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COUP DE COEUR

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KELLY NJIKE

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FONDATRICE MELAYCI « MELAYCI CE N’EST PAS UNE MARQUE QUI TRANSFORME LA FEMME, C’EST UNE MARQUE QUI SUBLIME LA FEMME. »

Propos recueillis par Peter BILLE Photos par Peter BILLE

Côté pile, elle est chef de projet marketing pour une entreprise de peintures décoratives. Côté face, elle est la fondatrice de Melayci, la marque de cosmétiques afro et végan qui est sur toutes les lèvres depuis quelques mois. Le dynamisme et la jovialité de Kelly Njike n’ont d’égale que son sens du pragmatique. En seulement 2 ans, elle a construit, financé et lancé une marque déjà bien ancrée dans des valeurs fortes, et portée par sa communauté. Un exploit dans un monde où les consommateurs sont de plus en plus exigeants et où le nombre de marques beauté ne se compte plus, tant il y’en a. Kelly nous partage à travers son parcours, les best practices pour lancer sa marque de cosmétiques.

Pourquoi Melayci ?

Je suis une véritable passionnée de cosmétiques, domaine dans lequel j’ai toujours voulu bosser, surtout en tant que chef de produit. Malheureusement, comme vous le savez, il est compliqué en France d’intégrer un secteur d’activité différent du secteur initial dans lequel on a démarré. C’est encore plus vrai pour un secteur comme la beauté, qui est assez fermé. Il y’avait donc beaucoup de barrières à l’entrée pour moi. Mais cela ne m’a pas freinée. Je me suis formée de manière autodidacte à travers notamment des newsletters et des magazines professionnels, mais également une présence régulière dans les salons que ce soit en France ou à l’étranger. En sillonnant les salons, j’ai également pu créer et alimenter mon carnet d’adresses. Dans tout ce processus, et en ayant essuyé plusieurs refus, j’ai fini par me dire qu’il serait plus judicieux pour moi de me lancer directement sur le marché, sans attendre d’intégrer l’industrie de manière conventionnelle. Grâce à mon métier, je savais construire une stratégie marketing, et plus important encore, je savais lancer un produit. Je m’étais formée sur le marché, j’étais prête.

As-tu un associé qui s’occupe de la partie formulation des produits ?

Non, je me suis fait aider par un laboratoire. J’ai la chance de travailler dans la chimie depuis 8 ans, précisément dans l’industrie des peintures décoratives. La poudre, les pigments, les couleurs, ça me connaît. Par conséquent, je ne suis pas perdue quand il est question de travailler la formulation d’un produit cosmétique, encore moins d’un rouge à lèvres pour lequel la couleur est capitale. C’était plus facile pour moi de guider le laboratoire dans le choix précis des couleurs que je voulais pour mes produits. C’est la même chose pour les textures. Je savais comment analyser les compositions pour obtenir la meilleure texture possible.

Quels sont les prérequis pour démarrer le travail avec un laboratoire ?

Quand on crée des cosmétiques on prépare d’abord son brief ou son cahier des charges à destination de tous les prestataires, y compris le laboratoire, qui aura la charge de formuler les produits et de fabriquer les prototypes. Ce document décrit avec précision votre besoin et vos attentes. N’hésitez pas à anticiper sur les allégations et les avantages produits que vous vous allez mettre en avant au moment de communiquer sur le produit ou de le vendre. Moi je misais beaucoup sur un produit confortable, avec une formule très légère, mais hydratante et onctueuse. Je voulais aussi que la formule contienne des actifs permettant de lutter contre le vieillissement cutané, notamment avec la vitamine E. Il est aussi préférable de rajouter à votre brief une blacklist, c’est à dire des ingrédients que vous ne voulez pas du tout. Vous pouvez également mettre dans le brief un benchmark des formules concurrentes avec ce que vous aimez ou pas dans chaque formule. Le dernier élément à rajouter, qui n’est pas des moindres, c’est votre budget. Plus votre brief est détaillé, plus le labo fabriquera un produit qui ressemble à ce que vous avez imaginé. Après la proposition, il y’a une suite de tests et d’allers retours pour arriver au résultat attendu. Personnellement, j’ai 7 mois pour finaliser mon produit, du fait de ma cible : les femmes à peaux noires. Il fallait redoubler d’attention sur la tenue, les pigments, l’hydratation.

Tu as travaillé avec une entreprise de packaging allemande pour la composition de ce joli packaging boisé Raconte-nous le processus de travail avec une telle société.

