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LA TERRE NE MENT PAS

Par Marie Simone NGANE SOUA

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Depuis plus de 10.000 ans, les hommes construisent en terre. Les premières traces de ce type de construction ont été retrouvées en Mésopotamie. Pour poser le décor (en terre), notons que plus d’un tiers de la population mondiale vit dans une architecture de terre et plus de 10% des sites classés au Patrimoine Mondial par l’Unesco sont bâties en terre crue. Lorsqu’elle est utilisée sans grande transformation, les constructions en terre sont dites en terre crue, banco ou adobe. Ce sont celles que l’on voit le plus dans nos villages. La construction en terre est souvent synonyme de pauvreté.

Crédit photo : Toa Heftiba

Comment redonner à la terre ses lettres de noblesse ?

Avec la modernisation et l’urbanisation, les villes africaines se transforment en ensembles de blocs de béton. A Douala, les immeubles recouverts de carreaux ou de plaques de métal pullulent. A Abidjan, les tours se suivent et se ressemblent. La terre est pourtant accessible, il suffit littéralement de se baisser pour en trouver. Une partie de la muraille de Chine est d’ailleurs construite en terre car vu la longueur de l’édifice, les constructeurs ne pouvaient se permettre de transporter la matière première. La terre permet de construire facilement. Et qui dit facilité, dit économie. Pour extraire de la terre, il ne faut pas de technologie particulière. La terre crue ne nécessitant pas de transformation, les économies sont faites à la fois en temps et en énergie. L’architecte égyptien Hassan Fathy a, dans les années 50, construit des milliers de logements en terre. Parti d’une revisite de l’architecture traditionnelle, le projet a coûté cinq fois moins cher qu’un projet en béton. L’autre avantage, dans ce pays chaud, est bien évidemment la gestion des températures dans les habitats.

Comment éviter de subir les aléas des délestages d’électricité et profiter d’une climatisation naturelle ?

Contrairement à ce qui se dit habituellement, la terre n’agit pas comme climatiseur ou isolant thermique. Elle possède une très bonne inertie thermique, ce qui signifie qu’elle garde les températures. Pendant les périodes chaudes, elle se rafraîchit la nuit et rend cette température durant la journée. Les murs se réchauffent lentement, la période de fraîcheur est donc prolongée. C’est un atout non négligeable dans les pays où les températures peuvent souvent monter au-dessus de 35° et où la disponibilité de la climatisation et de l’énergie électrique sont limitées. Sur le plan environnemental, ce type de construction ne participe pas au gaspillage des ressources de la planète et ne pollue pas. C’est un matériau réutilisable et inépuisable. En réduisant les charges en matière de transport, il participe au développement durable.

Construire la ville de demain requiert à la fois une dimension écologique, économique mais surtout durable.

Des habitats très confortables et durables peuvent être construits en terre. La ville de Shibam au Yémen est l’un des exemples les plus impressionnants. Surnommée la « Manhattan du désert », elle comprend des bâtiments élevés allant jusqu’à six étages. Construite au XVIe siècle, la ville subsiste encore aujourd’hui. La terre a l’avantage d’avoir une bonne plasticité. Cependant avec les phénomènes climatiques, l’urbanisation et la disparition des techniques de conservation traditionnelles, ce type d’architecture est menacé. Image : Grande Mosquée de Djenné Au Mali, la Grande Mosquée de Djenné, le plus grand édifice en terre crue au monde, est crépie tous les ans par les habitants de la ville au cours d’un événement. La pérennité des constructions en terre est étroitement liée à la pérennité des techniques et l’acquisition de savoir-faire.

Accessible, économique, durable, pourquoi donc la terre n’est pas le matériau le plus utilisé dans les régions chaudes ?

Le narratif négatif sur l’habitat en terre y est pour beaucoup. Habiter dans une maison en « dur » est un marqueur de réussite. L’esthétique des constructions en terre n’est pourtant plus à démontrer. Dans l’architecture contemporaine, elle est souvent utilisée en association avec d’autres matériaux. A Dakar, les édifices rouges côtoient les bâtiments en béton. L’architecture de la terre est en quelque sorte organique. Elle se fond dans le paysage et l’environnement. Image : Grande Mosquée de Djenné Au Mali, la Grande Mosquée de Djenné, le plus grand édifice en terre crue au monde, est crépie tous les ans par les habitants de la ville au cours d’un événement. La pérennité des constructions en terre est étroitement liée à la pérennité des techniques et l’acquisition de savoir-faire.

Les grandes questions sur l’habitat et la conservation des techniques de construction interviennent souvent lors de crises.

En 1980, l’exposition « Architectures de terre ou l’avenir d’une tradition millénaire » au centre Pompidou en France éveillaient les consciences sur l’importance de perpétuer ce savoir. Le Programme du patrimoine mondial pour l’architecture de terre (WHEAP) est lancé en 2008. En 2009, le Programme Africa 2009 proposant une approche intégrée de la conservation du patrimoine immobilier africain (les mosquées de Tombouctou, les ruines du Grand Zimbabwe, les villes Swahili de Zanzibar, Bagamayo, Mombasa et Lamu ou l’île de Gorée…) est créé. En 2022, un architecte africain remporte pour la première fois le plus grand prix d’architecture mondial. Le burkinabé Diébédo Francis Kéré est le lauréat du Pritzker Prize. Créé par l’homme d’affaires Jay Pritzker en 1979, le Pritzker Prize récompense les architectes qui ont eu un apport significatif à l’architecture. C’est un message fort, un appel au retour à l’essentiel. La terre crue est la marque de fabrique de Francis Kéré. , Le lauréat du prix d’architecture Aga-Khan (2004) et du Global Award for Sustainable Architecture (2009) compresse la terre à l’aide d’une presse pour en faire des briques qui absorberont la chaleur. L’inertie thermique du matériau est mise à profit avec un toit surplombant l’édifice et protégeant les murs du soleil tout en laissant un espace où l’air peut circuler. A Gando, les édifices se suivent et ne se ressemblent pas rivalisant de beauté architecturale. «Mon travail est un service à l’humanité pour les pauvres comme les riches» a expliqué l’architecte au micro de confrères après sa victoire.

Accéder à un logement adapté, confortable et esthétique n’est pas une question d’argent. Retournons à la terre. La terre ne ment pas.

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