COLLECTION LES LEXIQUES
N°20
LES MOTS DE LA VÉRITÉ Dirigé par Éric Cobast
CAHIERS MÉTHODOLOGIQUES POUR LES CLASSES PRÉPARATOIRES AUX GRANDES ÉCOLES DE COMMERCE
INSEEC-BS.COM
AVANT-PROPOS PAR JACQUES CHANIOL, DIRECTEUR D’INSEEC BUSINESS SCHOOL PARIS-BORDEAUX-CHAMBÉRY Depuis longtemps, le Groupe INSEEC accompagne les élèves des classes préparatoires aux grandes écoles de commerce en diffusant dans les établissements des outils méthodologiques (mémentos, lexiques), en proposant une gamme de conférences, qui, en marge du thème de culture et sciences humaines retenu pour l’année, offre à l’auditoire des applications parfois inattendues, mais toujours originales, de la réflexion menée dans le cadre des cours. C’est bien sûr, pour nous, une occasion de faire connaître notre école et la richesse de nos programmes aux préparationnaires, mais c’est aussi une manière d’affirmer ce qui a toujours été, à l’INSEEC Business School une valeur, une identité, la conviction que la culture générale doit jouer un rôle prépondérant dans la formation des futurs entrepreneurs, des futurs managers, de tous les prochains acteurs de notre vie économique. Nous poursuivons donc cette année avec un large choix de conférences, dont celle que propose Éric Cobast sur la Vérité en peinture : « Ce que dévoile une toile » ; et ce lexique des Mots de la Vérité, 100 mots pour s’approcher au plus près de la Vérité, pour affiner l’analyse des énoncés, redynamiser une argumentation, ménager une transition ou encore, en conclusion, inventer une pointe. Un MOOC complète cette année ce dispositif : plus de quatre heures de cours pour réviser sur cinq semaines les principaux points à retenir, travailler les problématiques délicates développées en cours et mémoriser les références utiles. En espérant répondre ainsi à vos aspirations et dans l’attente peut-être de vous retrouver sur l’un de nos campus, je vous souhaite une belle année d’études, avec à la clé la réussite que vous méritez.
LES MOTS DE LA VÉRITÉ
LES MOTS DE LA VÉRITÉ Par Éric Cobast Professeur agrégé de l’université Conseiller spécial pour la recherche et les productions académiques au sein du Groupe INSEEC Titulaire de la chaire de philosophie à INSEEC Business School
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LES MOTS DE LA VÉRITÉ
SOMMAIRE AVANT-PROPOS : Du bon usage d’un lexique.................................................................................4 LA VÉRITÉ D’UN MOT...................................................................................5 PREMIÈRE PARTIE : Les mots du Vrai...................................................................................................7 DEUXIÈME PARTIE : Les mots du Faux...............................................................................................16 TROISIÈME PARTIE : Noms propres et lieux communs de la Vérité et du Mensonge..........................................................................29 BIBLIOGRAPHIE UTILE................................................................................36
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AVANT-PROPOS : DU BON USAGE D’UN LEXIQUE “Définir”, c’est toujours ce par quoi commence le Socrate que Platon met en scène dans ses dialogues. Sans délimiter avec précision le sens des mots, comment s’entendre ? Sans débuter par cet accord contractuel sur le langage, comment parvenir à penser ensemble ? À dialoguer enfin ? Or, rien n’est moins simple. Circonscrire la surface sémantique d’une notion réclame souvent bien davantage qu’un simple dictionnaire. Il faut certes aller à l’usage mais aussi à la source même de la formation du terme. Or si l’étymologie ne dit pas nécessairement – et contrairement à ce qu’elle annonce – la Vérité d’un mot, elle en indique la pente, elle en découvre “l’arrière-goût” souvent indispensable à l’appréciation connotative. Bref, il est utile de maîtriser le sens des mots du champ notionnel dans lequel on travaille, ne serait-ce que pour analyser correctement les énoncés des sujets proposés, cerner avec justesse les enjeux des textes dont la lecture et l’étude sont conseillées, pour argumenter enfin sans craindre l’imprécision. Cela passe nécessairement par une étude lexicale et notionnelle à l’occasion de laquelle on peut déjà suggérer une miseen-problème, un début de questionnement, un commencement de réflexion. C’est dire que chacune des entrées proposées est conçue à la fois comme une définition précise de la notion citée et comme un premier exercice de problématisation. On trouvera souvent également en appui une citation qui amorce une première argumentation. L’ambition de ce petit lexique est donc de fournir des informations nécessaires mais aussi d’inciter déjà à la réflexion, d’apporter les définitions attendues mais également de surprendre parfois à l’occasion d’une entrée plus originale.
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LES MOTS DE LA VÉRITÉ
LA VÉRITÉ D’UN MOT « …Quand on enferme la Vérité sous terre, elle s’y amasse, elle y prend une force telle d’explosion, que, le jour où elle éclate, elle fait tout sauter avec elle. » Tels sont quasiment les derniers mots sur lesquels Émile Zola achève son célèbre réquisitoire publié à la Une du quotidien L’Aurore, le 13 janvier 1898, sous le titre « J’accuse… » Cette lettre ouverte au Président de la République, Félix Faure, vise à dénoncer l’injustice et l’erreur judiciaire dont Alfred Dreyfus est, depuis 1894, la victime. L’innocence de Dreyfus, la Vérité enfin reconnue, prophétise Zola, éclateront comme une bombe, une bombe qui fera voler en éclats le mensonge d’État. Zola n’invente pas, bien sûr, la métaphore, il se l’approprie : depuis longtemps déjà la langue nous parle de “faire éclater la Vérité”. La Vérité dynamite les faux-semblants, les préjugés, les apparences trompeuses en même temps qu’elle “éclate” en un feu d’artifice. « … Elle fait tout sauter avec elle… », écrit Zola. Cette dramatisation de la Vérité et la violence destructrice qui en accompagne la révélation gagnent en intensité dans le cadre du prétoire, théâtre où se joue précisément la tragédie des faux-semblants mais elle opère aussi dans le contexte de l’enquête, de la recherche de ce qui vraiment a eu lieu, de l’identité d’un criminel. À l’exemple historique de l’Affaire Dreyfus, on pourrait substituer la catastrophe sur laquelle s’achève Œdipe Roi de Sophocle : la Vérité brûle la conscience d’Œdipe qui se crève les yeux de désespoir, comme pour ne plus avoir à en supporter l’éclat. Dans les deux cas, la Vérité est une révélation, un dévoilement, le dévoilement de ce qui est. C’est d’ailleurs ainsi que les Grecs la pensent, cette Vérité, à la fois dans ce mouvement de découverte, quelque chose est caché, dissimulé, recouvert et dans ce qui se révèle alors une fois le voile levé, la surface lisse et cosmétique des apparences déchirée. C’est ce qui est, la Vérité.
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Le Vrai s’impose une fois violence faite au Faux, en quelque sorte. Ce qui nous rappelle d’une part que la Vérité n’est pas immédiate, qu’elle n’est pas donnée, qu’il faut peiner pour l’appréhender, qu’elle fait l’objet d’une quête, d’une recherche douloureuse : Zola y perdra le confort douillet de son existence bourgeoise - il lui faut s’exiler en Angleterre entre deux procès, il finira même par y perdre peutêtre la vie (les éléments troublants qui entourent sa mort peuvent laisser croire à un assassinat) - Quant à Œdipe… Et puis d’autre part, tout cela nous rappelle aussi que le moment de Vérité vient “après-coup”, dans un deuxième temps, comme si d’abord il y avait quelque chose qui l’empêchait, comme si notre nature nous attachait par principe à l’illusion, à l’erreur, au préjugé, et au mensonge… comme si notre esprit n’était pas fait pour la Vérité, comme si se dressait entre notre aspiration au Vrai et la Vérité l’obstacle de notre propre nature, celui de nos sens, de notre opinion. La Vérité, dans le contexte précis des exemples qui précèdent, est annoncé à l’occasion d’un jugement, celui d’un tribunal ou bien celui d’un homme qui assemble contre luimême des preuves. Dans les deux cas, la Vérité consiste en un jugement vrai sur ce qui s’est passé, les “fuites” de l’état-major français, la mort du vieux Roi Laïos. L’innocence de Dreyfus et la culpabilité d’Œdipe sont des faits, des réalités. La Vérité, elle, s’établit à travers un discours sur ces réalités conformes à ces mêmes réalités. « Il n’y a du vrai ou du faux que dans les jugements. », dit Aristote. Au fond, la Vérité est une conformité, ce que l’on appellera bientôt une adéquation entre ce qui est pensé et ce qui est réel. Cette conformité associe les choses et l’intellect, on parlera alors de Vérité matérielle. Ou bien il s’agit d’une conformité entre un jugement et les règles de la logique, indépendamment de toute réalité. On parlera alors de Vérité formelle.
