5 minute read
Interview
«Mes fictions sont émotionnellement vraies»
Siri Hustvedt a reçu cette année à Lausanne le 41e Prix européen de l’essai de la Fondation Charles Veillon pour «Les Mirages de la certitude». Rencontre avec une auteure qui n’a de cesse de tisser des liens entre des domaines qu’a priori tout sépare.
Advertisement
— Propos recueillis par Sylvie Ulmann
REGARDS Vous attendiez-vous à recevoir cette récompense?
SIRI HUSTVEDT Pas du tout, mais cela me fait très plaisir! Car, dans cet essai, j’aborde le rapport entre le corps et l’esprit, une thématique qui me tient particulièrement à cœur. Ce lien hante la philosophie occidentale depuis l’Antiquité. J’essaie de montrer que l’on ne peut les envisager séparément, parce qu’ils sont en constante interaction avec le monde.
Tout comme il est difficile de séparer le réel du fictif dans vos textes… Dans «Un Monde flamboyant», par exemple, vous multipliez les références, à la fois à des écrits existants et à d’autres totalement inventés…
Mes fictions sont émotionnellement vraies. Pour écrire, je lis énormément et de tout, y compris des essais ou des textes scientifiques. J’accumule des livres en moi; ils viennent ensuite alimenter mon propre travail. Une question, une réflexion m’amène à m’intéresser à un domaine, et des liens se tissent entre eux. Tout cela forme un terreau qui nourrit mes écrits, qu’il s’agisse de romans ou d’essais.
En effet, vous avez traité des neurosciences, de la mémoire, de l’art…
Actuellement, le monde tend à la spécialisation. Mais je pense qu’il est important
de ne pas se concentrer sur une seule discipline. J’encourage les scientifiques à s’intéresser aux thèmes qui occupent les philosophes, les historiens et les romanciers, et ceux-ci à lire des textes scientifiques.
Comment choisissez-vous le sujet que vous allez aborder dans un texte?
Savoir d’où vient une idée est une question très profonde. Je pense que tout commence dans l’inconscient. Puis, un jour, notre cerveau se met à jouer une petite musique qui devient plus insistante, jusqu’à ce que l’on s’y arrête. A ce moment-là, on réalise que ce thème pourrait être intéressant.
Mais comment pouvez-vous être sûre de tenir la bonne histoire?
Un écrivain sent dans ses tripes ce qui est juste – voilà qui nous ramène à la vérité émotionnelle. Il n’y a aucune vérité documentaire ni externe dans un roman, la justesse vient de l’intérieur des organismes – et j’aime à penser qu’un roman en est un.
Vous avez affirmé que vous auriez pu être plasticienne si vous n’aviez pas été écrivain… D’ailleurs, il y a souvent des artistes dans vos livres!
Oui, c’est vrai, c’est simplement une autre manière d’approcher les choses. Du reste, je visualise toujours les œuvres que réalisent mes personnages; il me suffit de les décrire, c’est très amusant.
Les lieux jouent un grand rôle dans vos textes. Pourriez-vous en écrire un qui se déroule ici, à Lausanne?
Si je passais du temps sur place, oui. J’ignore pourquoi, mais j’ai besoin d’intimité avec les lieux. Raison pour laquelle beaucoup de mes romans se déroulent dans le Minnesota, où j’ai grandi, ou à New York, où je vis.
«Les Mirages de la certitude»
de Siri Hustvedt Coédition Leméac/Actes Sud, 416 pages
Siri Hustvedt was awarded the Charles Veillon Foundation’s 41st European Essay Prize for “The Delusions of Certainty” in Lausanne this year. We met an author with a gift for finding connections between seemingly unrelated areas.
REGARDS Were you expecting to win this award?
SIRI HUSTVEDT Not at all, but I’m delighted! Because in this essay, I discuss the relationship between body and mind, a theme that’s particularly close to my heart. This connection has haunted western philosophy since antiquity. I try to show that you can’t conceive of them separately, because they are in constant interaction with the world.
Just like it is hard to separate reality from fiction in your work: In The Blazing World for example, you make many references to writings that exist and others that are totally made up...
My fictions are emotionally true. In order to write, I read a huge amount of all kinds of things, including essays and scientific texts. I accumulate books within myself; then they inspire my own work. A question or thought leads me to take an interest in a field, and connections form between them. It all provides fertile ground for my writing, be it novels or essays.
Indeed, you’ve covered neuroscience, memory, art...
Currently, the world is tending towards specialisation. But I think it’s important not to concentrate on just one discipline. I encourage scientists to take an interest in the topics that occupy philosophers, historians and novelists, and invite the latter to read scientific texts.
How do you choose a subject to write about?
Knowing where an idea comes from is a very profound question. I think it all begins in the subconscious. Then one day, our brain starts to play a little tune that becomes more insistent, until we stop and consider it. At that moment, we realise this topic might be interesting.
But how can you be sure you have a good story?
A writer can feel it in their bones when something is right – this brings us back to emotional truth. There is no documentary or external truth in a novel, rightness comes from inside organisms – and I like to think that’s what a novel is.
You once said you would have been a visual artist had you not been a writer. In fact, there are often artists in your books!
Yes, it’s true, it’s simply another way to approach things. For the rest, I always visualise the works that my characters produce, I just have to describe them, it’s really funny.
Locations play a big role in your work. Could you write a story set here in Lausanne?
If I were to spend time here, yes. I don’t know why, but I need to get to know places intimately. That’s why many of my novels are set in Minnesota, where I grew up, or New York, where I live.
“The Delusions of Certainty” by Siri Hustvedt. Published by Hodder & Stoughton, 400 pages.