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Jurisprudence L’indispensable précision du mémoire en réclamation
from RMPoctobre2021
Un mémoire du titulaire d’un marché de travaux ne peut être regardé comme une réclamation que s’il comporte l’énoncé d’un différend et expose, de façon précise et détaillée, les chefs de la contestation. Tel n’est pas le cas lorsque le titulaire se borne, pour ces éléments, à se référer à un document antérieur sans le joindre à son mémoire. C’est ce qui ressort d’une décision du Conseil d’État du 27 septembre 2021.
La commune de Bobigny avait confié à la société A. la réalisation des « réseaux scénographiques » dans le cadre de la restructuration de la maison de la culture MC 93, pour un montant de 1 139 620,98 euros. À la suite de retards et de difficultés dans l’exécution des travaux, ladite société avait, par courrier, adressé à la commune une demande de rémunération complémentaire.
Contestation du décompte général La commune de Bobigny lui avait alors, par deux courriers successifs, notifié deux projets de décomptes généraux du marché. La société avait par la suite contesté le décompte général du marché. La collectivité n’ayant pas donné suite à cette lettre, la société avait saisi le tribunal administratif (TA) d’une demande tendant à la condamnation de la commune à lui verser une somme de 1 263 441,85 euros, augmentée des intérêts moratoires et de la capitalisation des intérêts. Mais, par un jugement du 31 octobre 2019, le TA de Montreuil avait rejeté la demande de la société et, par un arrêt du 15 juin 2020, la cour administrative d’appel (CAA) de Versailles avait rejeté l’appel formé par la société requérante contre ce jugement. Le Conseil d’État était donc saisi en cassation (1). La haute juridiction a rappelé les stipulations de l’article 50 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux (CCAG-Travaux) relatif au mémoire en réclamation : « Si un différend survient entre le titulaire et le maître d’œuvre, sous la forme de réserves faites à un ordre de service ou sous toute autre forme, ou entre le titulaire et le représentant du pouvoir adjudicateur, le titulaire rédige un mémoire en réclamation ».
Règles du mémoire en réclamation Dans ce mémoire, le titulaire doit exposer les motifs de son différend en indiquant « le cas échéant », les montants de ses réclamations. Ce document est transmis au représentant du pouvoir adjudicateur et une copie est adressée au maître d’œuvre. Il doit enfin reprendre, sous peine de forclusion, les réclamations formulées antérieurement à la notification du décompte général et qui n’ont pas fait l’objet d’un règlement définitif. La haute juridiction pose une règle importante qui conditionne désormais la validité d’un tel mémoire en réclamation : « Un mémoire du titulaire du marché ne peut être regardé comme une réclamation au sens des stipulations précitées que s’il comporte l’énoncé d’un différend et expose, de façon précise et détaillée, les chefs de la contestation ». À cet égard, il doit indiquer les montants des sommes dont le paiement est demandé et les motifs de ces demandes, notamment les bases de calcul des sommes réclamées. « Si ces éléments ainsi que les justifications nécessaires peuvent figurer dans un document joint au mémoire, celui-ci ne peut pas être regardé comme une réclamation lorsque le titulaire se borne à se référer à un document antérieurement transmis au représentant du pouvoir adjudicateur ou au maître d’œuvre sans le joindre à son mémoire. » En d’autres termes, un mémoire en réclamation doit être précis dans les montants sollicités et exposer clairement les motifs de cette réclamation. Le titulaire du marché ne peut se référer à des courriers précédemment envoyés soit au maître d’ouvrage soit au maître d’œuvre que si l’ensemble de ces documents est joint en annexe au mémoire en réclamation. Cette exigence – nouvelle – est dictée par des considérations de sérieux et de rigueur. Parfois, les courriers se suivent mais ne se ressemblent pas dans les montants qui peuvent varier. Il en va de même pour les chefs de réclamation et les griefs adressés au maître d’ouvrage. Il est donc nécessaire de cristalliser le différend afin que le maître d’ouvrage soit en situation d’examiner la réclamation au moment où ce mémoire est envoyé. Il se peut aussi que des courriers se perdent et ne se recoupent pas forcément. Pour le Conseil d’État, la CAA de Versailles n’a pas entaché son arrêt d’une erreur de droit en jugeant que la lettre de la société A., laquelle exposait l’un des motifs de sa contestation par référence à un courrier antérieur qui n’était pas joint à son envoi, ne pouvait être regardée comme remplissant les exigences énoncées à l’article 50.1.1 du CCAG Travaux. Les juges du fond avaient aussi estimé, par une appréciation souveraine « non arguée de dénaturation », que l’un des courriers de la société n’exposait aucun des chefs de sa contestation avec une précision suffisante. Il est donc tout aussi nécessaire que les pièces jointes au mémoire en réclamation soient suffisamment précises afin d’appuyer la démonstration de la société et puissent servir de base à la demande d’indemnisation auprès du maître d’ouvrage.
