Opérations immobilières n°148

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LE POINT SUR le bail à l’épreuve du décret tertiaire Construire en réemployant des matériaux de construction  Le réemploi : repères historiques, cadre réglementaire, filières  Plates-formes de matériaux : équilibre économique et valeurs  Agir : initiatives publiques dans la métropole grenobloise  REP Bâtiment : zoom sur le cahier des charges des éco-organismes  Assistant à maîtrise d’ouvrage : garant d’une opération d’économie circulaire réussie !  Matériaux de construction : le réemploi, mode d’emploi ! EN SYNTHÈSE le droit de surplomb pour la mise en œuvre de l’ITE 10 QUESTIONS SUR les espaces de nature sauvage et le réensauvagement N° 148 Septembre - Octobre 2022 @OImmobilieres DOSSIER votreConsultez revue sur et sur tablette

Le mensuel

LA REVUE DE RÉFÉRENCE DES PROFESSIONNELS DE L’IMMOBILIER

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Le réemploi des matériaux quand la modernité renoue avec la tradition

Ravauder, repriser, recycler… Voilà des mots ordinaires qui ont banalement accompagné l’enfance des plus âgés d’entre nous. Puis, lentement, ils ont disparu avec l’avènement du règne du jetable et de l’obsolescence programmée. Comme s’il valait mieux alors changer que réparer, jeter que recycler, démolir que rénover.

L’amoncellement des déchets qu’on ne sait plus traiter et les exigences de l’environnement qui appellent des usages rigoureux, des réemplois réfléchis et un cycle pertinent des matériaux ont largement modifié la perspective. Le champ du bâtiment en est devenu un terrain d’application bien prometteur.

Désormais, l’autorisation de démolir suppose souvent de démontrer l’impossibilité de rénover. Quand la démolition est possible, celle-ci s’apparente à une « déconstruction », proche d’un démontage d’installation pour favoriser au maximum le réemploi des matériaux.

Ce souci de limiter les déchets et au contraire, de faciliter leur recyclage constitue une voie d’avenir que le dossier spécial de ce numéro explore dans sa diversité avec talent.

L’imagination collective est déjà largement à l’œuvre, en ce compris du côté de la propriété des matériaux de l’ouvrage qui pourrait, pour en favoriser le réemploi ultérieur, demeurer celle du constructeur, et non devenir celle du maître d’ouvrage.

On mesure que le chemin est encore en construction, mais que les progrès techniques, juridiques et organisationnels s’accélèrent. Reste à inscrire le réemploi dans une économie circulaire qui trouve son équilibre financier pertinent et permette la juste rémunération de la chaîne d’acteurs concernés : maître d’ouvrage, constructeur, opérateurs de la déconstruction des ouvrages, comme du tri et de la transformation des déchets, commercialisateur du réemploi…

Voilà bien un chemin de progrès qui réconcilie tradition et modernité.

• Septembre - Octobre 2022 3 ÉDITO

ÉDITO

Le

des matériaux

la

LE POINT SUR…

à l’épreuve du décret

OFFICIELS & JURISPRUDENCE

PROJETS & PROPOSITIONS

Réforme du droit des contrats spéciaux

PARU AU JOURNAL OFFICIEL 12

Suppression du degré d’appel : prolongation et extension du dispositif à certains contentieux en urbanisme

Installations photovoltaïques : allègement des procédures environnementales

Dématérialisation de la procédure de déclaration au titre de la loi sur l’eau

Modalités de mise en œuvre du droit de surplomb

Moment de la réalisation des travaux d’isolation thermique par l’extérieur

Règles de construction parasismique : de la forme du spectre de réponse élastique

Modalités de fonctionnement du dispositif Mon Accompagnateur Rénov’

Publication du décret d’application du volet « commande publique » de la Loi Climat et Résilience

Réédition des DPE : conditions d’éligibilité à l’aide exceptionnelle de 60 euros

Travaux de rénovation énergétique : le régime de l’accord tacite du bailleur étendu

RÉPONSES MINISTÉRIELLES

18

Arrêté de péril et obligation de relogement de la commune Conditions d’octroi de crédits immobiliers

Suramortissement fiscal des investissements de transformation numérique des entreprises

Mesures d’accompagnement des entreprises du bâtiment dans le cadre du projet de loi de finances pour 2022

DOSSIER

Construire en réemployant des matériaux de construction

@OImmobilieres

Illustration de couverture : Alain Bouteveille Dans le prochain numéro d’Opérations Immobilières Le bâtiment dans tous ses états

JURISPRUDENCE COMMENTÉE

LA DÉCISION À RETENIR 20

Le sort des « loyers Covid » fixé par trois arrêts de la Cour de cassation rendus le même jour

Le bailleur d’un local commercial construit sans permis de construire manque à son obligation de délivrance

Réforme des destinations et autorisations d’urbanisme : entrée en vigueur des dispositions de l’article R. 421-14 du Code de l’urbanisme

La recherche d’économies peut constituer un motif légitime de résiliation d’un marché de travaux

Quand la réitération est une condition de formation de la vente, son absence rend la promesse caduque

Communication à un tiers, par le mandataire de maîtrise d’ouvrage, de documents administratifs pris dans le cadre de son mandat

Garantie des vices cachés et chaîne de contrats translative de propriété : un couple traditionnel et innovant

Le recours subrogatoire de la caution soumis aux règles applicables à l’action du créancier contre le débiteur

4 Septembre - Octobre 2022 • SOMMAIRE
3
réemploi
: quand
modernité renoue avec la tradition
7 Le bail
tertiaire TEXTES
10 
10
LE POINT SUR le bail à l’épreuve du décret tertiaire
¢ Le réemploi : repères historiques, cadre réglementaire, filières ¢ Plates-formes de matériaux : équilibre économique et valeurs ¢ Agir : initiatives publiques dans la métropole grenobloise ¢ REP Bâtiment : zoom sur le cahier des charges des éco-organismes ¢ Assistant à maîtrise d’ouvrage : garant d’une opération d’économie circulaire réussie ! ¢ Matériaux de construction : le réemploi, mode d’emploi ! EN SYNTHÈSE le droit de surplomb pour la mise en œuvre de l’ITE 10 QUESTIONS SUR les espaces de nature sauvage et le réensauvagement N° 148 Septembre - Octobre 2022 @OImmobilieres
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.................................... 20

DOSSIER

CONSTRUIRE EN RÉEMPLOYANT DES MATÉRIAUX DE CONSTRUCTION

Le réemploi, entre histoire et actualité : une chaîne de production à développer

Réemploi des matériaux de construction : le nouveau cadre réglementaire

Balade immersive dans les filières du réemploi

Plates-formes de matériaux : quel modèle pour allier équilibre économique et valeurs du réemploi ?

Agir pour le réemploi : initiatives publiques dans la métropole grenobloise

REP Bâtiment : publication de l’arrêté portant cahier des charges des éco-organismes

Le réemploi de matériaux, nos bâtiments d’aujourd’hui, futurs gisements de demain !

L’assistant à maîtrise d’ouvrage réemploi, le garant d’une opération d’économie circulaire réussie !

Matériaux de construction : le réemploi, mode d’emploi !

SYNTHÈSE

Le droit de surplomb pour l’isolation thermique par l’extérieur d’un bâtiment

10 QUESTIONS 71

Pour une reconnaissance légale des espaces de nature sauvage et du réensauvagement

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RÉDACTION

Responsable éditoriale : Anne-Charlotte Gonauer anne-charlotte.navarro@infopro-digital.com

Relecture : Sandrine Salvert

Directeur éditorial : Thierry Kremer Directrice des éditions : Claire De Gramont

MISE EN PAGE

Maquettiste, Graphiste : Céline Boisgibault, Christophe Marpaux

MARKETING - DIFFUSION - ABONNEMENTS

Directeur du service Marketing Abonnements : Yannick Védrines

Directrice Gestion des abonnements : Nadia Clément

RELATION CLIENTS

Service clients : Tél. : 01 79 06 70 00 abonnement@groupemoniteur.fr

Prix de vente au numéro : 67 € TTC Abonnement :

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est édité par Groupe Moniteur SAS au capital de 333.900 €

Siège social : Antony Parc 2 10, place du Général de Gaulle, BP 20156 - 92186 Antony Cedex RCS NANTERRE 403 080 823 N° SIRET 403 080 823 00012 N°TVA intracommunautaire FR 32 403 080 823

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Président, directeur de la publication : Julien Elmaleh

Directeur général délégué : Manon Rossetti

IMPRIMERIE-BROCHAGE-ROUTAGE

Imprimerie de Champagne Rue de l’Étoile de Langres ZI Les Franchises 52200 Langres, France N° commission paritaire : 0218 T 89266

ISSN : 1961-6597

Mensuel. Dépôt légal à parution Imprimé en France/Printed in France

Directeur du comité Philippe PELLETIER Avocat honoraire et président du Plan Bâtiment Durable

Christophe BOUCAUX Délégué général Pôle Habitat FFB

Valérie FLICOTEAUX-MELLING Architecte urbaniste et vice-présidente du Conseil de l’Ordre des Architectes*

Ingrid NAPPI Professeur HDR à l’École des Ponts ParisTech

Estelle DEBAUSSART-JONIEC

Responsable du pôle droit public et logement social Étude Monassier Bérengère JOLY Directrice juridique, FPI France

Hugues PÉRINET-MARQUET Professeur, université Panthéon-Assas (Paris II)

Olivier ORTEGA Avocat associé LexCity avocats

Paul TALBOURDET Avocat à la Cour, De Pardieu Brocas Maffei

Michèle RAUNET Notaire associée, Directrice générale Cheuvreux

Ont collaboré à ce numéro* : Valérie Ayache-Doubinsky ; Christophe Barnier ; Pierre Belli-Riz ; Hanan Chaoui ; Chloé Chevalier ; Oriane Cohen ; Valérie Decot ; Pascal Derrez ; John Frachon ; Thibaut Geib ; Elisabeth Gelot ; Arielle Guillaumot ; Sylvain Hamanaka ;

Christian Huglo ; Donatien Langlois-Meurinne ; Pénélope Lallemand ; Anais Lelièvre ; Benoît Louis ; Morgan Moinet ; Philippe Nugue ; Cécile Palavit ; Philippe Pelletier ; Guillaume Porcheron Marine Supiot ; Hugo Topalov.

*Les opinions exprimées par les auteurs de cette revue n’engagent qu’eux-mêmes et non les organismes auxquels ils appartiennent.

6 Septembre - Octobre 2022 •
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Le bail à l’épreuve du décret tertiaire

La loi ELAN du 23 novembre 2018 oblige les propriétaires et les preneurs à bail à engager des actions de réduction de la consommation d’énergie finale dans les bâtiments à usage tertiaire, afin de parvenir à une baisse d’au moins 40 % en 2030, 50 % en 2040 et 60 % en 2050. La loi précise que les propriétaires des bâtiments et, le cas échéant, les preneurs à bail, sont responsables de ces obligations. Alors que la première échéance du 30 septembre 2022 n’est plus une réalité lointaine, la question se pose de savoir comment les parties au bail peuvent organiser contractuellement les actions destinées à respecter cette obligation et à mettre en œuvre les moyens correspondants.

Le principe de la réduction des consommations énergétiques des bâtiments du secteur tertiaire n’est pas nouveau. Dès 2010, la loi du 12 juil let 2010 (n° 2010-788), dite loi Grenelle II, pré voit que « dans un délai de huit ans à compter du 1er janvier 2012 », des « travaux d’amélioration de la performance énergétique » sont réalisés dans les bâtiments dans lesquels s’exerce une activité de ser vice public et dans les bâtiments à usage tertiaire. En 2015, la loi relative à la transition énergétique (n° 2015-992) prolonge cette obligation « par pé riodes de dix ans à partir de 2020 jusqu’en 2050 avec un niveau de performance à atteindre renforcé chaque décennie, de telle sorte que le parc global concerné vise à réduire ses consommations d’éner gie finale d’au moins 60 % en 2050 par rapport à 2010, mesurées en valeur absolue de consomma tion pour l’ensemble du secteur. »

La loi du 23 novembre 2018 (n° 2018-1021), dite « loi ELAN », a réformé en profondeur cette obliga tion fixée à l’article L. 174-11 du Code de la construc tion et de l’habitation (CCH), en imposant la mise en œuvre d’actions de réduction de la consommation d’énergie finale dans les bâtiments à usage tertiaire, afin de parvenir à une baisse d’au moins 40 % en 2030, 50 % en 2040 et 60 % en 2050.

Cette obligation a été précisée par le décret n° 2019771 du 23 juillet 2019 relatif aux obligations d’ac tions de réduction de la consommation d’énergie finale dans des bâtiments à usage tertiaire, dit « dé cret tertiaire ». Ce décret est complété par l’arrêté dit « Méthode » du 10 avril 20202 et ses arrêtés modificatifs dits « valeurs absolues I » et « valeurs absolues II » respectivement des 24 novembre 2020 et 13 avril 2022. L’ensemble de textes forme le dis positif Éco-énergie tertiaire.

1 À noter que cette disposition était codifiée à l’article L. 111-10-3 du CCH avant le 1er juillet 2021.

2 Arrêté du 10 avril 2020 relatif aux obligations d’actions de réduction des consommations d’énergie finale dans des bâtiments à usage tertiaire, JO n  0108 du 3 mai 2020.

L’assujettissement au dispositif Écoénergie tertiaire : les propriétaires et le cas échéant les locataires

Tout d’abord, nous précisons que les textes concer nés relèvent de l’ordre public de direction. Ils ne l’expriment pas nommément, mais le ton impératif des dispositions et les objectifs environnementaux qui les fondent ne laissent pas planer de doute sur le fait que l’ordre public, certes implicite, mais réel, les inspire.

Désormais, le dispositif concerne toutes les activi tés tertiaires, marchandes ou non marchandes, et s’applique à tous les bâtiments assujettis, quelle que soit leur année de mise en service. L’obligation était initialement réservée aux bâtiments existants à la date de publication de la loi ELAN, soit au 24 novembre 2018.

Plus précisément, sont concernés par le dispositif : - les bâtiments qui hébergent exclusivement des activités tertiaires sur une surface supérieure ou égale à 1 000 mètres carrés ;

- toutes parties d’un bâtiment à usage mixte qui hébergent des activités tertiaires sur une surface de plancher cumulée supérieure ou égale à 1 000 mètres carrés ;

- tout ensemble de bâtiments situés sur une même unité foncière ou sur un même site dès lors que ces bâtiments hébergent des activités tertiaires sur une surface de plancher cumulée supérieure ou égale à 1 000 mètres carrés.

La loi précise que les obligations découlant du dispositif sont applicables aux « propriétaires des bâtiments ou des parties de bâtiments et, le cas échéant, [aux] preneurs à bail ». Sur ce point, il convient d’insister sur le fait que l’expression « le cas échéant » ne renvoie pas à une éventualité.

Elle n’est pas synonyme d’éventuellement ni d’une responsabilité subsidiaire, mais elle signifie que la règle énoncée trouve à s’appliquer si les conditions sont réunies.

• Septembre - Octobre 2022 7
LE POINT SUR...

Pour le dire autrement, la loi ne dispose pas que ces obligations s’appliqueraient aux preneurs dans la mesure où bailleur et locataire en conviendraient ainsi mais, au contraire, que, dès lors qu’il existe un preneur, ce dernier assume de plein droit certaines obligations.

Propriétaire ou locataire : la consécration du principe de liberté contractuelle

Le II de l’article L. 174-1 du CCH définit les obligations respectives des propriétaires et des preneurs soumis à l’obligation, et renvoie au contrat le soin d’aménager la répartition de cette obligation. Ce texte précise que les propriétaires et les preneurs « définissent ensemble les actions destinées à respecter cette obligation et mettent en œuvre les moyens correspondants chacun en ce qui les concerne, en fonction des mêmes dispositions contractuelles ».

Ce faisant, la loi vise le contrat et laisse ouvert le champ des possibles quant aux outils contractuels potentiellement mobilisables dans ce cadre : bail, annexe au bail, contrat de performance énergétique, etc.

Facile à écrire de la part du législateur et du pouvoir réglementaire, beaucoup plus difficile à mettre en pratique, s’agissant notamment et surtout des baux en cours d’exécution…

Mettre en œuvre le décret tertiaire dans le bail en cours : un défi

La loi n’a aucun impact direct sur les baux intéressant les bâtiments concernés, dans le sens où elle n’impose pas aux parties d’organiser par avenant les modalités de mise en œuvre des dispositions intéressant la réduction de la consommation d’énergie finale liée aux immeubles.

Dans l’absolu, s’agissant des baux en cours d’exécution, les parties peuvent donc choisir de ne souscrire aucun acte entre elles pour organiser la répartition des obligations liées au dispositif Éco-énergie tertiaire.

Il conviendra alors que chacune détermine, sur la base des clauses du bail en cours d’exécution et des obligations locatives découlant des textes en matière de bail, quelles opérations relèvent de la responsabilité du bailleur ou de celle du preneur. En pareil cas, un audit juridique des baux peut s’avérer opportun. Il permettra d’appréhender quelles clauses du bail (mise en conformité, travaux, etc.) sont susceptibles d’être mobilisées dans le cadre du dispositif.

Une telle approche apparaît cependant limitée pour une prise en compte suffisante des objectifs fixés par les textes, dont l’atteinte suppose bien souvent l’établissement d’un plan d’actions circonstancié, étayé, échelonné dans le temps, et établi avec l’aide d’un prestataire spécialisé. Il est plus intéressant

de se diriger plutôt vers un avenant au bail et une annexe spécifique.

S’agissant des baux nouveaux ou renouvelés, la difficulté est moindre, dans la mesure où les parties peuvent s’orienter directement vers la rédaction de clauses explicites dans le bail et affiner ces dernières dans une annexe dédiée.

La mise en œuvre du décret tertiaire dans une annexe au bail ?

L’établissement d’une annexe peut être une stratégie contractuelle pertinente. Elle peut s’avérer d’autant plus opportune, pour certains propriétaires, dont patrimoine assujetti est plus large que celui faisant l’objet du bail. Une annexe « type » pourra ainsi être jointe à l’ensemble des baux conclus et permettra d’atteindre un objectif dépassant le simple cadre du bail.

Un outil contractuel existant mérite à ce titre quelques développements. Il s’agit de l’annexe environnementale prévue à l’article L. 125-9 du Code de l’environnement, qui doit être jointe aux « baux conclus ou renouvelés portant sur des locaux de plus de 2 000 mètres carrés à usage de bureaux ou de commerces ».

Cette annexe environnementale est assise sur un mode opératoire qui peut être particulièrement efficace dans le cadre de la mise en œuvre des objectifs issus du dispositif Éco-énergie tertiaire.

L’article L. 125-9 2 du Code de l’environnement prévoit que « le preneur et le bailleur se communiquent mutuellement toutes informations utiles relatives aux consommations énergétiques des locaux loués […] ».

Plus précisément, cette communication mutuelle comprend notamment « la liste, le descriptif complet ainsi que les caractéristiques énergétiques des équipements existants dans le bâtiment et relatifs au traitement des déchets, au chauffage, au refroidissement, à la ventilation et à l’éclairage ainsi qu’à tout autre système lié aux spécificités du bâtiment », et « les consommations annuelles énergétiques réelles des équipements et systèmes dont [les parties ont chacune] l’exploitation » en vertu des articles D. 174-19 et D. 174-20 du CCH.

Il s’agit là d’un prérequis indispensable à la mise en place d’un plan d’actions tel que requis par le dispositif Éco-énergie tertiaire. Ce dispositif impose d’ailleurs aux propriétaires et aux preneurs une communication mutuelle des « consommations annuelles énergétiques réelles de l’ensemble des équipements et des systèmes dont ils assurent respectivement l’exploitation » 3

Il est également prévu que, sur la base d’un bilan de l’évolution de la performance énergétique et environnementale du bâtiment et des locaux loués, « les deux parties s’engagent sur un programme d’actions visant à améliorer la performance éner-

Article R. 174-28 du CCH.

8 Septembre - Octobre 2022 • LE POINT SUR...
3

gétique et environnementale du bâtiment et des locaux loués »4

Là encore, les objectifs de l’annexe environnemen tale sont alignés sur ceux du dispositif Éco-énergie tertiaire.

Ainsi, l’annexe au bail destinée à mettre en œuvre les objectifs du dispositif précité pourra utilement s’inspirer de l’annexe environnementale dans les situations où cette dernière n’est pas obligatoire, voire se fondre dans cette dernière dans les situa tions où l’annexe environnementale s’impose.

Définir les obligations à la charge des propriétaires et des preneurs

En pratique, les propriétaires et preneurs sont ame nés à s’entendre sur trois types de chantiers : la répartition des obligations déclaratives auprès de l’administration, la définition du plan d’actions et le suivi de ces actions.

L’article R. 174-28 du CCH dispose que la déclara tion annuelle à effectuer sur la plate-forme Operat est réalisée par le propriétaire ou le preneur, « selon leur responsabilité respective en fonction des dis positions contractuelles régissant leurs relations ».

Ainsi, non seulement les parties au bail doivent échanger sur les modalités de cette déclaration annuelle, mais elles sont également tenues de s’entendre sur un mode opératoire, étant en ef fet rappelé le caractère d’ordre public des dispo sitions du CCH, auxquelles il n’est pas possible de se soustraire.

Pour ce faire, le Code de la construction et de l’ha bitation, toujours en son article R. 174-28, prévoit un certain nombre de possibilités : - la déclaration spontanée par le bailleur et le pre neur de leurs consommations énergétiques ; - la délégation par le bailleur et le preneur de la transmission de leurs consommations énergétiques « à un prestataire ou, sous réserve de leur capacité technique, aux gestionnaires de réseau de distribu tion d’énergie » ;

- la délégation par le locataire de cette transmission de données au propriétaire.

S'agissant du plan d'actions, il doit être établi conjointement entre le propriétaire (propriétaire unique ou syndicat de copropriété) et les exploi

À RETENIR

tants des immeubles tertiaires assujettis (proprié taire occupant ou preneurs).

D’après les précisions apportées par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) dans sa foire aux questions disponible sur la plate-forme Operat, ce plan d’actions « dé finit la répartition des actions à entreprendre, le responsable de la mise en œuvre en termes de maîtrise d’ouvrage de chacune des actions et, le cas échéant, la clé de répartition financière et enfin l’échéance prévisionnelle de chacune des actions ».

Sans prétendre à l’exhaustivité, le dispositif Écoénergie tertiaire identifie cinq leviers d’action, sug gérant ainsi que l’efficacité énergétique ne peut pas se limiter à des travaux de rénovation du bâti, et confirmant le fait qu’il concerne aussi bien le propriétaire que le preneur :

- l’amélioration de la performance énergétique des bâtiments ;

- l’installation d’équipements performants et de dispositifs de contrôle et de gestion active de ces équipements ;

- les modalités d’exploitation des équipements (chauffage, refroidissement, etc.), notamment à l’occasion de leur maintenance et de leur entretien ; - l’adaptation des locaux à un usage économe en énergie ;

- le comportement des occupants, qui sont les ga rants de la réussite du dispositif. Cela impliquerait un investissement en termes de management, mais aussi une éventuelle formation à l’utilisation des équipements.

Enfin, propriétaires et locataires doivent s’entendre afin d’assurer la pérennité de leurs actions et leur atteinte des objectifs de réduction d’énergie.

Le décret tertiaire appelle donc à la redéfinition de la relation entre les propriétaires et les locataires pour définir une gouvernance, établir une trajectoire, préciser les responsabilités respectives de chaque partie, anticiper les budgets à mettre en place et intégrer les actions et le suivi dans l’organisation.

Thibaut Geib, avocat associé Départements Immobilier et Environnement Société d’avocats Fidal

- Propriétaire et locataire sont conjointement responsables de la mise en œuvre du dispositif Éco énergie tertiaire.

- Le dispositif soulève de multiples questions de gouvernance et d’organisation qui doivent être réglées par des stipulations contractuelles répartissant clairement les diligences devant être menées respectivement par les parties.

- Le bail est un des outils contractuels pouvant être mobilisé par les parties, et sa pertinence doit être analysée notamment au regard des clauses (mise en conformité, travaux, etc.) qu’il contient.

- La mise en œuvre contractuelle du dispositif peut également prendre utilement la forme d’une annexe.

• Septembre - Octobre 2022 9 LE POINT SUR...
4 Article D. 174-21 du CCH.

TEXTES OFFICIELS & JURISPRUDENCE

Projets & propositions

Vente et contrats spéciaux

Réforme du droit des contrats spéciaux

Avant-projet consultable sur le site du ministère de la Justice. Non déposé auprès du Parlement.

Le ministère de la Justice a rendu public l’avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux. En avril der nier, le projet de réforme des contrats portant sur une chose (contrats de vente, de bail et de prêt) a été dif fusé. Courant mai 2022, la réforme des contrats de service (dépôt et contrat d’entreprise) a été rendue pu blique. En juillet 2022, a commencé une consultation des professionnels du droit, des acteurs économiques et universitaires. Elle s’achèvera le 18 novembre 2022.

Les contributions doivent être envoyées à l’adresse sui vante : consultation-contratsspeciaux.dacs@justice. gouv.fr.

La commission, présidée par le professeur StoffelMunck et composée de huit membres comprenant universitaires et praticiens, propose une modification des dispositions du Code civil relatives au bail, à la vente, au prêt, au contrat d’entreprise et au dépôt.

Le contrat de bail

Selon le groupe de travail, les dispositions du Code civil relatives au contrat de bail ont considérablement vieilli et se trouvent altérées par l’existence de statuts juri diques spécifiques.

Aussi, l’avant-projet de réforme tente de moderniser le contrat de bail, notamment en étendant son régime aux choses incorporelles (art. 1712). Il est néanmoins pré cisé que l’opération demeure identique – à savoir pro curer au locataire les utilités d’une chose mise à sa disposition à titre onéreux, par le versement d’un loyer et temporaire (art. 1709).

L’avant-projet propose par ailleurs de réorganiser les dispositions relatives au bail et de réunir, dans un pre mier chapitre, l’ensemble des règles communes à toutes les locations ; celui-ci étant lui-même subdivisé en trois sections consacrées à la formation, aux effets et à la fin du contrat de bail.

Dans un second chapitre intitulé « Dispositions propres aux locations d’immeubles » sont regroupées les dis positions ayant vocation à s’appliquer à tous les baux immobiliers, à défaut de précision, indépendamment des différents statuts locatifs existants.

Elles portent notamment sur les pertes et dégradations causées par les personnes introduites dans les lieux loués par le locataire (art. 1749), sur les responsabilités en cas d’incendie dans l’immeuble (art. 1750) ou en core sur la situation des époux ou partenaires liés par un pacte civil de solidarité (PACS) en cas de séparation ou de décès (art. 1751).

Notons enfin que l’article 1753 reprend la règle posée par la jurisprudence selon laquelle un bailleur peut exercer la même activité économique que son locataire dans l’immeuble loué.

Le contrat vente

Le groupe de travail a souhaité perfectionner et moder niser les règles relatives aux contrats de vente et d’échange.

Afin de perfectionner le régime juridique du contrat de vente, il a été prévu de réorganiser les dispositions rela tives à ces contrats au sein du Code civil, en prévoyant un premier chapitre consacré aux dispositions com munes applicables à toutes les ventes et un second chapitre regroupant les dispositions propres à la vente d’immeuble.

Notons au passage que l’avant-projet ne fait plus réfé rence à l’obligation d’enregistrer certaines promesses unilatérales de vente.

L’un des objectifs était de simplifier, de clarifier ou de compléter certains régimes, comme notamment celui de la garantie d’éviction (art. 1623 à 1632). La réforme formalise certaines lacunes du Code civil comblées par la jurisprudence en donnant, par exemple, une défini tion désormais légale du vendeur professionnel en ma tière de garantie des vices (art. 1643-2) ou en précisant le régime du pacte de préférence (art. 1585-1586).

L’avant-projet vient également modifier certains concepts apparus contestables en eux-mêmes ou tels qu’interprétés par la jurisprudence, en admettant no tamment la nullité absolue de la vente dont le prix de meure indéterminé et objectivement indéterminable.

Relevons par ailleurs que les rédacteurs ont étendu la définition de la vente aux biens incorporels.

Quant à la modernisation opérée, la commission a sou haité restreindre au maximum les modifications appor tées aux dispositions actuelles concernant la vente et l’échange.

À ce titre, l’avant-projet se limite essentiellement à la refonte de la garantie des vices du bien vendu ou échangé, en prévoyant notamment que les parties

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peuvent désormais décider ensemble de la répartition des risques du contrat et déterminer laquelle des par ties doit s’assurer.

Par ailleurs, le délai pour agir de l’acheteur, en cas de vices cachés, est étendu à deux ans, et la présomption de connaissance des vices par le vendeur profession nel est, en revanche, atténuée puisque celle-ci n’est désormais qu’une présomption simple (art. 1642).

Le contrat de prêt

L’avant-projet de réforme commence en rappelant l’existence de deux sortes de prêts, le prêt à usage – ou commodat – et le prêt de consommation. Ces derniers demeurent appréhendés dans deux chapitres distincts.

Concernant le commodat, l’avant-projet est construit en trois sections : formation, durée et effets. Il tend à moderniser et à clarifier certains de ses aspects. Si le commodat est par essence gratuit, le groupe de travail a souhaité désormais distinguer les prêts intéressés –c’est-à-dire tournés vers l’obtention par le prêteur d’un gain futur émanant de l’emprunteur ou d’un tiers – de ceux désintéressés.

Des difficultés ont émergé au sein du groupe de travail pour définir un critère de distinction opératoire. Dans le cas d’un prêt intéressé, le prêteur doit avoir agi au su de l’emprunteur en vue d’obtenir un avantage de nature économique, la charge de la preuve pesant sur la partie se prévalant de la nature intéressée de ce prêt. Cette distinction conduit à de nouvelles différenciations entre ces deux types de commodat en ce qui concerne no tamment la formation du contrat ou encore les obliga tions pesant sur chacune des parties.

L’avant-projet vient également clarifier certaines règles existantes du commodat. Par exemple, il reprend la règle dégagée par la jurisprudence permettant à l’une des parties, si le besoin est permanent, de résilier le commodat (art. 1879), ou impose, concernant la preuve de l’état originaire du bien, la réalisation d’un état contradictoire, faute de quoi le bien sera réputé avoir été remis en bon état apparent (art. 1886). Les règles relatives à la cession du bien ainsi qu’à la resti tution des choses fongibles sont également précisées.

Quant au prêt de consommation, la commission a choi si d’en exposer simplement les grands principes. Elle y

PROJETS

intègre les dispositions relatives aux intérêts tout en supprimant les références aux constitutions de rente.

Le contrat d’entreprise

L’évolution de notre société, ainsi que l’accroissement des prestations de services intellectuelles et des ou vrages immobiliers, a rendu les dispositions du Code civil relatives « au louage d’ouvrage » lacunaires.

Ainsi, l’avant-projet vient tout d’abord donner une défi nition du contrat d’entreprise en précisant que l’ou vrage peut consister en la réalisation d’un bien ou la fourniture d’un service (art. 1745).

Par ailleurs, et comme les autres avant-projets, le groupe de travail a proposé de réorganiser les disposi tions relatives au contrat d’entreprise en deux cha pitres : le premier regroupant celles applicables à tous les contrats d’entreprise et le second celles applicables uniquement à certains.

Sur les dispositions communes, le groupe de travail est notamment venu préciser que le contrat d’entreprise peut, en plus d’être onéreux, être conclu également à titre gratuit (art. 1746).

L’avant-projet modernise également certains textes en prenant désormais en compte les devis (art. 1748) et la cotraitance (art. 1754), et modifie le régime de la sous-traitance.

Concernant les dispositions propres à certains contrats d’entreprise, la principale modification opérée par le groupe de travail tient en la distinction entre le contrat d’entreprise mobilière et le contrat de construction. L’avant-projet donne une définition et clarifie le régime de chacun des deux.

Le contrat de dépôt

Le groupe de travail a repris, pour une majeure partie, les dispositions actuelles régissant le contrat de dépôt en les clarifiant ou en introduisant quelques nouveau tés lorsque cela semblait nécessaire.

Notamment, l’avant-projet est venu préciser les règles relatives au dépôt secret, à l’articulation entre l’appré ciation in concreto et in abstracto des diligences du dépositaire, au dépôt à titre onéreux et au séquestre conventionnel.

Des nouvelles dispositions concernant le dépôt de choses incorporelles ou le dépôt judiciaire ont enfin été introduites.

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& PROPOSITIONS | TEXTES OFFICIELS & JURISPRUDENCE

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TEXTES OFFICIELS & JURISPRUDENCE

Paru au Journal officiel

Urbanisme et environnement

Suppression du degré d’appel : prolongation et extension du dispositif à certains contentieux en urbanisme

 Décret n° 2022-929 du 24 juin 2022 portant modifi cation du Code de justice administrative et du Code de l’urbanisme (parties réglementaires), JO du 25 juin 2022

Dans un souci d’accélération du traitement des recours intentés en matière d’urbanisme, en particulier dans les zones tendues, le dispositif dérogatoire de suppression du degré d’appel pour certains contentieux prévu à l’article R. 811-1 du Code de justice administrative depuis le 1er décembre 2013 est étendu et prolongé jusqu’au 31 décembre 2027 à certains contentieux par le décret n° 2022-929 du 24 juin 2022.

À compter du 1er septembre 2022, les tribunaux administratifs statueront en premier et en dernier ressort sur les recours contre plusieurs décisions. Les pourvois en cassation devant le Conseil d’État resteront cependant toujours possibles.

Sont concernés par cette modification, les permis de construire ou de démolir un bâtiment comportant plus de deux logements, les permis d’aménager un lotissement, les décisions de non-opposition à une déclaration préalable autorisant un lotissement ou les décisions portant refus de ces autorisations ou oppositions à ces déclarations préalables.

La suppression du degré d’appel est également étendue aux contentieux concernant les actes portant création ou modification de zones d’aménagement concerté (ZAC) ainsi que les actes approuvant le programme des équipements publics lorsque la ZAC porte principalement sur la réalisation de logements.

Les décisions en matière environnementale sont elles aussi concernées lorsqu’elles sont relatives à des actions ou à des opérations d’aménagement situées en tout ou partie en zone tendue et réalisées dans le cadre des grandes opérations d’urbanisme (GOU) ou des opérations d’intérêt national (OIN). Précisément sont concernées l’autorisation environnementale et son arrêté de prescription, l’absence d’opposition à déclaration au titre de la loi sur l’eau, la demande de dérogation « espèces protégées », le récépissé de déclaration ou d’enregistrement comme installation classée pour la

protection de l'environnement (ICPE), et enfin l’autorisation de défrichement.

Par ailleurs, les dispositions de l’article R. 600-6 du Code de l’urbanisme fixant à dix mois le délai de jugement des contentieux contre les permis de construire un bâtiment comportant plus de deux logements ou contre les permis d’aménager un lotissement sont étendues aux décisions refusant la délivrance de ces autorisations.

Installations photovoltaïques : allègement des procédures environnementales

 Décret n° 2022-970 du 1er juillet 2022 portant diverses dispositions relatives à l’évaluation environnementale des projets, plans et programmes et aux installations de combustion moyenne, JO du 2 juillet 2022

Selon la nomenclature annexée à l’article R. 122-2 du Code de l’environnement, les projets susceptibles d’avoir une incidence sur l’environnement ou sur la santé humaine peuvent – au regard des différentes rubriques et seuils – faire l’objet soit d’une évaluation environnementale systématique soit d’une évaluation environnementale après un examen au cas par cas. Le décret du 1er juillet 2022 modifie précisément la rubrique 30 de ladite nomenclature. Son intitulé initial – « Ouvrage de production d’électricité à partir de l’énergie solaire » est transféré en : « Installations photovoltaïques de production d’électricité (hormis celles sur toitures, ainsi que celles sur ombrières sur des aires de stationnement) ». À la lecture de cette modification, on constate que certains projets sont exonérés d’évaluation environnementale, notamment lorsque les installations photovoltaïques sont installées sur toitures et sur ombrières sur des aires de stationnement. Partant, cela permet une simplification des procédures administratives pour les projets présentant le moins d’impact en termes d’occupation des sols.

Par ailleurs, le décret relève les seuils à partir desquels les autres installations photovoltaïques peuvent faire l’objet d’une évaluation environnementale.

Désormais :

• sont soumises à évaluation environnementale systématique, les installations d’une puissance égale ou supérieure à 1 mégawatt-crête (MWc), à l’exception des installations sur ombrières ;

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• sont soumises à évaluation environnementale après un examen au cas par cas, les installations d’une puis sance égale ou supérieure à 300 kilowatt-crête (kWc).

Depuis le 2 juillet 2022, ces modalités s’appliquent aux dossiers pour lesquels la première autorité compétente pour autoriser le projet ou l’autorité chargée de l’exa men au cas par cas sont saisies.

En outre, le décret modifie la répartition des compé tences de l’autorité environnementale s’agissant des plans de prévention des risques naturels, technolo giques et miniers entre le niveau national et le niveau régional. En effet, l’autorité environnementale change et passe de la formation d’autorité environnementale du Conseil général de l’environnement et du dévelop pement durable (CGEDD) à la mission régionale d’auto rité environnementale (MRAE).

Enfin, il est créé un nouvel article R. 515-116-1 au sein du Code de l’environnement imposant à l’exploitant d’une installation de combustion moyenne de mettre à la disposition de l’autorité compétente, à sa demande, les données relatives à la mise en service et au suivi de l’exploitation.

Dématérialisation de la procédure de déclaration au titre de la loi sur l’eau

 Décret n° 2022-989 du 4 juillet 2022 relatif à la procédure de déclaration en matière de police de l’eau, JO du 5 juillet 2022

Le décret n° 2022-989 du 4 juillet 2022 relatif à la pro cédure de déclaration en matière de police de l’eau a pour objectif de clarifier et de simplifier la procédure de déclaration des installations, ouvrages, travaux et activités ayant une incidence sur l’eau ou sur le fonc tionnement des écosystèmes aquatiques – communé ment dénommée « déclaration au titre de la loi sur l’eau » –, en application des articles L. 214-1 à L. 214-6 du Code de l’environnement.

