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DU MÊME AUTEUR Préhistoire des Français Paris, Presses de la Cité, 1967 Paris-Chirac Paris, Plon, 1988 Les Rendu ou Comment accéder à la bourgeoisie Paris, Christian, 1989 La Garonne sous la pression des siècles Toulouse, Privat, 1993 (ouvrage collectif) 1910, Paris inondé Paris, Hervas, 1996

© Éditions Jacob-Duvernet, 2007


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Marc Ambroise-Rendu

Des cancres à l’Élysée 5 présidents face à la crise écologique

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Sommaire

INTRODUCTION Nos monarques républicains, un atout pour l’écologie ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13 Un système présidentiel sans équivalent Le SOS des pêcheurs à la ligne Un nouveau système de gouvernance

1. DE GAULLE EN SES PARCS Naturalistes, je vous ai compris . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23 DU « PALAIS » AU POSTE DE PILOTAGE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26 Une intelligence à longue portée Repérer les talents Le triptyque de la grandeur LA NATURE MISE EN PARCS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33 Une institution à l’état gazeux Chères vieilles pierres L’intendance suivra EXTENSION DU DOMAINE RÉSERVÉ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44 Organiser l’agglomération capitale Déménager le « ventre de Paris » Malraux approuve la tour Montparnasse


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2. LES ARBRES DE POMPIDOU L’environnement à la française : un ministère . . . . . . 61 NOUVELLE SOCIÉTÉ ET MOT NOUVEAU . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 63 Le coup des 100 mesures Message perdu à Chicago LE MECCANO DE LA PROTECTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 72 Bâtir un ministère UNE CONCEPTION PAYSANNE DE LA NATURE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 80 Les arbres de Sénart Le sauvetage de la Camargue Urgence à Porquerolles La Vanoise, de justesse La conservation de l’environnement devient d’intérêt général LE PIÈGE DE L’URBANISME PARISIEN . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96 Les tours de la Défense Adapter la ville à l’automobile CES CINGLÉS DU CLUB DE ROME . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 106 La politique du bonheur Conseil restreint pour le choix nucléaire

3. LES CHASSES DE GISCARD L’enfer des bonnes intentions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 117 LES 18 PROMESSES DE LA CHARTE DE LA NATURE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121 Dépoussiérer la République LEÇON D’ÉCOLOGIE URBAINE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 126 Entre les édiles et le Premier ministre Échange les Halles contre La Villette La comédie de l’Institut du monde arabe LA PROTECTION DE LA NATURE AU FORCEPS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 136 Sauvée par les parlementaires Le discours sur la montagne L’ÉNERGIE : UNE ÉOLIENNE, 40 RÉACTEURS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 144 Monsieur énergies nouvelles Superphénix l’éléphant blanc Comment on joue avec le feu MALENTENDU ET DIVORCE AVEC LES ASSOCIATIONS . . . . . . . . . . . . . . . . . . 152 La participation en 45 mesures Conversations de salon de thé


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L’obsession électorale Les militants entrent en politique D’Ornano à la rescousse Un grand prédateur DES HOMMES, DES TEXTES, PEU D’ARGENT . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 162 Dialogue avec les fonctionnaires Fébrilité législative Ultime remords

4. LES ORTOLANS DE MITTERRAND Monter sur la scène internationale . . . . . . . . . . . . . . 173 LA NATURE, OBJET LITTÉRAIRE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 176 Une enfance rurale Une conception judéo-chrétienne LA COHORTE DES CONSEILLERS ET DES MINISTRES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 182 Ségolène Royal fait ses débuts Matignon ou l’indifférence Le maroquin comme récompense Le vieil homme et l’écolo La tornade Royal L’environnement au secours de la cohabitation PARIS : CHASSE GARDÉE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 198 Un programme pharaonique Comment accommoder les restes La main du président Une trop grande bibliothèque LES AMBIGUÏTÉS DU NUCLÉAIRE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 216 Le boomerang néo-zélandais Des concessions en trompe-l’œil Les mensonges de Tchernobyl LE PROGRÈS RÉSOUDRA LA CRISE ÉCOLOGIQUE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 226 L’ENVIRONNEMENT PAR PETITES TOUCHES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 229 Parfois, un mot suffit Non-assistance à littoral en danger SUR LA SCÈNE DES NATIONS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 235 Succès diplomatique à La Haye Les folles agapes du Bicentenaire Des petits sous pour le Tiers-monde L’émergence du développement durable