Distinction entre concession et marché public
Le contrat portant sur l’enlèvement de véhicules abandonnés en fourrière a le caractère d’une concession de service, dès lors que le titulaire est rémunéré par le droit d’exploiter ces véhicules et que lui est transféré le risque inhérent à cette exploitation. En l’espèce, la ville de Paris a lancé une consultation sous forme d’appel d’offres ouvert pour l’attribution de deux contrats relatifs au retrait et à la destruction des véhicules abandonnés. Deux candidats évincés ont saisi le tribunal administratif. Le Conseil d’État rappelle la distinction entre contrat de la commande publique et contrat de concession. L’article L.2 du code de la commande publique (CCP) rappelle la définition des contrats de la commande publique. L’article L.1121-1 du même code définit le contrat de concession. Au regard des définitions du CCP, le Conseil d’État relève que les contrats litigieux comportent les caractéristiques suivantes : le contrat confie au titulaire l’enlèvement des véhicules abandonnés dans les parcs de fourrière placés sous sa responsabilité. La fréquence et le volume des enlèvements auxquels le titulaire s’engage à procéder sont fixés par les stipulations du contrat. Le service ainsi rendu par les entreprises de démolition automobile cocontractantes ne fait l’objet d’aucune rémunération sous la forme d’un prix. Aucune stipulation de ces conventions ne prévoit par ailleurs de compensation, par la ville, des éventuelles pertes financières que pourrait subir son cocontractant du fait des risques inhérents à l’exploitation commerciale des produits issus de ces enlèvements. Le titulaire tire donc sa rémunération des accessoires, pièces détachées et matières ayant une valeur marchande issus des véhicules abandonnés enlevés et mis en fourrière. Il en découle que, « dans ces conditions, ces conventions, qui prévoient que la rémunération du service rendu prend la forme du droit d’exploiter les véhicules abandonnés et qui transfèrent à leurs titulaires le risque inhérent à cette exploitation, présentent le caractère de concessions de service ». La procédure de passation ainsi que l’attribution des contrats litigieux, ainsi requalifiés en contrat de concession de service, devraient respecter les dispositions des articles L.3124-4 et R.3124-4 du CCP.
Conseil d’État, 9 juin 2021, n° 448948.
Critère de transfert du risque et qualification du contrat
© Florian Pépellin-Wikimedia
Dans un arrêt du 18 juin 2021, le Conseil d’État est venu préciser que l’autorité concédante n’avait pas l’obligation de prendre en compte, dans sa méthode de notation, les éléments de rémunération variable du futur concessionnaire. En l’espèce, le département de la Haute-Savoie a lancé une passation pour attribuer une concession de service public portant sur la gestion, l’exploitation et le développement de l’aéroport d’Annecy-Meythet, d’une durée de quinze ans à compter du 1er janvier 2021. La collectivité a organisé des sessions de négociations avec deux candidats. L’entreprise, qui n’a pas été retenue par la suite, conteste la décision. Elle obtient gain de cause en partie devant la justice : la procédure est annulée au stade de l’examen des offres finales. Après une nouvelle analyse par le département, qui conduit à une éviction de la société, cette dernière forme de nouveau un recours en référé précontractuel. En référé précontractuel, le juge avait annulé la procédure de passation d’un contrat de concession au motif que l’acheteur avait utilisé une méthode de notation illégale qui ne prenait pas en compte des éléments de rémunération variables de l’évaluation du coût global de la concession. Selon le Conseil d’État, les éléments de rémunération variables étaient des « éléments prospectifs, dénués de portée contraignante ». Le département, en ne les prenant pas en compte, n’a donc pas méconnu le règlement de la consultation, mais s’est borné à porter une appréciation sur la valeur des offres. Une méthode de notation du critère du coût, excluant du calcul les éléments variables prospectifs, dénués de portée contraignante, est donc parfaitement utilisable par l’acheteur. En outre, le Conseil d’État précise que dès lors que le pouvoir adjudicateur n’a ni prévu dans le règlement de la consultation ni annoncé aux concurrents qu’il mettrait en œuvre une méthode de notation particulière sur les critères d’attribution, rien ne s’oppose à ce qu’il mette en œuvre une nouvelle méthode de notation après que le juge des référés a annulé la procédure au stade de l’analyse des offres.
Conseil d’État, 18 juin 2021, n° 450869.