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LES MOTS DE LA VÉRITÉ
PREMIÈRE PARTIE : LES MOTS DU VRAI 1. Adéquation C’est une correspondance exacte, une adaptation parfaite. Cette notion qui définit donc une relation est utilisée fréquemment pour définir la Vérité en tant qu’adéquation de la pensée et de la chose qui est pensée, entre la raison et la réalité. La Vérité se définit alors comme une conformité entre la pensée du Réel et le Réel. « La Vérité est l’adéquation entre la chose et l’intelligence. », écrit Saint Thomas d’Aquin. « Veritas est aedequatio rei et intellectu. »
2. Authenticité Du grec authentikos qui qualifie ce qui a été réalisé en mains propres, par un homme identifié comme l’auteur. L’authenticité, propriété de ce qui est authentique, se dit à propos d’une œuvre réellement produite par celui qui est connu comme son auteur. L’authenticité est bien dès lors une affaire d’adéquation et de Vérité, la coïncidence de l’être et du paraître. Une relation “authentique”, c’est une relation sans fard, sans arrière-pensée, partant : une relation “vraie”.
3. Axiome Proposition indémontrable qui s’impose à l’esprit par son évidence. L’axiome repose ainsi, au fond, sur l’intuition de la Vérité. Euclide, par exemple, définit huit axiomes (« Le tout est plus grand que la partie. ») Il diffère du postulat qui demande à l’esprit d’admettre une proposition indémontrable afin de rendre possible une démonstration.
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4. Certitude Assurance pleine et entière de l’exactitude d’un jugement. La certitude ne laisse aucune place au doute, elle ne peut être qu’absolue, en cela elle se situe bien au-delà de la conviction. De fait on ne peut prétendre être “plus ou moins certain”. Mais la certitude n’empêche pas l’erreur. En effet, ce n’est pas parce que je suis certain de quelque chose que je ne me trompe pas. Longtemps les astronomes ont eu la certitude que la Terre était immobile, au centre de l’univers. Quant à la conviction, si elle implique un engagement elle admet une incertitude. De fait, les “convictions politiques” des uns ou des autres sont parfaitement acceptées comme autant de partis pris.
5. Connaissance Du latin cognitio, dérivé du verbe cognoscere, apprendre à connaître. Le mot désigne donc à la fois un processus et un résultat. La Vérité peut-elle faire l’objet d’une connaissance ? La République de Platon nous raconte de façon symbolique comment un homme accède à la connaissance du Vrai, par l’effort, celui qui consiste en premier lieu à s’arracher aux apparences auxquelles il est attaché.
6. Conviction (voir Certitude)
7. Croyance C’est le fait de “tenir pour vrai”, de façon inconditionnée, en dehors et au-delà de toute raison, dans un engagement complet du sujet. L’expression en elle-même, “tenir pour vrai”, mérite qu’on s’y attarde : ce qui constitue ma croyance précisément “j’y tiens”, “je m’y tiens”. C’est la que je “tiens”, que “j’ai saisie”, voire à laquelle je “m’accroche”.
8. Démonstration On appelle “démonstration” au sens large l’opération mentale qui vise à établir la Vérité d’une proposition. Vauvenargues y voit le moyen qu’utilise la raison pour ramener la connaissance de la Vérité à l’expérience de l’évidence : « La Vérité n’a point d’autre preuve de son existence que l’évidence et la démonstration n’est autre chose que l’évidence obtenue par le raisonnement. » 8
LES MOTS DE LA VÉRITÉ
9. Dévoilement Pour dire le mot Vérité les grecs emploient le terme alèthéia : ce qui n’est pas caché, le “non-caché”, le “dévoilé”. « Plus originaire que la Vérité au sens d’adéquation – écrit Dominique Saatdjian-, il y a en effet la Vérité au sens de mise à découvert, qui en est la condition de possibilité. » Ce dévoilement suppose un voile, celui de l’apparence… peut-être… de l’utilité, de la fonctionnalité de toute chose dans un monde technicien, sans doute… de la répétition, de l’habitude, de la routine, assurément. La Vérité est dès lors la « mise à nu » de la réalité.
10. Évidence Caractère intrinsèque d’une idée qui fait que je ne peux pas lui refuser mon adhésion. Aucun doute n’est désormais possible. « Le premier était de ne recevoir jamais aucune chose pour vraie, que je ne la connusse évidemment être telle c’est-à-dire d’éviter soigneusement la précipitation et la prévention ; et de ne comprendre rien de plus en mes jugements que ce qui se présenterait si clairement et si distinctement à mon esprit que je n’eusse aucune occasion de le mettre en doute. » Descartes. Avec l’évidence, la Vérité s’impose d’elle-même (conformément à l’étymologie, ex video, ce qui se voit de soi-même).
11. Falsifiabilité Une hypothèse n’est acceptable sur le plan scientifique que si l’on parvient à établir qu’elle est peut-être fausse. C’est ce que montre Karl Popper en 1934 dans La logique de la découverte scientifique. Attention, ce critère de falsifiabilité (ou testabilité) n’est pas un critère de vérité mais un critère de démarcation qui sert à distinguer les théories scientifiques de celles qui ne le sont pas.
12. Foi C’est l’expression religieuse de la conviction la plus profonde, la plus intime. Il s’agit d’une manifestation sans limite de la confiance.
13. Franchise Acte de dire la vérité sans détour par honnêteté. Quelle différence avec la sincérité ? Dire la vérité pour être en accord avec soi-même. 9
14. Honnêteté Synonyme de droiture.
15. Idées Platon distingue le monde sensible, celui des phénomènes que je perçois et dans lequel je vis, du monde intelligible, celui des “idées” dans lequel se déploie ma pensée, notamment pour comprendre ce qui se passe dans le monde sensible. Cette conception dualiste de la réalité, inventée par lui et dont il fait de Socrate le principal avocat fonde un courant philosophique appelé, pour des raisons évidentes, idéalisme. Les Idées ce sont les essences, la vérité des choses. L’essence d’une chose est éternelle, immuable, incorruptible alors que la manifestation sensible de cette même chose, parce qu’elle est temporelle précisément s’avère temporaire. C’est le constat sur lequel s’appuie la dévalorisation du monde sensible au profit d’un monde intelligible, le monde des idées, supérieur et “vrai”.
16. Indécidabilité Une relation, un jugement sont “indécidables” s’ils ne sont ni vrais, ni faux. En 1931, le mathématicien tchèque Kurt Gödel établit ainsi qu’il existe en mathématiques des énoncés à la fois vrais et indémontrables, donc “faux” car un énoncé que je ne peux démontrer est faux (c’est parce que je suis incapable de démontrer que 2+2 = 5 que cet énoncé est faux). Gödel a démontré que dès que l’on veut faire au minimum de l’arithmétique des nombres entiers, quel que soit le système d’axiomes qu’on utilise, il existera toujours des énoncés vrais mais indémontrables. On dit que ces énoncés sont indécidables. En fait, il établit qu’un système mathématique finit toujours par produire un énoncé du type “je ne suis pas démontrable” (on appellera cela un postulat, par exemple). Or si cet énoncé est vrai… précisément il n’est pas démontrable, mais, s’il n’est pas démontrable, il est faux. Bref c’est un indécidable. C’est une des expressions du paradoxe du menteur : « Je mens ». Cet énoncé est-il vrai ou faux ?
17. Indice C’est un signe révélateur dont l’interprétation peut conduire à une preuve et donc à l’établissement de la Vérité. Par preuve on entend ce qui par son existence même témoigne de la réalité de quelque chose. Plus précisément, la preuve est un élément matériel qui démontre la vérité ou la réalité d’une situation.
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18. Innocence L’innocence, c’est au sens propre la situation de celui ou de celle qui « ne nuit pas », qui n’a pas cherché à le faire, faute de connaître le Mal. Cela renvoie à une absence de malignité, à une ingénuité, une naïveté qui ne font pas nécessairement de l’innocent le chantre de la Vérité.
19. Interprétation Une interprétation, c’est un sens que l’on donne, une explication, voire une expression (dans le jeu du comédien ou celui du musicien), un éclairage que l’on attribue à un texte, une œuvre. L’interprétation témoigne alors d’un choix, d’une liberté, d’une sensibilité. Elle ne dit pas la vérité de ce qui est interprété mais plutôt celle de celui qui interprète.
20. Lucidité Qualité de celui qui voit clairement la réalité, qui en est conscient.
21. Moment (de vérité) Le mot “moment” est un terme très fort, très riche – aujourd’hui partiellement privé de sa véritable signification – qui renvoie au verbe latin « movere », « bouger », se mouvoir. Le moment, c’est l’instant où “ça bouge” ! L’expression « moment de vérité » contribue grandement à dramatiser la découverte de la Vérité, sa révélation, voire son « jaillissement ». Mais de quelle Vérité s’agit-il ? Le moment de vérité, c’est l’instant où toute possibilité de mentir se dérobe, plus de fuite ni de faux-semblants ou de fard. C’est le moment tragique de l’aveu, celui du passage ou non à l’acte (Tchen soulèvera-t-il ou non cette moustiquaire au début de la Condition Humaine), du choix décisif, de ce que Sartre appelle la “mise en situation”.
