Sur les chemins du patrimoine : l'artiste

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LE DÉVELOPPEMENT D’UNE ZONE D’INTENTION POÉTIQUE Du « Plus petit objet culturel commun » aux « Journées du matrimoine » Michel Jeannès – artiste, chargé de projets de La Mercerie (Lyon) Page 2

Du Patrimoine au Matrimoine Zone D’intention Poétique en Isère • 2007-2008 Franck Philippeaux – Chargé du service des publics du Musée dauphinois (Grenoble) Page 10


LE DÉVELOPPEMENT D’UNE ZONE D’INTENTION POÉTIQUE Du « Plus petit objet culturel commun » aux « Journées du matrimoine » Michel Jeannès – artiste, chargé de projets de La Mercerie (Lyon)

Je suis artiste, disons plasticien ou poète, et travaille, au sein d’un collectif « indisciplinaire » , qui s’appelle La Mercerie, implanté depuis une dizaine d’année dans le quartier de la Duchère où nous développons une pratique poétique que j’aime nommer « en familiarité » avec les habitants. Le collectif s’est formé autour d’un projet artistique — work in process et œuvre ouverte et participative — initié en 1998 et dont je vais tracer l’historique, en quelque sorte la préhistoire de la rencontre avec le Musée dauphinois de Grenoble. Le nom « la Mercerie » vient du petit commerce. Une mercerie est l’endroit où l’on vend et achète des boutons et le nécessaire à coudre. La vente d’un bouton est très longue, certainement parfois aussi longue que celle d’une voiture car elle est liée au discernement entre couleurs et formes, et au choix. La mercerie est aussi, en général, liée au féminin. Avec la mondialisation outrancière, les merceries, archétypes du petit commerce de proximité, sont des espaces en voie de disparition. C’est regrettable car ce sont d’authentiques espaces de convivialité, et sur un registre philosophique, des espaces consacrés à la créativité.

Pour tracer la préhistoire de la préhistoire de ce travail, je remonte à un travail d’atelier effectué au cours de l’hiver 1997. Je ne sais trop comment l’idée m’est venue, mais le fait est qu’à un moment, je me suis intéressé au bouton, objet modeste par excellence et entrevu comme le B-A-ba de la sculpture. Rond avec deux trous. Difficile de faire plus simple. Et voilà, cela fait dix ans que je n’arrive pas à en faire le tour ! J’ai donc réalisé une série de pièces, très pauvres, en cousant mes boutons sur des morceaux de carton. Ces ouvrages se situaient dans un espace entre l’écriture et l’objet. La première, en quelque sorte fondatrice, a été un bouton blanc cousu de fil blanc en hommage au carré blanc sur fond blanc de Kasimir Malevitch, premier tableau « suprématiste » de