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5. LES PARADOXES DE CHIRAC La maison brûle, regardons ailleurs . . . . . . . . . . . . 249 L’HOMME ET SON ENTOURAGE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 252 Les brouillons de Monsieur le maire De vrais ministres mais sans budget Cinq femmes de caractère Les leçons particulières du professeur Hulot LA NATURE, QUEL SOUCI ! . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 263 Le rêve du Rayol La réalité des marées noires Le psychodrame de Natura 2000 Sortir les parcs de la naphtaline L’ordre républicain au secours des ours AUX PRISES AVEC L’ENVIRONNEMENT . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 274 Faire payer les paysans pollueurs Incohérences atmosphériques Amiante et OGM, les dossiers pièges Sauver le Clemenceau Nucléaire : l’aventure continue LES MONUMENTS DU PRÉSIDENT . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 285 La charte, envers et contre tous Le musée manquant L’ÉCOLOGIE AUSSI SE MONDIALISE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 290 Sept années d’apprentissage Dans la hotte de la biodiversité Kyoto ou l’engrenage onusien Le remake de La Haye À Montréal sur grand écran L’USINE À GAZ DU DÉVELOPPEMENT DURABLE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 302 Le show de Johannesburg LE PORTE-VOIX DE L’ÉCOLOGIE. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 310

CONCLUSION À quoi sert un président ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 315 Les responsabilités de la France La crise a débuté sous nos yeux Les atouts humains et politiques Les instruments d’une politique Les obligations internationales Trop peu et trop tard Les trois credo de nos dirigeants


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ANNEXES OUVRAGES ET DOCUMENTS CONSULTÉS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 333 LES PRÉSIDENTS ET LEURS MINISTRES (1959-2007) . . . . . . . . . . . . . . . 337 L’ŒUVRE LÉGISLATIVE ET RÉGLEMENTAIRE (1959-2007) . . . . . . . . . . . 343 DE CHICAGO À JOHANNESBURG : DEUX DISCOURS PRÉSIDENTIELS. . . . . 351 LISTE DES SIGLES ET ACRONYMES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 357


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REMERCIEMENTS Les personnes dont les noms suivent ont bien voulu répondre aux questions de l’auteur ou contribuer à la collecte des informations qui nourrissent le présent ouvrage. Qu’elles en soient remerciées. Serge ANTOINE, Michel BARNIER, François BLAND, Jérôme BONNAFONT, Huguette BOUCHARDEAU, Hugues BOUSIGES, Chantal CANS, Roger CANS, Lucien CHABASON , Denise CHARENSOL , Jean-Claude COLLI, Philippe D’IRIBARNE, Stéphane DUPRÉ LA TOUR, Henri FABRE-LUCE, Jean-Claude GAZEAU, Claudine HARASSE, Nicolas HULOT, Daniel JOUANNES, Brice LALONDE, Alain LAMASSOURE, Bettina LAVILLE, Corinne LEPAGE, Serge LEPELTIER, Jean MAHEU, Jérôme MONOD, Christian NEBON, Robert POUJADE, Carole REBOUL, Pierre RICHARD, Jean-François SAGLIO, Guillaume SAINTENY, Philippe SAINT MARC, Jean SERISE, François SERRAND, Anne VOISIN, Dominique VOYNET, Paul WATKINSON, Michel WOIMANT Tous mes remeciements également aux responsables de : La bibliothèque de La DOCUMENTATION FRANÇAISE L’institut FRANÇOIS-MITTERRAND Le Centre d’accueil et de renseignement des ARCHIVES Les archives de l’ASSEMBLÉE NATIONALE Le secrétariat de VALÉRY GISCARD D’ESTAING

NATIONALES

Les personnes dont les noms suivent n’ont pas pu ou n’ont pas souhaité répondre aux interrogations de l’auteur : Jacques CHIRAC, Anne DUTHILLEUL, Valéry GISCARD D’ESTAING, Edgar PISANI, Ségolène ROYAL, Philippe SÉGUIN


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AVERTISSEMENT Voici trente-six ans que j’observe l’évolution des thèmes écologiques dans le débat politique. C’est donc en témoin de mon temps, non en historien, que je propose au lecteur une histoire des politiques environnementales en France, abordée sous l’angle des présidents de la Ve République. Malgré les livres lus et relus, les archives dépouillées, les témoignages recueillis, le présent ouvrage contient peut-être quelques erreurs. Je remercie d’avance ceux qui voudront bien prendre un peu de leur temps pour rectifier les faits ici rapportés et entamer la discussion sur tel ou tel point. M. A.-R.


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INTRODUCTION

Nos monarques républicains, un atout pour l’écologie ?


