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Carrère par Christian Carrère
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Déjà parus dans la collection « Légendes du sport », dirigée par Jean-Paul Brouchon : Les merveilleuses histoires du Tour de France, par Jean-Paul Brouchon, 2003 Poulidor, par Raymond Poulidor, 2004 Hinault, par Bernard Hinault, 2005 Kopa, par Raymond Kopa, 2006 Les Merveilleuses Histoires de la coupe du Monde, par Patrice Burchkalter, 2006 Thévenet, par Bernard Thévenet, 2006
© Éditions Jacob-Duvernet, septembre 2006 ISBN : 2-84724-122-1
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Carrère par Christian Carrère Avec la participation d’Alain Gex
Éditions Jacob-Duvernet
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L’une des vertus les plus éminentes du rugby est de mettre en échec la solitude et la morosité. Antoine Blondin
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Table des matières
Remerciements ................................................................................................................................................7 Préface de Walter Spanghero.....................................................................................................13 Introduction ......................................................................................................................................................17 I. Mon père militaire ............................................................................................................................21 II. Des sportifs et des hommes ................................................................................................29 III. Une tribune échafaud ..............................................................................................................39 IV. Les Dupond-Dupont et le troisième larron ................................................47 V. Une symphonie inachevée ...................................................................................................59 VI. La désillusion .......................................................................................................................................71 VII. Benoît et Walter............................................................................................................................81 VIII. 1968 : du Grand Chelem à la Révolution .............................................91 IX. La cerise sur le gâteau..........................................................................................................103 X. Finales et déchirures .................................................................................................................115 XI. Au détour d’une chasse… .............................................................................................125 XII. Du rugby aux micros .........................................................................................................137 XIII. Des chouchous et des potes ...................................................................................143 XIV. Ricard ...................................................................................................................................................151
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XV. Une passion, les moteurs ...............................................................................................157 XVI. Un dada, le vélo.....................................................................................................................163 XVII. Une fête, le Grand Prix des Champions ...........................................169 XVIII. À plumes, à poils et à table ................................................................................183 XIX. Clin d’œil 68 ..............................................................................................................................191 Postface ................................................................................................................................................................195
Annexes Hommages ......................................................................................................................................................199 Palmarès ..............................................................................................................................................................211 Bibliographie................................................................................................................................................221
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Remerciements Loués soient mon père et ma mère pour cette éducation qui m’a permis de tenir ma vie dans une droite ligne. En matière de sport, que soient associés Daniel Héricé, guide de mes premiers pas au Maroc et des gestes essentiels d’un rugbyman, et notre cher commandant Dupont, chef respecté du Bataillon de Joinville. Mes pensées vont ensuite vers mes professeurs d’éducation physique du lycée de Tarbes, et notamment à l’athlète, étoile du 100 mètres sur cendrée, René Valmy ; à l’« homme aux mains d’or », Émile Wanono, qui eut raison de blessures en boucle ; et au masseur Jack Bellone, qui signa parallèlement quelques prouesses médicales. J’y associerai tout particulièrement mes deux plus proches complices du XV de France, Walter (Spanghero) et Benoît (Dauga), fondements de cette génération qui vécut dans le rugby – et dans la vie – des moments exceptionnels. Honneur également aux coéquipiers de mes débuts à La Pyrénéenne, aux amis du Stado, et à mes partenaires et entraîneurs, toulonnais et tricolores, qui m’ont aidé à signer un Grand Chelem, à gagner des tournois et à savourer d’inaltérables instants de solidarité. Pour ce qui est de ma passion majeure en dehors du rugby, je n’oublie pas mes amis du cyclisme: Yves Hézard, l’homme de terrain qui porta fièrement les couleurs (jaunes, bien sûr !) de MAVIC, José Alvarez, père spirituel de Bernard Hinault 9
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et encyclopédie vivante du vélo, Joël Bernard, l’âme de Campagnolo, et tous les professionnels que j’ai eu la chance de côtoyer. Je voudrais également rendre hommage à Richard Grand, créateur et organisateur des Rallyes La Clusaz-Bendor, La Clusaz-Antibes-Juan-les-Pins et, surtout, du Grand Prix des Champions, manifestation familiale au sein de laquelle, trente ans durant, je me suis retrouvé au contact de toutes les stars du sport français, en des circonstances fraternelles et festives. Touchant une autre de mes passions, j’adresse également un grand merci aux généraux de l’armée de l’Air, qui m’ont permis de me fondre dans la Patrouille de France au cours de ses démonstrations et de voler en Mirage 2000, pour une expérience digne de Top Gun. Je veux également m’attarder sur mes amis des sports mécaniques, du guidon ou du volant, pilotes de F1 et de rallyes. Bien naturellement, je ne peux pas les citer tous, mais ils se reconnaîtront au travers d’anecdotes que j’ai eu grand plaisir à raconter. Je ferai également un clin d’œil au monde de la chasse en la personne de Jean-François Finot, le patron national de Beretta, avec qui j’ai participé à de mémorables parties, souvent présidées par Son Altesse Royale le prince Jacques d’Orléans, qui a insufflé une noblesse particulière à ma vie professionnelle. À leurs côtés, Pierre Cordelier, grande voix de la tauromachie, à qui je dois mon arrivée au sein de la société Ricard. J’ai toujours une pensée pour tous nos amis journalistes qui ont tant œuvré pour notre notoriété d’aujourd’hui. Roger Couderc, bien entendu, qui a fait la gloire de notre 10
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Remerciements
discipline, et sans qui, à travers la presse audiovisuelle, le rugby ne serait qu’un sport de province. Il fut notre plus grand supporteur, voire notre coéquipier, ce fameux « XVIe homme ». Merci ! Je salue aussi Alain Gex, compagnon de plume, longtemps témoin des journées de retraite d’avant Tournoi, au Château Ricard (« La Voisine » bien-nommée de nos trépidantes passions), et acteur de nos veillées sportives, de La Plagne à Font-Romeu. Je terminerai évidemment avec mon maître vénéré, M. Paul Ricard, grâce à qui j’ai pu accomplir une carrière pleine, exceptionnelle, sous de multiples horizons, et m’assumer dans ma vie d’homme.
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Préface
Christian, mon ami,
Vais-je devoir multiplier par deux l’agréable exercice et l’honneur que constitue cette préface ? Car, s’agissant de Christian, j’ai le devoir de vanter les qualités du capitaine exemplaire qu’il fut, très jeune, mais également de l’ami indéfectible qu’il est resté par la suite. Cette complicité ne date d’ailleurs pas d’hier : elle trouve ses origines au Bataillon de Joinville où nous étions mobilisés pour signer, avant l’heure, nos quatre cents coups. Là, mais plus sûrement à Compiègne pour nos classes, est véritablement née une fraternité à toute épreuve, qui s’est renforcée au fil du temps de la même manière qu’un vin, chez nous, se bonifie. Christian et moi étions, je le crois, taillés dans la même étoffe, mus par la volonté et l’envie, et animés d’un farouche désir de ne pas décevoir. Sur le terrain, comme dans la vie, il a toujours fait preuve d’omniprésence et d’une étonnante 13
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détermination qui l’ont amené à prendre des décisions promptement et à s’engager sur-le-champ. Dès lors, comment aurait-il pu passer à côté de la magnifique reconversion qui fut sienne au sein de la société Ricard, au cours de cette seconde carrière qui lui a permis de côtoyer certains grands de ce monde, sans jamais, ô grand jamais ! oublier les collégiens et les boy-scouts que nous fûmes tous à l’époque du premier Grand Chelem de 1968. D’ailleurs, lorsqu’il s’était agi, l’année précédente, de choisir un capitaine, c’est naturellement lui, avec son esprit jovial et ouvert, qui s’imposait naturellement. Bon joueur et rassembleur, il était en effet le personnage idoine. Du reste, personne parmi nous n’a critiqué la décision. Bien que d’un an son cadet, j’étais sûrement plus mûr que lui, avec trois années et demie de batailles derrière moi, mais Christian avait l’intelligence appropriée à la circonstance. Il n’a pas trompé notre confiance. Il a su s’appuyer sur les anciens, écouter et tirer ensuite la quintessence de nos réflexions. C’était primordial. Il faut savoir qu’à l’époque le rôle de capitaine avait une importance extrême. Il était quasiment le patron de l’équipe. C’est lui qui définissait la tactique de jeu et la stratégie à mettre en place en fonction des forces et des faiblesses de l’adversaire ; à ce titre, il pesait inévitablement sur la sélection. Clairvoyant, Christian a vite compris qu’il ne fallait pas mettre la pression à ces « soixante-huitards » que nous étions dans l’allégresse de notre jeunesse. Nous évoluions la fleur au fusil, joyeux d’être embarqués dans cette aventure, avec parfois une pointe d’inconscience. J’en veux pour preuve ce match de sélection perdu contre le Sud-Est, à Grenoble, afin de donner davantage de lustre 14
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Préface
à l’ouverture des jeux Olympiques. Un match de c… !, que nous abordions en démonstration, alors que nous avions déjà deux des quatre levées du Tournoi en poche. Nous avions décidé de rallier le Dauphiné dans la décontraction avec une halte, la veille de la rencontre, dans un super restaurant au Pont du Gard. On était fêtards, on s’est un peu oubliés à table. Résultat, nous avons été minables le lendemain ; la maestria des lutins voultains, Lilian et Guy Camberabero, diaboliques à la charnière, a eu raison de nous (11-9 !). Onze d’entre nous n’ont pas résisté à la vindicte. Benoît Dauga en personne resta même au tapis. Seuls Campaes, Cester, Christian et moi avons trouvé grâce aux yeux de sélectionneurs qui ne badinaient pas alors avec un revers aussi humiliant qu’inadmissible. Cette anecdote prouve à quel point notre réservoir était d’admirable qualité, à une époque où l’on ne remplaçait pas les joueurs blessés ou affaiblis (contrairement à ce qui se fait maintenant !). Vingt-sept hommes avaient ainsi été les héros d’une épopée qui aurait dû trouver un heureux prolongement en Nouvelle-Zélande, en une (autre) consécration historique hélas empêchée par un arbitrage local d’une insigne partialité. Mais je reste persuadé que la chance constitue aussi un paramètre fondamental de notre sport. Dans le Tournoi, les Écossais avaient manqué tous leurs coups de pied. Changement de décor, devant les All Blacks du troisième test : ce fut au tour de Pierrot Villepreux de passer à côté dans ses tentatives de pénalité. Cette année-là, nous aurions pu, et dû, remporter les deux derniers test-matches, eu égard à la somme de jeu produite, bien supérieure à celle de nos adversaires. 15
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Car, si le temps passe, la philosophie du jeu se transmet à l’identique. Contrairement à ce que prétendent beaucoup de gens aujourd’hui, le rugby reste un jeu de balle. Quand j’entends encenser un joueur sous le prétexte qu’il a réussi vingt plaquages sans avoir touché un ballon, je m’interroge. Homme d’analyse et de bon sens, mon ami Christian le confirmera sûrement dans les pages qui suivent. La langue de bois n’a jamais été son fort. Walter Spanghero
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Introduction
Quand j’ai été contacté pour écrire ce livre, ma surprise a été totale, immédiatement teintée d’hésitations. Ma famille, mes proches et mes anciens collaborateurs m’ont alors vivement incité à me lancer plein champ dans l’aventure, mais une question me taraudait : Walter Spanghero et Benoît Dauga n’étaient-ils pas plus représentatifs que moi ? Peut-être, à leur tour, esquisseront-ils un jour le récit de leur propre vie, afin de rendre hommage à cette génération estampillée 68, riche de succès et d’enthousiasme. Je le souhaite. Ainsi conforté, j’ai accepté le challenge dans la sérénité, au milieu de ces montagnes qui surplombent mon lac de Serre-Ponçon et la chapelle blanche qui en émerge pour témoigner de la présence, sous les flots, de villages engloutis. J’ai fait fi de ma modestie, indispensable humilité chez tout capitaine qui se respecte. C’est donc dans ce lieu paradisiaque, qui me rappelle étrangement certains paysages de Nouvelle-Zélande, que je me suis mis à l’œuvre pour éviter 17
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de maintenir dans l’ombre plus longtemps cette génération, bâtie de bric et de broc aux yeux de certains mais, en réalité, pétrie de talent. Comme le précise Walter, joueur de fuego, admirable complice et piquant préfacier, la plupart d’entre nous étaient taillés dans une même étoffe, un bleu de chauffe, le bleu de France, le bleu de cette mer des golfes clairs si chère à ma jeunesse. J’ai ainsi pensé qu’il était bon de remettre en valeur cette bande de copains qui a eu son heure de gloire, qui n’a à rougir de rien, mais qui peut simplement se flatter d’avoir eu une jeunesse de rêve dans un monde où, aujourd’hui, on ne parle que de malheurs et de tristesse. Bien davantage que d’autres disciplines sportives, le rugby réclame des vertus de solidarité et, dès lors, qu’aurait été ma carrière sans l’abnégation de ces camarades qui ont si souvent côtoyé l’excellence ? D’ailleurs, en 1968 à l’occasion du Grand Chelem, l’équipe du XV de France, a marqué la mémoire des amateurs par son talent. Mais ce que je n’oublierai jamais, c’est qu’aucun ne pensait à briller individuellement. Tous, au contraire, se dévouaient à l’intérêt général. Même si nous n’avons pas été payés en retour, j’ai la grande fierté d’avoir appartenu à cette équipe de France qui a donné la chair de poule aux Néo-Zélandais, un jour de l’été 1968. Cette fois-là tout un peuple, orfèvre en matière de rubgy, a poussé derrière nous. L’arbitre, local et impartial, s’est montré sourd aux encouragements et nous sommes restés sur les talons des All-Blacks au terme d’un récital ancré dans les mémoires. Cette équipe de France battue (19-12) avait fait preuve de génie en ce 10 août. L’Eden Park d’Auckland s’en souvient encore. 18
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Introduction
Il est curieux de constater que l’embellie rugbystique de mon existence s’incruste dans le souvenir d’une défaite alors que, cinq mois auparavant, nous avions mis la France en émoi avec un premier Grand Chelem. Serais-je masochiste, puisque deux autres revers demeurent aussi sûrement dans toutes les mémoires ? J’ai eu en effet la joie de disputer deux finales, l’Everest de tout jeueur de rugby, contre le FC Lourdais en 1968 et contre l’AS Béziers en 1971. Par deux fois, nous avons laissé échapper le gain du match alors que le bouclier de Brennus s’offrait à nous. Le premier acte, à Bordeaux, se termine sur un nul (9-9) mais, faute de temps, le match ne peut être rejoué ; le second (15-9) tourne à l’horreur dans les dernières minutes du temps réglementaire sous la forme d’une relance désespérée de Jack Cantoni. Ces défaites m’ont renforcé. Je voudrais donc que ce livre soit un ouvrage d’optimisme, de bonheur et d’ouverture, dans lequel on puisse discerner combien la vie est bien faite quand on sait la prendre à brasle-corps. Lorsque l’on garde les pieds sur terre et que l’on a touché de près la rudesse de certains combats, tout paraît beaucoup plus simple. Au gré de ces vingt chapitres, j’aspire à mettre en exergue les bienfaits de l’éducation, du respect d’autrui, de l’amitié immodérée et du sens de l’honneur. Cela me permettra d’ailleurs de faire la lumière sur certains épisodes de ma carrière, faite de hauts et de bas, en équipe de France ou à Toulon. Ce livre aura également pour but, je l’espère, d’expliquer les richesses d’une vie, la mienne, sur les plans professionnel et affectif.
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Chapitre I
Mon père militaire
Bigourdan de souche, je suis né à Tarbes, par temps de guerre, un 27 juillet 1943. Je n’ai évidemment aucun souvenir de cette prime jeunesse. En fait, les premières lueurs qui éclairent ma mémoire me viennent du Maroc, terre à la fois authentique, mystérieuse et charmeuse, où mon père, Robert, est très rapidement muté en sa qualité d’officier. Mon père évolue en première division française à l’AS tarbaise, bastion réputé pour sa rudesse. Mais cette caractéristique ne constitue toutefois pas un problème majeur pour lui. Il apprécie en effet de vivre à sa juste valeur ce rôle de pilier du devoir, sachant s’adapter à toutes les situations. Il joue également à la section paloise avec laquelle il remporte le Challenge Yves du Manoir, avant de porter, quelques années, les couleurs du Stade Toulousain. Cette filiation explique donc, tout naturellement, ma carrière future. Basé à Rabat, mon père est ainsi non seulement cadre de l’armée de l’Air mais aussi entraîneur de l’Olympique marocain. À ce titre, il recrute à l’État-major quelques joueurs 21
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français de renom qui choisissent de rejoindre le Maroc plutôt que d’aller guerroyer en Algérie. Ses séances d’entraînement dirigées avec passion et assiduité et les matches auxquels il m’emmène, chaque dimanche, avec ma mère, m’initient aux bienfaits de l’esprit d’équipe. Auprès de mon père, il fait bon sortir… Mais ce papa, qui m’a éduqué avec la rigueur propre à tous les militaires, reste l’objet de l’interrogation suprême de mon existence. Lui qui a été homme (et joueur) de rugby pendant une grande partie de sa vie n’est jamais venu me voir jouer au cours de ma carrière internationale, contrairement aux membres de la famille de tous nos amis, Walter, Benoît, etc. Pour quelle raison secrète ? Pourtant, j’attends sans cesse ses encouragements au stade de Colombes, et j’espère ne fut-ce qu’une brève apparition à Rueil-Malmaison, au Club Shell, notre lieu de retraite avant les matches. En vain. Il reste étrangement dans l’ombre. Absent, lointain et sans me faire ce petit signe qui, certainement, me donnerait la plus forte des motivations. D’ailleurs, je n’ai jamais eu le courage de lui demander le pourquoi de cette étonnante passivité, et maintenant, il est hélas trop tard. Il est parti. Cependant, j’ai découvert longtemps après l’intérêt qu’il portait à ma carrière, et ce dans les moindres détails. Preuve bouleversante et indubitable d’un amour, contre toute attente, permanent, mais entretenu dans « sa » rigueur et « sa » dignité. J’aurais tant aimé qu’il manifeste l’intérêt que portait à ma carrière mon beau-père, Marcel. Ce dernier a en effet rassemblé des coupures de presse qu’il a soigneusement collées sur un cahier, en respectant scrupuleusement l’ordre chronologique. Il a aussi, méticuleusement, conçu un tableau 22
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récapitulatif de mes matches en équipe de France. Avec tous les pleins et les déliés d’une calligraphie impeccable, il a noté : « Rencontres Internationales pour lesquelles Christian Carrère a été sélectionné 27 fois, dont 18 comme Capitaine. » *** En bordure de l’océan Atlantique, fouetté par les embruns et câliné par le sable, je passe une jeunesse exceptionnelle à tous égards. Je reste au Maroc jusqu’en 1959. Il m’arrive, lorsque nous abordons le continent africain durant les congés, de m’installer dans le fief de la famille de ma fatma, pour y être bichonné dans le douar, reçu et considéré comme un enfant du pays. Cette femme adorable s’occupe merveilleusement de mes sœurs, Arlette et Ginette, et de moi : elle nous emmène en promenade, prépare nos repas et nous entoure d’attendrissantes attentions quand elle ne prend pas part à nos jeux, telle une enfant. Chaperon habillé de noir, elle est bien davantage qu’un guide qui nous éclaire dans les souks. Zorah est notre madeleine, la madeleine de nos joies et de notre éveil à cette vie africaine, de ces chants typiques au Maghreb, du soleil, de l’arôme d’un thé à la menthe ou du goût de miel des gâteaux secs dont nous nous délectons, en boucle, sans compter, à nous en dérégler les sens. C’est par ailleurs l’époque où je commence à sentir brûler au fond de moi une flamme rugbystique. Je la sens, faible mais déterminée. Je suis tout jeune et pas très épais, mais mon père m’autorise parfois, malgré tout, à me mêler aux entraînements de l’équipe première, géniale récréa23
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tion où je peux asséner quelques plaquages soignés, « au niveau des chaussettes », aux garçons plus âgés qui arborent quelques kilos de plus que moi. Ma véritable éducation en matière de rugby me vient cependant d’un joueur généreux dans l’effort, issu du club de mon père : Daniel Héricé, international de rugby en 1950, mais aussi champion de France de décathlon, la discipline taillée sur mesure pour les hercules de l’athlétisme. Il m’emmène au bois de l’Agdal, havre de verdure dont j’apprendrai plus tard qu’il est aussi le cadre des premières enjambées d’un autre fils de militaire, Jean-Pierre Rives, qui sera – faut-il également le rappeler ? – capitaine au grand cœur de l’équipe de France de rugby. Le « Blond » de (l’autre) Grand Chelem, celui des « Bestiaux » de 1977. Néanmoins, mes véritables débuts dans le sport se font, comme tout un chacun dans ce pays, par la pratique effrénée du football avec les enfants du quartier des officiers, sans cesse aux prises avec les autochtones pour des parties toujours trépidantes et virulentes. Les portails de garage nous servent de cages de but, subissant nos assauts et les manifestations de notre enthousiasme juvénile. Mais les premières compétitions auxquelles je me livre le sont au travers du handball, au lycée Gouraud de Rabat, où nous possédons une très belle équipe. Là, je mets le pied à l’étrier d’une discipline qui, par la suite, me permet de disputer une finale de championnat du Maroc cadets. Déjà, je joue arrière, mais mon tempérament bouillonnant m’amène à finir la plupart du temps sur la touche, mon engagement sortant quelque peu des normes et des règles ordinaires de ce sport, pourtant réputé particulièrement physique. 24
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Le handball active ainsi mon apprentissage de l’esprit collectif, avec ses bienfaits, et de la vision instantanée du jeu, fait de fixations et de décalages. Un enseignement dont j’allais me souvenir durant la suite de ma carrière de sportif. *** Lorsque, à 15 ans, je reviens à Tarbes pour y être pensionnaire, le handball n’a pas droit de cité dans mon établissement scolaire, et je dois me résoudre à un retour aux sources sportives : ce rugby à toucher, que j’ai déjà pratiqué de l’autre côté de la Méditerranée qui m’a permis de ressentir quelques frémissements. J’épouse alors définitivement la cause de ce jeu. Au lycée, je ne manque pas un reportage des matches internationaux de rugby. Les samedis, dans le fond de la classe, mon transistor se trouve à l’intérieur de mon pupitre, lees écouteurs sont aux oreilles et je suis grâce à lui les exploits de Vannier, de Bouquet, de Moncla et de Crauste. Du reste, après quelques séances d’entraînement sur le terrain de manœuvres, en bordure de l’Adour – lieu privilégié des rencontres scolaires –, j’ai rapidement la confirmation des dispositions que j’avais auparavant pressenties. Je m’aperçois, sans forfanterie, que j’ai l’avantage d’être naturellement doué : je n’ai jamais besoin de forcer à l’entraînement. André Herrero, mon capitaine à Toulon, me le reprochera d’ailleurs bien des années plus tard. Mon gabarit filiforme me fait logiquement occuper pour un temps le poste d’arrière et, chose extraordinaire, le premier match en interne au lycée marque le début d’une longue série de blessures. Les hostilités sont à peine engagées qu’un ballon, repris de volée mais mal négocié, m’occasionne une triple 25
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fracture de la rotule qui me stoppe (déjà) pour une année entière. La malchance s’invite d’entrée de jeu. Elle restera dès lors impitoyable en matière de blessures. La saison suivante, je remonte vers le centre de la ligne de trois-quarts pour finir là où mon envie permanente d’être au contact du ballon m’amène impérieusement : en troisième ligne, là où je peux aussi exprimer mes qualités de détente. J’ai alors la conviction que je pratiquerai le rugby au plus haut niveau. Quand je rejoins le centre de la troisième ligne de « La Pyrénéenne », mon vœu est de me trouver le plus rapidement possible une idole à ma passion naissante, lequel sera une locomotive à mes ambitions. Et, de même que Jacques Anquetil deviendrait plus tard ma référence dans ce monde vénéré du vélo, mon choix pour le rugby se porte sur Jean Barthe, immense figure dans le milieu du ballon ovale. Jean Barthe est en effet un homme magnifique de 1,82 mètre pour 88 kilos, taillé dans le roc, avec un torse dense et des épaules généreuses. Un gladiateur et un guerrier comme on n’en voit plus. Un modèle de bravoure pour toute une génération soucieuse de se dépêtrer d’un joug britannique qui agace nos fibres cocardières. J’ai ainsi l’honneur et le privilège de rencontrer « mon » idole quelque temps après, alors que les hasards de sa carrière l’ont dirigé vers le jeu à XIII où il devient international. Auparavant, il a, parmi ses vingt-six sélections, commandé le XV de France une fois, à Twickenham. Ce jour-là, Jean Barthe vient d’affronter la GrandeBretagne contre laquelle il a fait preuve de sa hardiesse coutumière. Il est sorti de ce choc cabossé ce qui, bien sûr, n’étonne pas ses proches. Je me souviendrai toute ma vie des 26
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paroles qu’il adresse à ce jeune espoir pyrénéen que je cherche alors à être : « Petit, écoute-moi, tu vois dans quel état je suis : si un jour une proposition t’est faite, ne signe jamais à XIII, reste à XV car c’est là que, véritablement, tu t’exprimeras. » Roannais puis Carcassonnais, Barthe collectionne vingtdeux sélections dans son nouveau sport et remportera trois titres nationaux, comme à XV (avec Lourdes). Une belle réussite ! Cependant, je fais une règle permanente et incontournable de sa recommandation, malgré les sollicitations que je connais ensuite de la part de ces XIII auxquels mon jeu, pourtant, s’apparente. Les directives de ce Maître restent inscrites, en lettres de feu, dans le déroulement de ma carrière. Je n’en ai jamais démordu, et ne m’en suis jamais plus mal porté. *** Privilégié ma jeunesse durant, je suis particulièrement gâté au moment de mes grands débuts au Stadoceste tarbais. Pensez donc ! Gavroche de la discipline, j’ai en effet immédiatement la chance d’être soutenu par des joueurs prestigieux – généreux artistes du dimanche – comme « Diochet » Manterola, mon protecteur, et toute une kyrielle d’internationaux parmi lesquels Lucien Abadie, Paul Cassagne, Henri Rancoule, Loulou Cazaux et Jean Dupuy. Surnommé « Pipiou », un sobriquet qui lui allait comme un gant, ce dernier est un personnage d’une rare jovialité qui traverse les âges avec bonhomie. Sa gentillesse est à la hauteur du tranchant de ses débordements sur le terrain qui font rapidement de lui un ailier de grande envergure. 27
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Je débute fièrement les séries de rencontres amicales sous sa coupe, à Massat, au fin fond de cette Ariège de caractère, mais aussi à la Bastide d’Armagnac, au nom délicieusement évocateur. Nous arrivons aux matches en Floride décapotable et nous en repartons en chansons, cheveux au vent, l’humeur vagabonde, non sans que mon glorieux moustachu de camarade négocie quelques flacons du précieux breuvage, primes de match de l’époque. Chemin faisant, nous écumons avec frénésie les estaminets les plus renommés de la région et rentrons très tard, grisés, ivres de plaisirs et, le plus souvent, les poches vides. Il s’agit pour moi de moments de bonheur intense qui font la grandeur de ce sport de clocher et de terroir que nous pratiquons à cette époque, sans arrière-pensée. Nous sommes simplement bercés et émerveillés à la fois par la richesse des instants vécus entre copains et guidés par l’enthousiasme et la verve de nos vingt ans.