Le porteur de projet a la possibilité d’opter pour un dépôt de son dossier de déclaration soit sous la forme dématérialisée d’une téléprocédure, soit en un exem plaire papier et sous forme électronique. En outre, le préfet peut toujours demander des exemplaires papier supplémentaires au déclarant à des fins de publicité ou pour les consultations requises par les dispositions applicables à l’opération.

Dans un souci de lisibilité des procédures et afin de prendre en compte cette nouvelle possibilité, les ar ticles R. 214-32 et suivants du Code de l’environne ment ont été modifiés. Le décret apporte également des précisions sur le contenu, l’instruction, la gestion des demandes de modification des prescriptions appli cables ainsi que sur la caducité de la déclaration.

À cet effet, l’article R. 214-32, II, 2° est modifié, avec notamment l’obligation de joindre au dossier de de mande un document attestant que le déclarant est propriétaire du terrain ou qu’il dispose du droit d’y réa liser son projet, ou qu’une procédure est en cours ayant pour effet de lui conférer ce droit.

Le 4° du II de l’article R. 214-32 précisant le contenu du document d’incidences devient le 5° et est modifié :

le porteur de projet est dispensé de fournir le document visé au 5° lorsqu’une étude d’impact contient déjà les informations requises.

Ces dispositions sont entrées en vigueur le 25 juillet 2022.

Construction

Modalités de mise en œuvre du droit de surplomb

 Décret n° 2022-926 du 23 juin 2022 relatif au droit de surplomb pour l’isolation thermique par l’extérieur d’un bâtiment, JO du 24 juin 2022

La loi Climat et Résilience, du 22 août 2021, a créé l’article L. 113-5-1 dans le Code de la construction et de l’habitation (CCH) qui confère un droit de surplomb de 35 centimètres au plus au propriétaire d’un bâti ment existant qui procède à son isolation thermique par l’extérieur, à condition qu’« aucune autre solution technique ne permette d’atteindre un niveau d’effica cité énergétique équivalent ou que cette autre procé dure présente un coût ou une complexité excessifs ».

Ce droit de surplomb l’autorise à implanter un ouvrage d’isolation surplombant le fonds de son voisin, moyen nant le versement d’une indemnité préalable au pro priétaire voisin. Les modalités de mise en œuvre de ce droit et d’indemnisation sont constatées dans un acte authentique.

Le titulaire du droit de surplomb bénéficie également d’un droit d’accès temporaire sur le fonds voisin ainsi que le droit d’y mettre en place des installations provi soires, moyennant indemnisation du propriétaire voisin, à condition qu’elles soient strictement nécessaires à la réalisation des travaux d’isolation par l’extérieur.

Le propriétaire du fonds à surplomber peut toutefois s’opposer à l’exercice par son voisin de ces droits, et contester le montant des indemnités qui lui sont proposées.

Le décret d’application de l’article L. 113-5-1 du CCH créé une section 5 intitulée « Isolation thermique par l’extérieur des bâtiments » au sein du chapitre II du titre I du livre Ier du Code de la construction et de l’habita tion, apportant ainsi des précisions relatives à la mise en œuvre du droit de surplomb.

Formalisme de la notification de l’exercice du droit de surplomb

Le propriétaire du bâtiment à isoler doit notifier au pro priétaire du fonds voisin son intention de réaliser un ouvrage d’isolation en surplomb de ce fonds voisin et de bénéficier du droit d’accès temporaire et de mise en place d’installations provisoires sur celui-ci. La notifi cation doit prendre la forme d’une lettre recommandée avec accusé de réception ou d’un acte d’huissier de justice et comporter un certain nombre de mentions (article R. 113-19 CCH).

• Septembre - Octobre 2022 13 PARU AU JOURNAL OFFICIEL | TEXTES OFFICIELS & JURISPRUDENCE

Mentions de la convention définissant les modalités de mise en œuvre du droit d’accès et de mise en place d’installations provisoires sur le fonds à surplomber

Les deux voisins doivent établir une convention défi nissant les modalités de mise en œuvre du droit d’ac cès temporaire au fonds qui sera surplombé et du droit de mettre en place des installations provisoires stric tement nécessaires à la réalisation des travaux. Le nouvel article R. 113-20 CCH précise les mentions que doit comporter la convention.

Procédure d’opposition du propriétaire du fonds à surplomber

L’article L. 113-5-1 III du CCH ouvre au propriétaire du fonds à surplomber le droit de s’opposer à l’exercice du droit de surplomb par son voisin. Il doit démontrer un motif sérieux et légitime, et prouver la méconnais sance de ses conditions de validité, par exemple si le surplomb dépasse 35 centimètres.

Le propriétaire du fonds subissant le surplomb peut également s’opposer au droit d’accès et de mise en place d’installations provisoires sur son fonds, à condi tion de démontrer que cela affecterait de manière du rable ou excessive la destination, la consistance et la jouissance de celui-ci.

Il peut enfin contester, devant le juge, les indemnités qui lui sont proposées par son voisin.

Ce droit d’opposition peut être exercé par le proprié taire du fonds à surplomber pendant six mois à comp ter de la notification par le propriétaire du bâtiment à isoler de son intention de réaliser un ouvrage d’isola tion en surplomb.

Moment de la réalisation des travaux d’isolation thermique par l’extérieur

L’article R. 113-23 CCH dispose que le propriétaire du bâtiment à isoler peut réaliser les travaux : • après signature de l’acte authentique constatant les modalités de mise en œuvre du droit de surplomb et de la convention définissant les modalités de mise en œuvre du droit d’accès et d’installations provisoires sur le fonds voisin ; ou

• sur le fondement de la décision de justice devenue définitive constatant les modalités de mise en œuvre du droit de surplomb à défaut d’acte authentique dres sé à cet effet.

Dans les deux hypothèses, les travaux ne pourront être réalisés qu’après paiement au propriétaire du fonds à surplomber des indemnités prévues par l’article L. 113-5-1 CCH.

Règles de construction parasismique : de la forme du spectre de réponse élastique

 Arrêté du 17 juin 2022 modifiant l’arrêté du 22 octobre 2010 relatif à la classification et aux règles de construction parasismique applicables aux bâtiments de la classe dite « à risque normal », JO du 2 juillet 2022

L’article L. 563-1 du Code de l’environnement prévoit des règles particulières de construction pour les équi

pements, les bâtiments et les installations situés dans les zones exposées à un risque sismique ou cyclonique.

Depuis un décret du 22 octobre 2010, les bâtiments sont répartis en deux classes – à risque normal et à risque spécial – ainsi qu’en dispose l’article R. 563-2 du Code de l’environnement. La classe dite « à risque normal » comprend, selon l’article R. 563-3 du même code, les bâtiments, les équipements et les installations pour lesquels les conséquences d’un séisme de meurent circonscrites à leurs occupants et à leur voi sinage immédiat.

L’article 4 de l’arrêté du 22 octobre 2010 applicable à la classe dite « à risque normal » précise que le mou vement dû au séisme en un point donné de la surface du sol, à partir duquel les règles de construction doivent être appliquées, est représenté par un spectre de réponse élastique en accélération. La forme de ce spectre dépend d’un certain nombre de paramètres définis dans l’article.

Un arrêté du 17 juin 2022 ajoute un article 4 bis à l’arrêté du 22 octobre 2010 précisant qu’il est désor mais possible, dans certaines communes d’outre-mer et selon l’implantation de la construction envisagée, de déterminer le spectre de réponse élastique caractéris tique du mouvement du sol dû au séisme en se référant aux études spécifiques de microzonage sismique dont les cartographies sont disponibles sur le site Géo risques (www.georisques.gouv.fr).

Les informations disponibles sont présentées ainsi : • nom de la commune ou de la collectivité ;

• identifiant sur un plan de masse à l’échelle 1/25 000 de la zone du microzonage au sein de la commune et indication de sa classification dans la représentation cartographique ;

• référence des sources de données disponibles sur les études spécifiques de microzonages sismiques ;

• point A : [0 ; valeur locale de l’accélération de réfé rence RA, équivalent à agr, exprimée en mètre par seconde au carré] ;

• point B : [valeur locale de TB exprimée en seconde ; valeur locale du plateau en accélération RM exprimée en mètre par seconde au carré] ;

• point C : [valeur locale de TC exprimée en seconde ; valeur locale du plateau en accélération RM exprimée en mètre par seconde au carré] ;

• point D : [valeur locale de TD exprimée en seconde].

Lorsque la parcelle cadastrale sur laquelle la construc tion est envisagée n’est pas intégralement localisée à l’intérieur d’une unique zone du microzonage et dans les cas où la précision de l’information cartographique relative à cette zone est insuffisante pour garantir une telle localisation de ladite parcelle cadastrale :

• soit il est renoncé à l’application des dispositions du nouvel article 4 bis au profit des dispositions de l’article 4 ;

• soit il est recouru, pour la détermination du spectre de réponse élastique qui est caractéristique du mou vement du sol dû au séisme, à un spectre enveloppe construit en prenant pour toute valeur de période, le

14 Septembre - Octobre 2022 • TEXTES OFFICIELS & JURISPRUDENCE | PARU AU JOURNAL OFFICIEL

maximum des accélérations données par les spectres de chacune des zones susceptibles d’être concernées.

Ces nouvelles dispositions sont entrées en vigueur le 1er août 2022.

Modalités de fonctionnement du dispositif Mon Accompagnateur Rénov’

 Décret n° 2022-1035 du 22 juillet 2022 pris pour application de l’article 164 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, JO du 23 juillet 2022

Pris pour application de la loi Climat et Résilience, le décret du 22 juillet 2022 vient détailler le contenu du dispositif Mon accompagnateur Rénov’, qui s’inscrit dans le cadre du service public de la performance énergétique de l’habitat. Il consiste à rendre progressi vement obligatoire en 2023 l’accompagnement des travaux de rénovation énergétique par un opérateur agréé à partir d’un certain montant de travaux.

L’objectif de ce dispositif est de pallier les difficultés rencontrées par les ménages souhaitant réaliser des travaux de rénovation énergétique de leur logement en les accompagnant dans leur projet de rénovation.

Les nouveaux articles R. 232-1 à R. 232-9 du Code de l’énergie précisent les modalités de l’accompagnement du ménage souhaitant réaliser un projet de rénovation énergétique par notamment, une évaluation de l’état du logement et de la situation du ménage, un audit énergétique et une aide à la préparation du projet de travaux (article R. 232-3-I). La mission d’accompagne ment est réalisée par des opérateurs agréés.

Le décret précise la liste des personnes pouvant être agréées, les conditions à remplir pour être agréé, les personnes ne pouvant être agréées (article R. 232-4), la procédure à suivre pour obtenir ou renouveler un agrément (article R. 232-5), ainsi que le rôle de l’Agence nationale de l’habitat (ANAH) dans ce dispo sitif, celle-ci ayant pouvoir pour retirer un agrément (article R. 232-6), mais aussi pour contrôler les titu laires d’agréments (article R. 232-7).

Le dispositif s’établira en deux temps. À compter du 1er janvier 2023, il concernera les travaux dont le coût est supérieur à 5 000 euros toutes taxes comprises.

Au 1er septembre 2023, ceux de deux gestes ou plus (listés aux 1 à 14 de l’annexe 1 du décret n° 2020-26 du 14 janvier 2020 relatif à la prime de transition éner gétique) au-delà de 5 000 euros toutes taxes com prises et qui feront l’objet d’une demande d’aide supé rieure à 10 000 euros ; seront également concernés les travaux faisant l’objet de demandes d’aides dis tinctes dépassant ces seuils et intervenant dans un délai de trois ans à compter de la première demande d’aide formulée (article R. 232-8).

La liste des structures qui seront réputées être agréées du 1er janvier au 1er septembre 2023 est indiquée à l’article R. 232-9.

L’article 2 modifie et complète l’article R. 321-2 du Code de la construction et de l’habitation (CCH) concernant l’intervention de l’ANAH, en coordination

avec l’Ademe, dans le cadre du dispositif relevant de l’article L. 232-1 du Code de l’énergie, en vue notam ment de collecter et d’exploiter les informations néces saires à l’exercice de sa mission consistant à promou voir le développement et la qualité du parc existant de logements privés.

L’article 3 du décret précise que le directeur général de l’ANAH aura pouvoir pour délivrer l’agrément aux opé rateurs chargés de la mission d’accompagnement (article R. 321-7, X).

Enfin, l’article 4 complète l’article R. 321-16 du CCH d’un alinéa indiquant les possibles participations de l’ANAH par voie de subventions ou de conventions à l’accompagnement des ménages s’engageant dans des travaux de rénovation énergétique.

Vente et contrats spéciaux

Publication du décret d’application du volet « commande publique » de la Loi Climat et Résilience

 Décret n° 2022-767 du 2 mai 2022 portant diverses modifications du Code de la commande publique, JO du 3 mai 2022

Le décret du 2 mai 2022 (n° 2022-767), pris pour l’ap plication de l’article 5 de la loi Climat et Résilience, tend à un verdissement du Code de la commande publique (CCP) et entend valoriser une commande publique plus vertueuse.

Pour ce faire, répondant à une proposition formulée par la Convention citoyenne pour le climat, le texte sup prime le critère unique fondé sur le prix pour l’attribu tion des marchés publics et des concessions (CCP, articles R. 2152-7 et R. 3124-4 modifiés).

La personne publique devra adopter une approche globale. Elle aura l’obligation de prévoir un critère de sélection prenant en compte les caractéristiques envi ronnementales des offres – à l’exclusion des marchés et concessions de défense et de sécurité.

Autrement dit, à partir du 21 août 2026, date d’entrée en vigueur des modifications apportées aux disposi tions réglementaires du CPP, pour les marchés publics, l’acheteur pourra :

• soit se fonder sur le critère unique du coût suivant une approche globale prenant en compte les caracté ristiques environnementales de l’offre ;

• soit se fonder sur une pluralité de critères comprenant le prix ou le coût dont au moins l’un d’eux prend en compte les caractéristiques environnementales de l’offre.

S’agissant de l’attribution des contrats de concessions, l’autorité concédante devra tenir compte d’une pluralité de critères objectifs et précis dont au moins l’un d’eux prend en compte les caractéristiques environnemen tales de l’offre.

Le texte ajoute également l’obligation pour les conces sionnaires de décrire, dans le rapport annuel commu niqué à l’autorité concédante, les mesures mises en œuvre pour garantir la protection de l’environnement et l’insertion par l’activité économique (CCP, article R. 3131-3 modifié).

• Septembre - Octobre 2022 15 PARU AU JOURNAL OFFICIEL | TEXTES OFFICIELS & JURISPRUDENCE

Par ailleurs, le décret prévoit désormais la possibilité pour l’acheteur public d’exclure de la procédure d’attri bution les entreprises ne satisfaisant pas à l’obligation d’établir un plan de vigilance prévue par l’article L. 225102-4 du Code de commerce. Cette interdiction de sou missionner facultative est entrée en vigueur le 4 mai dernier.

En outre, le texte augmente le nombre de personnes publiques concernées par l’adoption d’un schéma de promotion des achats socialement et écologiquement responsable (Spaser) en abaissant le seuil des achats annuels obligeant les collectivités publiques et les ache teurs dont le statut est déterminé par la loi à élaborer ce schéma (CCP, article L. 2111-3).

Désormais, l’élaboration de ce document est obligatoire pour tous les acheteurs publics dont le montant annuel des achats dépasse 50 millions d’euros hors taxes –contre 100 millions auparavant. Les évolutions relatives au Spaser entreront en vigueur le 1er janvier 2023. Enfin, le texte met en œuvre l’action n° 16 du Plan de transformation numérique de la commande publique et fixe un seuil à 40 000 euros pour la convergence des données essentielles de la commande publiques et celles de recensement – ladite fusion se fera sur le canal des données essentielles. Il résulte de cette fusion que l’ensemble des données sera publié automatiquement sur le portail national de données ouvertes (data.gouv. fr). En revanche, l’application de Recensement écono mique des achats publics (REAP) ne sera plus utilisée. Ces dispositions entreront en vigueur à une date prévue par arrêté et au plus tard le 1er janvier 2024.

Réédition des DPE : conditions d’éligibilité à l’aide exceptionnelle de 60 euros

 Décret n° 2022-971 du 1er juillet 2022 relatif à l’aide exceptionnelle pour la réédition de certains diagnostics de performance énergétique, JO du 2 juillet 2022

L’arrêté du 31 mars 2021 relatif aux méthodes et aux procédures applicables au diagnostic de performance énergétique (DPE), et aux logiciels l’établissant, a modifié la méthode de calcul du classement des étiquettes éner gie des DPE pour les logements construits avant le 1er janvier 1975.

L’application de cette nouvelle méthode de calcul ayant entraîné des erreurs de classement des étiquettes pour cette catégorie de logements, un second arrêté en date du 8 octobre 2021 a modifié la méthode de calcul et les modalités d’établissement des diagnostics.

Entre le 13 avril 2021, date d’entrée en vigueur du pre mier arrêté, et le 14 octobre 2021, date d’entrée en vi gueur du second, rectifiant la méthode de calcul, de nombreux diagnostics erronés ont été réalisés.

Afin de rectifier cette erreur, les professionnels se sont engagés à rééditer les diagnostics erronés ayant classé les logements en D, E, F ou G, sans frais pour les propriétaires.

En contrepartie, et afin de ne pas pénaliser les diagnos tiqueurs contraints de rééditer les DPE pour cette caté gorie de logements, le gouvernement a précisé qu’une aide exceptionnelle de 60 euros par diagnostic classé D,

E, F ou G serait accordée sous réserve du respect de certaines conditions.

Le décret n° 2022-971 du 1er juillet 2022 fixe ces condi tions d’éligibilité au versement de cette aide exception nelle. Toutefois un peu tardivement puisque l’article 5 dudit décret précise que, pour pouvoir bénéficier de cette aide, les dossiers de demande de cette indemni sation devaient être adressés avant le 15 juin 2022 inclus à l’Agence de service et de paiement (ASP) chargée de son versement pour le compte de l’État.

La fixation de cette date, prévue au 28 février 2022 en considération de la date butoir de réédition des diagnos tics erronés puis prorogée jusqu’au 28 avril 2022, et la mise en place en parallèle, sur le site de l’ASP, de la pla teforme de téléservice pour le dépôt des demandes d’in demnisation ont permis de réceptionner un certain nombre de dossiers de demande d’indemnisation pen dant cette période.

Même si la date de dépôt des dossiers de demande d’indemnisation est dépassée, il est très probable qu’elle soit prorogée afin de permettre le dépôt de dossiers complémentaires.

Les sociétés de diagnostic immobilier ayant ou non pro cédé au dépôt du dossier de demande d’indemnisation sont aujourd’hui fixées sur les conditions d’éligibilité au versement de cette aide.

Aussi, pour pouvoir être éligibles au versement de l’in demnisation, les sociétés de diagnostic immobilier de vront répondre aux conditions cumulatives fixées dans l’article 2 dudit décret, à savoir :

• avoir réalisé un diagnostic de performance énergétique erroné dit « DPE à remplacer » répondant aux conditions du DPE énumérées au a) de ce même article à savoir : - porter sur un bâtiment construit avant le 1er janvier 1975 ;

- avoir été réalisé selon la méthode de calcul décrite aux termes de l’arrêté du 31 mars 2021 ;

- avoir une classe de performance énergétique D, E, F ou G et enfin ;

- avoir été transmis à l’Ademe entre le 1er juillet 2021 et le 31 octobre 2021 inclus.

• avoir réédité un diagnostic de performance énergé tique dit « DPE remplaçant » selon les conditions énu mérées au b) de ce même article, à savoir :

- avoir réédité le diagnostic remplaçant sans frais pour le propriétaire du logement (soit, automatiquement en présence d’une classe de performance énergétique F ou G, soit à la demande du propriétaire en présence d’une classe de performance énergétique D ou E), dans le respect de la procédure détaillée sur le site internet de l’Agence de Service de Paiement ;

- avoir réalisé le DPE selon la méthode de calcul décrite aux termes de l’arrêté du 31 mars 2021 ;

- avoir transmis le DPE à l’Ademe avant le 15 juin 2022 inclus.

Sous réserve de répondre à ces conditions cumulatives, les entreprises exerçant une activité de diagnostic immo bilier de performance énergétique tel que défini à l’article L. 126-26 du CCCH pourront prétendre à une aide ex ceptionnelle de 60 euros par DPE réédité. L’article 3 du décret plafonne toutefois l’attribution de l’aide exception

16 Septembre - Octobre 2022 • TEXTES OFFICIELS & JURISPRUDENCE | PARU AU JOURNAL OFFICIEL

nelle à 60 euros dans le cas où le remplacement du diagnostic erroné nécessiterait la réédition de plusieurs diagnostics.

Travaux de rénovation énergétique : le régime de l’accord tacite du bailleur étendu

 Décret n° 2022-1026 du 20 juillet 2022 relatif aux travaux de rénovation énergétique réalisés aux frais du locataire, JO du 21 juillet 2022.

La loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs prévoit en son article 7 que le « locataire ne peut pas transformer les locaux et équi pements loués sans l’accord écrit du propriétaire », seuls les travaux dits « d’aménagements » peuvent être réalisés par le locataire sans opposition possible du bailleur (article 6).

Considérant que l’adaptation de la société au vieillis sement est un impératif national, la loi n° 2015-1776 du 28 décembre 2015 a introduit un régime déroga toire d’autorisation tacite du bailleur lorsque des tra vaux de transformation permettant l’adaptation du logement aux personnes en perte d’autonomie ou en situation de handicap sont réalisés par le locataire et à ses frais.

Le décret n° 2022-1026 du 20 juillet 2022 étend ce régime d’accord tacite aux travaux de rénovation énergétique réalisés aux frais du locataire.

Ce décret, pris en application de la loi Climat et Résilience du 22 août 2021 énonce en son article 1 la liste limitative des travaux de rénovation éner gétique concernés par l’autorisation tacite du bailleur.

Le locataire qui envisage de conduire ce type de travaux, doit néanmoins respecter le formaliste pré vu à l’article 2 dudit décret.

Il doit adresser au bailleur, en vue de recueillir son accord, une demande qui décrit précisément les transformations envisagées et les conditions dans lesquelles ces travaux seront réalisés. À défaut de réponse dans un délai de deux mois, le bailleur sera réputé avoir donné son accord tacite à ces travaux de transformation et ne pourra, à l’issue du bail, demander la remise en état des lieux.

Dans un délai de deux mois suivant l’achèvement des travaux, le locataire atteste auprès du bailleur que les travaux ont été réalisés par l’entreprise choi sie et correspondent effectivement aux travaux de transformation notifiés et autorisés par le bailleur.

Les dispositions du décret sont entrées en vigueur le lendemain de sa publication, soit le 22 juillet 2022.

• Septembre - Octobre 2022 17 PARU AU JOURNAL OFFICIEL | TEXTES OFFICIELS & JURISPRUDENCE

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TEXTES OFFICIELS & JURISPRUDENCE Réponses ministérielles

Urbanisme et environnement

Arrêté de péril et obligation de relogement de la commune  Réponse du ministère de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales à la question Masson n° 27385, JO Sénat du 24 mars 2022, p 1501.

Dès lors qu’un arrêté de péril prescrit une interdiction définitive d’habiter du fait de l’état de péril, la com mune, à laquelle le propriétaire sollicite la prise en charge des coûts de relogement, est-elle tenue de sa tisfaire une telle demande ?

L’article L. 521-3-2 du Code de la construction et de l’habitation (CCH) relatif au régime applicable aux arrê tés de péril et aux obligations de relogement prévoit que le maire prend les dispositions nécessaires pour héber ger ou reloger les occupants dont le propriétaire n’a pas assuré l’hébergement ou le relogement lorsqu’un arrêté de péril accompagné d’une interdiction temporaire ou définitive d’habiter est pris.

Ces dispositions ne trouvent pas à s’appliquer dans le cadre d’un arrêté de péril pris à l’encontre d’un proprié taire occupant le logement et comportant une interdic tion définitive d’habiter.

Observations

Une commune n’est, par conséquent, pas tenue de prendre en charge les frais liés au relogement d’un propriétaire occupant dont le logement a été frappé par un arrêté de péril prescrivant une interdiction définitive d’habiter.

Financement

Conditions d’octroi de crédits immobiliers

 Réponse du ministère de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique à la question Verzelen n° 00049, JO Sénat du 7 juillet 2022, p. 3217.

Un député s’interroge sur les nouvelles recommanda tions du Haut Conseil de stabilité financière (HCSF) adoptées le 29 septembre 2021 et en vigueur depuis le 1er janvier 2022 qui, selon lui, entraînent un durcis sement des conditions d’octroi de crédits immobiliers par les établissements de crédit, freinant ainsi les investissements.

En particulier, le HCSF intègre désormais dans les charges, pour les besoins du calcul du taux d’effort de

35 %, le montant du capital, le montant des intérêts et le coût de l’assurance, gonflant l’enveloppe de charges.

Les nouvelles recommandations invitent en effet à res pecter un taux d’effort maximal de 35 % et une matu rité maximale de vingt-cinq ans, auxquels peut s’ajouter un différé possible de deux ans dans certains cas.

Le taux d’effort est calculé en prenant en compte au numérateur les charges annuelles d’emprunt liées au montant total dû par l’emprunteur et au dénominateur les revenus annuels. Les charges d’emprunt prises en compte dans le calcul du taux d’effort incluent le coût total du crédit pour l’emprunteur, tel que défini à l’alinéa 9 de l’article L. 311-1 du Code de la consommation et tel que le prévoyait déjà la première recommandation du 20 décembre 2019.

Cette mesure a été introduite pour faire face à une dégradation progressive des conditions d’octroi de cré dits immobiliers. Elle vise notamment à prévenir une dynamique excessive de l’endettement des ménages.

Observations

Le bilan de la recommandation publié par le HCSF le 14 septembre 2021 a démontré que ces mesures ont permis de mettre un terme à une dégradation des conditions d’octroi de crédits immobiliers, sans entraver l’accès au crédit des ménages. La production de crédits immobiliers est d’ailleurs restée dynamique depuis la première recommandation du HCSF, malgré la crise liée au Covid-19, atteignant 274 milliards d’euros en 2021 ; après 247 milliards d’euros en 2019 et 252 en 2020.

Fiscalité

Suramortissement fiscal des investissements de transformation numérique des entreprises

 Réponse du ministère de l’Économie, des Finances, de la Souveraineté industrielle et numérique à la question de Mme Degois n° 31421, JO AN du 26 avril 2022, p. 2709.

En vertu de l’article 39 decies B du Code général des impôts, les petites et moyennes entreprises soumises à l’impôt sur les sociétés ou à l’impôt sur le revenu selon un régime réel ont pu déduire de leur résultat impo sable une somme égale à 40 % de la valeur d’origine de certains investissements de transformation numé rique et de robotiques inscrits à l’actif immobilisé (hors frais financiers), affectés à une activité industrielle, ac

18 Septembre - Octobre 2022 •

quis entre le 1er janvier 2019 et le 31 décembre 2020 ou pris en location dans le cadre d’un contrat de créditbail ou d’un contrat de location avec option d’achat conclus au cours de cette même période.

Afin d’encourager les projets d’investissement lourds dont la réalisation et la mise en service prennent plu sieurs mois le dispositif s’est également appliqué aux biens éligibles acquis à l’état neuf à compter du 1er jan vier 2021, sous réserve qu’ils aient fait l’objet d’une commande entre le 1er janvier 2019 et le 31 décembre 2020 assortie du versement d’acomptes d’un montant au moins égal à 10 % du montant total de la com mande et que cette acquisition intervienne dans un délai de vingt-quatre mois à compter de la date de la commande.

Ce dispositif de suramortissement fiscal va-t-il être pé rennisé ? Quels sont les retombées économiques de ce dispositif et ses effets en matière de transformation numérique des entreprises ?

Le dispositif de suramortissement fiscal doit rester tem poraire et s’appliquer sur une courte période. Il n’a donc pas vocation à être pérennisé.

Concernant l’évaluation de la déduction exceptionnelle en faveur de l’investissement des PME dans la robo tique et la digitalisation industrielles prévue à l’article 39 decies B, son coût a été estimé à 3 M€ en 2019.

Les données contenues dans le système d’information de la DGFiP ne permettent cependant pas d’analyser les retombées économiques de ce dispositif et ses ef fets en matière de transformation numérique des entreprises.

Observations

Le soutien du Gouvernement en faveur des investissements de transformation de l’industrie du futur se poursuit par la mise en œuvre, depuis le 27 octobre 2020, d’un dispositif de subventions en faveur d’investissements similaires à ceux auparavant éligibles à la déduction exceptionnelle. Ce nouveau dispositif de subventions est étendu aux entreprises de taille intermédiaire et a été reconduit en 2021 et en 2022 dans le cadre du plan de relance.

Mesures d’accompagnement des entreprises du bâtiment dans le cadre du projet de loi de finances pour 2022

 Réponse du ministère de l’Économie, des finances, de la souveraineté industrielle et numérique à la question Poletti, n° 42895 JO AN du 31 mai 2022, p. 3287

Les entreprises du BTP, devant faire face à une pénurie de matières premières et à une hausse importante du prix des matériaux, réalisent des marchés à perte de nature à remettre en cause leur existence.

En application des dispositions de l’article 220 quin quies du Code général des impôts, le déficit constaté par une entreprise soumise à l’impôt sur les sociétés peut, sur option et dans la limite d’un montant d’un million d’euros, être imputé sur la fraction du bénéfice de l’exercice précédent, qui n’a pas été distribuée, qui

RÉPONSES MINISTÉRIELLES

TEXTES OFFICIELS

n’a pas fait l’objet d’une exonération et qui n’a pas don né lieu à un impôt payé au moyen de crédits ou de réductions d’impôt. Ce dispositif est dit du carry-back.

Afin d’accompagner les entreprises dans le contexte de la crise sanitaire, le gouvernement a mis en place plusieurs assouplissements des règles encadrant le dispositif de carry-back.

La loi de finances rectificative pour 2020 a instauré un dispositif temporaire de remboursement immédiat des créances nées du report en arrière des déficits.

La loi de finances pour 2021 a étendu aux entreprises soumises à une procédure de conciliation le méca nisme de remboursement immédiat des créances de report en arrière des déficits qu’elles détiennent sur l’État, jusque-là réservé aux entreprises faisant l’objet d’une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaires.

La loi de finances rectificative pour 2021 a temporai rement renforcé le dispositif de report en arrière des déficits en autorisant l’imputation, sans limitation de montant, du déficit constaté au titre du premier exer cice déficitaire clos à compter du 30 juin 2020 et jusqu’au 30 juin 2021 sur la fraction, déterminée dans les conditions de droit commun, des bénéfices consta tés au titre des trois exercices précédents.

Par ailleurs, la loi de finances pour 2021 a créé un dis positif de crédit d’impôt en faveur des PME qui en gagent des dépenses pour la rénovation énergétique des bâtiments ou parties de bâtiments à usage tertiaire dont elles sont propriétaires ou locataires et qu’elles affectent à l’exercice de leur activité industrielle, com merciale, artisanale, libérale ou agricole.

Dans le cadre du projet de loi de finances pour 2022, de nouveaux assouplissements du dispositif du carryback seront-ils introduits ? Le crédit d’impôt en faveur de la rénovation énergétique des locaux TPE/PME vat-il être prorogé ?

Le gouvernement n’est favorable ni à l’adoption d’un nouveau dispositif de remboursement immédiat des créances de report en arrière des déficits ou de tout autre dispositif d’assouplissement du carry-back ni à la prorogation du mécanisme de crédit d’impôt susvisé.

Observations

Le gouvernement a toutefois mis en place ou prorogé une série de dispositifs de soutien aux entreprises en difficulté afin de les aider à faire face au ralentissement économique.

Il a notamment créé une aide visant à compenser la hausse des coûts d’approvisionnement de gaz naturel et d’électricité pour les entreprises particulièrement affectées par les conséquences économiques et financières de la guerre en Ukraine, à la suite d’un décret publié le 1er juillet 2022.

Par ailleurs, les dispositifs relatifs aux prêts participatifs Relance (PPR) et aux obligations Relance (OR) en faveur des PME et des ETI ont été prolongés jusqu’au 31 décembre 2023.

• Septembre - Octobre 2022 19
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& JURISPRUDENCE

TEXTES OFFICIELS & JURISPRUDENCE

Jurisprudence commentée

Vente et contrats spéciaux

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À RETENIR

Le sort des « loyers Covid » fixé par trois arrêts de la Cour de cassation rendus le même jour

 Cass. 3e civ., 30 juin 2022, n° 21-20.190

 Cass. 3e civ., 30 juin 2022, n° 21-20.127

 Cass. 3e civ., 30 juin 2022, n° 21-19.889

Faits

Les trois arrêts susvisés portaient sur des situations distinctes qui avaient toutefois en commun la question cruciale à laquelle les juridictions du fond sont confrontées depuis mars 2020, soit il y a plus de deux ans. Le titulaire d’un bail commercial est-il redevable des loyers pendant les périodes de fermeture des commerces non essentiels édictées en application notamment du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de Covid-19 et du décret n° 2020-423 du 14 avril 2020 le complétant jusqu’au 11 mai 2020, à savoir les loyers dits Covid, tels qu’ils sont dénommés dans la pratique.

Les locataires et bailleurs, assistés de leurs conseils respectifs, se sont affrontés sur différents fondements juridiques, avec à la clef, d'une part, pour les locataires, la question de la viabilité économique de l’exploitation pour les locataires, dont certains ont connu des fermetures de plusieurs mois, et, d'autre part, pour les bailleurs, la question de la rentabilité économique de leur investissement.

Les juridictions du fond étaient partagées dans leur analyse (CA Douai, 16 décembre 2021, n° 21/03259, rendu en faveur des locataires). Toutefois, dans les trois affaires susvisées, les cours d’appel avaient rejeté les demandes des locataires.

Un pourvoi fut donc formé par les trois locataires à savoir un supermarché à dominante non alimentaire, une résidence de vacances et une agence immobilière.

Question

Le locataire de bail commercial est-il redevable des loyers, même pendant les périodes de fermeture des commerces non essentiels, édictées dans le cadre de la réglementation édictée pour faire face à l’épidémie de Covid-19 ?

Décision

Les loyers sont intégralement dus par les locataires de bail commercial, même pendant les périodes de fermeture des commerces non essentiels. La Cour de cassation a écarté un à un les arguments soulevés par les locataires.

Commentaire

Les hauts magistrats ont pris le soin d’écarter un à un les arguments soulevés par les demandeurs. Il est vrai que certains présentaient des fragilités.

À titre d’exemple, soulever l’exception d’inexécution afin de suspendre le paiement des loyers Covid, au motif que le bailleur n’aurait pas rempli son obligation de délivrance, était critiquable puisque ni le bailleur ni le preneur n’étaient responsables des fermetures imposées aux commerces non essentiels par les textes réglementaires.

C’est d’ailleurs à ce titre que la Cour de cassation a rejeté la demande des locataires sur ce fondement.

La bonne foi fut également écartée, dès que le bailleur a proposé des aménagements dans les échéances au locataire. Il importe peu que ces aménagements aient été minimes.

Ensuite, la Cour de cassation écarte l’application de l’article 1218 du Code civil relatif à la force majeure, sans se justifier. La Cour de cassation semble considérer qu’il y a lieu d’appliquer sa jurisprudence du 16 septembre 2014 (n° 13-20.306) en vertu de laquelle le débiteur d’une somme d’argent ne peut pas s’exonérer de son obligation en invoquant un cas de force majeure.

Ce point mériterait toutefois d’être éclairci tant les circonstances d’espèce ayant conduit à l’arrêt du 16 septembre 2014 sont particulières. En l’espèce, le gérant d’une société s’était porté caution de ladite société. À la suite de la liquidation judiciaire de cette dernière, la banque a actionné la caution afin d’obtenir le remboursement des sommes prêtées. Le gérant caution avait sollicité des délais et invoquait comme cas de force majeure une maladie dégénérative neuronale et, depuis mai 2010, un cancer du tibia dont il était atteint.

La position stricte de la haute juridiction pouvait s’expliquer dans la mesure où l’objet même du contrat portait sur la garantie de paiement d’une somme d’argent due par une personne.

Reste le fondement juridique de la destruction de la chose louée. Il s’agit, à notre sens, du fondement juridique le plus sérieux. C’est, d’ailleurs, sur la base de ce fondement que la cour d’appel de Douai a rendu

DÉCISION
20 Septembre 2022 •

un arrêt en faveur des locataires, le 16 décembre 2021 (n° 21/03259).

La Cour de cassation considère quant à elle que l’effet de la mesure générale et temporaire d’interdiction de recevoir du public est sans lien direct avec la destination contractuelle du local loué, et ne peut donc être assimilé à la perte de la chose, au sens de l’article 1722 du Code civil.

Il est incontestable que, par ces trois arrêts, la haute juridiction a souhaité adresser un message clair aux locataires et bailleurs investisseurs.

Pour autant, à notre sens, la position de la Cour de cassation sur le fondement de la destruction de la chose louée est susceptible d’être critiquée puisque les interdictions ont été précisément édictées en fonction des activités prévues contractuellement au bail et exploitées par le preneur, selon qu’elles étaient interdites ou autorisées.

Ce point ne devrait toutefois pas remettre en cause la volonté désormais affichée de la Cour de cassation de faire cesser le contentieux de masse des loyers Covid. Affaire à suivre.

Urbanisme et environnement

Décision

La Cour de cassation censure l’arrêt d’appel au visa de l’article 1719 du Code civil, retenant que la cour d’appel n’aurait pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations.

La haute juridiction retient en effet qu’il n’est pas démontré par le bailleur que la situation serait régularisable, alors même qu’elle provoque, à l’égard du preneur, « des difficultés pour assurer les lieux, de fortes restrictions quant aux capacités de développement de son commerce, ainsi qu’une limitation drastique de sa capacité à vendre son fonds du fait du risque de perte du local d’exploitation en cas d’injonction administrative de démolir ».

