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Le législateur affine encore la loi sur le retard de paiement dans les transactions commerciales

La loi du 2 août 2002 concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales (ci-après, la « LRPT ») est un instrument important contre les mauvais payeurs. La loi, qui transpose une directive européenne, a été révisée en profondeur pour la première fois en 2013. En 2019, des règles spéciales y ont été reprises pour protéger les PME en tant que créancières. Dans la pratique, toutefois, les dispositions actuelles se sont révélées insuffisamment strictes pour faire face à l’augmentation des arriérés de paiement. Le législateur est donc intervenu avec la loi du 14 août 20211 (ci-après la « Loi modificative »), qui renforcera encore la LRPT à partir du 1er février 2022.

Ci-dessous, nous aborderons d’abord le champ d’application de la LRPT, puis le délai de paiement légal et son point de départ, avant d’aborder les sanctions prévues par la loi et le pouvoir modérateur du tribunal en matière de clauses abusives. Dans chaque cas, nous conclurons par les nouveautés introduites par la Loi modificative.

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1. Dans quels cas la LRPT s’applique-t-elle ?

La LRPT ne s’applique qu’aux « transactions commerciales », c’est-à-dire toute transaction entre des entreprises ou entre des entreprises et les pouvoirs publics qui conduit à la fourniture de marchandises ou à la prestation de services contre rémunération.2

Les règles de la LRPT ne peuvent donc être invoquées à l’encontre des consommateurs qui ne paient pas leurs factures. Il est également important que l’obligation de paiement constitue la contrepartie de la fourniture de marchandises ou de la prestation de services. En règle générale, il s’agit des cas dans lesquels des factures peuvent être émises.

2. Délai de paiement maximal de 60 jours pour toutes les transactions commerciales

Le principe de base de la LRPT est que tout paiement doit être effectué dans un délai de 30 jours civils à compter du jour suivant celui de la réception de la facture ou d’une demande de paiement équivalente, si les parties n’ont pas convenu elles-mêmes d’un délai de paiement.3

Les parties peuvent déroger entre elles au délai légal de paiement, mais les délais supérieurs à 30 jours civils doivent être objectivement justifiés par la nature particulière ou par certains éléments du contrat.4

En vertu de la loi actuelle, une période maximale de 60 jours civils s’applique également dans deux cas spécifiques : • le débiteur est une autorité publique ; ou • le créancier est une PME5 et le débiteur ne l’est pas. Le législateur veut ainsi protéger les PME de la pression des grandes entreprises.

Dans les relations entre deux grandes entreprises, le délai de paiement convenu de commun accord peut donc, en vertu du droit actuel, être encore supérieur à 60 jours civils.

Dans la Loi modificative, le législateur fera en sorte que le délai maximal de 60 jours civils soit le même pour toutes les transactions commerciales, quelle que soit la taille des entre- prises concernées. 6 Si l’on s’écarte de cette règle et que l’on impose un délai supérieur à 60 jours, le débiteur ne peut qu’être désavantagé : le délai de paiement légal de 30 jours s’applique alors, avec pour conséquence que les intérêts commencent à courir après son expiration (voir ci-dessous).

3. Aucun accord contractuel sur la date de réception de la facture

Dans la plupart des cas, le délai de paiement légal ou contractuel prévu par la LRPT commence à courir le jour suivant la réception de la facture.

Dans le droit actuel, les entreprises peuvent déterminer contractuellement le moment de la réception de la facture, ce qui peut repousser artificiellement le délai de paiement. Pour combler cette lacune, la Loi modificative interdira les accords contractuels entre entreprises concernant la date de réception de la facture.7 Ceci par analogie avec les transactions commerciales entre une entreprise et une autorité publique, auxquelles une telle interdiction s’applique déjà.8

Les futures règles obligent également le débiteur à fournir toutes les informations nécessaires au créancier, au plus tard lors de la réception des marchandises ou de la prestation des services, afin que le créancier puisse établir la facture en temps utile.9