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Chapitre II
Des sportifs et des hommes
Un départ sous les drapeaux scelle ma première sélection. Elle n’est que militaire, et cependant je savoure à sa juste valeur la chance d’être « retenu » pour mon service, comme beaucoup de jeunes athlètes français toutes disciplines confondues, au Bataillon de Joinville, un corps regroupant l’élite du sport, a priori composé des futures vedettes de leurs disciplines. Mais, passage obligé, nous devons effectuer nos classes durant deux mois à la base aérienne de Compiègne. C’est dans cette ville impériale que se forge ma complicité avec Walter Spanghero. Il devient immédiatement mon frère de régiment, mon frère d’armes de rugby, et mon ami pour la vie. Nous aurions toutefois bien aimé faire l’impasse sur ce long stage, qui nous propulse de plain-pied dans une véritable préparation militaire… Impossible ! Aussi faisons-nous contre mauvaise fortune bon cœur en côtoyant l’équipe de première division de Romans (presque dans son intégralité). Le colonel Rey, patron de la base, qui est particulièrement sensible au prestige qu’occasionne la présence de joueurs de renom comme 29
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Mignaçabal ou Porchier, a usé de son influence pour faire venir tous les militaires d’active de l’US Romaise et Péageoise. Compiègne est pour nous un rassemblement de potaches : sachant que le Bataillon nous attend, nous n’arrivons pas à prendre cette période au sérieux. Anticipant La 7e Compagnie et ses personnages loufoques, nous nous appliquons à faire de la dérision un credo commun. Quoi qu’il en soit, nous sommes mêlés, Walter et moi, aux grandes manœuvres T. A. M. en forêt de Compiègne, lesquelles rassemblent les armées de Terre, de l’Air et de la Marine. Les échauffourées sont, prétend-on, de haute qualité. Elles s’apparentent à une guerre mais avec fusils chargés à blanc. La mise en scène semble convenir aux militaires de carrière, bon public, qui prennent la manœuvre très au sérieux. On me désigne pour être chef de groupe : je dois défendre quelques arpents de fourrés sous l’autorité de notre adjudant. Une embuscade est alors dressée contre Walter, « pièce maîtresse » d’une autre patrouille. Cette attaque est évidemment frappée du sceau de la plaisanterie. Je me retrouve ainsi caché dans le bas-côté de la route sur une butte, fusil FM en appui et grenades de plâtre en main. L’« ennemi » se pointe : la petite troupe est conduite par un gaillard qui n’est autre que mon vieil ami Walter. Il marche quelques pas en avant de ses hommes, avec l’assurance d’un Obélix. En quelques secondes, je décrète que cette embuscade doit se dérouler de la manière la plus folklorique qui soit. À peine Walter est-il à portée que, bien délicatement, comme si j’avais dû « plomber » une boule à la pétanque, je lui balance la grenade sur le casque. Une pluie de ces bruyants projectiles s’abat alors sur lui. 30
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C’est couvert de la tête aux pieds de poudre blanchâtre, éructant et éternuant, qu’il sort de ce piège. Hélas, à cette heure, il n’a pas l’esprit à la rigolade ! Il prend très mal la chose, réalisant instantanément qui est à l’origine de la farce. Vaincu, il devient notre prisonnier, selon la règle ludique et néanmoins militaire de notre jeu. Il me faut ensuite de longues minutes pour le convaincre qu’il est en fait le véritable héros de cet affrontement. *** Walter aime multiplier les activités tous azimuts. Un jour que sa curiosité le conduit jusqu’au gymnase, son œil goguenard s’arrête sur un adepte du noble art secouant méchamment un punching-ball majestueusement dressé sur un socle de fonte. Il s’agit de Marcel Cerdan, le fils du grand Marcel, champion du monde de boxe dans la catégorie reine des poids moyens. Évidence que l’on ne découvrit qu’après… « Junior » s’escrime de toutes ses forces et sue de tout son corps devant un Walter, un brin dubitatif il faut bien le dire. Le petit bonhomme, manifestement, l’intrigue. Son regard, qui va et vient rapidement du « moustique » à l’ovale de cuir, est teinté d’une réelle compassion. « Mais qu’est-ce que tu fous là, intervient enfin le colosse avec son accent inimitable. Ce n’est pas comme cela qu’il faut faire… Le truc ne marche pas avec des pichenettes. » Et Walter, n’y tenant plus, d’expliquer dans la foulée, gestes à l’appui, le mode d’emploi, puis de se lancer dans une cocasse démonstration. En un éclair, il prend prestement position devant l’engin de torture et, avec la force 31
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brutale qui le caractérise, sur un marron appuyé, il retourne le punching-ball qui décolle du sol et se retrouve scotché au mur avant d’éclater, à grand fracas devant l’assistance médusée. « Quand on frappe, faut pas faire semblant : vrai ou faux ? Vrai, pardi », s’emporte-t-il, déconfit sans doute d’avoir cassé son jouet… La scène tient du film d’action dans le plus pur style hollywoodien. N’en déplaise à Silvester Stallone, Rambo rime soudainement avec Spanghero. Le petit Marcel, ébahi, reste figé, alors que Walter, désormais joyeux et réconforté, prend congé. Mais, avant de quitter les planches, le géant débonnaire ne résiste pas à la tentation de prononcer, en toute solennité, une des phrases dont il a le secret. Celle-ci va avoir pour effet d’ébranler définitivement Marcel : « Joue pas à ce jeu-là, ce n’est pas fait pour toi, Garçounet… » Chapeau l’artiste ! *** Bonne nature, Walter est au centre des facéties qui animent les jeunes gens que nous sommes, aux antipodes d’une véritable existence militaire. Les corvées nous procurent, un autre jour, l’occasion de passer de la poudre blanche à la poudre noire. Walter et moi sommes désignés pour remuer du charbon. Le hasard fait qu’à nos côtés se trouve justement Marcel Cerdan, pour nous donner un coup de main. Le gabarit du diablotin des cordes jure toujours autant avec celui de Walter, sculptural, surtout dès lors qu’il s’agit d’entreprendre des travaux de force. 32
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Bien que pugiliste, théoriquement rompu aux intenses activités physiques, Marcel ne paraît pas tellement armé pour décharger un wagon et mettre le précieux combustible dans un camion de l’armée faisant la navette entre la gare de Compiègne et la base. Marcel et moi comprenons qu’une telle tâche est à la mesure de Walter, ce gaillard habitué au labeur des champs et de la ferme familiale, à Bram. Il faut dire que Walter est bâti comme un Dieu, la toison d’un blond quasiment suédois et la peau bronzée par les heures passées sur son tracteur, au soleil de son Languedoc natal. Il suffit alors d’un rien pour motiver ce « beau poulet » : — Walter, t’es pas capable de décharger un wagon. — Quoi, moi je n’en suis pas capable ? Vous allez voir, lance-t-il exaspéré, de sa voix délicieusement rocailleuse. Le tour est joué : Marcel et moi pouvons aller tranquillement chercher une bière et un sandwich au bar de la gare. Paresser, lézarder et babiller au soleil. Une fois l’en-cas ingurgité, on s’assoit et on regarde, admiratifs et un brin moqueurs, œuvrer l’athlète, non sans l’exciter par des encouragements railleurs. Le travailleur de force met un certain temps à comprendre qu’on le chambre et cela tourne vite à l’aigre. Or un Walter en colère, à cette époque-là, représente un réel danger. Quand notre hercule s’aperçoit, enfin, que l’on se fend la poire, il descend du wagon hors de lui tandis que nous nous échappons. Et Walter de saisir un boulet de charbon, d’anticiper mon passage entre deux voies, et de le lancer de toutes ses forces. Je reçois en pleine figure le projectile, qui me fait éclater l’arcade sourcilière sur toute sa longueur. 33
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Gêné, contrit peut-être, tout ce petit monde regagne la base sans disserter outre mesure sur l’incident : moi, avec quelques points de suture à la clé et Walter, tranquillisé et apaisé de s’être vengé. Inutile de dire que Marcel et moi n’avons plus jamais recommencé. *** Walter est physiquement hors normes. Une anecdote a longtemps fait les délices des bleus mobilisés pour des cérémonies officielles sur le parvis de la cathédrale de Compiègne. Cette fois-ci, Walter et moi sommes désignés, avec quatre autres camarades, pour présenter les honneurs à un soldat décédé accidentellement en Allemagne. Comme nous possédons les deux gabarits les plus imposants, nous encadrons le cercueil, formant une première ligne. Nous voilà en tenue d’apparat, équipés comme il se doit d’un casque blanc, de guêtres blanches et de gants blancs. C’est un équipement de secours cependant, car il ne restait plus grand-chose sur la base, beaucoup étant partis en permission en emportant leurs uniformes. Au bout d’un moment, mon regard se pose sur les mains de Walter, qui serre sa mitraillette à hauteur de poitrine. Et, quand on connaît les mains de Walter, on peut en rester coi ! Me tournant davantage, je vois les gants, trop petits, lui servir de mitaines jusqu’à la deuxième phalange. Avec ce détail propre à inspirer le Hardy de Laurel, la scène est surréaliste. Dans ce contexte, je ne peux bien entendu me retenir d’esquisser un rire discret. Le « prestige de l’uniforme » en prend là un sérieux coup. 34
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Walter, qui a suivi mon regard accroché à ses battoirs, a également du mal à se contrôler. Bientôt les larmes inondent nos yeux. L’armée est dans tous ses états. Les gaietés de l’escadron ! *** Notre séjour à Compiègne se termine et nous partons pour le Bataillon où une autre vie nous attend. Je suis ravi de cette nouvelle affectation et pressens qu’elle constituera la plus belle période de ma jeunesse rugbystique. Non seulement le Bataillon me permet de me mêler à la jeune élite du rugby français, mais aussi, tout simplement, à celle du sport français dans son intégralité. Il y a là, en effet, parmi les stars de notre génération, le nageur Alain Gottvalès, qui fut recordman du monde du 4 fois 100 mètres nage libre, le cycliste Lucien Aimar, futur vainqueur (1966) du Tour de France, les boxeurs Jo Gonzales, finaliste des jeux Olympiques de Tokyo, Jacques Marty et Marcel Cerdan, les basketteurs Alain Gilles et Alain Durand, et les footballeurs Fleury Di Nallo, Nestor Combin et Bernard Bosquier. Pour la première fois de notre existence sportive, nous avons une vie extrêmement régulée. C’est alors que je comprends les bienfaits du professionnalisme en matière d’entraînement, me partageant entre les footings autour de l’hippodrome de Vincennes, la musculation intensive, la recherche diététique, mais aussi en approchant une technique extrêmement sophistiquée, propre à nous préparer admirablement au plus haut niveau. Mes camarades rugbymen, Michel Sitjar, Alain Plantefol, Claude Chenevay, Jean-Claude Roques, Michel Arnaudet 35
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et Jean-Claude Lagrange vivent ainsi, avec nous, les prémices d’une future carrière internationale, tout en poursuivant un parcours militaire avec la décontraction de rigueur. Natif de Tarbes, le colonel Gérard Dupont, qui nous commande, est un passionné de rugby. Il a un jour la faiblesse de nous dire : « Écoutez les garçons, à chaque match gagné contre une équipe de division nationale, je vous accorderai des jours de permission. » On se demande d’ailleurs aujourd’hui encore comment nous avons pu rester aussi longtemps au Bataillon : nous remportions la quasi-totalité des confrontations ! Il nous faut préparer quelques défilés en chansons. Notre spécialité : Le Jour le plus long, bien entendu ! Nous devons vocaliser, mais aussi marcher au pas sur l’esplanade de la Redoute de Gravelle. Très rapidement, dans notre groupe de rugbymen, deux appelés se retrouvent interdits définitifs de chant : Walter et moi. Dès que nous élevons la voix, la section entière se met à dérailler et le défilé, perturbé, connaît des à-coups comme un moteur poussif, dans le rythme de sa marche. Bref, il peut carrément se mettre à boiter. *** Walter s’est donné sans compter au Bataillon, au point qu’il m’a souvent inquiété. Combien de fois ce « monsieur de la ville » que je suis pour lui a-t-il dû lui demander de freiner sa générosité naturelle sur l’aire de rugby. Il sait mes conseils sages et désintéressés et il lui arrive de les suivre. Mais un temps seulement, jusqu’à ce que son instinct de Spartacus ne reprenne le dessus. 36
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Ces deux premiers matches au Bataillon se soldent par autant de K.O. Il est toujours au cœur des mêlées, s’activant comme personne. Il arrive le premier dans les regroupements et s’en relève le dernier, couvert de boue et de sang. S’il n’apprend pas rapidement à ménager sa monture, il n’ira pas loin. Peine perdue ! Il répète sans cesse : « Un ballon gagné dans une mêlée ouverte, c’est comme une journée de travail solidement remplie à la ferme. » J’ai mal évalué les hallucinantes capacités d’encaissement et de récupération de mon compagnon de treillis, qui repousse inexorablement l’idée que l’on puisse donner un méchant coup à un rival pour le mettre hors de combat. Cette crédulité fait partie du personnage évoluant en dehors du temps et des réalités. Il vit dans sa logique. Voyez, du reste, comment il apprend, quasiment au son du clairon, sa première sélection nationale, en 1964. Toujours militaire, il se trouve en permission, en père peinard pêchant le thon sur un bateau de ses amis au large de Gruissan, devant ce joli village blanc de pêcheurs, avec les inimitables maisons de bois sur pilotis où seront tournées les scènes du fameux 37°2 le matin de Jean-Jacques Beineix. Il voit arriver, à fond la caisse, une Vedette avec à son bord un pote affolé, muni d’un porte-voix, hurlant sur le pont : « Eh Walter, il faut rentrer ! Tu pars en tournée en Afrique du Sud avec l’équipe de France. Ils viennent de le dire aux informations à la radio. »
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Chapitre III
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Pendant cette période au Bataillon, je suis approché par le Rugby Club toulonnais. Le RCT est alors présidé par Pierre Meiffret, grand personnage de la rade, propriétaire d’une écurie de trotteurs qui viennent régulièrement courir à Vincennes, sur l’hippodrome jouxtant notre résidence militaire du moment. C’est d’ailleurs dans des tribunes du champ de courses que je signe ma licence. Le transfert s’effectue le plus simplement du monde. Je me sens d’autant plus libre que cela fait belle lurette que je n’ai pas eu de contacts avec le Stado. Trop sûrs de leur coup, les responsables tarbais ont dû penser que l’enfant du pays reviendrait naturellement au bercail au terme de son service sous les drapeaux. Hélas ! le Stado, réfractaire, n’accepte pas mon départ et je suis, dans la foulée, victime d’un point de règlement du Challenge du Manoir – deuxième rendez-vous majeur après le championnat – auquel on ne participe que sur invitation. Cette compétition, bien sûr, est prestigieuse. Seuls les clubs 39
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huppés y sont conviés et un gentleman agreement y est incontournable : interdiction formelle de se piller mutuellement. Mon transfert de Tarbes à Toulon est donc irrecevable. J’entre ainsi, bien malgré moi, dans l’histoire fédérale en subissant la première licence rouge du rugby français. Obligation m’est faite de rester sur la touche de l’équipe première pendant une saison complète. Cette malheureuse affaire a néanmoins un retentissement médiatique propre à me déstabiliser. Quoi qu’il en soit, fidèle à ma parole donnée, je deviens toulonnais, envers et contre tout… et tiens patiemment le coup tout en rongeant mon frein. *** En arrivant à Toulon, je change radicalement de vie : je savoure un retour vers le soleil, celui de mon enfance au Maroc. Je reviens aussi au bord de la mer et, surtout, je fais la découverte d’un rugby d’un autre type, fier et sulfureux, symbolisé par le Stade Mayol, ce temple du jeu, haut cratère en centre-ville, véritable château fort, citadelle, à l’époque, de 17 000 exaltés ! Un endroit, il faut bien l’admettre, définitivement mythique. Moi qui ai connu une jeunesse rugbystique privilégiée à Tarbes, batifolant dans les grands espaces ballon en main et libéré des tâches obscures du paquet, je me retrouve ainsi dans le système toulonnais, essentiellement axé sur l’âpreté du combat. En raison de cette licence rouge, je ne vois l’équipe première que de loin. Cela me permet néanmoins de passer d’agréables moments, pour les besoins du club, au poste de centre de l’équipe réserve. Je m’y régale. Les sensations sont bien présentes et les résultats suivent. 40
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Cet intermède au sein de la cavalerie azuréenne a pour heureuse conséquence d’améliorer ma pointe de vitesse (jusqu’à valoir rapidement 11 secondes aux 100 mètres), ainsi que mon toucher de balle. Je signe de nombreux essais. Ce schéma me ravit, car j’ai toujours aimé le jeu pour le jeu. Un faux pas en demi-finale de championnat de France « réserve » me replace toutefois devant la réalité de mon destin. Après avoir perdu des demi-finales, en juniors puis en équipe première, à Lyon, avec le Stadoceste tarbais contre Béziers (3-0 sur un drop de Paul Dedieu), l’intermède forcé parmi les « doublures » se traduit encore par un échec. Je me demande alors si, un jour, j’accéderai à une finale. Et si, surtout, je peux espérer la gagner. Ce ne sera malheureusement jamais le cas. Après cette période de mise à l’index fédérale de dix-huit mois, je récupère enfin ma licence. Pour avoir, durant ma pénitence, suivi l’équipe fanion qu’il me tardait d’intégrer, je comprends vite la nécessité de transformer mon corps par une musculation intensive, mais également de changer mon approche du jeu pour m’adapter le plus rapidement possible au jeu toulonnais, véritable ode au défi. Je ne suis pas inquiet. Je me répète : « Le mental, tu l’as, les moyens, tu vas te les donner et à partir de ce moment, tu adapteras ton potentiel aux caractéristiques de l’équipe. » Je me renforce donc sérieusement au plan musculaire, passant à 88 kilos pour 1,83 mètre, un gabarit qui me permettrait de nos jours, éventuellement, d’évoluer au seul poste de… demi de mêlée. Les cadrages-débordements ne sont pas le fort des mordus de Mayol, plutôt sensibles aux pilonnages en règle et aux plaquages appuyés. Ce sont d’autres facettes avec lesquelles 41
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je dois me familiariser ! Par chance, cette mutation mentale s’effectue sans peine. Je prends même un plaisir exceptionnel à me retrouver aux côtés de garçons tels André Herrero, Aldo Gruarin, Jo Fabre et autres, avec qui on peut sortir le soir sans se faire accompagner de ses parents. Il me reste à trouver un geste, une sorte de brevet de bravoure, qui puisse en imposer non seulement à mes partenaires mais également, et surtout, public. C’est à cet instant que je commence à mettre au point une technique personnelle de percussion, qui permet au gabarit assez moyen qui est le mien de faire exploser des garçons accusant une dizaine de kilos de plus que moi. J’y prends un malin plaisir. Je me délecte de cette arme destructrice au point, je l’avoue, d’en abuser parfois. Le fonctionnement de cette botte est simple, essentiellement basé sur la technique. Je l’ai découverte par hasard, un jour, en me présentant devant un défenseur. Course rectiligne et buste haut, je m’aperçois alors que ma position a pour effet de placer mon rival en déséquilibre : il ne sait pas si je vais aller le déborder à droite ou à gauche. Je profite de son hésitation et de son équilibre instable pour le faire exploser de l’épaule en m’inclinant très bas et en accélérant sur mes appuis, coude collé sur mon genou. C’est alors que je « pète » – selon l’expression virile propre au rugby – dedans, de toutes mes forces. L’infortuné est le plus souvent désintégré. Je me sens, et les spectateurs avec moi, parcouru par un plaisir jouissif. Dès lors, c’est gagné ! Est-ce à cause de cette exquise figure ? Toujours est-il que le public m’adopte vite, et Dieu sait qu’à Toulon ce n’est pas chose facile. Chacun comprend instantanément que je suis vraiment complémentaire, tout au moins au 42
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niveau du jeu, d’André Herrero, son enfant chéri et capitaine qui fait autorité. Les sélections se présentent alors : une invitation pour intégrer la « sélection Jean Prat » (un autre monsieur qui se trouve au centre de mes pensées de débutant) contre les Harlequins à Twickenham, auprès des Walter Spanghero, Campaès, Gachassin, Laborde, Ruiz, Malbet, Etcheverry, Fort, Dauga, Lasserre, Dehez, Ponsaillé, Lagrange et Saby ; et, parmi l’équipe de France B, une sélection contre l’Allemagne à Chalon-surSaône, carrefour essentiel de ma carrière. L’objectif final de cette dernière affiche est en effet de trouver un successeur à Michel Crauste, l’idole. Dans les starting-blocks également, Michel Sitjar et Jean Salut m’accompagnent pour cette rencontre homérique. Je reviendrai sur cet épisode désopilant et d’une grande influence sur la suite de ma carrière. *** Prenant racine dans le Var, je me trouve dans un contexte très différent de ma Bigorre natale : celui d’une ville jouant « atout rugby ». On ne sort jamais incognito à Toulon. On est au contraire accueilli partout à bras ouverts, dès lors que l’on mouille son maillot en équipe première. On a quasiment une ville à ses pieds. Moi qui suis plutôt du genre réservé, je ressens pour la première fois de ma vie ce que signifie le vedettariat, avec tous les avantages et les inconvénients que cela engendre. Je noue bien vite de nombreuses amitiés et vis des moments exceptionnels, sans pour autant verser dans la dolce vita. Quoique ! 43
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Je dois rallier Grenoble pour un match que nous pensons de gala (le fameux France/Sud-Est de 1968) en compagnie du percutant Jo Fabre, mon coéquipier toulonnais retenu au sein de la sélection. Il est aussi le patron du restaurant L’Hippocampe, et une tête de série appointée de la commission de discipline de la FFR. Les conditions dans lesquelles nous voyageons – « roulons carrosse », devrais-je dire – sont extrêmement confortables : l’un des premiers coupés Mercedes décapotables dernier cri nous a été prêté par… un « parrain » de nos amis ; concernant le monsieur, les guillemets sont indispensables. Mais, hormis ces quelques tracasseries fugitives, la vie coule, la plupart du temps, belle et attrayante. J’habite une villa très agréable, située tout près de la mer. Je reçois. Je me déplace. Les vins de Bandol et de Cassis me font les yeux doux. Certains dirigeants aussi. C’est alors que je rencontre mon ami carrossier, Jean Ghigo, avec qui je partage l’essentiel de mes loisirs. Sur son yacht, il m’apprend à naviguer de l’île du Levant à Porquerolles, de Port-Crau à Saint-Tropez. Me voilà déjà capitaine ! Auprès de lui et de sa famille, je passe d’intenses années de complicité à l’ombre de la colline Escartefigue qui, si elle rappelle Marcel Pagnol, célèbre en fait la mémoire de l’ancien maire, justement prénommé Marius. Ville de Jules Muraire, notre Raimu comédien pour l’éternité, et de Félix Mayol, chanteur d’opérette des années 20 ayant fait don d’un pré immense, tout près des remparts, au club de rugby de la ville, Toulon me prend véritablement « dans ses bras », comme le dirait Enrico Macias. J’apprécie tout de suite la saveur de cette cité à nulle autre pareille. J’aime me promener dans ses ruelles étroites. 44
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Accrocher mon regard aux façades bigarrées. M’attarder sur les aires de boules à deviner le pointeur du tireur et le vrai joueur de l’occasionnel. M’engouffrer sur le cours Lafayette, au cœur du marché cher à Gilbert Bécaud, où fleure bon la Provence des santons, de la poutine (cette délicieuse omelette d’alevins de sardines) et de l’anisette (Ricard, de préférence). Y respirer les senteurs de fruits régionaux, de poissons de roche, d’anchoïade et de lavande. J’aime « blaguer » tant et plus. Blaguer du soir au matin. Blaguer dans le sens méridional du terme comme le définit si bien mon coéquipier Daniel Herrero : « Prendre le temps de discuter, de recevoir ce que dit l’autre comme un cadeau, de laisser l’air se réchauffer, d’oser envisager que l’on respire le même, d’accepter que l’autre existe. » Toulon, c’est aussi cette sensibilité marine captée par l’écrivain Denis Tillinac : « Une rade bleue avec des cuirassés gris dessus, des amiraux galonnés autour, le mont Faron pour fermer l’horizon et Mayol pour l’ouvrir aux convoitises du désir. Mayol, la seule arène du rugby français sise au cœur d’une ville, à portée de drop de la rade, dans ce quartier de Besagne où la crasse a de l’âme à revendre sur le vieux marché. » Toulon, c’est enfin mon espace de torture : Mayol, la tribune droite comme un échafaud. L’endroit est abominable pour tout visiteur. Les gens sont aux fenêtres, vitupérant. Les spectateurs sont chauds comme braise. La peur s’y installe et paresse langoureusement, jusqu’au vice. On aime laisser faisander l’intrus, seul au milieu de la pelouse. Il suffit d’un lacet à remettre. L’opération prend une ou deux minutes, le temps que l’angoisse noue les gorges. Quant à ce rugby estampillé RCT, car typé et effervescent à en attraper le hoquet, que je me mets rapidement à 45
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pratiquer dans les règles de l’art local, il m’arme pour les dures batailles du rugby international. Étant désormais porteur de ses particularismes, je deviens « peuchère1 », conquistador… Qu’il est alors enivrant de détecter, dans le regard de nos adversaires, un respect craintif et apeuré pour la phalange de guerriers que nous sommes. Le bon temps ! Partout, nous passons pour des seigneurs respectés.
1. Expression occitane venant de pécaïre, qui signifie pécheur, celui qui a commis une faute.
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Chapitre IV
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La sélection m’appelle pour une première fois sur les bords de Saône au sein de France B, lors de cette fameuse confrontation avec l’Allemagne. Pour nous, elle ne doit représenter qu’une formalité, étant donné le potentiel qui est le nôtre comparé à celui d’une formation ayant tout à prouver dans le concert international. Nous sommes là, trois jeunes loups, mobilisés pour assurer la succession d’un monument de notre sport, Michel Crauste, le « Mongol » à épaisses moustaches, qui est une réelle référence au royaume des troisièmes lignes de la planète : Michel Sitjar, mon copain de régiment, futur homme de plume ; Jeannot Salut, personnage atypique doté de magnifiques dons ; et moi-même, retenu au poste de N.8 sur le seul critère de la taille. Je les domine en effet de quelques menus centimètres. Nous n’avons jamais joué ensemble. Et ce n’est pas l’entraînement préalable qui va enrichir nos automatismes : l’unique ballon prévu a crevé. Quelle serait la réaction de nos joueurs 47
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d’aujourd’hui, qui ont à leur disposition des dizaines de balles, s’ils étaient réduits à se produire avec un exemplaire unique, dégonflé de surcroît ? Jeannot est arrivé à la répétition de son côté, amené par un dirigeant. Son réveil est tombé en panne – ce que nous ignorons – et le car part sans lui. « Ne vous en faites pas pour lui, lance Michel, profitant de la situation. Il est déjà probablement sur place à nous attendre. » Un aperçu significatif de l’ambiance d’avant match ! La veille au soir, Jeannot, avec son parler de titi toulousain, et Michel, au bégaiement inimitable, m’avaient soumis leurs tactiques respectives. Un étrange dialogue en vérité pour le garçon un tantinet introverti que j’étais. En substance, mes intarissables camarades, clones de Dupond et Dupont, décident de tirer chacun la couverture à soi afin de décrocher un strapontin dans le Tournoi des Cinq Nations 1967. Heureusement, leur stratégie comporte un dénominateur commun : « jouer le plus simplement du monde ». Jean Salut : Michel, on va mettre une tactique au point contre ces Allemands, qui ne devrait pas nous poser de problème : tu pars petit côté, tu vas au contact, je prends le trou et, boum, essai ! Michel Sitjar : Écoute, monsieur Jean, je crois que ma tactique est plus adaptée. Christian te le confirmera : tu-tu prends le ballon derrière la mêlée, tu-tu vas au contact. Tutu me mets dans le trou et, bam ! J’aplatis, simple quoi… À cette élémentaire démonstration, il ne manquait que la fin de phrase généralement utilisée par Walter Spanghero : « T’as compris le coup, con ! », rituel tic de langage qui avait la vertu de donner plus de poids à l’évidence. 48
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Les Dupond-Dupont et le troisième larron
Je les écoute religieusement, un peu ébahi. Nous en restons là, sans savoir véritablement quel serait leur comportement sur le terrain. Leur tactique, un brin baroque, ne s’étant évidemment pas mise en place correctement le moment venu, c’est moi qui me retrouve de toutes les ouvertures. Et, des trois larrons, c’est moi qui suis retenu au terme d’une très courte victoire (8-6) grâce à un essai de Jean Saby et à deux coups de pied de pénalité de Jean-Louis Dehez. Une victoire que nous nous mettons en devoir d’oublier le plus rapidement possible ! On m’a rapporté, beaucoup plus tard, que l’annuaire fédéral avait également fait des siennes concernant ce match surréaliste. L’ouvrage fait état en effet d’un Jean Carrère, mon homonyme de Narbonne (lequel m’a effectivement précédé sous le maillot frappé du coq), qui avait été couché dans la composition de cette équipe à ma place. Si ce n’était la joie d’avoir gagné ma sélection au sein des « A », je me serais bien accommodé de cette coquille… *** Mes véritables débuts en équipe de France s’effectuent le 27 novembre 1966, à Bucarest, contre la Roumanie. En tant que membre de la FIRA (Fédération internationale de rugby amateur), la FFR entretient des relations suivies avec ce pays, qui se traduisent chaque année par une rencontre aux allures de pensum. Nous gagnons encore dans la douleur : 9-3. Comme la plupart des confrontations face aux joueurs des Carpates, le match est à oublier. Haché et tendu, d’un intérêt souvent minime, il met tout simplement nos arrières, pourtant de stature mondiale, au chômage technique. Pour 49
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ma part, le seul attrait que je trouve à ce match est ce premier maillot tricolore récolté en même temps qu’un espoir landais, Claude Dourthe, le plus jeune international français de l’histoire, et qui vient alors tout juste de fêter ses 18 ans. Cinq Tournois des Cinq Nations ponctués par trois victoires, dont le premier Grand Chelem français, en 1968, vont suivre dans les frimas de l’hiver, avant les must de mon existence de rugbyman : les tournées, ces chères équipées estivales au bout du monde, sans lesquelles un joueur de haut niveau ne peut connaître l’excellence. Si je dois accorder une préférence aux combats internationaux que j’ai livrés, je mets sans hésitation, en priorité, ces lointaines campagnes du XV de France. Elles m’ont véritablement passionné par leur côté humain, fraternel et déstabilisant sur le plan sportif. Je participe à trois d’entre elles : Afrique du Sud (1967), longue de près d’un mois et demi, comme simple joueur ; Nouvelle-Zélande/Australie (1968), un peu plus de deux mois ; et à nouveau Afrique du Sud (1971), durant un mois. Ces deux dernières en qualité de capitaine. Un capitanat à 24 ans constitue, cela va sans dire, le plus grand des honneurs si l’on songe aux joueurs d’expérience comme Walter Spanghero ou Benoît Dauga qui, s’ils ne sèment pas à tous vents la bonne parole de l’attaque n’en constituent pas moins les poutres maîtresses de l’édifice bleu de France. Mais les responsables veulent-ils vraiment jouer la carte de la jeunesse à fond ? Sont-ils sensibles à l’esprit fédérateur qui m’anime ? Sentent-ils en moi la passion des choses ordonnées, héritage de l’éducation de mon père ? 50
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Finalement, ils discernent l’âme d’un chef, et je suis prêt à assumer la mission avec doigté et diplomatie. *** Auparavant, un « voyage d’étude », comme simple soldat, m’est proposé. Une invitation refusée par la NouvelleZélande pour cause d’apartheid plonge l’Afrique du Sud dans le plus profond embarras. Qui peut donner la réplique aux Springboks pour une campagne, de douze matches, programmée de longue date dans le sacro-saint respect du calendrier de l’International Board ? En ce mois de juillet 1967, la France accepte, au pied levé, de se rendre au pays de l’extrême où le rugby est bien plus qu’un sport ou un divertissement. C’est une culture et un art de vivre qui n’est accessible qu’à une classe privilégiée de la société : essentiellement les Blancs. Après un premier tournoi, je prends donc part à ma première grande aventure dans l’hémisphère Sud, découvrant des horizons exceptionnels grâce à l’infinie variété des paysages. Quant au douloureux fléau de la ségrégation raciale, sommesnous alors vraiment aptes à en appréhender la dure réalité tant notre univers est éloigné de ces réalités géopolitiques ? Cette campagne chez les Springboks est d’autant plus difficile sur le plan sportif qu’elle est mal structurée au niveau du rythme, des fréquences de matches et des distances, énormes, à parcourir. Un jour, nous jouons à 1 200 mètres d’altitude, le surlendemain au niveau de la mer, et deux jours plus tard sur les hauts plateaux. Autant de difficultés qui malmènent nos organismes inadaptés à de telles variations géographiques et climatiques. 51
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Ayant hérité du programme des All Blacks, nous sommes mis devant le fait accompli d’avoir à disputer quatre test-matches en cinq semaines, et constatons avec stupeur que deux rencontres sont même mises sur pied à vingt-quatre heures d’intervalle, à quatre cents kilomètres de distance. Faut-il une certaine dose de légèreté pour avoir accepté un tel régime ? Pour ajouter à la difficulté de l’entreprise, nous sommes d’entrée de jeu confrontés au regrettable malaise régnant entre les dirigeants de la Fédération et la presse dont quelques envoyés spéciaux partagent notre quotidien. L’éviction de Jean Prat du poste d’entraîneur n’y est pas étrangère. Ce contexte pollue l’atmosphère. Mais les joueurs s’efforcent de se préserver de ce climat délétère. Hélas, nous ne sommes pas maîtres de la situation. Subir, arrondir les angles, minimiser les incidents, prendre des pinces, rapprocher les parties est notre lot quotidien. Bref, le contexte n’est pas propice aux exploits. Nous avons pourtant foi en la qualité de notre équipe et aux solides liens qui nous unissent. Comment pourrions-nous sans cela relever le défi de quatre tests à une époque charnière du rugby international qui, détail important, n’autorise pas encore le remplacement des joueurs blessés ? Pour preuve, ne terminons-nous pas un match à douze contre le North Transvaal, à Pretoria… devant 70000 spectateurs, une semaine avant le dernier test ? Claude Dourthe et Michel Duprat sont en effet mis hors de combat avec, chacun, une clavicule brisée. Entre Durban, Bloemfontein, Johannesburg et Le Cap, nous découvrons un autre monde. Ici, les hommes sont non seulement rudes et dotés de moyens physiques hors du commun, mais aussi fanatiques. L’engagement est total. 52
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Nous faisons front avec nos qualités de courage et de pugnacité, notre amitié indéfectible nous préservant des premières désillusions. Nous sommes globalement à la hauteur du challenge, si l’on en juge par la montée en puissance de nos résultats. Après avoir littéralement explosé lors de notre première explication (3-26), nous redressons la tête au cours de la deuxième (3-16) avant de l’emporter à la troisième (19-14), dans l’imposant Ellis Park, et de prendre enfin congé sur une note de parité (6-6), au terme d’une tournée extrêmement douloureuse qui laisse un tiers de l’effectif au tapis. *** Pasteur de l’Église réformée néerlandaise, futur ministre des Sports sud-africain et capitaine des Springboks, Dawie de Villiers sait mettre ses ouailles dans le droit chemin. Le sermon n’est pas bien long : « Mes biens chers frères, il est temps de faire respecter l’ordre dans notre diocèse. » Traduisons « l’heure est venue de battre enfin les Français chez nous ». Ou, dans une version plus prosaïque, « montrons à ces danseuses de fandango de quel bois on se chauffe ! » Encore glacés par le souvenir des campagnes de 1958 où Lucien Mias et ses troupes entrèrent dans l’histoire des testmatches (3-3 au Cap et 9-5 à Johannesburg), puis de 1964 où Michel Crauste et ses braves l’ont emporté (8-6) à Springs, les fidèles du coin ont besoin de reprendre des couleurs. Alors qu’ils pressentent l’éviction de l’entraîneur Jean Prat comme un heureux présage, la fierté nationale des Boers est considérablement exacerbée par le défi particulièrement insensé que lance Marcel Batigne : arrivé en 53
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renfort pour voler au secours de Marcel Laurent, un directeur de tournée à l’ancienne, dépassé, pour d’autres raisons bien plus évidentes que le port du béret, le Graulhétois prédit « la totale ». Être porteur d’un télégramme d’encouragement du général de Gaulle fait-il tourner la tête au président de la FFR ? Les fatigues du voyage ont-elles altéré son pouvoir d’analyse ? A-t-il toute sa tête lorsqu’il déclare vouloir gagner, ni plus ni moins, les quatre test-matches ? Désormais, la pression est irrémédiablement sur nos épaules et nos adversaires sont résolus à mettre les choses au point, en employant la manière forte. Un poing, c’est tout ! Ainsi, ce premier choc du King’s Park de Durban sent-il logiquement le souffre, à l’image du K.O. subi par le colosse de Compiègne, Walter fighting Spanghero, pour une fâcheuse méprise – le talonneur Pitzer s’est trompé de cible – et de l’évanouissement (de fatigue) de Claude Dourthe dans les vestiaires. Très en vue avec Marcel Puget, héroïque en défense, le « Chameau » sauve néanmoins l’honneur en marquant un essai consécutif à une balle récupérée par Michel Cabanier sur introduction adversaire. Un éclair dans la grisaille ! Curieusement, l’addition (26-3) aurait pu être allégée sans le manque de réussite de notre insigne buteur, Guy Camberabero. Mais la note aurait pu être encore plus salée sans la complaisance du bon docteur Strasheim, qui refuse deux essais qu’il aurait pu valider… comme les cinq autres accordés, venus plomber notre moral. Les hommes frappés de la gazelle se sont vengés de la manière la plus percutante qui soit du désastre enregistré neuf années auparavant et ont démontré leurs connaissances approfondies en matière de pugilat. 54
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Mis au repos, je regarde le deuxième test-match depuis les tribunes de Bloemfontein, « sympathique » antre du royaume d’Orange où les habitants cultivent la réputation du bien recevoir avec des « friandises » (tampons, piétinements et coups interdits), distribuées çà et là sur le terrain à la grande satisfaction des spectateurs, essentiellement blancs. Un arrêté municipal interdit en effet l’accès du stade aux gens de couleur. Courageuse, l’équipe de France ne cède (16-3) véritablement qu’après le repos, atteint sur un score pourtant encourageant de 3-0. Trois essais et quelques bagarres rassurent ensuite les fermiers molosses avant la trêve dominicale. Ici, comme nos taureaux dans l’hémisphère Nord, agriculteurs et éleveurs s’ennuient le dimanche, et la réalité d’un succès sans appel, truffé de quelques gifles et agrémenté de coups de sabot, leur facilite l’accès à une sieste réparatrice sous une chaleur accablante. Pendant ce temps, dans l’hôtel des Français, chacun rase les murs. Profitant de la colère de nos dirigeants qui opèrent huit changements, je suis rappelé – en prévision du troisième test-match de Johannesburg – pour le match du rachat. Ce sera, en fait, celui de la révolte ! Qui aurait misé sur nos chances avant le coup d’envoi ? Les multiples changements font l’effet d’une onde de choc. Le sang neuf trouble nos adversaires. Une prise de conscience se produit. Une sainte alliance se scelle autour de Jacques Fort, aux commandes nationales. Confiance, cohésion et solidarité constituent alors les ingrédients majeurs d’une réhabilitation facilitée par la mainmise de Benoît Dauga dans l’espace aérien. Dans un même élan, quinze coqs sortent leurs ergots. Ils entaillent la résistance des Springboks, qui commencent à faire 55
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des fautes inhabituelles, au ras des mêlées et au large. Comment oublier cet essai marqué par Michel Cabanier que je sers, au sortir d’un maul provoqué dans les 22 mètres par un Benoît Dauga sémillant et altier ? Ou encore cet autre, signé Jean Trillo, surgissant de nulle part, plein d’àpropos, pour intercepter à dix mètres de sa ligne une malencontreuse passe de Dawie De Villiers à son ouvreur Visagie. Ces deux morceaux de bravoure permettent à notre équipe de relever la tête (19-14) avant le dénouement du Cap dont nous craignons qu’il soit balayé par autre chose que les habituels embruns venus de l’Atlantique. Mais, coûte que coûte, il nous faut rentrer au pays sur une note de parité, une égalisation in extremis dans notre série de test-matches après un début tout bonnement catastrophique. Un journal du dimanche nous conforte d’ailleurs dans cette ambition : « Vive la France ! » proclame en français la manchette. Preuve que nous avons marqué les esprits ! *** Joyau des Western Province, le stade de Newlands dresse fièrement ses structures coloniales. C’est là que nous nous retrouvons deux semaines après le douloureux intermède du Northern Transvaal à Pretoria, qui a laissé plaies et bosses dans nos rangs clairsemés. Les conditions sont les mêmes que d’habitude : la tempête fait rage et les vents s’ébattent, joyeux, comme dans une cour de récréation. Un match à ne pas mettre un Malouin dehors ! Peut-on parler d’héroïsme dans notre détermination à ne rien lâcher ? Sans aucun doute. Mais au final, dans ce match terne et haché, il nous manque cependant un petit rien 56
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pour faire d’un 6-6, probant sur le strict plan des statistiques, un bonheur absolu. Nous gardons néanmoins de ce dernier bras de fer, conclusion d’une longue et sulfureuse tournée, la satisfaction d’avoir inscrit le seul essai de la rencontre, une œuvre de Walter, brave parmi les braves, au terme d’une balle de contre sur Dawie De Villiers que je récupère. Cette action nous permet de mener 3-0 au repos. Ensuite, nous en sommes réduits à défendre, bien contents finalement d’arracher le match nul sur la seule incursion que nous opérons dans le camp adverse, grâce à une pénalité signé de Guy Camberabero. Et dire que Walter – surnommé par le public sud-africain l’« homme de fer » – et moi avons été longtemps dans le doute ! Souffrant d’une tenace douleur à la jambe droite, il m’eût été cruel de rater l’ultime représentation que j’espérais, à tort, synonyme d’apothéose. Curieusement dans un pays si friand de rugby, l’événement n’a pas mobilisé la grande foule habituelle. À peine 40 000 spectateurs se sont déplacés à l’heure où les journalistes pronostiquaient une foule record de plus de 54 000 fidèles. Le pays nous craignait-il tant ? *** La frustration d’une estocade manquée ou d’une deuxième oreille nous échappant dans l’arène sportive ne peut heureusement altérer l’ivresse de la carte postale que nous rapportons de ce périple, loin de nos bases et de nos habitudes. Une tournée, c’est l’assurance d’un voyage fabuleux qui nous permet d’enrichir notre vision du monde en côtoyant 57
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une population faite d’un mélange de races, mélange – il faut en convenir – particulièrement détonant dans le cas de l’Afrique du Sud. De cet épineux problème, nous n’avons pu qu’effleurer la surface. Il y a, certes, les matches et les entraînements inhérents à toute campagne sérieusement menée, mais ces derniers sont bien sûr entrecoupés de visites extraordinaires dans le cœur de cette nation aux paysages et aux caractéristiques tellement variés. Nous nous retrouvons ainsi le plus souvent, acteurs choyés hors des stades, posant au milieu de sites sauvagement ciselés, les yeux écarquillés de surprise, subjugués par tant de magnificence, et les papilles ravies par quelques barbecues qui nous font découvrir la saveur de mammifères robustes ou galopants, tels les buffles ou les kudus rôtis à point. Nous sommes reçus comme les ambassadeurs de la France et, à ce titre, invités à visiter les lieux les plus prestigieux et les mieux préservés : les mines d’or des environs de Johannesburg, à 1 500 mètres sous terre ; les mines de diamants à ciel ouvert de Kimberley ; le Kruger Park, la plus grande réserve animalière du monde où nous passons trois journées à photographier une faune sans pareille ; ou encore le Zambèze avec sa descente jusqu’aux chutes Victoria, dans l’ex-Rhodésie.