l’histoire de l’art. J’ai continué l’exploration et la définition de la fonction symbolique de cet objet et me suis assez vite aperçu de sa caractéristique principale : le bouton sert à boutonner et déboutonner, c’est à dire à rapprocher ou « déprocher » les deux pans d’un vêtement. Il occupe aussi un territoire relativement précis, à savoir qu’il est essentiellement territorialisé en bordure. Étant né au Maroc à la fin de la colonisation , et ayant grandi en France dans un petit village, j’ai toujours su qu’il y avait un « en face » qui était à la fois « indépendant » et relié. Aussi le rapprochement des pans du vêtement faisait sens dans mon histoire singulière tout autant qu’il fait sens dans celle des peuples du pourtour de la méditerranée et, je pense, de tous les migrants. Cette digression m’amène à une nouvelle constatation métaphorique et fonctionnelle : le bouton est indissociable de sa boutonnière, qui lui donne sa fonction. On remarque, au fil des amours du bouton et sa boutonnière, que le bouton est un transfrontalier. J’ai donc passé tout l’hiver — renouant en cela avec la tradition paysanne : en hiver on reste près du feu et on sculpte un bout de bois , on raconte des histoires à la veillée... — à spéculer sur cet objet. Cela a donné une série de travaux qui auraient pu parfaitement s’inscrire dans le cadre d’une exposition classique, voire devenir objets collectionnables. Je ne serais alors pas ici dix ans plus tard, à vous conter en compagnie de Franck Philippeaux, responsable du service des publics au Musée dauphinois de Grenoble, les mérites du bouton comme vecteur de rencontres. Il s’est en fait passé au fil de ces travaux d’atelier deux choses, deux situations, qui ont fait rupture dans ce travail et m’ont amené par la suite à construire cet objet comme vecteur d’une métaphore opératoire : il s’agit de deux situations de dialogue. Je le note car c’est en fait le collectif qui a ainsi amplifié et en grande partie modelé travail dont je suis, en fin de compte, le garant comme artiste. La première situation est toute masculine : minuit, dans un village du beaujolais, passent deux amis en goguette, rigolards comme l’on peut l’être en beaujolais lorsqu’on a amorcé le tour des caves. J’étais pour ma part dans l’ascèse de la couture, occupé à fixer mes réflexions dans ces petits morceaux de nacre (mot qui s’anagrammise étrangement en « crane, carne, écran », l’os, la viande, le support à rêve ), bref je cousais des boutons. Les deux compères se poussent un peu du coude et commencent par me moquer, puis très vite, se calment et l’un dit « à la réflexion, c’est pas bête ton histoire, moi j’ai joué avec la boîte à


boutons de ma mère et mes enfants jouent avec la boîte à boutons de leur mère. Et ce n’est pas rien la boîte à boutons de ma femme : c’est une boîte à cigares ! ». La soirée se passa en évocation de souvenirs d’enfance, notamment d’un jeu de boutons et de fil ressemblant au yoyo. Bien entendu, les grivoiseries liées au bouton de braguette et au bouton de caleçon ne furent pas épargnées. Quelque jours plus tard, je montrais mes travaux à une amie — une femme donc — qui répondit en vidant sa boîte à boutons ; puis, les prenant un à un, elle dévida son histoire : « celui-ci était sur la brassière de mon fils, celui-ci était sur un imperméable que j’avais à l’adolescence... ». Elle me proposa ensuite de rendre visite à une de ses amies d’enfance, dont la mère couturière avait certainement légué une grosse boîte. Là nous répétâmes l’expérience et elles se remémorèrent, avec cette connivence toute féminine, leurs souvenirs d’adolescentes. C’est donc au travers de ces expériences que j’ai pu entrevoir le potentiel narratif de l’objet bouton, et déterminer que la boîte à boutons est un objet de transmission intergénérationnelle entre femmes. En général, les hommes associent la boîte à boutons aux jeux de l’enfance ou à la braguette, ce qui veut dire que notre rapport à l’objet nous place comme fils ou comme mâle dans une relation d’altérité. Pour les femmes, la boîte leur appartient. Une femme peut, à partir de sa boîte, considérer chaque bouton, le rapprocher du vêtement dont il provient et se remémorer les traces de vies attachées à ce vêtement... c’était du moins ainsi lorsque les femmes restaient à la maison et cousaient ; mon travail parle d’une époque révolue, de quelque chose « qui se perd » et d’une nostalgie.

Voici pour les prémices. Le travail s’est ensuite amplifié dans sa recontextualisation, donc là-aussi dans un rapport à l’autre. En 1998 , une action visant à mettre en contact artistes et publics afin de réaliser une œuvre de création partagée, est initiée par le Musée d’art contemporain de Lyon et des partenaires aussi divers que la Préfecture du Rhône, la délégation à l’action en faveur des quartiers délaissés, Jeunesse et Sports, la délégation animation et vie associative, la Drac Rhône-Alpes (à l’époque , ce travail inter-institutionnel autour de l’art contemporain en relation aux quartiers oubliés avait quelque chose d’exceptionnel). L’action s’intitulait « L’art sur la place » et a été reconduite sur cette décennie écoulée avec des bonheurs divers. Pour ma part, j’y ai participé deux fois


