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Enceinte du Palais Royal Phiméanakas

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Mébôn occidental

Mébôn occidental

70. Tour-sanctuaire.

Le mur d’enceinte en latérite, formant un carré de 50 m de côté, est interrompu par un seul gopura, sur la face est. Avant sa restauration en 1937, il n’en subsistait que l’ossature disloquée et branlante, fruit de toutes les malfaçons inhérentes aux bâtisses du style du Bayon. Il se présente aujourd’hui sous l’élégante silhouette d’un bâtiment cruciforme à trois passages, de proportion très élancée, couronné au centre d’une tour carrée à un seul étage, avec voûte en berceau à double pignon. Son principal intérêt vient de ses frontons, sculptés de scènes bouddhiques ayant par extraordinaire échappé aux méfaits des iconoclastes. On remarquera sur la face orientale de l’aile nord « l’offrande des animaux dans la forêt » – éléphants, singes et paons – scène qui serait à l’origine du nom de Prah Palilay par l’altération de « Pârilyyaka », nom du bois où le Bouddha se retira seul en quittant Kosambi. Puis, à l’ouest, le Bouddha assis accueillant « l’offrande de Sujâtâ », et, sur le pignon, la « soumission de l’éléphant furieux Nâlâgiri ». Le sanctuaire, tout en grès, dont la cella carrée de 5 m de côté s’ouvre sur les quatre faces par autant d’avant-corps, repose sur un socle édifi é lui-même sur trois étages de soubassement formant 6 m de hauteur totale. Coupés sur chaque axe par un escalier à paliers intermédiaires, ils sont malheureusement très ruinés ainsi que les avant-corps : fait d’autant plus regrettable que leur ornementation, proche du style d’Angkor Vat, est de la meilleure époque classique (première moitié du XIIe siècle). Au-dessus se dresse une haute pyramide tronquée formant une sorte de cheminée aux parements bruts : bourrée de pierres de réemploi, elle constituait certainement un rajout et ne pouvait que servir d’ossature – comme aux tours à visages du Bayon – à quelque revêtement sculpté, sans doute en matériaux légers. À l’intérieur, au-dessus des portes, des poutres en bois dur doublant le linteau soutenaient en partie la maçonnerie : ce qu’il en restait, complètement rongé, a dû être remplacé par des éléments de béton armé sur les faces nord et ouest. Un grand Bouddha de basse époque mais de facture honorable est adossé à la baie occidentale, et près de lui se trouve un fort beau torse de Bouddha debout. D’excellents morceaux de sculpture provenant des frontons ont été mis à l’abri au Dépôt du Bayon, tandis que d’autres ont été disposés à l’entour du monument, représentant tantôt des scènes bouddhiques, tantôt des divinités brahmaniques : on remarquera notamment, de part et d’autre du gopura, à l’intérieur de l’enceinte, un Indra sur éléphant tricéphale et « l’assaut de Mâra et de son armée de démons » contre le Bouddha, dont l’effi gie n’a pu être retrouvée. Ce syncrétisme n’était pas rare chez les Khmers, et l’on peut supposer que si les sculptures bouddhiques de Prah Palilay ont échappé aux accès de vandalisme des successeurs de Jayavarman VII, d’un hindouisme intransigeant, ce fut grâce à la proximité du monastère du Tep Pranam (Saugatâçrama), dont il pouvait fort bien dépendre : le caractère offi ciel de celui-ci, situé à l’ombre du Palais Royal, peut avoir conféré à ses images saintes une sorte d’immunité spéciale.

ENCEINTEDU PALAIS ROYAL PHIMÉANAKAS (Akâça-Vimâna, « palais aérien ») Prononcer Piméanakass

Date : fi n Xe-début XIe siècle Rois constructeurs : Râjendravarman (nom posthume : Çivaloka) ? ; Jayavarman V (nom posthume : Paramaviraloka) ; Sûryavarman I (nom posthume : Paramanirvânapada) Culte : brahmanique à l’origine Dégagement par Commaille en 1908 et H. Marchal de 1916 à 1918. Creusement du Bassin nord commencé par M. Glaize en 1944

Quittant Prah Palilay par la brèche pratiquée dans la face sud du mur d’enceinte, dans l’axe du monument qu’escaladent de ce côté de beaux fromagers, on chemine pendant environ 200 m dans la forêt : c’est une très agréable promenade, que l’on peut compléter en prenant à gauche, vers l’est, un sentier longeant le mur extérieur de l’enceinte du Palais Royal : à moins de 100 m, on rencontre les vestiges d’un ancien bassin qui devait appartenir à la même composition d’ensemble que la terrasse du Roi Lépreux, et dont la paroi occidentale est sculptée face à l’est d’intéressantes scènes nautiques. Revenant sur ses pas, on pénètre par le gopura occidental de sa face nord à l’intérieur du Palais Royal, dont le mur d’enceinte en latérite, haut de 5 m et fort bien construit, doublé d’un second mur de date plus récente et séparé du premier par un fossé de 25 m de largeur, entourait un vaste rectangle de 250 m sur 600. Les faces nord et sud de cet enclos de 15 hectares comportaient chacune deux gopuras semblables tout en grès dont le mieux conservé est précisément celui que nous traversons. De plan cruciforme, ils se composaient