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Chapitre V
Une symphonie inachevée
J’ai le privilège de disputer, le 16 juin 1968 au Stadium, ma première finale de championnat de France contre Lourdes. Ce rendez-vous se termine, hélas, sur un match nul (9-9) et, suprême malchance, par une victoire des Bigourdans, acquise sur tapis vert. Nous sommes en effet dans l’impossibilité de rejouer la finale : le XV de France doit s’envoler, vingt-quatre heures plus tard, pour la Nouvelle-Zélande et l’Australie. Les manifestations estudiantines ont plombé le championnat qui n’est plus en mesure de respecter le point de règlement selon lequel, en cas de match nul, la finale doit être rejouée. Satané mois de mai ! Compte tenu du retard, le comité directeur a finalement pris une décision radicale, à quelques jours de l’échéance : la finale de Toulouse n’aura pas de lendemain. Que n’aurais-je donné afin que l’ultime joute pour l’attribution du bouclier de Brennus se prolonge de quatre-vingts minutes ! Néanmoins cette expédition me fait découvrir une terre lointaine aux paysages exceptionnels, et je me plais à penser que 59
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le choix de ma résidence la retraite venue, sur les hauteurs de Serre-Ponçon, dans l’immensité verte des Hautes-Alpes, a été influencé par l’émotion visuelle ressentie au pays des All Blacks. Nous devons disputer trois test-matches à Christchurch (9-12), Wellington (3-9) et Auckland (12-19), ainsi qu’une douzaine de rencontres contre les provinces. Je ne m’attarderai pas sur la première empoignade contre les mythiques hommes en noir, car je souffrais déjà d’un arrachement des ligaments postérieurs du genou survenu dès le premier entraînement. Je serai tout aussi bref concernant la deuxième rencontre, pour laquelle je reste hors de combat. Sur mon banc de touche, à l’entraînement, ou en costardcravate dans les tribunes auxquelles je me trouve médicalement condamné, j’ai toutefois la satisfaction de constater combien mes coéquipiers déploient au fil des jours, des matches et des pièges, une excellente qualité de jeu qui recueille même, le plus souvent, l’admiration des supporteurs néo-zélandais. Enfin, j’ai l’immense bonheur de rentrer pour le troisième test, alors qu’il avait été longtemps question de me rapatrier. Qu’on se le dise donc ! Qu’il n’y ait pas de malentendu possible : cette rencontre constitue le plus grand souvenir de ma carrière de joueur de rugby. C’est d’ailleurs un comble que l’instant fort de ma carrière soit né d’une défaite, ce 10 août 1968, en ce 253e match disputé par une équipe de France. *** Pour être le plus clair possible, je dirai que ce troisième et dernier test fait date dans le rugby international : il est 60
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grandiose, sublimissime et enthousiasmant, pour la simple raison que nous pratiquons ce jour-là un rugby d’une autre dimension, agrémenté de la plus belle deuxième mi-temps qu’il m’ait été donné de vivre dans toute mon existence. Songeons donc : nous sommes menés 16-0 par des All Blacks historiquement invaincus sur leur terrain. Nous ne sommes pas à l’Eden Park mais aux portes de l’Enfer, par la seule maestria d’un ouvreur mormon, Syd Going, diablotin petit et râblé, feu follet vif et vicieux, auteur de deux essais mortifères au ras de sa mêlée. Un tel écart, à cet instant, tient du camouflet. Il est indispensable de se ressaisir au plus vite. J’en appelle à la force des mots. Et, pendant le repos, je m’adresse à mes camarades : « Les gars, nous voilà bons pour la correction de notre vie. La trempe va être retentissante. Mais on ne va pas crever ainsi, comme des rats. Peut-être a-t-on joué trop vite en première mi-temps : ça n’a pas marché. Nous allons donc jouer plus rapidement encore en deuxième, et on va leur faire de tout ! » Je vais être exaucé au-delà de mes espérances. Ce discours à la desperado se traduit immédiatement par des actions, plus brillantes les unes que les autres. Mue par la solidarité, la machine se met promptement en marche et nous trouvons les ressources pour revenir au score, en multipliant assauts ciselés et inspirations féeriques. Sérieusement bousculés, les hommes à la fougère argentée perdent alors de leur superbe : ils deviennent passablement livides. On les sent tétanisés. Notre remontée est grandiose. Nous nous sommes subitement transformés en troubadours subtils et performants aux quatre coins du terrain. La partition est un chef-d’œuvre 61
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d’équilibre, qui donne aux cuivres, nos avants, et aux cordes, nos arrières, des temps d’une ingéniosité raffinée. Je revois ces trois mouvements d’orchestre avec chœur propulsant à l’unisson Jean Trillo, Jean-Pierre Lux et – ma modestie dûtelle en souffrir – moi-même dans l’en-but. Premier mouvement fracassant : une touche jouée au-delà du verrouilleur me permet de lancer Walter Spanghero, explosif et fringant de puissance tel un taureau camarguais, en position de premier attaquant. Le but est d’attirer la défense avant d’alerter notre cavalerie. Celle-ci se déploie, virevoltante, par Jo Maso et Claude Dourthe jusqu’à Jean Trillo, lequel aplatit en toute sécurité, sans solliciter son ailier Jean-Marie Bonal. Deuxième mouvement allegro : je prends le large, côté fermé, au milieu du terrain, sur une balle gagnée en mêlée. Jo Maso et Jean-Pierre Lux, passe croisée à l’appui, jouent au chat et à la souris avec leurs vis-à-vis, pris de tournis. Matois, Walter Spanghero participe à ce royal mouvement d’ensemble où l’on savoure son esprit d’initiative communicatif, bien français. Il retrouve Lux, plaqué à un mètre de la ligne. J’anticipe et je conclus, grégaire, poussé par trois camarades, ce grandiose travail d’ensemble d’un groupe orgueilleux et survolté. Troisième mouvement, pathétique : nous vendons chèrement notre peau alors que les injustices se sont succédé, qu’il reste une minute pour enflammer cet Eden, jardin de malheur. De sa lointaine position d’arrière, Pierre Villepreux part en croisade, comme pour conjurer le mauvais sort qui lui a, jusque-là, collé à la chaussure. L’artiste règle un numéro de « à toi, à moi » avec Lux auquel on accorde, cette fois, l’essai. Ces trois lumineuses ouvertures (agrémentées d’un drop de Claude Dourthe) auraient mérité de terminer autrement qu’en symphonie inachevée, de marquer l’Histoire. La terrible 62
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malchance de Pierre Villepreux dans ses tentatives au but n’aurait, en effet, été qu’anecdotique sans deux décisions de Pat Murphy. Faisant preuve d’une inimaginable partialité, le décideur accorde une pénalité indigne face aux poteaux et refuse un essai à Lux, à la conclusion d’une brèche de Michel Billière sur un ballon en or de Walter Spanghero. Sans minimiser la vaillance de nos adversaires, c’est bien lui notre véritable bourreau, qui préfère ordonner une mêlée pour un en-avant imaginaire. Seul un arbitrage déloyal du référé local a ainsi raison de la détermination de notre déferlante, victorieuse au chapitre, mathématique, des essais marqués (3 contre 2), mais cruellement flouée au tableau d’affichage de la honte. Les commentateurs et le public, qui ne sont pas dupes, portent un jugement unanime : « La meilleure équipe, et de loin, a perdu ! » Saisi de cette injustice, l’International Board imposera peu de temps après la présence d’un arbitre neutre dans toutes les rencontres internationales. Piètre consolation ! Mais la ferveur des 55 000 connaisseurs d’Auckland, qui se lèvent en notre honneur et nous gratifient du « Chant de l’au revoir », le « Po Aturau » des mers du Sud, caressant comme une brise marine, atténue notre mélancolie. Quant au New Zealand Herald, son gros titre du lendemain résume ce verdict d’opérette : « Les All Blacks ont gagné le match (19-12), mais la France a gagné les cœurs ! » Un hommage officiel de Roy Mace, le président de la New Zealand Rugby Union, le soir de la supercherie, nous conforte aussi dans notre logique de vol manifeste : « Quel dommage que dans le grand livre du rugby français ne demeure pas inscrite, en marge du score, la puissante estime que les Français ont conquis ici même. » 63
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Un référé indigne retarde donc de onze ans la célébration, dans ce même Eden Park, d’un premier succès (24-19) sur les hommes en noir, dont une légende prétend toujours qu’ils portent le deuil de leurs adversaires. Il est vrai que les symboles y trouvent leur compte, car cette victoire s’est finalement déroulée le 14 juillet 1979, jour de notre fête nationale. Nous prenons l’avion pour Brisbane, la chanson de ces (autres) îles de Beauté, si lointaines, résonnant dans nos têtes : « Quand vous reviendrez, vous nous trouverez ici, n’ayant jamais cessé de vous attendre… » *** La musique adoucit les mœurs. C’est un souvenir attendri que nous conservons de ce pays extraordinaire, riche de la culture maori, de ses chants et danses folkloriques, et du caractère coloré de ses populations. Davantage en effet qu’en Afrique du Sud – apartheid oblige ! – nous avons carte blanche, lors des loisirs que nous laissent entraînements et matches, pour faire connaître notre mode de vie et notre approche française du rugby dans les écoles et les collèges. Un devoir d’échange et d’ouverture auquel personne ne songe à déroger. Qu’y a-t-il de plus décontractant que des gosses qui s’accrochent à vous, vous installent devant leur pupitre ou, revêtus de leur tenue blanche d’apparat, vous entraînent dans une cour immanquablement plantée de poteaux pour, droits comme des « i », vous faire une haie d’honneur ? C’est un acte de civisme, bien agréable au demeurant, que d’aller au-devant de la jeunesse, comme ce l’est d’honorer les alliances françaises et les autres institutions et 64
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associations qui promeuvent, à l’autre bout du monde, les charmes de notre pays. Quelques mois après notre retour en France, chaque joueur a eu l’immense surprise de recevoir des albums complets signés par les élèves que nous avions rencontrés lors de nos visites. Ces enfants, avec lesquels nous avions rapidement sympathisé, étaient investis d’une tâche – ce que nous ignorions : rassembler un maximum de documents, articles ou photos, sur le joueur que chacun devait aimablement « étudier ». Nous recevions ainsi, par la poste, les touchants témoignages de ces journalistes en herbe qui relataient fidèlement notre quotidien, dans un ouvrage fait de coupures de presse collées mais aussi d’annotations et de dessins personnels, constituant pour chacun d’entre nous autant de trésors auxquels nous resterons éternellement attachés. *** Le 17 août 1968, un dernier test-match nous attend sur le chemin du retour, au Cricket Ground de Sydney. Revanchards et déçus par nos échecs de part et d’autre du détroit de Cook, nous sommes bien décidés à embraser la ville aussi en concrétisant, au score cette fois, le formidable potentiel de notre formation sur laquelle la fatalité fait porter toute la misère du monde. « Quand on est capable de pratiquer un jeu d’une telle densité face aux All Blacks, qui pourrait résister ? », songet-on. Cette réflexion est frappée du coin du bon sens. Un statut de large favori, logique au regard du talent déployé à Auckland, exacerbe notre confiance. 65
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Nos trois-quarts n’ont pas leurs égaux dans le monde : les All Blacks peuvent en témoigner. Notre pack, aux rouages huilés à souhait, possède davantage d’atouts dans le secteur clé de la conquête et nous sommes rôdés par deux mois d’entraînement. Bref, tous les éléments sont réunis pour nous permettre de sauver la face. Malheureusement, une fois de plus, nous passons à côté d’une victoire qui était largement à notre portée. Le brio de Jean-Louis Bérot et de Jo Maso, activant pourtant un mouvement perpétuel de l’attaque, ne suffit pas à désarçonner des Wallabies sans génie mais campés dans un efficace obscurantisme, appliqués en défense, et faisant surtout preuve d’un réalisme supérieur au nôtre. Walter Spanghero et Christian Boujet – premier joueur à bénéficier des nouvelles dispositions internationales concernant un remplacement de joueur blessé, en l’occurrence Pierre Villepreux – marquent deux essais contre un. Nous perdons encore (10-11) en nous demandant à nouveau quelle mouche a piqué l’arbitre (australien, bien sûr !), un certain Ferguson. En fin de rencontre, cet entêté du sifflet refuse notamment un essai à André Campaes sur un lumineux service de Lux pour un en-avant. Où, quand, comment ? Cette décision est d’autant plus incompréhensible qu’il nous accorde alors une mêlée avec introduction… qui nous est favorable, à nous. Pauvre Jean-Pierre ! Après Auckland, il voyait à nouveau l’une de ses délicates envolées se terminer en torche ! Dépités et penauds, le moral dans les chaussettes, nous nous apprêtons à rentrer, via Singapour, par la petite porte alors que nous aurions mérité les honneurs. Nous avons remporté neuf matches sur quatorze, marqué 195 points contre 143 et inscrit 38 essais contre 15 ! 66
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Au diable la déprime ! « Nous enregistrons peut-être quatre défaites, mais je crois que nous ramenons à la maison une sacrée bonne équipe » lançai-je à la presse. À mes côtés, André Garrigue fait preuve de plus de pragmatisme. Brandissant un télégramme de Brian « Brave » Lochore, capitaine des All Blacks, qui nous souhaitait enfin un peu de chance, il s’écrie : « Que faire ? Implorer le ciel ? En attendant, allons nous saouler ! » Le Toulousain ne croit pas si bien dire. *** Cette promesse de feu d’artifice au pays des kangourous est quand même tenue, beaucoup plus tard dans la soirée. Celui-ci est allumé par notre grand artificier, Benoît Dauga. Seule la prescription m’autorise à révéler un événement tenu secret jusqu’à ce jour. Lorsque l’on évoque une bagarre de tournée, c’est le nom de la ville de Durban (dont il sera à nouveau question par la suite) qui vient immédiatement à l’esprit. Mais je ne suis pas persuadé, pour avoir vécu de près l’événement, que ce soit la référence appropriée. Alors que le gros de la troupe, dont je suis, est fatigué et se détend dans le hall de l’hôtel, mon ami Benoît décide d’aller boire un dernier verre avant de plier bagage. Il est accompagné de quelques noctambules parmi les plus vaillants de nos rangs. L’incident va se dérouler au Whisky à Gogo, une boîte de nuit à la mode essentiellement fréquentée par des marins de la Navy. Le Montois est d’humeur badine. Il se sent en phase avec la musique. L’ambiance est pile-poil à son goût et, pour mieux communier, il se met en tête de prendre place, cigare 67
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aux lèvres, dans une des cages en bois dressée sur un plot où les danseuses de l’établissement se produisent en chaîne. Ancien basketteur au gabarit de pivot (à 13 ans, il mesurait déjà 1,90 mètre), notre danseur mondain a du mal à se hisser au côté de la belle, sous la lumière des projecteurs. Cette démarche n’est hélas ! pas du goût des videurs, qui refusent avec véhémence qu’un homme, fût-il représenté par un coq, entre dans la cage réservée aux ladies. S’ensuit une mêlée dans laquelle, selon son habitude, Benoît ne mollit pas et passe en revue l’un après l’autre tous les cerbères qui l’agrippent. Les témoins ont rapporté que « ça tombait alors comme à Gravelotte ». Très vite, l’infériorité numérique de nos couleurs impose aux nôtres d’envoyer deux émissaires (Jean-Claude Noble et Jean-Louis Bérot) pour sonner le rappel en taxi. Élie Cester, deuxième ligne de caractère, s’est déjà endormi à l’hôtel. Je parviens cependant à réunir, dans l’urgence, tout ce qui reste dans l’équipe de lourd et de performant en matière de mêlée relevée. À l’appel du capitaine, on retrouve, au grand complet, la première ligne qui n’a pas joué le test du Cricket Ground, à laquelle s’ajoutent quelques éléments motivés, comme Alain Plantefol et mon ami Walter Spanghero. En tant que responsable de l’équipe, je tente d’intervenir en douceur auprès de la direction de l’établissement afin de récupérer tous mes hommes, si possible sans incident. Mais ma démarche reste vaine : c’est à ce moment que le patron sort un poing américain et assène, sans les sommations d’usage, un violent crochet à Jean-Louis Bérot. Les videurs ne font pas le poids et le bouquet final – il faut lui reconnaître ce mérite – est l’œuvre de Walter « Cassius » 68
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Une symphonie inachevée
Spanghero. Le Rambo de Compiègne gratifie du K.O. de l’année un inconscient qui voulait combattre dans la même catégorie sans avoir pris la mesure de son adversaire. Celuici ne termine pas dans les cordes… simplement, dans l’une des vitrines qu’il explose. Walter, qui n’avait jamais donné un coup de poing sur le terrain, démontre ainsi la sécheresse de sa frappe ailleurs que sur un punching-ball. Ce fait d’arme met fin à de longues minutes de pilonnage intensif, sur fond de chaises et de tables désintégrées, laissant moult plaies et bosses dans chaque camp. Alléché par la perspective de pouvoir donner libre cours à son caractère belliqueux, Claude Dourthe, qui dans l’urgence a abandonné un appétissant poulet mayonnaise, arrive enfin, accompagné du directeur Jean-Claude Bourrier. Hélas, la représentation a pris fin. Le rideau rouge est tombé. Déçu, il évacue sa rage, se contentant de jauger l’étendue des dégâts, un sourire légèrement admiratif au coin des lèvres : un véritable champ de bataille s’étend devant lui, au centre duquel ses camarades ont sans conteste accompli de la belle ouvrage ! Mais le cocasse est encore à venir. L’un des nôtres, l’ailier briviste Pierre Besson, en proie à une nausée féroce, est resté enfermé dans les toilettes et a raté l’intégralité de ce règlement de comptes. Il n’en recueille les détails qu’à l’aéroport. Entre-temps, nous avons récupéré Benoît, notre ordonnateur de cérémonie. Gaillard, les cheveux bien mis, frais comme un gardon, menotté et guilleret, avec aux lèvres un cigare, admirable compagnon de bordée qui délivre au milieu d’un sourire entendu ses dernières volutes.
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Chapitre VI
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L’histoire se répète cruellement. Une nouvelle tournée se présente, au lendemain d’une défaite (15-9) concédée en prolongations dans une finale du championnat de France contre Béziers, à Bordeaux, au cours d’un match qui inaugure le règne durable d’une ASB nouvelle. Mes adversaires sur la route du Bouclier de Brennus, Jack Cantoni et Alain Estève, deviennent mes compagnons de voyage pour une nouvelle expédition au pays des Springboks. Cette fois, je dirige l’équipe en qualité de leader. Repêché in extremis par le président Albert Ferrasse, le Toulousain Roger Bourgarel, dont la couleur de la peau trahit l’origine guyanaise, nous accompagne : il est le symbole le plus sûr de notre lutte contre la discrimination au pays des ghettos noirs. Car la démarche est historique. Avant notre sympathique ailier, seuls trois Maoris, Blair Furlong, le mythique Bryan Williams, inoubliable crocheteur et guitariste, et notre vieille 71
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connaissance Syd Going avaient foulé cette pelouse bichonnée pour les Blancs. Les droits de l’Homme ne sont pas, il est vrai, au centre des conversations du breakfast. Nous sommes là avant tout pour jouer. Et la perspective d’une campagne couronnée de succès atténue un temps, à mes yeux, ma nouvelle désillusion nationale. L’espoir est hélas de courte durée. Très vite, je joue – une fois encore – de malchance : une grippe intestinale, dès le début du voyage, me cloue au lit avec une forte fièvre. En un rien de temps, je perds onze kilos. Ainsi, pour la quatorzième fois de ma carrière internationale, je dois déclarer forfait alors que je suis promis à la titularisation. Triste bilan en vérité ! J’ai la ferme conviction que le championnat national, long et laborieux et une tournée tout aussi éreintante ne font pas forcément bon ménage. Je suis même persuadé que les pépins qui me frappent sont la conséquence des fatigues d’une finale jouée sans le moindre délai de récupération. Mais le directeur de la tournée, Élie Pebeyre, hermétique à mes problèmes de santé, se livre à un incessant forcing pour me faire jouer envers et contre tout le premier des deux test-matches à Bloemfontein. C’est dans cette citadelle chère aux Afrikans qu’une réception, dans l’esprit local, nous est promise le 12 juin 1971. Elle est d’ailleurs à la hauteur des prévisions, et s’achève sur un 22-9 sans appel. Malgré l’insistance de l’ex-président briviste, un homme imperturbable et sombre qui aime trancher dans le vif, et par respect envers mes coéquipiers, je me suis néanmoins désisté, persuadé de pouvoir comme par le passé me refaire une santé en vue du deuxième test, programmé à Durban. 72
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Confiant en mon pouvoir de récupération, je ne doute pas de retrouver l’intégralité de mes moyens physiques pour assumer le rôle, bon pied bon œil ! J’ai l’opportunité de le prouver contre le North East Cape, à Cradock, que nous débordons 33-17. En cours de match, deux occasions me sont données de conclure et, soucieux de faire plaisir, je prends le parti d’offrir ces deux essais à un jeune espoir toulousain, Jean-Claude Skrela. Je commets une erreur capitale de jugement. La forme est revenue. J’ai même repris quelques kilos. Me voilà d’attaque, fin prêt à revenir comme j’ai su le faire à l’occasion de mes précédentes tournées. Mais la décision tombe, implacable, injuste et déshonorante : les sélectionneurs m’écartent. C’est un véritable coup de massue que je reçois quand les responsables m’expliquent, comme si de rien n’était, le pourquoi de la chose : le choix d’un pack plus mobile. Maudite soit la traîtrise ! Je suis pris de vertige. L’incompréhension me serre la gorge. La colère me gagne. Ce rugby qui m’avait donné tant de joies m’apporte ma plus grande désillusion. À la nuit tombée, j’en pleure, cruellement seul sur cette plage du Natal habituellement fréquentée par la haute bourgeoisie. Je sanglote, face à l’océan Indien, délice des nageurs et des surfeurs, une boule d’amertume – sinon de fiel – à l’estomac. La solidarité n’est heureusement pas un vain mot en rugby. « Ohé, ohé », je ne serai pas ce « capitaine abandonné » de la chanson des Gold (de charmants garçons du reste, que j’allais rencontrer plus tard au Grand Prix des Champions). Claude Spanghero, cadet de Walter, magnifique d’insolence et de superbe, se décarcasse pour me remonter le moral. « C’sont des c…, ils n’en valent pas la peine ! » 73
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Mon compère narbonnais, qui effectue une entrée tonitruante en équipe de France, se sent d’autant plus impliqué dans cette « trahison » que Walter, de son côté, subit aussi les foudres des sélectionneurs. Le petit frère répétait sans cesse qu’il trouvait grotesque la décision de retenir son aîné à l’aile de la troisième ligne durant le premier test, un poste qu’il n’avait jamais occupé auparavant. Ma peine est aussi largement atténuée par le geste d’un garçon que j’ai toujours adoré, l’Agenais Paul Biémouret, efficace homme de l’ombre et exécuteur des hautes œuvres, qui accourt le soir même dans ma chambre pour me proposer de prendre sa place car il estime que « en qualité de plus ancien », je le mérite. Bien sûr, je décline cet élan du cœur sincère, qui me touche profondément. Mais je ne l’ai oublié. *** Le désarroi existe en tournée. Il frappe durement les joueurs qui n’ont pas été retenus pour les tests, les laisséspour-compte et les blessés, nombreux cette fois. Ils forment l’équipe dite « de réception » parce qu’elle est libre de ses mouvements, et que ces infortunés en veston et cravate de sortie peuvent se permettre quelques écarts de régime au niveau du solide et du liquide. Cependant, je mets un point d’honneur à venir en aide aux joueurs « titulaires » qui se font surprendre au petit matin, sans permission, rentrant les traits tirés. C’est notamment le cas alors que j’amorce, en compagnie de Benoît Dauga et du jeune Cantoni, une tournée des grands-ducs en règle, l’avantveille d’un match. Au cours de la soirée, nous perdons Jack 74
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qui, monté sur ressorts, nous prouve à quel point il est imprévisible, tant en vadrouille que sur le pré. Seul dans cette ville inconnue, il vient juste de rentrer lorsque nous regagnons l’hôtel et est tombé nez à nez avec Fernand Cazenave. Par miracle, nous arrivons à temps pour empêcher le directeur de décréter le pire. « Canto était avec nous, nous l’avons obligé à sortir », ai-je bredouillé. Jack s’en souvient encore : « Sans toi, je pouvais dire adieu à l’équipe de France ! » La semaine précédant le deuxième test, le hasard vient réconforter ces exclus dont, pour la première fois de ma carrière, je fais partie. Un paquebot qui transporte des passagers, mais fait aussi du fret, se trouve à quai dans le port de la « belle métisse ». Le commandant (un Toulonnais !) nous invite à nous joindre aux soirées qu’il organise quotidiennement à bord. Une aubaine, vous en conviendrez, pour ces garçons désœuvrés qui s’empressent, bien évidemment, d’accepter cette proposition inattendue. Durant huit jours, le commandant et le capitaine (de fortune) que je restais ont animé jusqu’au petit matin, entourés des enfants de troupe, blessés et convalescents, une sorte de carnaval de Rio qui ont rendu ces instants de liberté les plus agréables possible, loin des soucis d’une fin de tournée. Passons sur le détail des réceptions. Je dirai seulement que les nuits furent arrosées des meilleurs vins de la région de Stellenbosch, et que seul le bateau, en cours de réfection, était à proprement parler « en cale sèche ». La présence de quelques dames de bonne société pimente ces folles soirées, et nous ne rentrons à l’hôtel qu’au petit matin, histoire de prendre le petit-déjeuner avec les titu75
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laires et de nous tenir au courant de la vie d’un groupe avec lequel, par la force des choses, nous prenons quelques distances. Ces exquises fêtes nautiques sur le pont du bateau restent pour nous la consolation de nos contrariétés personnelles et de la cruauté des sélections. Une revanche du sort appréciée à sa juste valeur par notre équipe « de réception » ! *** La rencontre de Durban s’annonce au son du canon. Bien avant le coup d’envoi du 19 juin 1971, la presse locale s’était en effet chargée d’instaurer un climat de haine à la suite de la « mise en bouche » de la semaine, à l’Ellis Park, contre le Transvaal qui permit à Roger Bourgarel de trouver à deux reprises le chemin de l’en-but. Suprême gifle, un essai de « notre » fantasque cavalier bronzé était signé devant le carré grillagé où s’entassaient quelque deux mille spectateurs noirs. On imagine la joie de ces pauvres bougres, aux premières loges, savourant le silence de mort qui est tombé sur la grande tribune, majestueuse par sa hauteur et arrogante par son contenu, qui est au rugby ce que l’Everest est à la montagne. Cette double réussite laisse des traces dans les gazettes et fait monter la mayonnaise. Très dignes dans nos costards de délaissés – un brin fatigués par nos virées ! –, nous sommes extrêmement attentifs à la manière dont nos camarades abordent le match du rachat dans une ambiance survoltée. Les débats s’engagent férocement – un doux euphémisme ! Puisque je ne joue pas, je perçois d’autant mieux les variations électriques qui parcourent les travées et, rapidement, je 76
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sens la foudre zébrer le terrain et les tribunes du King’s Park. À mes côtés, Alain Estève est déjà en ébullition sous son survêtement. Je forme des vœux pour qu’il n’ait pas à pénétrer sur le terrain, car ça pourrait rapidement tourner au vinaigre. Planté sur une terrasse, Claude Dourthe filme avec une caméra posée sur un trépied. Il semble calme, trop occupé à immortaliser un affrontement d’hommes comme il les aime. Le match, en effet, est tendu. Au bout d’une vingtaine de minutes, Jo Maso, blessé à l’épaule, doit sortir. Claude est mobilisé sur-le-champ. Adieu la bobine ! Il ne faut que quelques secondes à notre camarade pour passer de l’état de réalisateur à celui de parfait justicier. Dès lors, le fauve est lâché ! Du haut de sa tribune, il saute dans le couloir d’accès au terrain, évaluant mal la hauteur. Sa réception est hasardeuse. Il s’affale. Je me demande encore comment les crampons ne lui sont pas entrés dans la plante des pieds. Connaissant mon bonhomme, je devine tout de suite que le match va rapidement changer d’orientation. Foin des civilités ! Cinq minutes plus tard, en effet, le déclencheur fait son œuvre, sans avoir pris la peine de s’échauffer. Et nous assistons à ce qui est qualifié de plus grande bagarre du rugby international. Une séance de pieds-poings, qui rappelle la boxe thaïlandaise. Un concert coups de pompe dehors. Une interminable partie de « bourre pifs » ! Aujourd’hui encore, je n’ose imaginer ce qu’aurait donné, dans un tel contexte, l’intervention de mon ami Estève, le Sphinx biterrois à l’inquiétant masque blême. Le match ne serait pas allé à son terme. Claude Dourthe ouvre officiellement les débats. À la réception d’une chandelle, l’arrière McCallum, déséquilibré 77
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sur ce terrain gras, capte le ballon du bout des doigts. Voyant son rival sous la pression, en train de glisser, Claude surgit enfin pour shooter dans le cuir. McCallum a le réflexe de se retourner et le pied de notre Landais laboure le dos du Springbok. Consciencieux et déterminé, le plus sanguin des trois-quarts poursuit son action sans s’apercevoir que, derrière lui, la guerre est déclarée. Dourthe m’a toujours juré ses grands dieux que son coup de pied n’était pas volontaire et que, de toute façon, il manquait… de puissance. Il n’était pas mortel, affirmait-il, et n’aurait jamais dû donner lieu à de telles hostilités. Bref, sur la pénalité immédiatement sifflée par l’arbitre, les Sud-Africains veulent rendre la politesse aux Français en usant, à leur tour, d’une chandelle. Le pack adverse se rue férocement, renverse tout, rebelote : deuxième bagarre générale ! Mais, le train devait siffler trois fois en pays zoulou. Le charmant Paul Biémouret, l’homme qui m’avait remplacé la mort dans l’âme, décide de jouer les Gary Cooper. La houleuse séance de marrons a-t-elle altéré sa vue ? On peut le croire quand il décoche (à dessein ?) un coup de pied dans les parties sensibles du talonneur adverse en poussant un retentissant « on ne va quand même pas se laisser faire par ces cons de Boks… » Force est de reconnaître que les sélectionnés, courageux et réactifs en diable, font front de la meilleure façon. En tête de liste, l’incomparable « Monsieur Paul » allume la dernière mèche ; Jean-Pierre Bastiat signe un superbe K.O. sur Williams ; et le guerrier barbu, Benoît Dauga, dans le rôle de capitaine, en impose par son comportement qui, outre la puissance de sa frappe, s’inscrit verbalement dans la légende, à deux reprises, dans un anglais approximatif mais que tout 78
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le monde comprend. Au monumental deuxième ligne, Frik Du Preez, il lance : « On peut s’arrêter ou continuer, ça ne nous dérange absolument pas. Mais si on continue, il y aura des morts », avant d’asséner à Hannes Marais : « Si tu souhaites encore te battre, on est prêt. Si tu veux jouer, on joue. » Et le pilier capitaine des Springboks de répondre sans s’accorder le moindre temps de réflexion : « Soit, jouons ! » Réduits à faire tapisserie dans la tribune, nous avons pu apprécier la bravoure tricolore et l’acharnement des nôtres à ne rien lâcher. Et c’est avec justesse que Jean-Pierre Bastiat résume le match : « Si cette bagarre se déroulait de nos jours, il n’y aurait plus que l’arbitre sur le terrain. » Fière et brave, l’équipe de France a finalement fait match nul (8-8) et le soir, à la réception d’après-match, Benoît Dauga est personnellement et publiquement félicité par l’emblématique docteur Danie Craven, président de la South African Rugby Board.