— en 1998 et 2000 — et elle a constitué une jolie porte d’entrée pour légitimer mon entrée comme poète familier dans le quartier. En 1998, la restitution des travaux a eu lieu sous forme d’exposition au Musée d’art contemporain lui-même. Ce fût la seule fois car ensuite l’exposition a eu lieu en plein air ou dans des autobus. À mon avis, l’appropriation citoyenne du musée par les habitants et artistes, est un acte important. Le musée a une fonction de légitimation et peut constituer — Franck Philippeaux vous l’expliquera — un véritable outil de valorisation de la personne : « si ce que j’ai fait peut être montré au musée, c’est donc que ça a une valeur symbolique et donc que j’importe aux yeux du social .». Plus que l’acquisition d’un capital symbolique, « l’accès à la culture », formule dont on nous rebat les oreilles sans vraiment réfléchir à ce qu’elle suppose d’a priori idéologique — un proverbe arabe dit « la main qui donne est toujours au-dessus de celle qui reçoit » — consiste d’abord à reconnaître la richesse de la culture de « l’accédant ». Dans cette optique, « l’accès à la culture » est travail de traduction.

Je me retrouve donc au pied d’un immeuble « multidésigné » — j’emploie ce terme au sens des systémiciens qui considèrent, par exemple lorsqu’ils travaillent avec une famille ou un groupe humain , que le porteur du symptôme est le « patient désigné » par le reste de la famille pour parler une problématique commune à tous ; en ce sens un quartier ou un immeuble « sensible » serait porteur du mal-être de l’ensemble de la Cité — avec un mandat artistique de nouer des relations positives avec un groupe d’habitants en vue de la réalisation d’une « œuvre » ou pour le moins, pour reprendre la formule forgée par Jean-Michel Montfort il y a une vingtaine d’années, pour vivre et faire vivre une expérience de création partagée. Outre le mandat artistique, j’ai aussi un mandat implicite de contribuer au maintien de la paix sociale puisque c’est le maire d’arrondissement, Gérard Colomb, devenu par la suite maire de la Ville de Lyon, qui m’a, au cours d’une réunion, indiqué cet immeuble et demandé aux travailleurs sociaux de favoriser mon entrée sur le quartier. À cette époque, je suis un peu naïf quant au croisement des enjeux artistiques et politiques sur le quartier que je découvre en émois car un jeune duchérois a été abattu au commissariat. Le contexte n’est donc pas très favorable pour proposer des ateliers de création, ce qui n’est d’ailleurs ni dans mes compétences ni mes intentions.


Je suis donc à pied d’œuvre en bas d’une « barre » de béton abritant trois cent familles et de multiples nationalités, avec mes préjugés et les représentations construites par les médias autour des « quartiers ». La barre est surnommée « Chicago » en référence aux gangsters des années 50, ce qui rajoute du romantisme mais ne plaît pas forcément à ceux qui vivent à l’intérieur et sont obligés d’assumer ce qualificatif contribuant à la désignation de l’immeuble comme problématique. À ce stade de démarrage du travail, je n’ai encore qu’une vague idée de ce que je pourrais faire. J’ai par contre une ou deux convictions acquises au cours de travaux d’écriture ou de vidéo accompagnée avec des habitants dans d’autres sites d’intervention, en France ou en Argentine. L’une de ces certitudes, qui me semble avoir été ensuite confirmée de nombreuses fois par les travailleurs sociaux, est que, paradoxalement lorsqu’un artiste intervient sur un territoire, il a de bonnes chances de produire de l’abandon, par contrecoup au moment de rêve ou d’énergie qu’il insuffle. Le schéma de base est celui-ci « Oui, il est venu, c’était bien, on s’est investi et lui est parti, et nous sommes restés avec nos problèmes. Il s’en fout pas mal, il est venu chercher ses honoraires et notre réalité n’a pas changée ». Cette hypothèse de travail m’amène donc, plus qu’à proposer une « animation », à générer par une forme activable et réactivable, une présence poétique pérenne. Je sais aussi par expérience que le temps d’apprivoisement réciproque entre un quartier et un « intrus »— c’est bien ce qu’est l’artiste « injecté » dans le quartier — peut être long et demande du doigté et beaucoup de modestie dans l’approche des gens qui sont chez eux et vous accueillent. Je décide donc de travailler depuis ma place, c’est à dire au pied de l’immeuble, proche des boîtes aux lettres et amorce une relation épistolaire avec les habitants, ce qui m’autorise une présence minimum lors de ma tournée du facteur, des échanges brefs avec certains habitants qui viennent chercher leur courrier et une relation avec les gardiens, notamment un gardien-chef philosophe qui, quelques mois plus tard, m’offrira un livre de Martial en me disant « Tiens, j’ai pensé qu’entre poète, vous pouvez vous rencontrer ! » On pense apporter la Culture, l’Art dans « les quartiers », et on se sent petit parfois. J’écris donc aux gens des lettres dans lesquelles j’explique que je suis « poète » — « poète » c’est presque « pote » — et travaille avec des