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COMMENT CONSERVER son optimisme naturel après avoir digéré le lot d’informations quotidiennes ? Chaque jour, comme une équipe médicale quittant le chevet d’un illustre malade, des experts de toutes disciplines complètent le bulletin de santé de la planète. Non seulement en perdant ses forêts devient-elle chauve, mais les animaux disparaissent aussi par espèces entières. Sa surface se couvre de déchets malsains, sa respiration est fétide et ses excrétions liquides de plus en plus chargées. Voilà maintenant qu’elle a de la température et que son énergie s’épuise. Les paléontologues et les astrophysiciens, qui raisonnent de haut et sur le long terme, laissent entendre que, si le mal empire, la terre ne sera plus en état d’abriter et de nourrir les chers parasites que nous sommes. À l’échelle de la longue aventure de la planète bleue, ce serait la sixième fois que des espèces vivantes disparaîtraient massivement. Jusqu’à présent, après chaque catastrophe, la vie – qui est têtue – a repris son petit bonhomme de chemin et a mitonné des espèces nouvelles. Mais qu’en sera-t-il demain ? À lire communiqués et anticipations, les philosophes trouveront sans doute matière à méditer et les moralistes à prêcher la modestie. Le commun des mortels, lui, s’inquiète pour ses arrière-petitsenfants. Ce que nous conviendrons d’appeler la « crise écologique » n’est plus à démontrer. Le bon sens de l’espèce humaine – ou son instinct de conservation – lui commande d’anticiper l’accident pour le conjurer peut-être ou, au moins, pour limiter les dégâts.

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À l’échelle d’une nation, le pilotage de cette nouvelle aventure exige une volonté politique robuste et constante. Il s’agit là de navigation au long cours. Et l’expérience démontre que, pour tenir la barre, on a tout intérêt à disposer de personnes déterminées et ayant les moyens d’agir. Eh bien le bateau France a la chance de s’être équipé, depuis un demi-siècle déjà, d’un système de navigation assez pointu et d’un vrai capitaine pour actionner le chadburn. C’est le sytème présidentiel de la Ve République. Il serait même, si l’on en croit les constitutionnalistes, sans équivalent au monde. Un système présidentiel sans équivalent Le président made in France est désigné par l’ensemble des citoyens. L’onction du suffrage universel est l’équivalent du sacre que nos anciens monarques allaient chercher à Reims. Aucun autre Français ne peut se parer d’une légitimité, d’une autorité morale et d’un poids politique semblables. Il devrait être, par définition, le meilleur d’entre les Français ; en tout cas, une personne capable de voir très loin. On le sait, gouverner c’est prévoir, et plus particulièrement lorsqu’il s’agit de protection de l’environnement. Visionnaire, De Gaulle, le premier d’entre eux, l’a été sur bien des sujets : l’indispensable décolonisation, la modernisation des institutions et le choix du nucléaire. Grâce au septennat – et même avec la réduction au quinquennat –, le chef de l’État dispose du temps sans lequel rien de solide ne s’accomplit. De De Gaulle à Chirac, les cinq présidents qui ont séjourné à l’Élysée y sont restés en moyenne 9 ans et demi. Il ne tient qu’au président d’être aussi l’homme le mieux informé du pays. Giscard d’Estaing, lorqu’il était ministre des Finances, avait été impressionné par le Général. Il le voyait chaque semaine et lui apportait ce qu’il croyait être des nouvelles. De Gaulle les connaissait déjà. Les notes que rédigent à profusion les conseillers, les visiteurs reçus au « palais » – et qui ne sont ni médiocres, ni avares de confidences –, les rapports des services de renseignement, les topos hebdomadaires du ministre des Affaires étrangères, les communications des ministres (ou même les écoutes téléphoniques) ne lui laissent rien ignorer. Le président at-il une interrogation scientifique ? L’Académie des sciences, le CNRS, tous les laboratoires de France et de très nombreux comités ou agences spécialisés sont prêts à lui répondre.

