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DU MÊME AUTEUR
CARRÈRE par Christian Carrère Éditions Jacob-Duvernet, collection « Légendes du Sport », 2006 LE RUGBY DES FAMILLES Éditions Jacob-Duvernet, 2007 LA COMÉDIE DU RUGBY Éditions Jacob-Duvernet, 2007 FOUROUX ENTRE AMIS Éditions Jacob-Duvernet, 2007
© Éditions Jacob-Duvernet, 2007
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Alain Gex
1907 après Jésus-Christ,
LA PÉTANQUE
ÉDITIONS JACOB-DUVERNET
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SOMMAIRE
PRÉFACE de Claude Azéma
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INTRODUCTION : Ma Madeleine s’appelle Émile
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ACTE I : LE JEU 1. Un peu d’Histoire, de Galilée à Jules Le Noir
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2. Entre chapeaux melon et petits bedons, la pétanque est-elle un sport ?
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3. Pas de permis à points, mais un gendarme
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4. Touche pas à mes boules !
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5. Le terrain, le vide-greniers du mot
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6. Au contact du pointeur
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7. Le tir, c’est l’amour
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8. La boule des villes et la boule des champs
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9. Tourne Fausto, roule César et essuie tes larmes Roger…
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ACTE II : LA PHILOSOPHIE 1. Sombra y sol
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2. De l’érotisme dans le jacassin
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3. Ils font sonner les cloches et grossir les boules
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4. Sirène, perverse et mante
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5. « Vas-y Bébert, enclenche la marche arrière »
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6. Enfants de la télé, de Roger, de Pierre et d’Yves
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7. Un sport embelli par les seniors
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8. Quand passent les coureurs
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9. Secouez-moi, secouez-moi…
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10. Méplates, rondes, carrées ou molles, elles savent attirer les hommes…
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ANNEXES Lexique
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Vingt figures pour un sacre
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Un siècle de pétanque
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Palmarès des championnats du monde
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Bibliographie
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Ce n’est pas une épouse légitime, plutôt une maîtresse, qui vous tient les deux pieds liés. Définition d’un mot en huit lettres par le cruciverbiste Max Favalelli
À Francis Huger (1930-1978), le plus méridional des journalistes, victime à bicyclette de sa passion pour le sport.
À ma fille Chloé qui, comme le déplore ce dernier, a la « détestable manie d’envoyer les boules par-dessus la main ».
À Claude Brosset qui l’a guidée à Honfleur Avec une exquise amabilité
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PRÉFACE de Claude Azéma
Quelques minutes de liberté, quelques arpents de chemin, quelques autres mordus, voilà qui suffit aux passionnés pour faire fulgurer l’acier et étalonner leur valeur pétanquière, ignorant toute autre activité, familiale, professionnelle ou, surtout, domestique. Cette maîtresse souvent exigeante qui, n’en déplaise au regretté Max Favalelli, nous tient les pieds tanqués, et non liés, mais exige des poignets souples et déliés, est, elle aussi, une mangeuse d’hommes – et, de plus en plus, de femmes – et de temps libre. Son appétit insatiable qui a commencé à se nourrir aux herbes de Provence et aux effluves anisés en des lieux complètement misogynes a su suivre les modes alimentaires, sociétales et sportives pour se diversifier au fil du temps et des intempérances combattues. Certes, cassoulet, choucroute, cargolade, aligot, far, tartiflette et autres moules frites n’ont pas résisté à sa boulimie, mais elle sait désormais se contenter des eaux les plus pures, d’indispensables règles d’hygiène, tant alimentaire que médicale, et se plier à des normes plus encadrantes, éthiques et sportives, mais sans perdre pour autant son enracine11
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ment dans nos traditions et dans notre culture, non plus que son caractère convivial et rassembleur. En fait, notre pétanque est aussi diverse que la société française, ce qui explique qu’elle s’adapte si bien sous tous les cieux de notre planète, chacun y trouvant qui la pratique sportive, qui l’aspect festif, qui la mixité des genres et des personnes. Elle seule est en effet capable de faire jouer ensemble jeunes et anciens, hommes et femmes, techniciens de surface et surfeurs sur les hauteurs de la finance, vedettes du show-biz et vulgum pecus. Sur le terrain, il n’y a plus ni patrons ni ouvriers, ni cadres ni cinquièmes roues du carrosse ; il n’y a que des pétanqueurs. Cela est si vrai qu’elle a désormais conquis le monde entier par des biais parfois étranges : la reine mère pour la Thaïlande, Orangina et Vuitton à Taïwan, les universités de sport en Chine où l’on compte déjà les pratiquants par centaines de milliers. Et n’oublions pas que, avec la pétanque, c’est la France que nous exportons et promouvons – sa langue, sa culture, son mode de vie. Sur chaque terrain où elle est pratiquée, c’est un petit coin de France qui s’implante et qu’il est ensuite impossible de déraciner. Espérons qu’un jour viendra où nos Alliances françaises, nos diplomates engoncés et même nos grandes entreprises comprendront tout l’intérêt que présentent pour notre pays l’implantation et le développement de la pétanque aux quatre coins de notre grosse boule – ce qui est une nouvelle gageure mathématique ! –, et à des coûts défiant toute concurrence ; encore un attrait de notre discipline. Dans notre belle langue, on explique bien qu’il faut mettre de l’argent de côté pour en avoir devant soi ; il ne doit donc pas être très difficile de démontrer que l’on peut avancer en restant les pieds tanqués !