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d’une tour-passage carrée à étages fi ctifs en retrait et de deux ailes voûtées en berceau se terminant par des frontons à grandes volutes. D’un décor très sobre et soigné, ils ont toute la pureté de style de l’époque classique : on remarquera, encore en place aux angles des corniches, des réductions d’édifi ce en parfait état. Le sol que l’on foule en débouchant du gopura et qui correspond sensiblement au niveau de base de la pyramide du Phiméanakas, située au centre de l’enceinte, est de 1,20 m plus élevé que le sol extérieur, la différence étant rattrapée de ce côté par un double soubassement. On peut, si le sentier d’accès en est débroussaillé, se diriger vers la droite, c’est-à-dire vers l’ouest, où se trouve un ancien bassin de 50 m sur 25, à margelle et gradins en latérite, que l’on suppose avoir appartenu à la partie du palais réservée aux femmes : longeant sa face nord, on parvient à une petite terrasse dont le mur de soutènement est sculpté de bas-reliefs montrant un défi lé de personnages, d’éléphants et chevaux sous une frise de « hamsas » (oies sacrées). Revenant sur ses pas et continuant vers l’est, ou, si l’on n’a point fait ce détour, tournant de suite à gauche au sortir du gopura, on arrive à l’angle nord-ouest d’un grand bassin de 125 m sur 45, creusé au Xe siècle et comblé deux siècles plus tard lors du vaste travail de remblayage destiné à exhausser l’ensemble du sol de la capitale. Comme il n’avait jamais été curé depuis, il a paru intéressant de rétablir son plan d’eau dans l’état ancien : un sondage effectué sur la face nord avait mis au jour treize gradins en grès, remarquablement dressés, dont sept moulurés et six unis, donnant une profondeur totale de 5,32 m jusqu’au dallage en latérite. Des chaussées dallées le séparaient du mur d’enceinte nord et d’un autre bassin plus petit situé à l’est, d’environ 40 m sur 20 pour 4,50 m de profondeur. Sur ses faces ouest et sud et une faible partie de sa face est, le grand bassin était bordé, au-dessus d’une frise de poissons et de monstres aquatiques, de deux larges et hauts gradins sculptés de bas-reliefs ; en bas, nâgas sous forme animale et sous forme humaine entourés de princesses nâgîs comme à la Terrasse du Roi Lépreux – au-dessus, où la hauteur était variable, garudas mâles et femelles et personnages ailés. Le tout, nettement du style du Bayon, devait être couronné d’un nâga balustrade et servir de tribune au souverain et aux dignitaires de la cour lors des manifestations nautiques qui se déroulaient dans ce cadre merveilleux. Le visiteur, descendant au niveau inférieur, pourra examiner en détail toutes ces sculptures en suivant le côté ouest,

Fig. 20. Palais Royal d’Angkor Thom. 71. Linteau, gopura d’entrée, Palais Royal.