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Introduction

Pour les moyens d’action, personne ne peut se vanter d’en détenir autant, à commencer par l’immense appareil de l’État. Mais l’Élysée lui-même est puissamment pourvu. Le budget annuel de la présidence, que nul ne contrôle, est confidentiel. Un parlementaire plus curieux que ses confrères a passé un temps considérable à en évaluer le montant réel : sous le règne de Chirac, 85 millions d’euros, annonce-t-il ! Avec cela, on peut entretenir près d’un millier de collaborateurs directs autour de soi – des gardes du corps aux marmitons –, une dizaine de châteaux, de résidences et d’annexes, une flotte aérienne. Il faut savoir que le président nomme lui-même et en conseil des ministres des milliers de hauts fonctionnaires, dont il contrôle ainsi la carrière. Il signe de nombreux décrets et, quand il le veut, peut mettre en route la fabrique des lois – la manière la plus démocratique de pérenniser ses intentions politiques. Une note, un mot en Conseil suffisent. Le ministre et ses services se mettent au travail. À défaut, un simple député ouvre le débat en déposant une proposition de loi. Certes, ensuite, le processus est laborieux, soumis à maints aléas politiques, aux résistances des lobbies et aux objections juridiques. Il est sans exemple toutefois que la volonté présidentielle n’ait pas remporté ce steeple-chase. La Défense et les Affaires étrangères sont sans conteste – et depuis l’origine – les domaines réservés du chef de l’État. Le tempérament de nos cinq présidents les a conduits à étendre sans vergogne leur champ d’intervention. Transports, culture, économie, urbanisme, affaires sociales, architecture, ils se sont mêlés personnellement de tout. Un président décide aujourd’hui aussi bien de la position d’une tour à l’horizon de l’Arc de Triomphe que d’un tracé d’autoroute. Enfin, le président jouit de par son statut d’une dimension internationale que nul ne peut lui disputer dans l’Hexagone. Le chef de l’État a sous la main et dans le bunker aménagé sous l’Élysée le dispositif secret de déclenchement du feu nucléaire. Parmi 6 milliards d’humains, on ne compte actuellement que huit à dix personnages qui peuvent en faire autant. L’occupant de l’Élysée peut joindre à l’instant n’importe lequel de ses homologues à l’autre bout du monde et, si nécessaire, s’envoler une heure après pour les rencontrer. Ce qui nous paraît « naturel » aujourd’hui ne l’était nullement – et depuis près d’un siècle – au temps de la IIIe puis de la IVe République.

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Le SOS des pêcheurs à la ligne Revenons donc, pour un instant, vers le milieu des années 1950. Depuis la Libération, grâce au plan Marshall, au boom démographique, à l’ardeur au travail de tous et à l’ivresse de la consommation, la France vit le début des Trente Glorieuses. Une belle époque, vous diront ceux qui l’ont vécue. Chaque année nouvelle apporte quelque amélioration des conditions de logement, de transport, de rémunération, de loisir. Les plus modestes peuvent nourrir l’espoir de profiter d’un progrès qui paraît sans limites. À coups de grands ensembles, le parc immobilier se reconstitue à un rythme sans précédent et les villes gagnent sur les champs de betteraves. Les montagnes se harnachent de barrages et des premiers remonte-pentes, les usines tournent à plein régime et les voitures fabriquées par des ouvriers maghrébins à des cadences « américaines » font le bonheur des populations qui jettent leurs « bécanes » aux orties. Semblable explosion engendre d’énormes dommages sur le milieu naturel qui, si on le compare aux zones urbaines et industrielles, sortait plutôt pimpant de quatre années de guerre. Les pêcheurs, les premiers, voyant leurs rivières se changer en égouts, sonnèrent bientôt l’alarme. L’atmosphère des cités piquait les yeux et « l’autoroute du Sud » menaçait de tronçonner le massif de Fontainebleau. Les villes aussi allaient souffrir. Dans Paris, c’est du délire : les ingénieurs imaginent de quadriller la capitale d’un réseau autoroutier couvrant notamment le canal Saint-Martin et bétonnant les rives de Seine sur 8 kilomètres. Et le président du conseil municipal de recommander chaudement ce projet à ses collègues. Il permettra selon lui « de résoudre les problèmes de la circulation ». Face à la croissance dévastatrice, les avertissements ne manquent pas. Autour de la baie de Minamata, les pêcheurs japonais et leurs familles sont massivement empoisonnés par des rejets usiniers chargés de mercure. Les naturalistes français les plus éminents – comme Roger Heim et Jean Dorst, qui se succèdent à la direction du Muséum d’histoire naturelle – publient des ouvrages aux titres parlants : L’Homme contre la nature pour l’un, Avant que nature meure pour l’autre. Des journalistes scientifiques comme Nicolas Skrostsky font chorus avec Alerte à l’homme. Et, en 1956,

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Introduction

les Goncourt couronnent Romain Gary, dont Les Racines du ciel sont le plus émouvant des plaidoyers pour la conservation de la faune africaine. L’écologie entre dans la littérature par la grande porte. Mais on s’y intéresse de loin, en rêvant… à l’Afrique. Si l’on fait en France le décompte des lois, décrets et ordonnances majeurs essayant de mettre un frein aux dégâts du progrès, les dix doigts suffisent. La IVe République, qui a réussi à moderniser l’Hexagone et à enrichir les Français, est comme emportée par son élan. Son personnel politique est inconscient de la crise environnementale qui se prépare. Il est tout occupé à élaborer de savantes combinaisons ministérielles. Les gouvernements ont une durée de vie moyenne de 6 mois. Tout parlementaire a un maroquin dans sa serviette. La carence du régime est patente devant une autre crise : la sortie de l’ère coloniale avec les sanglants conflits d’Indochine, de Madagascar et d’Algérie. Dès 1945, le Général De Gaulle a diagnostiqué la future impuissance du système à se tirer de ce guêpier.