4. La période de contrôle et de vérification fait partie du délai de paiement de 60 jours

Dans certains cas, une procédure d’acceptation ou de contrôle des marchandises ou services sera exigée, sur la base de la loi ou d’un contrat. Si le débiteur a reçu la facture avant d’avoir pu accepter ou contrôler les marchandises ou les services, le délai de paiement ne commence à courir qu’après l’acceptation ou le contrôle. Le délai de la procédure ne doit pas dépasser 30 jours civils afin d’éviter de prolonger le délai de paiement par des procédures d’acceptation ou de vérification artificiellement longues. Dans les cas complexes, un délai plus long peut être autorisé si les parties en ont expressément convenu et si cela n’est pas manifestement abusif pour le créancier, qui ne doit en outre pas être une PME.10

Nombre de grandes entreprises étendent le délai de paiement maximal de 60 jours à un total de 90 jours au moyen de la période de contrôle et de vérification de 30 jours civils ; une longueur intenable pour de nombreuses PME. C’est la raison pour laquelle le législateur adapte la règle : avec la Loi modificative, la période de contrôle et de vérification fera partie intégrante du délai de paiement, avec un maximum total de 60 jours.11

5. Ajout automatique au montant impayé des intérêts et des indemnités forfaitaires pour frais de recouvrement

Les intérêts qui commencent à courir de plein droit à l’expiration du délai de paiement légal ou convenu constituent la principale protection de la LRPT contre les mauvais payeurs. Une fois la facture envoyée, le débiteur ne doit donc pas envoyer d’injonction complémentaire pour faire courir les intérêts.12

Le taux d’intérêt est déterminé en fonction d’un taux d’intérêt de référence13, majoré de 8% et arrondi au demi-point de pourcentage supérieur.14 Pour le second semestre de 2021, ce taux d’intérêt s’élève à 8%.

Dans les transactions entre entreprises, un taux d’intérêt différent peut être convenu, pour autant qu’il ne soit pas manifestement abusif pour le créancier (dans ce cas, le taux d’intérêt peut être révisé par le tribunal – voir ci-dessous).15

Dans les transactions entre entreprises et pouvoirs publics, il n’est pas possible de s’écarter contractuellement du taux d’intérêt indiqué.

En plus des intérêts, en cas de non-paiement, le créancier a droit – de plein droit et sans mise en demeure – au paiement d’une indemnité forfaitaire de 40 euros pour ses propres frais de recouvrement, quel que soit le montant du principal.16 Une fois le délai de paiement expiré, l’indemnité est due, indépendamment de l’existence ou non de frais de recouvrement et de l’ampleur réelle de ces frais, qui ne doivent par ailleurs pas être prouvés.

La Loi modificative se limite à retoucher subtilement les dispositions relatives aux intérêts et aux frais de recouvrement, en ce sens que le créancier n’a plus « droit » à des intérêts et à une indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement, mais que ces montants viennent « majorer » le solde restant dû, de plein droit et sans mise en demeure, à partir du jour suivant l’expiration du délai de paiement.17 Désormais, ces montants complémentaires seront donc automatiquement ajoutés au montant impayé, ce qui devrait éviter que des pressions soient exercées sur les entreprises pour qu’elles renoncent aux intérêts et/ou à l’indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement en cas de retard de paiement.

En réalité, bien sûr, les frais de recouvrement sont souvent largement supérieurs à 40 euros. Dans ce cas, le créancier a droit à une indemnisation raisonnable pour les frais de recouvrement qui dépassent le montant forfaitaire et qui ont été occasionnés par le retard de paiement. Contrairement à l’indemnité forfaitaire, elle ne vient pas automatiquement majorer le montant impayé, et l’existence et l’ampleur des frais réels doivent, en principe, être prouvés.18