22. Naïveté Simplicité, crédulité, candeur, ingénuité… Tout cela compose plus ou moins la naïveté selon qu’on l’excuse ou qu’on la blâme. Mais il ne faut surtout pas oublier que le naïf est un “nativus”, il vient de naître et ce que dit la naïveté, c’est d’abord l’inexpérience. Celle-ci est-elle ou non une condition pour saisir la Vérité des choses et des situations ? Cela nous reconduit à une confrontation de valeurs : la spontanéité vs la réflexion, la nature vs la culture etc.
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23. Nature Synonyme d’essence, la nature exprime la permanence – si “c’est ma nature”, cela ne changera pas. Chassons le naturel, il revient au galop- en même temps qu’elle s’affirme comme jaillissement, naissance, croissance et corruption. Elle est le changement mais un changement prévisible, répétitif et toujours semblable à lui-même. La nature passe donc pour rassurante. Elle est aussi le lieu de l’origine, de l’innocence et du Paradis Perdu. Mais condamnée à disparaître sous l’action de la Culture, elle est un bien fragile critère de Vérité.
24. Noumène Le mot, strictement transposé du grec ancien nooùmenon est employé par Platon pour désigner les Idées. Il désigne alors la réalité intelligible, accessible à la seule pensée. Kant infléchit un peu l’usage : il fait du noumène, traduit désormais par “chose en soi”, tout ce qui existe mais qui échappe à la sensibilité et partant à la connaissance. Si la Vérité est “noumènale”, elle est inaccessible. Kant prétend mettre fin aux ambitions du rationalisme qui fait de la certitude rationnelle le mode d’accès à la connaissance de la Vérité.
25. Objectivité Substantif construit sur objet, du latin ab-jacio, jeter devant. La formation du mot dit l’impossibilité même d’atteindre à l’objectivité, c’est-à-dire à l’absence d’implication du sujet dans l’objet de son discours. En effet, si l’ob-jet est ce qui se trouve “jeté devant”, la définition de cet objet exige l’existence d’un sujet (sub-jacio, “jeter sous”). L’objet n’est “jeté” que devant un sujet : pas d’objet sans sujet pour le percevoir, c’est-à-dire le recevoir en tant qu’objet. L’objet est donc construit par le sujet, structuré par l’esprit humain. Ce qui conduit à reconnaître l’impossible accès à la connaissance des choses “en soi”. Je ne connais donc de la réalité que ce que je suis capable d’en prélever pour la constituer en savoir, précisément. Le sujet connaissant est à la fois tout puissant et incapable d’atteindre la Vérité “en soi”. L’objet limite ainsi ma connaissance de la réalité. Dans ces conditions comment expliquer cette requête d’objectivité impossible, dans le travail de l’historien ou celui du journaliste, par exemple ? C’est que le mot objectivité n’a plus le sens que l’étymologie lui assignerait.
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LES MOTS DE LA VÉRITÉ Le projet d’un discours sans sujet, voué entièrement à l’objet est absurde. En revanche, que par objectivité il faille désormais entendre “conscience de la construction de l’objet par le sujet même” paraît plus intéressant. L’objectivité est une forme exigeante de la subjectivité. Le sujet place son discours sous contrôle : les circonstances de l’énonciation, la situation, la visée sont définies, connues. L’objectivité est ainsi l’effort du sujet pour relativiser son discours sur l’objet.
26. Raison « Il est bien préférable de ne jamais chercher la Vérité sur aucune chose plutôt que de le faire sans méthode. » Tel est l’avertissement que formule Descartes. Mais de quelle “méthode” parle-t-il ? Et puis d’abord que désigne-t-on du nom de “méthode” ? Littéralement : “le chemin vers”. Vers quoi ? Vers un jugement au cours duquel une proposition est déclarée “vraie” car démontrée. La méthode cartésienne est un « bon usage » de la Raison aux fins de parvenir à démontrer des propositions, à établir leur Vérité. De fait, le terme de la démonstration c’est bien cette évidence que la Raison et ses calculs ont permis d’établir. Quand le résultat est évident, la démonstration n’a plus de “raison d’être” tant l’évidence est pour Descartes la certitude du Vrai.
27. Réalisme Venu de la philosophie (quelle est la réalité la plus réelle ? la plus vraie ? Pour Platon, cela ne fait aucun doute, c’est la réalité intelligible), le mot fait fortune dans l’Esthétique au début du XIXe siècle. En 1833, le critique Gustave Planche l’utilise pour désigner un art qui ne procèderait “ni de l’imagination, ni de l’intellect” et qui se limiterait “à l’observation minutieuse de la réalité”. À partir de là se développe ce “réalisme pictural” qui voit en Gustave Courbet son représentant le plus puissant. Pour le peintre, il s’agit de rompre avec un imaginaire idéalisé et de préférer interroger la présence des choses : c’est une sorte de recherche de la Vérité. Mais Vérité n’est pas exactitude. Pour Courbet, il faut rendre vraie cette représentation de la réalité en n’excluant aucun objet de cette réalité : « En concluant à la négation de l’idéal et tout ce qui s’ensuit, j’en arrive en plein à l’émancipation de la raison, à l’émancipation de l’individu, et finalement à la démocratie. Le réalisme est, par essence, l’art démocratique. » Courbet au Congrès des Artistes, Anvers 1861.
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28. Révélation Découverte subite, dévoilement inattendu. Dans le contexte religieux : acte par lequel Dieu se fait connaître aux hommes et par lequel il fait connaître ses volontés, ses desseins, à charge pour l’Église de conserver et de transmettre cette “révélation”. Il s’agit d’une connaissance directe parvenue soit au moyen d’apparitions (théophanies), soit par l’intermédiaire de prophètes.
29. Sincérité Pureté, absence de mélange. La sincérité est gage d’un caractère entier et cohérent. Sans retenue ni réserve, ou ambiguïté. Un ami sincère, c’est un ami qui “n’hésite pas” dans la manifestation de son amitié. La sincérité est-elle pour autant un critère de Vérité ? Si la sincérité dit évidemment la Vérité du sujet (il n’y a pas de doute) elle n’empêche pas ce dernier de se tromper dans ses jugements le cas échéant.
30. Truisme Vérité banale, si évidente qu’elle ne mérite pas d’être énoncée. C’est au fond une sorte de degré zéro de la Vérité.
31. Validité Qualité de ce qui est recevable comme vrai. Valider une réponse, c’est l’accepter, c’est aussi la confirmer, assurer qu’elle est bien fondée. Les connotations très positives du terme viennent de l’étymologie latine qui renvoie à l’idée de “bonne santé”.
32. Véracité Si la notion de Vérité s’applique, nous l’avons vu, à des énoncés, la véracité caractérise les personnes, celles qui ne sont pas trompeuses. La véracité, c’est, en quelque sorte, la Vérité que l’on croit. C’est bien de l’intention dont il est question, l’intention de dire la Vérité et de l’exigence morale qui s’y trouve attachée. Ainsi pour Kant : « La véracité est un devoir formel de l’homme à l’égard de chacun. » Ce qui nous reconduit au débat Constant-Kant. Au philosophe allemand pour qui la véracité est un devoir absolu et inconditionné, l’homme politique français répond : « Le principe moral que dire la Vérité est un devoir, s’il était pris d’une manière absolue et isolée, rendrait toute société impossible. » Benjamin Constant est catégorique : « Tout le monde n’a pas droit à la Vérité. »
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33. Véridique S’applique aux énoncés pour indiquer leur conformité à la Vérité.
34. Vérification Processus de mise à l’épreuve d’une proposition ou d’une théorie, dans le but d’en établir la valeur de Vérité. Il s’agit de contrôler la conformité de la théorie avec les faits.
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DEUXIÈME PARTIE : LES MOTS DU FAUX 35. Apparence L’idéaliste la qualifie immanquablement de “trompeuse”, l’apparence installe le sujet percevant au centre de la réalité perçue. En effet, l’apparence d’une chose c’est l’aspect sous lequel cette chose “apparaît” à la vue ou à l’esprit de quelqu’un. C’est la réalité à laquelle est sensible une sensibilité. Évidemment cette réalité “pour soi” ne coïncide pas nécessairement avec la réalité “en soi”. La singularité de la perception de chaque sujet menace de rendre métamorphique l’apparence de tel ou tel phénomène. En outre, l’apparaître de la chose résulte de l’intuition sensible. On a pu observer à plusieurs reprises que les sens sont trompeurs. L’apparence est-elle fiable ? Il nous apparaît, à tous pareillement, que le soleil traverse le ciel d’Est en Ouest… Nous en sommes si convaincus, nous sommes si “attachés” à ce que nous voyons que nous parlons encore, sans rire, du lever et du coucher du soleil ! Et pourtant…
36. Calomnie C’est une accusation grave et déshonorante, volontairement mensongère. La diffamation est plus complexe : il y a diffamation quand l’intention de nuire à la réputation (fama) est manifeste, même si les accusations portées sont fondées.
37. Contrefaçon Copie d’un bien authentique. Ce qui est faux dans la contrefaçon, c’est l’identité du fabricant. On peut imaginer des contrefaçons d’excellente qualité, voire d’une qualité supérieure à l’original. Mais la contrefaçon est préjudiciable à l’auteur, elle viole la propriété intellectuelle, d’où une connotation péjorative.