objets, car les objets contiennent des souvenirs. Je glisse aussi un bouton dans les enveloppes, misant sur le fait qu’un bouton ne se jette pas. Je ne me doute pas de ce que génèrent mes courriers ; les feed-back les plus savoureux, obtenu plusieurs semaines, voire plusieurs mois après , font état d’une dame qui descendit apeurée chez la gardienne en lui disant « Il y a un pervers qui m’envoie des boutons ! Que dois-je faire ? » C’est à partir d’anecdotes de ce type que je commence à modéliser mon travail en termes de « champ conversationnel » et de « Zone d’Intention Poétique ». Au bout de quelques mois, les femmes commencent à me saluer de manière amusée par un « Bonjour Monsieur du Bouton », sobriquet qui se transformera vite en « Monsieur Bouton ». Je ne dis pas que c’est facile à assumer... un artiste a toujours l’ambition de se faire un nom et j’étais habitué au mien. Mais ce sobriquet découle de l’objet utilisé et montre comment celui-ci fait signe avant de faire sens. L’attribution du sobriquet est aussi une marque d’acceptation de l’artiste intrus par la communauté d’accueil. Il y a quelque chose de l’ordre du rite initiatique dans cette manière de nommer ce personnage étrange qui arrive en décalage des préoccupations des habitants. Par le suite, Agnès Varda fera une place à « Monsieur Bouton »» dans son film Deux ans après les glaneuses et reprendra le sobriquet. C’est un détail qui a une grande importance car il illustre comment un élément de création partagée — ce sobriquet créé en réponse des habitants aux sollicitations d’un artiste — est ensuite validé, amplifié par le monde culturel et transformé en bien commun, puisqu’en fin de compte le DVD de Deux ans après est acquis par la bibliothèque du quartier.

Après quelques mois de ce travail d’approche du poète épistolier, j’ai pu avec l’aide du gardien poser une caméra sur pied au pied de l’immeuble et nous avons tourné une vidéo-participative sur le thème « ouvrir-fermer un bouton ». L’idée de ce travail — en quelque sorte mandaté par le musée puisque le cahier des charges, relativement souple, notifiait tout de même la réalisation d’une oeuvre — avait émergé de l’observation du fait qu’il était difficile de photographier. Dans certaines cultures le rapport à l’image est différent de notre iconodolâtrie occidentale. Ainsi, en cadrant juste sur les mains, je pouvais proposer sans exclure a priori les personnes qui auraient pu être réticentes à un portrait. Les mains parlent beaucoup et la séance de tournage a été une belle expérience. Le document, mêlant les