La Cour de cassation retient en l’espèce que le bailleur a manqué à son obligation de délivrance découlant de l’article 1719 du Code civil, non pas en raison d’une impossibilité matérielle, pour le preneur, d’exploiter l’activité prévue au bail dans les locaux loués, mais en raison d’une difficulté juridique, causée par le défaut de permis de construire.

Ainsi, la Cour de cassation retient que le bailleur peut manquer à son obligation de délivrance même si le preneur est en mesure, au quotidien, d’exercer normalement son activité dans les locaux loués.

Commentaire

 Cass. 3e Civ., 1er juin 2022, n° 21-11 602

Faits

Un local commercial à usage de commerce de pizzas à emporter situé dans l’extension d’un bâtiment principal est donné à bail. Le preneur, présent dans les locaux depuis 2009, a lancé une expertise judiciaire. L’expert conclut que l’extension a été bâtie sans permis de construire, en violation des règles du plan d’urbanisme.

Le preneur a alors assigné le bailleur en sollicitant la résolution du bail aux torts du bailleur et la réparation de son préjudice, au motif que le local a été édifié sans permis de construire. L’action était fondée sur l’obligation de délivrance du bailleur.

La cour d’appel de Papeete, dans un arrêt rendu le 30 janvier 2020, a débouté le preneur de l’ensemble de ses demandes, aux motifs que cette irrégularité administrative n’aurait aucune incidence sur l’exploitation quotidienne du fonds de commerce, que l’administration n’aurait jamais enjoint le preneur à quitter les locaux et qu’un commerce identique était exploité dans les lieux depuis 1996.

Le preneur forme alors un pourvoi en cassation.

Question

Le bailleur qui donne à bail un local commercial affecté d’un défaut de permis de construire manquet-il à son obligation de délivrance prévue par l’article 1719 du Code civil ?

L’obligation de délivrance de l’article 1719 du Code civil inclut, pour le preneur, le droit d’exercer son activité dans un local répondant à l’ensemble des règles d’urbanisme. Le preneur ne saurait souffrir le risque d’une injonction administrative de démolir les locaux.

La haute juridiction semble vouloir donner une certaine portée à cet arrêt, puisqu’il est publié au Bulletin des arrêts de la Cour de cassation.

La Cour de cassation a d’ores et déjà eu l’occasion de retenir qu’un défaut de conformité à la réglementation d’urbanisme, consistant en une violation des termes du permis de construire et un défaut de respect des règles de transformation d’un logement en local commercial, constituait un manquement à l’obligation de délivrance du preneur. (Cass. 3e civ., 21 novembre 2001, n° 99-21.640).

Dans cette espèce, ce manquement avait justifié la résiliation du bail.

La cour d’appel de renvoi devra trancher la question des effets, en l’espèce, de la reconnaissance d’un manquement du bailleur à l’article 1719 du Code civil. En effet, le preneur sollicite la résolution du bail, et non sa résiliation.

En tout état de cause, si le bail venait à être résolu rétroactivement, le preneur serait alors débiteur d’une indemnité d’occupation pour le temps pendant lequel il a occupé les locaux.

• Septembre - Octobre 2022 21 JURISPRUDENCE COMMENTÉE | TEXTES OFFICIELS & JURISPRUDENCE
Le bailleur d’un local commercial construit sans permis de construire manque à son obligation de délivrance

Réforme des destinations et autorisations d’urbanisme : entrée en vigueur des dispositions de l’article R. 421-14 du Code de l’urbanisme

 CE, 7 juillet 2022, n° 454789

Faits

Par une décision du 13 juillet 2017, la maire de Paris s’est opposée à la déclaration préalable de travaux présentée par la société CSF le 4 juillet 2017 en vue de transformer un local occupé par un commerce de boucherie en supérette et d’en modifier les façades. La maire de Paris a fait application de la version de l’article R. 421-14 du Code de l’urbanisme antérieure au décret du 28 décembre 2015. Celle-ci renvoyait à l’article R. 123-9 du même code pour caractériser un changement de destination. L’ancienne nomenclature identifiait en effet le commerce et l’artisanat comme deux destinations différentes et, pour la Ville de Paris, la boucherie se rattachait à l’artisanat.

Or, ce n’est plus le cas dans la nouvelle nomenclature résultant des articles R. 151-27 et 28 du Code de l’urbanisme, à laquelle renvoie désormais l’article R. 421-14 du même Code. L’artisanat et le commerce de détail figurent dans la même sous-destination, et il n’y a donc pas de changement de destination d’une boucherie à une supérette.

Par un jugement du 7 février 2019 (TA, 7 février 2019, Société CSF, n° 1719507), le tribunal administratif de Paris a rejeté le recours formé par cette société contre cette décision ainsi que contre celle rejetant son recours gracieux.

La cour administrative d’appel de Paris ayant annulé ce jugement (CAA Paris, 20 mai 2021, Société CSF, n° 19PA00986), la Ville de Paris se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 20 mai 2021 par lequel la même cour a, sur l’appel de la société CSF, annulé le jugement du tribunal administratif de Paris du 7 février 2019.

Question

Quel est le champ d’application des autorisations d’urbanisme en cas de changement de destination ?

Décision

Le Conseil d’État rappelle que les règles issues du décret du 28 décembre 2015 définissant les projets soumis à autorisation d’urbanisme, selon notamment qu’ils comportent ou non un changement de destination d’une construction existante, sont entrées en vigueur le 1er janvier 2016.

Cette entrée en vigueur n’a pas d’incidence sur le maintien de l’article R. 123-9 du Code de l’urbanisme dans sa rédaction antérieure au 1er janvier 2016, dans les hypothèses prévues au VI de l’article 12 du décret du 28 décembre 2015, sauf en cas de décision contraire du conseil municipal ou communautaire.

Les règles soumettant les constructions à permis de construire ou à déclaration de travaux, dont un plan local d’urbanisme (PLU) ne saurait décider et qui relèvent d’un autre livre du Code de l’urbanisme, sont

définies, pour l’ensemble du territoire national, par les articles R. 421-14 et R. 421-17 du Code de l’urbanisme, qui renvoient, depuis le 1er janvier 2016, pour déterminer les cas de changement de destination soumis à autorisation, aux destinations et sousdestinations identifiées aux articles R. 151-27 et R. 151-28 de ce code.

Le Conseil d'État juge que c'est donc à bon droit que la cour administrative d’appel de Paris a jugé que la procédure administrative applicable au projet de la société CSF, postérieur au 1er janvier 2016, devait être déterminée par application des dispositions de l’article R. 421-14 du Code de l’urbanisme issues du décret du 28 décembre 2015, nonobstant la circonstance que le PLU de la Ville de Paris était en cours de modification le 1er janvier 2016. Elle en a déduit que la demande de cette société n’était plus soumise à permis de construire mais à déclaration préalable dès lors que la modification projetée d’une boucherie en commerce ne constituait désormais plus un changement de destination.

Commentaire

Le Conseil d’État règle la question des modalités d’application dans le temps de la réforme introduite par le décret du 28 décembre 2015 qui a substitué aux neuf destinations de l’article R. 123-9 du Code de l’urbanisme une liste de cinq destinations et de vingt sous-destinations fixées respectivement par les articles R. 151-27 et R. 151-28 du même code. La nécessité d’obtenir une autorisation d’urbanisme est appréciée au regard des nouvelles destinations des articles R. 151-27 et R. 151-28, alors même que le contrôle de la conformité du projet au règlement du PLU se fera au regard des anciennes catégories, dans les communes ayant un document d’urbanisme rédigé sous l’empire des anciennes dispositions.

Vente et contrats spéciaux

Faits

Une entreprise de travaux introduit une action indemnitaire contre le maître d’ouvrage, une société d’économie mixte (SEM), pour ne pas avoir pu réaliser les travaux.

L’entreprise n’a jamais reçu l’ordre de démarrer les travaux, a considéré le marché comme caduc et adressé à la SEM un décompte final de 895 043,77 euros. En réponse, la SEM a refusé ce décompte et prononcé la résiliation du marché pour un motif d’intérêt général en application d’une clause contractuelle.

Les juges du fond ont admis à la fois la faculté de prononcer la résiliation du marché, justifiée, dans le

22 Septembre - Octobre 2022 • TEXTES OFFICIELS & JURISPRUDENCE | JURISPRUDENCE COMMENTÉE
La recherche d’économies peut constituer un motif légitime de résiliation d’un marché de travaux  Cass. 3e civ., 11 mai 2022, n° 21-12.291

respect du contrat, par un motif d’intérêt général, la recherche d’économies et l’encadrement de l’indemnité.

Question

La recherche d’économie peut-elle constituer un motif légitime de résiliation d’un marché de travaux ?

Décision

La Cour de cassation confirme que le maître de l’ouvrage peut résilier un marché de travaux et invoquer, au sens du contrat, la recherche d’économies comme motif d’intérêt général.

Commentaire

Une entreprise peut rechercher la responsabilité d’un maître d’ouvrage pour avoir été privée de l’exécution totale, voire partielle, d’un marché.

La décision illustre deux notions essentielles : la faculté de résiliation unilatérale d’un marché et la fixation de l’indemnité par le contrat, le tout s’exerçant sous le contrôle du juge.

Devant la Cour de cassation, l’entreprise soutenait que le juge judiciaire ne peut donner effet aux clauses exorbitantes du droit que comporte un marché de travaux, « étrangères par nature à celles consenties par quiconque dans le cadre des lois civiles ou commerciales ; et que, en faisant application du cahier des clauses générales administratives et techniques (CCAG) autorisant le maître d’ouvrage à résilier le marché pour motif d’intérêt général », la cour d’appel aurait violé l’article 1134 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016.

Ce 1er argument est écarté pour une raison de procédure, faute d’avoir été soutenu devant les juges du fond. Il n’est pas du tout certain qu’il aurait résisté à l’analyse, car, nous semble-t-il, c’est ignorer l’article 1794 du Code civil qui dispose que « le maître peut résilier, par sa seule volonté, le marché à forfait, quoique l’ouvrage soit déjà commencé, en dédommageant l’entrepreneur de toutes ses dépenses, de tous ses travaux, et de tout ce qu’il aurait pu gagner dans cette entreprise ».

La disposition s’applique, à n’en pas douter, même dans le silence du contrat, et n’a rien d’exorbitant. N’étant en revanche par d’ordre public, elle peut être écartée ou aménagée par le contrat.

Devant la Cour de cassation, l’entreprise soutenait que le motif invoqué par la SEM, la recherche d’économies, ne constituait pas un motif légitime au sens du contrat.

La Cour de cassation approuve la cour d’appel qui a constaté, dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation, que la SEM justifiait, au soutien de la résiliation pour un motif d’intérêt général, de la volonté de recherche d’économies qui l’avait conduite à substituer à des pavés de pierre naturelle un revêtement en béton.

L’indemnité prévue au contrat (2 % du montant hors taxes du marché outre les éventuelles dépenses engagées) ayant été versée, la demande de l’entreprise est rejetée.

Il n’est pas certain que le juge administratif aurait, lui,

retenu comme motif d’intérêt général la recherche d’économies.

La jurisprudence administrative admet qu’une personne publique puisse mettre fin à un contrat administratif en raison des difficultés financières qu’elle rencontre (CAA Bordeaux, 17 janvier 2017, n° 14BX03409 ; CAA Douai, 31 janvier 2019, n° 16DA01280 ; CAA Paris, 21 juillet 2020, n° 18PA01930).

Ces difficultés financières peuvent tenir à un renchérissement des coûts liés à l’exécution du contrat (CAA Bordeaux, 14 décembre 2018, n° 16BX01224 ; CAA Lyon, 22 mars 2018, n° 16LY00641), situations qui dans le contexte actuel de crise pourraient malheureusement se multiplier. Mais encore faut-il que les contraintes budgétaires ne constituent pas une excuse masquant une réflexion insuffisante préalablement à la conclusion du contrat, sinon le juge peut considérer que le motif invoqué est irrégulier (CAA Versailles, 20 juillet 2017, n° 15VE03275 ; CAA Douai, 4 avril 2019, nos 17DA02401 et 18DA00592)

C’est pourquoi l’intérêt bien compris du cocontractant était de démontrer ici que le motif n’est pas d’intérêt général afin d’écarter l’application des clauses limitant l’indemnisation.

Mais le juge judiciaire considère que la recherche d’économies est, au sens du contrat, un motif d’intérêt général justifiant une résiliation et légitime le cantonnement de l’indemnité à celle prévue audit contrat.

Quand la réitération est une condition de formation de la vente, son absence rend la promesse caduque  Cass. 3e civ., 25 mai 2022, n° 21-13.017

Faits

Au terme d’un procès relativement erratique, la Cour de cassation confirme, une nouvelle fois, que si la réitération est une condition de formation de la vente, son absence rend la promesse caduque.

Vendeur et acquéreur signent une promesse synallagmatique de vente portant sur plusieurs parcelles. Mais l’acte authentique n’intervient pas dans le délai prévu, fixé au 20 décembre 2005 à 18 heures.

Sept ans plus tard, s’estimant libre de tout engagement, le vendeur cède l’une des parcelles à un nouvel acquéreur, le 6 juillet 2012.

En 2015, le premier candidat à l’acquisition entreprend alors d’assigner le vendeur, le notaire et le nouvel acquéreur en annulation de la vente et sollicite la vente forcée à son profit et dommages et intérêts.

Le tribunal de grande instance (TGI), en 2018, lui donne tort, et, outre diverses condamnations au titre des frais de procès et dépens, le condamne pour

• Septembre - Octobre 2022 23 JURISPRUDENCE COMMENTÉE | TEXTES OFFICIELS & JURISPRUDENCE

procédure abusive au profit des vendeurs et prononce une amende civile.

La cour d’appel revient sur les condamnations pour procédure abusive et amende civile, prend le soin d’examiner le fond et approuve le TGI d’avoir retenu la caducité de la promesse, tout en soulignant l’irrecevabilité de la demande faute de publicité. Un pourvoi est formé.

Question

L’absence de réitération d’une vente, qui constitue pourtant une condition de formation de la vente, rend-elle la promesse caduque ?

Décision

La Cour de cassation confirme la caducité de la promesse, en l’absence de réitération de la promesse.

Commentaire

L’intérêt de cette décision est de confirmer la position de la cour d’appel qui a correctement apprécié la rédaction de la stipulation suivante : « Le vendeur et l’acquéreur subordonnent formellement la perfection de la vente et le transfert de propriété aux conditions suivantes sans lesquelles elles n’auraient pas traité : la vente devra être régularisée au plus tard le 20 décembre 2005 à 18 heures par acte authentique devant Me [U], notaire à [Localité], que les parties choisissent d’un commun accord à cet effet. Si les conditions suspensives se réalisent, le consentement du vendeur et la mutation de propriété sont subordonnés à la condition de la signature de l’acte avec le paiement du prix convenu et des frais d’acte dans le délai qui vient d’être indiqué. »

Comme le souligne la cour d’appel, « il a donc été expressément stipulé que la promesse de vente ne valait pas vente ; que la signature de la vente est une condition substantielle conditionnant la perfection de la vente et le transfert de propriété, sans laquelle les parties n’auraient pas traité. »

Et comme, par ailleurs, « aucune clause de l’acte ne stipulait qu’après dépassement du terme chacune des parties pourrait mettre l’autre en demeure de réitérer la vente, l’écoulement du délai fixé pour procéder à la réitération a bien entraîné de plein droit la caducité de la promesse synallagmatique de vente ». La seule façon de passer outre ces stipulations contractuelles eût été de conclure un avenant contenant prorogation contractuelle de la promesse de vente.

La Cour de cassation approuve encore le juge du fond d’avoir écarté les autres arguments du demandeur, au demeurant non établis, qui invoquait avoir payé le prix et obtenu l’instauration d’une servitude.

Finalement, il s’agit d’une confirmation d’une jurisprudence établie. Les parties peuvent convenir que la réitération en la forme authentique constitue une condition de formation de la vente et que la vente doit être réitérée au plus tard à une date donnée.

Au cas particulier, l’exhaustivité de la rédaction, qui ne mentionne pas que le dépassement de la date puisse être le point de départ à partir duquel l’une

des parties aurait pu forcer l’autre à s’exécuter (par exemple, Cass. 3e civ., 21 novembre 2012, n° 1123.382), emporte bien caducité de la promesse.

Ce mécanisme est bien plus efficace que celui, usuel, qui prévoie que la date d’échéance de la promesse constitue le point de départ du délai (souvent non précisé qui se confond alors avec le délai de prescription de cinq ans…) dans lequel l’une ou l’autre des parties pourra agir pour obtenir l’exécution forcée, ce qui contraint, en pratique, celui qui souhaiterait revendiquer la caducité à d’abord s’exposer à la volonté de l’autre partie.

Communication à un tiers, par le mandataire de maîtrise d’ouvrage, de documents administratifs pris dans le cadre de son mandat

 CE, 25 mai 2022, société Spie Batignolles Île-de-France, n° 450003

Faits

Une société B a saisi le tribunal administratif de Strasbourg d’une demande tendant à l’annulation d’une décision implicite de refus, en date du 12 juillet 2018. Cette décision est née du silence gardé par la société mandataire de maîtrise d’ouvrage à la demande, formulée par la société B, de communication de différents documents relatifs à l’exécution d’un marché public.

Le 27 juillet 2018, la société a saisi la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) qui s’est déclarée incompétente par un avis du 24 janvier 2019. Le requérant a alors saisi le tribunal administratif de Strasbourg d’un recours en excès de pouvoir tendant à l’annulation de cette décision implicite de rejet.

Par un jugement du 21 décembre 2020, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté la demande d’annulation de la décision implicite de rejet de la société titulaire du marché.

Le Conseil d’État a ainsi été saisi d’un pourvoi en cassation.

Question

Le mandataire d’une maîtrise d’ouvrage est-il tenu de communiquer, aux tiers, les documents administratifs pris dans le cadre de l’exercice de son mandat ?

Décision

Le Conseil d’État annule le jugement du tribunal administratif de Strasbourg et juge que la société requérante est fondée à demander l’annulation de la décision par laquelle la société mandataire de la maîtrise d’ouvrage lui avait refusé la communication de certains documents pris dans le cadre de l’exécution du marché.

Il enjoint, sous astreinte, la société mandataire de la maîtrise d’ouvrage à transmettre les documents

24 Septembre - Octobre 2022 • TEXTES OFFICIELS & JURISPRUDENCE | JURISPRUDENCE COMMENTÉE

demandés à la société requérante.

Rappelant pour commencer le principe selon lequel une personne privée peut être regardée comme assurant une mission de service public « lorsque, eu égard à l’intérêt général de son activité, aux conditions de sa création, de son organisation ou de son fonctionnement, aux obligations qui lui sont imposées ainsi qu’aux mesures prises pour vérifier que les objectifs qui lui sont assignés sont atteints, il apparaît que l’administration a entendu lui confier une telle mission », le Conseil d’État juge sur ce fondement que le tribunal administratif de Strasbourg a commis une erreur de droit en écartant l’existence d’une mission de service public et en se bornant à constater que le pouvoir adjudicateur n’avait pas confié à la société des prérogatives de puissance publique, sans rechercher si, en l’absence de telles prérogatives, elle ne pouvait pas également être regardée comme assurant une mission de service public. Sur le fond, le Conseil d’État estime que le mandataire de maîtrise d’ouvrage qui agit au nom et pour le compte d’une personne publique, sur le fondement des articles L. 2422-10 du Code de la commande publique et L. 300-2 du Code des relations entre le public et l’administration, est tenu – aux termes des dispositions de l’article L. 311-1 du Code des relations entre le public et l’administration – de communiquer aux tiers les documents administratifs qu’il a produits ou reçus dans le cadre de l’exercice de son mandat, et cela jusqu’à l’achèvement de sa mission.

Enfin, et répondant à un moyen soulevé par le défendeur, qui estimait que la communication de tels documents porterait atteinte au déroulement des procédures engagées devant les juridictions sur le fondement du f), 2 de l’article L. 311-5 du Code des relations entre le public et l’administration, le Conseil d’État estime que, en vertu de l’exigence de transparence reposant sur les personnes mentionnées à l’article L. 300-2 du Code des relations entre le public et l’administration, le seul fait que la communication d’un document administratif soit de nature à affecter les intérêts d’une partie à une procédure juridictionnelle, ou qu’un document ait été transmis à une juridiction dans le cadre d’une instance engagée devant elle, ne fait pas obstacle à la communication de ces documents.

Commentaire

Faisant une application classique du droit à la communication des documents administratifs consacré au sein du Code des relations entre le public et l’administration, le Conseil d’État rappelle également les obligations reposant sur le mandataire de maîtrise d’ouvrage dans le cadre de son mandat et ce jusqu’à l’achèvement de sa mission.

Celui-ci est ainsi tenu de transmettre les documents administratifs pris dans le cadre de son mandat à toute personne en faisant la demande.

Chloé Chevalier LexCity avocats

Faits

Une société entreprend, en qualité de maître d’ouvrage, la réalisation d’une centrale de production d’électricité. Pour ce faire, elle conclut un contrat de louage d’ouvrage avec une société qui, pour la réalisation de la centrale, achète des panneaux solaires contenant des contacteurs auprès d’une autre société. Ces contacteurs étaient eux-mêmes fabriqués par une société tierce.

Subissant des interruptions de production en raison de défaillances des contacteurs, le maître d’ouvrage engage une action, notamment sur le fondement de la garantie des vices cachés, à l’encontre de l’entreprise, du fournisseur des panneaux et du fabricant des contacteurs.

La cour d’appel accueille les prétentions du maître d’ouvrage en condamnant l’entreprise sur le fondement de la garantie des vices cachés au motif qu’« en sa qualité de fournisseur final des connecteurs, [l’entreprise] est bien redevable à l’encontre [du maître d’ouvrage] de la garantie des vices cachés, peu important le fait que le contrat qui les lie soit un contrat de louage d’ouvrage ».

En outre, la juridiction d’appel déclare irrecevable l’action en garantie formée par l’entreprise à l’encontre du fabricant, comme étant prescrite, car formée plus de deux ans après la découverte du vice. Un pourvoi en cassation est formé.

Question

La garantie des vices cachés est-elle applicable au contrat de louage d’ouvrage conclu dans le cadre d’une chaîne de contrats translative de propriété ?

Question

Quel est le point de départ du délai biennal de l’action en garantie des vices cachés formée par l’entrepreneur à l’encontre du fabricant ?

Décision

Sur la première question, la Cour de cassation censure l’arrêt d’appel au visa de l’article 1641 du Code civil en considérant que, « dans leurs rapports directs, l’action en garantie des vices cachés n’est pas ouverte au maître de l’ouvrage contre l’entrepreneur ».

Au sujet du point de départ de délai d’action, la Cour rappelle au visa de l’article 1648 du Code civil que, « en application de ce texte, le délai [de deux ans] dont dispose l’entrepreneur pour former un recours en garantie contre le fabricant (…) court à compter de la date de l’assignation délivrée contre lui » et non à compter de la découverte du vice par le maître d’ouvrage.

• Septembre - Octobre 2022 25 JURISPRUDENCE COMMENTÉE | TEXTES OFFICIELS & JURISPRUDENCE
Garantie des vices cachés et chaîne de contrats translative de propriété : un couple traditionnel et innovant  Cass. com., 29 juin 2022, n° 19-20.647

Commentaire

Par cet arrêt, la Cour de cassation rappelle les limites du champ d’application de la garantie des vices cachés. Pour la haute juridiction, la circonstance que le contrat de louage d’ouvrage dont se prévaut le maître d’ouvrage pour former son action soit inséré dans une chaîne de contrats incluant une vente est inopérante. La garantie des vices cachés ne s’applique pas au contrat de louage d’ouvrage. En d’autres termes, la Cour ne tient pas compte de la chaîne dans laquelle le contrat litigieux s’insère, elle s’attache seulement à la nature du maillon à l’origine de l’action : dès lors que ce maillon n’est pas un contrat de vente, la garantie des vices cachés est écartée.

Cette solution marque donc l’inutilité pour le maître d’ouvrage de mobiliser la théorie des chaînes de contrats dans ses rapports contractuels directs avec l’entrepreneur. Aussi, la haute juridiction rappelle que le mécanisme de la garantie des vices cachés, prévu par le titre du code régissant le droit spécial de la vente, n’a pas vocation à s’appliquer à d’autres contrats.

Concernant la question du point de départ de l’action en garantie des vices cachés, si la rédaction de l’arrêt peut sembler contraire à la lettre de l’article 1648 du Code civil – lequel retient bien « la découverte du vice » comme point de départ de l’action –, il faut en réalité tenir compte de la circonstance particulière que l’action est ici intentée non pas par le propriétaire de la chose viciée mais par l’entrepreneur à l’encontre du fabricant.

Or, avant qu’il ne soit assigné, l’entrepreneur ne pouvait, sauf cas particulier, avoir connaissance du vice affectant la chose. Dans ce cas précis, le point de départ du délai de deux ans est donc la date de signification de l’assignation à l’entrepreneur, date qui est également celle à laquelle ce dernier a eu connaissance du vice.

afin de se voir rembourser les sommes.

Le locataire opposait la prescription de l’action en invoquant notamment l’article L. 137-2, devenu L. 218-2 du Code de la consommation qui prescrit par deux ans les actions des professionnels « pour les biens ou les services qu’ils fournissent aux consommateurs ».

Il avançait en effet que si l’article 7-1 de la loi n° 89462 du 6 juillet 1989 relative aux baux d’habitation prévoit une prescription de trois ans pour « toutes actions dérivant d’un contrat de bail », l’action récursoire exercée par l’organisme de caution qui a payé des loyers et charges au bailleur en lieu et place du preneur à bail d’habitation est en dehors du champ d’application de la loi du 6 juillet 1989 et constitue une action en paiement soumise à la prescription biennale prévue par le Code de la consommation.

Le locataire soutenait que l’association, ayant agi en qualité de professionnel, fournissait un service financier aux consommateurs et était donc soumise à l’article L. 218-2 du Code de la consommation. Les juges du fond acceptent la demande de l’association qui s’est portée caution. Le locataire forme alors un pourvoi.

Question

L’action de l’organisme de caution « professionnel » contre le particulier débiteur dans le cadre d’un bail d’habitation est-elle soumise aux règles de prescription prévues par le droit de la consommation ou par les dispositions de la loi du 6 juillet 1989 ?

Décision

L’action de la caution contre le locataire défaillant est une action subrogatoire soumise au délai de prescription de trois ans prévu à l’article 7-1 de la loi du 6 juillet 1989.

Commentaire

Financement

Le recours subrogatoire de la caution soumis aux règles applicables à l’action du créancier contre le débiteur  Cass. 3e civ., 11 mai 2022, n° 20-23.335

Faits

L’association Astria (organisme collecteur d’Action Logement) permet, entre autres, à des ménages d’accéder à un logement en avançant le dépôt de garantie et en se constituant caution.

Dans cette espèce, l’association qui s’était portée caution pour un bail d’habitation a été contrainte de régler des loyers et charges impayés. L’association avait alors engagé dans le cadre d’une action subrogatoire, un recours contre le locataire défaillant

La question, même si le locataire paraissait être de mauvaise foi, méritait d’être posée afin de déterminer si l’action de l’organisme de caution professionnel à l’égard de son « client consommateur » répondait à des règles indépendantes de celles applicables dans le cadre de la relation entre le bailleur et le preneur à bail commercial.

La Cour de cassation rappelle les fondamentaux de l’action subrogatoire : la caution qui a payé la dette est subrogée à tous les droits qu’avait le créancier contre le débiteur. La caution est donc soumise à la même prescription que celle applicable à l’action du créancier contre le débiteur.

Or, l’action du créancier (le bailleur) contre le débiteur (preneur) était bien soumise à la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 et notamment à la prescription triennale et non aux dispositions du Code de la consommation susvisées.

Cette solution est transposable dans toutes les matières où une caution est subrogée dans les droits du créancier : l’action subrogatoire de la caution contre le débiteur est soumise à la même prescription

26 Septembre - Octobre 2022 • TEXTES OFFICIELS & JURISPRUDENCE | JURISPRUDENCE COMMENTÉE
Christophe Barnier Adaltys

JURISPRUDENCE

que celle applicable à l’action du créancier contre le débiteur.

Ainsi, dans un arrêt du 5 mai 2021 rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation en matière de prêt bancaire (n° 19-14486), la Cour a appliqué le même raisonnement concernant le point de départ de la prescription : l’action subrogatoire de la caution contre le débiteur étant soumise à la même prescription que celle applicable à l’action du créancier contre le débiteur, le délai commence à

OFFICIELS

courir le jour où le créancier (et non la caution ellemême) a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.

Il conviendra donc, pour les cautions, de rester attentifs aux délais d’actions applicables au litige entre le créancier et le débiteur subrogé ainsi qu’à son point de départ.

• Septembre - Octobre 2022 27
COMMENTÉE | TEXTES
& JURISPRUDENCE

DOSSIER CONSTRUIRE EN RÉEMPLOYANT DES MATÉRIAUX DE CONSTRUCTION

Réutiliser des matériaux de construction pour l’édification d’un nouveau bâtiment n’est pas une pratique nouvelle. Pour un entrepreneur d’une civilisation antique ou du XVIII e siècle, il était courant de réemployer les matériaux. Mais, peu à peu, face aux possibilités offertes par l’industrialisation à grande échelle, ces techniques et savoir-faire ont disparu. Face à l’urgence climatique et à la nécessité de frugalité, réemployer des matériaux d’une construction à une autre devient un mot d’ordre. Les acteurs de terrain n’ont pas attendu l’entrée en vigueur de dispositions réglementaires contraignantes pour développer des initiatives. Faites le point sur cette « nouvelle » façon de construire, alternative à la gestion des déchets de chantier.

28 Septembre - Octobre 2022 •

Le réemploi, entre histoire et actualité : une chaîne de production à développer

Pour les constructeurs de l’Antiquité, réemployer des matériaux ou des déblais n’était pas un acte militant mais un geste habituel et anodin. Les modes de construction traditionnels basés sur des matériaux simples et peu transformés facilitaient la démarche. Mais la mécanisation au XXe siècle va transformer ces ressources en déchets. Aujourd’hui, les impératifs écologiques, entre autres, et les enjeux politiques imposent au secteur de la construction de repenser le réemploi des matériaux.

Le réemploi d’éléments ou de matériaux de construc tion ne date pas d’hier, il s’inscrit dans une longue tra dition. La pratique était déjà courante dans l’Antiquité, qu’il s’agisse d’utiliser de grandes masses de déblais dans des fortifications ou de mettre en valeur des élé ments très ouvragés, comme dans des colonnes en marbre, dans d’autres édifices. Elle connaît logique ment des pics lors de grands événements destruc teurs comme les tremblements de terre, les guerres et les incendies. La Révolution française transforme ain si de nombreux biens nationaux, anciens châteaux, abbayes ou hôtels particuliers, en carrières de pierre de taille. Cette pratique s’organise progressivement, parfois à grande échelle lorsque l’importance des res sources le nécessite.

Le réemploi des éléments de construction est aussi facilité par des modes de construction traditionnels à

partir de matériaux simples, peu transformés, relative ment faciles à démonter et à réutiliser avec une maind’œuvre abondante et peu coûteuse. Les moyens de transport limités favorisent une réutilisation de proxi mité, sauf lorsque les vestiges ont une valeur patrimo niale particulière. Par exemple, l’incendie du palais des Tuileries, à Paris, en 1871, sous la Commune, représente un gisement d’une qualité et d’une am pleur inédites. Il offre l’occasion à un entrepreneur, Achille Picard, d’organiser un démontage soigné et une revente sur place qui dure plusieurs années. Cer taines des pierres récupérées se retrouvent ainsi dans les locaux personnels de l’entrepreneur ou dans des jardins de la région parisienne ; d’autres connaissent un long voyage jusqu’en Corse et sont utilisés pour construire un pavillon, à l’identique de celui des Tui leries, du château de La Punta, près d’Ajaccio.

Onze ans après l’incendie du palais des Tuileries par les Communards, la Chambre des députés et le Sénat adjugent les ruines du palais à un entrepreneur, Achille Picard, pour 33 500 francs. Il n’en reste que des débris épars. Au fur et à mesure des travaux de démolition, l’entrepre neur voulant rentabiliser l’opération ouvre sur place une brocante jusqu’en 1889. Il disperse ainsi les restes du château aux quatre coins de l’Europe.

C’est ainsi que le duc Jérôme Pozzo di Borgo acquiert le pavillon Bullant du palais. Il décide de le faire remonter selon les techniques de construction de l’époque en Haute-Corse, à Alata, berceau de la famille.

CONSTRUIRE EN RÉEMPLOYANT DES MATÉRIAUX DE CONSTRUCTION • Septembre - Octobre 2022 29
Château de la Punta, à Alata, réalisé entre 1883 et 1991, pour le duc Jérôme Pozzo du Borgo, par l’architecte Albert-Franklin Vincent. Carte postale, au début du XXe siècle.
Des Tuileries au château de La Punta, à Alata (2A)
lapunta.pagesperso-orange.fr

Au XXe siècle, l’impératif de la rapidité transforme la ressource en déchet

Le facteur décisif qui fait reculer la pratique du réem ploi au XXe siècle est sans doute celui du temps, avec l’accélération des cycles de production. Alors que la démolition d’un édifice pouvait jusque-là représenter un bénéfice, la nécessité de raccourcir la durée des chantiers en fait une charge, dont il faut se débarras ser rapidement. Dans une civilisation de la vitesse, la ressource devient ainsi déchet.

Face au coût croissant de la main-d’œuvre, la méca nisation des moyens de production permet d’aller plus vite mais laisse peu de place à la valorisation des matériaux d’occasion. Ceux-ci représentent d’ailleurs trop d’aléas par rapport aux matériaux neufs que des filières industrielles sont capables de produire rapide ment, ou à faible coût, en quantité et de qualité. Les nouvelles facilités de transport se mettent au service d’une logique d’évacuation, d’élimination, et le stoc kage devient de plus en plus coûteux. La démolition des constructions vétustes veut aussi les faire oublier, les effacer de la mémoire collective.

Une évolution des modes de construction, avec des matériaux composites

Les modes de construction évoluent également, par ticulièrement après la Seconde Guerre mondiale. Même si nous ne pouvons pas véritablement parler de production industrielle complète des édifices, la fabrication industrielle de nouveaux matériaux trans forme profondément les procédés de construction.

Le béton armé, qui apparaît dès le début du XXe siècle, s’impose progressivement dans presque tous les types de construction. En complément, appa raissent des produits de remplissage composites, associant plusieurs matériaux aux propriétés com plémentaires : isolation, étanchéité, protection contre l’incendie, revêtement.

Les matériaux synthétiques, les matières plastiques en particulier, prennent de plus en plus d’importance dans ces produits composites. Ceux-ci sont très per formants, mais les déchets qu’ils produisent repré sentent maintenant des défis technologiques encore mal résolus.

Les types de bâtiments touchés par la démolition évoluent aussi profondément au cours du XXe siècle.

Après le patrimoine des siècles précédents, on ob serve là aussi une accélération des cycles d’usure et de consommation, et ce sont maintenant des constructions de plus en plus récentes qui sont ame nées à disparaître, pour des raisons pas toujours évidentes.

Aujourd’hui, démolir est un aveu d’échec qui doit interroger

Le meilleur bâtiment sera toujours celui qui n’aura pas à être démoli, car il pourra résister, s’adapter, se trans former, s’améliorer. La démolition de bâtiments exis tants est toujours un aveu d’échec.

Avant d’en arriver à la démolition, il est utile de se poser des questions et d’examiner les critères qui mènent à cette situation. La place manque ici pour les développer tous, on retiendra les raisons ou enjeux qui semblent les plus déterminants : enjeux urbains et fonciers, éco nomiques et financiers, enjeux fonctionnels ou encore environnementaux.

Dans une époque où la ville est de plus en plus vouée à se reconstruire sur elle-même, les enjeux d’insertion urbaine et de rentabilité foncière sont de plus en plus importants. Densifier sans démolir est pourtant souvent possible. Cependant, en France, les études en ce sens sont généralement insuffisantes voire absentes. Au mo ment de la remise en circulation du foncier, quand il s’agit de préparer le terrain pour de futurs acquéreurs, l’aménageur ne connait pas le futur programme ou projet, il est donc enclin à vouloir supprimer a priori toute contrainte pour les futurs constructeurs, à livrer un terrain nu, débarrassé de toute construction.

Dans ce cas, ce sont les procédures de prise de dé cision qui sont en cause. Elles ne permettent pas d’attendre et d’envisager plusieurs scénarios de va lorisation non seulement du foncier, mais aussi des constructions existantes.

Le rythme des procédures d’aménagement à revoir

Le rythme des procédures d’aménagement urbain, plus encore que celui des constructions, est para doxal. Une décision peut parfois se faire attendre, mais le calendrier a une valeur impérative, notam ment en raison d’échéances budgétaires ou électo rales. Il crée des contraintes qui réduisent les choix ou les scénarios. Pouvoir prendre le temps d’étudier tous les choix possibles permettrait de réaliser des économies très importantes et de saisir des opportu nités intéressantes.

Comment développer à ce niveau une culture, non pas du programme, mais du projet et du scénario, pour permettre de faire des choix plus ouverts ? La no tion d’urbanisme de transition tente de répondre à ces enjeux, en organisant un usage temporaire des sites et des bâtiments voués à des évolutions majeures. Mais c’est un savoir-faire encore peu connu et peu intégré.

Réfléchir au destin de l’édifice plutôt qu’aux effets d’aubaine

Quelle est la différence entre économie et finance ment ? Pour le dire simplement, l’économie, c’est « combien ça coûte ? », alors que le financement,

30 Septembre - Octobre 2022 • DOSSIER

c’est « qui peut payer ? ». Ce n’est pas du tout la même chose : il peut être difficile de trouver un finan cement pour monter une opération très économique, alors qu’il est parfois possible de trouver un finance ment pour une opération bien plus coûteuse.