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Chapitre VII
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Benoît et Walter, fidèles compagnons, amis sincères, méritent bien une parenthèse dans le récit de ma carrière. J’ai toujours soutenu que le sport est un combat dans lequel il convient de choisir ce que les Britanniques définissent joliment par the right man at the right place (« l’homme qu’il faut à la juste place »). J’ai donc très tôt conclu qu’il existe des garçons avec lesquels on peut aller à la guerre sans crainte, en étant sûr de son coup quel que soit le front proposé, et d’autres avec lesquels il vaut mieux, simplement, s’arrêter au bistro. Benoît, le ténébreux, et Walter, l’Adonis, font bien sûr partie de cette rassurante première catégorie sans laquelle il est vain d’envisager atteindre les sommets aujourd’hui symbolisés par la coupe William Webb Ellis, fondateur du jeu qui déchaîne les passions : le rugby. En cette époque de troubles sociaux, nous possédons les recrues nécessaires pour voyager loin, sans pourtant avoir à ménager notre monture. Le Biterrois Alain Estève, 81
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le Toulousain Élie Cester, le Toulonnais André Herrero, les Landais Jean-Pierre Bastiat et Bernard Dutin, l’Agenais Paul Biémouret, le Basque Jean Iraçabal et l’incomparable diablotin dacquois Claude Dourthe ont, eux aussi, ces qualités de guerriers qui permettent à l’ensemble d’une équipe de garder le cap, quelles que soient les tempêtes. Et Dieu sait si elles peuvent être redoutables dans l’hémisphère Sud, creuset moderne du monde ovale, sur cette ligne Maginot quinziste tracée entre le cap de BonneEspérance, le détroit de Foveaux à la pointe de l’Île du Sud de la Nouvelle-Zélande et la Tasmanie australienne. Mais, avant tout autre, il me faut évoquer un homme de devoir hors du commun, accomplissant avec autorité de palpitantes prouesses, qui a la rare particularité de s’engager dans de belliqueuses missions comme de prendre place à un bar avec un incomparable brio : Alain Plantefol. Le voyage en Nouvelle-Zélande de cet avant agenais, en 1968, est à cet égard édifiant. La veille du départ, il prend une cuite chez Tony, et une fille est obligée de le raccompagner à l’hôtel. Il s’écroule dans le couloir. Attiré par le bruit, je me précipite et le transporte dans sa chambre, le déshabille et le mets dans un bain. À Orly, au moment de l’embarquement, il loupe la passerelle et passe sous le ventre de l’avion. Je le récupère in extremis et rencontre les pires difficultés pour lui faire atteindre le fuselage. Il s’endort bientôt, secoué de soubresauts et de grognements. Le voyage à destination d’Auckland va durer trente-six heures. À tour de rôle, nous veillons à ce que son mètre quatre-vingt-quinze ne glisse pas dans l’incorrect et que son blazer ne recueille pas les conséquences de ses excès de mousse. Il nous met à rude épreuve, 82
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mais nous arrivons à le maintenir dignement, le redressant maintes fois, couvrant de nos voix ses courts et bruyants réveils et masquant les râles intempestifs qu’il lâche pendant son lourd sommeil. Et, miracle du décalage horaire à l’arrivée ou peut-être du café salé, le gaillard se réveille comme si de rien n’était, avec un viscéral désir de donner le la à cette périlleuse et inoubliable tournée. C’est ainsi qu’il entonne ce qui constituera notre hymne de campagne de l’autre côté de la terre : le célèbre Emmenez-moi de Charles Aznavour. Nous tenions là notre haka, pacifiste et bien de chez nous celui-là, lequel peut se révéler d’autant plus répétitif que le brave Alain est sujet au bégaiement. *** Forts de la chance d’être sélectionnés souvent ensemble, nous formons, Benoît, Walter et moi, un triumvirat formidablement uni. Mais par le truchement des médias, toujours à l’affût, et d’une vox populi parfois acerbe, mes deux camarades, il est vrai, se sont parfois opposés. Oh ! jamais de manière bien virulente. Ils ont tous deux un objectif commun : le poste de N.8 qui, dans leur esprit (et certainement à juste titre), est le plus prestigieux du paquet d’avants. Pour ma part, je pense qu’ils forment la deuxième ligne la plus performante du monde, car la plus complémentaire. C’est l’attelage idéal du XV de France. S’il avait pu exister à cette époque là un N.8 de grande envergure pour les conforter un cran devant, en deuxième ligne, je suis sûr que leur carrière eût duré davantage. 83
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Bref, le conflit fut difficile à gérer : il s’agissait de deux très fortes personnalités, l’un et l’autre ayant en effet de nombreux supporteurs au sein de la presse, mais également parmi les hommes politiques, ainsi que divers partisans à la Fédération. Il faut donc trancher. Et comme je me trouvais en présence de garçons de grande qualité, il était logiquement de mon devoir de les rapprocher. Je jouai ainsi, et j’en suis fier aujourd’hui, un rôle moteur de médiateur dans la réconciliation de mes camarades. Avec l’aide de l’influent Jo Maso, je les réunis sur le domaine de Méjanes, en Camargue, propriété de la société Ricard. Pour ce faire et pour donner un peu de folklore à cette rencontre dont j’étais persuadé qu’elle allait déboucher sur un regain d’amitié, nous sortons du corral quelques chevaux calmes – délicate mission oblige ! – pour nous balader au bord de l’étang du Vacarès, habillés en gardian, sous la houlette de Guitou, le maître de la manade. Alors que Henri Garcia, l’amène envoyé spécial du journal L’Équipe, et moi nous mettons péniblement en selle, Benoît et Walter sont déjà dans l’allure. Pensez donc ! Leur passé à la ferme fait merveille. Ils seraient presque dignes du Cadre Noir de Saumur si ces couvre-chefs de cow-boy ne donnaient davantage d’austérité à leurs regards graves. Est-ce notre maladresse et notre ridicule, rênes en main ? Toujours est-il que l’atmosphère se détend et tourne vite à la rigolade. Il n’y a pas véritablement de premier pas effectué, mais plutôt un élan commun. L’un et l’autre ont compris la nécessité de stopper net le faux conflit qui les oppose, pour mettre fin à l’encerclement des médias et à la prise de position d’une opinion publique déchirée. 84
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Nous avons affaire à deux garçons intelligents et la concorde s’installe rapidement au milieu de la garrigue, sous le mistral, sans un zeste de rancœur ; le plan a parfaitement fonctionné. Quant à moi, je savoure la satisfaction de reconstituer ce trio majeur, un instant éclaté, qui existait depuis plusieurs années. Benoît et Walter sont non seulement les deux êtres avec lesquels je partage mes rencontres du Tournoi des Cinq Nations et des tournées, mais aussi mes compagnons les plus proches dans la vie. Dauga est d’ailleurs tellement proche que le grave accident qui a mis fin à son aventure rugbystique, me fait douter du bien-fondé de poursuivre ma propre carrière. J’ai été traumatisé comme l’a été, du reste, l’ensemble du rugby français. C’est un arrêt brutal et dramatique pour ce grand chêne, que l’on surnommait « le Grand Ferré », violemment abattu le 5 janvier 1975 à Dijon, au cours d’un match ni plus ni moins violent que les centaines d’autres qu’il avait disputés, sur un plaquage orchestré par lui-même : un étirement de la moelle épinière le laisse inanimé sur le terrain. *** À l’époque, déjà, je travaille pour la société Ricard où je dirige une opération nationale auprès des clubs de deuxième et troisième divisions, intitulée « Monsieur Rugby ». Celleci m’amène toutes les semaines dans le Sud-Ouest : le lundi je rencontre le club qui a reçu, et le mardi celui qui s’est déplacé, afin de recueillir, généralement dans la salle des fêtes ou le club house, les commentaires des dirigeants, des joueurs, des écoles de rugby et des personnalités locales. 85
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Mais la santé de Benoît reste pour moi une priorité. Sa guérison m’obsède. Dès qu’il sort des urgences pour rejoindre l’hôpital de la Tour de Gassies, qui reçoit les accidentés graves de la route, les paralysés et les amputés, je me débrouille pour caler, chaque semaine, un moment pour lui rendre visite. Totalement paralysé, il garde dans son regard une flamme et cherche dans le mien quelles sont ses chances de retrouver une vie normale. Et quand on sait les capacités physiques qu’avait notre Benoît, c’est tragique ! J’essaie tout de même, du mieux possible, de donner le change et d’entretenir son espoir en lui citant des cas de miraculés… Son immobilité me fend le cœur. Je me sens profondément ébranlé. Malgré tout, je m’efforce de le faire sourire, de capter son attention, d’éloigner ses idées noires. Durant sa rééducation, il m’arrive de le pousser sur sa chaise roulante dans les couloirs du centre, en parlant de tout et de rien. La séance de massage, à laquelle je l’accompagne, constitue un semblant de musculation. Ce natif de Montgaillard (un nom de village prédestiné !), qui pouvait soulever des poids formidables, se voit aves des haltères de quelques grammes attachées aux doigts pour essayer de lui faire bouger un peu les mains. Situation insupportable ! Mais, à force d’abnégation et de luttes, je connais le grand moment d’émotion le jour où (Dieu soit loué de m’avoir permis d’être là) le médecin me demande mon aide. Chacun d’un côté, nous le soutenons sous les aisselles. Dans cette grande chaussure de basket, à l’extrémité d’un corps décharné qui n’en paraît que plus démesuré, il parvient à déplacer son pied de quelques centimètres. C’est le début des progrès, de la récupération ! Nous comprenons tous 86
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qu’avec de la patience, le combat est quasiment gagné ! Nous ne pouvons retenir notre émotion, et nous mettons tous les trois à chialer. Ce moment restera l’une des grandes émotions de ma vie. Benoît met énormément de temps à redevenir lui-même et je me souviendrai toujours de deux épisodes marquants. Le premier a été de convaincre les dirigeants de la société Ricard de l’embaucher (en dépit de son lourd handicap) pour l’opération Monsieur Rugby. Bien naturellement il était encadré, comme son état l’imposait. Là, Benoît me bluffe totalement, car lui qui n’avait pourtant pas une nature de hâbleur réussit non seulement à récupérer une partie de ses moyens physiques, mais acquiert au contact du public un parler nouveau. Le second événement a été, bien plus tard, le moment où j’ai obtenu de mon président qu’il devienne le « châtelain » de La Voisine. Ce château de la forêt de Rambouillet héberge les équipes de France de rugby, au milieu des chênes, des étangs où viennent s’abreuver chevreuils et sangliers, dans un cadre d’entraînement sans équivalent, avec, à quelques centaines de mètres, un terrain aménagé où les joueurs se rendent à pied. *** L’armée a tissé des liens entre Walter et moi. Je me sens naturellement plus proche de ce compagnon de régiment que de Benoît, mon aîné d’une année, que nous ne côtoyons qu’au moment des rencontres du XV de France. Walter et moi sommes comme les deux doigts de la main. Les potes du Bataillon qui ont occupé le même lit de fer superposé, 87
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lui dans la couchette du dessous, moi dans celle du dessus, s’entendent toujours comme larrons en foire. Son mariage, le 13 juillet 1976, me permet d’ailleurs de rencontrer dans son intégralité le clan dont la légende est chevillée à Bram, ce canton qu’il convient d’appeler tout bonnement la « Spanghero Valley ». Là-bas, à Las Brougues, domaine perdu au milieu des vignes, Spanghero rime en effet avec boulot sans trop de temps accordé au dodo. C’est d’ailleurs en écourtant ses nuits que Walter construit, de ses mains, la piste de danse aux dimensions d’un court de tennis sur laquelle nous nous élançons le jour de ses noces. Les flonflons envolés, il lui suffira de tendre un filet, d’acheter deux raquettes et le tour sera joué. « Spanghero », c’est magique ! Grâce au rugby, le patronyme s’exporte bien au-delà des frontières du département, au point que le président Georges Pompidou affirme : « Spanghero est un nom qui fait honneur à la France ! » La famille de Walter, originaire du Frioul, forme ce que le journaliste Roger Bastide nomme judicieusement, en s’inspirant du Racing Club narbonnais, « le RC Spanghero ». Ainsi, autour de « Oualtère », il y a Laurent, l’aîné, Jean-Marie, Claude, Gilbert et Guy, tous rugbymen, dix-neuf années séparant le plus âgé du benjamin ; mais aussi Maryse et Annie, qui n’ont rien à envier à leurs frangins en matière de gabarit ; Roméa, la maman ; et le chef de famille, Dante-Ferrucio, un fier métayer, vite rebaptisé Fernand. Cher Fernand ! Un homme d’airain, délicieux et attendrissant. Une force sèche et tranquille. J’adore le père de Walter, sa fierté et sa modestie. J’ai eu l’occasion de le revoir souvent au gré des matches et, surtout, à l’hôtel Louvois, lieu de rassemblement à Paris avant les rencontres internationales. 88
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Benoît et Walter
Fernand aime le rugby à travers ses enfants mais également, tout simplement, pour la richesse de ce jeu qui privilégie la détermination, le courage et l’abnégation, des qualités qui sont aussi les siennes et qui lui ont permis de faire son nid du côté de Castelnaudary. Avant les matches, le patriarche vient souvent nous prodiguer quelques conseils avisés. Il nous retrouve ensuite pour nous faire partager ses analyses et ses critiques. C’est à la fois touchant et sensationnel ! Je ne peux alors m’empêcher de penser à mon propre père. Que n’aurais-je donné pour discuter avec lui de cette façon ! Fernand ignore que chacune de ses chaleureuses visites me replonge dans ce mystère tenace que je n’ai toujours pas éludé. Au crépuscule de nos carrières de rugbymen, c’est donc de près que je vais suivre l’ascension extraordinaire de mon Walter, sorti de la ferme et des champs avec pour principale et irrépressible envie de « connaître l’argent ». Et, pour tutoyer cet argent, attrayant et mystérieux, quel est le chemin le plus direct si ce n’est la banque ? Walter se donne les moyens nécessaires pour y parvenir. Il fait quelques stages au Crédit agricole de Narbonne, et après avoir occupé brièvement et avec succès plusieurs postes, estimant qu’il « maîtrise » suffisamment l’argent, il décide de se lancer dans une activité peu florissante à l’époque : la location de voitures. Il ouvre ainsi, chez lui, un petit garage. Et, comme il le fait encore maintenant, il n’hésite pas à mettre la main dans le cambouis, effectuant sans sourciller les vidanges, les graissages et les démontages. Il commençait petit. On sait ce qu’il est advenu ensuite : Walter s’est retrouvé à la tête d’une énorme affaire de location. 89
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Diversifiant alors ses activités (il a même touché au tennis), il acquiert finalement, aux portes de Toulouse, une entreprise de pièces détachées de véhicules. Celle-ci s’étend toujours sur trois hectares, non loin d’une propriété où son amour de la nature l’incite à entretenir quelques cervidés – castrés – pour le plaisir de son prochain.
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Chapitre VIII
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Cinq Tournois des Cinq Nations ponctuent ma carrière d’international, dont trois, en 1967, 1968 et 1970, s’achèvent sur une victoire finale. Je m’attarderai uniquement sur celui qui nous a permis de réaliser ce Grand Chelem de 68 que toute la France attend. Ma vie de joueur, mais aussi ma vie d’homme, sont forcément rattachées à cet exploit qui me remplit de fierté. Il s’agit d’un Tournoi particulier pour moi : je n’ai en effet inauguré ma fonction de jeune capitaine que l’année précédente à Paris, le 25 novembre, au cours d’une rencontre avec les All Blacks dans laquelle, malgré une défaite, nous avons fait bonne figure (15-21). Beaucoup pensaient que les responsabilités de capitaine devaient incomber à un leader plus expérimenté que moi sur le plan international. Aussi est-ce bien contre toute attente que j’ai été nommé. J’accepte avec entrain ce challenge qui me donnera l’occasion d’assurer dix-huit commandements. Je ne doute pas un instant que ces responsabilités m’ont 91
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appris à mieux connaître les hommes, et m’ont éclairé dans ma reconversion professionnelle. Ce Grand Chelem de 1968 est, bien sûr, un épisode d’autant plus considérable qu’il est réalisé à vingt-sept et, pour faire bref, par deux équipes et en deux temps. Il règne en effet cette année-là, une soif de changements qui ne s’exprime pas seulement dans la rue. Notre aventure de 68 laisse la part belle à l’improvisation. La mode est aux chaises musicales, ce qui n’explique pas forcément la densité de cette armée mexicaine de copains, plus soucieuse de prendre du bon temps que de tutoyer l’Histoire. Il faut rappeler qu’à l’époque on ne remplace pas les hommes blessés comme c’est le cas de nos jours. Certes, plus tard, en 1977, l’équipe de Jacques Fouroux allait à son tour tenir tout un Tournoi avec ses quinze joueurs de départ… Du reste, combien de sélections aurions-nous compté si nous avions connu le « coaching » (c’est-à-dire le remplacement pour des raisons tactiques) et bénéficié d’un calendrier aussi gras qu’un chapon ? C’est un autre problème. *** « Soixante-huit » démarre dans le deuil. Au cours de la nuit de la Saint-Sylvestre, Guy Boniface, de retour d’un match amical en compagnie de Claude Bercowitz, avait trouvé la mort près d’Hagetmau, sa voiture s’étant emballée. Deux jours après les obsèques du « Gai Cavalier » à Montfort-en-Chalosse, Jean-Michel Capendeguy perd à son tour le contrôle de son véhicule. Le Bèglais devait honorer, dans les Highlands, sa troisième sélection. C’est la lettre de convocation fédérale qui a permis aux pompiers de l’identifier après l’accident… 92
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Le 13 janvier, l’Écosse nous attend dans l’antre de Murrayfield, cratère pigmenté des oriflammes qui s’agitent au poing des supporteurs, balayé par un vent glacé et tourbillonnant à donner le vertige aux cornemuses, un vent qui allait jouer un rôle capital sur le résultat de la rencontre. Écrasés par le souvenir de nos camarades, nous portons tous un brassard noir ; nos adversaires, par sympathie, en portent aussi. Le ciel, triste et chargé, choisit son camp dès la 5e minute grâce à un essai de rapine de Bernard Duprat, à la réception d’un drop raté de Guy Camberabero, et au milieu d’un cafouillage en règle. Sous la pression des avants du Chardon qui bénéficient de la présence de l’immense Peter Stagg, le double mètre dégingandé, nous souffrons mille morts. Heureusement, les troisquarts écossais manquent d’inspiration avec des retours, aveugles et idiots, à l’intérieur. Cet entêtement britannique est une bénédiction pour notre défense, altière et généreuse, menée par Jo Maso. Un ballon récupéré par Aldo Gruarin donne à Walter Spanghero l’occasion de créer une de ces brèches dont il a le secret. Benoît Dauga arrive en soutien et alerte Jean Trillo qui transmet à André Campaes débordant pour marquer un essai transformé par Guy Camberabero, malgré des tourbillons de vent. Menés un temps 6-3 en raison d’un essai de Keith et d’une pénalité de Stuart Wilson, nous reprenons l’avantage à 8-6. Deux minutes avant le coup de sifflet final, alors que tombent le soir et l’humidité, nous sentons le vent du boulet quand l’altruiste Jo Rupert effectue une cravate à vingt mètres, face à nos poteaux. Adieu veaux, vaches, cochons… La punition doit être irréparable. Mais, ô miracle ! l’arrière Wilson effectue un inconcevable raté. 93
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Ce geste, qui coûte à notre camarade de Saint-Vincent-deTyrosse sa carrière internationale, est resté comme l’un des épisodes clés du Grand Chelem. Comment Wilson a-t-il pu faire preuve d’une telle maladresse ? Un bras tendu, « géniale » faute s’il en est, donne ainsi le la, au terme d’une rencontre peu digne d’éloges, sur laquelle s’abat une pluie de critiques contre le rendement des frères Camberabero qui, crânement, envoient une lettre de démission à la FFR. Las d’être critiqués, ils demandaient à ne plus être sélectionnés, en précisant qu’ils restaient à la disposition de l’équipe de France si le besoin s’en faisait sentir. *** Le temps est encore maussade, le 27 janvier à Colombes, pour le match qui nous oppose à l’Irlande, une rencontre placée sous le signe d’une valse des demis. Les Camberabero, écartés, sont un temps remplacés par une paire inédite : Jacques Fouroux à la mêlée et Jo Maso à l’ouverture. Hélas, le Perpignanais doit déclarer forfait et Fouroux est cavalièrement évincé au bénéfice d’une charnière lourdaise : Jean-Pierre Mir et Jean Gachassin. L’infortuné Jacques Fouroux attendra quatre longues années, amer, avant de faire ses débuts internationaux. D’entrée de jeu, les avants irlandais nous donnent du fil à retordre. Leur fanatisme et leur courage sont énormes, à l’image du deuxième ligne Molloy qui, évacué sur une civière à cause d’une fêlure du péroné, essaie de revenir sur le terrain après s’être fait plâtrer. Malgré ce coup du sort, le paquet du XV du Trèfle, réduit à six, fait front avec une hallucinante vaillance. La situation 94
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est étrange et rocambolesque à observer : Molloy et Ken Kennedy, qui souffre d’une double entorse du genou, tous deux médecins de leur état dans le civil, s’en remettent aux mains d’un confrère sur le bord de la touche… La Croix Rouge boite, mais comme le dit la chanson « les vieux soldats ne meurent jamais ! » C’est d’ailleurs ce fâcheux épisode qui amènera l’International Board à autoriser le remplacement des joueurs lorsque deux d’entre eux seront blessés en cours de match international. En infériorité du fait de la sortie définitive, à la 34e minute, de l’héroïque Molloy, les Irlandais prennent irrémédiablement la mesure de l’équipe de France, en deux vagues : par André Campaès à la conclusion d’une offensive générale lancée par Jean Gachassin ; puis, à six minutes de la fin, par Benoît Dauga, promptement servi par Walter Spanghero au terme d’une malicieuse échappée de Jean Salut. Nous sortons vainqueurs du bras de fer (16-6), qui permet à la France de dépasser pour la première fois une union britannique dans le décompte des victoires (20 contre 19 à l’Irlande). Mais l’ensemble des avants n’en mène pas large. Je suis personnellement affecté de notre faillite, devant, au plus fort de la rébellion des camarades de Willie John McBride. Nous n’imaginons pas, alors, combien les sélectionneurs vont avoir la mémoire longue. *** Le Tournoi des Cinq Nations bat son plein, mais, au beau milieu de la compétition qui enflamme le Vieux Continent, un devoir national nous attend : un match de « démonstration », programmé le 4 février contre le Sud95
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Est, dans le cadre de l’ouverture des jeux Olympiques 1968 de Grenoble. Des jeux qu’allaient à jamais marquer les trois médailles remportées en ski alpin par Jean-Claude Killy. Le moment se veut d’autant plus solennel que le général de Gaulle, grand amateur de rugby, accorde son parrainage à la journée inaugurale. Une occasion pour nous de souffler. Forts de notre réussite continentale, nous pensons que les destinées de notre équipe, qui a réalisé les deux premières levées, suivraient le vieil adage selon lequel « on ne change pas une équipe qui gagne ». L’heure est donc à la décontraction. Le XV de France et l’équipe du Sud-Est prennent du reste ensemble leur repas au village olympique. Un détail aurait cependant dû me mettre la puce à l’oreille : bien avant le dessert, les avants adverses, au centre desquels se trouve Fabre, mais aussi des durs à cuire comme Jean-Claude Noble, Michel Greffe, Georges Alberto et consorts, se retirent pour se « remonter à l’ancienne » dans une chambre, c’est à dire avec un argumentaire frappant… Nous abordons la mosaïque régionale sans dédain, persuadés qu’il s’agit, ni plus ni moins, d’un « match de gala » comme le désignent les médias et la publicité faite à l’événement. C’est méconnaître la polémique, dont Roger Couderc se fait l’écho, qui oppose les partisans des lutins, Guy et Lilian Camberabero, respectivement buteur et crocheteur, évincés et revanchards au milieu de la grogne populaire, à Jean Gachassin, talentueuse libellule du french flair. Insouciants et sûrs de notre coup, nous n’avons pas pris ce match suffisamment au sérieux, ce qui n’a pas été le cas de nos adversaires. Déterminée à l’extrême, la sélection se présente baïonnette au canon au pied de la Bastille du Dauphiné. 96
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Cette approche du match contraste avec la nôtre, faite, la veille, d’une solide « mi-temps » nocturne dans la vieille ville, au cours de laquelle Grenoble n’a pas eu affaire à des ingrats. Les gargotes sont scrupuleusement visitées. Farcis de mominettes, abreuvés de bières, nous terminons « à point ». Pour preuve, ce n’est qu’en arrivant dans sa chambre qu’Élie Cester s’est aperçu qu’il lui manquait son dentier. Il nous a donc fallu repartir en ville pour, après deux heures de recherches, retrouver le précieux objet… dans une poubelle. Les explications de notre puissant deuxième ligne ne nous ont, je dois l’avouer, jamais parues bien claires. La perte de ce satané dentier a une conséquence fâcheuse : de retour à l’hôtel, vers quatre heures du matin, nous sommes tombés malencontreusement sur l’entraîneur, Jean Prat, qui souffrait d’insomnies. Monsieur Rugby n’a lâché qu’une phrase : « On en reparlera demain. » Durant le match, nous sommes bien sûr incapables de nous hisser au niveau de nos adversaires, survoltés au niveau du pack. Par malchance, Benoît Dauga, qui a mal à l’épaule, est un ton en dessous, et Aldo Gruarin ne veut pas trop forcer face à Jo Fabre, volcanique toulonnais, homme aux semelles de plomb – que ce soit sur les échines adversaires ou sur les accélérateurs de voitures de luxe – qui aurait été international s’il n’avait pas eu cette facilité déconcertante à dégainer plus vite que quiconque. Les « Cambé », quant à eux, sont inspirés. Ils nous asphyxient, tout simplement. Pourquoi diable n’ai-je pas écouté Guy qui, à la mi-temps, vient me prédire la défaite si nous ne nous faisons pas violence, ayant bien compris que les excès de la nuit se ressentent sur le terrain ? Et dire que les deux frangins, Lilian et Guy, n’étaient pas très 97
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chauds pour jouer contre nous parce qu’ils trouvaient cette lutte trop fratricide. Bien entendu, nous perdons… D’extrême justesse il est vrai, (9-11) face à une formation qui s’est dotée d’un formidable esprit de corps, inattendu et incongru pour un match de gala. Optimistes néanmoins, nous pensons encore que les sélectionneurs ne vont pas nous tenir grief de ce lamentable faux pas. Que nenni ! Le verdict est exemplaire. Pas moins de huit changements d’hommes et un changement de poste en vue de l’échéance suivante : l’Angleterre, à Colombes. Même Benoît Dauga est viré… Nous avons eu l’occasion de reparler, longtemps après, de cette rencontre « d’attrape-couillons » et nous sommes tous formels : « Si nous avions rejoué ce match dans un contexte sérieux, nous leur aurions mis 40 points. » *** Le stade olympique Yves-du-Manoir nous accueille à nouveau, dans la grisaille en ce 24 février, pour le troisième volet de la ronde continentale. Compte tenu de nos deux précédentes victoires, acquises à l’arraché, la rencontre n’en paraît que plus incertaine et le rendez-vous plus excitant. Il fait froid, très froid, mais l’enceinte est chauffée à blanc. La grande lessive opérée au sortir du Dauphiné bénéficie à de nouveaux joueurs, notamment Jean-Claude Noble, Michel Yachvili et Jean-Marie Bonal. Derrière, pour ne vexer personne et ménager « camberaberistes » et « gachassiens », on retient les frères et Jeannot passe au centre. Dans nos campagnes, on appelle cela « ménager la chèvre et le chou ». Je suis le plus ancien d’une formation de « Marie-Louise », 98
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jeunes joueurs noués par l’inquiétude de l’inexpérience internationale, d’autant que le XV de la Rose est composé d’éléments dynamiques et percutants. Heureusement, avec les Camberabero à la baguette, nous retrouvons l’assise qui nous avait tant fait défaut précédemment dans l’orientation du jeu. Le réalisme du paquet d’avants fait également merveille. Nous chapardons ainsi six ballons sur introduction adverse. Assez pour nous permettre de relever fièrement la tête sous l’œil bienveillant (et complaisant pour beaucoup d’analystes) de l’arbitre écossais Laidlaw, qui refuse deux essais à nos rivaux sur des actions de West et de Savage. Sommes-nous encore sous l’aile protectrice du destin ? Il faut le croire, car si les Anglais mènent 6-3 à la mi-temps en dépit d’une démonstration de notre alignement en touches, Jean Gachassin, imprévisible et vif-argent, surgit enfin. À la suite d’une attaque classique, avec Claude Lacaze intercalé et coup de pied de recentrage dans l’en-but, « Peter Pan » marque en effet l’unique essai de la rencontre au grand dam de Brooke, puissant centre de un quintal qui le dépasse d’une bonne tête, étrangement absent sur cette action pleine d’à-propos. Claude Lacaze et Lilian Camberabero paraphent le succès (14-9) de cette troisième levée annonciatrice de nouvelles expériences avec la paire de centres Dourthe-Maso, alors que Michel Greffe (du Sud-Est, lui aussi) débute dans le Tournoi en remplacement de Jean Salut, blessé. La danse de Saint-Guy n’en finit pas de secouer nos responsables mais, cette fois, Cambé et son frangin restent aux commandes. *** 99
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Pour la deuxième fois, un XV de France se retrouve donc en position d’empocher le premier Grand Chelem de son histoire, ce qui m’amène à avoir une pensée pour mon prédécesseur Jean Prat, dont la formation, en 1955, s’est inclinée 11-16 devant le Pays de Galles. Notre voyage jusqu’à Cardiff a été pour le moine mouvementé. Nous arrivons en car de Bristol, l’aéroport militaire de Cardiff nous ayant été interdit… Sur la route toutefois, nous apercvons le hangar où se monte l’un des prototypes du Concorde. En ce 23 mars, nous voilà à notre tour face à notre destin, en ce mythique Arms Park de Cardiff dans lequel seuls Walter Spanghero et Claude Lacaze ont déjà joué. Le défi s’annonce d’autant plus délicat que le XV du Poireau regorge, à cette époque, d’éléments emblématiques comme Gareth Edwards, Barry John ou John Taylor. Nous sentons toute une France enthousiaste derrière nous, soucieuse de fêter enfin un événement que chacun attend depuis plus de soixante ans. Parcourus de vilaines bourrasques, les gradins résonnent des hymnes nationaux. Le God save the Queen, joué avant le Land of my father gallois, est sifflé. L’épisode provoquera une émotion en Grande-Bretagne. Mais nous sommes prêts et heureusement hermétiques à la pression. Notre préparation ressemble plus à celle d’un plongeur de haut vol qu’à celle d’un boxeur. Je privilégie le calme au détriment de l’excitation. Le rugby n’a jamais été la guerre. Les séances d’aboiement ne sont pas notre fort. Nous faisons confiance aux joueurs. La concentration est personnelle, sans place pour l’excitation collective. L’essentiel est de faire de notre mieux sans nous mettre martel en tête. Nous accordons le plus grand sérieux à l’entre100
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prise mais nous gardons d’évoquer, comme certains, l’événement du siècle. Médias et public ne présentent-ils pas le match sous cet aspect, historique, propre à nous décontenancer ? De notre hôtel planté sur les falaises de Porthcawl, à une quarantaine de kilomètres de Cardiff, il ne nous est pas nécessaire de faire appel à un mage pour avoir une idée des conditions climatiques durant le match. Un coup d’œil par la fenêtre suffit : elles sont catastrophiques. Elles le sont au-delà même des prévisions les plus pessimistes, transformant rapidement le terrain en cloaque. Qu’en serait-il de nos jours ? Rentrerions-nous à la maison ? Nous devons jouer dans un incroyable bourbier. Cela constitue peut-être un avantage nous concernant si l’on tient compte du paquet d’avants de combat, robustes et durs au mal, que nous alignons, avec notamment un Walter Spanghero qui a accepté de laisser sa place à Michel Greffe, plus à l’aise dans le rôle de N.8 que dans celui d’avant aile. Dans ce contexte d’apocalypse, il est clair que nous alignons l’équipe idéale. Sur un terrain normal, l’entreprise aurait été plus délicate. Forts de cette solide charpente, nous n’avons plus qu’à nous appuyer sur la botte des Camberabero pour décrocher la timbale. Dès le début, nous parvenons à bousculer les hommes en rouge, pas si « diables » que cela si l’on tient compte du fait qu’un vent violent les avantage. Mais le score tourne quand même en leur faveur à la mi-temps (9-3), grâce à deux pénalités de Rees et à un essai de Keri Jones, Guy Camberabero ayant ajusté un drop. Dix minutes sont nécessaires, après le repos, pour prendre la mesure de nos rivaux avec, une fois encore, le petit coup de pouce du destin : un drop de Lilian Camberabero, sous les poteaux, est contré par le troisième ligne Morris, le ballon 101
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roule dans l’en-but et j’arrive opportunément pour me coucher sur celui-ci et marquer l’essai de la relance. Quelques années après, cet essai aurait été refusé car, me trouvant derrière Morris, j’aurais été considéré comme hors-jeu. Une « 89 » nous fait définitivement triompher. Les Gallois ne voient que du feu sur cette combinaison mûrement construite selon un scénario impliquant deux joueurs : les N.8 et N.9. Notre troisième ligne centre, Michel Greffe, fin tacticien hélas méconnu et vingt-septième homme de l’aventure, et Lilian Camberabero règlent le second essai, celui de la victoire. Ingénieusement servi par le Grenoblois, le blond farfadet met à profit une balle gagnée en mêlée, à quinze mètres de la ligne, pour partir « petit côté » et terrasser le Dragon en coin, en associant son frère Guy qui, avec une transformation, porte le score final à 14-9, marque identique à celle enregistrée contre l’Irlande. Soixante années d’échecs viennent de s’effacer. À ma grande confusion, mes camarades de combat, crottés jusqu’au cou, me portent quelques instants sur leurs dos. Mais savourer un tel moment d’émotion n’est pas dans ma nature. Je peine à quitter les épaules d’Élie Cester et de Walter Spanghero pour me réfugier, le plus vite possible, dans les vestiaires. Deux mois avant le « joyeux » mois de mai politique, une révolution sportive vient de se jouer. Mais les lendemains seront particulièrement douloureux : onze matches consécutifs sans l’ombre d’un succès.