38. Démagogie Pratique politique visant à installer le Peuple dans les apparences les plus immédiates, ce qui revient à flatter ses passions pour conserver le pouvoir ou pour accroître sa popularité. Le démagogue enchaîne ses concitoyens dans la caverne d’où Platon voudrait les faire sortir.
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39. Dissimulation Action de cacher intentionnellement un sentiment, une émotion afin de tromper. Très proche de l’hypocrisie.
40. Dogme Du grec dokein, paraître. Le dogme serait l’opinion, l’apparence. Pourtant dogma n’est pas doxa. C’est que l’histoire de la langue les fait entrer en concurrence et que le sens de chacun finit par se spécialiser. Dogma est tout d’abord une “prescription imposée par la loi” pour évoluer vers une “doctrine imposée”. Le mot n’a pas, à l’origine, les connotations péjoratives que suggèrent les usages de l’adjectif “dogmatique”. Le verbe grec dokein signifie en effet décider et le mot dogme renvoie ainsi à une décision prise par un souverain ou une assemblée. Affirmation de Vérités indémontrables que l’on doit accepter sans preuve. Au XVIIe siècle, on appelle dogmatisme la doctrine qui affirme que l’homme peut accéder à une connaissance vraie grâce à la puissance de la Raison. Le dogmatisme s’oppose au scepticisme.
41. Doute Manque de certitude quant à la réalité de quelque chose, le doute nous installe dans une réserve plus ou moins ferme qui peut conduire à une incapacité à juger ou à décider. Le doute devient méthodique, à la fois au service d’une démonstration et en même temps “systématique” avec Descartes. C’est l’épreuve du Faux, celle qui doit conduire à une nouvelle forme de Vérité, la Vérité comme certitude. Il est alors “hyperbolique”, c’est-à-dire exagéré mais en connaissance de cause. L’artifice du procédé est totalement assumé. « Pour examiner la Vérité il est besoin, une fois en sa vie, de mettre toutes choses en doute, autant qu’il se peut. » Principes de philosophie.
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42. Erreur C’est une faute de calcul, dans tous les sens du terme. Un mauvais usage de la Raison ou du mode d’emploi en est la cause. L’erreur n’est pas intentionnelle. Elle peut, comme le montre Bachelard dans La Formation de l’Esprit scientifique, être à l’origine détournée de la découverte d’une Vérité scientifique.
43. Fable À l’origine, la fable est une “parole” - fari, signifie en latin parler -, c’est un récit légendaire, à valeur didactique. La fable enfonce ainsi un coin entre la Vérité et le mensonge par sa duplicité. Elle touche l’imagination pour instruire et il n’y a guère d’élément narratif qui ne soit susceptible d’interprétation (voir ce mot) symbolique. La Fontaine nous prévient : « Tout parle en mon ouvrage ». Ce qui nous rappelle que dans ce monde fabuleux, hommes, bêtes, dieux et objets de toutes sortes ont la parole et qu’ils dialoguent mais il s’agit aussi d’indiquer grâce à la syllepse sur le verbe “parle” que tout désormais est pourvu de sens.
44. Fantasme Le mot qui appartient au vocabulaire de la psychanalyse désigne bien une représentation et à ce titre a tout-à-fait sa place dans ce paradigme du Faux que décline cette deuxième partie. En général, les représentations, substituts d’une réalité absente ou dérobée, apparaissent au mieux comme des détournements commodes de la Vérité. Un exemple : si le Peuple exprime notre Vérité politique, sa représentation parlementaire, par nature, en fausse la manifestation (c’est sur cet argument imparable que prospère le populisme). Bref, si le Vrai “se présente” à nous dans l’évidence, alors sa “re-présentation”, quelque forme qu’elle prenne, est une défausse. Ainsi en va-t-il donc du fantasme, représentation de désirs plus ou moins conscients, mais aussi “véritable” récit du désir inconscient. Une représentation -et on pourrait établir que c’est également toujours le cas, ce qui est très troublant- contre toute attente donne accès à une Vérité intime. Le fantasme n’est pas vrai au sens où il n’est pas vécu et demeure un scénario, mais il est l’expression de la Vérité de l’inconscient du sujet.
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45. Fard Le fard colore les différentes parties de visage pour en relever le volume, en embellir l’apparence (voilà pourquoi il est cosmétique). Mais le fard est-il ce qui dissimule ou bien ce qui révèle la Vérité d’un regard, d’une pommette, d’une lèvre ? Baudelaire fait dans Le Peintre de la vie moderne “l’éloge du maquillage” et tranche en faveur de l’art : « Le rouge et le noir représentent la vie, une vie surnaturelle et excessive ; ce cadre noir rend le regard plus profond et plus singulier, donne à l’œil une apparence plus décidée de fenêtre ouverte sur l’infini ; le rouge, qui enflamme la pommette, augmente encore la clarté de la prunelle et ajoute à un beau visage féminin la passion mystérieuse de la prêtresse. Ainsi, si je suis bien compris, la peinture du visage ne doit pas être employées dans le but vulgaire, inavouable, d’imiter la belle nature et de rivaliser avec la jeunesse. On a d’ailleurs observé que l’artifice n’embellissait pas la laideur et ne pouvait servir que la beauté. Qui oserait assigner à l’art la fonction stérile d’imiter la nature ? Le maquillage n’a pas à se cacher, à éviter de se laisser deviner ; il peut, au contraire, s’étaler, sinon avec affectation, au moins avec une espèce de candeur. »
46. Faussaire Le faussaire produit des « faux » au sens où il peint à la manière d’un autre auquel il attribue son œuvre. C’est un artiste de l’inauthentique. Un artiste car les plus grands faussaires ont trompé les plus grands experts : Elmir de Hory qui devant la caméra compose en quelques minutes un faux Matisse puis le brûle dans sa cheminée ou beaucoup plus récemment l’allemand Wolfgang Beltracchi, “spécialiste” de Léger, Dufy, Max Ernst ou Marie Laurencin. Cette aristocratie silencieuse du Faux est si active, dit Interpol, qu’on estime à 20 % le nombre de “faux” exposés dans les musées. Autres virtuoses du Faux, escrocs autrement plus dangereux, condamnés naguère à la réclusion criminelle à perpétuité : les faux-monnayeurs. André Gide en fit la métaphore géniale de toutes celles et ceux qui “faussent” les relations dans la société moderne, entretenant une inauthenticité trompeuse. Comment reconnaître la “Vérité” des sentiments lorsqu’on a l’habitude de l’expression contrefaite de l’amour ou de l’amitié, par exemple ?
47. Fiction Du latin fingere, modeler dans l’argile. « J’appelle fiction, dit Aristote (dans la Poétique), la violence faite à la réalité en vue de satisfaire une hypothèse. ». Il s’agit donc moins d’un mensonge que d’une torsion, une distorsion, voire parfois une effraction.
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48. Histoire Du grec historein, chercher à savoir, enquêter. On distingue communément l’Histoire (comme science) des histoires (les récits fictifs). Mais il faudrait aussi différencier l’Histoire – “l’Histoire de France”, soit la totalité des événements passés – de l’histoire d’un conflit par exemple, c’est-à-dire son tissu événementiel, la succession de ses différentes étapes. Ces quatre acceptions, si elles recouvrent des champs précisément délimités, n’en demeurent pas moins étroitement liées par une question commune : comment “faire le récit” du matériau historique – l’événement ? L’Histoire-science se fonde (depuis moins d’un siècle) sur un parti pris épistémologique : l’objectivité. Ce qui ne veut pas dire qu’elle se prive des outils “méthodologiques” qu’apportent par exemple le marxisme, le structuralisme ou la sociologie… Par objectivité, il faut en fait entendre l’opération de construction, d’élaboration de l’événement en “objet” d’étude – c’est-à-dire son “objectivisation”. Étape nécessaire en effet, car aucune science ne pense la réalité sans la mettre préalablement en ordre, en forme, en rapport avec ses impératifs ou ses modèles d’analyse. Vient ensuite la date finale, du fait d’ouverture au fait de clôture. Sommes-nous encore ici dans l’Histoire ou déjà plongés au cœur des histoires ? Est-ce le tissu événementiel qui guide l’analyse ou le tissu narratif qui l’imprègne ? Question cruciale. D’une part, car le récit, historique ou romanesque, suit toujours une même logique : début, déroulement, fin. Et, d’autre part, car la règle du post hoc ergo propter hoc, après donc à cause, qui établit des liens de causalité entre l’événement X qui précède et l’événement Y qui le suit, s’applique avec la même rigueur à toute forme narrative. Le récit scientifique d’événements demeure donc, en tant que récit, très proche du roman – que celui-ci soit “historique ou purement fictif”. Penser l’Histoire implique ainsi de se placer au cœur de sa réalité narrative, à ce niveau où les faits ne prennent sens que par les mots.
49. Hypocrisie Du grec hupokrisis, action de jouer un rôle. L’hypocrite est – stricto sensu – sous le masque. Ce n’est donc affaire que de comédie. Les hommes paraissent tous semblables par leur aptitude à (se) jouer la comédie. Telle est du moins l’opinion de Baudelaire : Hypocrite lecteur, mon semblable, mon frère.