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Préface
La pétanque présente ce qui est à la fois un immense avantage et un énorme inconvénient, c’est-à-dire le fait d’être, en même temps, une discipline de masse, de loisir et un sport de haut niveau. Il existe certes autant de différences entre celui qui la pratique l’été au camping des Flots bleus et nos champions du monde, qu’entre le jogger du dimanche et le champion olympique de marathon ; pourtant, personne ne traite ce dernier avec dérision, l’image valorisante prenant le dessus, ce qui n’est pas encore tout à fait le cas pour nos champions. C’est tout l’intérêt de la démarche d’Alain Gex qui a repris, dans cet ouvrage, le cheminement qu’a suivi sa propre perception de la pétanque, passant du sourire en coin à l’admiration, de la commisération au respect. Il n’aura bien sûr pas résisté au plaisir de faire quelques bons mots – n’oublions pas qu’il était au service des sports de l’AFP, l’Agence France Pétanque ! Et au début étaient en effet la dérision, le pastis, le pagnolesque et cette image a été tellement ancrée jusque dans l’inconscient de nos concitoyens – mais pas des étrangers – qu’une éradication totale est pratiquement impossible. Est-elle même souhaitable ? Et puis si, après tout, cela permet à quelques ânes mal bâtés, sinon mal finis, de se faire plaisir sans se rendre sourds, en tombant – même bien bas – dans la moquerie lourde, ce sera finalement une bonne chose, une preuve que la pétanque peut également leur rendre service, ne serait-ce qu’en leur permettant d’exprimer un sentiment de supériorité dont ils ne doivent guère être convaincus. Est-ce souhaitable, disais-je ? À cet égard, je crois que nous devons – y compris la Fédération française de pétanque et jeu provençal – absolument conserver les deux aspects de notre discipline. Je l’ai dit : elle est dans nos traditions, dans notre culture et il n’est jamais bon de se couper de son histoire, car on court alors le risque d’y perdre son identité. 13
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Le loisir est notre masse d’où sortent les pratiquants réguliers, les compétiteurs et, en fin de compte, les champions. Sachons garder l’ensemble et adapter nos règles de fonctionnement aux différents modes de pratique. Grâce au trophée Canal Plus des années 1990 – reconnaissance éternelle t’en soit rendue ô Dieu Albert ! –, notre image a connu une amélioration fantastique. Des millions de téléspectateurs ont découvert la pratique de haut niveau, tout en reconnaissant la discipline qu’ils pratiquaient eux-mêmes, ce qui est essentiel tant pour la compréhension que pour l’identification. Il n’est pratiquement plus d’élus, surtout municipaux, qui n’aient compris l’intérêt d’aider la pétanque, facteur et vecteur de rassemblement, de convivialité, d’animation et de mixité au sens le plus large du terme. Le monde sportif luimême s’est ouvert à nos dirigeants, tout au moins à ceux qui ont su consentir les efforts et les démarches nécessaires pour se faire connaître et apprécier, sans timidité mais aussi sans ostentation. La pétanque est désormais présente dans une multitude de compétitions internationales multisports : Jeux mondiaux, Jeux méditerranéens, Jeux de l’Asie du Sud-Est, Jeux de l’océan Indien, Jeux asiatiques indoor… Elle a intégré, en France et dans plusieurs pays, la catégorie des disciplines de haut niveau avec, en outre, la création de brevets d’État pour nos éducateurs. Elle est sans contestation possible un sport, malgré ceux qui, restés bloqués aux Jeux d’Athènes – ceux de l’Antiquité ! Car on peut être antique et un tocard – pensent qu’il n’est de sport que dans l’effort musculaire et la transpiration. La pétanque est essentiellement un sport d’adresse, de stratégie et de concentration ; c’est ainsi qu’il faut la présenter et la défendre. Néanmoins, elle exige aussi des capacités physiques certaines, car la fatigue fait perdre les qualités nécessaires à sa pratique au meilleur niveau, voire la lucidité. Que ceux qui n’ont pas 14