mains de plusieurs générations et les couleurs de peau est toujours en activité et je rejoue lorsque cela me semble pertinent cette pièce comme une partition. Sur le registre symbolique, la métaphore est forte puisque « se déboutonner » signifie « dire la vérité » ; elle est donc liée à la parole. Sur un autre registre, éducatif, boutonner seul sa veste était un geste d’apprentissage important, comme nouer ses lacets. Un geste vers l’autonomie qui disparaît peu à peu, à cause des Scratch qui supplantent jusqu’à la fermeture Eclair. J’ai en même temps amorcé un recueil de témoignages « cousus à un boutons ». Sur des fiches cartonnées prévues à cet effet, je demande de coudre un bouton à l’endroit indiqué par une croix et de raconter le souvenir lié à ce bouton. Toutes les fiches sont passées à la poubelle, ce qui désolait les gardiens mais était assez logique, sauf deux, remplies par des personnes âgées, qui racontaient un souvenir de jeunesse. Encourageant ! Par la suite, au Musée, ces fiches ont été l’objet d’un bel engouement. J’avais disposé une boîte à boutons et des aiguilles ; les visiteurs ont cousu tout au long de l’exposition. J’ai ainsi pu différencier les boutons sans histoire, sujets à des réflexions poético-ludico-philosophiques et les boutons chargés d’une trace de vie. Ceci m’a permis d’affiner et modéliser ce dispositif d’écriture et de recueil de témoignages qui comporte actuellement plus de six-cent participations, mêlant les personnes ordinaires à quelques artistes de renom. L’ensemble consacre le bouton comme « Plus petit objet culturel commun (PPOCC) ».

Je suis donc resté sur ce territoire, développant au fil du temps et des interventions et expositions, cette « Zone d’Intention Poétique », une pratique de poète familier, et une présence poétique pérenne. Ce travail dans la durée permet, à mon sens, de transformer de l’étrange familier ; il donne droit de cité au « pas banal », à « l’original », au regard « décalé » et participe donc de la construction de la confiance et d’un indice de mieuxêtre. Je crois que le paris est gagné lorsqu’on croise une personne qui vous dit « je ne pourrais pas venir cette fois à ton événement ; l’année prochaine ! » .

Je pense avoir circonscrit la démarche et donné l’idée du processus. J’en arrive à la rencontre de la Mercerie et du Musée dauphinois :


En 2003, nous avons créé, de manière expérimentale sur le quartier de la Duchère, les premières Journées du Matrimoine, inscrites au programmes des Journées Européennes du Patrimoine. La boîte à boutons était au cœur de ce dispositif et nous avons eu l’agréable surprise de constater que nous étions bien suivis. Des femmes, et quelques hommes se sentant concernés, sont venus parfois de loin, conter leur boîte à boutons. Nous avons reconduit l’événement d’année en année, expérimentant chaque fois des volets différents du dispositif participatif. C’est ainsi que, forts de cette expérience et de la densité des témoignages, écrits et enregistrés, accumulés au fil du temps, que nous avons rencontré l’équipe du Musée dauphinois dont la mission et la manière de penser le musée dans la cité nous semblait converger avec nos préoccupations depuis le lieu de l’artiste. Et là je dois dire que la rencontre provoque une belle accélération des processus participatifs, mais Franck Philippeaux va peut-être prendre le relais...


DU PATRIMOINE AU MATRIMOINE ZONE D’INTENTION POÉTIQUE EN ISÈRE • 2007-2008 La Mercerie – Musée dauphinois Franck Philippeaux - Chargé du service des publics, Musée dauphinois - Grenoble Pour en savoir plus : http://www.lamercerie.eu — http://www.musee-dauphinois.fr

Racontez vos histoires de vie ! La dimension participative autour de la parole. Depuis sa création le Musée dauphinois mène une activité affirmée d’étude et de valorisation du patrimoine oral, du patrimoine immatériel. La célébration du centenaire du musée (saison 2006-2007) fut l’occasion de mettre en exposition ces patrimoines en proposant aux publics Êtres fantastiques – de l’imaginaire alpin à l’imaginaire humain et Rester libres ! Les expressions de la liberté des Allobroges à nos jours deux expositions de récits, d’idées, de valeurs. Elles ont été conçues avec une participation active de la population ; la première par la restitution de la parole collectée auprès des habitants du territoire alpin par le conservateur Charles Joisten dans les années 60 et 70 ; la seconde par la présentation de la collecte des témoignages des militants d’aujourd’hui engagés dans la défense des Droits de l’Homme. Chacune de ces expositions instaure un mode de partage de la parole par la constitution de groupes de travail tripartites composés des représentants du musée, de spécialistes (universitaires, chercheurs, etc.) et de représentants des habitants, de témoins. Ainsi, le musée dauphinois se plaît à partager les histoires de vie livrées par les habitants autour de ces objets matériels ou immatériels, toujours porteur de sens.