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50. Idéologie Par “idéologie” on entendra un système cohérent de représentation du réel qu’une minorité s’efforce d’imposer à la majorité. Une “idéologie” agit exactement comme un mythe. Donc, au sens moderne, l’“idéologie” est un discours qui tente d’“universaliser” les véritables causes d’une domination politique. Pour une raison très simple et pratiquement efficace : si un pouvoir est universel, il requiert une adhésion de même nature. Discours de la quête d’une légitimité forte, totale, l’idéologie essaye donc de combler l’écart irréductible entre le faible (ou tiède) consentement du citoyen et la prétention de l’État à la fusion exaltée, mystique avec ses membres.
51. Illusion Jeu avec la réalité, avec la Vérité – ludere en latin signifie jouer -, apparence trompeuse. L’illusion reconnue comme telle est identifiée pour avoir cherché à se confondre avec la Vérité. C’est dire que les illusions que nous condamnons aujourd’hui ne sont telles que parce que nous les pensions vérités naguère. Comment savoir dès lors si la Vérité aujourd’hui ne sera pas dénoncée demain comme une illusion. Notre rapport à la Vérité est ainsi travaillé par la crainte de voir l’illusion l’emporter. Comment faire pour ne pas se laisser tromper ? Il y a “tout un cheminement à accomplir” pour être certain de la Vérité (Descartes), comme il y a tant d’efforts à consentir pour se détacher des apparences au milieu desquelles nous avons pris l’habitude de vivre (Platon). À cela Freud ajoute une nuance en distinguant l’illusion du délire : ce qui fait la force de l’illusion c’est qu’elle reste toujours compatible avec le principe de réalité. Dans l’illusion certes je prends mes désirs pour la réalité mais la confusion relève encore du possible. Ce qui n’est évidemment plus du tout le cas avec le délire.
52. Imposture Action qui consiste à se faire passer pour ce que l’on n’est pas. Il s’agit d’une supercherie délibérée, destinée à tromper, à abuser (c’est d’ailleurs ce que signifie le latin imponere)
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53. Jeu Du latin jocus, plaisanterie. On attendrait ludus qui donne en français ludique, ludothèque. Or, ludus et jocus s’opposent. Le premier désigne un jeu d’action, la dimension physique du jeu, quand jocus renvoie au jeu sur les mots, manifestation de l’esprit. L’étymologie rappelle donc que l’intelligence habite le jeu, que ce dernier est une étape importante de la formation intellectuelle de l’enfant, que rien n’est donc plus sérieux qu’un joueur. Le jeu, c’est d’abord celui du comédien qui entretient l’“illusion comique” (l’illusion – inlusio in ludere – c’est à proprement parler l’“entrée dans le jeu”), un décalage subtil entre la réalité et la fiction. C’est aussi le jeu à règles par lequel précisément les jeunes joueurs font l’apprentissage de la loi, mais sans risque. Tous les jeux fondés sur l’imitation du monde et des adultes ont à l’évidence un intérêt pédagogique. Ils offrent une réduction de la réalité qui la rend manipulable. Enfin le jeu, très prosaïquement, c’est celui d’une pièce qui se désolidarise un peu du mécanisme, de la porte dans son encadrement, de ces planches de bois qui ne sont plus très bien ajustées. Bref, jouer d’une manière ou d’une autre, c’est prendre de la distance par rapport à la réalité, c’est gagner en liberté par rapport à l’idée de Vérité mais sans jamais vraiment perdre le contact. Le jeu, c’est au fond toujours celui du Vrai et du Faux.
54. Leurre Appât artificiel (petit poisson en étain) utilisé dans la pêche au lancer. Plus généralement, il s’agit d’un objet destiné à duper, à tromper.
55. Manipulation Action de prendre dans la main avec dextérité. Le sens bouge ensuite en fonction de l’usage qui est fait de cette dextérité. Tantôt elle s’inscrit dans une technique médicale d’immobilisation d’une articulation, tantôt cette habileté manuelle est au service d’un tour de passe-passe, ou encore au sens figuré, c’est de l’art du marionnettiste dont il sera question… Avec toutes les applications politiques, morales que l’on peut imaginer.
56. Masque Dissimuler ou révéler ? Les masques du théâtre antique figent un visage et font une représentation totalement immobile de la comédie ou de la tragédie.
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LES MOTS DE LA VÉRITÉ Mais la concavité inférieure qui les caractérise sert en même temps de porte-voix. C’est cette ambivalence que traduit l’origine du mot latin signifiant le masque précisément : persona, un masque mais qui laisse passer les sonorités : per sonare.
57. Mauvaise foi Se mentir à soi-même et précisément chez Sartre se dissimuler sa liberté, telle est la “mauvaise foi”. Le chapitre II de L’Etre et le Néant est consacré entièrement à la “mauvaise foi” : « Certes pour celui qui pratique la mauvaise foi, il s’agit bien de masquer une vérité déplaisante ou de présenter comme une vérité une erreur plaisante. La mauvaise foi a donc en apparence la structure du mensonge. Seulement, ce qui change tout, c’est que dans la mauvaise foi, c’est à moi-même que je masque la Vérité. Ainsi la dualité du trompeur et du trompé n’existe pas ici. La mauvaise foi implique au contraire par essence l’unité d’une conscience. »
58. Médisance Dénigrement, parole malveillante mais pas nécessairement mensongère ! Dire du mal, “mé-dire”, ce n’est pas ne pas dire la Vérité.
59. Mensonge Le mensonge nous entraîne dans un monde complexe, tant il y a de manifestations du mensonge, de formes possibles, de situations variées, des plus simples aux plus élaborées. Dans cette deuxième partie, on a eu ainsi déjà de multiples occasions de rencontrer de nombreux masques du mensonge. Et ce dernier partage au moins un caractère avec le Mal, son nom est Légion. De fait, s’il peut m’arriver de désespérer de la Vérité, c’est-àdire de la croire par nature hors de ma portée, le mensonge en revanche m’est familier et l’expérience du mensonge est quotidienne, ordinaire et extraordinaire comme on disait au Moyen-Age de la Question. Ce rapport intime au mensonge nous torture en effet au point de croire parfois à une imposture générale, un monde qui ne serait que ma représentation, une société du spectacle ou encore au complot destiné à alimenter ma paranoïa. Il y a toutefois quelque chose de réjouissant dans le mensonge : son étymologie qui nous rappelle ce que le mensonge a d’humain, de trop humain. Le mot est construit à partir de mens, en latin l’esprit. De fait, il faut avoir de l’esprit pour mentir, développer une intelligence créative, parfois même une imagination quasiment artiste. Le menteur fait davantage que mentir, il prend ses distances, il s’absente de ce qui est pour forger une apparence, il s’arrache à l’évidence de la Vérité immédiate, bref… il pense !
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60. Mythe Du grec muthos, la parole. À partir du Ve siècle, le mot entre en concurrence avec le terme logos. Chacun des deux mots ira se spécialisant. Muthos désignera alors la parole trompeuse, dénuée de fondement, par opposition à logos, la parole vraie. Aujourd’hui, le mythe est un bref récit qui met en scène des personnages et des situations surnaturelles qui renvoient à un temps originaire, avant le temps lui-même, ou plutôt avant l’histoire.
61. Omission (mensonge par) Dans quelle mesure peut-on parler de “mensonge par omission” ? Omettre, choisir de ne pas dire, est-ce mentir ? Au sens strict, le menteur par omission propage les informations qui l’arrangent et surtout, il tait tout ce qui pourrait le désavantager. Il refuse de dire ce qu’il sait et que son interlocuteur trouverait important de savoir. Pour le dire de façon plus précise, le menteur par omission entretient une dissymétrie informationnelle à son avantage. Le marchand, l’homme d’Etat, le chef militaire, le médecin agissent-ils autrement ? Le consommateur détient-il toutes les informations dont le commerçant dispose ? L’homme politique donne-t-il à ses concitoyens tous les éléments nécessaires à une véritable appréciation de la situation ?
62. Opinion L’opinion ne s’oppose pas à la Vérité : il y a des opinions vraies et des opinions fausses mais dit Bachelard, « elle pense mal, elle ne pense pas, elle traduit des besoins en connaissances. » (La Formation de l’Esprit Scientifique).
63. Paranoïa C’est une des formes identifiées de la folie (ce que signifie le grec para, à côté, et noos, l’esprit : “avoir l’esprit à côté”). Dans les fait, il s’agit d’un état délirant ponctué d’hallucinations. À la fin du XIXe siècle, Emil Kraepelin l’identifie comme le « développement lent et insidieux d’un système délirant durable, (…) avec la conservation absolue de la clarté et de l’ordre de la pensée, du vouloir et de l’action ».