Les réalités économiques sont complexes. Il est risqué de prétendre que la réhabilitation coûte plus cher que la construction neuve, ou l’inverse. Chaque cas est différent. Tout dépend aussi de ce que l’on intègre dans les coûts à plus ou moins long terme : entre coût immédiat, coût global et coûts différés, ceux que les économistes nomment les externalités, que doiton intégrer ? En matière de financement, en France, les politiques publiques orientent fortement les choix des aménageurs, bailleurs, investisseurs, en d’autres termes des décideurs, au risque d’effets d’aubaine qui faussent le marché plus ou moins durablement, en contradiction avec d’autres enjeux. L’un de ceux-ci est la question de l’usage. Quel est le destin d’un édifice lorsqu’il doit changer de fonction, d’usage ou répondre à des conditions changeantes ?

Pendant longtemps, un immeuble ou même une pièce d’un immeuble, pouvait être conçu sans pro gramme ou fonction bien déterminée. Le XXe siècle a été marqué par une spécialisation parfois extrême des édifices, qui les rend difficiles à adapter à de nou veaux usages. Alors que la simplicité des espaces et de leur distribution, la flexibilité du découpage et de l’aménagement intérieur, la capacité d’adaptation peuvent permettre à des immeubles de connaître plu sieurs vies, même si cela nécessite parfois des travaux importants. D’autant que ces évolutions sont parfois réversibles.

Réemployer pour protéger l’environnement

Les raisons environnementales, les impacts ou inci dences en matière d’énergie, de pollution, de nui sances, de ressources ou de transports pèsent en core relativement peu dans le choix de démolir ou non un édifice. Pourtant ces facteurs sont amenés à prendre une importance croissante dans tous les pro jets et devraient logiquement favoriser l’hypothèse de la conservation et de la réhabilitation des bâtiments.

Il faudrait encore évoquer les enjeux patrimoniaux et symboliques, qui peuvent opposer un point de vue patrimonial à un désir de modernisation et de renou vellement d’image. Cette dimension symbolique est rarement explicite, mais elle est très présente en pre mière instance (le présupposé) comme en dernière instance (l’argument définitif) dans les processus de décision, tant pour les personnes privées que pour les acteurs institutionnels. Tous les autres arguments rationnels peuvent alors s’effacer au profit de cette dernière dimension.

À travers ce qui précède, il ne s’agit pas de juger de la valeur des différentes raisons évoquées, encore moins de les faire entrer dans une grille multicritère

qui aboutirait à un choix mécanique ou déductif. L’ob jectif ici est de souligner la nécessité de poser aussi clairement que possible les conditions d’un choix qui pourrait être irréversible.

La démolition peut apparaître comme un échec, souvent parce que l’on ne s’est pas assez donné les moyens de comprendre une situation et d’explorer toutes les possibilités d’évolution. Cela montre l’im portance de procéder à des études qui permettront de mesurer l’incidence des décisions et d’enga ger au plus tôt un travail de projet (scénarios, tests, simulations).

Ce travail ne peut qu’enrichir tout processus de pro grammation. Ces différentes raisons sont par ailleurs à croiser avec les spécificités des constructions héri tées du XXe siècle, qui sont loin d’être homogènes.

Valoriser les « pièces détachées », une chaîne de production à développer

Une fois la décision prise de faire disparaître un bâti ment, comment donner une nouvelle vie à certains de ses éléments, de ses pièces détachées, de ses vestiges ?

Par rapport au recyclage qui réduit les constructions à l’état de matières brutes qui nécessiteront une nouvelle transformation, le réemploi conserve aux éléments des valeurs résidentes, intégrées. Ces valeurs peuvent être fonctionnelles, techniques, symboliques, etc.

Le réemploi est certes plus complexe, puisqu’il induit une suite d’opérations à la temporalité délicate, en impliquant des acteurs aux intérêts très divers, en appelant des compétences professionnelles parfois nouvelles. Alors, pour sortir le réemploi d’une situa tion marginale, monter en généralité et en profes sionnalisme, il s’agit d’organiser et de développer une chaîne de production, dont tous les maillons ont leur importance.

Identifier la ressource : d’inventaires en diagnostics

Le diagnostic ou plutôt les diagnostics (inventaires, diagnostic patrimoine, diagnostic ressources, dia gnostic réemploi) sont des préalables et des étapesclés pour la « re-connaissance » de la ressource.

Souvent réalisés en plusieurs étapes, ils permettront de distinguer les ressources sérielles (les éléments or dinaires disponibles en grandes quantités) et les res sources singulières (éléments en petit nombre, plus ou moins rares, porteurs de valeurs particulières).

Ces diagnostics permettent également de définir les caractéristiques techniques des ressources et de faire émerger des potentiels de réutilisation. C’est une dé marche sélective, qui nécessite déjà la vision d’un projet, d’une nouvelle situation.

CONSTRUIRE EN RÉEMPLOYANT
DES MATÉRIAUX DE CONSTRUCTION • Septembre - Octobre 2022 31 DOSSIER

Ressources sérielles et singulières

Une fois la décision prise de réemployer des matériaux, il est nécessaire de procéder à des diagnostics pour permettre une meilleure connaissance de la ressource.

Deux types de ressources sont à distinguer :

• les ressources sérielles qui sont des éléments ordinaires disponibles en grande quantité sans particularité ;

• les ressources singulières qui présentent une valeur particulière et une rareté.

Éléments sériels, dépôt de RotorDC, à Bruxelles, Belgique.

Processus, filières, plates-formes : l’enjeu est de mettre en circulation des ressources en fonction des niveaux de réemploi envisagés, dans des circuits aussi courts que possible. L’objectif est de faire converger l’offre et la demande, dans une situation de marché encore émergent et instable.

Des fournisseurs s’organisent, parfois avec l’appui des collectivités locales, pour maîtriser tout ou partie d’une filière de collecte, de remise en état et de revente. Ces opérations peuvent avoir lieu avant même la dépose des éléments, avant la remise en œuvre.

Les plates-formes numériques et/ou physiques peuvent être généralistes ou spécialisées, avec des services de conseil et d’assistance à la maîtrise d’ouvrage. L'an nuaire de fournisseurs d’Opalis, réseau mis en place en Belgique par Rotor, depuis 2012, s’étend depuis peu à l’Europe du Nord à travers le réseau FCRBE1 et continuera à se développer pour faire connaître et pour

fédérer une offre qui devra répondre à une demande croissante.

Le recours aux ressources du réemploi influe nécessai rement sur les processus de conception et de mise en œuvre, surtout dans un cadre professionnel. Tous les acteurs du bâtiment ont leur rôle à jouer : aménageurs et maîtres d’ouvrage, pour faire évoluer les conditions des cahiers des charges et intégrer des réflexes nou veaux ; maîtres d’œuvre, pour adopter des démarches plus ouvertes et flexibles jusqu’à la fin du chantier ; bureaux de contrôle et assurances, pour requalifier des produits et valider des solutions souvent au cas par cas ; et entreprises, bien sûr, pour faire reconnaître leur savoir-faire et en proposer le juste prix.

Concevoir et mettre en œuvre : vers une architecture du réemploi

Chaque expérience nouvelle, même si le domaine du réemploi reste partiel, doit faire l’objet d’une évaluation rigoureuse pour permettre de démultiplier son impact.

1 Le projet européen Interreg FCRBE (Facilitating the Circulation of Reclaimed Building Elements in Northwestern Europe, ou « faciliter la circulation d’éléments de réemploi en Europe du Nord-Ouest »).

Résultats mis en ligne depuis 2021 : https://www.nweurope.eu/ projects/project-search/fcrbe-facilitating-the-circulation-of-reclaimedbuilding-elements-in-northwestern-europe/#tab-3.

32 Septembre - Octobre 2022 • DOSSIER
Filières, plates-formes, réseaux : maillons indispensables pour faire circuler les ressources
Photo Pierre Belli-Riz, 2018

La ferme des possibles : un projet vertueux

Démarré en 2018, le projet de la Ferme des possibles, à Stains (93), a remporté le Grand Prix dans la catégorie « Bâtiments tertiaires/construction neuve » des Trophées bâtiments circulaires 2021, en raison de ses nombreux choix constructifs engagés et innovants.

Conçu par l’agence d’architecture Frédéric Denise (Archipel zéro), le projet illustre l’engagement de la maîtrise d’ouvrage et de la maîtrise d’œuvre pour l’écoconstruction.

Le bâtiment a été construit de façon bioclimatique avec des matériaux bio/géo-sourcés et des matériaux de réemploi : structure bois, portiques en lamellé-collé et planchers en CLT, réalisés avec du bois de forêts françaises. Les façades isolantes,

intérieures et extérieures, sont composées de caissons préfabriqués en bois remplis de paille compressée et enduits de terre crue aux deux faces. Les façades vitrées sont réalisées avec des fenêtres en bois à simple vitrage, issues de la rénovation thermique d’un ensemble de logements sociaux d’Épinay-sur-Seine, à moins de 4 kilomètres du site. Mélangée à de la fibre de cellulose issue des cartons d’emballage du chantier, la terre des déblais a été utilisée pour réaliser les enduits de finition. Les nombreux matériaux de réemploi, mis en œuvre dans la construction, sont d’origines multiples : Bellastock, Métabolisme urbain, Réavie, Leboncoin, Mairie de Paris, ou glanés par les entreprises elles-mêmes sur leurs chantiers de rénovation.

L’intelligence : la première ressource du réemploi

La première des ressources renouvelable et illimitée mais exigeante restera toujours l’intelligence humaine et la réflexion. Cette ressource implique du temps et des moyens.

Penser, imaginer un projet est essentiel pour explorer les potentiels et pour révéler les possibles du réem ploi, au-delà des préjugés et des images toutes faites.

Et même si, en termes quantitatifs, le réemploi occupe une place mineure dans la valorisation des bâtiments déconstruits, son impact culturel, symbolique et en vironnemental devrait lui assurer un rôle de plus en plus important dans l’économie circulaire du bâtiment du XXIe siècle.

Pierre Belli-Riz, architecte, maître de conférences ENSA de Gre noble, chercheur AE&CC

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DES MATÉRIAUX DE CONSTRUCTION • Septembre - Octobre 2022 33 DOSSIER
Photo Pierre Belli-Riz 2021 Bâtiment Résilience, à Stains (93), façade principale – Archipel zéro, Frédéric Denise architecte, 2021.

Réemploi des matériaux de construction : le nouveau cadre réglementaire

Réemployer plutôt que jeter : le mot d’ordre est passé dans le secteur de la construction. La loi no 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, dite loi AGEC, a posé un nouveau cadre juridique pour sortir les matériaux du statut de déchets. Les avantages sont multiples, à la fois environnementaux et socio-économiques. La volonté du législateur est claire : accélérer le réemploi des matériaux à toutes les étapes du chantier tout en apportant une sécurité juridique à l’ensemble des parties prenantes.

Dans le secteur de la construction, tant l’enjeu du ré emploi que la marge de progression sont immenses : alors que le bâtiment générait ainsi près de 70 % du total des déchets en 20181 , seuls 1 % des matériaux de la construction étaient réemployés selon l’Agence de la transition écologique (Ademe)2

Les avantages du réemploi sont multiples : réduc tion des déchets, source de matériaux à faible impact environnemental, opportunités socio-économiques et même création d’emplois.

Un nouveau cadre juridique a donc été créé, constitué majoritairement de la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’éco nomie circulaire, dite loi AGEC, qui a profondément transformé le cadre de la gestion des déchets, ainsi que de la nouvelle réglementation environnementale des bâtiments neufs, la RE 2020. Le législateur a en effet entendu accélérer le développement du réem ploi des matériaux, défini par l’article L. 541-1-1 du Code de l’environnement comme « toute opération par laquelle des substances, matières ou produits qui ne sont pas des déchets sont utilisés de nouveau pour un usage identique à celui pour lequel ils avaient été conçus ». Cette pratique permet de limiter l’utilisation de matériaux neufs.

Le réemploi des matériaux est désormais favorisé juri diquement avec un cadre réglementaire qui implique l’ensemble des acteurs de la filière. En pratique, il

1 Rapport sur l’état de l’environnement, fiche thématique « Les producteurs de déchets », mise à jour le 6 avril 2021. https://ree. developpement-durable.gouv.fr/themes/pressionsexercees-par-lesmodes-de-production-et-de-consommation/ production-de-dechets/ production/article/les-producteurs-dedechets.

2 Rapport « Réemploi des matériaux de construction. Recensement des filières et mise en œuvre des pratiques de réemploi en France », mars 2022, Ademe.

pourra être utile pour le maître d’ouvrage de s’attacher les services d’une assistance à maîtrise d’ouvrage dédiée au réemploi des matériaux, qui l’aidera à navi guer parmi ces nouvelles contraintes réglementaires.

Les nouvelles exigences environnementales de la RE 2020

La RE 2020 représente l’ensemble des normes concernant la performance environnementale et énergétique de la construction neuve, et a vocation à remplacer l’ancienne RT 2012. Elle a notamment pour objectif de diminuer l’impact sur le climat des bâtiments neufs en prenant en compte l’ensemble des émissions du bâtiment sur le cycle de vie3

La construction de bâtiments neufs doit ainsi atteindre des résultats minimaux basés sur une évaluation de six indicateurs. Parmi eux se trouve l’indicateur IC Construction, qui mesure l’impact sur le changement climatique associé aux composants et au chantier, grâce à une analyse de cycle de vie, en considérant une durée de vie du bâtiment de cinquante ans. Cet indicateur prend en compte, pour le calcul de l’impact carbone, l’ensemble du cycle de vie de l’élé ment, de la fabrication jusqu’à son traitement de fin de vie. La méthodologie de calcul est précisée dans les fiches de déclaration environnementale et sanitaire (FDES), regroupées en libre accès sur la base de don nées nationale de référence Inies. Utiliser le réemploi permettra donc de faire baisser considérablement l’impact carbone du chantier, et donc le score de l’in dicateur IC Construction. À titre d’exemple, une étude de cas réalisée par le réseau Construction21 estime

3 Article R. 172-4, 4° du Code de la construction et de l’habitation.

34 Septembre - Octobre 2022 •

le gain carbone du réemploi à 15 % par rapport à un projet de base sans réemploi4

Il n’y a donc pas encore à proprement parler d’obli gation générale d’utilisation minimale de matériaux réemployés, et d’autres leviers de décarbonation existent pour diminuer le score de l’indice IC Construc tion. Toutefois, le réemploi permet de diminuer signi ficativement l’impact climatique de la construction et donc d’atteindre plus facilement les exigences de la RE 2020. Notons que le seuil de cet indicateur sera progressivement abaissé en 2025, en 2028 et en 2031 afin de tendre vers la neutralité carbone.

Concrètement, le maître d’ouvrage doit présenter, au moment du permis de construire, une attestation de prise en compte des exigences de la réglementation environnementale qui certifie que les résultats mi nimaux exigés par le Code de la construction et de l’habitation ont bien été respectés. Les calculs des différents indicateurs sont réalisés par un bureau d’étude spécialisé.

Cette obligation concerne déjà la construction des bâtiments ou parties de bâtiments à destination d’ha bitation, ainsi que la construction de bâtiments ou parties de bâtiments de bureaux ou d'enseignement primaire ou secondaire dont le permis de construire a été déposé à compter du 1er juillet 20225. Précisons que les constructions de moins de 50 mètres carrés et les extensions inférieures à 150 mètres carrés ne le seront qu’à compter du 1er janvier 2023 et que des exigences alternatives pourront être fixées par arrêté6

La sortie du statut de déchets pour les matériaux réemployés

Pour stimuler le développement du réemploi dans la construction, il fallait apporter une sécurité juridique suffisante à l’ensemble des parties prenantes, notam ment sur la question de la sortie du statut de déchets. Même si la doctrine administrative et la pratique s’ac cordaient sur ce point, il manquait une disposition législative pour encadrer correctement le processus et massifier le recours au réemploi.

C’est désormais chose faite : le procédé de sortie du statut de déchets pour les matériaux de construction réemployables est fixé dans la loi. Ainsi, le tri par un « opérateur qualifié » sur le chantier de réhabilitation ou de démolition entraîne, pour les matériaux, la sor tie du statut de déchet et la possibilité du réemploi7

La sortie du statut de déchets, et donc la possibilité du réemploi, implique de réaliser une véritable dé construction sélective sur le chantier.

L’on peut seulement regretter que le législateur n’ait pas entendu préciser cet article par des dispositions

4 Lacomme (Audrey), « RE2020 et réemploi : un levier de décarbonation des bâtiments », Construction21, 5 juillet 2022.

5 Article R. 172-1 I du code de la construction et de l’habitation.

6 Article R. 172-3 du Code de la construction et de l’habitation.

7 Article L. 541-4-4 du Code de l’environnement.

réglementaires donnant plus d’indications sur la qua lité de l’« opérateur qualifié ». À ce stade, il est seule ment possible de deviner qu’il s’agira d’une personne expérimentée, pour distinguer les matériaux destinés à être réemployés, qui devront être entreposés sépa rément, et le reste des matériaux destinés à être recy clés ou valorisés.

En l’absence d’un tel tri, le matériau devient un déchet et entraîne un régime de responsabilité particulier pe sant sur le producteur ou sur le détenteur du déchet. Le réemploi se distingue ainsi de la réutilisation, dans la mesure où ce procédé implique que les matériaux deviennent des déchets avant d’être réutilisés.

Le nouveau diagnostic produit matériaux déchets

Le réemploi se prépare également en amont du chan tier. Depuis le 1er janvier 2022, aux termes de l’article L. 126-34 du Code de la construction et de l’habita tion, les maîtres d’ouvrage sont tenus de réaliser un diagnostic préalable relatif à la gestion des produits, matériaux et déchets sur certains chantiers, qui a pour objectif de faciliter le réemploi et la réutilisation des matériaux et déchets.

Ce diagnostic est obligatoire lorsque le chantier porte sur une opération de démolition ou de réhabilitation significative de bâtiments comprenant plus de 1 000 mètres carrés de surface cumulée de plancher ou sur un bâtiment qui a accueilli une activité agricole, indus trielle ou commerciale et qui a été le siège d’une utili sation, d’un stockage, d’une fabrication ou d’une dis tribution d’une ou plusieurs substances dangereuses classées comme telles en vertu de l’article R. 4411-6 du Code du travail8. Une rénovation « significative » représente la destruction ou le remplacement d’au moins deux éléments de second œuvre.

Selon le décret n° 2021-821 du 25 juin 2021, le dia gnostic doit fournir la nature, la quantité et la locali sation, dans l’emprise de l’opération de démolition, des matériaux, produits de construction et équipe ments constitutifs des bâtiments, ainsi que des dé chets résiduels issus de l’usage et de l’occupation des bâtiments.

Il doit également contenir les informations suivantes :

– les indications sur les possibilités de réemploi sur le site de l’opération ;

– l’estimation de la nature et de la quantité des maté riaux qui peuvent être réemployés sur le site ; à défaut de réemploi sur le site, les indications sur les filières de gestion des déchets issus de la démolition ;

– l’estimation de la nature et de la quantité des maté riaux issus de la démolition destinés à être valorisés ou éliminés.

8 Décret n° 2021-821 du 25 juin 2021 relatif au diagnostic portant sur la gestion des produits, équipements, matériaux et des déchets issus de la démolition ou de la rénovation significative de bâtiments, JO du 27 juin 2021.

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Ce diagnostic doit être réalisé, pour le compte du maître d’ouvrage, par une personne physique ou mo rale présentant des garanties de compétence, pré cisées par décret9. Celle-ci doit n’avoir « aucun lien avec le maître d’ouvrage, ni avec aucune entreprise susceptible d’effectuer tout ou partie des travaux de l’opération de démolition, qui soit de nature à porter atteinte à son impartialité et à son indépendance »10

Les obligations des maîtres d’ouvrage publics

L’accélération du réemploi dans le bâtiment aura aussi lieu grâce à l’implication des maîtres d’ouvrage publics.

Ils sont en effet désormais contraints, en application de l’article L. 228-4 du Code de l’environnement, de « veille[r] au recours à des matériaux de réemploi » en matière de commande publique dans le domaine de la construction ou de la rénovation de bâtiment. De nouveaux cahiers des clauses administratives gé nérales (CCAG) concernant les marchés publics de travaux ont été publiés et sont entrés en vigueur le 1er avril 202111. Il est ainsi prévu que « les documents particuliers du marché peuvent notamment prendre en compte, sur l'ensemble du cycle de vie des pro duits, ouvrages ou services acquis, selon la nature de l'achat (…), les actions en faveur du réemploi, de la réutilisation, du reconditionnement, de l'intégration de matières recyclées et du recyclage ».

Par ailleurs, les acheteurs publics ont désormais l’obli gation d’acquérir des biens issus du réemploi ou de la réutilisation, ou comportant des matières recyclées, selon des proportions fixées par type de produits12. Si cette obligation concerne surtout les fournitures, elle intéresse également le secteur du bâtiment en ce qui concerne les bâtiments préfabriqués et les bâtiments modulaires préfabriqués, puisque 20 % du montant

9 Décret n° 2021-822 du 25 juin 2021 relatif au diagnostic portant sur la gestion des produits, équipements, matériaux et des déchets issus de la démolition ou rénovation significative de bâtiments, JO du 27 juin 2021.

10 Article R. 126-12 du Code de la construction et de l’habitation.

11 Arrêté du 30 mars 2021 [NOR : ECOM2106871A] portant approbation du cahier des clauses administratives générales des marchés publics de travaux, dernière modification par décret n° 2021-353 du 31 mars 2021, JO du 1er avril 2021.

12 Décret n° 2021-254 du 9 mars 2021 relatif à l'obligation d'acquisition par la commande publique de biens issus du réemploi ou de la réutilisation ou intégrant des matières recyclées, JO du 10 mars 2021.

annuel des achats de ces éléments doivent désormais être issus du réemploi ou de la réutilisation. De plus, si en pratique les appels d’offres d’achats de construc tions modulaires exigeaient souvent la nouveauté des bâtiments commandés, cela n’est à présent plus pos sible. Le Code de la commande publique interdit ex pressément la discrimination des constructions tem poraires ayant fait l’objet d’un reconditionnement pour réemploi, sous réserve que leurs niveaux de qualité et de sécurité soient équivalents13

Le soutien au réemploi par les éco-organismes

La création de la nouvelle filière à responsabilité élar gie des producteurs (REP) des produits et matériaux de la construction et du bâtiment (PMCB) a égale ment vocation à développer le recours au réemploi. Les éco-organismes jouent ainsi un rôle majeur à plu sieurs titres.

D’abord, les pouvoirs publics leur ont fixé un objectif de pourcentage minimal de PMCB qui ont fait l’objet d’une opération de réemploi ou de préparation en vue de la réutilisation : 2 % en 2024 et 4 % en 202714

Pour atteindre cet objectif, les éco-organismes doivent mettre en œuvre un plan d’action visant à développer le réemploi et la réutilisation.

Ensuite, ils sont tenus de réaliser plusieurs études visant à lever les freins au développement du réemploi et à favoriser la déconstruction sélective. Ils doivent également réaliser des actions d’information et de sensibilisation sur ce sujet et y consacrer une part minimale de leur budget.

Enfin, les installations de reprise des déchets de la construction doivent comprendre une zone dédiée au réemploi, créée au besoin grâce au soutien financier des éco-organismes15

13 Article L. 2172-5 du Code de la commande publique.

14 Arrêté du 10 juin 2022 [NOR : TREP2129879A] portant cahier des charges des éco-organismes, des systèmes individuels et des organismes coordonnateurs de la filière à responsabilité élargie du producteur des produits et matériaux de construction du secteur du bâtiment, JO du 21 juin 2022.

15 Article R543-290-5-4 du Code de l’environnement.

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Balade immersive dans les filières du réemploi

Aujourd'hui, une multitude de pratiques, de méthodes et de processus permettent la mise en circulation des matériaux après une déconstruction sélective. À travers une promenade de lieu en lieu présentant quelques dispositifs caractéristiques, cet article tente de donner un aperçu de ces dynamiques et propose des pistes pour envisager le développement futur des filières du réemploi.

Passé le diagnostic, premier maillon de la chaîne du réemploi, les matériaux disponibles doivent rencontrer une demande pour être effectivement réemployés. Dans le secteur émergent du réemploi, les rapports entre l’offre et la demande sont originaux, complexes et loin d’être mécaniques. Ils engagent de nouvelles interactions entre les acteurs.

Le développement du réemploi nécessite donc une organisation des filières, des plates-formes et des réseaux pour fluidifier ces interactions.

Vie et renaissance d'une pierre

Partons d’une situation concrète. Dans un quartier d’habitat social de la ville de Tours (37), plusieurs bâtiments sont en cours de démolition dans le cadre d’un projet de renouvellement urbain, une situation très fréquente dans le secteur du logement social. Habituellement, lors d’un tel chantier, les bâtiments démolis laissent progressivement place à des tas de gravats, autant de déchets qui devront être par la suite enfouis, incinérés ou recyclés dans le meilleur des cas.

Ici, c’est une toute une autre voie qui a été empruntée par le maître d’ouvrage, celle d’organiser un démontage sélec tif des matériaux en vue de leur réemploi. Un intérêt parti culier a été porté aux pierres de taille qui constituaient les façades des bâtiments, construits dans les années 1960. « Là-bas, c'est la zone de stockage ». La visite de site est organisée par le chef de chantier de l’entreprise de démolition. Derrière lui, deux manœuvres équipés d’une grue télescopique s’emploient à extraire d’impo sants blocs de pierre au troisième étage.

Au sol, en cadence régulière, un opérateur nettoie les blocs un à un. Son travail consiste à éliminer les rési dus de mortier restant sur les faces des blocs, à l’aide d’un burin et d’une scie circulaire. Le chef de chantier se félicite des savoir-faire déployés par son entreprise. Un peu plus loin, on distingue la zone de stockage, où s’accumulent sur des palettes en bois des empi

lements de blocs de pierre, qui semblent avoir trouvé une nouvelle jeunesse.

Un camion est en cours de chargement, il a pour destination un chantier de la commune voisine dirigé par un autre bailleur social, où les pierres sont actuel lement remises en œuvre.

Identifier les ressources

Si, à première vue, donner une seconde vie à ces pierres sur un autre chantier pourrait apparaître rela tivement aisé, l’opération s’est révélée en réalité com plexe. Une série d’étapes pour le moins inhabituelles se sont succédé.

En premier lieu, le maître d’ouvrage a fait réaliser un diagnostic du bâtiment plusieurs mois avant le démar

Zone de stockage des pierres nettoyées sur le chantier d’un quartier d’habitat social de Tours (37). Elles sont en attente d’un départ vers un chantier de construction dans une ville voisine.

CONSTRUIRE EN RÉEMPLOYANT DES MATÉRIAUX DE CONSTRUCTION • Septembre - Octobre 2022 37
Source
:
Tours Habitat

rage du chantier. Ces investigations ont permis d’iden tifier et de quantifier les matériaux démontables, et d’évaluer les possibilités de remise en œuvre dans d’autres ouvrages.

La viabilité économique du processus a dû être étu diée, les matériaux de réemploi devant rester compé titifs vis-à-vis de matériaux neufs équivalents.

Les objectifs de réemploi ont ensuite été transcrits dans le cahier des charges du démolisseur, nécessi tant quelques adaptations du cadre contractuel clas sique dans lequel la nature, le prix et la durée des opérations sont davantage prévisibles que dans un cas de réemploi.

Ce long travail d’anticipation n’exempte pas le chantier d’être un lieu de découverte, qui nécessite des ajuste ments progressifs dans l’organisation des opérations.

Un travail de sensibilisation a donc été réalisé auprès de tous les acteurs pour assurer une adhésion col lective à la démarche et une bonne coopération des intervenants sur le terrain.

Stimuler la demande

Comme bien souvent, les efforts fournis pour per mettre le démontage sélectif des matériaux ne sont pas suffisants pour garantir un réemploi ultérieur effectif, ce dernier nécessitant l’existence d’une de mande pour les matériaux.

Afin de stimuler cette demande, le maître d’ouvrage a organisé une campagne de mobilisation d’un en semble d’acteurs locaux (maîtres d’ouvrage, archi tectes, entreprises de récupération, artisans, as sociations locales…), permettant d’identifier des débouchés pour les matériaux.

Cette campagne a aussi permis de lever progressive ment les freins culturels, organisationnels, contrac tuels, logistiques, juridiques et assurantiels rencontrés par les équipes de projet pour remettre en œuvre les matériaux dans leurs constructions.

De nouvelle(s) chaîne(s) de valeur(s)

Au total, plus de 1 200 tonnes de matériaux ont été démontées pour le réemploi sur des chantiers voi sins, parmi lesquels : l’aménagement paysager des espaces publics du quartier ; la construction de nou veaux bâtiments d’habitat collectif sous maîtrise d’ou vrage publique et privée dans des communes voi sines ; une série de chantiers de rénovation intérieure de logements sociaux existants du quartier, réalisés avec les habitants à travers une association spéciali sée ; des chantiers de formation à la construction en pierre sèche à partir de pierres fragmentées.

Cet exemple illustre comment la mise en place d’une filière de réemploi entre plusieurs chantiers induit une reconfiguration de la chaîne de valeur classique d’un projet de déconstruction.

Le maître d’ouvrage du chantier « émetteur » devient fournisseur de matière pour les chantiers « récep teurs », entraînant de nouvelles formes de coopération et de mutualisation de ressources (matériaux, terrain de stockage, connaissances…).

Les chantiers voient émerger de nouvelles formes de gouvernance chez les donneurs d’ordre, mais éga lement de nouveaux métiers pour les entreprises. Il faut des compétences pour le démontage sélectif, le nettoyage, la remise en œuvre adaptée aux matériaux de réemploi.

À plus grande échelle, ces dispositifs constituent des formes de reterritorialisation au sens de l’urbaniste Alberto Magnaghi1

Ils induisent en effet un développement local qui as socie des bénéfices environnementaux, sociaux et culturels, comme la création d’emplois à faible impact environnemental et non délocalisables, l’améliora tion de la résilience face à la pénurie d’approvision nement, la valorisation d’un patrimoine matériel et de savoir-faire locaux, la stimulation de rencontres et d’interactions vertueuses entre acteurs institutionnels, économiques et citoyens.

Expérimenter pour développer les initiatives

Nous marchons maintenant sur le bitume d’une dé chetterie en cours de rénovation, dans une vallée al sacienne. Sur une emprise destinée à être désimper méabilisée, l’entreprise de voirie découpe des lignes dans l’enrobé existant en suivant un quadrillage des siné au sol.

L’opérateur extrait ainsi des petits modules s’appa rentant à des dalles qui, à quelques mètres de là, sont disposées en damier sur un lit de sable. Il s’agit d’un ouvrage témoin pour les futurs cheminements piétons du site.

Ces opérations de réemploi, pour le moins rudimen taires, sont tout à fait inédites.

Le procédé de découpage et de remise en œuvre des matériaux n’étant pas homologué par les normes en vigueur, les concepteurs et l’entreprise ont dû mettre au point une méthodologie sur mesure pour évaluer la qualité des matériaux en présence et les risques sani taires, pour choisir les outils adaptés aux opérations de découpage, pour estimer les coefficients de perte pendant la dépose, pour assurer un entreposage ne dégradant pas les éléments et pour justifier de la qua lité technique des ouvrages finaux.

Si ce type d’expérimentation gagne à être poursuivi et amélioré sur le plan des techniques et des coûts de production, ces initiatives sont cruciales pour le développement des filières de réemploi.

Elles permettent d’élargir le champ des matériaux pouvant faire l’objet d’un réemploi, tout en propo sant des approches et des méthodes transposables à d’autres contextes.

En particulier, un vaste champ de recherche est à explorer en ce qui concerne les processus d’utilisation nouvelle des matériaux avec détournement de leur

1 Notamment dans les ouvrages Le Projet local (Madraga, 2003) et Le Principe territoire (Eterotopia, novembre 2022).

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Un ouvrier découpe le bitume selon un quadrillage préétabli pour récupérer des dalles de format identique. Ces dalles sont ensuite entreposées dans des conditions permettant la conservation de leurs caractéristiques techniques pour ensuite constituer le revêtement d’un cheminement piéton.

usage initial – aussi appelé réutilisation en France –lorsque le réemploi avec même usage est impossible2

Les deux cas de réemploi présentés jusqu’ici – le pre mier présentant un réemploi entre plusieurs chan tiers, l’autre un réemploi directement sur le chantier d’origine – ont en commun de générer eux-mêmes l’intégralité de la filière de réemploi, c’est-à-dire l’offre en matériaux à travers un ouvrage à démolir, la demande en matériaux à travers un chantier de construction et l’organisation de la chaîne d’étapes nécessaire à la circulation des matériaux.

Ils présentent donc un lot de contraintes inhabituelles et, par conséquent, sont rendus possibles par un en gagement fort des commanditaires et de leurs pres cripteurs, ainsi que par le soutien des collectivités. Ils constituent de ce fait des cas limités.

Pourrait-on imaginer un autre circuit possible pour les matériaux, dans lequel ces derniers seraient ré cupérés sur les chantiers et gérés directement par un réseau d’entreprises spécialisées, capable de prendre en charge leur stockage et leur redistribu tion ultérieure ?

Un réseau en cours de structuration

« Voici notre atelier bois, chaque matériau est conçu à la demande de nos clients, en série ou sur mesure. »

Nous sommes maintenant en première couronne pa risienne, dans l’entrepôt d’une entreprise de curage qui s’est récemment spécialisée dans le démontage sélectif et la revente de matériaux de réemploi.

Après avoir été accueilli dans le showroom d’entrée, le visiteur pénètre dans un vaste entrepôt où sont entre posées, sur plusieurs étages de racks, des quantités

Ces trois notions sont définies par le Code de l’environnement, mais égale ment par les acteurs eux-mêmes.

Réemploi : L’article L. 541-I-I du Code de l’environnement dispose que « le réemploi désigne toute opération par laquelle des substances, matières ou produits qui ne sont pas des déchets sont utilisés de nouveau pour un usage identique à celui pour lequel ils avaient été conçus ».

Code de l’environnement définit la réutilisation comme « toute opération par laquelle des substances, matières ou produits qui sont devenus des déchets sont utilisés de nouveau. »

La ressource passe par la qualification de déchet.

2 De nombreuses expérimentations en la matière ont été réalisées et documentées dans le cadre du programme de recherche REPAR#2 mené par Bellastock en partenariat avec le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) et soutenu par l’Agence de la transition écologique (Ademe).

L’Agence de la transition écologique (Ademe) utilise la définition suivante : « Toute opération par laquelle un bien usagé, conçu et fabriqué pour un usage particulier est utilisé pour le même usage ou un usage différent. »

Réutilisation : L’article L. 541-I-I du

Recyclage : Selon l’article L. 541-I-I du Code de l’environnement, le recy clage est « une opération de valorisa tion par laquelle les déchets y compris les déchets organiques sont retraités en substances, matières ou produits aux fins de leur fonction ini tiale ou à d’autres fins. » Le recyclage nécessite une dépense d’énergie sup plémentaire pour transformer la ressource.

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Source : Communauté de Commune de la Vallée de Kaysersberg
Réemploi, réutilisation, recyclage, trois notions à distinguer

impressionnantes d’éviers en céramique, de cloisons, de dalles de moquette, de meubles et de luminaires en tous genres.

Plus loin, dans un atelier de menuiserie, un bureau constitué de fragments de portes stratifiées et de grilles de chemin de câbles est en cours d’assemblage.

Pour cette entreprise, chaque chantier de curage est envisagé comme source d’approvisionnement du stock.

Après un démontage soigné, les éléments sont net toyés, emballés, puis acheminés dans les locaux de l’entreprise où ils sont référencés sur un catalogue de vente en ligne. À ces fins, les équipes ont acquis une solide connaissance dans les techniques de démon tage et s’adaptent à une grande diversité de situa tions et de matériaux, une qualité essentielle dans le secteur.

L’entreprise fait la part belle à la formation, puisque la majorité de ses ouvrières et ouvriers suivent un par cours d’insertion professionnelle.

Son activité de revente est doublée d’une activité de fabrication de nouveaux produits, réalisée à partir d’éléments récupérés qui peinent à trouver preneur dans leur forme initiale.

Si cette nouvelle forme d’artisanat et de création est très attractive auprès d’une jeune génération de me nuisiers, elle permet également d’éviter le recyclage de nombreux matériaux qui ne font pas l’objet d’une demande suffisante.

250 TPE/PME spécialisées dans le réemploi en France

Le cas de cette entreprise n’est pas isolé, de nom breux acteurs aux profils divers pratiquent la récupé ration et la revente de matériaux.

Les initiatives émergentes côtoient ainsi des entre prises actives depuis plusieurs générations. En France, on compte aujourd’hui plus de 250 entre prises professionnelles spécialisées dans le domaine en grande majorité des TPE et PME.3

Le secteur est très diversifié, on y trouve des entre prises de démolition, des revendeurs de matériaux anciens, des dépôts-ventes de produits d’occasion, des acteurs de l’économie sociale et solidaire…

Certaines entreprises se sont spécialisées dans le reconditionnement de produits spécifiques. C’est le cas de l’entreprise de curage visitée pour les équipe ments sanitaires ou de certains revendeurs de pavés, radiateurs, planchers techniques, vieux parquets ou encore carrelages.

Leurs activités reposent sur des savoir-faire spéci fiques, ainsi que sur une main-d’œuvre associée à des outils et à des machines présentant divers degrés de mécanisation.

3 Ces entreprises sont recensées sur l’annuaire en ligne Opalis.

Les revendeurs assurent l’ensemble des étapes né cessaires à la remise sur le marché de produits prêts à l’emploi : démontage, tri, nettoyage, réparation.

Forts d’une connaissance solide des matériaux, ils constituent de très bons alliés pour réaliser un chan tier de réemploi, certains d’entre eux sont suscep tibles de répondre à des demandes relativement exi geantes en termes de qualité, de quantité et de délais.

L’existence de ces entreprises montre que le réemploi fait déjà l’objet de modèles économiques éprouvés sur un large spectre de matériaux, avec lesquels il est d’ores et déjà possible de composer.