Un nouveau système de gouvernance Avec, sans doute, les meilleures intentions du monde, les mécanos de la constitution de la IVe République ont inventé, en effet, une sorte de véhicule sans conducteur. Élus à la proportionnelle, les députés s’égaillent en une multitude de groupes et de partis qui se neutralisent mutuellement. Ils élisent un président de la République sans autre pouvoir que d’inaugurer les chrysanthèmes et… de choisir un président du Conseil au sein de la meute des prétendants. Ce dernier a théoriquement tous les pouvoirs pour gouverner, mais il est paralysé par l’étroite surveillance d’une Assemblée dont les majorités sont instables. Certes, on a prévu une arme de dissuasion : la faculté pour le président du Conseil de dissoudre le Parlement si celui-ci ne le soutient plus. Ce sabre de bois n’a jamais été employé durant les vingt-deux années de la IVe République. Conséquence : le véhicule roule mais verse dans le fossé à chaque tournant. Dégât collatéral : le régime et son personnel politique sont discrédités. De Gaulle propose donc un nouveau système de gouvernance. Le recours au scrutin majoritaire doit permettre d’élire pour 5 ans une Assemblée où se dégagera une majorité stable. À elle, le travail

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législatif. Elle ne contrôle l’exécutif que partiellement, en le mettant éventuellement en minorité. Mais attention, le président peut répliquer par la dissolution. L’exécutif est entre les mains d’un président et d’un gouvernement. Le président est élu pour 7 ans par l’ensemble des Français. C’est lui qui choisit les autres « exécutants », c’est-àdire les membres du gouvernement et le Premier ministre, qui mettront en œuvre sa politique. Le président promulgue les lois, signe les décrets et les traités internationaux. Il règne sur les armées. Il arbitre les débats les plus difficiles en recourant éventuellement au référendum. Voilà l’exécutif bicéphale, mais musclé, qui sera capable de piloter la France. Ce système a été installé progressivement par deux référendums : l’un en 1958 (79 % de « oui » parmi les votants), l’autre en 1962 (61,7 % des votants). Il fonctionne et résiste même à des accidents de parcours non prévus. Que se passe-t-il lorsque le président et l’Assemblée sont élus par des majorités différentes ? De Gaulle aurait répondu « je m’en vais ». Ses successeurs, plus accommodants – ou plus accrochés au pouvoir –, ont accepté de rester à l’Élysée tout en logeant à Matignon le patron d’un gouvernement issu de la nouvelle majorité. C’est la cohabitation prévue par Giscard, expérimentée par Mitterrand avec Chirac puis Balladur, confirmée enfin par Chirac avec Jospin. Autre dérive inattendue, les décisions élyséennes sur des questions non mentionnées dans la constitution. Les 5 présidents de la IVe République se sont amusés à ce jeu-là. De Gaulle, de manière marginale, les autres en s’en donnant à cœur joie. Le régime n’a toutefois pas été mis en péril pour autant. L’extension du « domaine réservé » s’accompagne évidemment d’un accroissement corrélatif de la responsabilité présidentielle à l’égard de l’avenir. Inaugurer une ligne de TGV ou une autoroute, c’est organiser le territoire pour des décennies. Décider l’érection de monuments dans le ciel de la capitale, c’est modifier son paysage pour un siècle au moins. Poursuivre la construction des centrales nucléaires et tester des bombes atomiques, c’est accepter la production de déchets pour des millénaires. En s’engageant personnellement sur tous ces sujets, les présidents se sont rendus comptables devant l’Histoire comme jamais auparavant depuis 1870. Bien sûr, la liberté de décision et d’action de nos monarques républicains est bridée par la marée montante des directives et de la jurisprudence européennes. La mondialisation les étreint aussi, comme les entreprises. Il n’empêche. Grâce au système présidentiel

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Introduction

fonctionnant depuis un demi-siècle, la France aurait dû mieux préparer et gérer la crise écologique que bien d’autres nations. Est-ce le cas ? Autrement dit, les présidents ont-ils mis leurs facultés d’anticipation et les pouvoirs exceptionnels dont ils disposent au service du pays ? Plus crûment : ont-ils fait leur métier et leur devoir ?

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