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Chapitre IX
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S’annonce maintenant la troisième mi-temps. Cet instant, durable, est au rugby ce qu’est la cerise au gâteau ou le vin à la messe : un moment festif d’allégresse communicative, indissociable des deux mi-temps du match ; un passage obligé avec son banquet, rendez-vous incontournable, son cortège d’accolades, de félicitations, de civilités. Vient ensuite l’aprèscérémonie, où l’on retrouve copains et supporteurs pour ce qu’il est convenu d’appeler désormais l’after. C’est à ce moment que le nœud papillon se dirige irrésistiblement vers la poche intérieure du smoking, que les cigares se vissent aux lèvres, que le regard se fait langoureux et que l’on ne compte plus ni les consommations ni les extravagances. Le banquet officiel de Pays de Galles/France ressemble passablement à ses prédécesseurs, sans ferveur supplémentaire. Nous en sommes les acteurs, dans le plus pur respect de la tradition, mais gardons une figure de circonstance qui masque mal notre bouillonnement intérieur d’être enfin à l’heure de la libération. 103
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Nous, nous avons été conviés, en bonne et due forme, à un bal. Est-ce la conséquence de la défaite qui plonge l’assistance dans la déprime ? Toujours est-il que la réception manque manifestement de chaleur. Trois d’entre nous sont refoulés à l’entrée. Nous ne sommes pas, de toute évidence, tombés chez des gentlemen. Ce soir-là, les princes ne sont pas de Galles… Il ne nous reste donc que notre hôtel, isolé et battu par les vents, pour trinquer à la solennité du moment et reprendre des forces avec un souper très british, avalé sans entrain mais dont nous nous accommodons, en compagnie de quelques supporteurs. Le sémillant Walter et moi sommes assis côte à côte, hébétés, songeurs et, il faut l’avouer, complètement vidés de notre sève. Nous sommes même affalés, dans ce coin perdu et humide, discutant machinalement et nous demandant de quoi sera fait le lendemain. Ce qui devait être une fiesta digne de notre triomphe aura finalement été une fête écourtée, un tantinet indigne. En revanche, les festivités qui suivent, à Paris, sont, elles, grandioses. C’est là que nous prenons véritablement conscience de la portée de l’événement et, pendant quarantehuit heures, la bande de joyeux drilles que nous formons savoure comme il se doit ce Grand Chelem. Nous nous rendons dans tous les quartiers animés de la ville, comme la rue Princesse – rebaptisée « Rue de la Soif » – avec ses boîtes de nuit endiablées dans lesquelles des travestis généreusement dépoitraillés nous font une splendide haie d’honneur, puis chez Tony, tenancier – aujourd’hui disparu – du Sunny Side que nous quittons vers huit heures du matin, le lundi 25 mars. 104
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Nous avions nos habitudes chez Tony. Ce restaurateur bèglais ne faisait jamais de voyage à vide : il avait toujours sur lui son verre, qu’il nichait dans la pochette de sa veste ou dans son tablier. Ce godet avait une particularité : il était dépourvu de pied, ce qui obligeait notre hôte à le vider pour ne pas se tacher. Et pour cela, il ne se faisait pas prier. Tony, à qui il arrivait, au plus fort de la fête, de manger des cigares, était le leader des nuits rugbystiques de la capitale. Là, c’était la fête telle qu’on peut la pratiquer au pays Basque ou dans le Sud-Ouest lors des grandes férias. Nous avions fait de son enseigne notre fief, notre repaire. Élie Cester notamment, qui était le plus souvent derrière le comptoir, disposition qui allait influencer sa future carrière de propriétaire d’établissement – il ouvrira plus tard, à Valence, le Twickenham. Élie est alors un infatigable leveur de coude, aussi vaillant devant les bouteilles que sur le terrain. Le travers n’a pas été constaté par huissier, mais notre camarade a la réputation, lorsqu’il sert à boire, d’en verser autant dans les gobelets que par terre. Benoît Dauga, pour sa part, s’intronise d’autorité « videur de la maison » ou « trieur à l’entrée ». Il ne commet jamais d’erreurs, connaissant trop bien les amis. Élie et Benoît font la paire, ce qui rend Tony songeur. « Qu’est-ce que je dois faire, demande-t-il, narquois, à son cercle de fidèles. Leur céder le bail ou leur faire un prix ? » L’assistance est mélangée. Il y a là, auprès de nous, Antoine Blondin. L’écrivain savoure l’aspect agréable de sa profession : « Je bois en public et je mange en cachette. » Mais on y retrouve aussi les amis journalistes, tels que Jean-Jacques Simmler ou Jean Cormier, redoutables ambassadeurs de L’Équipe et du Parisien ; les gens du milieu artistique, comme 105
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France Gall ou Claude Nougaro ; ceux du sport comme le lutteur Daniel Robin ; les athlètes François Tracanelli, Jacques Accambray, et Arnjolt Beer, lanceur de poids, qui a la particularité de pouvoir poser un verre plein dans le creux de sa clavicule après avoir bandé ses pectoraux. Cette figure insolite recueille les hourras d’une foule d’anonymes aux accents typés du sud de la Loire. Quand nous ne sommes pas chez Tony, c’est que les manœuvres battent leur plein, juste en face, chez Castel où nous sommes accueillis à bras ouverts. C’est bien pratique ! Nous ne risquons pas de nous perdre. Dans ce club select, nous côtoyons le must du Who’s Who, sécurisés par l’impitoyable sélection d’une dame de fer incorruptible derrière sa guérite d’entrée. Car chez Castel, il faut montrer patte blanche. Nous y adoptons donc logiquement une attitude plus réservée que de l’autre côté de la rue, où toutes sortes de délires sont autorisés. Nous passons aussi au Whisky à Gogo, que tient un ancien avant biterrois, et au Birdland, avant de rendre visite à JeanMarie Rivière, maître de l’Alcazar. On est invités partout. Et si d’aventure nous avions décidé de jouer les prolongations à notre retour de Cardiff, nous aurions pu rester une semaine entière à Paris. Inévitablement, la fin de la nuit nous conduit aux Halles, dans ce ventre de Paris illuminé du Pied de Cochon, seul restaurant de taille pour solidifier nos émotions. Bernard Dutin a trouvé un ingénieux subterfuge pour passer à table sans avoir à se déplacer en taxi. Il mange tout simplement les œillets du vase posé sur le comptoir, cadre de l’apéro musclé. Tony termine le plus souvent avec nous au volant de sa superbe torpédo américaine. À la Concorde, Élie Cester, 106
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en proie à une profonde méditation « vinique », marque les mémoires en s’endormant à un feu rouge un peu long ! Se refaire une santé avant le retour sur nos bases respectives n’est pas chose aisée. À Toulon, les célébrités attendent de pied ferme le maire, Maurice Arreck, en tête pour nous souhaiter le welcome. Il y a aussi mes équipiers du RCT et la fanfare. Mais ce jour-là, si une âme charitable n’avait pas pris soin de me réveiller dans mon compartiment, le Grand Chelem se serait achevé à Vintimille, terminus du train… *** Les matches se suivent, et la ferveur demeure. Ainsi, nous nous rendons à l’Alcazar quasiment après chaque rencontre. Ici nous sommes les rois, adoubés par le prince des nuits parisiennes, le regretté Jean-Marie Rivière. Nous participons au spectacle très simplement : nous sommes annoncés au micro. « Nous avons l’immense plaisir de compter avec nous, ce soir, les joueurs de l’équipe de France, je vous demande donc un tonnerre d’applaudissements ». Jean-Marie n’a pas son pareil pour mettre son monde à l’aise et susciter l’hilarité. Ainsi, il présente régulièrement sur la scène le talonneur Bernard Caséris, que l’on peut voir surgir d’une pièce montée géante. Mais le bon docteur (car il est médecin dans le civil) a une autre spécialité : la « Marie », un étrange numéro pratiqué dans les milieux du rugby. Il s’agit de s’attacher une poêle à la taille et de la faire pendre entre les jambes. L’homme est, comme il se doit, nu, badigeonné d’huile ou de moutarde, et attend les incantations de proches. « Marie, Marie, as-tu mal à la tête ? » Réponse chantée du Puciste : « Non, non mon amant, c’est là que j’ai mal. » Il écarte 107
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alors les jambes, autour desquelles est nouée une serviette qui retient une louche ; le mouvement fait levier et c’est ainsi que cette dernière vient cogner avec fracas sur la poêle. Nous concernant, c’est plus soft. Nous montons simplement sur scène où, pendant une demi-heure, on règle notre traditionnel numéro de chants basques et le french cancan que nous dansons en smoking, à la grande joie des clients de ce cabaret typique de la capitale. Certains poussent la chansonnette. Jo Maso est le grand spécialiste de Johnny Hallyday, il a les intonations de l’idole des jeunes. Johnny par Jo, ça vaut le détour. Seule la coupe de cheveux diffère. Pourtant, fort de sa longue toison dorée, Jo pourrait fort bien se faire la banane s’il le voulait. Jean-Louis Bérot emprunte, lui, un registre plus éclectique, allant du répertoire espagnol au blues en passant par le traditionnel (Montagnes Pyrénées et Se Canto). Jean Gachassin est fidèle au jazz, avec ses étonnantes interprétations de Tea for two et Hello Dolly. Enfin, René Bénésis prend place à la batterie et Jean-Claude Noble à la guitare pour rythmer cette allegria qui nous tient jusqu’au petit matin. Il ne manque que le fameux Jules de Gilbert Bécaud au violon… *** Au terme d’un banquet Angleterre-France, au Grand Hôtel, place de l’Opéra, il nous prend l’envie d’aller rendre visite à Marcel Amont en concert à l’Olympia à deux pas de là, sur les Grands Boulevards chers à Yves Montand. Nous arrivons à l’improviste, par l’« entrée des artistes », avant d’apparaître sur scène et de prendre le micro du créateur du Mexicain basané. Marcel devait se dire : « Ils vont me 108
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foutre la soirée en l’air ! » Mais non ! Nous avons su nous attirer la sympathie de la salle, qui a applaudi à tout rompre notre tour de chant et nos pas de danse avec les danseuses qui ont parfaitement joué le jeu. Entrer par les coulisses, prendre le micro d’une vedette reconnue pendant sa représentation et se mettre le public de l’Olympia dans la poche n’est pas courant, vous en conviendrez ! Il faut dire que nos manœuvres sont le fruit d’une insouciance décuplée par l’amitié qui nous lie. Le direct auquel nous devons nous prêter à l’hôtel après une rencontre n’est pas une sinécure, quel que soit l’intervieweur. Ainsi, Léon Zitrone en personne est tombé un soir dans nos filets, et pourtant on ne peut pas nier l’expérience et le charisme de ce personnage de la télévision. Roi des canassons, « Gros Léon » est dépêché cette fois au Lutetia pour rendre compte de l’ambiance d’après-match. On lui subtilise le micro… qu’on ne lui rend pas ! L’homme des cérémonies princières est désarmé. La pipelette des palais devient muette. Il n’aura jamais voix au chapitre auprès de notre troupe de trublions et s’en retournera avec les images de l’un des nôtres pendu au lustre du salon. *** Roi des gags, Jean Gachassin a en effet une manie : s’accrocher, dès qu’il aperçoit un luminaire, au plafond d’un établissement où il se trouve avec ses camarades. Son champ d’action est vaste, allant des restaurants aux hôtels en passant par toutes sortes de bâtiments publics, comme les mairies et les préfectures. Notre huissier prétend que ses 64 kilos (pour 1,62 mètre) sont les plus sûrs garants de sécurité pour l’ensemble de l’équipe 109
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de France. Il a la hantise de l’accident ; d’un plancher qui pourrait s’écrouler sur le passage de nos cubiques avants ou d’un sol rendant l’âme aux premiers pas de danse. Alors il teste, joyeusement suspendu tel un trapéziste exécutant son numéro de voltige. Il « fait le Tarzan », selon sa formule. « Si le plafond tient le coup, je suis rasséréné et j’ai l’assurance que nous allons passer une bonne soirée », prétend-il. Mais les édifices ne sont pas forcément tous aux normes. Le Lourdais a d’ailleurs connu une belle frayeur au SaintVincent, un restaurant ami de la rue de la Croix-Nivert : il s’est retrouvé à terre, les cheveux couverts de plâtre. Heureusement, le patron, Pierre Cambin, proche du XV de France, est un adepte des situations cocasses. N’a-t-on pas vu le long du bar un capitaine de l’équipe d’Angleterre, Peter Robins, passer l’aspirateur dans le plus simple appareil ? L’inénarrable tenancier, originaire de Fleurie-en-Beaujolais, aime traiter ses amis au Château-Talbot, mais il se met en rogne dès qu’il entend un de ses employés proposer un « petit » café ou un « petit » blanc. « Parlez plutôt d’un excellent café, d’un très bon vin blanc, s’égosille-t-il. Pourquoi diable toujours ce “petit” quelque chose ? Lorsque vous êtes auprès d’une dame, allez-vous lui proposer un “petit” orgasme…? » *** Afin de maintenir l’esprit de groupe et de résister à la tentation, j’ai instauré une règle entre nous : rester groupés une bonne partie de la nuit, quelles que soient les représentantes de la gent féminine qui se pâment à nos côtés. Obligation est faite de rester soudés, au moins jusqu’à quatre heures du matin. L’hôtel Louvois, proche de la 110
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Bibliothèque nationale et du Palais-Royal, ne doit en aucun cas ouvrir ses portes avant cette heure honorablement avancée de la nuit. Sur la fin de ma carrière en équipe de France, il faut dire que je possède les clés du système puisque la Fédération m’alloue une somme pour que mes partenaires et moi-même puissions nous éclater sans mettre la main à la poche, dans les boîtes de nuit du Quartier latin. Ce pécule est tout à fait suffisant car les patrons de bar, et Tony en particulier, se montrent à notre égard d’une largesse exceptionnelle. Cette discipline a pour heureux effet de cultiver en permanence l’indispensable esprit de groupe, à l’extérieur comme sur les terrains de rugby. Nous maintenons cette philosophie non seulement dans le cadre du Tournoi des Cinq Nations, mais plus encore dans le cadre des tournées ce qui atténue les risques, nous l’avons vu, lors des pièges qui nous ont été tendus dans les endroits parfois malfamés où nos esprits aventureux risquent toujours de nous conduire. *** Le rugby ne laisse personne indifférent, surtout après un premier Grand Chelem. La liesse passée, il convient de retrouver un peu de sérieux pour un instant solennel : la réception qui nous attend à l’Élysée. Un cousin germain du général de Gaulle, M. Maillot, grand supporteur du XV de France, sert d’intermédiaire. À l’occasion d’un cocktail, nous avons ainsi le plaisir de remettre au Général le ballon du match du Grand Chelem, dédicacé par tous les joueurs. Fier que l’équipe nationale ait réalisé cette première face aux Britanniques, le chef de 111
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l’État est également sensible à ce geste. Il me le confirmera dans un courrier que j’ai conservé pieusement et qui figure dans ce livre. Par la suite, Georges Pompidou, un autre féru de rugby, nous reçoit à son tour. Comme Premier ministre d’abord, et comme président de la République ensuite. De cette journée, je retiens un souvenir assez particulier : M. Pompidou, accroupi sur la pelouse du jardin de l’Élysée tel un grand chef indien, nous offrant des cigares comme si nous fumions le calumet de la paix et nous parlant avec beaucoup d’affection comme le ferait un professeur à ses élèves dans un lycée de province. Je dois également dire que Jacques Chaban-Delmas, alors Premier ministre, était lui aussi très proche de nous, et pas seulement sous prétexte qu’il avait été une fois international. Il nous a reçus deux fois à Matignon. Mais surtout, il a été le seul homme politique d’envergure de l’histoire à participer en notre compagnie à l’échauffement d’avant-match dans les vestiaires de Colombes. Deux de ses proches collaborateurs tenaient son manteau et sa veste tandis que, en bras de chemise, notre Premier ministre s’échauffait avec nous… Il s’est prêté au jeu pendant quelques minutes avant de gagner la tribune officielle. Par la suite, après avoir mis un terme à ma carrière, je me suis à mon tour retrouvé dans cette tribune en tant que sélectionneur et il m’est arrivé d’y rencontrer M. Chaban-Delmas. Il ne ratait jamais l’occasion d’évoquer le bon temps. Un jour, au parc des Princes, alors que nous nous étions échappés pour assouvir des besoins naturels, Jacques, qui se retrouve debout à côté de moi, me glisse : « Tu te souviens Christian, quand je m’échauffais avec vous ; c’était une belle époque… » 112
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Souvenirs ! Souvenirs !… Trente plus tard, à l’occasion d’un autre Grand Chelem, en 1998 à Wembley, mes camarades de 68 et moi nous retrouvons comme au premier jour. Manque à l’appel Jean-Claude Noble, qui nous a quittés. Toute la nuit, nous avons bu à la santé de notre copain pilier… Les « soixante-huitards » enrobés que nous étions devenus ont alors eu l’occasion de croiser le chemin d’un homme qui n’aurait pas dépareillé dans la troupe : Michel Palmier, exdeuxième ligne et exécuteur des hautes œuvres sous l’empire de Jacques Fouroux. Une sorte de maréchal Ney du rugby. Un « brave des braves » incapable de tracer une frontière entre la nuit et le jour. Le Biterrois siège à présent au bureau fédéral. Mais surtout, il s’enorgueillit du titre d’« officier de bouche ». Aux plus courageux d’entre nous, il propose quelques gouttes d’armagnac à l’heure du breakfast, que nous refusons. Ce n’est plus de notre âge…
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Voir le nom de son club inscrit sur le socle, très gaulois, du bouclier de Brennus ; le brandir devant ses supporteurs au milieu des feux de Bengale ; le porter pieusement, épuisé et heureux, à travers la capitale : tel est le rêve de tout joueur de rugby de ma génération, qui reste à jamais frustrée de n’avoir pas eu la chance de connaître la coupe du Monde, ce fameux trophée William Webb Ellis, sorti de l’esprit imaginatif, bouillonnant et novateur d’Albert Ferrasse. C’est d’ailleurs un comble de considérer que c’est Ferrasse, personnalité historique de notre sport (que j’admire au plus haut point), qui a gâché les meilleures années de ma carrière de rugbyman en me collant une deuxième licence rouge en 1971, pour une mutation annulée au dernier moment à Tarbes où il avait été question que je prenne un complexe touristico-sportif. Mais au dernier moment, après mûre réflexion, j’ai préféré faire marche arrière, rester fidèle au RCT et relever le défi toulonnais avec quelques anciens et de nombreux jeunes. Seuls les abrutis ne changent pas d’avis ! 115
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Cependant, j’étais mal placé pour l’expliquer et manquais d’arguments objectifs pour convaincre la commission des mutations. À l’époque, il n’était pas question d’annuler une mutation annoncée, et la commission se montrait stricte voire impitoyable, allant jusqu’à me suspecter de « marchandage » et d’« amateurisme marron ». En me privant d’équipe de France, « Tonton » m’a poussé vers la sortie. J’avais alors 27 ans et je crois n’avoir plus jamais été aussi fort par la suite. Cette décision est d’autant plus dure à avaler que le club se déchire alors en deux camps : celui des carreristes et celui des herreristes, derrière André Herrero. Aldo Gruarin, mon fidèle compagnon, arrive cependant à trouver les mots pour me dissuader de changer d’horizon. Le club éclate et la « Gruche » sait bien que la saignée s’est amorcée depuis l’intersaison de 1971 et que la majorité de l’équipe se rallie au panache de Herrero. Mais cette guerre interne me coûte. « T’as pas le droit de te défiler, on n’est plus que quatre : Labouré, Laborde, toi et moi. Reste ! On va rebâtir. Y’a le potentiel ! » Aldo disait vrai : l’année suivante, nous sommes demi-finalistes, sortis par Béziers (19-6). J’ai donc espéré jusqu’au bout une consécration nationale. Ce titre aurait constitué le joyau de notre palmarès, et aurait rehaussé avec éclat le récit de nos exploits, qui se borneront désormais à la rébellion de Johannesburg ou aux chants d’adieux de l’Eden. Me voilà réduit à expliquer à mon fils Laurent qu’une tenace malédiction nous poursuit… Car en rugby comme partout ailleurs, les tablettes ont toujours raison. Le 16 juin 1968, au Stadium de Toulouse, en présence de 28 526 spectateurs payants, sous une pluie fine en fin de 116
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match et avec Charles Durand au sifflet, le FC Lourdes et le RC Toulon n’ont-ils pas fait match nul 9-9, après avoir atteint la marque de 6-0 à la mi-temps et de 6-6 à la fin du temps réglementaire ? Mais en raison du départ en tournée – et des « événements » n’ayant rien à voir avec le sport, si ce n’est quelques sprints disputés entre étudiants et CRS –, Lourdes triomphe finalement bien, au bénéfice des essais (deux à zéro), nous faisant entrer dans les curiosités de l’histoire du rugby comme l’unique équipe à être battue sans avoir connu une seule défaite sur le terrain. Depuis les débuts du championnat, en 1872, pareille injustice n’avait jamais eu lieu. On rejouait en effet, comme Castres et Mont-de-Marsan en 1949 : 3-3 et 14-3. Le 16 mai 1971, au Parc municipal de Bordeaux, devant 25 737 spectateurs payants, par temps pluvieux et sous l’autorité de Michel Dubernet, l’AS Béziers n’a-t-il pas bien battu le RC Toulon 15-9, après avoir atteint le repos sur le score de 6-6 et la fin du temps réglementaire sur celui de 9-9 ? Peuton imaginer plus noire malchance ? La victoire de Tarbes sur Dax (18-12), pour le sacre de 1973, ne fera qu’aviver mes regrets, éternels. *** Première jouée sous la coupe d’Albert Ferrasse, fraîchement intronisé pour un long règne à la tête de la FFR, la finale contre Lourdes est placée sous le signe de la revanche de l’année 1948 quand les troupes de Jean Prat l’avaient emporté 11-3. Notre victoire en Grand Chelem donne à cette ultime joute une solennité de bon aloi, et mon affrontement avec Michel Crauste, mon idole, fait le régal des journalistes. 117
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Cumulant les casquettes de capitaine et d’entraîneur, André Herrero emmène notre formation dont la puissance du paquet d’avants et la botte de notre arrière, Bernard Labouré, constituent nos plus sûrs atouts dans cette confrontation pour laquelle les Lourdais sont favoris. Il est vrai que leurs lignes arrières, guidées par le brio d’un Jean Gachassin, ont acquis leurs lettres de noblesse. Les observateurs, pour leur part, s’amusent de voir le leader du XV de France sous les ordres d’un autre. Les hostilités s’engagent mal. Crauste fait la loi en touches longues, dans une position au-delà du verrouilleur, et alimente les arrières bigourdans. L’affrontement est farouche dans les regroupements, mais notre jeu ne peut véritablement se mettre en place. Les buteurs ne sont pas dans un bon jour. Est-ce l’enjeu ou l’humidité laissée par une pluie qui a cessé une heure du coup d’envoi ? Gachassin inaugure enfin le score sur un drop avant que Latanne profite d’un moment d’égarement pour marquer, juste avant la mi-temps (6-0). Nous gardons tout de même confiance, persuadés que notre force de perforation va payer. Une mêlée enfoncée à une vingtaine de mètres me fait, enfin, trouver l’ouverture. Un raffut et une percussion, épaule basse et impact sur la poitrine, m’envoient derrière la ligne, mais Charles Durand refuse l’essai. Pourtant, ma progression était correcte, sans brutalité et sans obstruction. Comme une catastrophe n’arrive jamais seule, je m’offre un claquage quelques instants plus tard. Jean-Pierre Mouysset se voit également frappé par la malchance, sous forme d’entorse du genou. Dès lors, avec six valides seulement dans le paquet, le combat devient inégal et nous ne pouvons empêcher Latanne de s’échapper à nouveau. 118
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Louis Irastorza a beau « égaliser » grâce à un drop à la… 91 minute, Lourdes est déclaré champion pour la huitième fois. Michel Crauste peut honorer son pari de se couper les bacchantes, tandis que nous méditons sur la décision d’un homme qui arbitrait sa troisième finale en… dix-huit ans. e
*** Une tempête s’annonce à Bordeaux. André Herrero, héros varois qui ressemble comme un frère au célèbre capitaine Troy, de la série télévisée Aventures dans les îles, tient bon la barre, comme pourrait le dire la chanson d’Hughes Aufray : « Hissez haut, An-dré Her-re-ro ! » Quant à moi, simple marin, je m’efforce de garder la foi, en dépit de divergences d’opinion sur le style et les tactiques de jeu qui m’opposent à lui. Mais André affectionne plus que tout le gros temps, comme d’ailleurs l’ensemble de ses corsaires, revanchards et mobilisés, déterminés à monter à l’assaut de l’esquif biterrois sur le pont duquel un mousse de 22 ans, Richard Astre, doit se charger de la distribution des ballons au sein d’un ensemble éclatant de jeunesse. Les chances sont de notre côté… J’y crois donc encore. Comme prévu il pleut, mais le public est chauffé à blanc. Est-ce dû aux échantillons distribués aux portes du stade par l’Association de la propagande pour le vin qui ont rendu les spectateurs électriques ? Et le speaker, un brin pompette, de lancer au micro : « En buvant du vin de nos coteaux, l’ASB arrivera aux poteaux… » Sa voix tannique n’atteint toutefois pas les vestiaires où nous faisons corps autour de notre capitaine barbu, motivés à l’extrême. Les traits de mes coéquipiers flibustiers rassurent, 119
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leurs épaules plus encore. Que pourrait-il arriver de fâcheux quand on compte dans ses rangs des gaillards tels qu’André et Daniel Herrero, Michel Sappa, Daniel Hache, Jean-Claude Ballatore, Noël Vadella et Aldo Gruarin ? Je me le demande. Les hostilités s’engagent, intenses. Nous dominons dans les airs, grâce aux prises en touches du duo Sappa-Hache, mais sommes contrés au sol par l’enthousiasme et la hardiesse des frères Buonomo et surtout d’Armand Vaquerin. Ce pilier, qui entrera rapidement dans la légende, finira par se brûler la cervelle, un petit matin blafard, dans une partie de roulette russe. Le match est tendu. Coups de poing et pénalités alternent. André Herrero sert une première fois de cible à la furia languedocienne : il reste au sol, touché à la tête. Soigné, il revient avant d’être une nouvelle fois victime d’un accident : une agression née d’un crochet de Michel Sappa à Jean-Pierre Hortoland. La houleuse mêlée ouverte qui suit lui est fatale. Le voilà allongé, se tordant de douleur. La civière arrive. Les explications se succèdent. Électriques et orageuses. Les poings se serrent. Daniel, son cadet, verse des larmes de colère. L’amiral sort peu après et reviendra après la pause, ombre de lui-même, la poitrine bandée. Cependant, nous préservons l’essentiel : une petite encolure d’avance, 9-6, alors que la fin de rencontre approche. On croit être déjà dans les arrêts de jeu (il reste, en fait, quatre minutes à jouer) lorsque survient le coup de pied en profondeur de Louis Irastorza. Celui-ci est cerné et, au lieu de taper directement en touche comme le règlement l’y autorise alors, il envoie un long coup de pied. L’ogive est complice, presque amicale pour Béziers. Il nous expliquera plus tard qu’il a pivoté, 120
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déséquilibré avant l’impact, et a perdu le contrôle de la trajectoire du ballon. À cet instant, un éclair me traverse l’esprit : pourquoi donc André a-t-il usé de son influence pour aligner ce joueur, alors que nous avions sur le banc de touche Coco Laborde, un international bien plus capable de maîtriser l’événement ? En alerte, Jack Cantoni ne rate pas ce cadeau qui lui tombe du ciel. Et dire que deux minutes auparavant il était venu me féliciter et me dire : « Ça va. Vous avez gagné ! Vous êtes les plus forts ! » De son poste d’arrière et pratiquement sur sa ligne, « Canto » traverse la partie gauche du terrain et mystifie notre défense. Il ne court pas, il vole, échappant à trois défenseurs avant de trouver sur sa route un Roger Fabien campé sur ses cannes de justicier, qui le gratifie d’une cravate et le fait exploser. Hélas, le démon a le temps de passer le ballon à René Séguier, avant de s’affaler. Mais le match est perdu. L’ailier pointe dans l’en-but. Les prolongations se profilent avec un André à l’agonie. La jeunesse triomphe : 15 à 9. Richard Astre peut s’attarder auprès des siens, signer des maillots et embrasser ses admiratrices, au point d’être oublié par son car de joueurs. Sans rancune, je l’invite à monter dans le nôtre. *** Comment a-t-on pu faire un tel cadeau à « Belzébuth » Cantoni ? A-t-on le droit d’être aussi naïf à un moment aussi déterminant ? Je m’accroche donc au mot du poète philosophe : « Plus le malheur est grand, plus il est grand de vivre. » 121
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Ultime sentinelle, Roger Fabien a cru bien faire en armant une manchette pour « décapiter » un Jack fièrement lancé en contre-attaque, à une cinquantaine de mètres de notre ligne. Intercepté en pleine accélération, Canto est d’ailleurs resté dans les vapes de longues minutes. Il n’a pas vu l’essai de notre Séguier, qui remettait les siens en selle in extremis. « J’étais persuadé qu’il allait pointer au milieu des poteaux, m’expliqua mon infortuné coéquipier. Je me suis alors dit que l’arbitre allait sanctionner la faute par une pénalité. Un moindre mal, compte tenu de l’endroit éloigné, peu propice à une transformation. La faute permettait à la situation de rester sauve. » Ce raisonnement est d’autant plus recevable qu’il est on ne peut plus logique. Mais l’arbitre, Michel Dubernet, en a décidé autrement. Il a préféré laisser jouer l’avantage alors qu’il y avait brutalité avérée qui ne demandait qu’à être sanctionnée… sur-le-champ. *** Qui a ébranlé André d’un coup de sabot assassin ? Qui a frappé le chef et l’âme de la meute d’avants ? Qui a touché au boss ? Qui a levé la main sur le parrain ? Voilà des questions qui entretiendront éternellement la légende du rugby, aussi sûrement que l’agression fatale aux bourses du capitaine Wayne Shelford, suite à un coup de crampons qui nécessita la pose d’une trentaine de points de micro-suture au terme de France - Nouvelle-Zélande, en 1986, à Nantes. Alain Estève ? Olivier Saïsset ? Georges Senal ? L’omerta persiste. On ne le saura jamais. Mais Estève, dont le nom est le plus souvent évoqué eu égard à sa force brutale, m’a certifié au cours de la tournée qui a suivi en Afrique du Sud 122
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qu’il n’avait rien à voir dans cette affaire. D’ailleurs, il a une idée bien arrêtée sur la question : « Je suis en possession d’une vidéo. On y voit clairement le coupable. C’est Daniel, le frère d’André, qui file le coup de pompe », juret-il ses grands dieux. Jack Cantoni est tout aussi formel : « J’ai toujours dit dans cette affaire que les Toulonnais feraient bien de regarder autour d’eux. Si c’était un Biterrois, ça se serait su autour de la cathédrale. Un joueur aurait été trop content de se vanter d’avoir mis hors de combat l’homme de tous les dangers. C’est comme ça, chez nous ! » Peut-on le croire, alors qu’André est formel ? « Je suis plaqué par Vaquerin. Je tombe. On me taxe d’un pointu. J’ai eu l’occasion de cerner, sous le sceau de la prescription, Olivier Saïsset et sa réponse a été négative. Quant aux bruits selon lesquels il pourrait s’agir de mon frère, ce n’est pas possible : Daniel se battait avec celui qui m’a frappé. Il ne se rappelle pas qui, hélas ! La seule certitude que j’ai, c’est que cette année-là, tous les adversaires de Béziers, depuis les seizièmes de finale, ont terminé leur match à quatorze. Curieuse coïncidence, non ? »
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Aussi vrai que la musique adoucit les mœurs, la chasse est prétexte à des rencontres souvent déterminantes. Ce n’est pas par hasard que de nombreuses sociétés investissent dans des actions, onéreuses et chic, afin de faciliter les contacts et relations professionnelles sur le thème du poil, de la plume et de la convivialité. La Sologne pour le petit gibier, et la Marne et la HauteMarne pour le gros, constituent les destinations les plus prisées de l’aristocratie du fusil avec, bien sûr, la forêt de Rambouillet dans laquelle la société Ricard a, si je puis dire, « pignon sur rue ». Le monde du rugby apprécie au plus haut point, lui aussi, ces parties de chasse où l’on saucissonne entre deux traques, comme aux beaux jours du stade de Colombes, les samedis matins brumeux de Tournoi résonnant du bruit des bouchons et du claquement des lames de Laguiole sur leur manche. Là, sur le parking du vieux stade Yves du Manoir, le fantaisiste Moustache, l’écrivain Françoise Sagan ou le comédien 125
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Robert Dhéry – interprète et réalisateur du film Allez France, qui stigmatise si bien les virées de supporteurs d’outreManche –, donnent généralement le coup d’envoi des festivités. Ici, à l’ombre des tilleuls et des chênes, autour du château de La Voisine, les chefs d’entreprise et les personnalités les plus variées sont les acteurs de journées solidement remplies qui commencent, la crosse en main, autour d’une table, pour commenter l’actualité. Auprès du président Albert Ferrasse, il ne peut être question que de rugby et de chasse. Parfois des deux et, à l’occasion, de parties de belote, car Tonton pousse les brèmes quotidiennement avec son ami, Guy Basquet, dans leur bistro d’Agen… Les deux compères sont alors inséparables et profitent d’une partie en forêt pour me demander, lors du dîner au château, si l’équipe de France ne pourrait pas venir s’entraîner à La Voisine. Désireuse de récupérer pour ses cadres ses installations mises à disposition du rugby, la société Shell vient de faire savoir qu’elle ne logerait plus le XV de France à Rueil-Malmaison. Cette proposition m’enthousiasme, et je n’ai aucun mal à la faire accepter par mon président. Voilà comment je me rapproche d’Albert Ferrasse, l’homme qui avait été à l’origine de mes malheurs de joueur. Et, sans m’en douter, je suis en train de faire un pas vers une aventure fédérale. *** Grâce au château, véritable symbole de mes années Ricard, je garde un contact étroit et affectif avec le rugby. Le noble édifice – un ancien rendez-vous de chasse du XVIe siècle qui 126
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a, paraît-il, abrité François Ier – me replonge dans la préparation des matches et me fait toucher du doigt les inévitables évolutions du rugby. Accueillir les nouveaux dans leur délicieuse insouciance, réconforter les bileux, conseiller les indécis et créer convivialité et chaleur au plus fort des frimas du Tournoi constitue notre lot quotidien, à Benoît et à moi. C’est passionnant. Heureusement, la cravate club nous rappelle que nous avons passé la main. Certains jours, on serait bien volontiers allé toucher le cuir quelques minutes, ne serait-ce qu’avec nos copains du Bataillon de Joinville ou ceux de l’AS de la préfecture de police qui, régulièrement, font le déplacement à Clairefontaine. C’est alors qu’ont commencé vingt et une années de bonheur parfait auprès des XV de France successifs, dont les deux grands frères que nous sommes suivent, de près, les évolutions. Benoît et moi sommes là pour entourer les joueurs, veiller à leur bien-être et régler leurs problèmes. Parfois, nous devons également éviter qu’ils fassent trop de conneries… Car il faut une bonne dose d’humour et d’habileté pour que certaines situations baroques du temps de Jacques Fouroux ne dégénèrent pas. Maître du boniment et de la dérision, le capitaine puis entraîneur du XV de France éclabousse nos murs. La personnalité floue de cet illusionniste marque une époque, bien au-delà de nos frontières. Il est hors normes, à l’image de la célébration de ses obsèques où toute une ville, Auch, est interdite à la circulation. Mais je n’ai personnellement jamais su exactement quelle est la part de sincérité dans les propos dont il inonde son auditoire, avec une autorité bien affirmée. Cette parenthèse s’imposait. 127
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Au château, nos carrières de joueurs ne nous donnent aucun passe-droit. Nous sommes conscients de ne devoir absolument pas intervenir sur le plan technique et sportif. Nous sommes là au service de l’équipe de France, fiers et honorés d’apporter notre expérience à nos jeunes successeurs. Cette fonction d’hôte ne souffre le moindre écart de conduite. Et ce d’autant plus qu’à une époque nous devenons même les sélectionneurs des joueurs que nous accueillons ! Notre fierté est surtout d’avoir toujours su rester à nos places, sans mélanger nos activités professionnelles dans la société et avec les responsabilités fédérales que nous avons acceptées. Cette rigueur n’a pas que des inconvénients. Elle nous permet de passer quelques instants mémorables dans le saint des saints, sous les trophées d’animaux. Nous prenons nos repas (1 600 sont servis dans l’année pour le seul rugby), près des joueurs, mais les partageons souvent avec les dirigeants qui font preuve d’une aisance incroyable pour passer du coq à l’âne entre le fromage et le dessert, c’est-à-dire de l’actualité du match qui s’annonce le samedi aux « petites affaires fédérales entre amis ». Le climat change quand s’annonce l’omnipotent Albert Ferrasse. Là, il est préférable d’éviter les sujets qui fâchent car on ne badine pas avec la table. Chaque chose en son temps. Inconditionnel de Darroze, le président vous dira que « contrairement à une idée répandue, il n’a jamais été un gros mangeur », mais il ne résistera pas au plaisir de vous réciter le menu servi au banquet de France-Écosse, le 1er janvier 1913 : Consommé Rachel, Barquette à la Lyonnaise, Cœur de filet Monte-Carlo, Ris de veau châtelaine au Sherry-Brandy, Chapon de La Flèche à la broche, 128
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Foie gras truffé, Haricots verts au beurre d’Isigny, Biscuit glacé Opéra, Gâteau Palais d’Orsay et Desserts », le tout arrosé de « Madère, Médoc, Graves, Saint-Julien, Beaune, Champagne, Café et Liqueurs. » Nous avons ainsi vu se mêler des générations de gaillards portant hardiment le survêtement, les anciens joueurs en blazer à l’embonpoint naissant et aux tempes enneigées, les dirigeants s’attardant cigare au bec et armagnac à la main. Tour à tour président du comité d’Île-de-France, secrétaire général et président « provisoire », Bernard Lapasset fait partie de ces convives qui ont honoré la salle à manger du château et les plats mitonnés par Jean, notre cuisinier. S’il est un fin gourmet, il déguste davantage qu’il ne fait bonne chère. Tout en nuances… Il en va de même de ses propos : mesurés, jamais subversifs. Ce Bigourdan, mon pays, qui a établi ses quartiers à Luyt, sort incontestablement de l’ordinaire. Je vois chez cet homme, ancien deuxième ligne juniors de qualité, N.2 des Douanes, les vertus pour reprendre le flambeau d’Albert Ferrasse, au soutien duquel je me porte en 1987, quelques banquets avant qu’il ne décide de mettre un terme à son long règne. *** Le désordre fédéral s’installe dès la fin des années 80. Héritier présumé, l’ancien capitaine devenu secrétaire général, Jacques Fouroux, fait à son habitude feu de tout bois. Ex-leader national, Jean Fabre, plein d’ambitions, rêve aussi du trône et le déclare. Pilier de grande influence, Robert Paparemborde, tel un ours de nos chères Pyrénées, sort des bois. 129
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L’ambiance est délétère. Le Gascon Fouroux intrigue. Le Toulousain Fabre initie une procédure de référés. Le Béarnais Paparemborde remonte en première ligne et se porte à son tour candidat. Le 26 janvier 1991, l’assemblée générale met fin au comité directeur par 6 580 voix contre 10. Le 13 avril suivant, au stade Géo André à Paris, deux listes se retrouvent face à face : Ferrasse et Fabre ont décidé de s’unir contre Paparemborde. Ils sont convenus qu’Albert présiderait la FFR jusqu’à la coupe du Monde de 1991 et que le relais serait ensuite passé à Fabre. Aux côtés de Walter Spanghero, de l’influent Guy Basquet, ancien président du comité de sélection, et de Serge Méricq, président de l’amicale des anciens internationaux, nous nous mettons en devoir de sillonner la France (Perpignan, Valence, Clermont-Ferrand et Lyon) pour porter la bonne parole en vue du jour J. Un bel hommage m’y est servi, qui gomme une partie de mes déceptions passées. J’arrive en effet en tête des votants avec 3 710 voix, devant Jo Maso du courant Paparemborde, (3 674) et Claude Dourthe (3 599). Viennent ensuite Fabre (3 593), Palmié (3 583), Piqué (3 578), Paparemborde (3 577), Crauste (3 520), Domercq (3 486), Sénégas (3 471), Martin (3 467), Labro (3 462), Rives (3 461), Hourquet (3 446), Paul (3 389), Maurette (3 384), Ferrasse (3 378), Désert (3 367), Lamonica et Lapasset (3 354), Laurens (3 353), Coudert (3 333), Goze (3 331), Gosse (3 323), Lesbats (3 300), Ferragu (3 295), Laporte (3 289), Talmier (3 279), Marty (3 275), Natali (3 267), Courade (3 263), Grenet (3 257), Garuet (3 253), Noé (3 245) et Guibert (3 239). Sont notamment battus Alain Moga (3 061) et Guy Basquet (2 923). 130
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Le 27 avril, je fais donc mon apparition officielle au sein du Bureau composé de la façon suivante : Ferrasse (président), Fabre (vice-président délégué), Gosse, Guibert, Lesbats, Martin, Paparemborde et moi-même (vice-présidents), Lapasset (secrétaire général), Palmié (secrétaire adjoint), Talmier (trésorier général), Goze (trésorier adjoint). Le calme serait-il revenu ? Non point ! Jean Fabre montre des signes d’impatience et d’autoritarisme. Il se met en tête de virer Paparemborde et Martin. Mais aussi – bien plus grave – Gaston Lesbats, baron du pouvoir, et Bernard Lapasset, expert des rouages administratifs et politiques de la FFR. Suprême erreur ! Fort irrité, Albert Ferrasse rédigera sa lettre de démission le 13 décembre suivant. *** Albert Ferrasse est un homme de bon sens avant d’être un as des mathématiques. Il n’a jamais caché que je serais l’homme le plus à même de prendre sa succession, car « le seul à faire l’unanimité », bien davantage pour des raisons humaines que par respect des chiffres. La présidence ? Un tel cas de figure ne peut m’effleurer l’esprit car j’ai ma propre idée sur la question. Ainsi donc, je prends mon téléphone et appelle Bernard Lapasset pour le convier à déjeuner dans le Club Ricard, à côté des ChampsÉlysées. À table, je mets le paquet : « Il faut que tu succèdes à Tonton. » Bernard n’est pas chaud. Le contexte le préoccupe. Il prétend qu’il est délicat de prétendre à ce poste quand « on n’a jamais été international ». Je lui fais remarquer que Ferrasse 131
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non plus. « Oui, mais il a été champion de France en 1945, avec Agen, et a même arbitré une finale de championnat, Mont-de-Marsan – Racing Club de France, en 1959. » Mon invité me fait alors comprendre qu’il a besoin de « légitimité et de la caution d’internationaux ». Ce que je n’hésite pas à lui promettre : « Tous les anciens, à l’exception de Maso et de Palmié, partis avec les autres, seront à tes côtés. » Pour ébranler ses dernières hésitations, j’avance cet argument massue : « Si tu ne t’engages pas dans le dispositif, la guerre sera longue. » Sensible aux conséquences de ce scénario catastrophe, Bernard accepte enfin, à une condition : que cette démarche s’inscrive dans une dimension de soutien en vue de la réhabilitation d’Albert, accusé d’omnipotence et de totalitarisme par ses opposants pendant ses présidences. Ce disant, Bernard Lapasset fait d’une pierre deux heureux : Albert et Albert. Son père, inspecteur des Douanes qui fut à la tête d’une commission fédérale, et « notre » bon vieux président, dans nos cœurs pour l’éternité. Bernard obtient le soutien de nombreux ferrassiens et du groupe Paparemborde. Ça sent le roussi pour Jean Fabre. Et, rapidement, on comprend que ce dernier se soit brûlé en plein envol. Le 14 décembre, Bernard Lapasset obtient vingt et une voix, Jean Fabre dix, Robert Paparemborde trois, et moi une. Les dés sont jetés. Bernard est élu président, au premier tour, à la majorité absolue. Il saura toujours se montrer grand seigneur, et a l’élégance de répéter que je l’ai « poussé à la présidence ». Merci ! *** 132
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Expérience oblige, le secteur communication et partenariat m’est confié, en même temps que la direction du magazine fédéral Rugby Mag et, en prime, une place au comité de sélection où je siège en compagnie de Jacques Fouroux, Jean-Pierre Romeu, Henri Fourès, Roland Bertranne, Yves Noé, Jean-Pierre Bastiat et Aldo Gruarin. L’ensemble de ces casquettes m’amène à faire la « tournée des popotes », un exercice qui m’est familier dans le cadre de mes attributions professionnelles. Parfois, le président Ferrasse nous accompagne, Bernard et moi, au titre de l’honorariat. Nous le consultons, sachant que le recul opéré n’a en rien changé l’Agenais. Il reste imperturbable même en situation d’urgence. Ainsi, un jour, à Toulouse, nous apprenons du manager André Herrero que les joueurs de l’équipe de France veulent faire sécession vis-à-vis de lui, car ils trouvent leur contingent d’invitations insuffisant. Informé de l’affaire, Albert Ferrasse n’y va pas par quatre chemins. « Eh bé, s’emportet-il, si c’est comme cela, on n’a qu’à mettre tous les joueurs à la porte et appeler l’équipe “A”. Eux, ils seront bien contents de jouer. Que croient-ils ? Qu’on va se gêner ? Qu’ils sont indispensables ? » Albert Ferrasse aurait sacrifié la réputation sportive d’une équipe au nom de l’honneur et de la discipline. Nous en restons cois de stupéfaction. Comment peut-on faire preuve d’un tel angélisme et de fermeté à la fois ? Notre « Tonton flingueur » n’a pas compris que les temps ont changé depuis ce 22 juin 1968 où il avait lancé à son camarade Batigne : « Marcel, nous ne sommes pas du tout d’accord avec ta façon de présider la Fédération, nous esti133
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mons que tu dois passer la main. C’est moi qui vais te remplacer… » L’élu s’était alors éclipsé devant le jeune frondeur de 51 ans. *** Les responsabilités fédérales et professionnelles peuvent, parfois, se croiser. J’en veux pour preuve cet incident à la veille du quart de finale de la coupe du Monde de rugby qui devait opposer, le 19 octobre 1991, la France à l’Angleterre dans son arène fétiche du Parc des Princes. Au château, Benoît m’appelle de toute urgence : « Viens vite ! Je ne sais pas quoi faire. Les joueurs veulent se mettre en grève ! » Presque aussi vite que notre camarade ailier Patrick Estève, surnommé « TGV », je rapplique et analyse la gravité de la situation : les joueurs menacent effectivement de ne pas jouer. Que faire ? Bernard Lapasset, à qui j’en réfère immédiatement, me dit : « Écoute, il faut absolument que tu parlementes. Négocie une trêve. » Un joueur, charmant et bien élevé au demeurant, est le porte-parole en même temps, semble-t-il, que l’initiateur. Il vient de monter une exploitation et a fait imprimer des tee-shirts à l’effigie des joueurs de l’équipe de France. Ces derniers réclament, tout simplement, une prime correspondant au droit à l’image. Je parlemente, j’arrondis les angles, gagne du temps, donne des assurances. Le lendemain, c’est l’hallali au Parc. D’entrée de jeu, Serge Blanco est agressé au nom d’une volonté tactique. Il réplique inconsidérément. Le XV de France est piétiné. L’équipe de France perd son sang-froid, la tête, la face et le match : 19-10. L’entraîneur Daniel Dubroca lui-même, dans 134
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le couloir d’accès au vestiaire, s’en prend à l’arbitre néo-zélandais David Bishop, le secouant par le col comme un prunier. Déformation professionnelle ? Le brave Daniel est agriculteur. Il cultive les pommes à Sainte-Bazeille et en temps normal n’a pas, disons-le, le moindre fond de méchanceté. *** L’année suivante, le 11 décembre, je démissionne officiellement de mon poste de vice-président, tout en conservant mon mandat d’élu. Les dossiers sont devenus lourds, surtout dans leur aspect commercial. Je préfère m’effacer devant Robert Natali, un ancien deuxième ligne, plus au contact des réalités du terrain. Directeur de la communication et des relations publiques France, responsable du mécénat et de l’Espace culturel Paul Ricard, j’ai suffisamment de grain à moudre dans ma carrière et il n’est pas dans mon habitude de chasser deux, voire trois lièvres à la fois : ma société, la FFR et l’équipe de France. Combien de fois étais-je en effet reparti, à la première heure le samedi matin, pour suivre le match en famille devant mon téléviseur, faisant fi de la semaine passée dans l’intimité des joueurs ? Les gens comprenaient mal que je puisse m’échapper au dernier moment, avec le sentiment du devoir accompli. Il est grand temps de cesser d’accumuler les activités. Ricard l’emporte.