Si nous souhaitons voir se généraliser les pratiques de réemploi matériaux, la structuration d’un tel réseau semble indispensable.

Il permettrait notamment d’assurer un approvision nement en matériaux stable, prévisible et en volume suffisant, dans la perspective de rendre l’utilisation de matériaux de réemploi aussi facile que celle des matériaux neufs.

Dans la limite des stocks disponibles

Malgré l’intérêt grandissant des acteurs profession nels de la construction et des politiques publiques pour le réemploi, ces entreprises font face à un certain nombre de difficultés pour se développer.

Les volumes des stocks disponibles auprès de ce ré seau de revendeurs sont loin de satisfaire la demande croissante émanant de chantiers de grande enver gure, et notamment dans la commande publique, ce qui limite leur activité à une fraction restreinte du marché.

De surcroît, un spectre important de matériaux de réemploi n’est pas disponible chez les revendeurs professionnels, leur prix ne rivalisant pas avec ce lui de matériaux neufs équivalents produits par une main-d’œuvre bon marché, souvent loin de leur lieu d’utilisation.

Pour permettre une montée en puissance de ce sec teur, un long chemin reste à parcourir et des évo lutions structurelles sont à envisager sur plusieurs plans.

Un chemin encore long à parcourir

En premier lieu, comme l’ont montré les travaux de l’architecte Walter Stahel dès les années 19704, l’économie circulaire – dont le réemploi des maté riaux est une des modalités d’application – est une activité consistant à remplacer l’énergie par de la main-d’œuvre.

Les politiques actuelles consistant à taxer le travail et à subventionner l’énergie constituent par consé

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4 Geneviève Reday-Mulvey, Walter Stahel, The Potential for Substituting Manpower for Energy: Final Report for the Commission of the European Communities, 30 juillet 1977.

Quelques revendeurs et leurs matériaux.

quent un obstacle majeur au développement de telles pratiques.

L’évolution du dispositif fiscal serait donc un levier puissant, par exemple à travers une baisse de la TVA pour les produits de réemploi vendus sur le marché. Plus largement, les dispositifs d’ordre économique ont pleinement leur rôle à jouer (prêts, investissements, impôts…).

Ensuite, les activités de réemploi impliquent une relo calisation géographique des activités productives liées à la construction, ces dernières étant aujourd’hui lar gement externalisées et mondialisées.

À titre indicatif, en France, près de 80 % des entre prises spécialisées dans la récupération et la revente travaillent avec des matériaux qui circulent moins de 100 kilomètres entre leur lieu de récupération et celui de leur remise en œuvre5

5 Bougrain (Frédéric), Doutreleau (Mathilde), « Statistical analysis of the building elements reclamation trade in the Benelux, France, the UK and Ireland », rapport produit dans le cadre du projet Interreg NWE 739 FCRBE (Facilitating the circulation of reclaimed building elements). https://www.nweurope.eu/fcrbe.

Cette relocalisation nécessite de dédier de nouveaux espaces pour héberger les activités de réparation et de stockage des matériaux, le flux tendu entre deux chantiers étant en pratique très difficile à mettre en œuvre.

La mise à disposition de foncier devient donc un enjeu de premier ordre et, dans cette perspective, les collec tivités ont un rôle majeur à jouer, comme l’ont montré les travaux de Marion Serre sur le tiers foncier6 et les expérimentations de Plaine Commune menées dans le cadre du projet Métabolisme urbain7. En particu lier, l’occupation de foncier en zone périurbaine, tem poraire ou pérenne est hautement stratégique pour absorber les flux importants de matériaux générés par les métropoles.

6 Serre (Marion), « Le tiers foncier. Nouvelle catégorie d’appréhension de l’envers de la planification », Les Cahiers de la recherche architecturale urbaine et paysagère. Actualités de la recherche mis en ligne le 15 septembre 2019. http://journals. openedition.org/craup/2424.

7 Bastin (Agnès), « #12 / Vers une politique locale du métabolisme urbain ? Le cas des matériaux de (dé)construction à Plaine Commune », Urbanités, octobre 2019.

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Source : Bellastock

Bien entendu, l’évolution du cadre réglementaire est incontournableBien entendu, le cadre réglementaire est un outil incontournable pour stimuler le secteur du réemploi. Les évolutions législatives récentes telles que la RE 2020 incitent les acteurs du monde de la construction à utiliser des matériaux de réemploi. De nombreuses propositions complémentaires ont déjà été identifiées pour aller plus loin.

Cette évolution réglementaire gagnerait à être accom pagnée d’une multitude d’autres dispositifs à un éche lon plus local : réseaux de soutien, programme de formations, plate-forme numérique d’échange, base de données publique d’outils…

Vers une économie circulaire ? Oui, mais laquelle ?

Si les défis sont encore nombreux pour envisager la montée en puissance des filières de réemploi, la né cessité de développer une économie circulaire dans la construction fait aujourd’hui l’unanimité. Néanmoins, le terme d’économie circulaire est relativement plas tique dans ses définitions ainsi que dans les utilisa tions diverses qui en sont faites.

On peut légitimement se demander dans quel(s) contexte(s) d’application(s) ce concept s’avère perti nent, étant bien convenu que l’idée d’une économie où les matériaux circulent à l’infini est une abstraction.

Finalement, de quelle économie circulaire parle-t-on ?

L’économiste Christian Arnsperger et le philosophe Dominique Bourg nous offrent un premier cadre de réflexion à travers le concept de perma-circularité8

Ils avancent que, dans tout système mettant en jeu des flux de matière, les efforts de circularité conduits uniquement à l’échelle micro sur le seul plan des biens produits par les entreprises ne débouchent nul lement sur une réduction des flux globaux à l’échelle macro, lorsque le taux de croissance de ces flux glo baux est « trop important » – c’est-à-dire supérieur à un seuil de 1 %.

En d’autres termes, la circularité d’un système est im puissante pour limiter et stabiliser les flux de matière entrant dans ce même système.

Selon Christian Arnsperger et Dominique Bourg, l’éco nomie ne serait « authentiquement circulaire », ou « perma-circulaire » que si l’on réduisait les consom mations nettes de ressources, de façon à entrer dans une économie à très faible croissance, voire stationnaire.

En transposant cette affirmation au secteur de la construction, on en déduit que les efforts pour re mettre en circulation des matériaux par le réemploi ou le recyclage n’auraient pas d’impact significatif sur

8 Arnsperger (Christian), Bourg (Dominique), « Vers une économie authentiquement circulaire. Réflexions sur les fondements d’un indicateur de circularité », Revue de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), 2016/1 (n° 145), p. 91-125. https://www.cairn.info/revue-de-l-ofce-2016-1-page-91.htm.

la réduction de l’extraction des matières premières –renouvelables ou non – dès lors que la croissance des besoins globaux en nouveaux matériaux dépasserait un seuil de 1 %, ce qui est le cas pour la plupart des matériaux produits pour la construction9

Bien entendu, cela ne signifie pas qu’il faille tour ner le dos aux pratiques d’économie circulaire, mais que leur effet sur la décroissance des flux dépend d’autres facteurs et, plus généralement, du contrôle des flux entrants.

On imagine bien ce que signifie une diminution des besoins en matières pour le secteur de la construc tion : favoriser la rénovation des bâtiments existants – cette dernière consommant dix-sept fois moins de matériaux que la construction neuve10 –, limiter les démolitions, mutualiser les espaces et, de manière générale, prolonger la durée de vie des objets, des matériaux et des bâtiments.

Cette perspective nous amène à considérer le réem ploi comme partie intégrante d’une approche plus globale, consistant à faire preuve de sobriété dans l’utilisation des ressources.

Dès lors, pourrait-on envisager le réemploi autrement que comme un moyen d’optimiser les processus de production – et donc de les perpétuer –, mais plutôt comme une « tactique de ralentissement » ? C’est dans ces termes que le philosophe Philippe Simay nous propose d’envisager cette pratique11

Marine Supiot, Pénélope Lallemand, chargées de projets AMO réemploi chez Minéka

9 À titre indicatif, selon l’Union nationale des industries de carrières et des matériaux de construction (UNICEM), la production nationale de granulats (roches massives et roches meubles) a augmenté de 2 % en 2019 par rapport à 2018. Celle des granulats recyclés a augmenté de 4,4 % sur la même période.

10 Source : Agence de la transition écologique (Ademe), 2019.

11 Simay (Philippe), « Le réemploi comme ressource première », Les Cahiers de la recherche architecturale urbaine et paysagère, novembre 2021.

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Plates-formes de matériaux : quel modèle pour allier équilibre économique et valeurs du réemploi ?

Parmi tous les acteurs du réemploi, les plates-formes, physiques ou en ligne, de matériaux de réemploi sont de nouveaux partenaires sur qui compter. Solutions encore en devenir, ancrées sur un territoire, elles peuvent intervenir sur la réalisation du diagnostic ou constituer un acteur de choix pour le lot 0 par leur compréhension fine des enjeux économiques, sociaux et environnementaux du réemploi et par leur multiexpertise. Faisons le point au travers de Minéka, une plate-forme physique de matériaux de réemploi rhodanienne créée il y a six ans.

Forte de ses six ans d’expérience en tant que plateforme physique de matériaux de réemploi, Minéka a pu apporter une vision logistique à une approche théorique et technique. Depuis sa création, elle a par ticipé à la structuration de la filière du réemploi, alors intervention marginale, et bientôt obligation réglemen taire. Les premières initiatives portées par des acteurs militants du BTP ont permis d’explorer de nouvelles façons de faire. Leurs modèles économiques res taient fragiles face à un milieu peu sensibilisé et à des normes très contraignantes. Aujourd’hui, quelles réponses peuvent apporter les plates-formes de ma tériaux aux enjeux du réemploi, comment viabiliser cette activité ? Matériaux, modèles économiques, ou tils, voici quelques pistes de réponses concernant la collecte de matériaux et leur redistribution.

Les acteurs traditionnels du réemploi n’ont jamais ces sé d’exister : ce sont les brocanteurs, les chineurs, etc. La pérennité de leur activité tient à l’activité même : la redistribution de matériaux de qualité, à caractère patrimonial comme des cheminées en marbre, des carreaux de ciment ou des parquets anciens et, de ce fait, à haute valeur économique.

Pourtant, ils ne représentent qu’une faible part des rebuts du BTP, contrairement aux matériaux récents, produits en plus grande quantité, bon marché, mais de moins bonne qualité. Les enjeux environnemen taux actuels incitent les acteurs du réemploi à trouver un modèle économique viable permettant de réinté grer moquette, portes alvéolaires et autres panneaux de particules dans un circuit d’économie circulaire.

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La plate-forme lieu de stockage des matériaux déconstruits. Crédits photos Arthur Burianne

Ces trente dernières années, ce sont majoritairement les acteurs de l’économie sociale et solidaire qui se sont positionnés sur le secteur du réemploi, à l’image du réseau Emmaüs. L’objectif de celui-ci : la réduction de la pauvreté par l’insertion professionnelle, le recon ditionnement des déchets pouvant encore servir. Les subventions locales, l’aide à l’emploi et le bénévo lat dotent les ressourceries du réseau d’une maind’œuvre importante. Cela leur permet de traiter des flux de matière importants mais surtout hétérogènes, tout en proposant un prix de revente accessible.

Les premières plates-formes généralistes dédiées au réemploi ont pu prendre exemple sur ce modèle, sou vent sous un statut associatif. Se positionnant sur une activité émergente et sur un secteur plus technique, elles ont dû faire appel à des collaborateurs qualifiés, polyvalents et capables de se former sur le terrain à différentes fonctions : dépose, prospection, commu nication, dialogue institutionnel, etc.

Ces structures ont ainsi une grande flexibilité dans le traitement des gisements non standards et pré sents en plus faibles quantités – problématiques in trinsèques au réemploi – ainsi qu’une connaissance fine de leur territoire.

Le réemploi, une solution pour redonner de la valeur aux matériaux

Ce sont les défricheurs d’une pratique dont les structures de l’économie classique commencent à s’emparer.

En effet, des filiales de grands groupes ou des poli tiques internes de réemploi chez certains fabricants ont émergé. Ces entreprises sont capables de se res tructurer en peu de temps grâce à des fonds impor tants et des ressources internes.

Pour être compétitives, la majorité d’entre elles in tègrent une approche ciblée par typologies de maté riaux, traités en quantités industrielles.

Ce modèle nécessite alors un flux constant et crois sant de matière pour rentabiliser la mise en place d’une telle chaîne de valorisation.

Les techniques de communication et de marketing se font plus incisives. Elles permettent de donner de la visibilité à la démarche.

Il s’agit de ne pas tomber dans l’excès du « sauver plus pour sauver plus » afin de satisfaire l’envie d’un consommateur en fin de chaîne. Le réemploi se veut une solution pour limiter les déchets et redonner de la valeur aux matériaux, non pas pour alimenter un secteur de la construction au renouvellement et à l’obsolescence toujours plus rapides.

Nouer des partenariats pour bénéficier de savoir-faire spécialisés

La spécialisation par typologies de produits et de matériaux est intéressante. Elle permet de dévelop per une expertise pointue. Cette approche facilite le tissage de partenariats avec des spécialistes du reconditionnement et de la transformation de leurs matériaux-phares.

Ce choix se prête particulièrement à certains contextes territoriaux, où l’usage d’un matériau est prédominant, comme la brique dans le nord de la France, le bois en Savoie, les faux planchers sur le bassin parisien, etc. Pour autant, dans l’état actuel de la filière, se spécialiser en cloison vitrée dans un contexte rural semble plus ardu.

De même, les gisements produits par une petite mé tropole seront, par nature, très divers : habitats indi viduels, collectifs, tertiaires, etc. et la demande éga lement très variée.

Au-delà des volumes et des typologies de matériaux pris en charge, il convient de se questionner sur les missions et les synergies de compétences proposées par ces structures.

Grands comme petits, rares sont les acteurs du réem ploi qui ne portent qu’une casquette. Par leur culture professionnelle et l’écosystème dans lequel ils s’in tègrent, ils sont à la fois plate-forme, bureau d’études, déconstructeur, artisan, etc.

Si c’est une manière de diversifier leurs sources de revenus, cela met aussi en évidence la logique d’une filière complète que ces structures développent sur leur territoire.

Les compétences des plates-formes au service d’une démarche de réemploi réussie

La première étape dans le parcours d’un matériau de réemploi est le diagnostic.

Les plates-formes de réemploi sont très bien pla cées pour estimer le potentiel de réemploi des maté riaux. Elles doivent également prendre en compte les contraintes logistiques, la répartition de la demande sur le territoire, etc. Elles comptent souvent dans leurs rangs architectes et ingénieurs, qui ont une bonne connaissance du bâtiment et de la conduite de projet d’aménagement. Certaines d’entre elles ont donc complété leurs activités de redistribution par du conseil, l’un enrichissant l’autre au fur et à mesure du développement de la démarche.

La loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (AGEC) promulguée en février 2020 annonce l’obli gation de réaliser un diagnostic produit équipement matériaux déchets (PEMD). Cela conforte les initia tives et encourage les futurs porteurs de projets à faire de même.

Après le diagnostic, vient la dépose soignée, vers la quelle se tournent de plus en plus de professionnels.

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Des modèles généralistes et spécialistes pour massifier le réemploi

Un interlocuteur unique : un choix intéressant pour le maître d’ouvrage

Pour un maître d’ouvrage, il est parfois plus intéres sant de faire appel à un interlocuteur unique qu’à des opérateurs spécialisés. Il sera alors en mesure de proposer à la fois dépose sélective et redistribu tion des matériaux.

Certains acteurs proposent ces deux services et déve loppent des méthodologies de dépose sélective per mettant des coûts maîtrisés et un pourcentage de perte faible. Ce sont des compétences spécifiques que les déconstructeurs traditionnels ne sont pas tou jours en mesure d’apporter.

Pour cela, ils peuvent intégrer des plates-formes de matériaux, qui identifient la matière à fort potentiel de réemploi et récupèrent la matière en fin de chantier. Elles communiquent aussi sur leur expérience pour que l’intégrité du matériau soit conservée durant les phases de dépose et de transport.

Comment remettre en œuvre des matériaux hétérogènes ?

Une fois le matériau identifié, déposé, transporté et stocké, se pose la question de sa remise en œuvre. Parmi les difficultés rencontrées par de nombreux acteurs, on peut citer l’hétérogénéité des matériaux de réemploi, leur éventuelle remise en état ou leur transformation pour un nouvel usage.

Les artisans, plus habitués à travailler avec des maté riaux aux qualités standards, éprouvent des difficultés à travailler des gisements hétérogènes, demandant parfois des outils et un temps de préparation plus important.

Pour pallier ces difficultés, certains fournisseurs de matériaux de réemploi transforment la matière qu’ils redistribuent, pour la rendre prête à l’emploi. C’est notamment le cas des spécialistes qui ont pu déve lopper une chaîne de transformation leur permettant de garantir leurs produits.

Plate-forme : candidat de choix pour le lot 0

Toutes ces compétences permettent aux platesformes d’être de bons candidats pour constituer un lot 0. Ce lot dédié au réemploi peut en effet com prendre plusieurs sous-projets : dépose, condition nement, transport, recherche de matériaux hors site, fourniture de matériaux en pied chantier, etc. Il agit ainsi de façon transversale et interagit avec l’ensemble des entreprises du chantier.

Pratique émergente, recourir à un lot 0 sur certains territoires peut voir le projet se solder par un mar ché infructueux. Il serait alors intéressant de sollici ter les plates-formes de matériaux, qui maillent au jourd’hui de plus en plus le territoire, pour répondre à ces enjeux.

Avec un recours aux matériaux de réemploi croissant, des compétences et des modèles complémentaires, les fournisseurs semblent avoir un bel avenir devant eux. Ils doivent néanmoins faire face à des freins, d’ordre logistique et psychologique.

Entre a priori économique et humain, quelques défis restent à relever

« Le réemploi est trop cher. » Cette remarque est le premier frein. Elle émergeait des professionnels se séparant de leurs matériaux et faisant appel à un service de collecte.

Chez Minéka, association de réemploi, par exemple, la collecte de matériaux est un service payant, qui comprend une adhésion à l’association ainsi qu’une participation aux frais de collecte. Imaginé comme un forfait à la tonne, ce fonctionnement se calque sur les pratiques des prestataires de déchets, tout en restant à un coût inférieur.

Il était pourtant plus envisageable pour beaucoup de conserver leurs habitudes et de payer plus cher pour que les matériaux soient détruits, plutôt que de faire appel à des prestataires qui vont revendre la matière.

Aussi, au-delà de l’intérêt économique de plus en plus avantageux, un travail important de sensibilisation a été nécessaire pour faire entendre les bénéfices envi ronnementaux et logistiques de la démarche.

Le coût est également une remarque émise par cer tains acheteurs de matériaux, habitués à des tarifs de fabricants.

À ce titre, la comparaison n’est pas possible. Grand nombre de produits neufs présents sur le marché sont issus d’une production, en très grande quantité, confectionnés dans des ateliers délocalisés et bénéfi ciant d’un coût de transport extrêmement avantageux.

La composition du prix d’un matériau de réemploi comprend la prospection et la sensibilisation des pro fessionnels, la collecte de matériaux, la mise en stock, la caractérisation, la communication, l’ouverture des magasins, etc.

Toutes ces opérations restent essentiellement locales avec une rémunération juste des salariés. La valeur est alors principalement indexée sur la main-d’œuvre nécessaire à la remise en circulation des matériaux.

Le contexte sanitaire et diplomatique actuel a soulevé des problématiques d’approvisionnement, impliquant une hausse importante des coûts et des délais d’ap provisionnement doublés, voire triplés. De nombreux professionnels ont expérimenté pour la première fois la fourniture en réemploi, non pas pour des raisons d’engagement environnemental, mais précisément pour son prix et sa disponibilité immédiate. Des évé nements qui mettent en perspective les bénéfices du réemploi et les incitent à franchir le pas.

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Le foncier, un enjeu pour les platesformes physiques

Les contraintes liées au stockage de la matière consti tuent le deuxième frein au développement des platesformes physiques de réemploi. Une grande partie des fournisseurs ont pourtant fait le choix de créer une plate-forme physique de matériaux. Ce choix com prend de nombreux avantages : le lieu ouvert à toutes et à tous permet l’échange et la sensibilisation, les acheteurs peuvent voir la matière et comprendre sa mise en œuvre, etc. Il permet également de fournir une solution à la question épineuse du stockage et d’offrir un espace tampon entre la dépose et la de mande en matériaux. Enfin, la plate-forme physique génère de l’emploi par les activités de collecte et de redistribution, et crée des synergies avec les réseaux de la construction et associatifs locaux.

Néanmoins, le prix élevé et la disponibilité du foncier sont une charge non négligeable. Selon l’espace dont dispose la plate-forme, le loyer et son modèle écono mique, un volume de vente plus ou moins élevé est nécessaire pour entrer dans ses frais.

Cette contrainte est d’autant plus importante à proxi mité des grandes agglomérations et des métropoles où la pression foncière est de plus en plus forte.

Le fait de s’installer sur un foncier privé et coûteux impose alors aux plates-formes un rythme de revente et de turn-over de leurs stocks soutenus. Les platesformes physiques ont donc plus de facilité à émerger dans des zones plus rurales ou en zone urbaine avec le soutien d’institutions publiques.

Plates-formes numériques : la solution à la question du foncier ?

Certaines initiatives tentent de s’affranchir de cette problématique avec des solutions numériques. Le stock de matériaux n’est visible qu’en ligne. Les ma tériaux sont réellement stockés sur chantier ou chez les entreprises qui souhaitent s’en défaire. Ce choix permet de couvrir un plus grand territoire et de rendre l’offre en matériaux plus visible en simplifiant l’accès à celle-ci.

Néanmoins, l’économie du foncier se retrouve alors substituée par d’autres coûts comme des temps d’in ventaire et de prospection plus longs.

Ces deux solutions sont complémentaires, le numé rique facilite la circulation des matériaux de réemploi mais le stockage et le reconditionnement sont indis pensables pour une massification.

Physique, en ligne, spécialisées, généralistes : de multiples choix pour les plates-formes

Qu’elles soient spécialisées dans une typologie de matériaux ou généralistes, physiques ou virtuelles, les plates-formes de réemploi se construisent en réponse aux besoins et caractéristiques propres au territoire dans lequel elles évoluent.

La diversité et la complémentarité des modèles qui en découlent favorisent la massification du réemploi. Ces structures proposent plus qu’une issue aux re buts de la construction, car elles apportent également des compétences plurielles pour développer filières et démarches de réemploi dans le BTP.

Si l’enjeu économique est encore parfois un frein pour le réemploi, les crises passées et à venir montrent l’importance de la résilience des territoires et la mine de ressources que représente l’espace bâti. La diver sité des acteurs du réemploi est donc un atout pour s’en saisir.

Par ailleurs, les réglementations environnementales incitent de plus en plus au réemploi, à l’image de la RE 2020 favorisant les matériaux à faible empreinte carbone.

Les fournisseurs doivent continuer à se structurer pour répondre à une demande croissante. Les objectifs comme l’exemplarité ou l’obtention d’un label restent cependant un levier pour les bénéfices variés qu’ap porte le réemploi : environnementaux, sociaux, écono miques, de valorisation des savoir-faire, et plus encore.

Le réemploi, comme l’emploi de matériaux bio et géosourcés, est une incitation à la découverte des res sources présentes autour de nous, du « déjà-là ». Il reste aux acteurs de la construction – maîtrises d’ou vrage, concepteurs, artisans – à fédérer davantage leurs pratiques autour des notions de durabilité, d’ap provisionnement local, d’impact social, notamment en s’appuyant sur ce réseau d’acteurs du réemploi que constituent les plates-formes.

Marine Supiot, Pénélope Lallemand, chargées de projets AMO réemploi chez Minéka

46 Septembre - Octobre 2022 • DOSSIER

Agir pour le réemploi : initiatives publiques dans la métropole grenobloise

Les acteurs publics, et plus particulièrement les collectivités territoriales, sont appelés à montrer l’exemple en matière d’économie circulaire, à différents niveaux : réduction des déchets et promotion du réemploi, exemplarité de la maîtrise d’ouvrage en matière d’aménagement urbain comme en matière de bâtiment, actions de sensibilisation et de communication en direction du grand public et des professionnels… Aperçu de quelques actions lancées par Grenoble-Alpes Métropole (GAM) et ses partenaires, dans l’agglomération grenobloise.

Au côté des plates-formes et des initiatives des majors du BTP, les collectivités locales jouent un rôle dans la promotion de l’économie circulaire et plus spécifi quement de la réduction des déchets et de la promo tion du réemploi. Grenoble-Alpes Métropole (GAM), métropole située dans le département de l’Isère (38) et organisée autour de la ville de Grenoble a mené à ce titre plusieurs actions intéressantes.

Fabricanova : une initiative pour le réemploi des déchets ménagers

Le schéma directeur du réemploi et de la réparation a été adopté par GAM le 8 novembre 2019. Un plan local de prévention des déchets ménagers et assimilés (PLP DMA) a également été adopté en mars 2022. L’une des priorités de ces programmes est la réduc tion des déchets. Celle-ci a pris forme notamment avec la création, en 2020, de la société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) Fabricanova. Cette société a pour projet de mettre en place et de faire prospérer une plate-forme de collecte, de réparation et de re mise en circulation d’objets ménagers, montée avec les acteurs locaux de l’économie sociale et solidaire et du réemploi1

Certes, seuls les déchets ménagers relèvent de la compétence des collectivités publiques. Les déchets professionnels, dont notamment ceux du BTP, re lèvent, depuis la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire (AGEC), du principe de la responsabilité élargie des producteurs (REP) qui transfère tout ou partie des

1 Les associés de la SCIC Fabricanova : Envie Rhône-Alpes, Emmaüs Grenoble, Aplomb EcoMat 38 ; les régies de quartier Villeneuve Village Olympique et PRO pulse, Qualirec, Ulisse Grenoble Solidarité, Cycles & Go ; les Ateliers Marianne, le Recyclerie Sportive et l’entreprise à but d’emploi (EBE) Soleeo et Grenoble-Alpes Métropole.

coûts de gestion des déchets vers les producteurs. Elle sera réellement mise en œuvre le 1er janvier 2023. Toutefois, les collectivités territoriales ont aussi la pos sibilité de fédérer des acteurs encore relativement dispersés. C’est ainsi l’enjeu du réseau régional de « matériauthèques » MAT’AURA. Ce réseau est ani mé depuis 2021 par la Chambre régionale de l’éco nomie sociale et solidaire d’Auvergne Rhône-Alpes (CRESS AURA). Il a pour but notamment de parta ger des outils et de mailler l’ensemble du territoire Auvergne-Rhône-Alpes. Les collectivités participent aussi à une prise de conscience de la responsabilité juridique des maîtres d’ouvrage publics sur la gestion des déchets.

Éco-exemplarité en matière d’aménagement urbain : le Cadran solaire à La Tronche

Au niveau de l’aménagement urbain, GrenobleAlpes Métropole (GAM) a engagé, dès 2019, avec l’établissement public foncier (EPFL) du Dauphiné,

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Chantier de déconstruction sur le site du Cadran solaire, juillet 2021. Source : photo Pierre Belli-Riz

une démarche expérimentale sur l’opération de trans formation de l’ancien hôpital militaire de Grenoble devenu centre de recherche de santé des armées (CRSSA) sur le site du Cadran solaire à La Tronche, près de Grenoble.

Après plusieurs diagnostics-ressources, quatre des bâtiments existants ont été soigneusement démontés dans le cadre d’une déconstruction sélective, et de nombreux éléments ont été remis en vente directement sur place par Aplomb EcoMat 38 dans un magasin temporaire de chantier : la Batitec.

Parallèlement, huit autres bâtiments ont été dé construits plus rapidement avec des moyens méca niques plus puissants.

Les bilans de l’opération montrent une valorisation ma tière de 99 %. Ce taux est très supérieur à l’objectif initial de 85 % qui était déjà plus élevé que l’obligation réglementaire fixée à 70 %.

Si, certes, le curage soigné nécessite 70 % de temps supplémentaire par rapport à une déconstruction ra pide, il ne faut pas oublier que le coût de gestion au mètre carré des déchets est divisé par 10.

L’économie financière globale a été estimée à 40 % sur l’ensemble du projet d’aménagement, grâce au réem ploi sur site de 54 tonnes de tuiles, 74 tonnes de bois et de nombreuses pierres de taille. Sur le plan environne mental, le réemploi des tuiles et des charpentes repré sente à lui seul un bénéfice carbone de 148 tonnes. eqCO2. Enfin, le chantier de déconstruction sélective a permis de créer 12 emplois à temps plein. 6 emplois ont été maintenus à l’issue du chantier.

Grâce à une démarche d’évaluation rigoureuse, cette opération a mis en évidence les avantages décisifs du

réemploi à plusieurs niveaux : économie, environne ment, emploi, nuisances.

Elle a également fait évoluer la réflexion sur le « pro to-aménagement ». Les opérations de préparation du foncier, après son acquisition et en vue de la réa lisation d’une opération d’aménagement, ne peuvent plus se réduire à une table rase aussi rapide que pos sible pour offrir des terrains nus aux constructeurs. Le « proto-aménagement » devra entrer de plus en plus dans une logique d’urbanisme de transition, de ges tion temporaire du foncier, plus complexe mais plus avantageuse sur de nombreux points.

Le 10 juin 2022, l’opération a été lauréate du prix EuroCities Award dans la catégorie « Lead Together » pour la mise en place de solutions à impact positif pour le climat, en intégrant l’économie circulaire à l’industrie de la construction.

Le projet de restructuration du siège de la métro pole à Grenoble est un projet de réhabilitation lourde (conservation de la structure seule) de 13 000 mètres carrés de bureaux, avec la construction d’extensions, sur un site urbain très contraint.

En 2019, le programme mentionnait une demande de réemploi de matériaux in situ, sans objectif quan titatif ou qualitatif précis. La maîtrise d’œuvre globale comprenant la déconstruction, la réhabilitation et l’ex

48 Septembre - Octobre 2022 • DOSSIER
Éco-exemplarité de la maîtrise d’ouvrage publique dans la construction : projet de restructuration de l’hôtel de métropole à Grenoble
L’opération sur le site du Cadran solaire, à La Tronche, bilans en masse et en tonnes équivalent CO2 économisées. Patricia Gentil, Cécile Magnin-Feysot, Julie Rochet : Opération pilote Cadran solaire, EPFL du Dauphiné, mars 2022.

tension a été désignée en 2021 après un concours lancé en 2019, conformément aux exigences légales2

La personne publique n’exigeait alors aucune com pétence spécifique en matière d’économie circulaire. L’opération a, d’ailleurs, été lancée sans assistance à maître d’ouvrage (AMO) économie circulaire. Cepen dant, un diagnostic ressources a été lancé en 2020 et finalisé en 2021. Ce travail a servi d’appui pour la maî trise d'oeuvre pour mettre en avant des solutions avec réemploi, avec le concours des bureaux d’études 3

Malgré des conditions initiales peu favorables, à une époque où la démarche du réemploi en était encore à ses débuts, Grenoble-Alpes Métropole a tenu à dé velopper des actions en matière de réemploi et a fait fortement progresser ses objectifs au cours du projet.

Le maître d’oeuvre a pu intégrer des objectifs de réem ploi in situ, dans le projet lui-même, sur plusieurs postes, tels que les sanitaires, les dallages béton, les faux pla fonds ou encore les blocs de sécurité incendie, etc.

Plus tard, une consultation a été lancée auprès des services techniques et des communes de la métropole, pour proposer de constituer des stocks de pièces déta chées. Certains éléments seront ainsi démontés pour être mis à leur disposition pour l’exploitation et la main tenance comme les équipements sanitaires, la robinet terie, les luminaires, les panneaux acoustiques, etc.

D’autres éléments, enfin, seront démontés dans le cadre du marché de désamiantage-curage du bâ timent existant pour être revendus à des tiers, soit sur place, dans le cadre d’un magasin temporaire de chantier, soit hors site. L’intérêt des entreprises est de réaliser un maximum de prévente, avant même que les éléments soient déposés.

Les objectifs contractuels, assortis de pénalités finan cières par tonne non recyclée ou non réemployée, sont ambitieux : taux de valorisation de 85 % au mini mum, dont 3 % de réemploi. Ce taux représente 50 % des matériaux ressources identifiés dans le diagnostic ressources, soit 74 tonnes environ. Malgré ce cahier des charges exigeant et des condi tions de chantier complexes – manque d’espace de stockage, chantier en locaux partiellement occupés –, plusieurs entreprises ont fait des offres cohérentes et intéressantes. L’opération de désamiantage-curage devrait commencer fin 2022.

Ce projet montre comment, à partir d’une volonté forte portée par la maîtrise d’ouvrage, des objectifs de réemploi ont pu progresser dans un projet complexe tout au long du processus, avec des acteurs motivés et qui ont accepté de jouer le jeu.

2 Équipe de maîtrise d’œuvre : Baumschlager Eberle Architectes (mandataire), Atelier A (architecte associé), Etamine, C.E.T, Batiserf, Mazet & Associés, Thermibel, Minos Group, Moz Paysage, Verdi Ingénierie Rhône-Alpes, Bimly.

3 Diagnostic ressources réalisé par Indiggo et Kayak (Chambéry).

Un apprentissage exigeant pour changer les habitudes en profondeur

Pour les collectivités publiques, le choix du réemploi n’est pas celui de la facilité. Il demande un travail par fois long d’apprentissage et d’acculturation auprès de différents services qui de plus communiquent généra lement peu entre eux.

Des actions de sensibilisation, de coordination et de formation interne ont été nécessaires pour favoriser la transversalité et le dialogue interservices. Elles ont progressé grâce à la forte motivation de certains agents.

De nouveaux protocoles ont été mis au point, des méthodes ont été perfectionnées pour intégrer des changements de pratiques qui n’étaient pas évidents pour tout le monde au départ. L’évaluation des expé riences a permis de monter en compétence et de faire progresser les objectifs, qui deviennent de plus en plus ambitieux.

Ces évolutions sont à présent intégrées dans un plan d’administration exemplaire (PAE) adopté par GAM, en 2020. De nombreux efforts seront encore nécessaires pour faire vivre ces nouvelles pratiques… jusqu’à ce qu’elles deviennent des évidences, des pratiques courantes, ordinaires.

L’impulsion donnée par « le haut », notamment par la maîtrise d’ouvrage publique sur un territoire, pour un changement des pratiques est déterminante. Cette dynamique doit ensuite se diffuser rapidement à tous les acteurs de la chaîne de valeur. C’est ainsi que les filières de réemploi des matériaux trouvent leur place et leur modèle économique dans ce nouvel écosys tème de la construction.

Pierre Belli-Riz, architecte, maître de conférences à l’ENSA de Gre noble, chercheur AE&CC (Architecture, environnement et cultures constructives) à Grenoble &

Valérie Ayache-Doubinsky, chargée de mission économie circulaire et déchets professionnels GAM

CONSTRUIRE EN
RÉEMPLOYANT DES MATÉRIAUX DE CONSTRUCTION • Septembre - Octobre 2022 49 DOSSIER
Grenoble-Alpes Métropole (GAM), à Grenoble, en cours de réhabilitation. État actuel. Source : photo Pierre Belli-Riz

REP Bâtiment : publication de l’arrêté portant cahier des charges des éco-organismes

Le dispositif des filières à responsabilité élargie du producteur a pour objectif d’agir sur l’ensemble du cycle de vie des produits : de l’écoconception à la gestion de la fin de vie, en passant par la prévention des déchets et l’allongement de la durée d’usage. Comment cela s’applique-t-il concrètement pour les producteurs ? Un arrêté du 10 juin 2022 définit l’organisation à mettre en place et fixe des objectifs à deux et cinq ans.

Le Code de l’environnement prévoit que les produc teurs s’acquittent de leur obligation de prévention et de gestion des déchets en mettant en place collective ment des éco-organismes agréés, dont ils assurent la gouvernance et auxquels ils transfèrent leur obligation en contrepartie d’une contribution financière1

Certains producteurs peuvent alternativement choi sir de mettre en œuvre, pour leurs activités, un sys tème individuel de collecte et de traitement agréé. Si plusieurs éco-organismes existent pour une filière, il peut être exigé qu’un organisme coordonnateur soit mis en place2

Pour obtenir leur agrément, ces différents organismes doivent présenter une demande d’agrément répon dant aux impératifs d’un cahier des charges défini par les pouvoirs publics.

La mise en place des nouvelles filières REP des PMCB a certes pris un léger retard, mais l’arrêté fixant le cahier des charges des éco-organismes a enfin été publié le 21 juin 20223. Il est entré en vigueur le lendemain.

Une fois agréés, ces éco-organismes pourvoiront à la collecte et au traitement des déchets issus des PMCB, ainsi qu’à la prévention des dépôts et abandons illé gaux de ces déchets.

Tour d’horizon des principales exigences fixées par le pouvoir réglementaire aux éco-organismes candidats.

1 Article L. 541-10 I du Code de l’environnement.

2 Article R. 541-107 du Code de l’environnement.

3 Arrêté du 10 juin 2022 [NOR : TREP2129879A] portant cahier des charges des éco-organismes, des systèmes individuels et des organismes coordonnateurs de la filière à responsabilité élargie du producteur des produits et matériaux de construction du secteur du bâtiment, JO du 21 juin 2022.

Objectifs chiffrés de collecte, de recyclage et de valorisation

Les éco-organismes peuvent exercer leur agrément pour l’une ou les deux catégories couvertes par les filières REP : la première concerne les matériaux constitués majoritairement en masse de minéraux, ne contenant ni verre ni laines minérales ou plâtre (béton, chaux, pierre, terre, ardoise, granulats, etc.), et la seconde concerne les autres matériaux (métal, bois, verre, mortier, enduits, peintures, laine de verre, plastique, plâtre, etc.)4

Les cahiers des charges fixent des objectifs chiffrés de collecte, de recyclage et de valorisation en fonction de la catégorie à laquelle appartiennent les matériaux.