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64. Phénomène Du grec phos, lumière. Le phénomène, c’est ce qui entre dans la lumière, ce qui est visible, sensible. Mais le phénomène est-il seulement “apparence” ? Kant distingue en effet l’un de l’autre. Par “phénomène” on entendra désormais, dans le vocabulaire de la philosophie, l’objet en tant qu’il fait l’objet d’une représentation consciente, en tant qu’il est pensé par l’entendement. L’apparence, ce sera la surface sensible des choses telle qu’elle est immédiatement perçue.
65. Préjugés Le préjugé est-il un jugement “faux” ? Pas nécessairement. On peut même dire, au contraire, avec Arendt : « Si l’on veut détruire les préjugés, il faut toujours en premier lieu retrouver les jugements passés qu’ils recèlent en eux, c’est-à-dire en fait mettre en évidence leur teneur de Vérité ».
66. Propagande La propagande n’est pas, par nature mensongère. Le mot vient du verbe “propager” qui signifie multiplier par reproduction, répandre, faire connaître à de nombreuses personnes en de nombreux endroits (Larousse). Ainsi la propagande est-elle affaire de média, de communication et c’est donc seulement en tant que le choix du médium transforme le contenu du message que la propagande touche à la question du vrai et du faux. Jusqu’à quel point la propagande, pour être efficace, doit-elle/peut-elle « fausser » le message qu’elle doit propager ?
67. Récit Le récit est une mise en signes, mise en scène, « mise-en-sens » d’évènements vécus ou imaginaires. Il est la représentation par excellence qui introduit nécessairement le doute quant à la Vérité de ce qui est narré. Mettre en récit sa vie, c’est nécessairement céder pour une part variable à la fiction. Telle est bien la difficulté à laquelle se heurte l’autobiographe mais aussi celui qui prétend témoigner pour l’Histoire. On sait, par exemple, quels débats furent ouverts par le développement après 1947 de cette “littérature concentrationnaire” qui pour maintenir le discours à charge et se soustraire au soupçon de révisionnisme devait être vigilante pour ne pas verser précisément dans “la littérature”. La fiction sape la véracité du témoignage. Peut-on “faire du cinéma” avec la Shoah sans insulter les victimes ? Lanzmann et Resnais ont fait le choix du reportage. 25
68. Relativisme À chacun sa Vérité, telle est la devise du relativisme. À chaque homme son point de vue, et l’on connaît la formule de Protagoras : « L’homme est la mesure de toute chose. » Ces deux phrases sont prolongées par le lieu commun : Tout est relatif. Pas de Vérité absolue mais une Vérité qui dépend de chacun et des circonstances, une Vérité “historique”, une Vérité “géographique” qui change “en-deçà” des Pyrénées…
69. Rumeur « En 1593, le bruit courut que les dents étant tombées à un enfant de Silésie, âgé de sept ans, il lui en était venu une d’or à la place de ses grosses dents. » Fontenelle. On le constate, les rumeurs ne datent pas d’hier et les philosophes s’en amusent depuis les premiers temps des Lumières ! Jean-Noël Kapferer qui étudie la rumeur la définit comme un « processus de diffusion en chaîne (…) une force de propagation (…). » Il la distingue du bruit qui « renvoie à un processus décousu, rampant, hésitant, très limité localement » et du ragot qui « à l’origine (…) faisait référence à la source et l’effet d’une communication : c’était un grognement émis par un sanglier, » d’où le sens de calomnies de bas-étage. Dans la rumeur, la transmission est un facteur d’altération mais aussi de dramatisation du contenu de la rumeur. Ne dit-on pas en effet d’une rumeur qu’elle gronde ?
70. Scepticisme Du grec skeptisthaï, examiner. Doctrine philosophique qui identifie la cause du malheur des hommes dans leur inaptitude à réaliser cette adéquation entre la pensée et la réalité pensée. Je ne suis jamais sûr de cette adéquation et je suis à tout moment susceptible de commettre une erreur. La sagesse consistera donc à suspendre tout jugement.
71. Schizophrénie Maladie mentale qui se traduit par des hallucinations, notamment auditives, des délires paranoïdes. Des voix imaginaires s’adressent ainsi au malade pour lui décrire une réalité qui n’existe pas. Cette maladie conduit à de très graves altérations de la perception de la réalité.
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72. Séduction C’est un détournement, stricto sensu, de l’admiration, du désir que le séducteur réalise à son profit grâce à des procédés plus ou moins conscients. Le sociologue et philosophe Jean Baudrillard dans De la séduction a cette formule qui résume la situation : « Séduire, c’est mourir comme réalité et se produire comme leurre. » Ce qui signifie que le séducteur excelle dans l’art de tromper au sens où il donne à voir à sa victime ce que celle-ci désire. Ce n’est plus lui qui devient aimable mais cet autre qu’il joue à être et qui répond très exactement aux attentes inexprimées de celle ou de celui qu’il souhaite séduire.
73. Simulation Feinte, imitation.
74. Sophisme Argumentation qui a l’apparence d’un raisonnement rigoureux mais qui n’est pas valide, au sens de la logique. Contrairement au paralogisme qui relève de l’erreur dans le raisonnement, le sophisme est délibéré, il est développé dans l’intention de tromper l’auditoire.
75. Trompe-l’œil Peinture qui donne à distance l’illusion de la réalité. Caractéristique du baroque mais pas seulement, aujourd’hui le street art le pratique avec constance.
76. Tromperie Abus de confiance, action qui vise à induire une personne en erreur.
77. Trucage Moyen destiné à tromper. Manipulation. Au cinéma on parlera volontiers d’“effets spéciaux”.
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78. Vraisemblance Ce qui relève de la vraisemblance, c’est ce qui semble à une certaine époque, pour une population donnée, vrai. En faire une valeur, comme cela sera le cas dans l’esthétique du XVIIe siècle, c’est reconnaître le divorce entre la Vérité et l’opinion. Car si, comme le rappelle Boileau, « le vrai peut ne pas être vraisemblable », c’est que “l’endoxabilité” de la Vérité est problématique. Attention, l’expression de la Vérité ne bouscule pas toujours préjugés et conformismes mais il faut être prudent. La question n’est donc pas de prétendre que toute Vérité n’est pas bonne à dire, ni de croire que toute Vérité “dérange”, par nature. Ce pathos de la Vérité est un peu naïf et superficiel : celui qui dit la vérité ne sera pas forcément exécuté, tout dépend de ceux à qui il la révèle. Sont-ils prêts ? Ont-ils envie de l’entendre ? La vérité d’une vérité n’est-ce pas le bon moment de son surgissement ? Au fond, la Vérité peut-elle s’offrir le luxe de se soustraire à l’Histoire ?
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TROISIÈME PARTIE : NOMS PROPRES ET LIEUX COMMUNS DE LA VÉRITÉ ET DU MENSONGE 79. Caverne Primitive et inquiétante, la Caverne est un lieu obscur où se cachent les premiers hommes et où plus tard ils dissimuleront leurs trésors. Pour les Grecs, la Caverne, c’est d’abord celle du Cyclope, elle est la tanière du monstre, là où loge une pré-humanité. Mais la Caverne c’est surtout, pour Platon et ses contemporains, le souvenir douloureux des latomies, ces carrières de Syracuse où près de 7 000 athéniens furent emprisonnés, après l’échec de l’expédition de Sicile, et condamnés aux travaux forcés. L’image que Platon, au livre VII de La République, imprime dans notre culture vient sans doute de cette expérience. Là, les hommes sont enchaînés, face contre la paroi, incapables de discerner ce qui se joue derrière eux, incapables de voir autre chose que des ombres projetées qu’ils prennent pour la réalité. La métaphore est forte, nous sommes enchaînés par nos sens à une représentation faussée de la réalité.
80. Don Juan “Épouseur du genre humain”, selon Sganarelle, Don Juan incarne le séducteur qui joue de femme en femme la comédie du mariage. Acculé par les circonstances et le courroux divin, le “beau parleur” trouve une issue dans l’hypocrisie, “vice à la mode”. Don Juan devient Tartuffe et fait du mensonge une stratégie de fuite et de domination.
81. Don Quichotte Chacun garde en mémoire les aventures de ce pauvre hidalgo, féru de littérature médiévale au point de confondre la fiction de ses romans de chevalerie avec la réalité desséchante de la Province de la Mancha, au début du XVIIe siècle. L’imagination accomplit son travail de “folle du logis” et le personnage de Cervantès devient un cas d’école intéressant où le vrai et le faux se mêlent : que dire par exemple d’un faux chevalier aux vrais sentiments chevaleresques ?
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Mais au-delà de cela, et c’est sans doute plus intéressant encore, ce texte de 1605 ne cesse d’interroger sa propre origine, sa légitimité, bref son authenticité : « Arrive-t-il qu’un père ait un fils laid et sans aucune grâce, l’amour qu’il porte à cet enfant lui met un bandeau sur les yeux pour qu’il ne voie pas ses défauts ; au contraire, il les prend pour des beautés, des gentillesses, et les conte pour telles à ses amis. Mais moi, qui ne suis, quoique j’en paraisse le père véritable, que le père putatif de Don Quichotte, je ne veux pas suivre le courant de l’usage, ni te supplier, les larmes aux yeux, comme d’autres font, très-cher lecteur, de pardonner ou d’excuser les défauts que tu verras en cet enfant, que je te présente pour le mien (…) tu peux dire de l’histoire tout ce qui te semblera bon, sans crainte qu’on te punisse pour le mal, sans espoir qu’on te récompense pour le bien qu’il te plaira d’en dire. » Un auteur qui se dit le parâtre du livre, un livre fait de traductions variées assemblées au hasard des rencontres : Cervantès déconstruit systématiquement toutes nos certitudes et nos préjugés de lecteurs de roman, inaugurant sans doute avec précocité “l’ère du soupçon”.