Le temps d’une rencontre avec un artiste, ces échanges prennent la forme d’une « ethnographie-poétique ». Cette expérience a été proposée à l’équipe du Musée dauphinois par le collectif interdisciplinaire La Mercerie. En 2006, les premières rencontres avec Michel Jeannès, chargé du projet artistique du collectif La Mercerie, ont permis de révéler les connivences existant entre les champs de conversations délicatement tissés et entretenus par La Mercerie et la démarche de collecte et de valorisation de la parole des habitants d’un territoire, cœur de l’activité du Musée dauphinois en tant que musée de société. Une aventure commune entre le collectif d’artistes La Mercerie et le Musée dauphinois ne pouvait conduire


qu’à une parfaite entente sur ces questions de la mémoire verbalisée, émise par chacun de nous, partagée collectivement et prenant sa source autour d’un objet modeste. La mémoire : une affaire de tous La sensibilisation aux enjeux du p-m-atrimoine Proche du travail des ethnographes ou bien des « passeurs », ceux qui transmettaient auprès du groupe les récits de la communauté, Michel Jeannès va glaner la parole de tous ceux qu’il rencontre. À son contact, l’intérêt des histoires personnelles paraît évident. Très vite aussi, les témoins prennent conscience qu’ils ne sont pas seuls et que leur mémoire est l’affaire de tous. L’appropriation de la démarche par les témoins est très probablement permise par le caractère singulier de l’objet vecteur de parole choisi par Michel Jeannès : le bouton ou PPOCC, Plus Petit Objet Culturel Commun, objet simple et modeste. Cet objet prétexte à la conversation est de plus présenté par le personnage « Monsieur Bouton », entité créée par les témoins eux-mêmes. Lorsque vous rencontrez Monsieur Bouton et son bouton

bonhomme,

rapidement

il

devient

comme

une

de

vos

connaissances à qui en toute confiance vous pouvez confier des souvenirs les plus intimes dans une empathie spontanée. Très rapidement, le témoin comprend qu’il est « expert » de son p-m-atrimoine. On revient là à l’un des principes définit par l’écomuséologie. La construction d’un réseau social par la conversation Les champs de conversations installés par La Mercerie tissent un réseau social à la fois par la place que prend le témoignage individuel dans un processus collectif et pérenne, ainsi que par la reconnaissance de cette parole qui « entre » dans l’art et dans le musée. Loin de l’événement, ce réseau social se construit dans une temporalité longue. Michel Jeannès accompagne les témoins par les échanges épistolaires, par des rencontres physiques répétées, par des présentations publiques associant les contributions collectées hier avec celles confiées aujourd’hui. Loin aussi du monde virtuel des réseaux sociaux explosant sur internet – sans pour autant ignorer l’outil et son potentiel collaboratif comme le démontre le site internet www.lamercerie.eu - Michel Jeannès provoque


des tête-à-tête intimes, autant de moments suspendus hors du temps. La relative lenteur du processus donne toute sa dimension humaine de l’échange et de la démarche partagée. Ce mode de construction de réseau pose la question de la dynamique et de la durée de l’engagement du musée auprès de ses publics. Le Musée dauphinois souhaite instaurer un lien similaire avec ces publics acteurs. Par exemple, depuis près d’une quinzaine d’années, il propose avec les Isérois étrangers d’origine une série d’expositions traitant des questions des migrations1. Autant de rencontres cherchant à faire perdurer ce dialogue entre le musée et la population de son territoire.

