DECRYPT'AGE HORS-SERIE dernier numéro ISCPA Lyon juin 2020

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ECONOMIE

Henry Ford, le patron des patrons Qui était Henry Ford ? Outre la très célèbre invention et mise en pratique du travail à la chaîne, on doit également à l’ingénieur et l’industriel américain l’accès pour tous à l’automobile. Un siècle plus tard, les méthodes industrielles ont évolué. Henry Ford nait en 1863 sur un continent nord-américain qui se couvre de manière exponentielle de voies ferrées. Il grandit avec l’apparition de milliers de kilomètres d’autoroutes aux États-Unis. Une nouvelle société est alors en train de se mettre en place, celle des cinémas en plein air, des motels. Tout laisse à croire que l’automobile est en train de devenir indispensable à chaque foyer. Ce train de vie à l’américaine, Henry Ford n’en est pas étranger. Il connaît un premier échec à travers la création de la Ford Motor Company en 1903, très en retard comparé aux autres compagnies mondiales. Les débuts sont alors difficiles jusqu’en 1908, où il invente un nouveau modèle d’organisation du travail : le fordisme. C’est grâce à ce procédé mondialement

connu qu’il conçoit le premier véhicule à bas coût : le Ford T. À cette période, l’automobile n’est destinée qu’aux plus aisés, car construite dans l’artisanat. Les pièces sont alors conçues et assemblées chez des menuisiers, tapissiers, selliers. Henry Ford, quant à lui, développe un véhicule entier dans un seul et même endroit, l’usine de Highland Park. L’artisanat n’a plus sa place, l’ingénieur divise par huit le temps de la fabrication, et parallèlement réduit de manière drastique les coûts de production. Économiquement, c’est une grande évolution. À la fin de la Première Guerre mondiale, le véhicule est adopté par un foyer américain sur deux parmi ceux qui possèdent une voiture. Henry Ford comprend également que pour vendre davantage de voitures, il faut que les employés puissent l’acheter. « Si vous diminuez les salaires, vous diminuez d’autant le nombre de vos clients », déclare-t-il. Les salaires de ses employés sont alors élevés, de 5 dollars par jour, soit plus du double du montant pratiqué à l’époque. Mais alors, de toute cette économie, cette révolution et cette manière de diriger une entreprise, que nous reste-il aujourd’hui, à l’heure où tout semble avoir tellement évolué rapidement ? Nathan Vacher © Finances indépendantes

Benjamin Coriat économiste spécialisé en économie industrielle, doctorat sur la question du fordisme.

Comment peut-on qualifier l’héritage laissé par le fordisme ? Après la Seconde Guerre mondiale, le monde a connu une véritable révolution, industriellement parlant, qui découlait du fordisme. Ça a permis des gains de productivité du travail, entraînant donc une salarisation de masse et enfin une hausse du pouvoir d’achat. Cependant, le fordisme a également contribué à développer une forme répétitive du travail. Cette production de masse a entraîné sur plusieurs générations un travail sans qualification. Des nos jours, que retrouve-t-on du fordisme ? Historiquement, le fordisme a joué un rôle progressiste. On a assisté dans les pays du Nord à une salarisation d’employés, de femmes et de jeunes non qualifiés. Le taux de chômage était alors au plus bas. Dans les pays du Nord, les entreprises ont cherché à se recentrer sur les métiers essentiels. Elles ont ainsi délocalisé les emplois sans qualification dans les pays du Sud, ce qui a permis de les développer. Mais ce n’est pas sans contre-partie. Ces pays du Sud qui acceptent de jouer ce rôle avec les usines des grandes marques internationales, vont devoir assumer la montée des revendications de ces travailleurs non qualifiés, ainsi que la concurrence sur les

Le fordisme semble aujourd’hui avoir été remplacé par l’uberisation de certaines branches du travail.

coûts de main-d’œuvre entre ces mêmes pays. Existe-t-il une nouvelle forme de fordisme aujourd’hui ? L’enfant du fordisme est, selon moi, « pire » que le fordisme lui-même. On parle aujourd’hui d’ « uberisation ». C’est pratiquement la même chose, mais avec la fiction que c’est du travail indépendant. On perd tous les bénéfices que le fordisme a apporté. Il n’y a plus de protection sociale car le travailleur est soit-disant « indépendant ». L’uberisation a la même capacité de développement que le fordisme historique si on ne l’arrête pas. Il n’y a plus vraiment de fordisme dans les pays développés. Les grandes entreprises se sont concentrées sur les squelettes techniques. Tout ce qui était travail dit « non qualifié » a été expédié ailleurs. Il n’y a que l’Allemagne aujourd’hui qui assemble à nouveau des pôles de production industrielle sans faire comme les autres pays occidentaux. La grande période du fordisme et de son extension à l’internationale est de loin terminée. Avec les problèmes liés au changement climatique et les épidémies on se retrouve dans une période réellement instable. Tout cela semble, selon moi, aboutir au chaos sur tous les aspects Propos recueillis au téléphone par Nathan Vacher de la société.

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