Pour les matériaux appartenant à la première catégo rie (minéraux), les éco-organismes doivent atteindre un taux de collecte de 82 % en 2024 et de 93 % en 2027. Ils doivent également atteindre un taux de recy clage de 35 % en 2024 (43 % en 2027) et un taux de valorisation de 77 % en 2024 (88 % en 2027).

Pour les matériaux appartenant à la seconde caté gorie, les éco-organismes doivent atteindre un taux de collecte de 53 % en 2024 et de 62 % en 2027. L’objectif de taux de recyclage est fixé à 39 % pour 2024 (45 % en 2027) et celui de valorisation est porté à 48 % pour 2024 (57 % pour 2027).

Des taux de recyclage spécifiques sont prévus pour certains flux de matériaux (béton, métal, bois, plâtre, plastiques, verre).

Les éco-organismes doivent également réaliser un suivi des quantités de déchets faisant l’objet d’une col lecte séparée, des quantités recyclées ou valorisées à l’issue de cette collecte et des quantités de déchets

Article R. 543-289 II du Code de l’environnement.

50 Septembre - Octobre 2022 •
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dangereux collectés et traités, ainsi que, nouveauté du texte, mettre en place un dispositif de traçabilité des déchets.

Les systèmes individuels sont soumis aux mêmes objectifs chiffrés.

Maillage des installations de reprise sur le territoire

Les éco-organismes doivent mettre en œuvre un maillage des points de reprise pour chaque région de France.

L’arrêté fixe un calendrier de réalisation de ce mail lage. Ainsi, la moitié des installations du maillage doivent être mises en service ou faire l’objet d’un contrat de soutien financier avec l’éco-organisme avant le 31 décembre 2024, et l’ensemble doit l’être d’ici le 31 décembre 2026.

Par ailleurs, pour rappel, l’article R. 543-290-5 du Code de l’environnement prévoit que la distance moyenne entre le lieu de production des déchets et l’installation de reprise des déchets est de l’ordre de 10 kilomètres, sauf dans les zones où la densité d’ha bitants et d’activités économiques est faible, où cette distance est de l’ordre de 20 kilomètres.

Pour l’application de cette dérogation, l’arrêté précise que ces zones d’emploi doivent cumuler deux cri tères : la densité moyenne d’habitants y est inférieure à la moyenne nationale, et la part des emplois liés au secteur de la construction y est également inférieure à la moyenne nationale.

Possibilité de repousser les obligations de reprise sans frais des déchets

L’arrêté prévoit également une possibilité de repous ser l’entrée en vigueur de l’obligation de reprise sans frais des déchets.

Premièrement, la prise en charge des déchets de pa pier, de métal, de plastique, de verre, de bois, de frac tion minérale et de plâtre issus de la collecte conjointe5 peut être différée au 1er janvier 2024, tandis que celle des autres déchets non dangereux peut l’être au 1er janvier 2025. Toutefois, les éco-organismes doivent s’organiser pour expérimenter des modalités de col lecte conjointe à partir du 1er janvier 2023.

Deuxièmement, la prise en charge des déchets col lectés en mélange (dans le cadre du service public de déchets) peut être reportée au 1er janvier 2024.

Troisièmement, la reprise des déchets sur chan tier lorsque la quantité de déchets est supérieure à 50 mètres cubes peut être différée au 1er janvier 2024. La prise en charge des coûts de transports peut éga lement être limitée.

Réemploi des matériaux

Les éco-organismes jouent un rôle majeur pour déve lopper le réemploi dans le secteur de la construction. L’arrêté prévoit ainsi une série d’obligations dans cette optique.

Des objectifs progressifs chiffrés de réemploi et de ré utilisation sont ainsi fixés dans l’arrêté, pour atteindre une part de 5 % de la quantité totale de PMCB en 2028 : 2 % en 2024 et 4 % en 2027 des PMCB usa gés devront avoir fait l’objet d’une opération de réem ploi ou d’une préparation en vue de la réutilisation.

Pour atteindre ces objectifs, les éco-organismes sont tenus d’élaborer un plan d’actions visant à développer le réemploi et la réutilisation des PMCB, qui doit être transmis à l’autorité administrative dans un délai de six mois à compter de la délivrance de son agrément. Ce plan précise les familles de PMCB qui seront prio risées pour atteindre les objectifs, et les modalités de soutien des acteurs du réemploi et de la réutilisation.

Mais encore, l’arrêté prévoit que toute installation de reprise des déchets incluse dans le projet de mail lage territorial devra disposer d’une zone dédiée au réemploi et à la réutilisation, qui devra comporter les équipements nécessaires à la conservation des PMCB. Les éco-organismes doivent apporter un sou tien financier à ces installations pour couvrir les frais de gestion de ces zones. Par ailleurs, les opérateurs des installations qui disposent d’une zone de réem ploi devront mettre à disposition sans frais les PMCB auprès des acteurs du réemploi ou de la réutilisation qui en font la demande, dans le cadre de conven tions, en privilégiant les acteurs de l’économie sociale et solidaire.

Enfin, notons que les éco-organismes doivent re prendre sans frais les déchets PMCB issus des acti vités des opérateurs de réemploi et réutilisation, dans le cadre de contrats type.

Études et campagnes d’information

L’arrêté portant cahier des charges impose aux écoorganismes la réalisation de nombreuses études, par fois préalables à des plans d’actions.

Ainsi, sont prévues :

• une étude relative aux critères susceptibles de faire l’objet de primes et de pénalités d’éco-contribution, dans l’optique de proposer ensuite des primes ou des pénalités associées aux critères étudiés ;

• une étude visant à proposer un plan d’action per mettant de développer la déconstruction sélective sur les chantiers ;

• une étude portant sur la caractérisation de la pré sence de polluants organiques persistants et de retar dateurs de flamme bromés ;

• une étude du gisement de déchets, pouvant conduire à une révision des objectifs de collecte, de recyclage et de valorisation ;

CONSTRUIRE EN RÉEMPLOYANT
DES MATÉRIAUX DE CONSTRUCTION • Septembre - Octobre 2022 51 DOSSIER
5 Article R. 543-290-4 I 1° b du Code de l’environnement.

• une étude pour le développement du réemploi et de la réutilisation, pouvant conduire à une évolution des objectifs fixés.

Si plusieurs éco-organismes sont agréés, ils doivent se coordonner sous l’égide de l’organisme coordon nateur pour assurer la cohérence de leurs études et peuvent réaliser celles-ci de façon conjointe.

Par ailleurs, l’arrêté prévoit également une mission d’information et de sensibilisation à l’attention du pu blic, concernant trois sujets principaux : le réemploi et la réutilisation des PMCB, la reprise sans frais des déchets et les impacts liés à l’abandon de déchets de PMCB dans l’environnement.

Les éco-organismes doivent consacrer au moins 2 % du montant total des contributions financières qu’ils perçoivent à ces actions d’information et de sensibilisation.

Missions de l’organisme coordonnateur

L’arrêté précise le cahier des charges spécifique de l’organisme coordonnateur, réparties en trois missions.

En premier lieu, cet organisme est tenu d’assurer la coordination des travaux entre les éco-organismes, en ce qui concerne notamment les campagnes d’infor mation et de communication, la mise à disposition des informations visées à l’article L. 541-10-15 du Code de

l’environnement6, les différentes études, ainsi que le dispositif de traçabilité des déchets. Il doit également superviser les éco-organismes pour l’élaboration des contrats types dans un délai d’un mois à compter de l’agrément de l’organisme coordonnateur. De même, il organise les travaux entre les éco-organismes pour que le projet de maillage territorial soit élaboré au plus tard dans un délai de dix mois à compter de la publication de l’arrêté d’agrément du deuxième éco-organisme.

En deuxième lieu, l’organisme coordonnateur est tenu d’assurer un service de guichet unique proposant une mise en relation avec les services des filières REP pour les usagers et une interface administrative unique de contractualisation pour les collectivités territoriales en charge du service public de gestion des déchets (SPGD).

En troisième lieu, il est tenu de répartir les obligations des éco-organismes relatives à la collecte de déchets dans le cadre du service public de gestion des déchets, soit suivant un équilibrage financier, soit suivant une répartition des zones géographiques, complétée par un équilibrage financier. Hors cadre du service public des déchets, il apprécie les obligations de collecte de chaque éco-organisme au prorata des quantités de PMCB mis sur le marché par les producteurs et répartit les obligations de collecte selon un équilibre financier.

6 Article L. 541-10-15 du Code de l’environnement, reproduit ci-après : « Lorsque la nature des produits visés par l’agrément le justifie, les éco-organismes mettent à disposition du public par voie électronique, dans un format ouvert, aisément réutilisable et exploitable par un système de traitement automatisé, les informations suivantes :

• les coordonnées des opérateurs qui proposent des services de réparation lorsque ces opérateurs en formulent la demande ;

• les coordonnées des centres de réemploi et des centres de préparation en vue de la réutilisation ;

• les coordonnées des lieux de collecte ou de reprise des déchets, y compris ceux qui relèvent du service public de gestion des déchets ou des distributeurs en application de l’article L. 541-10-8 ;

• les données relatives aux modulations des contributions financières mentionnées à l’article L. 541-10-3, appliquées selon le type de produits, pour chacun des critères de performance environnementale qui leur sont applicables. »

52 Septembre - Octobre 2022 • DOSSIER

Le réemploi de matériaux, nos bâtiments d’aujourd’hui, futurs gisements de demain !

Pénurie de matériaux, flambée des prix et délais de livraison à rallonge ! Et si le réemploi de matériaux pouvait couper court à ces incertitudes auquel le marché de la construction est fortement exposé ? Se fournir de matériaux issus de la déconstruction, localement, un enjeu majeur qui refait surface dans le BTP.

Depuis une quinzaine d’années le réemploi, pratique ancestrale dans le domaine de la construction, refait surface. Cette démarche peu documentée dans l’his toire de l’architecture représentait une méthode de conception et de construction tout à fait commune. Cela s’explique par des raisons idéologiques, esthé tiques et notamment économiques. L’utilisation de monuments en ruine en tant que gisements permet la réduction du coût de la matière première.

L’industrialisation au début du XIXe siècle change pro fondément le rapport que l’homme a avec les res sources. Avec le développement de machines de plus en plus performantes, accélérant la cadence de production, les coûts sont drastiquement réduits. La main-d’œuvre, qui assurait une flexibilité dans la mise en œuvre, laisse place à la standardisation des matériaux rentrant dans un cadre de production nor mé. La nécessité économique de se fournir dans des gisements proches du lieu de construction s’éclipse au fur et à mesure.

Afin d’éviter le statut de déchet qui condamne les ma tériaux à une fin certaine, le réemploi est un excellent moyen qui permet d’extraire les matériaux d’une tra jectoire linéaire en les intégrant dans un schéma de circularité.

L’article L. 541-1-1 du Code de l’environnement défi nit le réemploi comme toute opération par laquelle des substances, matières ou produits qui ne sont pas des déchets sont utilisés de nouveau pour un usage identique à celui pour lequel ils avaient été conçus.

La démarche du réemploi invite d’un côté à éviter aux matériaux le statut de déchets – et de limiter la production de déchets – et d’un autre, à limiter au maximum la transformation qui a recours aux éner gies grises.

Une mobilisation de l’ensemble des acteurs pour accélérer la conception en matériaux de réemploi

Aujourd’hui, la crise sanitaire à l’échelle mondiale et la guerre en Ukraine à l’échelle européenne ont forte ment perturbé le rouage commercial de la mondialisa tion. La dépendance aux matières premières vis-à-vis d’autres pays s’est manifestée à travers une flambée des prix des matériaux dans l’ensemble du BTP.

Parallèlement, l’utilisation de matériaux de réemploi a connu une vraie accélération, ouvrant à nouveau les portes à l’économie circulaire, pour des raisons économiques, écologiques et de délais de livraison. En voyant la flambée des prix, rappelons nous que « le réemploi apparaît toujours là où les ressources et les matériaux sont coûteux, inexistants ou épuisés. ».

Concevoir aujourd’hui avec des matériaux de ré emploi s’avère plus compliqué qu’avant l’industria lisation. Les normes et réglementations françaises rendent la tâche d’intégrer des matériaux issus de la déconstruction encore laborieuse. Néanmoins, une fois la démarche établie et ancrée dans le rouage de la construction, un avenir extrêmement prometteur lui est prédit.

De multiples leviers ont déjà été actionnés, et des acteurs de plus en plus investis ont permis de déblo quer, d’encourager et de faciliter la démarche. Deux ambitions majeures peuvent expliquer les choix d’intégrer des matériaux issus de la déconstruction dans un projet. D’un côté, les maîtrises d’ouvrages (MOA) de plus en plus concernées par la transition écologique s’investissent dans la démarche tout en supportant l’économie circulaire et l’intégration de matériaux issus de la déconstruction. De l’autre côté, les labellisations qui certifient la qualité du bâti fixent

CONSTRUIRE EN RÉEMPLOYANT DES MATÉRIAUX DE CONSTRUCTION • Septembre - Octobre 2022 53
Le réemploi apparaît là où les matériaux sont coûteux, inexistants ou épuisés

des objectifs stricts pour la réalisation de l’ouvrage. Les labels tels que BBCA1, BREEAM2, LEED3, etc. intègrent tous une notion qui encourage et favorise l’intégration de matériaux de réemploi dans le projet d’architecture ou d’urbanisme.

De même, la réglementation environnementale dite RE 2020, qui fixe comme objectif la division par quatre des émissions de gaz à effet de serre pour la filière construction, intègre les émissions de CO2 des matériaux issus du réemploi.

Inclure les matériaux de réemploi, le rôle de l’architecte

L’intégration de matériaux de seconde main exige de l’architecte une nouvelle manière de concevoir, de développer et de construire. Elle représente un vrai impact sur le développement d’un projet et doit être intégrée dès la phase de conception pour pouvoir être appréhendée au mieux. Le développement de la filière et la massification du recours aux matériaux de réemploi permettront de minimiser l’incertitude qui peut planer sur la quantité, sur la qualité et sur les délais d’acheminement des matériaux.

Pour autant, intégrer le réemploi au sein d’un projet nécessite un investissement de l’ensemble des mail lons de la chaîne pour transformer l’essai à chaque étape du projet.

Deux approches différentes peuvent être envisagées pour intégrer le réemploi dans un projet. L’une est de responsabiliser personnellement chaque acteur, l’autre définit un responsable unique qui encadre l’ensemble des acteurs. Dans les deux cas, l’objectif est le même.

Pour comprendre la démarche suivie dans les deux cas il est important de savoir que, lors d’un descriptif de marché, les matériaux de réemploi sont décrits dans le marché, même si leur suivi reste difficile.

Ainsi, le cahier de clauses techniques particulières (CCTP) inclut non seulement la description des ma

1 Association pour le développement du Bâtiment Bas Carbone (BBCA).

2 Building Research Establishment Environmental Assessment Method.

3 Leadership in Energy and Environmental Design.

Le suivi séparé du réemploi

réemploi

tériaux de réemploi, mais également un CCTP « op tion ». Pareillement chiffré par les entreprises, ce do cument contractuel « option » garantit, en cas de manque de gisement de matériaux de réemploi, l’uti lisation de matériaux neufs sans impacter les délais.

La première démarche est donc d’inclure séparément à chaque lot des matériaux de réemploi qui peuvent être intégrés dans les travaux. Lors de la signature des contrats, l’entreprise titulaire a l’obligation de résultat et pour responsabilité la recherche de gisements et l’incorporation des matériaux dans la mise en œuvre.

Les retours d’expérience sur cette démarche ont pu être jugés trop peu convaincants. Trop souvent l’alter native de s’approvisionner en matériaux neufs était envisagée pour plusieurs raisons : manque d’enga gement des entreprises, habitude ou facilité.

La création d’un lot zéro

Autre solution afin de ne pas démultiplier les respon sabilités : intégrer ce qu’on appelle un lot 0. L’idée est de créer un lot spécifique dédié à la fourniture de matériaux de réemploi. On y retrouve plusieurs types d’actions tels que : la déconstruction de matériaux en phase curage en vue du réemploi, la remise en état des matériaux dégradés, le conditionnement et la fourniture de matériaux issus de divers gisements, etc.

Le cahier de clauses techniques particulières (CCTP) doit décrire précisément les caractéristiques des ma tériaux. Il permet d’encadrer la sélection des maté riaux et en assurer la qualité, la provenance et la conformité. En cas de pénurie de choix de matériaux, ce sont les CCTP secondaires ou « option » qui sont prises en compte ; elles permettent, au cas où aucun matériau de réemploi ne serait trouvé, d’assurer l’ap provisionnement en matériaux neufs. Les entreprises ont une obligation de moyens, fixée lors de la signa ture des marchés. En cas de non-respect, des péna lités peuvent être appliquées. Cet aspect contractuel peut permettre de limiter la mauvaise volonté dans la recherche des matériaux. Mais il est important éga lement de sélectionner des partenaires qui sont dans la même dynamique.

L’avantage d’avoir une entreprise dédiée au sujet, qui connaît le domaine et les interlocuteurs, donne la possibilité de proposer à la maîtrise d’ouvrage un large éventail de produits pour validation. L’entreprise

Fourniture et pose par l'entreprise

Date jalon dépassée

CCTP option

Fourniture et pose de matériaux neufs

Fourniture et pose par l'entreprise

54 Septembre - Octobre 2022 • DOSSIER
Entreprise 1
Recherche gisement Recherche gisementEntreprise 2 Gisement validé Gisement validé
CCTP

Le suivi avec la création d’un lot 0

CCTP réemploi

Recherche gisement lot 0

Gisement refusé Gisement validé

Date jalon dépassée

CCTP option

Approvisionnement par le lot 0

Pose uniquement par l'entreprise

Fourniture et pose de matériaux neufs

n’ayant aucun lien ou accès aux matériaux décrits a ainsi la possibilité de chiffrer uniquement la pose. De plus, un regroupement de commandes auprès d’un seul fournisseur de matériaux issus du réemploi opti mise la commande, le prix et le transport jusqu’au pied du chantier.

Néanmoins, il reste indispensable, dans le cadre d’une telle démarche, que la maîtrise d’ouvrage de même que la maîtrise d’œuvre (MOE) soient acteurs afin de garantir une dynamique tout au long du projet.

L’artisan, un acteur à ne pas oublier

Sur les plans écologique, économique et de réduc tion de l’impact carbone, il est indispensable d’inté grer dans le projet la dimension « main-d’œuvre », et donc l’artisan.

Le réemploi de matériaux, l’un des maillons de l’éco nomie circulaire, est une démarche qui ne peut pas être délocalisée et qui nécessite une main-d’œuvre qualifiée.

Réemployer des matériaux demande une déconstruc tion sélective et soignée en identifiant leur potentiel de réutilisation. Il est également nécessaire de définir l’investissement à fournir pour des réparations en vue de réintroduire les matériaux dans le circuit.

C’est à ce moment que le réemploi devient également source de valorisation de la main-d’œuvre dans un rayon proche du lieu de gisement.

En conséquence, l’ouvrier gagne en estime de soi, car il lui est demandé d’utiliser tout son savoir-faire et son expérience dans le but de sauvegarder, de démon ter et de réintégrer les matériaux dans le futur projet.

Le bâtiment en construction aujourd’hui, futurs gisements de demain !

Il est important de se rappeler qu’aujourd’hui la fin d’un bâtiment en construction n’est pas la démoli tion. Il constitue une future ressource et peut ainsi connaître un nouveau cycle : le bâtiment en construc tion peut devenir un gisement et donner lieu au réemploi.

La loi de transition énergétique pour la croissance verte du 17 août 2015 (n° 2015-992) entend lutter contre les gaspillages à grande échelle. Les grandes lignes de cette nouvelle directive concernent, entre autres, la réduction de la production des déchets ali mentaires ou produits par les entreprises, le déve loppement des filières du réemploi, la réutilisation et le recyclage ainsi que la promotion de l’économie circulaire.

Pour cela, il faut intégrer les matériaux de réemploi dès le début de la conception pour qu’ils fassent par tie intégrante du projet. De plus, la seconde vie des matériaux issus du bâtiment doit être anticipée, de façon que, lors de la déconstruction, et non au mo ment de la démolition, une séparation des différentes couches de matériaux soit possible et facilite par la suite le réemploi. Ainsi ces matériaux peuvent voir une prolongation de vie in situ ou ex-situ à travers des structures de revente telles que Cycle Up, Backacia, Minéka, Réavie ou encore Tricycle.

La standardisation des matériaux à travers l’indus trialisation a permis la réduction des coûts tout en augmentant la cadence de production. Cette stan dardisation doit offrir la possibilité de réinjecter ces mêmes matériaux dans l’économie circulaire. L’avan tage étant de faciliter la sélection des matériaux lors de la déconstruction tout en ayant la garantie de pouvoir les réintroduire dans un autre projet. La réemploya bilité des matériaux doit se standardiser pour ne né cessiter des études de faisabilité poussées que dans certains cas très particuliers.

La crise sanitaire, qui a fortement impacté les chaînes d’approvisionnement tout en montrant la fragilité du système dont nous sommes dépendants, a encore renforcé la nécessité de développer l’économie cir culaire dans la construction. Le réemploi permettrait non seulement la création d’une activité proche des gisements, mais également une meilleure visibilité sur l’acheminement des matériaux. L’objectif du ré emploi n’est néanmoins pas d’écarter le recours aux matériaux neufs, mais de créer une fusion entre les deux types de matériaux pour une construction plus pérenne et écologique.

Donatien Langlois-Meurinne architecte HMONP

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DES MATÉRIAUX DE CONSTRUCTION • Septembre - Octobre 2022 55 DOSSIER

Assurance des matériaux de construction issus du réemploi : pistes de réflexion

L’histoire de la construction est jalonnée d’exemples de réemploi de matériaux. Pour autant, c’est dans la dernière décennie que le législateur s’est réellement emparé du sujet pour des raisons tant environnementales que socio-économiques. Qu’en est-il des assureurs ? À quel titre et dans quel cadre les matériaux du réemploi peuvent-ils intégrer l’assurance décennale ? Ce sont les différents aspects de cette problématique que se propose de démêler cet article.

Le réemploi des matériaux de construction n’est pas né avec la loi de transition énergétique pour la crois sance verte du 17 août 2015 ni plus récemment avec la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’éco nomie circulaire du 10 février 2020. L’histoire de la construction fait état de nombreuses opérations de récupération de matériaux déjà employées pour de nouvelles constructions. À titre d’exemple, on trouve notamment le réemploi des gravats du pont de NotreDame après son effondrement le 25 octobre 14991 Juridiquement, cependant, dans le but d’effectuer la transition vers une économie circulaire, la dernière décennie a été témoin de la volonté d’établir un cadre réglementaire afin d’accompagner le réemploi des matériaux de construction.

Sans revenir entièrement sur la genèse du réemploi, dont le régime général fait l’objet d’un article dans le cadre de ce dossier, on signalera seulement qu’une définition a été établie dès 2008 par la directive 2008/98/CE relative aux déchets avant d’être transpo sée en droit français comme l’« opération par laquelle des substances, matières ou produits qui ne sont pas des déchets sont utilisés de nouveau pour un usage identique à celui pour lequel ils avaient été conçus »2

Autrement dit, il s’agit de faire appel à des matériaux issus en particulier de la déconstruction d’anciens

ouvrages pour la construction de nouveaux bâtiments ou pour des rénovations.

Le principe de la responsabilité décennale

Mais le secteur de la construction a toujours été l’ob jet de contentieux, en raison notamment de travaux mal exécutés. Afin d’encadrer la pratique, les articles 1792 et suivants du Code civil énoncent – depuis la loi du 17 mars 1804 !3 – un principe de responsabi lité décennale de plein droit du constructeur envers le maître ou l’acquéreur de l’ouvrage pour les dom mages « qui compromettent la solidité de l’ouvrage ou qui, l’affectant dans l’un de ses éléments constitutifs ou l’un de ses éléments d’équipement, le rendent impropre à sa destination ».

Et le constructeur ne saurait s’exonérer de sa res ponsabilité en cas de réemploi. Si l’article 1792 du code précité prévoit en effet une cause exonératoire à la responsabilité du constructeur en cas de « cause étrangère », il est toutefois de jurisprudence constante que le vice d’un matériau n’est pas une cause étran gère4. Que les matériaux soient neufs ou d’occasion, le constructeur ne peut donc être exonéré de sa responsabilité.

1 Moucheront (Nicolas), « Effondrement et reconstruction du pont Notre-Dame à Paris en 1499 : réemploi et organisation du chantier », « Moyen Âge », Mélanges de l’école française de Rome, 2017.

2 Article L. 541-1-1 du Code de l’environnement.

3 L’article 1792 prévoyait alors que « si l’édifice à prix fait, périt en tout ou en partie par le vice de la construction, même par le vice du sol, les architecte et entrepreneur en sont responsables pendant dix ans ».

4 Voir par exemple : Cass. 3e civ., 22 octobre 1980, n° 21-12.291.

56 Septembre - Octobre 2022 •

Pour couvrir ce risque, l’article L. 241-1 du Code des assurances impose au constructeur de prendre une assurance responsabilité décennale.

L’étendue de cette assurance a souvent été l’objet de litiges, a minima de débats, auxquels le réemploi vient ajouter sa contribution en posant la question suivante : les sinistres causés par des matériaux issus du réemploi doivent-ils être garantis au titre de l’assu rance de responsabilité décennale ?

D’emblée, précisons que la réponse à cette question n’a pas encore été résolue de manière claire en droit positif. Elle devra encore faire l’objet de plusieurs dis cussions, comme le note un dernier rapport publié en mars 2022 et relatif au réemploi des matériaux de construction5. Seront présentées ci-après des pistes de réflexion fondées en particulier sur l’état de la juris prudence et de la pratique.

Contenu de la déclaration d’activité professionnelle

Certains assureurs pourraient tirer argument de la déclaration de l’activité professionnelle pour ne pas appliquer la garantie aux matériaux issus du réem ploi. Cette déclaration, obligatoire, a pour but d’enca drer les cas de prise en charge de l’assurance. En effet, la garantie de l’assureur ne saurait, sans rendre impossible la juste détermination de son prix, être to tale. Aussi, cette garantie ne concerne que le secteur d’activité professionnelle déclaré par le constructeur. En dehors de ce secteur, l’assuré ne peut faire jouer son assurance6

L’assureur pourrait donc demander à exclure le réem ploi de cette déclaration, ou tout du moins considérer qu’il aurait dû y figurer et que, en l’absence de men tion, il n’y a pas lieu d’appliquer la police d’assurance. À cette interprétation vient s’opposer la définition même d’activité professionnelle. La jurisprudence apprécie cette activité au regard de son objet – plom berie, maçonnerie, travaux d’étanchéité… – et non des techniques utilisées. Ont donc été jugés illégaux le refus d’assurer les dom mages résultant de travaux d’application de résines synthétiques alors qu’ils correspondent à l’activité dé clarée de travaux d’étanchéité de toitures-terrasses7 et le refus d’assurer le dommage né de la réalisa tion de fondation lorsque la déclaration mentionne la construction de maisons individuelles, pour les quelles des travaux de fondation peuvent s’avérer nécessaires8

Cependant, deux arrêts semblent ouvrir une voie à l’intégration des techniques utilisées dans la déclara

5 Agence de la transition écologique (Ademe), « Réemploi des matériaux de construction. Recensement des filières et mise en œuvre des pratiques de réemploi en France », mars 2022.

6 Cass. 3e civ., 17 décembre 2003, n° 02-16.096.

7 Cass. 3e civ., 10 septembre 2008, n° 07-14.884.

8 Cass. 3e civ., 14 avril 2010, n° 09-11.975.

tion de l’activité professionnelle du constructeur. Dans une première espèce du 8 novembre 2018, les juges ont estimé que la déclaration lors de la souscription du contrat d’une activité tenant à « l’étanchéité sur supports horizontaux ou inclinés exclusivement par procédé Paralon » faisait obstacle à l’application de l’assurance dès lors qu’un autre procédé avait été utilisé9. Un second arrêt de la troisième chambre de la Cour de cassation, en date du 30 janvier 2019, s’inscrit également dans ce sens10

Néanmoins, il semble difficile de considérer que le réemploi représente en tant que tel une technique ou un procédé au sens de la jurisprudence. En ce sens, l’assuré ne devrait pas avoir à déclarer l’utilisation de matériaux issus du réemploi dans sa déclaration d’activité professionnelle.

Outre la déclaration de l’entrepreneur, diverses clauses jalonnent le contrat d’assurance responsa bilité décennale. S’agissant de clauses excluant les techniques dites non courantes, la Cour de cassa tion les considère comme nulles11. De même, si les clauses types à l’annexe I de l’article A 243-1 du Code des assurances prévoient la possibilité d’exclusion pour « cause étrangère », là encore, comme précisé en introduction, la jurisprudence estime que le vice d’un matériau ne constitue pas une cause étrangère.

Qualification de « technique non courante » pour les matériaux issus du réemploi

Aux termes de l’article L. 113-2 du Code des assu rances : « L’assuré est obligé : […] 2° De répondre exactement aux questions posées par l’assureur, no tamment dans le formulaire de déclaration du risque par lequel l’assureur l’interroge lors de la conclusion du contrat, sur les circonstances qui sont de nature à faire apprécier par l’assureur les risques qu’il prend en charge ; (…) »

Au titre de cette obligation, l’entrepreneur doit im pérativement informer l’assureur de l’utilisation de techniques non courantes. Aussi, l’assureur pourrait demander à son assuré si, au titre de techniques non courantes, il utilise des matériaux issus du réemploi. Si celui-ci répond par la négative mais utilise ultérieu rement des matériaux issus du réemploi, pourrait-il être sujet à sanction ?

Deux points doivent être soulignés : d’une part, l’ar ticle L. 113-9 du Code des assurances sanctionne l’omission ou la déclaration inexacte non par la nullité de l’assurance – hormis les cas de mauvaise foi – mais par la réduction de l’indemnité.

D’autre part et surtout, cela dépend si le réemploi doit être ou non considéré comme une technique

9 Cass. 3e civ., 8 novembre 2018, n° 17-24.488.

10 Cass. 3e civ., 30 janvier 2019, n° 17-31.121.

11 Cass. 3e civ., 26 novembre 2003, n° 01-16.126.

CONSTRUIRE EN RÉEMPLOYANT
DES MATÉRIAUX DE CONSTRUCTION • Septembre - Octobre 2022 57 DOSSIER

non courante. La réponse à cette question dépend en pratique de l’âge desdits matériaux.

Et pour cause : les techniques courantes sont clas sées comme telles par la Commission prévention pro duits (C2P) à partir notamment des normes NF DTU (Normes françaises, document technique unifié). La norme spécifie le choix de produits homologués – en particulier dans la partie critères généraux de choix des matériaux.

S’agissant des matériaux récents, ils disposent sans doute d’une certification. Le problème apparaît s’agis sant des matériaux issus de la déconstruction de bâti ments plus anciens : comment s’assurer de leur qua lité ? La date de conception de ces matériaux pourrait ainsi soulever certaines difficultés quant à la qualifica tion de technique courante du réemploi.

Or, cette question soulève un point très important lorsque l’on sait que, en cas de déclaration sur l’utilisa tion du réemploi, l’assureur serait à même d’augmen ter la tarification du contrat voire d’opposer un refus au constructeur prétendant à l’assurance, qui n’aurait alors d’autre choix que de saisir le Bureau central de tarification (BCTA), d’aller voir un autre assureur ou

encore de renoncer à l’utilisation de matériaux issus du réemploi.

Il nous paraît donc possible d’affirmer que ces pro blématiques devraient bientôt trouver une solution. En effet, elles expriment avant tout l’inquiétude des assureurs devant l’arrivée d’une éventuelle nouvelle source de risques. Il s’agira donc d’assurer la qualité et la provenance de ces matériaux « d’occasion ». Une première réponse pourrait provenir du nouveau diagnostic Produits Équipements Matériaux Déchets, qui indique en amont du chantier la nature et la quan tité des matériaux qui peuvent être réemployés sur le site. Codifié à l’article L. 126-34 du Code de la construction et de l’habitation et prévu en cas de tra vaux de démolition ou de rénovation significative de bâtiments à compter du 1er janvier 2022, il pourrait contribuer à identifier sereinement des gisements de matériaux dont la qualité ne pourrait être remise en cause et, par suite, à fluidifier la filière.

58 Septembre - Octobre 2022 • DOSSIER

L’assistant à maîtrise d’ouvrage réemploi, le garant d’une opération d’économie circulaire réussie !

Tout maître d’ouvrage a intérêt à s’adjoindre les compétences d’un assistant à maîtrise d’ouvrage réemploi, pour être guidé à chaque étape de l’opération, de la programmation jusqu’à la fin du chantier de construction. La réalisation du diagnostic ressources sera la base de sa mission. Sa vigilance et son regard dédié permettront de limiter les déconstructions, de maximiser l’intégration de matériaux de réemploi et de sécuriser l’opération sur le plan juridique.

L’anticipation, est le maître mot du réemploi ! Plus tôt une opération sera étudiée en termes de ressources, plus de chance auront les bâtiments ou les matériaux d’être conservés, réintégrés ou de trouver preneur ! Pour la mise en œuvre d’une démarche d’économie circulaire, dans le process de construction, le critère temporalité est identifié par tous les acteurs comme déterminant, pour la réussite de l’opération. En effet, pour les maîtres d’ouvrage, le regard en amont de l’assistant à maîtrise d’ouvrage réemploi (AMO réem ploi) sur leur patrimoine permettra l’étude des sites et de leurs atouts. Il pourra parfois aboutir au « sau vetage » des bâtiments ou parties de construction et des matériaux à potentiel de réemploi.

On pourrait imaginer que les collectivités, bailleurs et grands propriétaires fonciers diagnostiquent, dès en amont des opérations, l’ensemble de leur patrimoine et des matériaux constitutifs, afin d’en évaluer le po tentiel de conservation et/ou de réintégration dans leurs projets de construction, mais aussi dans leur politique d’entretien et de maintenance de leur parc immobilier. En effet, dans les programmes de réa ménagement urbain ou d’amélioration de l’habitat, il n’est pas rare d’assister à la démolition de bâtiments qui ont été réhabilités récemment et où le système de chauffage a été entièrement rénové, les menuise ries extérieures remplacées et les façades isolées par l’extérieur. Beaucoup de matériaux conformes aux récentes normes, y compris thermiques, pourraient donc être réintégrés à la conception des nouveaux bâtiments ou être réemployés sur d’autres sites dans le cadre de la maintenance.

Dans le déroulement d’une opération, les concepteurs ont rarement la main sur le choix de conservation ou de réutilisation des ouvrages ou matériaux existants sur un site à bâtir. Les décisions sont souvent prises en amont et, parfois même, la mission relative à la

démolition est confiée à une maîtrise d’œuvre spé cialisée, en dehors du marché de maîtrise d’œuvre de conception. C’est pourquoi l’AMO réemploi va se consacrer à l’accompagnement des maîtres d’ou vrage dans une démarche différente. Avant même que les orientations du projet vers « l’inéluctable dé molition » soient arrêtées, il pourra poser les bonnes questions au bon moment et parfois sauver certains bâtiments, parties d’ouvrages ou cibler certains maté riaux au réemploi.

Sa présence dans le projet, à ce stade amont, va per mettre à l’AMO réemploi, après l’étude historique et technique des bâtiments, de proposer la conservation des éléments bâtis les plus qualitatifs, afin d’écono miser plusieurs centaines ou milliers de tonnes de déchets, mais aussi afin d’anticiper la réintégration d’éléments déposés. La maîtrise d’ouvrage, engagée dans une démarche d’économie circulaire, dès le concours de promoteurs ou en phase de programma tion, reste très ouverte aux différentes options vis-à-vis de l’existant, si le positionnement de l’AMO réemploi est basé sur une analyse solide.

Cette démarche va alors nécessiter une attention spé cifique de l’assistant à maîtrise d’ouvrage, à toutes les phases du projet.

Au-delà de la phase de programmation où l’AMO peut orienter le projet, l’étape de réalisation du diagnostic ressources est également fondamentale, dans la me sure où la qualité de sa réalisation et le regard porté sur l’ouvrage permettront de porter la plus grande attention aux matériaux et aux équipements qui le

CONSTRUIRE EN
RÉEMPLOYANT DES MATÉRIAUX DE CONSTRUCTION • Septembre - Octobre 2022 59
L’intervention d’un AMO réemploi indispensable dès la phase de programmation !

composent. Ainsi un diagnostic ressources réalisé par des concepteurs de formation ouvrira le champ des possibles à des éléments qui pourraient paraître insignifiants au néophyte. Pierre de taille, carreaux anciens, éléments de terre cuite ou patrimoniaux, matériaux récents à fort impact carbone, lui apparaî tront comme essentiels à sauvegarder et à réintégrer dans le projet.

Avancer pas à pas et sécuriser la démarche

Si cette compétence se rajoute au millefeuille de spé cialistes mobilisés aujourd’hui dans une opération de construction, l’action de l’AMO réemploi est trans versale et permet d’accompagner maître d’ouvrage, bureaux d’études et maîtres d’œuvre du début à la fin de l’opération, en posant les jalons nécessaires à la consolidation de la démarche, aux bons moments dans la conduite de l’opération.

La démarche de caractérisation initiale des matériaux, au regard de l’historique du bâtiment et des diffé rentes campagnes de travaux, la recherche docu mentaire d’archives ou dans les dossiers des ouvrages exécutés (DOE), la préconisation des sondages pour une bonne connaissance des existants et de leur mise en œuvre permettront d’asseoir la démarche sur un socle consolidé, afin d’avancer pas à pas et de sécu riser la démarche.

Les éléments de structure seront également étudiés avec attention, charpente métal ou bois, éléments bé ton à réemployer à la découpe ou en démontage par éléments préfabriqués pour réemploi pourront être proposés comme base de conception pour le projet à venir sur le site ou ex-situ. C’est à cette phase de diagnostic que se préfigure la suite de l’opération et l’avenir des ouvrages en présence. Le choix de l’AMO réemploi est très important et sa connaissance de la construction, de la réglementation, de ses process de validation ainsi que sa capacité créative, permet tront de potentialiser les éléments en présence et de donner force au résultat.