82. Enésidème Ce crétois de naissance est l’auteur d’un ouvrage de commentaires sur Pyrrhon. À l’origine du renouveau sceptique, c’est à lui notamment que l’on doit les 10 tropes principaux du scepticisme qui conduisent à la suspension du jugement : • À toute thèse, on peut opposer une antithèse (trope de la discordance). • Tous les dogmatismes reposent sur des postulats. • Trope de la régression des causes à l’Infini. • Etc.
82. Faiseur (Le) Titre d’une comédie de Balzac composée en 1840 mais jouée après la mort de l’auteur en 1851. Le terme de “faiseur” aujourd’hui peu employé désigne un escroc habile, un manipulateur, un homme qui sait y “faire”. La pièce rapporte les gesticulations comiques d’un certain Mercadet, homme d’affaires ruiné, qui tente de calmer ses créanciers en invoquant un certain Godeau, associé fortuné disposé à le renflouer. On assiste ainsi aux contorsions ingénieuses de ce menteur moderne, affairiste manipulateur qui n’est pas sans annoncer quelques-unes de nos figures contemporaines.
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84. Fou (du Roi) Seul à pouvoir dire au Roi la Vérité, sa Vérité, le “fou” plus sage que tous les conseillers de la Cour est sans doute un mythe inspiré de l’Antique “jaculator”, qui le jour du triomphe du général romain victorieux, le poursuit de toutes les opprobres et toutes les injures possibles, afin de rappeler à celui qui le temps d’une journée est célébré à l’égal d’un Dieu qu’il n’en demeure pas moins un homme.
85. Gorgias Gorgias, le célèbre Sophiste invité pour débattre avec Socrate, soutient devant les amis qu’a rassemblés pour l’occasion Calliclès, que la rhétorique est le plus efficace de tous les arts : « J’ai souvent accompagné mon frère et d’autres médecins chez quelqu’un de leurs malades qui refusait de boire une potion ou de se laisser amputer ou cautériser par le médecin. Or tandis que celui-ci n’arrivait pas à les persuader, je l’ai fait, moi, sans autre art que la rhétorique. Qu’un orateur et un médecin se rendent dans la ville que tu voudras, s’il faut discuter dans l’assemblée du peuple ou dans quelque autre réunion pour décider lequel des deux doit être élu comme médecin, j’affirme que le médecin ne comptera pour rien et que l’orateur sera préféré, s’il le veut. Et quel que soit l’artisan avec lequel il sera en concurrence, l’orateur se fera choisir préférablement à tout autre ; car il n’est pas de sujet sur lequel l’homme habile à parler ne parle devant la foule d’une manière plus persuasive que n’importe quel artisan. Telle est la puissance et la nature de la rhétorique. »
86. La Palice Si Jacques II de Chabannes, seigneur de La Palice trouve dans ce lexique sa place, c’est pour le néologisme “lapalissade” construit sur une altération de l’orthographe de son nom et qui désigne une évidence… si évidente que sa formulation en devient même ridicule. La vérité d’une assertion est si connue et reconnue qu’elle est source de raillerie et de moquerie. L’auteur d’une “lapalissade” passe ainsi non pour un sage mais pour un niais. Le mot nous révèle-t-il la naïveté de ce Maréchal de France, contemporain de François 1er et dont la cour se serait moquée ? Pas du tout. Injustice flagrante : La Palice n’a jamais formulé la moindre “lapalissade”, il fut victime de l’une de ces fautes de lecture souvent fatales aux plus fermes réputations.
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L’anecdote vaut d’être rapportée : le Maréchal meurt courageusement devant Pavie en 1525 et pour honorer sa mémoire ses soldats composent une ballade : Hélas, La Palice est mort, Est mort devant Pavie ; Hélas, s’il n’était pas mort, Il ferait encore envie. La graphie du S et celle du F, se confondent aux premiers âges de l’imprimerie et les deux derniers vers deviennent : « Hélas, s’il n’était pas mort, il serait encore en vie », formule qui évolue pour finir vers la célèbre « lapalissade », « Un quart d’heure avant sa mort, il était encore en vie » !
87. Lorenzaccio Méditation romantique flamboyante sur la “comédie humaine”, le jeu et le rôle de chacun, le faux et le vrai, cette pièce composée en 1834 par A. de Musset reprend le thème déjà interprété par Shakespeare dans Hamlet. À trop bien jouer son rôle ne finiton pas par devenir ce même rôle ? Il s’agit d’imiter et non de devenir, paradoxe que tout comédien doit soutenir. Pour s’approcher du tyran débauché qu’il a projeté d’assassiner, Lorenzo doit s’en faire le familier et jouer de tous les vices. À l’aube de son geste, il s’interroge pour savoir s’il n’est pas devenu pire que celui qu’il est résolu à tuer, pire ou au moins semblable. À force de porter un masque celui-ci ne devient-il pas une seconde peau ?
88. Machiavel La fin justifie les moyens, on connaît l’adage que reprend et justifie Machiavel. Avec Le Prince, nous apprenons qu’aux yeux du politique le mensonge peut être une nécessité, que les promesses n’engagent que ceux qui y croient. « Un prince bien avisé ne doit point accomplir sa promesse lorsque cet accomplissement lui serait nuisible, et que les raisons qui l’ont déterminé à promettre n’existent plus : tel est le précepte à donner. Il ne serait pas bon sans doute, si les hommes étaient tous gens de bien ; mais comme ils sont méchants, et qu’assurément ils ne vous tiendraient point leur parole, pourquoi devriez-vous leur tenir la vôtre ? Et d’ailleurs, un prince peut-il manquer de raisons légitimes pour colorer l’inexécution de ce qu’il a promis ? » (Chap. XXVIII).
89. Magicien d’Oz Ce roman de Frank Baum publié en 1900, grand classique de la littérature enfantine, est un roman sur l’imposture. Le puissant magicien d’Oz qui règne sur la Cité d’Emeraude n’est pas celui que l’on croit. 32
LES MOTS DE LA VÉRITÉ
90. Œdipe (ou la figure de l’enquêteur) Le monarque de Thèbes, le vainqueur de l’abominable Sphinge est la plus ancienne manifestation du personnage de l’enquêteur, du héros obstiné en quête de vérité que rien n’empêchera d’accomplir sa mission. Les obstacles ne ralentissent pas sa course tragique vers la Vérité : ils l’accélèrent. En voulant échapper à son destin, quittant Corinthe, il se précipite à Thèbes pour l’accomplir.
91. Pinocchio Personnage principal d’un roman éponyme publié par l’italien Carlo Collodi en 1881 – Les aventures de Pinocchio. Histoire d’un Pantin. Roman d’initiation, roman picaresque, c’est un véritable classique de la littérature italienne. Sa visée est ouvertement didactique et parmi les enseignements qu’il s’agit de transmettre il y a celui qui nous intéresse : il ne faut pas mentir. Le nez du menteur s’allonge. La trouvaille de Collodi au chapitre XVII est remarquable. Il s’agit de suggérer à l’enfant qu’un mensonge ne peut être dissimulé et que si le mensonge échoue, c’est qu’il transforme le menteur, qu’il le déforme au point de faire de la pratique systématique du mensonge une difformité morale.
92. Prestige Dans un tour de magie on distingue trois moments : le premier, “la promesse”. Il s’agit de présenter au public une situation banale : un chapeau vide, un foulard… une caisse vide. Puis vient le “tour” où la situation de départ devient extraordinaire et enfin, ce que l’on appelle “le prestige”, le clou du tour, l’élément le plus spectaculaire qui brouille les distinctions entre le Vrai et le Faux.
93. Protagoras Protagoras d’Abdère est sans doute le plus fameux des sophistes, le plus influent aussi, dit-on. La sophistique n’est pas un simple détournement des techniques de la rhétorique à des fins de domination politique. Elle est sous-tendue par une véritable philosophie : le relativisme. De fait, pour un sophiste la Vérité est nécessairement relative au point de vue de celui qui prétend l’énoncer. C’est bien parce qu’il est convaincu que “tout se vaut” que le sophiste est capable de vendre à l’un ou à l’autre les moyens de faire prévaloir son opinion sur l’agora. Tout est résumé dans la formule : « L’Homme est la mesure de toutes choses : de celles qui sont, du fait qu’elles sont ; de celles qui ne sont pas, du fait qu’elles ne sont pas. » 33
94. Pyrrhon d’Élis Il vécut au IIIe et au IVe siècle avant Jésus-Christ et fut le véritable fondateur du scepticisme. L’ataraxie, absence de trouble, passe par l’aphasie, se taire, manifestation ultime de la nécessaire “mise entre parenthèses” (épochè) du jugement.