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Chapitre XII
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L’expérience de Monsieur Rugby m’a, naturellement, familiarisé avec les micros pour analyser les matches, ce qui me permettait de passer aisément du rugby des villes au rugby des champs avec l’impression de suivre une cure de rajeunissement. Ce retour aux sources m’excite et m’enivre, me rappelant nos escapades, en décapotable, avec Pipiou Dupuy. Souhaitant dénicher un consultant, Radio Monte-Carlo est la première à m’approcher, dans les années 80, pour succéder à Guy et Lilian Camberabero. J’ai ainsi eu le privilège de travailler six années auprès de Didier Beaune que j’ai gentiment surnommé « Monsieur Scoumoune », référence à tous les malheurs qui le frappent intempestivement. Une troupe de journalistes sur qui s’acharnerait le sort ne connaîtrait pas tout ce qu’il a vécu. Combien de doigts a-t-il coincés dans les portes des vestiaires ? Au coup de sifflet final, l’horloge n’est pas notre alliée et nous sommes, bien évidemment, tenus par le temps pour expédier le plus rapidement possible les interviews des joueurs. Il n’est pas 137
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toujours facile de respecter le timing. Surtout à l’extérieur. D’où une nervosité inhabituelle chez beaucoup d’entre nous, et en particulier chez Didier. Je me souviens notamment de mon ami excédé et vociférant à Twickenham, face à un solide policeman, inamovible cerbère de marbre devant nos prières. Il refuse absolument de nous laisser passer pour nous rendre dans les vestiaires. Mon ami Beaune, qui est aussi du genre costaud – il évoluait parfois en qualité de pilier dans l’équipe de la presse et avait gagné de la part de ses pairs le surnom, affectueux, de « Bon Beaune » – a du mal à contenir sa surexcitation. Et plutôt que de gratifier le représentant de l’ordre d’un bon direct, il choisit la porte vitrée devant laquelle se trouve le bobby. Hélas, elle aussi s’est sournoisement inscrite au rang des ennemis de la délégation française, et le pauvre Didier s’éclate la main… Certes, Didier peut se montrer sanguin, mais il demeure attachant, appréciant les moments de détente et de complicité que nous aimons partager. Fût-ce la veille d’un match du Tournoi des Cinq Nations. Nous avons nos repères et nos habitudes. Ainsi, à Murrayfield, il est de tradition d’aller dîner au Preston Field House, un restaurant installé dans les entrailles d’un château situé à la périphérie d’Édimbourg, qui propose une cuisine écossaise avec, notamment, ce fameux haggis (de la panse de brebis farcie généreusement arrosée de whisky). Le repas terminé et les papilles agacées par l’alcool national, nous montons à l’étage où des danses folkloriques sont l’occasion de boire un dernier verre. Sachant que ce dernier en appelle souvent un autre dernier qui sonne le moment du départ. 138
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Un de ces soirs quasi rituels, nous tombons sur un couple. Elle, française, et lui, enfant pur jus du Chardon, grand amateur et collectionneur de (rares) whiskies, qui nous invitent à prendre le last en leur demeure. Nous en dégustons, en fait, une dizaine, avant que Didier ne porte un regard à sa montre : il est trois heures, soit un tour de cadran avant le coup d’envoi. Charmés, mais surtout grisés, nous prenons congé en oubliant d’échanger les élémentaires coordonnées pour remerciements, et surtout sans appeler un taxi pour nous ramener à l’hôtel. Nous pensons pouvoir en héler un dans la minute, chemin faisant. Cette imprudence nous coûte une heure de marche dont le rythme eût fait pâlir mon militaire de père. Titubant le plus clair du temps, l’esprit aussi embrumé que le brouillard qui nous environne, nous parvenons tout de même à trouver l’auguste diligence, digne de notre royale virée, pour nous raccompagner. *** Seizième homme de l’équipe de France, Roger Couderc s’en est allé le 25 février 1984. Le chantre cadurcien ne poussera plus son « Allez, les Petits », aussi célèbre dans le landerneau national que peut l’être le haka de l’autre côté de la planète. La voix du rugby s’est soudainement, brutalement et cruellement tue, suite à un accident vasculaire, laissant orpheline la France du ballon ovale. Roger, l’enflammé, laisse un immense vide qu’il faut combler au plus vite. Le temps presse d’autant plus que Pierre 139
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Albaladéjo, le complice pionnier des consultants, préfère se retirer en hommage à la mémoire de son alter ego. Il appartient donc aux responsables du service des sports d’Antenne 2 de reconstituer un tandem dans les délais les plus brefs. Une telle entreprise n’a rien d’une sinécure lorsque l’on connaît la personnalité des intéressés. Successeur putatif de Roger, Pierre Salviac est chargé de dénicher un nouveau consultant pour l’assister dans ses commentaires. Celui-ci me contacte pour des essais où nous devons commenter au petit matin, dans les studios de la rue Cognacq-Jay, les tests-matches qui se déroulent en NouvelleZélande et en Afrique du Sud. Cet « examen » me paraît on ne peut plus naturel et j’ai d’ailleurs le sentiment qu’il s’est passé d’une manière positive puisque Pierre est aussitôt retenu. Je m’attends logiquement à la reconduction de l’équipe. Or, la saison suivante, Pierre Salviac est officiellement intronisé commentateur des matches de rugby et, surprise, il choisit de s’allier pour une année à Lucien Mias, mon prédécesseur à la tête du XV de France lors de la tournée en Afrique du Sud de 1958. Dix ans avant « notre » 68 du Grand Chelem. Je n’ai jamais compris ce choix. Non que le talent de notre ami Mias soit en cause, mais je me suis interrogé, sans trouver de réponse, sur les raisons de cette subite volte-face. Salviac obéissait-il à une règle d’antériorité ? Ce mystère, dont ne s’est jamais expliqué Pierre, me permet de revenir sur les ondes de Radio Monte-Carlo et de retrouver mon cher Didier, avec qui j’ai continué à me régaler avant de passer le témoin, ou plutôt le micro, à JeanMichel Aguirre, élément moteur de l’« autre génération Grand Chelem », celui de 1977. 140
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Néanmoins, il était dit que la télévision ne me fermerait pas la porte définitivement. TF1 m’approche pour me demander d’apporter mon concours lors de la coupe du Monde 1991 qui se déroule à la fois en France et dans les îles britanniques. Là, aux côtés de Patrick Thilliez, je vis une expérience riche qui doit débuter dès la cérémonie d’ouverture, à Twickenham, où j’assume curieusement une double responsabilité : celle de consultant et celle de vice-président de la Fédération française. À ce titre, je suis choisi par la FFR pour encadrer le défilé de l’équipe de France, composé d’une cohorte de jeunes gens devant le pavillon de la France. La séance des hymnes m’oblige à puiser dans mes souvenirs de jeunesse, depuis l’époque militaire de mon père jusqu’au Bataillon de Joinville, pour réussir un garde-à-vous des plus réglementaires. Pendant cette cérémonie qui tend à s’éterniser, j’essaie de reférer où sont placées les cabines de télévision, dans ce stade mythique sur la pelouse duquel je revenais, en grande pompe, de manière insolite. À l’issue du défilé, je dispose de quatre minutes seulement pour rejoindre mon poste de consultant. Cela crée en moi un certain stress. C’est ainsi que j’aborde un événement qui, hélas, n’existait pas à notre époque, un tantinet essoufflé par le sprint que je dois piquer pour arriver à l’heure. Mes jambes, toutefois, n’ont pas trop perdu en vivacité… Par la suite, cependant, je suis bien obligé d’interrompre cette expérience de consultant. Mon appartenance au comité de sélection et mon mandat de vice-président m’interdisent, déontologiquement, de poursuivre plus avant cette formidable aventure audiovisuelle. Ce n’est pas, je l’avoue, sans un pincement au cœur.
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Dans tous les secteurs où il m’a été donné d’exercer des responsabilités, j’ai pu rencontrer des hommes dont l’esprit et les qualités m’ont profondément touché. En pensant à eux, en parlant d’eux, je les appelle toujours « mes chouchous ». En en ce qui concerne le rugby, je citerai des garçons qui n’ont pas forcément fait une longue carrière internationale, mais qui m’ont épaté par leurs dons naturels, leur talent audessus des normes et leur incomparable gouaille. Le premier est l’incontournable Jack Cantoni. L’ailier – le « diable », devrais-je dire – de Béziers. Un individu de feu, fier et capable de tout. Je suis bien placé pour le savoir car, comme je l’ai raconté, il est le responsable de mon deuxième échec en finale, en 1971. Les aficionados se souviendront longtemps de cette relance de fin de match, faite de crochets et de feintes, bref de toute la gamme de l’orfèvre menée avec maestria, qui nous a faits, penauds, redescendre sur terre. Il fallait être fou ou aveuglément généreux pour offrir 143
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une possibilité de contre-attaque à ce Méphisto, alors que le bouclier de Brennus nous était promis… Face à quatre adversaires le poursuivant dans l’en-but, Jack était totalement insaisissable. Je n’ai jamais vu un crochet aussi désarmant. Du génie à l’état pur ! Si Jack, à mes yeux, reste à jamais le chantre de l’attaque, je dois aussi rendre hommage à deux demis de mêlée virevoltants de mon époque : Max Barrau et Jérôme Gallion. Le premier vit hélas sa carrière écourtée lors de la tournée en Afrique du Sud, où son genou fut quasiment broyé. Le second, futur chirurgien-dentiste, faisait partie des plus jeunes éléments que j’ai eus à diriger avec le Rugby Club toulonnais : il avait l’œil et l’esprit, et ses jambes amenaient de l’entrain dans notre dispositif d’airain. Enfin, je ne peux oublier un champion trop tôt disparu des lignes arrières : Jean-Michel Capendéguy. La passion des voitures de sport, qui le possédait déjà à Toulon, lui a été fatale. Semelles de vent, il était à l’orée d’une carrière exceptionnelle compte tenu de son aisance ballon en main, quand il balayait avec classe le périmètre de Mayol devant un parterre en émoi. Ses obsèques, qui suivirent de quelques jours celles de Guy Boniface, m’ont laissé totalement désemparé. *** Impossible aussi d’oublier nos « Fratellini » de la troisième ligne, mes potes Jeannot Salut et Michel Sitjar. Seigneurs du boniment, marquis de la décontraction légère, roule-tabille de l’embrouille et têtes de série de la combine, ils savaient aussi se transformer en magiciens de la formule et du bon mot. Leur sens de l’humour et leur gouaille auraient pu les 144
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cantonner dans des rôles de comiques. Mais ce serait faire injure à leurs qualités, insoupçonnables de finesse, de « joueur de rugby » – j’insiste sur ce terme – et à l’inspiration de leurs interventions. J’ai rarement retrouvé des gens si généreusement doués. Jean Salut, le Toulousain aux cheveux longs et aux reflets blonds, un Jean-Pierre Rives avant l’heure, grand flambeur devant l’Éternel, est un personnage qui aurait pu inspirer romanciers et cinéastes. Il rayonnait, placide. En outre, Jeannot, qui a aussi fait office de kinésithérapeute de l’équipe, possède l’art de la repartie. Au soir du match perdu contre l’Irlande, le septième et dernier qu’il disputait sous le maillot tricolore, un journaliste s’inquiète de son sort et lui demande : « Alors, c’est peut-être la dernière fois qu’on te voit en équipe de France ? » La réponse fuse, tranchante et coquine : « Pourquoi ? On t’a mis à la porte de ton canard ? » « Monsieur » Jean, qui connaissait par cœur depuis l’âge de 14 ans les fondamentaux du répertoire de Georges Brassens, L’Auvergnat ou Le Bonheur de mourir, avait le culte de l’amitié chevillé au cœur. C’est sans doute cet exceptionnel état d’esprit qui, près de trente ans après, a sauvé notre fraternité. J’avais en effet souhaité, à l’occasion de mon jubilé, retrouver tous mes anciens partenaires. Pour cela, quoi de mieux que de monter une rencontre amicale mettant aux prises, devant huit mille fidèles amis du RCT, Toulon et l’équipe de France. Il était prévu qu’au cours de cette partie, je change de camp à la mi-temps. Courtoisie élémentaire, je choisis, pour la première mitemps, de porter les couleurs du RCT. Sur une action, je me retrouve face à Jean, qui cherche à me plaquer très bas. Telles 145
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une paire de ciseaux, mes jambes happent son bras. Son coude part à 90 degrés… Le pauvre s’est relevé avec une fracture et une méchante luxation du coude. Le plus insensé, c’est qu’il a lui-même estimé qu’il avait eu de la veine sous prétexte qu’un médecin, qui se trouvait sur le bord de la touche, a pu lui remettre immédiatement le coude en place. Celui-ci a triplé de volume. Jean ne pouvait plus enfiler sa veste. Mais qu’importe ! Nous l’avons vu arriver, gaillard, pour se joindre à la fête où il est resté jusqu’à une heure du matin passée. On m’a dit qu’il gardait de ce week-end un souvenir ému. Dans son bureau trône d’ailleurs en bonne place le bachi en feutre à pompon rouge que j’ai offert à chacun et sur lequel est brodée la date du jubilé : 4 juin 1977. *** J’ai perdu de vue Michel Sitjar, notre « Cocoye » de Chalon, et ce n’est qu’il y a trois ans que nous avons repris contact. Le joyeux drille, toujours prêt à inventer des conneries pour amuser la galerie, a changé et s’est transformé en vénérable sage. Il se nomme lui-même le « poète paysan » et m’inonde régulièrement de ses œuvres qui dénotent un talent certain et qu’il agrémente de dessins quelque peu psychédéliques. La poésie, dit-il, est devenue pour lui source de lumière et de paix. Gérard de Nerval et Baudelaire détrônent ainsi dans son cœur Bernard Laporte ou Fabien Pelous. Certes, il dérape parfois un peu, mais cela fait partie de la singularité du personnage, habitué des contre-pieds. Témoin celui, sportif, qu’il opéra, en 1970, en direction du giron treiziste, 146
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au XIII Catalan. « Je croyais m’y amuser. Je n’ai jamais vu un jeu aussi bête. » Le constat est à l’image du personnage, décapant. Walter Spanghero et Jean-Pierre Rives reçoivent, eux aussi, les poésies du barbu de La Magistère. Sculpteur à ses heures, Rives se dit honoré de cette correspondance. Lui qui est issu de la génération suivante a très peu connu personnellement Michel Sitjar, mais le talent et la réputation de cet athlète tranchant, qui valait 10,9 secondes sur 100 mètres – véritable référence à l’époque – n’a pu le laisser indifférent. J’ai été sincèrement heureux d’apprendre que ces deux créateurs s’entendaient bien ; entre avants aile, on parle déjà le même langage, alors entre artistes… *** Il manquerait un sommet au paysage montagneux de notre sport si Claude Spanghero n’avait pas existé. Le « Grand Claude » est, bien sûr, le frère de Walter, qui a toujours prétendu que son cadet était de loin le meilleur de la tribu. Altier, goguenard et désinvolte, Claude était, avec Benoît Dauga, l’avant le plus doué d’une génération qui ne s’est pourtant pas montrée avare de talents hors du commun. Je l’ai vu réussir à l’entraînement des drops de 50 mètres avec la pureté d’un demi d’ouverture. C’était Mozart. Léger et inspiré. C’était Beethoven. Puissant et révolté. C’était Wagner. Profond et emporté. C’était Bizet. Fier et altier. Bref, Claude a été au rugby ce qu’un Harlem Globe Trotter a été au basket-ball. Insolent d’aisance et d’adresse, il en imposait d’autant plus à ses rivaux que sa gouaille était à la hauteur de sa fantaisie et de ses improvisations. 147
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Avant de se décider finalement à devenir le roi du cassoulet sous vide et d’entreprendre la cuisson de bœufs entiers, opération qui nécessitait une broche géante pendant vingtquatre heures, Claude aurait pu se demander s’il ne préférait pas tenir la vedette des soirées télévisuelles de cabaret animées par Patrick Sébastien, lui aussi joueur de rugby – ne l’oublions pas ! – au CA briviste. Au cours de ma fête de jubilé, Claude a d’ailleurs fait un tabac avec ses tours de passe-passe, une formalité pour lui ! Mais sa grande spécialité était l’hypnose. Il faisait souvent des démonstrations lors de tournées d’anciens internationaux, qu’il choisissait avec un soin de diplomate. À Pretoria, où la France avait élu domicile pour quarantedeux jours pendant la coupe du Monde 1995, il a ainsi signé un fabuleux numéro de lévitation avec un journaliste sportif de France Inter. L’homme dormait bel et bien, les abdominaux aussi durs que les touches d’un piano, les pieds et la nuque reposant sur deux dossiers de chaises, comme suspendu entre ciel et terre, le corps parallèle au sol. Le doigté de Claude en matière de magie est à l’égal de sa vigueur dans les mêlées spontanées, où il ne faisait pas bon être l’adversaire sur lequel s’abattaient avec fracas ses mains immenses. Le plus doué de la lignée, selon son père Ferrucio Dante, Claude était admirable tant sur le terrain qu’en dehors. Il était véritablement le « Cantoni des avants ». Chez ce magnifique et généreux hédoniste, la galéjade était – est encore – une seconde nature, et il ne perdait pas une occasion de titiller son auditoire. Alors que les débutants faisaient généralement profil bas, lui, jeune bleu de 23 ans mobilisé en Afrique du Sud lors de la tournée 1971, envoie au diable le qu’en-dira-t-on. Dans 148
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notre car, c’est lui le boute-en-train. Rien ne l’arrête. Il chambre tout le monde, y compris les dirigeants. Parmi ces derniers se trouve un brave homme d’Ussel, Noël Baudry, qui, en vertu de ses cinq sélections internationales, arbore fièrement un coq sur son blaser. Cet arrière corrézien, vétérinaire de son état, est une bonne pâte, à l’esprit ouvert et badin. En aucune façon il ne se serait piqué de l’esprit plaisantin du Narbonnais. Facétieux, Claude a en effet revu à sa sauce les paroles de la chanson Le Singe Bobo : « Noël Baudry, 1 mètre 22, 102 kilos, un seul poumon, sept de tension… » Ainsi transformées, elles auraient bien pu blesser le charmant « Nono » d’autant que, chaque jour, Claude se fait un devoir de trouver de nouvelles rimes. Balayant de la main l’éventualité de quelconques mesures de rétorsion, il met au contraire un point d’honneur à dénoncer la dramaturgie que constitue, pour certains joueurs, une non-sélection. Vainqueurs ou vaincus, les matches ne se terminent-ils pas pour tous en chansons ? Chansonnier, il l’est resté. Et gare aux impertinents ! À un plumitif qui le tarabustait, lors d’une nuit arrosée de 1971, à Béziers, en terre « ennemie », après un succès sans appel (3112) contre la Roumanie, il répond : « Écoute-moi : je vais te parler comme je le pense. Tu n’es qu’un gros con. Ce soir, je suis peut-être plus saoul que toi, mais moi, demain, j’aurai décuité, tandis que toi tu seras toujours aussi con… »
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Chapitre XIV
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Pour attrayante qu’elle soit, une carrière de rugbyman, dans les années 60 ne suffit pas à nourrir son homme. Aussi me faut-il, dès le début de ma carrière de joueur, trouver le juste complément financier à ma passion. C’est vers le commerce que je m’oriente. Une chemiserie du centreville de Toulon, Le Sphinx, cherche un repreneur. Mes économies me permettant cet investissement, je saute sur l’occasion. Me voici à la tête d’un magasin. Conseiller, déplier, replier berce mon quotidien entre les séances d’entraînement et les matches. J’ai même l’honneur de recevoir la visite de Roger Couderc qui, accompagné d’une équipe de télévision, trouve un malin plaisir à essayer de me piéger sur de menus détails de chiffons. Peine perdue ! Je suis déjà passé maître dans l’art de l’étoffe, des tailles, des coloris, des boutons et des modèles. Mais mon nom ne sera jamais associé à une ligne de vêtements. À cette époque, ce n’est pas dans l’air du temps comme ce sera le cas dans les années 90, avec l’apparition 151
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du nœud papillon rose d’Eden Park, du 15 de Serge Blanco ou du 111 de Philippe Sella. *** Le royaume de la fripe ne dure qu’un temps car s’ouvre bientôt devant moi l’opportunité de ma vie. Mon mariage d’amour avec la société Ricard va en effet durer trentecinq ans. Au début, j’officie en qualité de chargé de relations publiques. Cette fonction m’amène à intervenir sur les sites attachés aux domaines les plus divers comme le catch – pour lequel il faut ériger des chapiteaux d’Hendaye à Collioure –, la pétanque – sur l’ensemble du territoire national – ou la tauromachie – dans le grand Sud. Mon travail consiste, entre autres choses, à vérifier le bon écoulement, sans jeu de mot, de nos produits. Les activités sportives, c’est bien connu, donnent soif, et les exercer au soleil du Midi, bien plus encore. Dans cette société, j’ai retrouvé une famille semblable à celle que je connaissais en rugby, à la fois par son engagement et par son esprit. Dans les deux cas, les activités de terrain sont proches : diriger des hommes pour les amener à s’épanouir et à s’accomplir, à donner le meilleur d’euxmêmes dans leur discipline sportive favorite ou dans leur métier. Je me suis vite rendu compte que j’étais fait pour ce métier à travers lequel j’ai découvert un environnement exceptionnel : des hommes – Merckx, Prost, Platini, Tabarly, etc. – et des événements – le Tour de France, le Paris-Dakar, le Rallye de l’Atlas, les Grands Prix de motos et de F1, le Bol d’or, le Tour de France à la voile, Niamey-Bamako moto152
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nautique ou encore la Transat… C’est pour cette dernière que j’ai assisté à la construction du trimaran Paul Ricard qui, entre les mains de Tabarly, a battu très rapidement le record de la traversée de l’Atlantique établi de soixante-quinze ans plus tôt par Charly Barr ! J’ai la chance de fréquenter le monde des affaires, de la politique, du show-biz et de la chanson. Des milieux plus proches du sport que je le croyais. Un rêve éveillé ! Si, aujourd’hui, je fais le bilan de ce qu’a été ma vie, le rugby n’occupe qu’une toute petite place, le vélo une grande, et mon métier… l’essentiel. *** À la recherche de l’oiseau rare ! M. Paul Ricard cherche en effet un garçon capable d’assurer la promotion de ses deux îles – Bendor et les Embiez – qui possèdent une solide infrastructure d’accueil, mais également des domaines comme Méjanes, en Camargue, du Castellet près de Cannes-Mandelieu et d’un château en Charente. C’est là que nous avons déjà reçu les All Blacks, les Springboks, ainsi que les équipes japonaise et russe. M. Ricard a compris que pour attirer les médias dans ces propriétés de charme, il est indispensable de lancer des invitations aux équipes nationales du sport français. Il me voit pour la première fois à l’occasion d’une rencontre internationale où j’officiais en tant que capitaine. Ma manière de mener le XV de France l’intéresse. Aussi demande-t-il à son directeur des relations humaines de prendre contact avec moi. « C’est un enfant du Midi. Il a le profil qu’il me faut. Demandez-lui s’il est disponible pour effectuer un test… » 153
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Le contact est établi. Il faudrait être difficile pour refuser la mission que me propose M. Ricard. Celle-ci consiste à prendre contact avec les sportifs des différentes disciplines. Ce sont pour l’essentiel des champions que j’ai côtoyés au Bataillon de Joinville et qui sont devenus des stars dans leur sport. Par leur intermédiaire, il s’agit de solliciter les fédérations pour jouir des installations d’entraînement dans la décontraction. La natation, le ski, le cyclisme et le football sont les disciplines pour lesquelles nous obtenons les meilleurs résultats. Je me prends très vite au jeu de cette nouvelle vie professionnelle, au point que je me sépare de ma chemiserie, mais également de mon entreprise de confection pour enfants tenue par ma mère et ma sœur lors de mes absences. Dans ces fonctions, je m’aperçois que j’adore diriger hommes et femmes. Je prends plaisir à nuancer mon commandement en fonction de la sensibilité des individus. En tant que chef, je dois également me positionner souvent en qualité de confident. Le fin du fin est de savoir diriger avec toutes les nuances que la patience demande. Nous sommes en 68, l’année du Grand Chelem et de Ricard. Ça vaut bien de lever son verre. Santé ! *** Cette vie de milliardaire que j’ai vécue n’a été possible que par la volonté d’un homme : Paul Ricard. Un bâtisseur. Un grand créateur. Un monumental homme de cœur. J’ai eu la chance immense de travailler sous ses couleurs avec des moyens exceptionnels et auprès d’hommes et de femmes de tempérament, tous mûs par un même élan et par le désir d’aller au contact des gens. 154
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M. Ricard nous répétait une formule : « Faites-vous un ami par jour. » J’ai essayé, tout au long de ma carrière, d’appliquer cette consigne de vie. Y suis-je parvenu ? La devise, en tout cas, est restée gravée dans mon esprit. J’ai porté à cet homme une affection comparable à celle que je pouvais avoir pour mon père ou mon grand-père. Maintenant encore, il ne se passe pas un jour sans que je me dise : « Oh garçon ! Tout ce que tu as, tu le dois à cet hommelà, Paul Ricard. » À la demande de son fils Patrick, actuel président du groupe, j’ai pu passer quelques mois auprès de lui avec un écrivain, Marie-France Pochna, qui rédigeait sa biographie, Paul Ricard, l’homme qui se ressemble. L’ouvrage est sorti quelques mois avant sa mort, le 7 novembre 1997. Je me suis alors rendu compte du bonheur que j’avais eu à côtoyer cet être d’exception. Paul Ricard est enterré sous une simple pierre, au sud de l’île des Embiez au large de Toulon, au sommet d’une falaise abrupte, face au soleil couchant. Jamais je n’ai manqué, en me rendant sur l’île, de me recueillir sur sa tombe, car tout ce que j’ai aujourd’hui je le lui dois, à cent pour cent. *** Ami de Fernandel, M. Ricard était proche du sport, mais il était surtout homme d’esprit. À ce titre, il a privilégié les activités dans le domaine culturel et son goût pour la comédie m’a amené à être le parrain de nombreuses pièces, interprétées notamment par Jean-Louis Trintignant (un sacré pilote !) et Anouck Aimée. Nous sommes également présents pour Cyrano de Bergerac au théâtre Marigny à Paris, avec Jean-Paul Belmondo et 155
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Robert Hossein, ainsi que pour Don Juan qui a pris pour un temps, à Marseille, les traits de Pierre Arditi. Ces soirées théâtrales me permettent d’ailleurs de faire la connaissance d’un grand amateur de rugby : Jean-Pierre Noiret. Mais le septième art n’est pas en reste. Ainsi Claude Lelouch m’approche-t-il pour me proposer un rôle dans Édith et Marcel, film en hommage à la vie de Marcel Cerdan, le grand champion du monde des poids moyens, ce qui m’aurait permis de retrouver mon vieux complice, Cerdan Junior, dans le rôle, bien sûr, de son « bombardier marocain » de père. Malheureusement, le rôle en question est celui de videur et je préfère décliner l’offre. Camper une brute épaisse ne colle pas franchement avec la fonction que j’occupe dans ma société où je suis engagé pour accueillir, avec civilité, doigté et chaleur, plutôt que pour mettre sèchement les gens à la porte.