- en amont, identification des éléments bâtis à sauvegarder ;

- réalisation du diagnostic ressources ;

- validation des prototypes de démontage, de dépose et de transport ;

- suivi des opérations de remise en état et de conditionnement des matériaux ;

- rôle de conseil auprès du maître d’ouvrage et du maître d’œuvre en matière d’économie circulaire.

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Les missions de l’assistant à maîtrise d’ouvrage sont multiples à toutes les phases du projet :
Déconstruction du bâtiment SNCF, rue d’Anthoine, EPA Euroméditerranée, Marseille. @RAEDIFICARE

C’est ensuite, à chaque étape du projet, que son re gard et son intervention permettront de consolider la démarche, qui, il faut bien le dire, dérange les habi tudes de chacun des acteurs de la chaîne de valeur. Et s’il n’est pas là à veiller au suivi, les belles idées de départ seront vite oubliées, au prétexte du planning, de risque de surcoût ou de crainte du refus de vali dation du contrôleur technique. En effet, l’AMO devra faire preuve de présence, d’opiniâtreté et d’une très grande implication, pour obtenir les résultats attendus d’une vraie démarche de réemploi.

Une intervention nécessaire à toutes les étapes du projet

Pour le montage des opérations de dépose préalable ou au cours de la déconstruction, la rédaction des cahiers des charges de dépose sélective et « pré servante » est primordiale pour la consultation des entreprises et dans l’analyse des offres. Son interven tion sera également nécessaire pour la validation des prototypes de démontage ou de dépose, le suivi des opérations de remise en état et de conditionnement des matériaux et ensuite pour l’étude de la logistique correspondante, de stockage in situ ou ex situ et de transport. L'AMO Réemploi assurera la sécurisation administrative et financière des opérations de cession et la traçabilité des matériaux et de leur destination, pour le compte du maître d’ouvrage.

Pour l’opération de construction, il conseillera le maître d’ouvrage sur la rédaction du cahier des charges de consultation des concepteurs et définira les critères de sélection, au regard de la démarche et de la com pétence de l’équipe en matière d’économie circulaire.

Il pourra ensuite assister le maître d’ouvrage dans l’analyse des projets remis en phase concours selon les critères prédéfinis, d’économie de déchets, de taux de réemploi et/ou d’économie carbone, par le réemploi de matériaux issus de la déconstruction ou sourcés sur d’autres opérations et intégrés dans le projet.

Puis il assurera le suivi de l’opération apportant son soutien à l’équipe de maîtrise d’œuvre, notamment pour la validation nécessaire des matériaux et de leur mise en œuvre, par le contrôleur technique. Il veillera au respect des objectifs « performantiels » de départ.

Il sera également force de proposition pour le détour nement d’usage des matériaux qu’il n’est pas possible de réemployer dans leur fonction initiale.

Il accompagnera l’équipe pour le choix de la meilleure procédure de consultation des entreprises de travaux en fonction de la politique interne du maître d’ouvrage en matière d’économie circulaire et de niveau d’impli cation (création d’un lot zéro, matériaux fournis et im posés aux entreprises par la maîtrise d’ouvrage, maté riaux à sourcer par les entreprises de travaux, etc.).

Il apportera sa contribution à la rédaction des cahiers des charges de la réintégration des matériaux de ré emploi, en soutien à la maîtrise d’œuvre. Il assurera

la coordination et le suivi de la logistique de stockage, de manutention et de la nouvelle mise en œuvre des matériaux de réemploi jusqu’aux opérations de récep tion des travaux.

Sa participation tout au long du projet est essentielle pour garantir, fiabiliser et mener à bien la lourde tâche d’accompagnement du projet, dans une démarche d’économie circulaire, contre tous les vents contraires.

Enfin, la réglementation, par l’intermédiaire de la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire, du 10 février 2022, dite loi AGEC, et de ses décrets d’appli cation, a permis un éveil des consciences.

Elle a rappelé l’importance de mener toute opéra tion de construction ou de déconstruction avec une approche respectueuse des existants, de la matière en présence et du travail de l’homme déjà effectué, comme cela s’est toujours fait depuis des siècles.

Sa participation tout au long du projet est essentielle pour garantir, fiabiliser et mener à bien la lourde tâche d'accompagnement du projet, dans une démarche d'économie circulaire, contre tous les vents contraires dont la réussite dépend néanmoins de la mobilisation et de l'implication du maître d'ouvrage.

Valérie Décot Raedificare

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EN RÉEMPLOYANT DES MATÉRIAUX DE CONSTRUCTION • Septembre - Octobre 2022 61 DOSSIER
Déconstruction de la villa Valentin, EPA Euroméditerranée, Marseille. Déconstruction de la résidence Lurian, CDC Habitat, Salon-de-Provence. @RAEDIFICARE @RAEDIFICARE

Matériaux de construction : le réemploi, mode d’emploi !

Se lancer dans une déconstruction sélective ou choisir des matériaux de réemploi est devenu, depuis quelques années, une innovation. Cette démarche nouvelle, pour beaucoup d’acteurs, implique de lever des freins dès le début du projet. Cet article décrit de façon pratique la marche à suivre structurée autour de deux grandes étapes propres à chacun de ces projets. Lors d’une démolition, il s’agit de soustraire des matériaux et des éléments de construction à la filière déchets en vue de leur réemploi. Une fois le matériau devenu de seconde main, il faut développer des stratégies spécifiques depuis la phase de conception du projet d’architecture jusqu’au chantier de réalisation de l’édifice.

Le réemploi des matériaux de construction concerne un ensemble de pratiques consistant à « utiliser de nouveau des matériaux ou éléments de construction issus de déconstructions pour un usage identique à celui pour lequel ils avaient été conçus ». C’est, en substance, la définition donnée à l’article 3 13°) de la directive européenne n° 2008/98/CE du 19 novembre 2008 relative aux déchets, transposée en droit français par les articles L. 541-1-1 et L. 514-2-1 du Code de l’environnement.

Alors que ces pratiques ancestrales semblaient dis parues, balayées par le développement de l’industrie du bâtiment – au profit de matériaux 100 % neufs et normalisés –, elles connaissent ces dernières années un regain de popularité dans de nombreux pays, no tamment en France. Le réemploi apparaît aujourd’hui comme l’une des innovations montantes dans une in dustrie du bâtiment qui peine à entrer dans l’ère de l’architecture écologique.

Une volonté des États face à l’urgence environnementale

Face à l’urgence environnementale liée notamment à la production de déchets ou à la raréfaction des res sources naturelles, l’Union européenne souhaite impul ser le passage d’une économie linéaire à une économie circulaire dans l’ensemble des États membres. Cette volonté est clairement formulée dans la communica tion de la Commission européenne « Boucler la boucle.

Un plan d’action de l’Union européenne en faveur de l’économie circulaire », publiée le 2 décembre 2015.

La transition vers un nouveau modèle économique zéro déchet est un défi de taille pour le secteur du bâtiment, qui génère à lui seul, en France, plus de 42 millions de tonnes de déchets par an, d’après les statistiques du

ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires1

Consciente que l’industrie de la construction doit jouer un rôle de premier ordre dans cette transition, l’Union européenne a défini, à l’article 11 de la directive euro péenne n° 2008/98/CE du 19 novembre 2008 relative aux déchets, comme objectif la valorisation de 70 % des déchets de construction et de démolition.

Pour atteindre cet objectif, les États doivent inciter les acteurs économiques du secteur à se tourner priori tairement vers des solutions de prévention comme le réemploi, conformément à la hiérarchie des modes de traitement des déchets qui impose de privilégier ce procédé, notamment en favorisant le réemploi, puis de recourir aux modes de traitement suivants, dans l’ordre : « a) la préparation en vue de la réutilisation ; b) le recyclage ; c) toute autre valorisation, notamment la valorisation énergétique ; d) l’élimination »2. L’article L. 541-2-1 du Code de l’environnement prévoit spécifi quement l’obligation pour les producteurs et les déten teurs de déchets de respecter cette hiérarchie.

Cependant, la volonté d’innover pour participer à la protection de notre environnement ne soustrait pas les acteurs du secteur aux lois du marché, et ils ne peuvent le faire sans prendre en compte les consé quences financières de telles innovations. Or, à ce titre, le réemploi présente de nombreux atouts.

Un développement progressif du marché

Le développement d’activités de réemploi peut repré senter pour les professionnels du secteur – notamment pour les maîtrises d’ouvrage – un avantage concur

1 Données et études statistiques pour le changement climatique, l’énergie, l’environnement, le logement et les transport, ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires.

2 Article L. 541-1 II 2° du Code de l’environnement.

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rentiel important grâce aux économies pouvant être réalisées sur la gestion des déchets de chantier (trans port, mise en décharge), sur l’achat de matériaux de construction d’occasion, moins onéreux, ou encore grâce aux recettes générées par la vente de matériaux destinés au réemploi.

Nombreux sont les acteurs économiques qui, ayant pris conscience de ces enjeux, se sont saisis du sujet et développent des pratiques de réemploi, contribuant par leur volontarisme à atteindre l’objectif de 70 % de matériaux valorisés. Ainsi, de plus en plus d’appels d’offres, tant publics que privés, pour des chantiers de réhabilitation, de démolition ou encore d’aménagement urbain, comportent aujourd’hui des clauses relatives au réemploi des matériaux de construction.

Pour y répondre, des structures professionnelles, en treprises et associations, se développent partout en France et apportent des réponses, tant techniques que méthodologiques, aux enjeux liés à ces nouvelles pratiques. L’expertise qu’elles développent dessine les contours d’une filière qui agrège peu à peu l’ensemble des compétences nécessaires à la bonne marche des opérations de réemploi. Ainsi, depuis la déconstruction sélective des matériaux et des éléments de construc tion destinés au réemploi jusqu’à leur remise en œuvre dans un nouvel ouvrage, il n’est plus d’étape du pro cessus qui n’ait son expert. Un marché se développe sur lequel s’échangent tous types de matériaux de construction : éléments de plomberie, équipements électriques, menuiseries, sanitaires, revêtements de sols, etc.

Malgré tout, nombreux sont les acteurs historiques du secteur, maîtres d’ouvrage, architectes ou artisans qui restent sceptiques quant à la faisabilité d’opérations de réemploi. De leur point de vue, les risques et les freins sont trop importants. Il est vrai que la bonne vo lonté des maîtres d’ouvrage et le désir d’innover des acteurs ne suffisent pas à garantir le bon déroulement des opérations de réemploi. Les contraintes techniques et juridiques restent nombreuses et sont parfois mal comprises. Mais des stratégies existent pour lever les freins au réemploi.

Le démontage sélectif, ou comment exploiter le gisement en matériaux de réemploi

On entend par « déconstruction », ainsi que par « dé montage », le fait d’extraire de manière sélective et soi gnée des matériaux d’une construction. Ces méthodes offrent la possibilité d’obtenir des matériaux en bon état permettant ainsi leur réemploi. La démolition, à l’in verse, est un procédé destructif, sans soins particuliers pour les matériaux et composants de l’ouvrage, limitant de fait, voire rendant impossible, leur réemploi futur.

Pour favoriser le développement à grande échelle des pratiques de réemploi et assurer la pérennité de la filière en structuration, l’un des enjeux-clés est celui

de l’extraction des matériaux présentant un potentiel de réemploi dans les bâtiments voués à la démolition.

Il s’agit de transformer ces matériaux et composants d’ouvrages, encore trop souvent destinés à la filière dé chet, en une ressource pour construire, pour les mettre à disposition des acteurs de la construction (maîtrise d’œuvre, maîtrise d’ouvrage et artisans).

De nouvelles méthodes se développent, qui consistent en la mise en place d’une phase de « démontage sélec tif » avant démolition, au cours de laquelle les maté riaux et les éléments de construction désignés pour leur potentiel de réemploi (et qui échapperont à la filière déchet) sont démontés avec précaution puis préparés en vue d’une remise en œuvre.

Les matériaux et éléments de construction issus du dé montage sélectif peuvent ainsi devenir une ressource pour construire au même titre qu’une pierre extraite d’une carrière, qu’un arbre issu d’une exploitation fo restière ou qu’une fenêtre neuve commercialisée par un fabricant et distribuée par un fournisseur.

Les matériaux de réemploi ne sont actuellement pas encore disponibles selon les mêmes modalités que les matériaux neufs, mais des stratégies existent pour arri ver à des conditions (presque) comparables. Pour par venir à ce résultat, il est nécessaire d’adapter les pra tiques et de mettre en place de nouvelles méthodes de travail. Bien qu’encore expérimentaux, les outils métho dologiques développés par les professionnels précur seurs semblent particulièrement prometteurs, depuis le diagnostic ressources, jusqu’au démontage sélectif, en passant par les fiches techniques matériaux.

Le diagnostic ressources

Lorsque l’on aborde une construction en vue d’une opération de réemploi, la première étape est d’acquérir une connaissance précise des matériaux et des élé ments de construction qui la composent et d’estimer leur potentiel de réemploi.

C’est l’objectif du diagnostic ressources, document non réglementaire qui identifie, quantifie, localise et carac térise les matériaux au potentiel de réemploi présents dans la construction à curer. C’est essentiellement un outil d’aide à la décision pour la maîtrise d’ouvrage. Il lui fournit les informations nécessaires afin de mesurer l’opportunité que représente un démontage sélectif. Le maître d’ouvrage peut ensuite arbitrer entre une démo lition classique et un démontage sélectif, en termes de faisabilité technique et financière.

Ce diagnostic prend généralement la forme d’une base de données listant les éléments, matériaux, équipe ments et composants d’ouvrage, et décrivant certaines de leurs caractéristiques telles que :

- la nature et les caractéristiques des matériaux ;

- les quantités ;

- l’état (contrôle visuel préliminaire) ;

- la localisation ;

- les éventuels risques sanitaires à étudier.

CONSTRUIRE EN
RÉEMPLOYANT DES MATÉRIAUX DE CONSTRUCTION • Septembre - Octobre 2022 63 DOSSIER

Ne pas confondre le diagnostic ressources /diagnostic PEMD

Il faut bien avoir à l’esprit la différence entre le diagnostic ressources, qui n’est pas obligatoire pour les maîtres d’ouvrage, et le diagnostic portant sur la gestion des produits, équipements, matériaux et des déchets (PEMD) issus de la démolition ou de la rénovation, prévu par le Code de la construction et de l’habitation (CCH), qui est obligatoire dans certains cas.

Ainsi, les articles R. 126-8 et suivants du CCH rendent obligatoire la réalisation d’un diagnostic PEMD préalablement à la rénovation significative et à la démolition des bâtiments : a) d’une surface de plancher supérieure à 1 000 mètres carrés ; b) ayant accueilli une activité agricole, industrielle ou commerciale et ayant été le siège d’une utilisation, d’un stockage, d’une fabrication ou d’une distribution d’une ou plusieurs substances dangereuses classées comme telles selon l’article R. 4411-6 du Code du travail.

Ce diagnostic, introduit par la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire du 10 février 2020, dite loi AGEC, et réalisé par de nombreux maîtres d’ouvrage depuis l’été 2020, entrera officiellement en vigueur au 1er janvier 2023.

Dans la pratique, il fait office de préalable au diagnostic ressources en constituant une première étape d’identification du gisement réemployable et de caractérisation des matériaux.

Le diagnostic PEMD ne se substitue pas au diagnostic ressources, notamment car son contenu est trop sommaire pour pouvoir conduire à une stratégie de réemploi efficiente et opérationnelle. En outre, il peut être réalisé par des professionnels ayant principalement des compétences en matière de gestion des déchets, qui ne sont pas à même de faire des préconisations pertinentes en termes de dépose soignée ou de confirmer l’existence d’une demande sur le marché pour les matériaux identifiés.

Il comprend également des photographies des maté riaux et de l’environnement dans lequel ils se trouvent.

Ce diagnostic est aujourd’hui une pratique volontaire, qui peut être considérée comme expérimentale. Son contenu et sa méthodologie varient selon les profes sionnels et les projets.

Par la suite, ce diagnostic affiné doit permettre de four nir à la maîtrise d’ouvrage et à la maîtrise d’œuvre un certain nombre d’informations complémentaires sur les éléments présentant un potentiel de réemploi pour l’organisation des phases de démontage sélectif. Il est possible de l’enrichir avec, par exemple, un avis sur les sujétions techniques de démontage ou l’étude écono mique d’une opération de réemploi.

Le diagnostic ressources doit également permettre de réaliser un tri entre les éléments de réemploi et ceux qui deviendront des déchets et seront pris en charge par des professionnels compétents pour être retrai tés de manière classique par la filière déchet. Il doit notamment s’appuyer sur les diagnostics obligatoires avant démolition (amiante, plomb, termites, etc.) ou être rédigé sous réserve de ces diagnostics, pour per mettre d’exclure du champ du réemploi tout matériau présentant un risque sanitaire.

Les personnes susceptibles de réaliser un diagnostic ressources sont nombreuses. Cela nécessite en re vanche une bonne connaissance du domaine de la construction, des matériaux, des méthodes construc tives et du cadre légal de la construction.

Les personnes travaillant actuellement sur le sujet sont pour l’essentiel des professionnels de la construction, architectes ou ingénieurs.

Fiches techniques matériaux pour décrire le type de matériaux

Une fois la mise en place d’une opération de réemploi validée, il s’agit de produire la documentation technique nécessaire à la mise à disposition des matériaux et élé ments de construction en vue de leur mise en œuvre.

Cette documentation prend la forme de fiches tech niques décrivant chaque type de matériau et élément

de construction et en détaillant leurs caractéristiques.

Elle reprend pour partie les informations contenues dans le diagnostic ressources et les complète.

Ces fiches doivent comporter un maximum d’informa tions qualitatives et quantitatives permettant de caracté riser les matériaux en vue de leur future mise en œuvre.

Elles peuvent notamment comporter :

- une description des matériaux, de leur état et de leurs caractéristiques techniques ;

- les dimensions des éléments et une représentation graphiques de ceux-ci ;

- la quantité de matériaux disponibles ;

- leurs domaines d’usage ;

- leurs origines et leurs destinations potentielles ;

- le cas échéant, des préconisations en matière de sécu rité, et des indications s’agissant des risques sanitaires ;

- toute autre information qualitative et quantitative nécessaire.

La constitution de ces fiches techniques nécessite un relevé précis des éléments et, le cas échéant, une étude documentaire ou la recherche d’archives afin de se procurer des informations techniques sur la construc tion et les matériaux qui le composent (documentation technique d’origine par exemple).

Lorsqu’il est possible de se les procurer, l’étude des dossiers des ouvrages exécutés (DOE) et/ou des ca hiers des clauses techniques particulières (CCTP), et des documents de consultation des entreprises (DCE) peuvent constituer une source d’information précieuse.

Le degré de définition des fiches techniques matériaux et les exigences en matière de caractérisation peuvent varier en fonction de l’objectif visé par le propriétaire (réemploi in situ, commercialisation, etc.) et du type de projet (privé, public, établissement recevant du public, etc.).

Dans les cas les plus contraignants – quand les maté riaux sont destinés à être mis en œuvre dans le cadre de réalisations d’ouvrage public ou recevant du public –, ces fiches permettent de pallier, au moins en partie, l’absence de documents techniques comme c’est le cas pour des matériaux neufs.

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In fine, les fiches techniques matériaux doivent permettre :

- à la maîtrise d’ouvrage de concevoir un projet en met tant en œuvre ces matériaux ;

- de commercialiser des matériaux s’il y a lieu (en trans mettant aux potentiels acheteurs les informations né cessaires à la décision d’achat) ;

- à un bureau de contrôle de donner un avis sur la mise en œuvre de ces matériaux ;

- aux assureurs d’adapter leurs polices d’assurance et leurs garanties.

AMO réemploi : rédacteur de choix de ces fiches

Les mêmes personnes devraient pouvoir réaliser les fiches techniques matériaux et le diagnostic ressources.

De plus en plus de structures proposent des services d’assistance à la maîtrise d’ouvrage en vue du réemploi (AMO réemploi), conjuguant la réalisation de diagnostics ressources et de fiches techniques matériaux.

Pour mener à bien sa mission, l’AMO réemploi peut tra vailler de concert avec :

- des artisans dont la connaissance avancée des maté riaux qu’ils mettent couramment en œuvre est précieuse pour permettre leur caractérisation ;

- un bureau d’études techniques et un bureau de contrôle dont l’expertise peut constituer un gage de confiance pour les assureurs ;

- des laboratoires d’analyses techniques pour ré pondre aux éventuels besoins de caractérisation physico-chimique.

La solution de caractérisation des matériaux de réemploi que représentent les fiches techniques matériaux, bien qu’encore très expérimentale, semble pouvoir se déve lopper dans l’avenir. À noter que les expérimentations actuelles démontrent que, pour assurer la rentabilité économique de telles études, la ressource concernée doit avoir une valeur relativement importante et/ou repré senter un volume critique suffisamment conséquent.

Organiser le démontage sélectif

Les opérations de démontage sélectif sont une étapeclé de toute opération de réemploi. Elles doivent per mettre d’extraire les matériaux de construction dans des conditions qui ne remettent pas en cause leur usage futur.

Pour assurer leur bonne réalisation, il est important, lors de l’appel d’offres, de décrire le plus précisément pos sible les objectifs poursuivis et les résultats attendus. La maîtrise d’ouvrage peut, en ce sens, se faire assister pour la rédaction de l’appel d’offres.

Lors du dépouillement des offres, les entreprises qui mettront en œuvre le démontage sélectif et les diverses tâches logistiques qui y sont liées doivent être choisies après une étude minutieuse des solutions proposées.

Pour ce faire, les réponses des entreprises doivent

comprendre une description détaillée de la méthodolo gie et des modalités techniques envisagées.

Ces solutions doivent être spécifiquement adaptées au projet et aux objectifs définis par le marché et assurer la conformité de l’état des matériaux après démontage par rapport aux exigences à atteindre pour que ceux-ci puissent être remis en œuvre.

De plus en plus de structures, entreprises ou associa tions, développent des compétences spécifiques en lien avec le démontage sélectif en vue du réemploi, notamment des entreprises de démolition ou des struc tures de l’économie sociale et solidaire (ESS) œuvrant à la réinsertion professionnelle. Ces structures proposent pour la plupart un ensemble de solutions logistiques nécessaires au bon déroulement des opérations de réemploi, de la déconstruction sélective en elle-même à la préparation des matériaux (nettoyage, entretien, traitement de surface, etc.) en passant par leur condi tionnement, leur transport ou encore leur stockage.

Commercialiser les matériaux

L’offre en matériaux de réemploi se développe rapide ment en France, notamment sur les plates-formes de vente en ligne spécialisées où le nombre d’annonces double presque chaque année. En parallèle, de nou velles structures voient le jour régulièrement.

La vente de matériaux de réemploi, au même titre que tout objet d’occasion, nécessite de fournir à l’ache teur un ensemble d’informations sur les éléments qu’il acquiert. C’est l’un des objectifs des fiches techniques matériaux que de réunir ces informations. La qualité des fiches et la rigueur à les renseigner doivent per mettre à l’acheteur de motiver sa décision d’achat en toute connaissance de cause et, par la suite, de les mettre en œuvre dans de bonnes conditions, notam ment vis-à-vis des obligations légales en termes de contrôle technique et d’assurance.

Là encore, des structures spécialisées dans la vente de matériaux de réemploi se développent, notamment des plates-formes de vente en ligne. Ces dernières offrent – pour la plupart – l’avantage d’inscrire la transaction dans un cadre légal assurant la traçabilité des maté riaux et un transfert de propriété régulier. De tels pro fessionnels peuvent par exemple produire des contrats de vente, des conditions générales de ventes (CGV) et des garanties commerciales spécialement adaptées aux matériaux de réemploi.

La traçabilité : clef pour éviter le statut de déchets

Il est indispensable d’exiger, parallèlement à un haut degré de caractérisation, un niveau élevé de traçabilité des matériaux. Il s’agit d’un enjeu-clé, puisque celle-ci seule permet de démontrer qu’il s’agit bien de maté riaux et non de déchets.

Pour rappel, les déchets sont juridiquement définis par l’article L. 541-1-1 du Code de l’environnement comme

CONSTRUIRE EN RÉEMPLOYANT DES
MATÉRIAUX DE CONSTRUCTION • Septembre - Octobre 2022 65 DOSSIER

« tout bien meuble, dont le détenteur se défait ou dont il a l’intention ou l’obligation de se défaire ».

Leur caractérisation comme ressources et leur tri en amont du projet de déconstruction permettent de les préserver de ce statut lourd de conséquences du point de vue juridique.

Plus précisément, le statut de déchet entraîne un ré gime de responsabilité administrative et pénale spéci fique, qui pèse sur le producteur initial et les détenteurs successifs du déchet, nonobstant les multiples trans ferts qui ont été réalisés dans le temps .

Il implique également des obligations particulières, en matière de transport, de traitement, etc., dont la mé connaissance est passible de peines d’emprisonne ment et d’amendes conformément aux dispositions de l’article L. 541-46 du Code de l’environnement.

Ce risque juridique important constituait un frein récur rent pour les maîtres d’ouvrage souhaitant mettre en place une stratégie de réemploi ambitieuse. En effet, à défaut de critère précis, le doute sur le statut de déchet des matériaux faisait craindre une recherche de res ponsabilité sans fin.

C’est pourquoi la loi AGEC est venue introduire un cri tère permettant de distinguer déchets et matériaux de réemploi.

L’article L. 541-4-4 du Code de l’environnement prévoit désormais que « dans le cadre d'un chantier de réhabi litation ou de démolition de bâtiment, si un tri des ma tériaux, équipements ou produits de construction est effectué par un opérateur qui a la faculté de contrôler les produits et équipements pouvant être réemployés, les produits et équipements destinés au réemploi ne prennent pas le statut de déchet. »

En pratique, aucune précision sur les compétences de cet opérateur n’étant apportée par les textes, il peut s’agir de tout professionnel de la construction ou du réemploi (architecte, entreprise de travaux, acteur du réemploi réalisant la collecte sur chantier, etc.). S’agis sant des modalités de ce tri, il consiste concrètement en un contrôle visuel (dans ce cadre, il n’implique pas de réaliser des essais et tests plus approfondis).

La traçabilité permet ainsi d’apporter à l’administration la preuve du respect de cette condition. Lorsqu’elle est insuffisante, les matériaux peuvent être qualifiés de déchets par l’administration et/ou le juge.

Quel outil utiliser pour établir et garantir cette traçabilité ?

La réglementation ne prévoit pas de bordereau de suivi des matériaux, à l’instar des bordereaux de suivi des déchets, c’est pourquoi, dans la pratique, les profes sionnels du réemploi recourent à des « fiches de traça bilité ». Celles-ci permettent d’identifier les propriétaires (initial et subséquent) des matériaux, les acteurs ayant réalisé la dépose, le stockage et le transport, mais éga lement l’opérateur du tri sur le chantier ayant réalisé le contrôle des matériaux.

Les fiches de traçabilité sont à compléter au fur et à mesure de l’opération pour chaque lot de matériaux de réemploi.

Construire avec des matériaux de réemploi

Si l’on peut considérer que les pratiques liées à la four niture de matériaux de réemploi tendent progressive ment vers un état de maturité susceptible d’assurer une offre continue, leur mise en œuvre semble toujours complexe, et les maîtres d’ouvrage et d’œuvre prêts à passer le cap du réemploi sont encore trop peu nom breux. Pourtant, des exemples de réalisations intégrant des matériaux de réemploi existent, et les méthodes et stratégies qu’elles mettent en œuvre semblent pouvoir être reproduites.

Le développement de ces pratiques et la massifica tion de l’usage des matériaux de réemploi dans les constructions sont la clé de voûte de la viabilité à long terme de la filière du réemploi. La réussite de telles opérations nécessite une collaboration étroite entre les parties prenantes du projet. Elle est à ce titre indisso ciable de la volonté commune de la maîtrise d’ouvrage et de la maîtrise d’œuvre de construire avec du réem ploi et de concevoir ensemble des solutions innovantes.

L’une des problématiques les plus sensibles, néces sitant une approche proactive du projet, est d’inscrire le réemploi dans le cadre normatif de la construction. Pour ce faire, un ensemble de précautions technicolégales doivent être prises. Il s’agit de ne jamais se sous traire ou de s’écarter du cadre de la réglementation, notamment en termes de normes techniques et d’as surances, afin de garantir la conformité de la mise en œuvre, l’assurabilité des ouvrages et l’obtention d’avis positifs de la part des bureaux de contrôles.

Les développements qui suivent exposent des mé thodes pour concevoir et se fournir en matériaux, puis pour coopérer avec les bureaux de contrôle afin d’obte nir des avis techniques. Enfin, les points de vigilance à connaître lors de la mise en œuvre des matériaux issus du réemploi seront abordés.

Étape 1 : la conception

Concevoir une construction mettant en œuvre des matériaux de réemploi peut nécessiter d’adapter les méthodes de travail des concepteurs, notamment de l’architecte et des bureaux d’études. En effet, classi quement, l’étape de la conception consiste d’abord à dessiner un bâtiment, à prescrire un ensemble de matériaux choisis, puis à se les procurer auprès de fournisseurs susceptibles de produire les quantités nécessaires à la réalisation de l’ouvrage.

Or, cette approche doit être au moins partiellement reconsidérée avec des matériaux de réemploi, car, en l’état du développement de cette filière, la disponibilité continue de matériaux spécifiques ne peut que rare ment être garantie. Il est donc parfois nécessaire de

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faire évoluer le projet en fonction des ressources et des matériaux disponibles.

Pour pouvoir inscrire cette variable de disponibili té dans la conception et la réalisation d’un projet de construction, l’une des expérimentations les plus pro metteuses consiste en la mise en place de variantes réemploi/neuf dans les marchés des artisans.

Les cahiers des clauses techniques particulières (CCTP) peuvent ainsi stipuler qu’une part définie de la fourniture doit être issue du réemploi. Cependant, les CCTP doivent permettre de substituer des matériaux neufs aux matériaux de réemploi en cas d’impossibilité de remplir la clause liée au réemploi. Cette disposition permet d’inciter à la mise en œuvre de matériaux de réemploi, tout en assurant la réalisation de l’ouvrage en cas d’indisponibilité des matériaux de réemploi.

Lorsque les matériaux de réemploi sont mis en œuvre à l’extérieur des constructions projetées ou de manière générale lorsqu’elles sont susceptibles d’être représen tées dans les demandes d’autorisation d’urbanisme, notamment avec le permis de construire, il est impor tant de s’assurer que les matériaux décrits au moment du dépôt du permis de construire seront effectivement disponibles au moment de leur mise en œuvre. Si, sous certaines conditions, il est envisageable d’avoir recours à un permis modificatif en cas de variation entre le pro jet initial et la réalisation, les risques liés à ce type de démarche ne doivent pas être ignorées.

À noter que, dans le cas de mise en œuvre de maté riaux de réemploi pour l’aménagement intérieur des constructions, les problématiques liées au caractère parfois erratique de la disponibilité des matériaux de réemploi ne se posent a priori pas de la même manière et peuvent sembler moins contraignantes.

Étape 2 : se fournir en matériaux

Se fournir en matériaux de réemploi dans le cadre de la réalisation d’un chantier de taille moyenne à grande est un enjeu à part entière. Il est en effet souvent néces saire de mettre en œuvre un réel travail de sourcing, c’est-à-dire de recherche de matériaux de réemploi. Se procurer des matériaux de réemploi nécessite donc a priori un investissement spécifique.

Il n’existe pas, à ce jour, de réseau de revendeurs suf fisamment institués pour garantir la fourniture de tous types de matériaux de réemploi sur l’ensemble du ter ritoire français. L’Île-de-France, région particulièrement riche en acteurs, est probablement le territoire où cette tâche de sourcing est la plus aisée.

La recherche de matériaux au sein du réseau profes sionnel des acteurs du chantier offre souvent des ré sultats satisfaisants. Les artisans, les entreprises de démolition, les foncières immobilières et les bailleurs sont notamment susceptibles de posséder ou de trai ter des matériaux présentant un potentiel de réemploi. Cela dit, ce sont principalement les entreprises et les associations spécialisées dans la fourniture de ma tériaux de réemploi qui contribuent le mieux à faci

liter le travail de sourcing. En effet, de plus en plus de plates-formes de vente de matériaux de réemploi sont apparues en France ces dernières années, qu’il s’agisse de plates-formes dématérialisées (sites Inter net, plates-formes de vente en ligne) ou physiques, qui développent une véritable expertise dans le domaine.

La question se pose parfois de savoir à qui incombe la tâche de sourcing et/ou de fourniture de matériaux de réemploi dans le cadre de projets de construction. À ce titre, certaines expériences démontrent l’efficacité de la création d’un lot spécifique à la fourniture de matériaux, au même titre que les autres lots du mar ché de construction. Dans ce cas, les appels d’offres et documents de consultation des entreprises (DCE) doivent permettre de désigner la structure chargée du sourcing et de la fourniture de matériaux de réemploi aux autres lots du chantier. Cette structure peut égale ment répondre aux problématiques liées au stockage, au gardiennage ou à toute autre tâche nécessaire à la mise à disposition des matériaux de réemploi.

Étape 3 : rôle des bureaux de contrôle

Lors de la réalisation d’une construction ou d’une réha bilitation, le rôle des bureaux de contrôle est de don ner un avis circonstancié sur la mise en œuvre des matériaux et la conformité de celle-ci aux référentiels normatifs, aux techniques constructives ainsi qu’à la réglementation. En ce sens, pour émettre un avis, les bureaux de contrôle n’étudient pas les matériaux euxmêmes mais la documentation technique correspon dante. Lorsqu’il s’agit de matériaux neufs, ils s’appuient sur des référentiels constitués de divers documents et notamment sur la documentation technique mise à disposition par les fabricants des matériaux (fiches produit).

Cette documentation doit renseigner le bureau de contrôle sur les caractéristiques techniques des ma tériaux et, in fine, leur conformité aux normes et aux documents techniques unifiés (DTU) édités par l’As sociation française de normalisation (Afnor) ainsi qu’à la réglementation (marquage CE par exemple). À ce sujet, il est important de bien faire la différence entre les normes d’application volontaire et celles à carac tère réglementaire puisque comme le rappelle l’Afnor : « Seules 1 % des normes sont d’application obliga toire » .

Dans le cas de la mise en œuvre de matériaux de ré emploi, le bureau de contrôle ne peut donner d’avis en l’absence de documentation technique. D’où la né cessité de constituer des fiches techniques matériaux reconstituant au mieux ces informations afin de lui per mettre d’étudier la pertinence de la mise en œuvre et le respect du cadre réglementaire et normatif.

Il s’agit donc d’informer au mieux le bureau de contrôle qui étudie la mise en œuvre finale des matériaux. Il doit notamment être renseigné sur la nature et les carac téristiques des matériaux de réemploi et la mise en œuvre prévue. Par la suite, l’étude des plans d’exécu

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POUR EN SAVOIR +

À ce sujet, lire « Techniques courantes/Non courantes, Innover en responsabilité », Bâtimétiers , no 49, 2017, en ligne sur ffbatiment.fr, ainsi que Geslin (Félicie), « Réemploi de matériaux : ce qui bloque », LesCahierstechniquesdu bâtiment , 8 juin 2018.

tion des entreprises lui permettra de donner un avis sur la conformité de la mise en œuvre aux référentiels normatifs et d’étudier les aléas techniques propres au projet, afin de pouvoir donner un avis circonstancié.

Dans le cadre du développement des pratiques de réemploi, les bureaux de contrôle pourraient envisa ger de développer une nouvelle mission de conseil.

En amont de la mise en œuvre, ils pourraient accom pagner la maîtrise d’ouvrage dans la définition des élé ments nécessaires à l’obtention d’un avis technique et la constitution de documents adaptés comme les fiches techniques matériaux.

Assurances et réemploi : un couple à ne pas négliger

Dans le secteur de la construction, au vu du coût des opérations et des risques encourus en cas de sinistre, la question de l’assurance est un point névralgique, a fortiori s’agissant des assurances obligatoires. Il s’agit essentiellement de :

- l’assurance dommages-ouvrage obligatoire pour le maître d’ouvrage ;

- l’assurance décennale obligatoire pour la maîtrise d’œuvre et les artisans.

En principe, les contrats de base de ces deux assu rances obligatoires ne couvrent que les « techniques courantes de construction », c’est-à-dire les techniques qui ont été examinées et acceptées par la commis sion prévention produits (C2P) de l’Agence qualité construction (AQC).

Or, ces techniques n’incluent que les travaux de construction répondant à une norme homologuée (NF DTU ou NF EN) ou à des règles professionnelles acceptées par la C2P.

Les assureurs considèrent que l’usage de matériaux issus de la déconstruction n’est pas inclus dans les techniques courantes, et invitent donc les acteurs du chantier à déclarer préalablement le recours à ces matériaux.

Dans la pratique, un travail coordonné et concerté entre les assureurs, les experts réemploi, les acteurs du chantier et le bureau de contrôle permet générale ment de couvrir le recours au réemploi sans surprime.

Dans le cas de matériaux neufs, pour s’assurer qu’ils respectent bien les normes correspondantes, les assu reurs, de la même manière que les contrôleurs tech niques, se basent sur les référentiels constitués par la documentation technique des matériaux (fournis par les fabricants) et leur adéquation avec le cadre normatif.

En s’assurant que les produits de construction sont nor malisés et bénéficient de standards de mise en œuvre, les assureurs peuvent circonscrire les risques, les éva luer avec précision et proposer des solutions d’assu rance adaptées. L’une des difficultés qui se présente lorsque l’on souhaite trouver des solutions d’assurance pour des matériaux de réemploi (au-delà de la mécon naissance du sujet dans le milieu de l’assurance) est l’absence a priori de documentation technique suscep tible (comment c’est le cas pour les matériaux neufs) d’informer les assureurs sur les caractéristiques des matériaux de réemploi afin qu’ils puissent adapter leurs conditions de garantie.

