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Interview
MARTINA HINGIS
«Il ne faut jamais oublier le plaisir»
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Enfant prodige du tennis, Martina Hingis s’est hissée sur la plus haute marche du podium l’année de ses 17 ans. Retirée du circuit et désormais jeune maman, elle revient sur son parcours et sur la passion du sport qui continue de l’animer.
Propos recueillis par Elodie Maître-Arnaud • Photos Kiré Ivanov / OTAKUS
Martina Hingis s’est classée quatre ans numéro 1 mondiale. Elle fut et demeure aussi la plus jeune joueuse à avoir atteint ce rang. C’était en 1997, elle avait un peu plus de 16 ans. Vingt-deux ans plus tard, on est charmé par ce même sourire et la façon dont elle roule les R lorsqu’elle répond, en français, à nos questions. En visite à Lausanne pour le tournage d’un spot publicitaire, elle passe pour la première fois une journée complète sans sa fille. Une petite épreuve pour la jeune maman, qui se prête toutefois avec amusement au jeu de notre séance photo dans les couloirs du Beau-Rivage Palace. Et c’est sans nostalgie ni regrets qu’elle nous parle de sa carrière de championne.
REGARDS Avez-vous regardé la finale de Wimbledon dimanche dernier?
(L’interview a été réalisée le 16 juillet, ndlr) MARTINA HINGIS Bien sûr! Enfin, seulement le début et la fin… Avec un bébé, ce n’est pas facile de rester pendant quatre heures et demie devant la télévision! Je suis vraiment épatée par la résistance de Roger (Federer, ndlr). C’est brutal de perdre un tel match!
Vous vous connaissez bien avec Roger Federer?
Evidemment, puisque nous avons joué en double ensemble! On s’est aussi beaucoup croisés dans des tournois.
Avez-vous tissé des relations d’amitié avec d’autres joueurs et joueuses?
Oui, je suis restée amie avec quelques joueuses. Plusieurs d’entre elles sont venues à mon mariage. On s’envoie des messages et on se voit de temps en temps. Mais c’est difficile quand vous avez une copine qui joue en Croatie, l’autre à l’île Maurice et la troisième à Miami! Et puis certaines d’entre nous sommes maintenant très occupées avec nos enfants, et nous ne vivons pas tout près les unes des autres.
Après 25 tournois du Grand Chelem remportés et 6 titres de championne du monde, la décision de vous retirer du circuit a-t-elle été difficile à prendre?
Non, pas du tout. Je savais dès le début de l’année 2017 que ce serait ma dernière saison. Alors j’ai tout donné parce que je savais que ce serait bientôt fini, et j’ai vécu à fond toutes mes dernières fois. Avec ma partenaire (la joueuse taïwanaise Chan Yung-jan, ndlr), nous avons remporté l’US Open et nous nous sommes classées 1res à l’ATP et numéro 1 mondiale en double cette année-là. Une belle façon de dire au revoir, non?
Ça ne vous manque pas d’être sur le terrain?
De temps en temps, oui. Spécialement quand je regarde les matchs du Grand Chelem.
Quel est désormais le moteur de votre vie?
Ma fille est ma priorité; c’est une expérience tellement géniale! Moi qui me suis toujours parfaitement préparée pendant ma carrière, je réalise que c’est impossible d’imaginer la maternité tant qu’on ne l’a pas vécue. C’est un moment vraiment unique. J’ai le luxe de pouvoir m’occuper de ma fille et la chance de lui consacrer tout mon temps. Jusqu’à présent, je l’avais seulement confiée quelques heures à ma mère pour participer à des concours hippiques. Aujourd’hui, c’est la première fois que je passe toute la journée sans elle. C’est très long! (Rire.)
Lausanne accueillera cet hiver de nombreux jeunes athlètes pour les Jeux olympiques de la jeunesse. Revenons un peu en arrière: quels étaient vos modèles quand vous étiez adolescente?
Nous avons tous des idoles. Pour moi, c’était Monica Seles et Jennifer Capriati. Je les admirais à la télévision et puis, un jour, j’ai participé aux championnats juniors et je les ai vues en vrai. Et quelques années plus tard, j’ai joué contre elles. C’était incroyable!
Vous vous êtes hissée au plus haut niveau à l’âge de 16 ans et demi. Où puisiez-vous cette énergie?
De ma mère! Elle m’a tout appris, y compris le tennis. Je suis fille unique – et gâtée! Toute sa vie tournait autour de moi.
Avez-vous dû faire beaucoup de sacrifices à cette époque?