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eu des raideurs mal placées après avoir joué plusieurs heures sans avoir pratiqué depuis quelques semaines me jettent la première boule ! Pour autant, ne cherchons pas à cadenasser sa pratique dans des carcans non adaptés à certains niveaux. Sachons toujours faire la part des choses et raison garder afin, justement, de garder nos pratiquants et d’en conquérir de nouveaux. Ont également tort ceux qui se lâchent dans le laxisme, ayant surtout en vue leur confort personnel et leur position assise, si j’ose dire, espérant seulement qu’il y ait parfois des sièges éjectables ; et ceux qui, regrettant sans doute le bon vieux temps de la colo – pas de vacances ! – voudraient faire jouer tout le monde, tout le temps, le petit doigt sur la couture du pantalon – et à condition qu’elle soit droite ! – bouches et poches, même sous les yeux, cousues. Le livre d’Alain l’immense mérite de couvrir tous les aspects de la pétanque. Il faut dire qu’il n’avait, lui, ni à essayer de vendre une image personnelle dont on aurait vainement cherché la valeur au box-office, ni à promouvoir telle ou telle manifestation, ni à faire croire qu’il avait la science infuse pour se faire le parangon des inculqueurs de vérités d’autant plus aléatoires que sorties de cerveaux fumeux ! J’ajouterai pour finir, en hommage à Louis Aragon : Quel dommage que ceux qui croyaient à la Pétanque et ceux qui n’y croyaient pas, quand ils mourront, ne puissent être conduits, avec leurs boules, où on se les roule ! Claude Azéma Président de la Fédération française de Pétanque et Jeu Provençal (FFPJP) et de la Fédération internationale de Pétanque et Jeu Provençal (FIPJP)
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Introduction MA MADELEINE S’APPELLE ÉMILE
On a tous, nichée dans sa mémoire, plaquée contre son cœur, sa madeleine. La mienne ne s’exprime pas essentiellement au goût, mais caresse plutôt les sens de la vue et de l’ouïe, mamelles indissociables de la pétanque, quand elle n’escagasse pas un troisième : l’odorat. Ne sentez-vous pas en effet une épatante odeur d’anis, de badiane, de thym, de lavande, d’amande grillée, d’olive, d’aïoli, voire de merguez et de sardine, autour des terrains ? Mais à y bien réfléchir, en fait de poisson de mer, ma madeleine ressemblerait davantage à un anchois. Ceux que l’on piégeait du côté de Collioure à l’époque où la pêche aux lamparos était encore autorisée, le long de cette côte vermeille vibrant par ailleurs aux exploits rugbystiques de l’USAP et d’un certain Jo Maso, coqueluche des nanas en minijupe. La madeleine de mes vacances, vous l’aurez compris peuchère, ne risquait pas de boucher le Vieux Port et ne composait pas avec le mistral « li vent que boufon a marsiho » (le vent qui souffle à Marseille). Ma madeleine, en fait, était secouée par la douce tramontane et se prélassait 17
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en Pays catalan des sardanes, dans les faubourgs populaires et bariolés de Perpignan, là-haut, à Saint-Jacques, en plein quartier gitan, où il n’était pas question de graves conflits entre les communautés, alors pacifiques, du voyage et maghrébine. Le « paradis » local se trouvait place du Puig – chiche, mais chaleureux arpent du Bon Dieu – où l’on arrivait, en short, à la force du jarret, après avoir grimpé, pour ne pas dire escaladé, la rue de l’Anguille où ma tante tenait un petit commerce d’épicerie. Le terrain devant le casernement n’était pas encore un parking, fait d’un empirique asphalte. Les premiers joueurs prenaient place au déclin du soleil, vers 17 heures, et n’en repartaient que pour aller, le plus souvent bougonnant et s’invectivant dans un espéranto local, à la soupe avant de refaire surface, excités par quelques verres de rouge pesant une tonne. Le littoral avait également sa somme de fidèles dont nous faisions partie. À Canet-Plage où nous louions une villa, il n’était point besoin de jeter un œil sur l’horloge. Le bruit des premiers carreaux avait valeur de carillon : il était 21 heures et, en conséquence, temps