier pays occidental à interdire les images explicites sur Internet. L'objectif avoué est de protéger la jeunesse de l'influence des contenus pour adultes. Pourtant, c'est bien la société qui influence la pornographie plutôt que l'inverse.

Q Selon eux, les adolescents savent faire la différence entre les images pornographiques et la réalité. (Illus. Koreus.com)

uatre-vingt-dixsept pour cent des hommes en ont vu. Ce constat, issu d’une étude de l’Ifop, peut paraître évident : tout le monde regarde, a regardé ou regardera du porno. « Il n’est pas possible d’avoir une relation sexuelle dénuée de rapport avec la pornographie, elle constitue une référence collective incontournable », résume Alexandre Duclos, spécialiste du sujet, enseignant-chercheur à Paris 1. Pour la première fois dans l’histoire humaine autant de jeunes - au même titre que les autres membres de la société - ont accès aussi facilement à ce type de contenus. C’est donc un vecteur très important de l’éducation sexuelle de la jeunesse. Tout simplement parce que le contact avec la pornographie se fait désormais si jeune - huit ans en moyenne dans les pays développés que c’est aussi la première rencontre de ces internautes avec la sexualité en général.

Depuis l’invention des cassettes VHS, les images à caractère sexuel n’ont cessé de se répandre dans la société. Jusqu’à pousser ces jours-ci les Islandais à exiger leur disparition des « ordinateurs, des smartphones et des consoles de jeux ». Ils veulent néfaste de ce genre de contenus ». Cette initiative législative a rencontré un écho, dans les pays nordiques au moins, puisque la Finlande pourrait faire une tentative dans le même sens. Une proposition de directive a été rejetée par le parlement européen, après un débat houleux à Strasbourg. Preuve, s’il en fallait, que le sujet ne laisse pas indifférent. « L’intérêt pour le porno est le même que celui qui concerne la sexualité, pour les jeunes notamment : c’est très humain », s’amuse Patrick Baudry, sociologue, auteur de « La pornographie et ses images ». Pour autant, il tient à relativiser « tout effet direct et massif que ce genre cinématographique pourrait avoir. En dehors de quelques rares personnes qui pourraient avoir une

consommation impulsive et addictive, c’est plutôt une culture. Qui s’est diffusée dans la publicité, dans les médias, qui s’est intégrée à notre univers visuel. » À propos des effets supposés dévastateurs sur nos chères têtes blondes, le sociologue se veut aussi prudent. « Bien sûr, depuis les années 2000, c’est le porno qui vient à nous au lieu de l’inverse. Pour autant, les ados n’ont pas changé leurs pratiques. Ils savent que ce sont des images et n’ont pas envie de coucher avec des dizaines de brutes », assène-t-il.

Diffusion massive de contenus

Elle, en a eu envie, en a même fait son gagne-pain : Anna Polina est une « star du X ». Après avoir « adoré reelle est devenue une Dorcel Girl : elle écume les salons érotiques et mulrécuse violemment l’idée d’être une « éducatrice sexuelle, alors que c’est le rôle de la société, des parents à

minima. Tout le monde devrait savoir que les enfants vont être confrontés au X. » Pour elle, « le porno est un moyen d’expression, qui ne mérite pas d’être stigmatisé. Parce qu’il n’a pas vocation à éduquer. Il faut dire et répéter qu’il n’y a là rien de malsain, mais que cela concerne un public adolescent et adulte. » Grégory Dorcel, pd-g de la société éponyme - « et luxure depuis 1979 » - se défend lui aussi. « Quand les jeunes boivent trop, est-ce la faute du viticulteur ? En plus, il ne faut pas croire que le porno ait bouleversé les mœurs. L’Institut National des Etudes Démographiques a montré dans une étude que l’âge du premier rapport sexuel n’a pas changé depuis trente ans. Il est de 17 ans et demi. » Il reconnaît tout de même que la diffusion massive de contenus peut in« Il est vrai qu’Internet créé une sorte de ghettoïsation du porno par son individuation, mais ce n’est pas notre responsabilité. Depuis que les contenus sont hébergés via des plates55


formes illégales et de streaming, des entreprises comme la mienne n’ont accès qu’à guère plus de 10 % du marché. »