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puis le côté sud jusque vers son milieu, où quelques blocs de pierre disposés en escalier lui permettront d’accéder au plan le plus élevé. Là se pose l’un des problèmes les plus mystérieux de l’histoire du Palais Royal ; il semble en effet que ces gradins, quelle qu’ait été leur importance décorative, aient eu surtout un rôle utilitaire – celui de maintenir l’énorme masse de remblai qui recouvre avec des épaisseurs inégales la majeure partie du sol primitif à l’intérieur de l’enceinte, principalement dans le voisinage du centre, occupé par la chapelle du Phiméanakas où, atteignant 2,50 m de hauteur, il masquait la moitié environ du gradin de base de la pyramide. Le dégagement de celle-ci par M. Marchal sur tout son pourtour et d’autres fouilles plus récentes à proximité ont révélé l’existence d’un niveau intermédiaire entre le sol actuel et le sol de base, à 0,80 m au-dessus de ce dernier. Le remblai général a donc dû être exécuté au moins en deux fois, et à chacun des niveaux inférieurs – principalement au niveau intermédiaire – correspondent de nombreux vestiges de murs de fondation et de dallages se rapportant sans doute à des corps de bâtiments en matériaux légers, particulièrement sur la face orientale du temple. Celui-ci devait se trouver enserré dans un véritable réseau de constructions peut-être enclavées dans une enceinte spéciale ; le fait est confi rmé par la nature des déblais, farcis de débris de briques et de tuiles, et même des traces charbonneuses provenant de la destruction des bois de charpente par le feu. Nous n’avons aucune indication sur la date possible de ces remblais successifs, sauf pour le niveau intermédiaire où furent trouvées deux stèles inscrites de Jayavarman VII qui prouvent que le niveau en question était atteint dès la fi n du XIIe siècle ; le dernier stade, donnant le niveau actuel, correspondrait donc au plus tôt aux dernières années du règne de ce souverain. La première stèle, dite « du fi guier », est intéressante par la preuve qu’elle donne du syncrétisme religieux pratiqué par les Khmers ; l’arbre de la « Bodhi » y est en effet identifi é à la « Trimûrti » brahmanique – Brahmâ pour les racines, Çiva pour le tronc, Vishnou pour les branches. La seconde est « le panégyrique d’une reine qui obtint le nirvâna après avoir répandu autour d’elle de nombreux bienfaits et pratiqué les vertus des ascètes » (V. Goloubew). Dans l’état actuel de la question, il est donc impossible de savoir quelle était à l’intérieur de l’enceinte du Palais Royal la répartition des divers corps de bâtiments, tous en matériaux périssables, et en particulier l’emplacement des appartements privés du souverain. On ne peut dans ce domaine être guidé par des raisons de symétrie : quiconque de nos jours a visité avant ses transformations, en 1942, un ensemble comme le Palais Royal de Phnom Penh peut se faire une idée du désordre résultant de l’occupation pendant plusieurs siècles d’un même emplacement par toute une lignée de monarques. Ceux-ci ne cherchant plus, comme dans les temples, à faire œuvre durable selon les règles immuables de l’architecture monumentale, agrandissent, bouleversent et modifi ent au gré de leurs volontés ou de leurs caprices et selon les goûts et commodités de chacun : comment après cela interpréter avec quelque chance de succès l’implantation de vestiges qui se réduisent le plus souvent à quelques fondations de murs impossibles à situer dans le temps ? M. Marchal, se basant sur l’existence de certaines clôtures encore visibles en élévation, a pu cependant diviser l’enceinte royale en cinq zones. Ce sont, de l’est à l’ouest, une cour d’entrée de 70 m de profondeur desservie par trois gopuras – l’enclos royal, de 280 m, comprenant le sanctuaire du Phiméanakas et le grand bassin, desservi par deux gopuras –, la partie réservée aux femmes, de 150 m, avec, au sud, la cour des communs, le tout sans communication avec l’extérieur, une quatrième cour ouvrant sur la précédente et réservée peut-être aux fi lles de service, une dernière cour enfi n, complètement fermée et à destination imprécise. Des indications précieuses sur le caractère de chacun de ces enclos ont été fournies par la nature des objets – bronzes ou poteries – trouvés dans les fouilles et leur sens décoratif, culturel ou utilitaire.

Description du Phiméanakas

Regardé un instant par certains, avant l’identifi cation du Phnom Bakheng, comme « Mont Central » de la capitale de Yaçovarman vers la fi n du IXe siècle, le petit temple en pyramide du Phiméanakas a bien vite repris sa place de sanctuaire de second ordre : autant son plan rectangulaire et son unique prasat s’accordaient mal avec l’idée de Mont Meru, siège du lingâ royal au cœur même de la cité, autant paraît justifi é son rôle de chapelle privée à l’intérieur du palais. C’est la « Tour d’or » du voyageur chinois Tcheou Ta-Kouan, laquelle se trouvait « dans les appartements de repos du souverain » – ce qui précise la situation de ceux-ci et explique le nombre élevé de vestiges apparus au cours des fouilles au pied même de la pyramide. « Tous les indigènes, ajoute-t-il, prétendent que dans la tour il y a l’âme d’un serpent à neuf têtes, maître du sol de tout le royaume. Il apparaît toutes les nuits sous la forme d’une femme. C’est avec lui que le souverain couche d’abord et s’unit. Il sort à la deuxième veille, et peut aussitôt dormir avec ses femmes et ses concubines. Si, une nuit, l’âme de ce serpent n’apparaît pas, c’est que le moment de la mort du roi est venu. Si le roi manque une seule nuit à venir, il arrive quelque malheur. » Le Phiméanakas apparaît comme une pyramide à trois gradins de latérite, à hauteurs décroissantes formant un total

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72. Phiméanakas, côté est, Palais Royal. Pages suivantes :

73. Lions de chaque côté de l’escalier est, Phiméanakas, Palais Royal.

74. Escalier est, Phiméanakas, Palais Royal.

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