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Chapitre XV
Une passion, les moteurs
Grand amateur de vitesse, j’ai eu le privilège de passer une trentaine d’années sur le circuit Paul Ricard (l’ex-circuit du Castellet) et de finir au poste de président de l’Association sportive automobile du circuit. Là, environné de cyprès et de vignes, j’organise mille opérations, notamment tous les Grands Prix de Formule 1, pendant dix ans, en parallèle avec ceux des voitures de tourisme toutes catégories, ainsi que les Grands Prix moto, avec le Bol d’or qui attire plus de cent mille fanatiques. Sont-elles complices ? Les cigales ne nous tiennent pas rigueur d’organiser d’autres manifestations, comme les courses de dragsters et, sur l’aérodrome du Castellet voisin, des meetings aériens rassemblant des avions de la dernière guerre. Notre « action mécanique » s’étend dans les airs, mais aussi sur terre et sur l’eau. Une écurie Pacific nous permet en effet d’être champions de France. Le virus du motonautisme me vient du Dauphin d’or (dont l’itinéraire va 157
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des Embiez à Monaco et retour), une compétition ouverte aux « cigarettes », ces F1 de la mer souvent utilisées par les contrebandiers. Cette compétition constitue d’ailleurs ma première collaboration chez Ricard. Dans la même discipline, les 24 heures de Rouen et les 6 heures de Paris sont les plus prisées. Le regretté Bernard Giroud de TF1 peut s’en donner à cœur joie sous nos couleurs. Et, cerise sur le gâteau, mon idole de toujours, Jacques Anquetil quintuple vainqueur du Tour peut s’asseoir, lors de l’épreuve normande, dans un engin à la hauteur de son standing sportif. *** Le circuit Ricard a aussi permis de voir évoluer un ami, cascadeur de son état, que nous avons sponsorisé de nombreuses années : Alain Prieur. À maintes reprises, il fait frissonner des milliers de gens en réussissant notamment, au guidon de sa moto, le record du monde du saut de cars, après avoir survolé une vingtaine de bus alignés les uns derrière les autres. Parmi les exploits les plus fabuleux qu’il a réalisés, je me rappelle surtout son saut sans parachute depuis un avion, au cours duquel il est rejoint en plein ciel par deux amis qui lui accrochent au dos la toile salvatrice. J’ai côtoyé Alain pendant toutes ces années. Il faut, hélas, parler de lui au passé. C’était un garçon d’une gentillesse extraordinaire. Je l’avais reçu, chez moi, aux portes d’Aix-en-Provence. Un jour, au bord de la piscine, je lui avais dit, en tête à tête, sachant qu’il prenait de plus en plus de risques : « Tu sais, Alain, tu es père de famille 158
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aujourd’hui, tu as une fille que tu adores. Je crois qu’à prendre autant de risques, un jour, cela peut se passer mal. Il vaudrait mieux mettre une distance entre tes exploits et ça. » Il m’avait répondu : « Je vais tenter ma dernière cascade et ensuite je me retirerai. D’ailleurs, tu n’as aucun souci à te faire car je l’appellerai Risque Zéro. » Cette dernière cascade devait avoir lieu près de la base de Saint-Auban, le centre national de vol à voile proche de Sisteron, au-dessus des montagnes appelées les « Demoiselles coiffées ». Elle consistait à sortir d’un planeur à l’aide d’une corde pendant en plein vide, pour rejoindre un autre planeur qui volait parallèlement au-dessous. Risque Zéro, certes, mais risque de trop. Malheureusement, le vol à voile est une activité difficilement maîtrisable et le planeur de soutien ne s’est pas trouvé rapidement à sa place, c’est-à-dire en aplomb de la corde au bout de laquelle se balançait Alain. Un peu tétanisé par la durée de l’effort, certainement engourdi par le froid à cette altitude, il n’a pas pu rester accroché et a lâché la corde. Ses deux complices, qui exécutaient généralement avec lui les vols sans parachute, se trouvaient naturellement en soutien à bord d’un avion à proximité immédiate. Mais ils n’avaient pas répété cette opération depuis longtemps. Et quand l’un de ses meilleurs amis le rejoint, il est trop tard pour lui accrocher le parachute : il est descendu vite et se trouve trop près du sol. Devant les caméras d’une chaîne de télévision et sous le regard de sa fiancée, la chute – dramatique – est interminable et abominable. Comme pour exorciser la peur, les spectateurs l’entendent hurler tout au long de sa chute. Comme eux, je suis noyé de chagrin. 159
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J’ai grandi près des avions. Les grands, sur la base aérienne où mon père opérait, et les petits, spécimens de modélisme téléguidés, au pied de mon lit. Si l’on m’avait alors donné la possibilité de choisir ma voie, j’aurais répondu sans hésitation : « Pilote d’avion, làhaut, dans le bleu du ciel ». Grâce à ma société, j’ai pu, un demi-siècle plus tard, concrétiser cette passion d’enfance en prenant, durant quelques minutes, les commandes d’un Mirage 2000. Moments de pure exaltation, précédés d’un immense recueillement. Car cette fois, c’était « pour de vrai », au-dessus du mont Ventoux, le mythique géant de Provence qui fit souffrir tant de coureurs cyclistes et qui enregistra le dernier souffle du Britannique Tom Simpson à l’étape du Tour de France 1967. Nous étions trois Mirage en position de combat au-dessus de ce mont Chauve. Je me sentais en proie à une ivresse incommensurable, à un vertige inimaginable. Je n’ai ensuite ressenti une telle impression qu’à une occasion, lors d’une descente de bob sur la piste olympique de La Plagne. Une vitesse à soulever le cœur et un fracas de fin du monde m’ont à nouveau incité à une attitude d’humilité : serrer les fesses ! Quoi de plus banal, après avoir assouvi son rêve le plus cher, que de réaliser son fantasme le plus fou : réunir les pilotes français de Formule 1 et les pilotes de Mirage 2000 de l’armée de l’Air qui officiaient en ouverture de nos Grands Prix de F1 et de motocyclisme. C’est ce que je parviens à faire sur l’aérodrome du Castellet et sur le circuit Paul Ricard qui le jouxte. 160
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Pour cela, l’armée de l’Air met à notre disposition huit Mirage, pilotés par l’élite de l’aviation militaire, un général prenant même la tête de l’escadron. La partie « plancher des vaches » peut se concocter grâce au concours de l’ancien pilote de F1 Philippe Streiff, qui réunit les huit plus belles voitures du monde et notamment, pour la première fois en France, la McLaren, engin fabuleux s’il en est. À la tête des pilotes de F1, Alain Prost en personne troque fièrement son casque pour voler, pendant quarantecinq minutes au-dessus de la Méditerranée, dans un raid fantastique si j’en crois ce que je peux recueillir par la voix des pilotes. Les pilotes de Mirage 2000 prennent ensuite place dans l’habitacle de ces véhicules de légende, Ferrari, Lamborghini, Porsche, McLaren, etc., pour effectuer quelques tours sous la direction des stars de la F1. Deux cents journalistes immortalisent l’événement, une première mondiale. Ils ne savent plus où donner du micro. Chacun sort épuisé, ravi, ému de cette journée mémorable. Mais le mot de la fin revient au général : « Jamais je n’aurais pensé que l’on pouvait voler aussi vite… et aussi bas ! » Devant ce spectacle incroyable, le grand maître Paul Ricard écarquille les yeux. Il est émerveillé comme un enfant. Nous ne tirerons qu’une consolation de sa mort : celle de lui avoir épargné de connaître la vente du circuit Paul Ricard à Bernie Ecclestonne.
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Chapitre XVI
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Je voue au cyclisme une passion dévorante. Dès le coup d’envoi du Tour de France, ce sport me fait tourner la tête et transforme le sous-sol de ma maison en véritable atelier de mécano, des machines s’accrochant çà et là et des roues se suspendant aux murs comme des toiles surréalistes faisant des pieds de nez à mon agaçante et luxueuse Corvette qui, elle, ne sort que fort rarement. Je subis cette fascination depuis ma plus tendre enfance. Au Maroc déjà, je participais à des courses de quartier. Depuis, elle n’a fait que se renforcer. Je dirais même, à l’exemple du poète Charles Trenet, qu’elle « court dans la montagne », de l’Izoard au Galibier, en passant par la côte Saint-Appolinaire, tout près de chez moi, dans laquelle mon épouse Anne-Marie, ancienne triathlète, ma « Jeannie Longo » me sème sans pitié. Maudite soit alors la Petite Reine ! Dans cette région de rêve pour les grimpeurs, je déplore de ne jamais rencontrer cent mètres de plat… 163
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Je continue à aller dans les villages alentour pour assister aux arrivées de courses amateurs, un peu comme on se rend, endimanché, aux fêtes votives, à la foire ou aux vide-greniers pour se changer les idées. Peut-être y découvrirai-je un jour une graine de champion comme l’idole de ma jeunesse, Jacques Anquetil. Ricard m’a donné la possibilité de suivre intégralement trois Tours de France. J’y dirigeais l’équipe chargée de l’animation et des spectacles du soir et, durant la journée, je suivais les étapes. Félix Lévitan et Jacques Goddet, les patrons du Tour, m’avaient accordé le privilège d’emprunter la route privative de la caravane et de faire monter dans ma voiture trois ou quatre personnes de mon choix. C’est ainsi que, mieux qu’un directeur sportif peut-être, j’ai pu suivre au plus près les coureurs. Lorsque j’arrive dans le Sud-Ouest, c’est naturellement à mes camarades rugbymen, et plus précisément à mon ami Dauga, que je demande de me servir de copilote. Mais Benoît a le tympan fragile et il supporte mal d’entendre à longueur de journée « Radio Tour ». Cet appareil, dont sont équipés tous les suiveurs, est essentiel car il informe des attaques des coureurs et nous rappelle les mesures de sécurité Un jour, du côté du Tourmalet, en compagnie de JeanPierre Bastiat et de Philippe Dintrans, mon copilote craque et, profitant d’une halte, débranche la radio sans me le dire. C’est le bouche-à-oreille qui nous permet de savoir que Bernard Hinault est en contre-attaque derrière un échappé. Aussitôt, nous nous hissons dans le sillage du « Blaireau » et effectuons la montée du col d’Aspin derrière lui. Trop près sans doute, quasiment dans sa roue. À l’arrivée à Bagnères-de-Bigorre, je suis immédiatement convoqué à la permanence par Félix Lévitan. J’y apprends que 164
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celui-ci, durant toute la fin de l’étape, nous a vertement sermonnés au travers de Radio Tour : j’aurais dû m’écarter comme il me le demandait, au lieu de rester au milieu de la route. Le savon, ma foi, est dur ! Mais je lis dans les yeux de Jacques Goddet une étincelle amicale qui me rassure. C’est cela, le cyclisme ! *** Il est une tradition dans le milieu cycliste : celle des « gentlemen ». Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les gentlemen ne sont pas des personnes issus de l’aristocratie ou faisant preuves de qualités humaines hors du commun, mais des manifestations sportives autour d’un champion. C’est un peu l’équivalent de nos jubilés en rugby, que l’on organise lorsqu’un joueur souhaite mettre un terme à ses activités sur une note festive. Mais les gentlemen, comme les jubilés, vont au-delà de la simple rencontre et servent à resserrer fortement les nœuds de l’amitié sportive. Ces manifestations amènent généralement les concurrents à se mesurer sur un double front : la route et la buvette. Rares sont ceux qui brillent dans les deux secteurs à la fois. Il est cependant des exceptions : ainsi Raphaël Geminiani ou Henri Anglade, deux monstres sacrés au tempérament de feu, ont en commun d’avoir terminé deuxièmes du Tour de France… et de tenir jusqu’à l’aube lors des « troisièmes mi-temps du cyclisme ». C’est généralement le cas de Raymond Poulidor, à qui j’ai été associé dans un gentlemen, à Saint-Étienne, dans lequel son inaltérable jeunesse a bien sûr fait merveille sur le bitume. Mais question bar, il ne s’est pas montré à la hauteur de « Gem ». 165
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Le péché mignon de « Poupou » serait plutôt les cartes, belote ou poker : il passe même pour l’un des amateurs les plus doués de l’histoire du cyclisme. Ma passion pour le vélo m’a aussi amené au gentlemen d’Aubagne, qui est à la bicyclette ce que le « Mondial La Marseillaise » de Michel Montana est à la pétanque. Organisée de main de maître par les frères Bertrand, cette manifestation a hélas disparu depuis, symbole d’une convivialité sportive qui ne résiste pas à la loi du marché. La « Cobrac » – contraction de Corrèze et Aubrac – m’amène enfin à participer annuellement à une virée vélocipédique à travers l’Aveyron et la Dordogne. Créateur du Trophée Andros, Max Mamers est aux manettes de cette opération, qui privilégie le goût dans la rusticité locale. Si l’on s’écoutait, on manierait la fourchette et la pédale en même temps ! *** L’ancien champion et actuel directeur sportif de Toshiba, Yves Hézard, me convie pour sa part chaque année à suivre des étapes du Paris-Nice, du Critérium du Dauphiné libéré ou du Tour de France à bord de son véhicule d’assistance. Comme ces courses se déroulent, du moins en partie, à proximité de ma demeure de Chorges, je profite de l’occasion pour organiser un tournoi de boules. Celui-ci a déjà donné lieu à quelques mémorables parties… L’ambiance de ces rassemblements laisse à tous des souvenirs durables pour peu que les laies et les marcassins ne viennent pas labourer le terrain, une initiative qui a le don de contrarier joueurs de pétanque mais aussi lièvres. Ces derniers ont en effet pris l’habitude de 166
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tenir une conférence vespérale quotidienne depuis que leurs grandes oreilles ont décelé que j’avais rangé mes fusils le jour de mon départ à la retraite. À l’heure de l’apéritif, il n’est pas rare d’apercevoir mes amis pilotes de chasse, venus de la base de Salon, me faire un petit clin d’œil d’un battement d’ailes de leur Mirage 2000 ou de leur Super Étendard. Leurs figures aériennes me procurent toujours un grand plaisir. *** Véritable trait d’union entre le rugby et le cyclisme, l’« Ontuac », née sur les pentes de l’Aubisque, est une course amicale qui tire son nom d’un groupe folklorique basque : chaque participant paye un droit d’entrée et la somme ainsi collectée est destinée à la Fondation Ferrasse en faveur des grands blessés du rugby. Cet événement, qui rassemble généralement quelque quatre cents rugbymen français, constitue une date essentielle dans notre calendrier du bien vivre. Il est préférable de l’aborder en pleine possession de ses moyens et après une cure de sommeil. En effet, contre toute attente… les nuits sont chaudes, comme dans les troisièmes mitemps chères à nos cœurs. L’esprit qui anime les coureurs cyclistes est proche de celui des joueurs de rugby. Il y a toujours eu une affinité entre les deux disciplines, extrêmement rigoureuses et difficiles, que l’on aborde le plus souvent avec simplicité et fraternité. Mais le cycliste que je suis devenu depuis de nombreuses années doit reconnaître, en toute humilité, qu’on ne peut guère comparer ces deux sports sur le plan de la rudesse et de la fatigue… Aussi je ne manque jamais une occasion d’encou167
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rager les coureurs et de leur lancer, haut et fort : « Messieurs, chapeau ! Vous pratiquez le sport le plus dur qui soit ! » Une chance m’a été donnée en 1998 de faire honneur au monde du vélo, à l’occasion du grand départ du Tour de France à Dublin où, comme chacun sait, le whisky et le rugby sont rois. Cet envol irlandais de la caravane coïncidait avec la finale de la coupe du Monde de football qui, au Stade de France, opposait le Brésil à la France. Je lance donc auprès de la Société du Tour de France et de France Télévisions des invitations à venir déguster les produits Jameson dans la distillerie même, tout en suivant les péripéties des Bleus. Je ne manque pas, bien sûr, l’occasion de recevoir Bernard Hinault et Bernard Thévenet, champions du Tour, champions de toujours. À chaque but, nous levons le coude ! Mais n’allez pas croire que les invités se sont contentés des trois tournées correspondant aux trois buts des Bleus. La soirée s’est prolongée bien après le coup de sifflet final. Nous sommes loin de nous douter alors que, de l’autre côté de la Manche, débutait la triste affaire Festina, fatale à Richard Virenque, homme broyé et impitoyablement brocardé. Avait-on déjà oublié son courage et ses belles envolées ?
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Chapitre XVII
Une fête, le Grand Prix des Champions
Le sport rassemble. Il peut même rapprocher ou réconcilier. Imaginez pareille démarche dans le milieu de la politique, entre gens de droite et de gauche, dans celui de l’économie et des finances, ou encore entre chefs d’entreprise aux intérêts opposés ! Le sport engendre certes une manne fabuleuse en matière d’événementiel, sans pour autant qu’elle soit juteuse. Régi par les règles et l’esprit du baron de Coubertin, il sait rester, tout simplement, le prétexte à des retrouvailles et à des instants festifs de communion. Ces événements se déroulent dans une ambiance bon enfant, ne donnant jamais lieu à des polémiques fâcheuses. Frondeur patenté, Djamel Bouras est le seul que j’aie vu déraper à La Plagne. Champion olympique à Atlanta en 1996, le judoka a condamné le manque d’intégration dans le mouvement sportif : « À quand un ministre des Sports musulman ? » Son emportement fait la une de quelques colonnes sportives. Mais est-ce vraiment sérieux ? 169
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Pendant et après ma carrière, j’apporte donc ma contribution à des manifestations récréatives organisées alors dans le ventre mou de nos calendriers, c’est-à-dire pendant la trêve hivernale ou lors des vacances d’été. Pendant près de quarante ans, en qualité de sportif de haut niveau d’abord et de public relation ensuite, je me régale de côtoyer le gratin du sport français. Les Rallyes La Clusaz-Bendor puis La Clusaz - Antibes Juan-les-Pins tracent la voie. Ils sont vite suivis par la coupe du Soleil, dans la station de SuperDévoluy, ou le rallye des Stars à Béziers, avant que naisse le joyau, le Grand Prix des Champions, incontournable événement s’étirant sur trente ans, à La Clusaz, l’Alpe d’Huez, La Plagne, plus durablement, et Font-Romeu. Celui-ci dure six jours. La période du 1er janvier entraîne la nécessité d’associer la famille, ce qui crée des liens durables entre sportifs.
*** Je participe au rallye La Clusaz-Bendor alors que je débute en équipe de France. Sous l’égide de la famille du skieur Guy Périllat, il dure une semaine et se termine sur le circuit Paul Ricard après une douzaine d’épreuves. Celles-ci nous conduisent à prendre les commandes de véhicules pour le moins variés – voitures de rallye, avions « rallye » dans lesquels nous sommes évidemment assistés, motos-cross, karts, voiliers, vélos –, mais aussi à faire nos preuves en plongée sous-marine, en aviron ou en ball-trap. Fort de cette cohabitation des forces vives de l’olympisme, des sports mécaniques et des professionnels, je vois naître 170
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des amitiés fortes entre athlètes. Par la suite, nous nous sommes retrouvés dans la vie professionnelle, et ces moments de complicité ont incontestablement facilité les contacts et nous ont aidés à faire fructifier nos efforts. Le grand bonhomme de ces manifestations est Richard Grand. Le fameux « Général Grant ». Il cultive en effet un caractère militaire qui peut parfois inquiéter les sportifs les plus jeunes. Il est à la fois redouté, respecté et admiré, pour le professionnalisme dont il fait preuve dans l’organisation de multiples manifestations. C’est une « grande gueule », au sens théâtral du terme. Un Lino Ventura ou un Michel Constantin du sport – bien qu’il vienne du monde de la publicité. Ancien directeur de la société Ricard, Richard a l’art de tenir les journalistes à distance. Ce qu’il attend d’eux, ce sont des articles qui relatent au quotidien les péripéties de sa manifestation, en cette période hivernale et généralement pauvre en événements. Copié à La Plagne, Richard effectue sa dernière à FontRomeu, au pied du centre olympique. Cet ultime réveillon 2003 permet aux anciens, au petit jour, d’apprécier la différence : les jeunes ont mal supporté les douze coups de minuit. Philippe Sella, Patrice Martin et moi-même sommes les parrains, et la divine Colette Besson, championne olympique du 400 mètres à Mexico en cette année bénie de 1968, la marraine. C’est la dernière fois que je vois notre délicieuse et inoubliable amie, totalement gaie et magnifiquement belle. ***
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Jack Cantoni a toujours fait l’actualité. Aussi n’est-il guère étonnant de le voir se lancer en 1987 dans l’organisation d’une rencontre omnisport, le rallye des Stars, ficelée entre les allées Paul Riquet et le cap d’Agde. Avec entêtement, il règle les moindres détails. Ça sent bon le Ricard, le faugères, les fleurs et l’amitié. Jack a frappé à toutes les portes et son concept tient la route. Pour preuve, chacun des participants, de la première à la dernière équipe, s’en retourne avec un séjour de deux personnes offert par un voyagiste du Sud-Ouest. Parmi les annonceurs se trouve même un fabricant de caleçons : Cœur de cœur. Et parmi les champions invités, une star de légende : le boxeur Carlos Monzon. Rappelant leurs liens d’amitiés, Jean-Claude Bouttier a pour sa part convaincu son ancien rival, ex-champion du Monde des poids moyens, de venir en compagnie de son fils Abel. Les deux hommes s’estiment car les deux combats dans lesquels ils remettaient leurs titres en jeu ont scellé une complicité fusionnelle. À l’anis, les deux compères préfèrent une bonne bouteille de whisky. Chacun comprend que l’occasion fait le larron et qu’un flacon en appelle irrémédiablement un autre. Les nuits ne sont pas assez longues. Il est attendu que l’organisateur renvoie l’ascenseur aux sponsors. Aussi une opération intitulée « Caleçons sur champions » est-elle prévue au casino. Monzon se fait tant attendre que Jack décide d’aller le chercher dans sa chambre. De fait, il réveille le boxeur assoupi. Mais Cantoni ne parle pas espagnol et peine à faire comprendre à Monzon de ne surtout pas oublier le précieux sous-vêtement avant de rejoindre la fête. Il prend donc l’initiative de trouver le caleçon parmi les affaires de l’Argentin. Ce dernier interprète mal la situation : il pense que le Français le soupçonne d’avoir dérobé quelque chose. 172
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Le quiproquo tourne mal. Monzon hurle. Il empoigne Cantoni. Le secoue violemment. Alerté par les cris, Bouttier n’a que le temps de s’interposer. Qui sait ce qu’il serait arrivé ? On ne badine pas avec l’Argentin… qui effectuera par ailleurs un séjour en prison pour avoir défenestré son épouse ! *** Le monde de la boxe est particulier. Il a ses règles, ses plaisirs et ses dangers. On ne sait jamais quelles seront les réactions de ses adeptes, charmants garçons au demeurant mais incontrôlables dès lors qu’ils ont un peu bu. La nuit bat son plein à SuperDévoluy. Le bar est rempli d’amateurs de sport qui ont du mal à résister à la tentation de « remontants » aussi divers que délicieux : Ricard, cognac, gin et whisky. Les rugbymen, eux, se montrent à la hauteur de leur réputation : assoiffés et naturellement gaillards. Artiste-peintre et champion de France des poids moyens à ses heures, Jacques Marty essaie bien de rivaliser avec nous. De fait, son visage trahit ses capacités d’encaisseur. Mais les offensives de l’alcool lui sont étrangères. Il supporte mal. Nous nous mettons à danser au milieu de la piste parmi les autres noctambules. Cependant sous l’effet de la boisson, notre style manque d’assurance. Un pas de côté, un mot de travers. Et mon camarade boxeur de m’envoyer un direct du droit. Il m’ouvre la lèvre. « Même pas mal », lui lancé-je, bravache, ce qui ramène instantanément le calme. On ne peut pourtant se quitter sur un tel malentendu. Nous voilà à en boire un dernier, puis un autre. Y’a le feu ! C’est à ce moment-là qu’il vient une idée à mon camarade deuxième ligne du Racing Club de France Jean-Pierre 173
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DcRae : dérouler, dans les couloirs du gigantesque bâtiment qui forme la station, la lance à incendie. *** Sélectionné pour la tournée en Afrique du Sud de 1975, DcRae, médecin dans le civil, est l’un de mes partenaires favoris. Il a de l’humour et de l’esprit. Aussi nous trouvet-on souvent ensemble. Le rallye La Clusaz-Bendor nous amène, une fois de plus, à faire équipe. Il s’agit de prendre part à une course de voitures anciennes mises à disposition par des collectionneurs. Se joint à nous notre pilote, Mme Louisy-Reynard. La Singer-Le Mans qui nous échoit est rutilante dans sa beauté désuète. Hélas, elle pèche par ses pneus, qui se révèlent vite poreux et qui ne cessent pas de percer. Et chaque fois de nous extirper de l’habitacle pour réparer… JeanPierre est sans conteste le plus défavorisé de nous trois. Il doit déplier 192 centimètres à chaque crevaison. Mais l’homme a de l’éducation et, sous sa fine moustache, ne bronche pas. À tour de rôle, nous changeons la roue. Sortir le cric, le mettre en place, enlever la roue, la remplacer… Nous devenons vite des pros de la réparation. Sauf qu’au bout d’un moment, la répétition commence à nous taper sur le système. Sortir… Enlever… Remplacer… Nous imaginons alors une parade : au diable le cric ! Par commodité et pour gagner du temps, nous soulevons carrément le véhicule. Le soir, à l’arrivée, nous avions gagné un surnom : l’« équipe Le Cric ». *** 174
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Richard Grand voue une véritable passion aux voitures anciennes. Notre hôte tient à ces pièces de collection comme à la prunelle de ses yeux et les bichonne avec amour, veillant à ce que pas un grain de poussière n’ose se poser sur elles. Pour l’heure, ce La Clusaz-Bendor nous conduit – allez savoir pourquoi ! – aux abords de Colmar. Hélas ! Dans notre contingent de rugbymen se trouve un garçon au cœur mal accroché, qui ne résiste pas aux lacets de la route : Lucien Pariès. Notre « Lulu » prétend avoir l’estomac à l’envers dès qu’il effectue quelques kilomètres dans ces bolides d’entre-deux-guerres. Il vomit. « Non, il dégue… plutôt ! », s’insurge Richard Grand, qui ne mâche pas ses mots pour lui reprocher d’aller de cuite en cuite. Il nous est difficile de prétendre le contraire. Aussi, lâchement, trouvons-nous in extremis une astuce pour détourner la colère de Richard sur les basketteuses du Clermont université club – Jackie Chazalon, Irène Guidotti, Colette Passemard, Maryse Sallois, etc. –, affectueusement baptisées « Demoiselles de Clermont ». Les voitures qui leur sont prêtées se transforment en effet en véritable champ de foire, quand ce n’est pas un champ de bataille. Les Rolls ressemblent à des bétaillères, à la grande fureur des propriétaires. Une vingtaine d’entre eux, soit la moitié, veulent quitter le rallye avec leur véhicule dès le lendemain matin. La situation est critique. Meilleur organisateur que diplomate, Richard me charge d’intervenir auprès des perturbateurs et des mécontents. À la fin du dîner, je m’approche donc, armé d’une petite poire d’Alsace, de la table des collectionneurs. Le lendemain matin, sous mon étroite surveillance, Lulu repartait. Les filles aussi. Avec la promesse de mettre beaucoup d’eau dans leur vin. 175
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Richard Grand tient toujours beaucoup à fêter avec solennité le réveillon. Les serpentins et confettis ne manquent pas, et la mise en scène est toujours soignée. Quoi de plus insolite, par exemple, que de réserver un téléphérique, celui de Beauregard, pour célébrer la nouvelle année au sommet de la station ? Grimper, ça va. Mais le retour, sur les trois heures du matin, est plus problématique. Surtout lorsque les rugbymen de Béziers se placent sous la conduite d’un redoutable meneur de jeu, le délirant Jean Ragnotti, petit par la taille mais grand boute-en-train. Le pilote de Renault se met en tête de faire un détour par l’église, toute proche, histoire de fêter pieusement la nouvelle année. Hélas ! En réfection, elle est inaccessible : une palissade de bois l’entoure, à la déception de l’as du volant. La puce de service en appelle alors à ses potes, les rugbymen de Béziers, en tête desquels se signale Armand Vaquerin. « Les gars, y’a une brèche à faire. Faites honneur à votre titre… » Avec sa verve habituelle, le pack languedocien, renforcé par Serge Blanco, prend son élan pour montrer ce dont est capable un groupe fraîchement sacré champion de France. À la première percussion, la palissade s’ébranle gentiment. À la deuxième, elle commence à se déglinguer. Au troisième choc, elle semble basculer, abandonnant son équerre. Le maître des cérémonies intervient alors : « C’est pas la peine d’être aussi costaud pour ne pas même pouvoir plier ce tas de bois… » Il écarte alors les joueurs de l’ASB, puis prend son élan et, malgré son poids de coquelet, il fait de l’obstacle des fagots… avant de disparaître. Nous le retrouvons trois mètres plus 176
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bas. Personne n’avait imaginé que ce mur dissimulait des travaux de sous-sol à ciel ouvert. Il se relève après de longues minutes, complètement fracassé, mais fier d’avoir donné la leçon à ces pseudospécialistes de la percussion. *** Champion de France à de multiples reprises, Jean Ragnotti n’a pas de rival de son standing sur le chapitre de la farce. On ne sait où il va chercher ses gags, qu’il dégoupille à la moindre occasion. Il a le chic pour dédramatiser les situations. Ainsi, si un coup de fil lui fait comprendre qu’il est en retard à un rendez-vous, il arrive dare-dare, gravissant le perron de l’immeuble aux commandes de sa torpédo. Être flashé sur la route agace le commun des mortels. Lui s’en amuse. Un jour, surpris en excès de vitesse, il rebrousse chemin et, avant de repasser devant le radar, installe son chien à sa place, derrière le volant, tandis que, tapi sur le siège du passager, il dirige sa R5 Turbo de la main gauche. *** Futur N.8 de l’équipe du Grand Chelem 1977, le Dacquois Jean-Pierre Bastiat s’inscrit, lui aussi, dans la lignée des kamikazes de parade. Sa démonstration à l’arrivée du rallye, à Juan-les-Pins, en est la preuve irréfutable. La dernière épreuve nous impose d’exécuter un gymkhana effréné au volant d’une Ford Escort de compétition. Devant un public très nombreux, nous slalomons au milieu de bottes de paille, tentant d’inscrire le meilleur temps. 177
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Compte tenu de son impressionnant tour de tête, notre Bastiat ne peut passer aucun des casques traditionnels de pilote. Comme il n’est pas question pour lui d’enfreindre les règles de sécurité, il lui faut trouver une solution dans l’urgence. Nous le voyons alors se diriger vers un café et s’y engouffrer avec empressement. Il en ressort bientôt avec un rouleau de papier hygiénique dont il se fait un casque spécial. Ainsi enturbanné, ravi de pouvoir prendre le départ, il s’élance comme un malade, faisant hurler les vitesses dès qu’il aperçoit un semblant de ligne droite. Au moment où il aborde le premier virage sérieux, face à la tribune officielle, le papier lui glisse sur le visage, obstrue son champ de vision, et le voilà qui effectue une embardée sur les ballots de paille, au milieu de spectateurs qui s’écartent de justesse. La plaisanterie a failli mal tourner. *** Il arrive parfois que la farce rattrape le joueur. Inventeur de la technique de la « tortue » au sein du pack de Bègles, champion de France en 1990, Vincent Moscato est invité à La Plagne sur la recommandation de ses pairs, qui persuadent Richard Grand de faire d’une pierre deux coups : honorer le talonneur de l’équipe de France et s’assurer les services de l’amuseur N.1. Traditionnellement, champions et journalistes se réunissent pour élire, juste avant le réveillon de la Saint-Sylvestre, le « champion des champions » du Grand Prix. La plupart du temps, cette désignation occupe les esprits toute la journée du 31 décembre, le scrutin devant avoir lieu le soir, dans la boîte de nuit de la station. « Tu votes 178
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pour qui… ? » « Faut donner sa voix à Untel… » Ça parlemente dur. Ça intrigue ou ça troque. L’instant est solennel. L’urne est dressée et un séjour d’une semaine sous les cocotiers doit récompenser le lauréat. Champion le plus titré de l’Hexagone, le skieur nautique Patrice Martin, pourtant habitué, n’a jamais eu la faveur de ses pairs dont les préférences vont généralement aux joueurs de rugby, plus nombreux il est vrai, ou aux escrimeurs comme Jean-François Lamour, ces derniers ayant le chic pour s’attirer la sympathie de toutes les générations. Doué en tout, bon camarade, incapable de critiquer qui que ce soit, le Nantais n’a qu’un seul défaut : l’omniprésence à ses côtés de son entraîneur de père, Joël, trop sérieux et envahissant, qui alourdit un peu l’atmosphère. Toutes ses tractations passent, elles, à quelques annéeslumière au-dessus de la tête de Vincent Moscato, bien plus soucieux de prendre du bon temps que de participer à la désignation du « Petit Prince ». Il est d’ailleurs trop occupé à paresser dans le sauna, comme un lézard, au moment où se déroule le scrutin… Mais la cabale est parfaitement réglée. À la surprise générale, Martin est mené d’une courte tête par Moscato, lequel reste introuvable. Richard Grand s’agite. Le vote touche à sa fin et le rugbyman va devancer le skieur nautique. Il faut sauver coûte que coûte le soldat Moscato qui, en cas d’absence, se verrait privé du prix. On l’arrache à son sauna manu militari. L’avant du Stade Français arrive, les cheveux encore mouillés. Richard Grand, blême, lui tend le sésame pour le soleil, qu’il n’honorera du reste jamais. Patrice Martin est triste. Jeune marié, il se serait régalé sous le soleil du Sénégal. Je suis également peiné pour lui, car je n’ignore pas qu’il 179
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tire le diable par la queue pour joindre les deux bouts. Ses camps d’entraînement aux États-Unis sont fort chers. L’essence de son hors-bord lui coûte une petite fortune. Son mi-temps à la Banque de France ne lui suffit pas. Heureusement, la famille du Grand Prix lui réserve, l’année suivante, une double consolation ; non seulement un couronnement – Richard a serré les boulons avant le passage à l’urne – mais aussi la rencontre d’un bienfaiteur qui allait le suivre pendant des années : Jacques Petitjean, homme de goût et de lettres, doté d’un budget de communication non négligeable, celui de Primagaz. *** Le Grand Prix des Champions a un intérêt majeur : il fait découvrir les talents couronnés de l’Hexagone dans des disciplines qui n’ont pas forcément les faveurs des médias. Ces champions de l’ombre sont propulsés, une semaine durant, sous les feux de l’actualité. Membre de l’équipe de France de canoë-kayak, Gil Zok voit ainsi chaque année se produire au Grand Prix les nantis, suivis par de nombreux photographes et posant en équipe ou en famille. Il écarquille les yeux. Un jour peut-être… L’Isérois se met à rêver et se confie au radio-reporter Didier Beaune : « Si une place se libère… » Richard Grand reste imperméable à la suggestion du journaliste jusqu’au jour où une star de l’athlétisme, Joseph Mahmoud, fait faux bond au maître de céans. Didier Beaune alerte illico le quadruple champion du monde de descente en eaux vives, qui arrive séance tenante. Lui qui gagne chichement sa vie au ministère des Sports, il 180
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est ébloui et très honoré de se retrouver, enfin, en si bonne compagnie. Son regard bleu scintille de bonheur. Il touche à la notoriété. Il palpe la reconnaissance. D’entrée, il prend le sillage des rugbymen – il n’est pas Viennois pour rien ! Bon camarade, Jean-Charles Orso le chaperonne. Je reconnais bien là un Toulonnais. Patrice Martin se joint à eux, puis le champion de France des rallyes, le docteur François Chatriot, pointure en matière d’animation autour d’un comptoir. Ce Picard a une spécialité qu’il a baptisée le « 7, 14, 21 ». C’est un jeu de dés, bête et méchant. Chacun lance les dés à tour de rôle. L’auteur du 7e as commande un breuvage, insolite et baroque – du genre bière, rhum et Ricard. L’infortuné qui sort le 14e boit la mixture, et le camarade qui signe le 21e paie la tournée. La piste doit s’enflammer, car plus les tournées se multiplient, plus l’ambiance se détend. Le médecin se révèle orfèvre. Pour donner plus de rythme au jeu, il décrète ainsi l’instauration du breuvage de base : le « chalumeau », composé de gin et de cognac. Ainsi, la commande est simplifiée : un « chalumeau lait » et même, pour les plus solides du foie, un « chalumeau Fernet-Branca ». L’ami Gil Zok ne se défile pas. Hélas, il est poissard. Trois fois de suite, il sort le 14e as. C’est alors que l’on assiste à une scène hallucinante : le rameur sombre, glissant de sa chaise jusqu’à se lover sous la table. Il n’a pas l’habitude de boire… La partie se termine car il faut rejoindre la troupe pour un dîner en commun, en altitude. Jean-Charles Orso porte sur ses épaules le roi de la pagaie. Il le redescend deux heures plus tard comme si de rien n’était.