Pour pallier cette carence, la création de fiches tech niques matériaux pour les matériaux de réemploi appa raît comme l’un des principaux outils à même d’appor ter les informations requises sur les matériaux. Elles peuvent notamment permettre de démontrer que les matériaux et les produits atteignent les performances requises par les DTU et les autres normes d’exécution.

Ainsi, en leur fournissant des fiches techniques maté riaux accompagnées de l’avis d’un bureau de contrôle, les assureurs peuvent accepter une extension de ga rantie après l’analyse et l’étude approfondies de cette technique non courante et des risques que celle-ci induit.

Lorsque la mise en œuvre de matériaux de réemploi est envisagée dans un projet, il est donc primordial d’en informer les assureurs concernés et de négocier une police spécifiquement adaptée à la situation du chantier. En effet, de nombreuses polices d’assurance prescrivent l’utilisation de matériaux conformes à cer taines normes et autres référentiels. Leur non-respect pourra alors permettre à l’assureur de se prévaloir de la nullité du contrat d’assurance ou d’une exception de garantie en cas de sinistre.

Elisabeth Gelot, avocate associée du cabinet SKOV Morgan Moinet, architecte diplômé d’état, dirigeant du bureau d’études Remix

Éviter le conflit d’intérêts du bureau de contrôle

À ce sujet, attention a priori à ce que le bureau de contrôle intervenant à titre de conseil avant les travaux et le bureau de contrôle qui avisera la mise en œuvre ne soient pas le même, car il pourrait alors y avoir un risque de conflit d’intérêts. L’objectif ici est d’obtenir, à l’issue du chantier, un rapport final de contrôle technique sans avis défavorables ou suspendus, garantissant au mieux la conformité de l’ouvrage et favorisant l’assurabilité des matériaux de réemploi et leur mise en œuvre.

En effet, l’avis du bureau de contrôle revêt également une certaine importance aux yeux des assureurs. Ainsi, un avis favorable d’un bureau de contrôle pour la mise en œuvre de matériaux de réemploi peut être un outil précieux dans la négociation de polices d’assurance adaptées au réemploi des matériaux de construction.

- Les auteurs soulignent le caractère innovant et expérimental des différents retours d’expérience sur lesquels s’appuie la présente publication. Ils conseillent par conséquent de s’adresser à des professionnels afin d’accompagner leur projet, et excluent toute responsabilité au titre du présent article, qui ne constitue en aucun cas un acte de conseil ou d’assistance.

- Reprise de l’article paru dans la revue Complément technique, novembre/décembre 2019.

68 Septembre - Octobre 2022 • DOSSIER

Le droit de surplomb pour l’isolation thermique par l’extérieur d’un bâtiment

La loi Climat et Résilience, du 22 août 2021, a institué un droit de surplomb du fonds voisin afin d’encourager l’isolation thermique, par l’extérieur, des bâtiments construits en limite de propriété. Focus sur ce nouveau droit dont les modalités d’application ont été précisées par un décret du 23 juin 2022.

1.Conditions d’exercice du droit de surplomb

Le propriétaire qui envisage des travaux d’isolation thermique par l’extérieur sur un bâtiment existant construit en limite de propriété peut bénéficier, pour la réalisation de ces travaux, d’un droit de surplomb du fonds voisin, sous réserve que les conditions suivantes soient préalablement réunies :

• aucune autre solution technique ne permet d’atteindre un niveau d’efficacité énergétique équivalent ou cette autre solution est excessivement complexe ou excessivement coûteuse. Autrement dit, le propriétaire du bâtiment à isoler doit démontrer qu’il n’a pas d’autre choix que celui de réaliser un ouvrage d’isolation thermique par l’extérieur et surplombant le fonds voisin ;

• l’ouvrage d’isolation thermique par l’extérieur doit être réalisé à 2 mètres au moins au-dessus du pied du mur, ou du pied de l’héberge1 ou du sol, sauf accord des propriétaires des deux fonds sur une hauteur inférieure ; • le droit de surplomb sur le fonds voisin ne doit pas excéder 35 centimètres2

En outre, le propriétaire du bâtiment à isoler devra préalablement verser une indemnité au propriétaire du fonds surplombé.

Les modalités de mise en œuvre de ce droit de surplomb devront être constatées par acte authentique ou par décision de justice (à défaut d’accord), publié pour l’information des tiers au fichier immobilier (Code de la construction et de l’habitation, CCH, art. L. 113-5-1, I).

2.Droit d’accès temporaire au fonds voisin

Le propriétaire du bâtiment à isoler bénéficie, en complément du droit de surplomb, d’un droit d’accéder temporairement à l’immeuble voisin et d’y mettre en place les installations provisoires strictement nécessaires à la réalisation des travaux d’isolation. Une convention établie entre les propriétaires des deux fonds définit les modalités de mise en œuvre de ce droit (CCH, art. L. 113-5-1, II).

Cette convention doit préciser notamment (CCH, art. R. 113-20) :

• la localisation et le périmètre de l’accès au fonds à surplomber à prévoir pour la réalisation des travaux d’isolation thermique par l’extérieur ainsi que la durée à prévoir de cet accès au fonds ;

• la nature des installations provisoires à mettre en place pour la réalisation des travaux d’isolation thermique par l’extérieur et les conditions de cette mise en place notamment pour la protection du fonds à surplomber ;

• l’indemnité préalable due en contrepartie du droit d’accès temporaire au fonds et de mise en place d’installations provisoires ;

• le cas échéant, les mesures prévisionnelles de remise en état du fonds voisin.

Il n’est pas exigé que cette convention soit établie par acte authentique et publiée au fichier immobilier.

3.Obligation d’information du propriétaire voisin

Avant tout commencement des travaux, le propriétaire du bâtiment à isoler doit notifier au propriétaire du fonds voisin, par lettre recommandée avec accusé de réception ou par acte d’huissier, son intention de réaliser un ouvrage d’isolation en surplomb de son fonds et du droit d’y accéder temporairement (CCH, art. L. 113-5-1, III et art. R. 113-19).

EN

1 CA Versailles 4e ch., 15 avril 2019, Avis n  17/01187 :

« Il est précisé que l’héberge se définit pour un mur mitoyen, dans le cas où les deux constructions sont de hauteurs différentes. Il s’agit de la délimitation entre : en dessous, la partie du mur qui sert de séparation entre les deux constructions et au-dessus, la partie du mur qui ne sert plus qu’à la construction la plus élevée. Par extension, cette dernière partie de mur est également appelée héberge. Il s’agit donc du niveau jusqu’où un mur est considéré comme mitoyen entre deux bâtiments contigus et de hauteur inégale ».

2 Se pose la question de savoir si les propriétaires des deux fonds pourraient conventionnellement s’accorder sur un droit de surplomb supérieur à 35 centimètres, alors que cette possibilité n’a pas été expressément prévue par les textes.

Cette notification doit comporter les éléments suivants : • les noms, prénoms, adresses postales et électroniques, et coordonnées téléphoniques du ou des propriétaires du bâtiment à isoler et, le cas échéant, ceux de son ou de ses représentants légaux ou statutaires ;

• un descriptif détaillé de l’ouvrage d’isolation thermique par l’extérieur, accompagné d’un plan des façades et, le cas échéant, des toitures modifiées par le projet, en faisant apparaître l’état initial et l’état futur ;

À SAVOIR

Lorsque le propriétaire du fonds surplombé a obtenu une autorisation administrative de construire en limite séparative ou en usant de ses droits mitoyens et que la mise en œuvre nécessite la dépose de l’ouvrage d’isolation, les frais de cette dépose incombent au propriétaire du bâtiment isolé. L’indemnité versée au propriétaire du fonds surplombé en contrepartie de l’exercice du droit de surplomb demeure acquise (CCH, art. L. 113-5-1, IV).

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SYNTHÈSE

RÉFÉRENCES

- Loi no 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets (JO 24 août 2021), art. 172.

- Décret n 2022-926 du 23 juin 2022 relatif au droit de surplomb pour l’isolation thermique par l’extérieur d’un bâtiment (JO 24 juin 2022).

- Code de la construction et de l’habitation : articles L. 113-5-1 et R. 113-19 à R. 113-24.

À SAVOIR

- Le droit de surplomb s’éteint par la destruction du bâtiment faisant l’objet des travaux d’isolation (CCH, art. L. 113-5-1, I)

• les justificatifs démontrant qu’aucune autre solution technique ne permet d’atteindre un niveau d’efficacité énergétique équivalent ou que, si une autre solution technique existe, celle-ci présente un coût ou une complexité excessifs ;

• une proposition relative au montant des indemnités dues en contrepartie du droit de surplomb et du droit d’accès et d’installations temporaires ;

• le projet d’acte authentique relatif à la mise en œuvre du droit de surplomb ;

• le projet de la convention organisant les modalités de mise en œuvre du droit d’accès temporaire au fonds voisin pour la réalisation des travaux ;

• une reproduction des dispositions de l’article L. 1135-1 du CCH.

En outre, cette notification doit préciser qu’elle constitue le point de départ du délai de six mois durant lequel le propriétaire du fonds voisin peut manifester son opposition aux travaux d’isolation en surplomb de son fonds (voir infra § 4).

Notifications complémentaires

En application de l’article R. 113-24 du CCH, le propriétaire du bâtiment à isoler devra notifier au propriétaire du fonds à surplomber, dès qu’il aura fait son choix, les noms, prénoms, adresses postales et électroniques, et coordonnées téléphoniques de la ou des personnes appelées à intervenir et, s’il s’agit d’une entreprise, le numéro d’inscription au répertoire des entreprises et des établissements de celle-ci, ainsi que le numéro de police de l’assurance décennale mentionnée à l’article L. 241-1 du Code des assurances. Il devra notifier également le numéro de police de l’assurance dommages-ouvrage mentionnée à l’article L. 242-1 du Code des assurances dès qu’il l’aura souscrite. Ces notifications complémentaires sont valablement faites par lettre recommandée avec accusé de réception ; elles sont sans incidence sur le point de départ du délai d’opposition de six mois dont bénéficie le propriétaire du fonds voisin.

4.Opposition du propriétaire du fonds voisin

En l’absence d’accord avec le propriétaire du bâtiment à isoler, l’article L. 113-5-1, III du CCH prévoit que le propriétaire du fonds voisin peut, dans un délai de six mois à compter de la notification qui lui a été adressée : • s’opposer à l’exercice du droit de surplomb de son fonds pour un motif légitime et sérieux tenant à l’usage présent ou futur de sa propriété, ou en cas de nonrespect des conditions d’exercice de ce droit ; • s’opposer au droit d’accès temporaire à son fonds et à la mise en place d’installations provisoires, mais

uniquement si la destination, la consistance ou la jouissance de son fonds en seraient affectées de manière durable ou excessive ;

• demander au juge de fixer des indemnités dues en contrepartie du droit de surplomb et du droit d’accès temporaire à son fonds.

Dans ce délai de six mois, le propriétaire du fonds à surplomber devra alors saisir le juge – en l’occurrence le président du tribunal judiciaire du lieu de situation de l’immeuble à surplomber –, lequel statuera selon la procédure accélérée au fond3

5.Réalisation des travaux

En application de l’article R. 113-23 du CCH, le propriétaire du bâtiment à isoler ne pourra réaliser les travaux d’isolation en surplomb du fonds voisin : • qu’après signature de l’acte authentique relatif aux modalités d’exercice du droit de surplomb et de la convention organisant les modalités de mise en œuvre du droit d’accès au fonds voisin et de mise en place des installations provisoires strictement nécessaires à la réalisation des travaux ; • ou, à défaut d’accord avec le propriétaire voisin, que s’il bénéficie d’une décision de justice devenue définitive. Dans ce cas, les travaux d’isolation en surplomb devront être mis en œuvre dans les conditions fixées par le juge. Dans tous les cas, les indemnités (conventionnelles ou, à défaut d’accord, fixées par le juge) dues au propriétaire du fonds voisin en contrepartie de l’exercice du droit de surplomb et du droit d’accès temporaire à son fonds devront lui être versées avant le commencement des travaux.

6.Absence de saisine du juge dans le délai de six mois

Dans l’hypothèse d’une absence de saisine du juge dans le délai de six mois, et bien que les textes ne le précisent pas, le propriétaire du fonds voisin devrait être considéré comme ayant accepté le projet d’acte authentique relatif au droit de surplomb de son fonds, le projet de convention organisant les modalités d’accès temporaire à son fonds et les propositions d’indemnisation. Le propriétaire du bâtiment à isoler devrait en principe être alors en droit de réaliser les travaux en surplomb du fonds voisin dans les conditions et selon les modalités notifiées en application de l’article L. 113-5-1, III du CCH.

Pascal Derrez, rédacteur juridique

3 Code de procédure civile, article 839.

L’article R. 113-22 du CCH a prévu une procédure particulière lorsque le syndicat de copropriétaires entend, par décision motivée :

• s’opposer à l’exercice du droit de surplomb de son fonds et du droit d’y accéder temporairement et d’y mettre en place les installations provisoires nécessaires à la réalisation des travaux ;

• ou, contester le montant des indemnités dues en contrepartie de l’exercice de ces droits.

Le syndic doit alors inscrire à l’ordre du jour d’une assemblée générale des copropriétaires :

• la question de la saisine du juge en opposition à l’exercice du droit de surplomb du fonds ou d’accès au fonds ;

• la question de la saisine du juge en fixation des indemnités. Les documents notifiés au syndicat des copropriétaires par le propriétaire du bâtiment à isoler doivent être joints à la convocation de l’assemblée générale appelée à se prononcer sur ces questions. Cette assemblée doit se tenir dans un délai qui préserve la faculté du syndicat des copropriétaires de saisir le juge dans le délai de six mois à compter de la notification prévue à l’article L. 113-5-1, III du CCH.

70 Septembre - Octobre 2022 • EN SYNTHÈSE
Cas où le fonds à surplomber est soumis au statut de la copropriété

Pour une reconnaissance légale des espaces de nature sauvage et du réensauvagement

Alors que la loi Climat et Résilience du 22 août 2021 fixe comme objectif zéro artificialisation nette des sols d’ici 2050, la stratégie nationale de la biodiversité et celle pour les aires protégées visent 10 % du territoire national sous protection forte. Cette volonté marque un tournant, car elle semble enfin considérer la protection de la biodiversité à un niveau plus juste, tant les atteintes à son encontre sont une catastrophe systémique, au même titre que le réchauffement climatique. Dans ce contexte, pourquoi nous semble-t-il nécessaire d’accorder plus de place aux espaces de nature sauvage, c’est-à-dire laissés en libre évolution ?

1.Quelles sont les caractéristiques de l’espace de nature sauvage ?

Il n’existe pas de définition universellement partagée de l’espace de nature sauvage. En anglais, le terme utilisé est wilderness. Il revêt une dimension spirituelle non traduisible en français.

Près d’une dizaine de définitions sont rapportées dans le rapport technique édité en 2013 par la Commission européenne, « Guidelines on Wilderness in Natura 2000 – Management of terrestrial wilderness and wild areas within Natura 2000 Network ».

Ces définitions ont néanmoins les points communs suivants :

- une empreinte humaine la plus réduite possible si gnifiant l’absence d’infrastructures ; - la non-intervention humaine dans les processus naturels dans des espaces néanmoins dynamiques pouvant être soumis à des perturbations, parfois pro fondes, d’ordre naturel ; - des espaces assez vastes et non fragmentés per mettant aux cycles naturels de bénéficier de leur plein équilibre et de l’ensemble de leurs fonctionnalités ; - des valeurs proprement humaines qui sont at tribuées à ces espaces, telles qu’une dimension spirituelle.

surer ses fonctionnalités et processus naturels. Il n’est pas modifié ou à la marge et sans intervention hu maine ajoutant ou retirant des éléments, sans supers tructures, infrastructures ou perturbations visuelles. »

Il faut comprendre par perturbation visuelle, une per turbation due à l’activité humaine. Le sauvage porte avec lui une qualité paysagère qui n’est pas forcément celle d’un beau paysage champêtre. Ce ne sera donc pas forcément un paysage beau aux yeux de certains, mais tout simplement sauvage, c’est-à-dire hors de tout impact humain direct.

La notion d’espèce endémique est, elle aussi, dis cutable : la nature étant toujours en mouvement, la nature originelle n’existant pas, comment définir une espèce endémique qui a émergé par la spéciation sur un territoire et ne se trouve que sur celui-ci ? Elle le sera un temps, à moins de considérer également une espèce endémique comme celle ayant élu domicile depuis des centaines d’années, même si elle n’était pas « originelle » de l’espace en question ? Il s’agira alors d’une espèce naturalisée à l’image du châtai gner en France qui, des reliefs arrosés du nord de la Méditerranée, de l’Italie, du sud des Balkans ou encore de la Corse, a colonisé, du fait de l’homme, la majeure partie de l’Europe occidentale et qui occupe une place prédominante dans nombre de nos forêts de feuillus.

POUR ALLER + LOIN Réensauvager les territoires

La définition adoptée par le rapport « Guidelines on wilderness in Natura 2000 » résume assez bien l’en semble de définitions existantes en précisant qu’« un espace de nature sauvage est un espace gouverné par des processus naturels. Il est composé d’habitats et d’espèces endémiques et est assez vaste pour as

Il est précisé également qu’un espace de nature sau vage doit être «  assez vaste pour assurer ses fonc tionnalités et processus naturels ». Il n’y a pas de définition précise liée à la surface minimale que doit recouvrir un espace pour être considéré comme sau vage : 5 000, 10 000 hectares ? Ou bien plus réduite pour protéger un élément spécifique, tel qu’un îlot de boisement en sénescence ?

La plupart des définitions s’accordent néanmoins sur de vastes espaces. L’idée défendue est que ces der niers puissent vivre en totale autonomie, avoir leur équilibre propre. En effet, plus un espace est vaste,

• Septembre - Octobre 2022 71 10 QUESTIONS SUR...
2.L’espace de nature sauvage tel que défini par les naturalistes et les écologues peut-il s’inscrire dans notre contexte français et ouest européen ?
Guillaume Porcheron Éditions du Moniteur Parution mars 2022

plus les cycles biologiques seront riches et en interac tion les uns avec les autres.

Cependant, un espace peut être considéré comme sauvage si l’empreinte de l’homme est la moins élevée possible, quelle que soit sa taille. Quelques hectares, voire beaucoup moins selon les taxons ou habitats considérés, peuvent donc constituer un écosys tème sauvage, car non perturbé directement (pré lèvements, constructions, extractions) par l’homme, ainsi que nous l’avons évoqué. Son équilibre ne sera cependant pas optimum du fait de sa surface trop réduite, mais il pourra être considéré comme sau vage par son degré de protection et s’il est relié idéa lement à d’autres espaces afin d’en assurer sa diver sité génétique.

Ainsi, les définitions données de l’espace de nature sauvage peuvent bien entendu exister en Europe et en France, mais elles ne semblent pas considérer les espaces à la pression anthropique plus forte et qui sont dominants en France et en Europe.

Nous pourrions ainsi considérer, et c’est la définition que nous proposons pour des pays urbanisés forte ment pourvus en infrastructures et assez densément peuplés comme la France, que les espaces de nature sauvage comme des espaces gouvernés par des pro cessus naturels, des espaces composés d’habitats et d’espèces non introduites par l’homme depuis un temps suffisamment long prouvant leur intégration non perturbatrice pour les écosystèmes locaux, des espaces assez vastes pour assurer leurs fonctionna lités et processus naturels comme des espaces plus réduits, s’ils sont protégés en conséquence, béné ficient d’un espace tampon, pensé comme un éco tone, et sont idéalement reliés à d’autres espaces à forte naturalité. Ces espaces ne sont modifiés, ou de façon très ponctuelle et marginale, par aucune inter vention humaine.

naturelle, car il peut faire l’objet d’une protection, tout comme il peut s’en dissocier, car un espace de na ture sauvage n’a pas forcément besoin de protection pour exister. Il peut être un site dans le sens où il est l’expression d’un territoire, mais il n’est pas un site au sens du Code de l’environnement. Il est une com posante du paysage qui est lui-même une projection humaine.

L’espace de nature sauvage recouvre une part de ces concepts, mais l’addition de ces concepts ne fait pas un espace de nature sauvage. Celui-ci est donc un « objet » à part entière.

4.Qu’est-ce que la libre évolution ?

Le concept de libre évolution est encore mal défini et relativement absent des publications scientifiques alors que ses « vertus » sont de plus en plus débattues par les naturalistes et les écologues. Le monde asso ciatif s’empare du sujet, une forte dynamique pousse pour leur accroissement et leur reconnaissance. Nous pouvons néanmoins en définir les grandes lignes. Un espace laissé en libre évolution est un espace sans intervention humaine, c’est-à-dire sans gestion, pré lèvement ou construction. Il n’y a donc aucune in tervention humaine dans les processus évolutifs. Un espace laissé en libre évolution peut donc être consi déré comme un espace de nature sauvage au sens de l’absence de toute intervention humaine, même s’il n’en aura pas sa pleine naturalité, car son processus évolutif ne sera peut-être pas pleinement accompli. Il est le contraire de la gestion qui va maintenir un mi lieu spécifique pour ses caractéristiques écologiques.

5.Quels sont les intérêts de la libre évolution ?

Laisser faire les processus naturels c’est tendre vers plus de naturalité, vers des espaces de nature sauvage.

Au niveau planétaire, les vieilles forêts qui ne sont pas exploitées constituent de véritables puits de carbone.

Outre sa pluralité de définitions, il est à noter que l’es pace de nature sauvage n’a aucune reconnaissance légale : il n’est pas défini dans les Codes de l’urba nisme et de l’environnement.

Pouvons-nous alors les rattacher aux « espaces natu rels » ? Même si le livre III du Code de l’environne ment leur est consacré, il ne les définit pas, mais les catégorise par milieu (Titre II : Littoral), par typolo gie de préservation (Titre III : Parcs et réserves, Titre IV : Sites), par fonction (Titre V : Paysages, Titre VII : Trame verte et bleue) ou encore par usages (Titre VI : Accès à la nature). Rien n’est précisé sur le degré de naturalité de l’espace naturel.

L’espace de nature sauvage n’ayant pas de recon naissance légale, il était tentant de le rattacher à des espaces eux-mêmes définis.

Il est un espace naturel, assurément, mais celui-ci n’est pas lui-même défini et recouvre une acception tellement large que s’y référer ne permet pas d’en révéler son particularisme. Il peut être une réserve

En effet, plus une forêt vieillit naturellement, plus sa biomasse est importante. En devenant un puits de carbone, la forêt constitue un frein au réchauffement climatique. Outre le fait que les plus grands arbres sont les plus efficaces pour stocker le dioxyde de car bone, les vieilles forêts stockent le gaz carbonique aussi dans le bois mort et dans les sols, où se trouve la moitié du carbone des forêts. Les tourbières et les zones humides non perturbées par les activités hu maines ont également une capacité de stockage du carbone très importante.

À un niveau plus local, les vieilles forêts, plus que les forêts jeunes et exploitées dont le cycle est réguliè rement interrompu, sont de véritables filtres à air à même de réduire les concentrations de monoxyde de carbone, de plomb, d’ozone, de poussière, de parti cules fines, etc.

Ces vieilles forêts et les zones humides sont éga lement des purificateurs d’eau très efficaces. Ces dernières piègent par exemple les matières en sus

72 Septembre - Octobre 2022 • 10 QUESTIONS SUR...
3.Comment le droit appréhende la notion d’espace de nature sauvage ?

pension dans l’eau et favorisent leur sédimentation. Certains polluants sont également captés et emmaga sinés dans le substrat et le réseau racinaire enfoui, ce qui augmente par exemple la qualité de l’eau. De même, le système racinaire très développé des forêts âgées est plus efficace contre les inondations, tout comme il est plus à même de lutter contre la sé cheresse. Une vieille forêt enchevêtrée avec une forte diversité d’arbres sera bien plus humide qu’une forêt de culture et moins sensible aux incendies de forêt.

Au-delà de ces considérations, les espaces en libre évolution sont d’incontestables réservoirs de biodi versité, car, selon la taille de l’espace considéré, toute une chaîne trophique va se constituer.

7.L’espace de nature sauvage a-t-il sa place en ville ?

Un espace de nature sauvage est un espace de pleine naturalité qui englobe la flore, la faune, les habitats et les interactions entre tous ces éléments, qui consti tuent un écosystème.

La notion d’écosystème regroupe toutes les échelles : de la flaque d’eau à la Terre, en passant par la prairie ou la forêt. Chacun constitue un écosystème à part entière.

Un espace de nature sauvage peut représenter un écosystème en soi comme des étendues herbacées ou des zones humides, etc., mais aussi une multipli cité d’écosystèmes réunis dans un espace défini. Il y a donc potentiellement un espace de nature sauvage partout y compris en ville.

Le décret n° 2022-527 du 12 avril 2022 pris en appli cation de l’article L 110-4 du Code de l’environnement définit la notion de protection forte et les modalités de la mise en œuvre de ce type de protection.

L’article 1 dispose qu’« est reconnue comme zone de protection forte, une zone géographique dans la quelle les pressions engendrées par les activités hu maines susceptibles de compromettre la conserva tion des enjeux écologiques sont absentes, évitées, supprimées ou fortement limitées, et ce de manière pérenne, grâce à la mise en œuvre d’une protection foncière ou d’une réglementation adaptée, associée à un contrôle effectif des activités concernées. »

Les articles 2 et 3 mentionnent les zones reconnues comme de protection forte terrestres (article 2) et ma ritimes (article 3). Il s’agit par exemple des cœurs de parcs nationaux (article L. 331-1 du Code de l’envi ronnement), des réserves naturelles (article L. 332-1 du même code) ou encore des arrêtés de protection pris en application des articles L. 411-1 et L. 411-2 du même code. Les espaces terrestres ou maritimes pré sentant des enjeux écologiques d’importance peuvent également être reconnus comme zones de protection forte, sur la base d’une analyse au cas par cas.

Pour les parties terrestres tout du moins, il s’agit de zones qui font l’objet de plans de gestion telles que les réserves naturelles classées qui visent comme le prévoit l’article L. 332-1 du Code de l’environnement « à la préservation d’espèces animales ou végétales et d’habitats en voie de disparition sur tout ou partie du territoire national ou présentant des qualités remar quables », ou encore à « la reconstitution de popu lations animales ou végétales ou de leurs habitats ». Il en est de même des espaces faisant l’objet d’une analyse au cas par cas qui se fera sur la base d’un document de gestion.

Pour tous ces espaces, hormis peut-être les réserves biologiques intégrales gérées par l’Office national des forêts, il s’agit de conserver tel ou tel type de milieu et les espèces qui y sont inféodées, à travers un plan de gestion. Il ne s’agit pas de libre évolution.

Cet espace n’aura bien sûr pas les mêmes fonctionna lités selon sa taille. Plus il sera petit, plus son nombre d’espèces inféodées sera réduit, mais il peut être riche de plantes sauvages et d’insectes puis d’oiseaux et de quelques petits mammifères ou de batraciens si c’est une zone humide. Plus il sera grand, plus la chaîne trophique le sera. Il ne faut pas oublier qu’un espace de nature sauvage (nous pourrions qualifier ces es paces réduits de « pastilles de nature sauvage ») peut évoluer de quelques ares à quelques mètres carrés, tout dépend des taxons visés.

Ce qui compte également, c’est la diversité des mi lieux et leurs interactions sans entraves. L’espace de nature sauvage peut se penser en complément avec d’autres espaces. Ainsi, imbriqué dans une variété d’espaces plus ou moins anthropiques, il ferait office de réservoir de biodiversité. Et c’est pour cela qu’il a toute sa place en ville même s’il n’aura bien sûr pas toutes les fonctionnalités optimales liées aux grands espaces.

8.Comment favoriser l’expansion des espaces de nature sauvage ?

Le réensauvagement est un processus visant à laisser ou à accompagner un espace vers un état plus sau vage. Ce processus peut passer par de nombreuses phases en fonction de son état initial. Il peut s’appa renter à de la libre évolution (passive rewilding), car sans aucune intervention humaine.

Complémentaire des démarches de conservation qui visent à maintenir une flore, une faune ou un habitat spécifique, le réensauvagement est tout simplement une reconquête de la nature par elle-même, en libre évolution totale ou accompagnée.

Le réensauvagement peut être accompagné au dé but du processus, par exemple par la réhabilitation des sols s’ils sont très dégradés, par la lutte contre les espèces envahissantes ou par la réintroduction d’espèces pionnières, voire d’espèces-clés de voûte (trophic rewilding).

Généralement pensé sur de vastes espaces, il peut être mis en œuvre en milieu périurbain et même urbain.

• Septembre - Octobre 2022 73 10 QUESTIONS SUR...
6.Pourquoi le décret du 12 avril 2022 ne permettra pas d’augmenter la superficie des espaces laissés en libre évolution ?

Les friches urbaines, comme des interstices entre deux hangars inoccupés ou pas, des parcelles abandonnées bâties ou non, ou encore des délaissés routiers, etc., peuvent donner lieu à des opérations de réensauvagement plus ou moins guidées selon le niveau de dégradation des sols ou encore par la présence de plantes envahissantes, à condition que d’être accompagnées et explicitées.

Un processus de réensauvagement dans un endroit mal défini et laissant un sentiment d’abandon ne fera que renforcer ce sentiment.

Alors que le cœur d’îlot sera, une fois nettoyé et en partie réhabilité si l’état de dégradation le réclame, laissé en libre évolution. Il s’agira d’avoir une gestion paysagère de ses pourtours. Nous entendons par gestion le fait que les franges, marges ou pourtours soient jardinés pour donner l’impression d’espaces bien entretenus.

Les scories telles que les plots de béton, les glissières et les grillages seront bien entendu supprimées. De même, les endroits détériorés comme les trottoirs défoncés ou un portail abîmé seront refaits.

Cet espace requalifié selon ce principe redonnera une structure, un peu de qualité paysagère à cet interland.

Il pourra devenir un repère comme une place ou un bâtiment remarquable peut l’être.

De même, un espace laissé en libre évolution, mais nettoyé, requalifié, replanté et entretenu sur ses franges reste un espace qualitatif qui peut être pensé en transition.

Il pourra toujours faire l’objet d’un nouveau programme dans le futur. Rien de tel qu’un espace « sauvage transitionnel » pour cela. C’est un aménagement à moindre coût qui pourra faire l’objet de nouveaux aménagements ultérieurs. Enfin, si le processus de libre évolution suit son cours, ce sera un îlot de biodiversité qui se constituera pour certaines espèces.

nisme, au même titre que les espaces naturels sensibles. Ce serait une étape importante vers une prise en considération dans les politiques d’aménagement du territoire.

Le Code de l’environnement ne définit pas les espaces naturels. Le livre III leur est consacré en les classant, mais sans en donner de définition. Il manque, selon nous, un titre consacré à la nature du site, c’est-à-dire catégorisé par degré d’anthropisation ou de gestion. L’espace de nature sauvage y aurait donc toute sa place. Sa singularité est telle que, comme le titre II exclusivement consacré au littoral alors que ce n’est qu’un milieu parmi d’autres, seul l’espace de nature sauvage pourrait être traité. En effet, il est difficile de classer les espaces selon leur mode de gestion. Comment en déterminer le degré ? Catégorisé, défini, l’espace de nature sauvage peut l’être.

Un titre VIII pourrait ainsi être consacré aux espaces de nature sauvage. Un premier article en donnerait la définition, les articles suivants seraient consacrés à leur modalité de création et aux degrés de protection éventuels. Notons cependant que l’espace de nature sauvage peut exister et existe d’ailleurs sans reconnaissance juridique. Son mode de gestion, ou plutôt d’absence de mode de gestion, définit en quelque sorte son degré de protection.

Dans le Code de l’urbanisme, l’espace de nature sauvage, étant lui-même un espace protégé par son statut, pourrait être intégré dans une nouvelle section du livre I « Réglementation de l’urbanisme » de la partie législative ou réglementaire, au chapitre III du titre 1er consacré aux « espaces protégés ». Celui-ci serait intégré à la suite des « espaces boisés », des « espaces naturels sensibles », des « espaces agricoles et naturels périurbains » et des « espaces de continuités écologiques ».

Nous le voyons, même si des actions de réensauvagement peuvent être entreprises sans cela, une définition partagée et une reconnaissance légale de l’espace de nature sauvage seraient une avancée majeure pour sa prise en compte dans les politiques d’aménagement. Cette reconnaissance est également souhaitable pour le réensauvagement.

Afin que les espaces de nature sauvage aient une légalité, il est nécessaire de les définir. À la suite de cela, ils pourraient être intégrés, comme le principe de réensauvagement, avec toutes leurs spécificités, dans les Code de l’environnement et Code de l’urba-

Guillaume Porcheron, chef de projet Petites villes de demain

74 Septembre - Octobre 2022 • 10 QUESTIONS SUR...
9.Comment et pourquoi penser le réensauvagement dans un contexte urbain ?
10.Quelle qualification de l’espace de nature sauvage dans les Codes de l’environnement et de l’urbanisme ?

Vientdeparaître

Conception

BOUTIQUE

Réemploi, architecture et construction

Comprendre le réemploi à toutes les étapes d’un projet de construction Cet ouvrage, théorique et pratique, présente les méthodes du réemploi, la circulation des ressources, et en définit les notions fondamentales. Il précise ses implications dans les processus de conception et de construction. Des exemples d’opérations et des études de cas proposent un panel significatif des démarches et des perspectives induites par des pratiques professionnelles, contemporaines ou plus anciennes.

EXTRAIT DU SOMMAIRE :

I. RÉEMPLOYER TOUT OU PARTIE D’UN ÉDIFICE ? AVANT DE DÉMOLIR

• Réemployer, tout ou partie ?

• Démolir, et après ? Une brève histoire du réemploi

II. LE RÉEMPLOI, ENTRE RÉUTILISATION ET RECYCLAGE, ENTRE PRODUIT ET DÉCHET

• Définitions, terminologie : entre réutilisation, réemploi et recyclage

• Les ressources : entre produits et déchets

• L’évolution réglementaire récente

III. IDENTIFIER LA RESSOURCE : D’INVENTAIRES EN DIAGNOSTICS, DU DIAGNOSTIC-DÉCHETS AU DIAGNOSTIC-RÉEMPLOI

• « Inventaire » ou « diagnostics » ? Des finalités, des méthodes et des pratiques variées

• Le diagnostic-ressources, un premier pas vers le réemploi

• Quelques acteurs du diagnostic

• Le numérique au service du diagnostic-ressources : perfectionner les outils, jusqu’où ?

• Un inventaire, et après ? L’exemple de la cité de l’Abbaye à Grenoble

IV. FAIRE CIRCULER LES RESSOURCES : OPÉRATIONS ET OPÉRATEURS, FILIÈRES, PLATEFORMES, RÉSEAUX…

• Entres fournitures, fournisseurs et utilisateurs : une chaîne à inventer

• Fournitures et fournisseurs : logiques d’opportunité

Plateformes physique et numériques

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NOUVEAUTÉ Pierre Belli-Riz Septembre 2022 224 pages - 21 × 27 cm 55 € Réf. 114593

Urbanisme et environnement

Suppression du degré d’appel : prolongation et extension du dispositif à certains contentieux en urbanisme 12

Installations photovoltaïques : allègement des procédures environnementales 12

Dématérialisation de la procédure de déclaration au titre de la loi sur l’eau 13

Arrêté de péril et obligation de relogement de la commune 18

Le bailleur d’un local commercial construit sans permis de construire manque à son obligation de délivrance 21

Réforme des destinations et autorisations d’urbanisme : entrée en vigueur des dispositions de l’article R. 421-14 du Code de l’urbanisme 22

Le réemploi, entre histoire et actualité : une chaîne de production à développer 29

Construction

Modalités de mise en œuvre du droit de surplomb 13

Règles de construction parasismique : de la forme du spectre de réponse élastique 14

Modalités de fonctionnement du dispositif Mon Accompagnateur Rénov’ 15

Construire en réemployant des matériaux de construction 28

Réemploi des matériaux de construction : le nouveau cadre réglementaire 34

Balade immersive dans les filières du réemploi 37

Agir pour le réemploi : initiatives publiques dans la métropole grenobloise 47

REP Bâtiment : publication de l’arrêté portant cahier des charges des éco-organismes 50

Le réemploi de matériaux, nos bâtiments d’aujourd’hui, futurs gisements de demain ! 53

Assurance des matériaux de construction issus du réemploi : pistes de réflexion 56

L’assistant à maîtrise d’ouvrage réemploi, le garant d’une opération d’économie circulaire réussie ! 59

Matériaux de construction : le réemploi, mode d’emploi ! 62

Le droit de surplomb pour l’isolation thermique par l’extérieur d’un bâtiment 69

Vente et contrats spéciaux

Réforme du droit des contrats spéciaux

Publication du décret d’application du volet « commande publique » de la Loi Climat et Résilience

Réédition des DPE : conditions d’éligibilité à l’aide exceptionnelle de 60 euros

Travaux de rénovation énergétique : le régime de l’accord tacite du bailleur étendu

Le sort des « loyers Covid » fixé par trois arrêts de la Cour de cassation rendus le même jour

La recherche d’économies peut constituer un motif légitime de résiliation d’un marché de travaux

Quand la réitération est une condition de formation de la vente, son absence rend la promesse caduque

Communication à un tiers, par le mandataire de maîtrise d’ouvrage, de documents administratifs pris dans le cadre de son mandat

Garantie des vices cachés et chaîne de contrats translative de propriété : un couple traditionnel et innovant

Gestion

Le bail à l’épreuve du décret tertiaire

Financement

Conditions d’octroi de crédits immobiliers

Le recours subrogatoire de la caution soumis aux règles applicables à l’action du créancier contre le débiteur

Plates-formes de matériaux : quel modèle pour allier équilibre économique et valeurs du réemploi

Fiscalité

Suramortissement fiscal des investissements de transformation numérique des entreprises

Mesures d’accompagnement des entreprises du bâtiment dans le cadre du projet de loi de finances pour 2022

SOMMAIRE THÉMATIQUE
................................... 10
15
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17
.......................... 20
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23
......................................................................... 24
25
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18
............. 19 N° 148 Septembre - Octobre 2022

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