Le projet en pratique Les dispositifs générateurs de conversation conçus par la Mercerie Ils sont multiples et simples. Chacun de nous peut individuellement se les approprier. Tous font appel à ce seul et même instrument médiateur assurant le succès de la collecte : le bouton. « Coudre son histoire à un bouton » invite le possesseur d’un tel objet à le coudre sur une fiche-mémoire cartonnée prévue à cet effet et à y écrire l’histoire qui lui est attachée. « Boîtes à boutons, boîtes à mémoire », où la boîte à boutons considérée comme trésor domestique, transmise en général de la mère à la fille, est aussi évocatrice de souvenirs. Chaque possesseur d’une boîte à boutons peut faire part de l’existence de cette boîte et, s’il le souhaite, la raconter. « Pour un portrait littéraire du Plus Petit Objet Culturel Commun – La bibliothèque virtuelle » consiste à inventorier les livres contenant au détour d’une phrase le mot bouton intervenant alors comme ressort narratif. Chacun participe alors à la construction de la bibliothèque virtuelle de La Mercerie.

1

Corato-Grenoble (1989) – Français d’Isère et d’Arménie (1997) – D’Isère et du

Maghreb, mémoires d’immigrés (1999) – Français d’Isère et d’Algérie (2003)


Installation de la Zone d’Intention Poétique - Zip Cette expérience a permis au musée de poser de nouveau la question de l’approche de ses publics. Activer le réseau des partenaires habituels ou nouveaux a permis très rapidement de solliciter des acteurs en lien avec des publics très différents. Pendant plusieurs mois, le duo La Mercerie/ Musée dauphinois est parti à la rencontre de ces acteurs tous rapidement convaincus de la pertinence de l’approche poétique et patrimoniale que permets l’installation de la Zone d’Intention Poétique. Sans chercher à être exhaustif, les publics et les partenaires sur la première phase du projet sont les suivants : un musée de société, un musée de la mémoire ouvrière, des professionnels de l’écrit et de la lecture, une MJC, deux merceries, un lycée professionnel, le Centre Communal d’Action Sociale de Grenoble, etc2. Autant de colporteurs des dispositifs générateurs de conversation, autant de collectes de témoignages et de créations artistiques par La Mercerie. Les Journées du Matrimoine 2007 : un temps d’amplification Les Journées du Matrimoine se sont déroulées à l’occasion des journées du patrimoine 2007, les 15 et 16 septembre 2007. Cette rencontre fut l’occasion de valoriser toutes les participations collectées les mois précédents avec l’aide des partenaires, mais aussi d’inviter les visiteurs à apporter leur propre témoignage pendant toute l’année qui suit cet événement. Une sélection de photographies présente en annexe les installations créées par La Mercerie3. Les projets 2008 La ZIP doit continuer à être animée par le suivi des actions engagées. Un inventaire du matrimoine du territoire de Bourgoin-Jallieu sera engagé en parallèle à l’inventaire habituel des patrimoines mené par l’équipe de la Conservation du patrimoine. Une publication permettra d’exprimer une pluralité de regards sur les questions du p-m-atrimoine.

2

Un schéma en annexe propose une vision synthétique de l’ensemble des partenariats et des publics

rencontrés 3

Une présentation détaillée est disponible sur le site internet http://www.musee-dauphinois.fr


Annexes

Les journées du Matrimoine au Musée dauphinois Samedi 15 et dimanche 17 septembre 2007

Coudre son histoire à un bouton Présentation de 94 fiches dans la chapelle baroque du musée

Boîte à boutons, boîte à mémoire – Boîte arrangée de Claudine Silhol

Pour un portrait littéraire du Plus Petit Objet Culturel Commun - La bibliothèque virtuelle


Boîte à boutons d’Hippolyte Müller (1865-1933), fondateur du Musée dauphinois Collections du Musée dauphinois

Raconter – Imaginer – Classer / Boutons réalisés et classés sur cartes par des enfants

LA TRAÎNE DE LA MARIÉE - La fermeture de la mercerie « À l’Économe » à Lyon. Film vidéo, 69'31'' présenté dans le chœur des religieuses de l’ancien couvent de Sainte-Marie-d’enHaut (Musée dauphinois) – Production La Mercerie, 2006


Les partenaires, les publics et les tĂŠmoignages


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