6. Pouvoir modérateur du tribunal en cas de clauses « abusives »

Afin de protéger davantage les créanciers dont le pouvoir de négociation est relativement faible, la LRPT prévoit que les clauses et pratiques qui s’écartent de la loi (par exemple, les taux d’intérêt dérogatoires, les indemnités dérogatoires pour frais de recouvrement, etc.) peuvent être modérées par le tribunal, à la demande du créancier.19 Le critère applicable en la matière est de savoir si – en tenant compte de toutes les circonstances, y compris les bonnes pratiques commerciales et la nature de la marchandise ou du service – le créancier est victime d’un abus manifeste. Le juge dispose d’une certaine marge d’appréciation et doit examiner, entre autres, si le débiteur a des raisons objectives de s’écarter des dispositions légales. L’exclusion contractuelle du paiement d’intérêts ou d’une indemnité pour frais de recouvrement est considérée, en toute hypothèse, comme manifestement abusive.

Il est remarquable que ce pouvoir modérateur ne s’applique qu’au profit du créancier. Un débiteur qui est confronté à des délais de paiement abusivement courts ou à des taux d’intérêt élevés ne peut pas invoquer la LRPT pour faire réviser ces clauses ou pratiques. La loi a été instaurée pour satisfaire à l’objectif européen de lutte contre les retards de paiement. Elle se limite à cette visée. Cela ne signifie pas que le débiteur soit laissé pour compte. La LRPT n’affecte pas l’article 1153 de l’ancien Code civil (C. civ.) qui permet au juge de réduire les intérêts stipulés, l’article 1231 de l’ancien Code civil qui lui accorde le pouvoir de modérer une clause pénale et l’article 1244 de l’ancien Code civil sur le pouvoir du juge d’accorder un délai de paiement.

La Loi modificative n’apporte aucun changement à cet égard.

7. Conclusion

La Loi modificative a comblé un certain nombre de lacunes de la LRPT. C’est sans aucun doute une bonne chose pour la position de liquidité de nombre d’entreprises. Il faut en effet lutter contre la pratique en vertu de laquelle la partie économiquement la plus forte s’octroie gratuitement un crédit aux dépens de la partie la plus faible.

D’autre part, les entreprises devront contrôler et suivre attentivement les factures qu’elles reçoivent ellesmêmes de leurs partenaires commerciaux, afin d’éviter qu’elles ne soient automatiquement majorées d’intérêts et d’une indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement.

Geert De Buyzer

Avocat

Emilie Bogaerts

Avocat

1 Loi du 14 août 2021 modifiant la loi du 2 août 2002 concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales, M.B. du 30 août 2021 (« Loi modificative »).

2 Art. 3 LRPT.

3 Art. 4 LRPT.

4 Art. 4 § 2 LRPT.

5 Le terme « PME » doit être compris de la manière suivante : « toute entreprise qui, au moment de conclure une transaction commerciale, répond aux critères fixés à l’article 1:24, § 1er, du Code des sociétés et des associations ».

6 Des délais plus longs peuvent encore être accordés par arrêté royal pour des secteurs spécifiques.

7 Art. 2 LRPT.

8 Art. 4, §2 in fine LRPT.

9 Art. 2, 9º Loi modificative.

10 Art. 4, §1, 3º LRPT.

11 Art. 2, 10° Loi modificative.

12 Une mise en demeure reste par contre requise pour d’autres recours contre un débiteur défaillant, tels qu’une exécution forcée, le droit d’invoquer une clause pénale ou la résolution d’un contrat.

13 C’est à dire le taux d’intérêt appliqué par la Banque centrale européenne à ses opérations principales de refinancement.

14 Art. 2, 4° et 5 LRPT. Ce taux d’intérêt et toute modification de celui-ci sont publiés au Moniteur belge.

15 Art. 5 LRPT.

16 Art. 6 LRPT.

17 Art. 3 et 4 de la Loi modificative.

18 Si une procédure judiciaire a été engagée, la partie ayant obtenu gain de cause a droit à une indemnité de procédure pour les frais et honoraires de son avocat, qui est une compensation forfaitaire (art. 1022 C. jud.).

19 Art. 7 LRPT. La révision par le tribunal ne peut pas donner au créancier plus de droits qu’il n’en aurait en vertu de cette loi.

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