de se lever joyeusement pour aller choisir sa partie – généralement celle qui retenait l’attention des anciens – dans les ruelles mal éclairées de la station balnéaire à la mode, lesquelles carrossables artères dans un décor de carton-pâte n’étaient pas encore bitumées. D’un pas alerte, entre deux allées de lauriers-roses, je choisissais mon champion. Je peux maintenant vous l’avouer : ma Madeleine s’appelait Émile. Émile Palanque. Avec le « que » final, s’allongeant allègrement de son bâtonnet telle une guimauve ou cette célèbre guigui sortant des kiosques des plages de Normandie : « Pal… ann… quuue ». On le surnommait « le Capitaine » parce qu’il n’arrêtait pas de donner des ordres, de faire la morale dans un lan18
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gage coloré, truffé de patois, et de jurer, bruyamment, entre deux applaudissements, deux encouragements, contre adversaires et même partenaire. Bref contre la terre entière. Fallait le voir rudoyer et blasphémer si besoin… Quelle gouaille ! Mes oreilles faisaient un plein d’aromatiques formules. Le romantique adolescent que j’étais buvait alors du petit lait. Pensez ! Tant de rustiques débordements, de vocaliques envolées, de mélodieux propos : « ella gouagnat, maniac » (elle a gagné mon bon), « a ben jougad nin ! » (bien joué, petit !). « Parole… Parole… Parole… », chantait Dalida. Mais mes yeux n’étaient pas en reste. Elle avait en effet une drôle d’allure ma Madeleine des platanes : une verrue sur un pif ayant valeur de rosette de Légion d’honneur, cheveux gris jaunis par le tabac sous une casquette de marin, mégot toujours en berne, jambes en serpette parcimonieusement poilues, genoux cagneux et tannés sur des sandales de cordes, vous savez, ces drôles de sandales catalanes, unisexes, s’attachant uniformément avec des lacets à l’assaut de la naissance des mollets. Auprès de Ficelle, la Fouine, le Gari (souris en provençal), la Girafe, Carabine, Panari, Galine (la poule), la Chèvre d’Aix, Pipette et Farfouil – vous noterez combien il est de bon ton de donner des sobriquets aux descendants de Jules Le Noir – « mon » Émile, un rien dinosaure et parfaitement baroque, aurait eu fière allure dans la galerie des Fadas de la pétanque, ce magnifique ouvrage de soleil, édité en principauté monégasque, chez Pastorelly, qui a désormais mis la clef sous la porte. Je ne peux hélas plus en toucher deux mots à notre ami Francis Huger, cet amène fils de potier devenu journaliste, hédoniste fleurant bon la garrigue, toujours chic et cordial. Il s’en est allé il y a bien longtemps, victime d’une chute mortelle au cours des championnats de France cyclistes des journalistes le 11 novembre 1977, après que sa tête eut heurté un trottoir. Il succomba le 10 janvier 1978. 19
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Mais sans doute Francis a-t-il rencontré mon héros, ce cher Émile Palanque, au Paradis où, bien évidemment, sont admis tous les baroudeurs, bonimenteurs, bringueurs et pêcheurs proposant une paire de boules en guise de laissez-passer. Soyez tous bénis ! Cependant, bien que soucieuse de l’au-delà, ma Madeleine se régale avant tout sur le plancher des vaches où chantent rossignols et cigales. La preuve, elle ne prend pas de rides. Je la retrouve inaltérablement pimpante, à Biot, portée par le souffle des verriers, à Fréjus et à SaintRaphaël, entre boulodrome et casino, à Gruissan, entre deux vols de flamants roses, à Port-Vendres, entre soupe de poissons et violets, et à Honfleur, pour un clin d’œil à Alphonse Allais, autant de coruscantes et folkloriques aires où les Jules Le Noir ont fait des adeptes. Car, contrairement aux dires de Jacques Brel, quand il apportait ses lilas avant d’aller manger des frites chez Eugène, les Madeleine sont toujours ponctuelles et omniprésentes. Pas du genre à poser des lapins comme dans la chanson. Ici, près des murets et des bancs publics, où il fait bon se reposer, elles « viennent », légères et enjouées, un rien impertinentes, pleines d’entrain ces Madeleine de notre jeunesse. Point besoin