C’est le même processus pour que pour la formulation du produit. Il faut briefer la société de packaging en fonction de votre image, des valeurs que vous portez et ce que vous voulez apporter sur le marché. Je savais que je voulais un packaging fort qui parle de caractère, qui se distingue de ce qu’on a l’habitude de voir, et qui porte un message. J’ai donc fait beaucoup de recherches par rapport aux matériaux possibles qu’on peut avoir dans un produit de beauté. Le bois est apparu comme une évidence, car il symbolise le naturel, l’authenticité, le retour aux sources. Il faut savoir que les fournisseurs de bois dans ce domaine, il y’en a très peu. Les quelques acteurs qui existent, je les avais déjà rencontrés sur un salon professionnel. Le but était d’obtenir quelque chose de boisé, mais d’élégant. Une fois que la société a reçu votre brief, elle procède à des tests de compatibilité entre les matières et à des tests de stabilité avec la formule. Par exemple, il existe des formules qui ne peuvent être que dans des packagings opaques, parce que les composants se dégradent au contact de la lumière. C’est hyper important quand on créé un packaging de faire ces tests sur 3 mois environ pour voir comment le produit vit dans le packaging.

Melayci est-elle une marque de cosmétique naturelle ?

Non, Melayci est plutôt une marque végane. Mais l’idée c’est de créer la formule la plus clean possible par rapport au rendu que l’on souhaite. On va donc avoir des ingrédients d’origine naturelle comme l’extrait d’écorce de magnolia sur les rouges à lèvres, ou l’huile de jojoba sur les crayons. Rares sont les rouges à lèvres qui sont 100% naturels. Déjà, c’est quasiment obligatoire de rajouter des conservateurs dans son rouge à lèvres, si on veut éviter d’avoir à le conserver au réfrigérateur. Par ailleurs, par rapport au rendu souhaité, il y’a des composants qu’il faut absolument mettre. Le rouge à lèvres est sans doute le produit où il est le plus difficile de rester 100% naturel. Cependant ce qu’on peut faire, c’est prendre en compte les ingrédients controversés, et éviter de les mettre dans ses formules. Prendre en compte aussi le changement des habitudes de consommations. Les gens ont besoin de transparence sur les ingrédients aujourd’hui. Ils veulent savoir ce qu’ils mettent dans leurs assiettes, dans leurs verres, sur leur peau. Ils veulent ce qui est bon pour leur santé.

Alors on peut être une marque végane sans être naturelle…

Complètement ! Les gens font souvent l’amalgame entre végan et naturel. Il y’a plusieurs appellations. Les ingrédients 100% naturels (quand tous les ingrédients sans exception proviennent d’ingrédients naturels), les ingrédients d’origine naturelle (quand les ingrédients ont été transformés chimiquement à un moment donné de la formulation, donc ils ne sont plus 100% naturels. Ensuite on a les ingrédients végans (quand aucun ingrédient d’origine animale n’est présent dans la formule, et que la formule n’est pas testée sur les animaux). Pour finir, il y’a les ingrédients bio (quand tous les ingrédients sont issus de l’agriculture biologique. Il y’a deux conditions pour être certifié bio : avoir 85% de ses ingrédients en provenance de l’agriculture biologique et payer la certification)

Pourquoi avoir spécifiquement choisi les rouges à lèvres et les crayons pour démarrer ?

La première raison c’est que je ne voulais pas me tromper. Je voulais commencer avec un produit phare, que toute femme a dans sa trousse de maquillage. Et dans l’univers du maquillage, le champion toutes catégories en termes d’achats, c’est bien le rouge à lèvres. La seconde raison reposait sur le fait d’utiliser un produit où la couleur a un véritable pouvoir. La couleur accompagne le message de valorisation, d’acceptation et d’affirmation de soi, qui constitue le socle de Melayci. Chaque couleur de rouge à lèvres est associée à une affirmation positive : I Am positive, I Am grateful, I Am joyful, I Am confident, I Am proud. La couleur c’est aussi la touche finale d’un maquillage, celle qui vient sublimer. Melayci ce n’est pas une marque qui transforme la femme, c’est une marque qui sublime la femme. Pour finir, je voulais que la femme Melayci puisse emporter son produit partout avec elle. Le fait de mettre un de ces rouges à lèvres signifie que vous adoptez l’attitude liée à votre produit. Le rouge à lèvres était le meilleur produit pour me permettre d’accompagner mon histoire. Ça n’aurait pas été la même chose avec du fond de teint par exemple

Comment se construit et se choisit une gamme de produits ?

Il y’a trois choses que vous devez définir. Déjà, votre capacité financière, car plus il y’a de produits, plus cela vous coutera cher. Ensuite, le message que vous voulez véhiculer et pour finir le type de produits qui constituerait pour vous la gamme idéale. Personnellement, je fonctionne toujours en collections courtes, parce qu’en tant que jeune marque, je n’ai pas le budget pour développer une collection dense. Par ailleurs, si vous sortez une collection de ce type, tous les produits ne seront pas achetés. C’est toujours du 20/80. Vous aurez 20% de produits best-seller, qui fonctionnent, et le reste qui sont achetés sporadiquement. Je voulais une collection de must – have. Cinq couleurs essentielles et intemporelles, qui puissent aller à tout de monde, de manière que tout le monde puisse se retrouver dans ces couleurs. Et c’est ce qui marche : les gens n’ont pas de problème à acheter les 5 rouges à lèvres d’un coup, parce que les couleurs sont faciles à porter. Évidemment, même sur une collection courte, il y’a des produits qui se démarquent. Dans mes rouges à lèvres, le best-seller c’est le I Am grateful, qui est couleur prune.