95. Scène L’espace scénique est le lieu de confrontation du Vrai et du Faux, s’y trouvent parfois même représentés de faux hypocrites par de vrais comédiens ! On s’y livre au Jeu de la Vérité avec une grande vérité de jeu, par le moyen de “mises en abyme” du type “théâtre dans le théâtre” qui annonce assez clairement la constitution de la scène comme métaphore de la société et du théâtre comme monde.
96. Sextus Empiricus Philosophe et médecin, Sextus Empiricus affirme son scepticisme en s’opposant systématiquement à tous les dogmatismes actifs vers 190 après JC. Lui aussi hérite de la pensée de Pyrrhon et formule les principes de ce qui apparaît comme une sagesse, c’est-à-dire une réflexion sur l’accès au bonheur. La tranquillité de l’âme, l’ataraxie, passe non par le rejet des “phénomènes” et de la manière dont nous les percevons mais par celui “de ce qui est dit des phénomènes”, c’est-à-dire les jugements de valeur ou de connaissance.
97. Terre (celle qui ne ment jamais) Nègre du maréchal Pétain alors que ce dernier est président du Conseil, Emmanuel Berl façonne un certain nombre de formules chocs dont celle-ci, devenue “culte”, révélatrice d’un certain état d’esprit qui prévalait alors : « La terre, elle, ne ment jamais. » Exaltation du monde rural, sacralisation de la Nature, cette valorisation naïve de la simplicité et du bon naturel participe de la réécriture rousseauiste du mythe du “bon sauvage” sous les traits du “brave paysan”, de ce “cœur simple” qui par la rusticité de ses mœurs indique le chemin au citadin dévoyé en lui rappelant quelles sont les “vraies valeurs”. Mais si “la terre ne ment jamais” on peut croire aussi que c’est qu’elle manque d’esprit, prévisible radoteuse aux ressources par ailleurs insuffisantes.
34
LES MOTS DE LA VÉRITÉ
98. Tartuffe Hypocrite consommé, le fameux personnage de Molière est toutefois déchiré entre la feinte dévotion et une véritable avidité. Le critique Jacques Guicharnaud écrit à propos de cette dialectique du Vrai et du Faux qui travaille Tartuffe : « La nature de Tartuffe est double : il veut consommer et il veut en même temps paraître ce qu’il n’est pas. Il veut posséder Elmire et paraître dévot. C’est ce qui le voue à l’échec… Tartuffe n’est pas parvenu à s’unifier ni même à paraître unifié… Sa dualité n’est jamais résolue. »
99. Ulysse Ulysse est un menteur qui nous rappelle que le mensonge a parfois partie liée avec l’intelligence, l’esprit – et pas seulement pour des raisons de cohérence étymologique (mens, en latin l’esprit) - mais que surtout confronté à la vague imprévisible d’une existence où tout devient possible, le pire (la Caverne du Cyclope) comme le meilleur (la grotte de Calypso), il doit pour survivre s’adapter à toutes les circonstances, tromper, feindre s’il le faut, renoncer quelques instants plus tard à ce qui était plus tôt son objectif.
100. Zeuxis Maître du trompe-l’œil, il porte la conception mimétique de l’art grec à son apogée. Platon rapporte dans La République qu’il peignait des raisins si “vrais” que les pigeons s’y trompaient, venant briser leurs becs sur les murs où étaient représentés les fruits.
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BIBLIOGRAPHIE UTILE Arendt « Vérité et politique » in La Crise de la Culture Bergson « Vérité et réalité » in La Pensée et le Mouvant Foucault « Le Courage de la Vérité » in Cours au Collège de France 1984 Heidegger « Alèthéia » in Essais et Conférences Kant Critique de la Raison Pure, Seconde préface Nietzsche Vérité et mensonge au sens extra moral Platon Livres 6 & 7 de La République Ricoeur Histoire et Vérité Sartre Chap. 2 de L’Etre et le Néant
Au moins un roman policier « culte » : Le Faucon Maltais de Samuel Dashiell Hamett, le classique du genre roman noir américain. Ou bien La Pierre de Lune de Wilkie Collins, l’ancêtre des « who dunit ? », britannique qui utilise la technique des changements de points de vue narratifs (relativisme, etc.). Ou encore Le Mystère de la Chambre Jaune de Gaston Leroux, roman au cours duquel s’affirme le personnage du reporter/journaliste (Rouletabille) comme ardent défenseur de la Vérité.
Quelques œuvres littéraires : Camus, La Chute Giono, Un roi sans divertissement Musset, Lorenzaccio Pirandello, Chacun sa Vérité Shakespeare, Hamlet Sophocle, Œdipe Roi
Pour accompagner enfin l’année, deux ouvrages parascolaires très clairs et très utiles : Celui de Jean-François Bossy La Vérité chez Ellipses et celui de Jean-Marie Nicolle, efficace comme d’ailleurs lors de chaque livraison annuelle, chez Bréal.
Sur Internet : http://www.philolog.fr/categorie/cours/chapitre-xvi/
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BCE CONCOURS 2015 370 PLACES OUVERTES LES ÉPREUVES ÉCRITES
INSEEC Business School utilise les épreuves de la BCE selon la grille ci-dessous. Choix des épreuves écrites
Option Scientifique
coef.
Option Économique
Contraction de texte
Épreuve HEC
3
Épreuve HEC
3
-
-
Résumé de texte ESC
-
-
-
-
Épreuve ESC
4
Langue Vivante 1
IENA
7
IENA
7
IENA
3
Langue Vivante 2
IENA
6
IENA
6
IENA
2
Épreuve EM Lyon
5
Épreuve EM Lyon
6
Épreuve ESC
2 4
Dissertation culture générale Mathématiques Histoire, Géographie et Géopolitique
coef. Option Technologique coef.
Épreuve EM Lyon
4
Épreuve EM Lyon
3
Épreuve ESC
Épreuve ESCP Europe
5
-
-
-
-
-
-
Épreuve ESCP Europe
5
-
-
Économie, Sociologie et Histoire Économie-Droit
-
-
-
-
Épreuve ESC
7
Gestion-Management
-
-
-
-
Épreuve ESC
8
Total coefficients
30
Choix des épreuves écrites Contraction de texte Langue Vivante 1 Langue Vivante 2
30
30
Option B/L
coef.
Option Littéraire (A/L et ENS Lyon)
Épreuve HEC
2
Épreuve HEC
coef. 3
IENA
6
IENA
7
IENA
4
IENA
5
Dissertation littéraire
Épreuve ESSEC
5
-
-
Dissertation philosophique
Épreuve ESSEC
5
-
-
Épreuve ESCP Europe
4
-
-
Épreuve à options
Épreuve ESSEC
4
-
-
Épreuves ENS-BEL
-
-
Moyenne des notes
15
Histoire
Total coefficients
30
30
LES ÉPREUVES ORALES
Les épreuves orales se déroulent sur une journée, à Paris, à Bordeaux ou à Chambéry. Les jurys sont composés de manière équilibrée de professeurs de classes préparatoires, de cadres d’entreprises, d’enseignants ou d’anciens élèves d’INSEEC Business School. Les épreuves orales d’INSEEC Business School ont un double objectif : • discerner l’aptitude du candidat à réussir et bénéficier pleinement des projets et programmes qui lui seront proposés : ouverture internationale, goût pour la communication et l’argumentaire, esprit d’entreprendre, sens de l’équipe… • susciter une première rencontre entre le candidat et l’école. Coefficients INSEEC
Entretien de motivation 11
Question de culture générale ou d’actualité 7
Langue Vivante 1 IENA 7
L’ADMISSION ET L’INSCRIPTION L’inscription se fait par la procédure centralisée SIGEM 2014.
Quel que soit votre rang de classement (liste principale + liste complémentaire), c’est vous qui déciderez d’intégrer Paris, Bordeaux ou Chambéry.
Langue Vivante 2 IENA 5
Total 30
Professeur agrégé de l’université, Éric Cobast est aujourd’hui conseiller spécial pour la recherche et les productions académiques au sein du Groupe INSEEC et titulaire de la chaire de philosophie à INSEEC Business School.
Durant toute l’année, les élèves de CPGE peuvent s’inscrire au MOOC « Moments de Vérité » sur le site www.mooc-prepas.com Conçu par Éric Cobast et INSEEC Business School, ce MOOC permet aux élèves de maîtriser les fondamentaux du thème de l’année, les textes et les auteurs incontournables et les aide à préparer le concours, en complément des enseignements de leurs professeurs.
www.mooc-prepas.com
LES MOTS DE LA VÉRITÉ COLLECTION LES LEXIQUES N°15 : Lexique de Géopolitique N°16 : Lexique d’Anglais N°17 : Formulaire de Mathématique (voie S) N°18 : Les mots du Plaisir N°19 : Les mots de l’Espace
Julien SUAUDEAU Tél. : 04 79 25 38 18 E-mail : jsuaudeau@inseec.com INSIGNIS-BS.COM
15215-02/15
ÉRIC COBAST