d’artifices pour les faire entrer en scène. En pleine révolution culturelle soixante-huitarde, je la revois cette autre fois encore, éternellement splendide, cheveux aux vent, diaphane et sylphide dans la nuit enrobant Allan, paisible localité près de Montélimar, où il y a forcément un jeu de boules devant l’hôtel et, en conséquence, un bistro avec quelques tables parsemées de carafes pour le pur respect des règles (un volume d’anis pour trois ou quatre, selon, d’eau), comme partout dans le Midi. Vous l’avez d’ailleurs remarqué : il y a toujours un bistro toisant le terrain de boules car, de toutes les activités 20
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(sportives ?), les spécialistes sont unanimes : la pétanque est celle qui dessèche le plus les gosiers. Sans doute à cause du soleil, des réverbères ou de la poussière… Pendant les nocturnes, entre deux godets, la délicieuse patronne, Jeannine au si généreux bustier, amie de Charles Moulin, « le Boulanger » de Marcel Pagnol, recommande d’éviter de claquer les boules, « à cause des clients se plaignant de ne pas pouvoir fermer l’œil ». Diantre, ils n’ont qu’à boire un coup… ça les fera roupiller ces insomniaques ! Mais c’est ainsi : il demeure ce réflexe conditionné. Cette sale manie, il faut bien le reconnaître ! Pourquoi diable les joueurs que nous sommes fiers d’être tapent-ils toujours, l’une contre l’autre, les sphères, forcément bruyantes car devenues, avec le temps, métalliques, à la manière du boxeur martelant le punching-ball ? Pour épater ? Pour impressionner l’adversaire ? Pour se rassurer ? Pour canaliser son impatience ? Ou (plus sûrement) pour voir débouler la tenancière avec ses deux boules, mignonnettes à croquer, aériennes, la flèche « pointant » (comme de bien entendu) dans le corsage… ? « Belles… Belles… Belles… » chantait Claude François. Personnellement, je n’adhère pas aux goûts de l’ensemble des mes équipiers et rivaux. Je les trouve trop obnubilés par (pardonnez-moi l’expression) « le cul ». Et il en est un qui les hante en permanence, à les rendre fous : celui de la Fanny. Garce de Fanny. On dirait qu’ils n’ont jamais vu de postérieur de leur vie. D’abord, la Fanny, elle est grosse, pour sûr adipeuse et presque laide. Rien à voir avec ma gracile et mélodieuse Madeleine ! Tenez, elle est encore subtile ma muse, sur le terrain de boules aménagé près de l’étang de mes quarante ans, à Garennes, non loin d’Ivry-la-Bataille où le bon roi Henri, autre joueur de boules, a souhaité que l’on se rallie à son 21
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panache blanc. Il y a là une pièce d’eau naguère farcie de sandres et désormais pourrie de silures. Il ne vous aura du reste pas échappé qu’il y a aussi toujours des boules dans les coffres de voiture garées à proximité des étangs. L’hiver, les fusils veulent aussi être de la partie. Toucher au fer. Pan ! Pan ! Mais ma Madeleine, qui peut être de mauvaise foi, se marre : qu’ils sont maladroits ! Bientôt, ils vont rappliquer, dans un tonnerre de 4x4, avec leurs chiens et leurs trompettes pour tirer à boulets rouges sur le copain, avant l’instant suprême, celui que tout le monde attend : le sacro-saint apéro, messie de nos palais, que nul contrôle au monde ne saurait faire complètement disparaître. N’en déplaise à la sobre FFPJP déterminée en cette année de centenaire à gommer l’image de pratiquants portés vers la boisson, c’est rituel. Loi Evin et Barzach ou pas, Paul Ricard, sybarite père du célèbre jaune, sera toujours le Saint Patron de la pétanque et des tournées, grand prédicateur d’une journée festive célébrant la communion du bouchon et du cochonnet sur un air de glaçons tintant joyeusement à l’unisson dans les verres. Chaque semaine, chaque mois, chaque année, il en est ainsi dans l’antichambre du paradis de ma Madeleine, au royaume de l’Épicure, de l’altruisme, de l’esbroufe, de la poésie et des hommes… en ce qu’ils ont de chevaleresquement jouisseurs. Et ce, depuis 1907 après Jésus-Christ…
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