Non, je n’ai pas eu cette impression. Quand on est jeune et qu’on est la meilleure, on n’a pas de raison de se plaindre! J’ai parfois ressenti de la pression pour arriver au plus haut niveau, car tout allait tellement vite… Aujourd’hui, les jeunes joueurs sélectionnent davantage les tournois auxquels ils participent, ils prennent plus leur temps. Moi, j’enchaînais les compétitions et je voulais toutes les gagner! Pareil pour les autres joueuses à l’époque. D’ailleurs, on voyait toujours les mêmes têtes sur les courts! (Rire.) Nous étions une petite dizaine de joueuses «incontournables» et il ne nous
Martina Hingis en dix dates Martina Hingis in ten dates
1980
Naissance en ex-Tchécoslovaquie. Born in Czechoslovakia.
1988
S’installe en Suisse avec sa mère. Moves to Switzerland with her mother.
1993
Remporte le tournoi junior de Roland-Garros. Wins the French Open junior tournament.
1997
Remporte l’Open d’Australie et devient la plus jeune numéro 1 mondiale de l’histoire du tennis. Elle le restera 209 semaines entre 1997 et 2001. Wins the Australian Open and becomes the youngest world number 1 in tennis history. She remains in the top spot for 209 weeks between 1997 and 2001.
2017
Se retire du circuit après 43 titres en simple, 64 titres en double et 1 médaille d’argent en double aux Jeux olympiques. Retires from the circuit after 43 singles titles, 64 doubles titles and 1 silver medal in the doubles at the Olympic Games.
2019
Naissance de sa fille Lia. Birth of her daughter Lia.
arrivait que très rarement d’être éliminées au premier ou au deuxième tour par des inconnues.
Etre une femme dans le tennis de haut niveau, c’est plus difficile?
C’est en tout cas très différent par rapport à la vie privée. Les joueurs voyagent facilement de tournoi en tournoi avec leur copine ou leur femme. Mais pour une joueuse de 25 ans, c’est très compliqué de trouver quelqu’un du même âge qui accepte de mettre sa carrière en stand-by pour la suivre. Cela explique peut-être pourquoi de nombreuses sportives sont en couple avec leur entraîneur ou leur physiothérapeute. Quelqu’un qui gravite dans leur entourage professionnel en tout cas…
La Coupe du monde de foot féminin 2019 a été très médiatisée. Pensez-vous
que ça peut faire boule de neige et permettre de mettre davantage en avant le sport féminin?
De grands pas ont déjà été faits. Le tennis est d’ailleurs le premier sport à avoir instauré l’égalité salariale entre les hommes et les femmes en 1973, grâce à la joueuse américaine Billie Jean King. Il y a aussi un vrai intérêt des médias pour le tennis féminin. On n’est donc pas à plaindre en tant que femmes dans le tennis, même si je trouve que ce qui s’est passé cette année à Roland-Garros est un vrai manque de respect vis-à-vis des joueuses (en raison de la météo, les deux demi-finales dames avaient été reprogrammées sur des courts annexes au Central, ndlr).
Quels conseils donneriez-vous à de jeunes athlètes?
Il ne faut jamais oublier le plaisir. Il faut d’abord aimer ce que l’on fait pour arriver au plus haut niveau. Et puis c’est important aussi d’aimer gagner pour réussir! (Rire.) Gagner permet d’être fier de soi et donne confiance pour aller encore plus loin. C’est pareil dans toutes les disciplines sportives. Et ça marche aussi pour les études: j’ai eu autant de plaisir à faire des 6 à l’école qu’à gagner mes matchs!
Vous venez souvent en Suisse romande?
Lausanne est la ville de mon amie Timea (Bacsinszky, ndlr). J’étais venue il y a deux ans pour son anniversaire. J’espère avoir un peu plus de temps quand ma fille va grandir. J’adore être ici, on n’a pas besoin de faire des milliers de kilomètres pour se sentir en vacances. On est comme à la maison.
Vous n’en seriez jamais arrivée là si…
S’il n’y avait pas ma mère! (Rire.) Même aujourd’hui, elle est toujours là quand j’ai besoin d’aide. Maintenant que j’ai un enfant, je réalise encore plus tout ce qu’elle a fait pour moi et j’ai beaucoup de gratitude envers elle.
— MARTINA HINGIS
A tennis prodigy as a child, Martina Hingis reached the top of her game at the age of 17. Now that she has retired from the circuit and is a young mum, we look back at her career and the passion for sport that still drives her.
Mtina Hingis was the world number 1 for four years. She was the youngest player ever to achieve this ranking, a record that she still holds. She had just turned 16. That was in 1997. Twentytwo years later, we are charmed by the same smile and the way she rolls her Rs when answering our questions in French. Visiting Lausanne to film an advertisement, she has for the first time gone a full day without seeing her daughter. It’s a bit of a challenge for the young mum, who is nonetheless enjoying the game of our photo shoot in the corridors of the Beau-Rivage Palace. And she tells us about her career as a champion without nostalgia or regrets.