« Quand les jeunes boivent trop, est-ce la faute du viticulteur ? » N’en déplaise aux esprits chagrins, le porno massivement consommé sur la toile est forcément « mainstream ». Un tour sur la homepage du leader du secteur, Youporn, tiques les plus osées sont des sodomies et des fellations à la chaîne. et plus de 1000 scènes à mon actif : on ne m’a jamais demandé quoi que ce soit de choquant », tient à préciser avec vigueur l’acteur Phil Hollyday. « On ne demande jamais grandchose d’extraordinaire. Après, en tant qu’acteur, il ne faut pas aller chez Rocco et se plaindre à cause d’une sodomie. Tout ce que je peux dire, c’est que depuis une dizaine d’années, les mœurs se sont un peu libérées et c’est tant mieux. Cela a commencé chez les actrices. » On peut avoir remarqué des nouveautés à la marge, mais malgré les changements techniques récents et l’arrivée de nouveaux canaux de diffusion, la pornographie dans sa forme et dans son discours n’a guère changé depuis une trentaine d’années. Les schémas scénaristiques, les fantasmes invoqués, voire les discours produits inconsciemment 56

par l’industrie, ont été créés à la « Cela fait longtemps que le public veut du vrai, de la vraie vie » réalisateur de X parisien depuis plusieurs décennies. « Depuis qu’Internet nous met la pression avec tout ce contenu pillé et ces amateurs, on va vers encore plus de réalisme. Mais c’est une tendance à l’œuvre depuis longtemps. Parce dans le porno on essaye avant tout de satisfaire une demande la plus large possible. » Le X est donc bien une économie de la demande, quoi qu’en disent ses contempteurs.

La pornographie comme éducation sexuelle

« La question n’est pas de savoir ce que le porno fait à la société mais bien ce que nous en faisons », s’exclame le sociologue Alexandre Duclos. « Ce type de contenus est vu par tout le monde et même ceux qui n’en regardent pas ont une idée de ce qui s’y passe. C’est donc un espace de négociation de la sexualité, qui se conforme aux règles de la société. Par exemple, les pornographes ont arrêté les images pédophiles dès que c’est devenu un tabou, de même pour le problème de la violence faite aux femmes. La pornographie rend visibles les normes de la société. » Grégory Dorcel, d’un ton agacé, va même plus loin. « On reproche tout le temps à Internet de montrer n’importe quoi, mais c’est faux. Ces gens nous mangent la laine sur le dos, mais ce sont avant tout des business man. Ils ne sortent jamais du cadre de la loi, sauf exception. Et pour moi, c’est encore pire, j’ai le Code

Pénal au dessus de la tête. » Devant leur écran ceux qui res’y conforment ou s’en éloignent. Ils ont le choix. Alexandre Duclos en est convaincu : « Il serait naïf de croire que le porno modèle la société, c’est l’inverse qui se passe ». On comprend mieux pourquoi les enfants n’hésitent pas à s’en servir de la pornographie comme éducatrice sexuelle. Un professeur dont les petits Islandais pourraient bien devoir apprendre à se passer.

Julien Sartre


Youporn vs Redtube Le gonzo "réaliste" contre le hard californien fardé. C'est le choc de ces dix dernières années, un affrontement qui a fait perdre des millions de dollars à l'industrie du X. Dans le coin gauche du ring, des amateurs ou des pornographes qui se font passer comme tel. En face, de déos impeccables, avec des moyens, une plastique et une esthétique irréprochables. Chacune de ces deux visions de la pornographie a ses amateurs et son canal de diffusion. Youporn, leader sur le net, revendique le chiffre quante sites les plus visités du monde et a fait sa fortune du mélange de des vidéos plus ou moins amateurs. Ces dernières font partie de l’univers du gonzo : un genre « réaliste » qui surfe sur le fantasme du « girl next door ». En clair, votre voisine pourrait être une star du porno et c’est peut-être elle que vous regardez en plein ébats. Fourni en partie par de vrais amateurs, mais surtout par des pornographes du dimanche, leur part croissante dans l’économie du X a coûté cher aux acteurs traditionnels du secteur. De l’autre côté, Redtube, avec plus de 5 millions de pages vues par jour, est en troisième place des sites

mondial de ces sites – visités partout dans le monde. Le contenu diffusé par ces deux acteurs du secteur est différent : surtout des extraits de productions directement issues de la vallée de San Fernando en Californie. Des professionnels qui travaillent pour des internautes avides de scènes explicites, mais qui les font rêver. De nombreux observateurs ont cru que la tendance gonzo viendrait à bout de la production professionnelle, notamment en la coupant de ses revenus. Le porno vend moins, certes, mais génère une telle quantité de pages vues sur le web que la publicité est un modèle rentable. Et le gonzo s’est avéré une tendance en Ce sont surtout des copies bon marché de productions plus importantes.

J.S.

même niveau que dans le classement 57


cosmos Institut Français de Presse - Magazine Master Journalisme M2

NumĂŠro 03 - mars 2013


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