La collection courte me permet de mieux analyser les retours sur les teintes actuelles avant d’en introduire progressivement de nouvelles. Ça me permet aussi de maitriser mon stock et mes ventes. C’est plus facile en collection courte de travailler de manière smart : en faisant des duos, des trios, des coffrets…

La particularité de mes rouges à lèvres, c’est qu’ils sont versatiles : on peut les utiliser en blush et en ombre à paupières. Cela faisait partie de mon cahier de charge initial dans le développement des produits. C’est une valeur ajoutée pour la cliente, qui peut faire beaucoup de choses avec un seul produit. La collection est courte, mais elle a été travaillée en mode agile (coûts réduits, teintes de couleurs essentielles, donc qui se vendent forcément, produits polyvalents).

Combien faut-il prévoir pour démarrer une collection ?

Je pense que c’est au cas par cas. Moi je partais avec pas mal d’atouts : une compréhension fine du marketing, de la conception de produit et du secteur de la beauté en général. Je savais faire un business plan. Certaines personnes auront besoin d’une agence dédiée pour les aider à faire une étude de marché par exemple. Voilà déjà un premier pôle de dépenses. Pour ma part, j’ai payé un laboratoire pour la formulation des produits et la fabrication des prototypes. J’ai payé une agence spécialisée pour le packaging des produits. J’ai fait une campagne de crowdfunding donc il a fallu investir dans la production de la campagne de communication via une agence. En tout, j’ai investi environ 85k dans le lancement de la marque.

Comment as-tu financé ce lancement ?

J’ai commencé par les banques. Je demandais 80k et j’avais un apport de 20k. J’ai toqué à la porte de 8 banques, elles ont toutes refusé mon dossier. Non pas parce que le projet n’était pas bien amené, (au contraire j’avais beaucoup de compliments sur la qualité du business plan qui était assez solide), mais parce que

Les banques françaises ne financent pas le stock de marchandises.

à lèvres ne vaut rien dans ce cas. (Rires). C’est important de dire ça aux gens qui veulent se lancer. J’avais un très bon dossier et de l’apport, mais ce n’est pas passé. J’ai fini par comprendre que le problème ne venait pas de moi, mais du système. J’ai donc décidé de jouer un coup de poker en investissant le montant de mon apport dans une campagne de communication dédiée à un crowdfunding. J’avais déjà vu de nombreuses succès stories qui avait démarré de cette manière. Je me suis jetée à l’eau. Le challenge c’était de réussir à convaincre une communauté de personnes qui ne me connaissaient pas, d’adhérer à un produit de maquillage tout nouveau qu’elles n’avaient pas testé, et qui allait arrivez chez elles seulement dans 6 mois. Et tout ça en 30 jours ! Les enjeux étaient élevés, et passer par une agence pour moi était incontournable. La campagne a eu un très bon succès. En 4 jours, on avait déjà atteint la moitié de la somme demandée. Je visais 500 précommandes. Mon objectif ce n’était pas forcément de recueillir tous les fonds pour le lancement, mais de montrer à la banque la viabilité du projet en 30 jours : le nombre de préventes, le nombre de retombées médias, le nombre de personnes de personnes qui nous ont suivi, etc. Après ce crowdfunding, j’ai eu mon prêt sans problèmes. Les banques sont frileuses en France. Je leur présentais un projet qui s’adressait à une communauté noire et la (triste) réalité c’est que quand on adresse une communauté noire, la banque questionne notre crédibilité et la viabilité du projet.

Quelles sont les conditions essentielles pour réussir sa campagne de crowdfunding ?

Une campagne de crowdfunding demande du temps, de l’énergie et de la préparation au-delà de l’argent qu’il faut investir. Beaucoup de campagnes échouent parce que les protagonistes ne mettent pas assez de moyen dans ces 4 éléments. J’ai investi 17K euros environ dans cette campagne de crowdfunding (entre la prestation de l’agence, la création de contenu, les prototypes, etc.). Mais attention, c’était un investissement calculé, parce que derrière je demandais un prêt plus conséquent à la banque. Vous devez penser à la cohérence de vos contenus par rapport à l’image de votre marque. Il faut aussi identifier et travailler avec les bonnes personnes, qui vont comprendre votre branding et réussir à véhiculer le message que vous souhaitez. La préparation est CAPITALE. Même quand vous avez une grosse communauté, ce n’est pas forcément eux qui vont acheter. Même la contribution de la communauté se prépare. Les personnes qui doivent vous soutenir en premier sont vos amis et les membres de votre famille, afin de créer un effet boule de neige où chacune de ces personnes partagera la campagne par la suite. Pendant les 30 jours, il faut être très actif sur les réseaux sociaux. Se montrer, parler à la communauté, les fédérer, les remercier, leur expliquer les choses. Au-delà d’un projet, les gens vont vouloir aider la personne derrière le projet. Il faut donc qu’ils connectent avec vous, avec votre personnalité, votre vision.

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