Did you watch the Wimbledon final last
Sunday? (The interview was given on 16 July) Of course! Well, only the beginning and end... With a baby, it’s not easy to sit in front of the television for four and a half hours. I’m really impressed by Roger’s endurance (Editor’s note: Federer.). It’s brutal losing a match like that!
Do you know Roger Federer well?
Of course, since we used to play doubles together! We also met each other a lot at tournaments.
Did you make friends with other players?
Yes, I’m still friends with a few players. Some of them came to my wedding. We send each other messages and see each other from time to time. But it’s hard when you have one buddy in Croatia, another in Mauritius and a third in Miami! And then some of us are very busy with our children now, and we don’t live very close to each other.
After winning 25 Grand Slam tournaments and six World Champion titles, was the decision to retire from the circuit a difficult one to make?
No, not at all. I knew at the start of 2017 that it would be my last season. So I gave it my all because I knew it would soon be over, and I made the most of all my last times. With my partner (Editor’s note: the Taiwanese player Chan Yung-jan), we won the US Open, came first in the ATP rankings and were world number 1 in doubles that year. A great way to say goodbye, isn’t it?
Do you miss not being on the tennis court anymore?
From time to time, yes. Especially when I watch Grand Slam matches.
What is the driving force in your life right now?
My daughter is my priority, it’s such a great experience. Although I was always completely prepared for everything during my career, I realise that it’s impossible to imagine what motherhood is like without having experienced it. It’s a really unique time. I have the luxury of being able to take care of my daughter and devote all my time to her. Until now, I had only left her with my mother for a few hours at a time, to take part in horse riding competitions. Today is the first
time I’ve spent a whole day without her. It feels like a long time (laughter)!
This winter, Lausanne will be welcoming many young athletes for the Youth Olympic Games. Let’s go back in time a bit: who were your role models when you were a teenager?
We all have idols. For me, it was Monica Seles and Jennifer Capriati. I admired them on television and then one day I took part in the junior championships and saw them for real. And a few years later, I was playing against them. It was unbelievable!
You rose to the top at the age of 16 and a half; where did you get that energy from?
From my mother! She taught me everything, including tennis. I was an only child, and a spoilt one! Her whole life revolved around me.
Did you have to make many sacrifices back then?
No, it didn’t seem like that. When you’re young and you’re the best, you have no reason to complain! I sometimes felt pressure to reach the highest level, because everything was going so fast. Today, young players pick their tournaments more carefully, they take their time. I did one competition after another and I wanted to win them all! It was the same for the other players back then. In fact, we kept seeing the same faces on the courts (laughter). There were about ten of us who were “unavoidable” and we were very seldom eliminated in the first or second round by unknowns.
Is it harder being a woman in top-level tennis?
It’s very different when it comes to your private life, at any rate. The male players travel easily from one tournament to another with their girlfriend or wife. But for a 25-year-old female player, it’s very hard to find someone of the same age who will agree to put their career on hold to follow you. This might explain why many sportswomen are in a relationship with
their coach or physiotherapist. Someone in their professional entourage, in any case.
The 2019 Women’s Football World Cup received a lot of media coverage. Do you think it might create a snowball effect and help attract more attention to women’s sport?
Big steps have already been taken. In fact, tennis was the first sport to introduce equal pay for men and women in 1973, thanks to the American player Billie Jean King. There is also real media interest in women’s tennis. So there’s no reason to pity women in tennis, although I do think that what happened this year at the French Open showed a real lack of respect to the female players (Editor’s note: because of the weather, both ladies’ semi-finals were relocated away from the main court.)
What advice would you give to young athletes?
Never forget to enjoy yourself. You first have to love what you do in order to reach the top. And it’s also important to love winning if you want to succeed (laughter). Winning makes you proud of yourself and gives you confidence to go even further. It’s the same in all sports. And it also applies to your education: I enjoyed getting A grades at school as much as winning my matches!
Do you often come to French-speaking Switzerland?
Lausanne is home to my friend Timea (Editor’s note: Bacsinszky). I came here two years ago for her birthday. I hope to have a bit more free time when my daughter is older. I love being here, you don’t need to travel thousands of kilometres to feel like you’re on holiday. You feel at home.
You wouldn’t be where you are today if it weren’t for...
If it weren’t for my mother (laughter)! Even today, she’s still there for me when I need help. Now that I have a child, I am even more aware of everything she has done for me and I am very grateful to her.