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Chapitre XVIII
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Un international français est sensible au coq gaulois. Mais il est des emblèmes, comme la tour Eiffel ou le viaduc de Millau, qui rendent le commun des mortels immanquablement fier d’être français. Imaginez donc le plaisir de débaptiser le paquebot Norway et de lui rendre sa véritable identité : le France. Entre autres attributions au sein de ma société, j’avais la responsabilité d’un secteur « Grands Chefs ». C’est ce qui m’a amené à redonner son lustre passé à ce bâtiment de légende, l’espace de trois croisières que nous avons organisées pour les maîtres queux de l’Hexagone, et auxquelles Walter Spanghero, Benoît Dauga, Michel Jazy et Michel Hidalgo, entre autres, apportaient leur soutien sportif. Nous sommes partis de Roissy pour rejoindre Miami en Concorde spécial, via New York, afin de retrouver sur les quais de Floride ce France de notre jeunesse et de nos rêves, estampillé pour l’occasion de la cocarde tricolore. Gastronomie et dégustations ont bien sûr bercé ces journées passées auprès de grands chefs que nous devions revoir, 183
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ballon au pied, à l’occasion du tournoi annuel de football des Étoilés que nous parrainons, et fusil à l’épaule pour un concours de parcours de chasse à La Voisine, évidemment appelé l’Assiette d’or. *** Grand meneur (il mesure 1,88 mètre) et, souvent Grand Veneur de Monseigneur le duc d’Orléans, Franck Kinnoo organise les chasses avec maestria, du haut de son mètre quatre-vingt-huit. Il a la prestance, le savoir, l’intonation un brin mondaine pour se faire écouter sans froisser, et joue parfaitement de la trompette. Sa moustache fleurie lui donne un look qui fleure bon la campagne giboyeuse. Avoir un profil plus adapté à l’emploi serait impossible. Il parle de la grouse (le perdreau d’outre-Manche) comme un lord écossais (pays dont il est originaire) et des voitures de course comme un pilote patenté, en évitant d’avouer qu’il est le beau-frère d’Hubert Auriol, l’organisateur du Paris-Dakar. Se retrouver à ses côtés, fusil Beretta sur l’épaule pour l’une des cinq traques au menu du jour ou pour une coupe de champagne, est toujours un plaisir raffiné. Franck organise vingt chasses par an : pour les amis de Paul Ricard, pour les grands chefs (avec les Gaïga, Le Divellec, Vigatto, Poussier et consorts) et mon copain de régiment Michel Chabran, pour les parlementaires (où l’on retrouve Jean-Louis Debré), pour le show-biz, pour les journalistes auxquels se joignent les présidents Ferrasse et Lapasset ou le talonneur international Philippe Marocco. Une chasse particulière est aussi offerte par le duc d’Orléans à ses amis, ce qu’il convient d’appeler une « chasse royale ». 184
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Grand collectionneur d’armes anciennes et de couteaux, mais aussi éminent photographe, Monseigneur Jacques d’Orléans est embauché par Ricard pour une durée de dix ans, en qualité de conseiller du président général. Son rôle précis consiste à amener à la société des têtes couronnées. Avec Franck, nous sommes chargés de l’accueillir en 1992. « Occupez-vous de lui », nous avait dit le directeur de l’époque. Un pot est organisé chez Cartier. L’ambiance est chaleureuse et Monseigneur y est sensible. Son sens naturel de la convivialité l’incite à répondre à toutes les sollicitations à trinquer. Nous comprenons vite que certains fâcheux aimeraient bien voir ce haut personnage plus gai que de raison en ce jour d’intronisation. Nous rappelons donc à ces tristes sires leur devoir de réserve et les règles du savoir-vivre. Mais il ne semble pas que cela soit suffisant. Aussi, pour nous arracher aux griffes des gêneurs, je trouve une échappatoire. M’approchant du duc, je lui chuchote à l’oreille : « Monseigneur, le carrosse est avancé. Il est temps de prendre congé… » Notre noble recrue est ravie. Elle a trouvé la soirée à son goût, ce que dès le lendemain, nous confirmons à notre directeur. Le rapport circonstancié que nous lui faisons précise toutefois que nous avons pris le parti d’écourter un peu les réjouissances. « Vous avez bien fait, nous lance-t-il sans la moindre élégance car, en cas de problème, vous étiez virés… » *** Jacques d’Orléans devient rapidement un complice. J’apprécie son esprit et son humour en société. Il ne trône 185
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pas dans les réceptions, il virevolte, imprévisible comme le vol d’une bécasse. Il va de l’un à l’autre d’un pas distingué. Il rit à toutes les plaisanteries. Gérard Depardieu, tel Cyrano, l’interpelle un jour dans une réception : « Oh Roi ! Viens ici. » La formule est hardie, un rien cavalière. Mais elle amuse l’héritier qui confie à ses proches qu’il a pris du galon : il est roi. Cette nouvelle destinée le ravit. Reprenant à son compte la formule du comédien, Jacques d’Orléans devient pour nous aussi « roi », avec la déférence de rigueur. *** Comment passer sous silence le « repas du siècle », sous l’égide de Serge Méricq, ancien président de l’Amicale des Internationaux et, depuis dix ans, cheville ouvrière de ces royales agapes ? Cette « fête nationale du goût », ce « 14 juillet de la papille » réunit immuablement quinze joueurs de rugby autour de Benoît Dauga et de moi-même, et quinze personnalités en phase avec le rugby, dans un pavillon de chasse, au milieu des Landes. Elle n’a rien à envier aux repas de banquets du siècle dernier décrits par Albert Ferrasse. Voyez plutôt ! La thématique en est simple et tourne autour des « petits volatiles » que nous déclinons délicatement. Se joignent à nous Pierre Albaladejo, Christian Darrouy, en chasseur de bécasses, et « Pipiou » Dupuy. Il convient de prendre son temps et du plaisir – « Prener plaser » comme le précise en patois notre « Bala » –, car le repas est aussi long qu’un marathon pour ventripotents. Jugez-en : foie frais poêlé aux échalotes, pinsons à la cocotte, 186
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bécasse à la ficelle, ortolans sous cape avec son petit verre d’Armagnac, avant de passer à des mets plus traditionnels comme la salade aux noix ou les fromages des HautesPyrénées. Pour terminer la journée sur une note sucrée, notre gâteau local : le pastis landais. Tous ces trésors sont, bien sûr, arrosés de la quintessence de Pétrus, en présence du propriétaire de ce sublime vignoble et de son maître de chais qui nous berce de mots pourpres et ambrés. Dernier détail concernant ces ortolans, désormais interdits à la vente. Chut… Ils sont engraissés dans les règles de l’art et tellement succulents qu’il ne faut rien en perdre. Y compris les entrailles. C’est pour cette raison que la « cape » a été inventée : une serviette sous laquelle on se cache pour déguster goulûment. Cette cape est à la table ce que la mêlée enfoncée est au rugby. N’est-ce pas Benoît ? *** Ce goût pour la gastronomie me vient des troisièmes mitemps de rugby. Vivant dans le Sud-Ouest, nous sommes inévitablement portés sur les plaisirs de la table, et ce penchant trouve son point d’orgue lorsque j’intègre le comité de sélection de la FFR, aux côtés de Jacques Fouroux et de la majeure partie de son équipe de 1977. Nous avons alors notre cantine au restaurant Jamin, tenu par Joël Rebuchon. On constate combien la relation entre la table et le rugby reste forte. Certes, les rugbymen de mon époque n’étaient pas très concernés par la diététique et ont toujours eu pour plaisir majeur la gastronomie qui leur tendait les bras au pied de leur clocher. 187
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Mais la capitale n’est pas en reste. Beaucoup de grands chefs parisiens, qui sont curieusement souvent demis de mêlée, sont nés dans le Sud-Ouest, comme le chocolatier Christian Constant, et les chefs Alain Dutournier et Guy Savoy. *** Que serait la table sans la treille ? Que serait l’ambition sans le risque ? Je compte parmi mes amis Philippe Riboud, un formidable battant au gabarit de troisième ligne qui, au sortir de son école de commerce, en 1982, cherchait sa voie. Il avait tiré le meilleur de sa discipline, l’épée, dont il était devenu champion olympique et champion du Monde. La devise de Pierre de Coubertin lui allait comme un gant d’escrimeur : « Plus haut, plus vite, plus fort. » Philippe me plaisait bien. J’aimais sa force de caractère et l’enthousiasme qu’il accrochait à son quotidien. Appelé à de nouvelles responsabilités, je lui avais proposé d’entrer dans la société. Mais le spectre de la loi Évin qui sévissait à ce moment-là l’avait fait hésiter. Les hasards de la vie lui ont fait rencontrer l’héritière du Château Roubine, un cru classé de côtes-de-provence, qu’il a épousée sans moucheter son arme. L’athlète de feu s’est spécialisé dans la vigne qu’il ne connaissait qu’en qualité d’amateur de bons vins. Il est devenu une référence et un exemple de réussite pour notre milieu sportif. Mon « cousin de Bourgogne » – il appartient en effet à la confrérie de Savigny-les-Beaune – ne lève plus son épée en signe de salut à l’adversaire, mais son verre à la santé de son prochain. Chaque année, sous le soleil du Haut-Var, il convie ses amis à une journée de l’amitié et de retrouvailles. On y croise 188
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ministres et sportifs. Parfois, comme Jean-François Lamour, les deux dans la même personne. En 2006, Philippe innove en présentant de la sculpture, avec les œuvres de Pascal Morabito exposées au milieu d’un parterre de porte-drapeaux olympiques : Marie-José Pérec, Jean-Claude Magnan, Daniel Morelon, Angelo Parisi, JeanFrançois Lamour, David Douillet et, bien sûr, le maître des lieux lui-même. J’y vois là un intéressant symbole. Que serait en effet le muscle sans la sensibilité de l’artiste ? Et, je ne sais pourquoi, cette journée me fait toujours penser à Aragon et à cette phrase, reprise par Jean Ferrat : « La femme est l’avenir de l’homme… »
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Chapitre XIX
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Pour avoir pratiqué le rugby pendant près de vingt ans, je ne me reconnais plus dans le rugby d’aujourd’hui. J’ai sincèrement toujours aimé le jeu pour le jeu. Comme certains se détendent à la pétanque ou d’autres s’enflamment à la belote. Tout simplement pour le plaisir. Observateur attentif certes, surtout sur petit écran, je constate que ce sport est devenu professionnel dans ses structures, qu’il y a aujourd’hui de nouvelles approches, physique et philosophique, du jeu. Il est effectivement devenu un métier, avec toutes les implications qu’engendrent les inévitables changements de règles. Quel chemin parcouru depuis l’époque du Grand Chelem de 68 où, pour toute répétition d’un match du Tournoi, nous ne pouvions compter que sur une seule séance d’entraînement, le vendredi après-midi, au lendemain de notre rassemblement. Désormais, l’équipe de France est dotée d’un manager général (Jean Dunyach), d’un manager (Jo Maso), d’un 191
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entraîneur en chef (Bernard Laporte), d’un entraîneur pour les avants (Jacques Brunel) et d’un autre pour les arrières (Bernard Viviès), d’un entraîneur pour la défense (David Ellis) et, bientôt, d’un responsable du jeu au pied (Didier Camberabero). À quand l’entraîneur pour la passe à gauche et l’entraîneur pour la passe à droite ? Les joueurs du XV de France ont aussi à disposition un préparateur physique, un diététicien, un spécialiste de la vidéo, un psychologue, un ostéopathe, un bagagiste et un attaché de presse. Il ne manque qu’un abbé Pistre pour faire office de curé. Songez qu’à l’entraînement, une machine à lancer fait office de talonneur pour peaufiner les prises de balle en touche. Le nouveau centre d’entraînement de Marcoussis est un véritable palace avec saunas, piscines et bains de récupération. Où est donc passée la convivialité du Château Ricard, l’heure des entraînements venue ? Il faut d’ailleurs savoir que les séances sont placées sous haute surveillance. Les journalistes sont dans l’obligation de rester dans les tribunes et ne suivent plus les évolutions du bord de touche, comme naguère à Rueil ou à Clairefontaine. Du reste, une somptueuse passerelle de bois, haute et hautaine à la fois, a été construite pour permettre aux joueurs de quitter leurs quartiers pour se rendre sur le terrain sans avoir à serrer des mains. Cette œuvre, coûteuse, semble d’autant plus inutile que les oreillettes des agents de sécurité eussent suffi pour prévenir de la présence de curieux ou d’intrus. Les gadgets ont ainsi investi notre planète rugby et les pionniers que nous fûmes seront amusés d’apprendre que, lors des déplacements en avion, des bas de contention sont distribués aux joueurs pour éviter que les jambes gonflent. Vous 192
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imaginez-vous Alain Plantefol, mollets galbés, lors de ce fameux voyage de trente heures en Nouvelle-Zélande ? Le rugby a couronné ainsi sa révolution, à la fin des années 90. Notamment lorsque épouses et compagnes ont été admises au banquet d’après-match – entraînant une dislocation des troisièmes mi-temps –, lorsque les agents des joueurs ont fait leur apparition en coulisse, lorsque les magazines se sont emparés de la plastique des rugbymen et, enfin, lorsque les règles de notre cher jeu sont devenues aussi sophistiquées que le cerveau d’un ordinateur. Faut-il adhérer à la complexité des règles de jeu ? J’ai du mal à apprécier la répétition de mauls avançant, magma confus séquestrant le ballon, derrière des partenaires dans une position à mes yeux illicite. Dans cet esprit, j’accepte mal un adversaire systématiquement sanctionné dès lors qu’il écroule cette avancée, son action engendrant le plus souvent des essais de pénalité. Et que dire des mêlées, ces chères et farouches mêlées de notre jeunesse, lorsque les piliers sont sanctionnés, à tour de rôle, en vertu de jugements obscurs ? Les multiples interventions des hommes au sifflet, par micros interposés, m’insupportent totalement. Sont-ils devenus les tout-puissants ? Ont-ils tous les droits ? Peuventils faire des remontrances sur le même ton qu’un instituteur à ses élèves ? Il n’y a pas un seul autre sport sur la planète dans ce cas. Je le déplore, notre rugby est en train de détourner la vedette et le spectacle vers le corps arbitral au détriment du rythme et de la beauté du jeu. À quand un retour à la raison ? L’engagement physique total n’est certes pas fait, bien au contraire, pour me déplaire. Cependant, le rentre-dedans 193
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systématique a parfois ses limites. Qu’en est-il du rugby d’évitement qui, en d’autres temps, fit la gloire de ce jeu ? Le XV de France d’aujourd’hui a les moyens, j’en suis sûr, d’élever son niveau, ce que prouvent très souvent ses actions bien senties, « labellisées » France. Chaque inspiration des lignes arrière amène le danger, quelle que soit l’identité de l’adversaire. J’en veux pour preuve la demi-finale exceptionnelle de 1999, contre la Nouvelle-Zélande (31-43). À un an d’une coupe du Monde sur notre sol, il me semble donc que les Tricolores seront les seuls capables de semer le doute dans les rangs de ces formidables All Blacks, toujours, envers et contre tout, au sommet de leur art. Ces derniers demeurent, dans mon esprit, la référence à travers les âges. Mais, n’ont-ils pas atteint, à ce jour, un niveau inaccessible pour tous les autres ? Après avoir été témoin, pendant vingt ans, de l’évolution des XV de France dans leur retraite du Château Ricard, après avoir, dans ma carrière, rencontré les équipes les plus prestigieuses du monde, je sais que pour un joueur français motivé, il n’y a aucun sommet inaccessible. Fût-ce un premier titre mondial. Voyez Mai 68. Une révolution sociale dans le pays. 1968 dans sa globalité sportive : trois médailles d’or de Jean-Claude Killy aux jeux Olympiques de Grenoble et, ce XV de France, totalement déstructuré à mi-parcours, qui va nous gagner le premier Grand Chelem du Tournoi des Cinq Nations de rugby, bonheur que la France attendait depuis soixante ans. Et ce, avec une équipe de « Marie-Louise » commandée par un jeunot. Qui l’eût cru ?
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Homme intarissable et enflammé, Christian Carrère lutte pour retrouver le plein usage de sa parole après une attaque cérébrale survenue au matin du 7 mars 2006, à Séville, au début d’une semaine de vacances andalouses alors que, depuis trois ans, il savourait une retraite professionnelle paisible et une vie passée à « diffuser l’amitié à fortes doses ». Le timbre lui manque donc pour pouvoir, comme il l’aurait souhaité, chanter, sans fausse note ou dérapage cette fois, sa vie au travers de trois complaintes : Les Copains d’abord de Georges Brassens, La Ballade des gens heureux de Gérard Lenormand et Je suis venu vous dire salut de Michel Sardou. Puissent ses montagnes, qui lui rappellent tant la NouvelleZélande, et la blanche chapelle émergeant des eaux émeraudes de Serre-Ponçon, la plus grande retenue d’Europe en contrebas d’une baie vitrée, lui ouvrir la voi(e)x. Christian Carrère nourrissait un espoir : voir un jour, à la bonne saison, sa chère Patrouille de France tracer ses 195
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sillons au-dessus du champ d’avoine jouxtant sa maison des Hautes-Alpes. Gageons que lorsque vous apercevrez les ailes de cellesci, le « Berger » sera ressuscité et le « Capitaine de Vie » totalement sur pied.
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Jo Maso a trouvé la formule appropriée : « Christian Carrère est un Capitaine de Vie », pour ceux qui l’ont personnellement côtoyé, crampons aux pieds ou en habit de lumière professionnel, distillant à flots continus la bonne parole. Les acteurs et héros d’une balade au pays du rugby ont pris un infini plaisir à rendre hommage à leur Berger pour lequel l’amitié n’est pas un vain mot. « Elle compte pour soixante pour cent dans le rendement d’une équipe », a-t-il coutume de dire… … Mais, bien davantage encore, sur les chemins de la vie.
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Christian, le Berger Mon ami Je suis allé là-haut, à ta chère montagne… Devant le lac si bleu, d’où l’on voit ta maison Et j’ai parlé de toi à tes chers mouflons !… Qui étaient étonnés, que tu ne m’accompagnes. Je l’ai dit, au vent qui porte l’hirondelle, Qui passe en caressant les neiges éternelles, Qu’il les rassure tous, que tu viendras bientôt, Et que tu étais homme à porter un fardeau ! Si tu affrontais la tempête ou la glace, Comme toujours, tu saurais y faire face… Que tu arriveras, quand sonnera l’été. Debout dans la lumière, tel un ressuscité. Le Poète Paysan Mai 2006 À Christian Carrère Michel Sitjar Troisième ligne – 14 sélections
Poésie écrite pendant la rééducation de Christian Carrère, victime d’un accident vasculaire cérébral, le mardi 7 mars 2006 au matin, lors de vacances à Séville.
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Pierre Albaladejo : « J’ai suivi toute sa carrière. On ne peut en dire que du bien. Je sais ce que sa sociabilité a contribué à faire pour certains. C’est un homme exemplaire du rugby. » Richard Astre : « Christian Carrère est un exemple de générosité et d’honnêteté intellectuelle. Du joueur, je ressortirai deux aspects : sa combativité et son élégance. Deux vertus étant pourtant antinomiques. » Jean Barthe : « J’ai eu l’occasion d’adresser mes louanges à Christian Carrère. Il les méritait car c’était un grand Monsieur sur le terrain. Quant à moi, le XIII me convenait bien. C’était sensiblement pareil que le XV où, à l’époque, en l’absence de la télévision, on ne se ratait pas. Maintenant, il y a trop d’impacts sans ballon. Le rugby est devenu un condensé de XIII, de XV et de football américain. Dommage ! » Lilian Camberabero : « Christian avait du tempérament en toute circonstance. Y compris pour faire la fête. Sur le terrain, il tutoyait aussi l’excellence. C’était un très bon capitaine n’ayant pas son pareil pour rameuter sans crier. Ce n’était pas un dictateur, mais un rassembleur. Trouver plus gentil que lui serait impossible. » Jack Cantoni : « J’ai pu m’exprimer en équipe de France grâce à Carrère (et Dauga). Christian m’a dit : “Joue comme tu le fais à Béziers, t’occupe pas des autres.” Pour nous, ce n’était pas Christian Carrère, mais “Monsieur Carrère”. Un garçon gentil, calme et attachant. Quand il parlait, nous buvions ses mots. Et Dieu sait que les instants d’amitié peuvent être arrosés en rugby. Là encore, il nous épatait : il avait une récupération extraordinaire. Il n’a jamais été champion de France, mais je pensais sincèrement qu’il serait couronné en 71. Et puis, j’ai pu relancer derrière nos poteaux et transmettre à 201
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Séguier pour l’essai de la victoire, juste avant d’être taxé par Fabien d’une cravate, laquelle m’a plongé dans le brouillard. » Michel Crauste : « J’étais intéressé pour accueillir Christian à Lourdes. Mais je me suis dit : “Voilà encore un autre jeune qui part sous d’autres cieux…” Je reconnais qu’il avait toutes les qualités et un sens inné du jeu. Je regrette profondément de ne pas avoir joué à ses côtés. » Benoît Dauga : « Au rugby, Christian a été mon meilleur ami. Mais, dans la vie, il l’est devenu davantage encore. On ne peut pas oublier ce qu’il a fait pour moi après mon accident et quand il m’a fait entrer au sein de la société Ricard. Frère et ami, ami et frère, nous le serons toujours. » Claude Dourthe : « Christian a été un capitaine idéal car il inspirait le respect, malgré son jeune âge. Sa désignation a été le fruit d’un choix naturel. Il était posé, raisonnable et intelligent. Il avait la maîtrise sur les jeunes fous que nous étions. Il lui suffisait d’une parole ou d’un sourire pour remettre les choses en ordre. Tout le monde arrêtait les frasques alors. » Jean Dupuy : « J’ai joué un 1/16e à La Rochelle au sein de la troisième ligne en sa compagnie. Hélas, il s’est claqué au bout de dix minutes, mais est resté sur le terrain jusqu’au bout. À l’époque, à moins de se casser une jambe, on ne sortait pas. Quand il a débuté, j’ai pris Christian sous mon aile. On partait ensemble disputer des matches dans les petits patelins. On ne se privait de rien sur la route. On ne “soufflait” pas en ce temps-là. » Jean Gachassin : « Christian était un meneur d’hommes qui savait faire passer les messages sans agressivité. On le « badait » [admirait]. Je
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me souviens combien il avait été impressionné par Michel Crauste dans un match de phase finale à Pau. “Tu te rends compte, jamais j’aurais pensé pouvoir jouer contre lui”, m’avait-il soufflé. Cette phrase m’avait plu. Je lui avais rétorqué : “J’aime les gens qui respectent la hiérarchie des hommes et des valeurs.” » Jérôme Gallion : « Christian était une star dans le rugby, mais par nature il était une anti-star. C’était un monument très accessible, comme en témoigne la manière dont il s’est approché de moi lorsque j’ai intégré, à 17 ans, l’équipe première. “Assieds-toi, ça va bien se passer.” Il m’a gentiment expliqué ce qu’il fallait faire. Christian est un être simple, bon, sensible et authentique. » Aldo Gruarin : « Christian a été un enfant gâté de Toulon : il était tellement talentueux. Et Dieu sait si ça n’a pas été le cas dans sa famille. Son père était militaire. Il faut voir comment il traitait son petit. Il lui parlait beaucoup plus durement qu’à un soldat. Quand Christian évoquait son père, il était toujours en dessous de la vérité. Christian représentait la camaraderie, la reconnaissance et l’humilité. Comment ne pas l’adorer ? » André Herrero : « Christian a toujours été le joyau de notre équipe. Il avait un comportement de star et, de ce fait, possédait une cour autour de lui. Il n’a cependant jamais véritablement été considéré comme un Toulonnais ; ce n’était pas un enfant du pays. Le joueur n’était pas doté d’un physique exceptionnel, mais il avait beaucoup de force dans les bras. Il possédait également un sens accru de l’anticipation : il allait toujours directement au point de chute du ballon. Bref, il était brillant et sentait le rugby. Moi, j’étais plutôt homme de base. Lui, une vedette. Cela créait de l’antinomie. Il prônait un mode d’entraînement plus rationnel dans la mesure où il était plus doué que les autres. “N’écoute 203
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pas André, c’est un bourrin”, lui disait-on. J’étais obligé de lui demander de s’entraîner davantage, surtout en regard des autres. Cela créait un peu de zizanie dans l’entourage. On nous a souvent opposés, mais nous nous entendions quand même bien. » Jo Maso : « Christian a été bien davantage que le leader du XV de France. Ce fut un admirable capitaine de vie. En huit années, j’ai connu plus d’un capitaine entre Crauste, Dauga, Walter Spanghero et Darrouy, mais Christian est celui dont je me souviens le plus. C’était une personnalité qui sécurisait son entourage. Son jeune âge n’a jamais posé de problèmes pour assumer le commandement car il faisait preuve d’une grande maturité. Le flanker était à la mesure de l’homme : extraordinaire sur le plan du soutien offensif, terrible défenseur et doté d’une grande faculté pour lire le jeu. » Jean Salut : « Christian était un fameux capitaine. Mais, le joueur n’était pas en reste. Quand il entrait dans un mec, ce n’était pas comme Nyanga. Il avait une force de percussion hallucinante et une qualité de jus sur l’homme incomparable. Il accélérait à cinq ou six mètres de l’impact, plaçait ce buste qu’il avait très fort et gratifiait l’adversaire d’un placage destructeur. C’était un régal de jouer à ses côtés. Chalon ? C’est un souvenir de rigolade. Nous étions tous les trois, Carrère, Sitjar et moi-même susceptibles d’être sélectionnés en équipe de France. Mais, Sitjar a passé en effet son temps à quitter la mêlée. Je lui ai dit : “Si tu t’en vas, moi aussi…” On a batifolé de concert. Nous avons, du reste, failli perdre à la dernière minute quand un grand deuxième ligne allemand a tenté un drop du pointu des 50 mètres. Nous avons tous tremblé : le ballon est passé au ras de la barre. Sinon, nous aurions été la première équipe française battue par les Allemands depuis 1940. »
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Philippe Sella (ex-recordman mondial des sélections : 111 sélections) : « J’ai connu Christian au Château Ricard où il réglait, avec Benoît Dauga, un accueil des plus chaleureux. Mais, j’ai également eu la chance de le côtoyer ailleurs : je pense au Grand Prix des Champions, et à une sélection mondiale qu’il encadrait en 1989. J’ai alors retenu sa gentillesse et il m’a conforté dans l’image que j’avais de lui. L’homme était un Monsieur doublé d’un sage auprès duquel j’ai souvent pris conseil dans le cadre de mon entreprise événementielle et de communication. Le personnage inspire le plus profond respect et le capitaine qu’il fut restera indélébile dans la légende. » Jean-Claude Skréla (directeur technique national) : « J’ai découvert Christian à mon arrivée à Rueil-Malmaison dans le lieu de retraite de l’équipe de France à la veille d’un match contre le Pays de Galles. Mon premier soin avait été de chercher l’entraîneur. Je ne l’ai pas trouvé et pour cause : c’est lui qui entraînait, parallèlement à ses fonctions de capitaine. Il organisait tout. C’était le taulier respectable et respecté. Christian a œuvré parmi une génération de fortes têtes. Mais, de tous, c’est lui qui avait la plus grande personnalité. » Claude Spanghero : « Fallait-il que Christian soit un homme hors du commun et un capitaine extraordinaire pour donner une âme à une troupe formée de caractériels. Chaque joueur composant l’équipe était en effet une sorte de capitaine ou vice-capitaine dans son propre club. Ce n’était pas le genre de type à gueuler, comme un Jacques Fouroux. Il avait l’intelligence de prendre chacun dans le sens du poil. » Albert Ferrasse (ancien président de la Fédération française de rugby) : « J’étais tout à fait favorable à ce que Christian me succède. Il était super doué. C’eut été le meilleur président possible, car le seul 205
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à faire l’unanimité. Mais une succession se prépare. Voyez ce qui est arrivé à Jacques Fouroux lequel avait également toutes les qualités requises ! C’est finalement Bernard Lapasset qui a remporté le pompon alors qu’il ne le souhaitait pas… Quant à Carrère, il est finalement entré à la Fédération en qualité de vice-président. Il va sans dire que l’homme me plaisait, sinon je ne l’aurais pas permis. J’ai, par ailleurs, apprécié le joueur, excellent en tous points. » Bernard Lapasset (président de la Fédération française de rugby) : « Christian est la personnalité qui a redressé la situation fédérale à l’époque où Jacques Fouroux avait marqué une scission forte à la Fédération. Il est venu me chercher, porteur d’un dispositif rassembleur. Que serait devenue la FFR sans son intervention ? C’était le seul personnage de l’échiquier national capable de réunifier vingt ans d’internationaux à fortes personnalités. Il reste un conteur n’aimant pas se raconter, mais plutôt faire état de ses amitiés. C’est un homme extraordinaire en même temps qu’un être attachant dégageant beaucoup de force. » Marcel Cerdan Jr (boxeur) : « Christian est un type sur lequel on peut compter, pas du genre fanfaron… Mais c’est Walter qui m’aidait en manœuvres lors de notre service militaire. Il n’était pas rare d’ailleurs qu’il me porte sur ses épaules ou prenne mon sac. Mais, au comptoir, il n’y avait plus de canard boiteux : nous étions toujours tous les trois, hyper complices. » Yves Hézard (ancien champion cycliste) : « Christian est un fondu de vélo dont il apprécie l’ambiance. Sa connaissance du matériel aurait pu faire de lui un coureur cycliste. Son sous-sol impressionnerait le plus pointilleux des mécanos. Il m’épate par ses connaissances du matériel. Il aurait aimé être coureur et rouler sur les traces de son
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idole Jacques Anquetil. Il aura, tout simplement, été le capitaine du premier Grand Chelem. » Patrice Martin (douze fois champion du monde de ski nautique) : « Je l’ai apprécié tout petit au travers de ces légendes qui font la beauté du rugby. C’est le capitaine exceptionnel qui a atteint l’excellence avec son groupe. Christian donne confiance. Il représente l’amitié, la volonté, la force. Je ne l’ai jamais vu seul à une table. Un signe… » Philippe Riboud (champion olympique à l’épée) : « J’ai toujours été proche des judokas et des rugbymen : Christian y est pour quelque chose. Je l’ai rencontré tout gamin, alors que je sortais de mon école de commerce. Appelé à d’autres fonctions au sein de sa direction, il m’avait proposé le poste qu’il occupait au sein de la société Ricard où il animait des opérations de pétanque, tauromachie ou catch. Mais, la loi Evin arrivait et j’ai hésité. Nous avons aussi un point commun : le bon vin, qu’il déguste à la “Cousinerie” de Bourgogne ou, régulièrement, chez moi, au Château Roubine. » Bernard Thévenet (double vainqueur du Tour de France cycliste) : « L’œuvre de Christian se décline bien au-delà du rugby. Il restera non seulement ce capitaine inscrit dans l’Histoire mais un homme de talent, apprécié pour sa franchise et sa générosité. Il est toujours partant pour les opérations caritatives de l’ancien perchiste Victor Sillon qui, par le biais des écoles de commerce, organise des galas au cours desquels un champion, comme Jean-François Lamour, Jean-Claude Bouttier, Yves Saint-Martin ou moi-même, anime une table. En ma qualité de président de l’Association des coureurs cyclistes, j’ai apprécié sa contribution à l’apéritif qui resserre tant les liens d’amitié. » 207
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Jean-François Lamour (ministre des Sports) : « Christian Carrère est un seigneur qui constitue un repère parmi les générations qui se sont succédé. Il est de la race des champions ayant eu une contribution discrète et efficace dans l’histoire du sport. C’est un homme vrai, doublé d’un manageur incomparable. » Colonel Gérard Dupont (ancien commandant du Bataillon de Joinville) : « En 1964, époque de Christian Carrère, les Anglais (British Combined Services) ne voulaient plus jouer contre nous. Nous étions la plus forte équipe militaire de rugby du monde. Songez que 580 internationaux se sont succédé au Bataillon. Christian était de ceux-là. Nous avions un point commun car il était fils de militaire. À ce titre, il avait déjà des notions de commandement. C’est un garçon intelligent et pondéré. Le joueur avait déjà mis au point un “tourbillon” pour les avants, qu’il pilotait. Walter Spanghero était à ses côtés. Lors d’un match contre une sélection d’Armagnac-Bigorre (avec les Gachassin, Arnaudet, Halçaren, Dupy et Cazaux) que nous gagnons 44-21, Walter avait effectué un relais fracassant sous les yeux de l’entraîneur national Jean Prat : quelque temps plus tard, il était appelé en équipe de France pour se rendre en Afrique du Sud. » Didier Beaune (journaliste à RMC) : « Très à l’aise au micro, Christian était hyper consciencieux dans sa préparation des matches. Il ne vivait pas sur ses acquis. Je connais quelques consultants qui arrivent juste avant un coup d’envoi en croyant tout connaître. Je ne l’ai jamais connu excessif ni entendu tailler les joueurs. Il avait un autre langage, très équilibré, n’utilisant pas toujours les mêmes mots ou expressions comme certains de ses pairs. » Richard Grand (organisateur) : « Christian est, comme moi, un enthousiaste. Mais, à ma différence, il ne se met jamais en colère bien
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qu’il ait sur chacun des idées très arrêtées. Si d’aventure quelqu’un s’égare, sa discrétion l’obligera à ne rien laisser paraître. Mais ce sera fini. Il possède ce don pour déceler les qualités et les défauts d’autrui. Il fut un très bon directeur de Ricard. Je l’ai, bien sûr, apprécié pour sa générosité dans les budgets, mais surtout pour sa passion pour les hommes. C’est un charmeur un peu cabot et un roc en amitié. » Max Mamers (organisateur du Trophée Andros et ancien pilote) : « Christian est un mec adorable que je n’ai jamais entendu dire du mal de personne. Il n’est jamais aigri. Si cela ne colle pas avec quelqu’un, il ne le fréquente pas. Il possède une classe extraordinaire qui lui a permis de durer après ses activités sportives avec l’intégralité de son charisme. Je l’ai connu alors qu’il était président de l’ASA Paul Ricard où ses qualités de gestionnaire faisaient merveille. Moi j’étais pilote professionnel et nous étions sur le circuit cinquante jours par an. De plus, mes activités d’ostéopathe m’ont fait soigner la moitié de l’équipe de France dans le sillage de Jean-Luc Joinel, Briviste comme moi. Si l’on ajoute à cela une passion pour le cyclisme, nous avions donc trois pôles d’intérêt en commun. Cela nous a permis de vivre en permanence des moments d’amitié, car Christian est de cette génération où la fête est l’incontournable prolongement du sport et de l’effort. » Patrick Ricard (président-directeur général du groupe PernodRicard) : « Christian est un altruiste tourné vers son prochain. Il était bien avec tout le monde, caractéristique qui lui venait du rugby. Il appréciait tous les horizons et s’est formidablement intégré aux affaires. Il demeure à ce propos un exemple. Chez Pernod, Jean-Pierre Rives ne s’est pas intégré du fait de son côté artiste et individualiste. Serge Blanco y est parvenu et Benoît Dauga également, mais Christian avait une bonne tête au-dessus des autres. Il vouait une admiration à mon père qui lui a mis le pied à l’étrier. Mais sa réussite est essentiellement 209
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de son fait. Il a su se faire son trou. Si le rugby est aussi populaire dans certains milieux, c’est parce qu’il y a contribué. » Son Altesse Royale, le duc d’Orléans : « Christian m’appelait “Roi”. C’était un bon vivant que j’ai apprécié à sa juste valeur à mon arrivée chez Ricard. Nous avions un point commun : la chasse. Il m’a aidé dans le cadre de mon exposition, “L’Or des Invalides”. J’étais le seul photographe admis sous la coupole. C’est là que j’ai découvert son talon d’Achille. Lui qui a multiplié les sorties aériennes avait tout simplement le vertige. » Franck Kinnoo (responsable de communication de Ricard, Grand Meneur des chasses) : « Christian possède un côté animal que l’on retrouve dans la chasse. C’est quelqu’un qui sent les autres. C’est un détecteur de mensonges. Il s’agit aussi d’un homme allant au bout de l’amitié. S’il faut aller chercher quelqu’un au milieu d’un banc de requins, il y va. » Michel Montana (organisateur du Mondial La Marseillaise à pétanque) : « Christian est un homme de grande fidélité. Parole donnée, acte acquis ! C’est un bon joueur de boules, comme tous les sportifs d’ailleurs. Il pointe bien. Après Charles Pasqua, il fait partie de ces hommes qui ont beaucoup cru en l’avenir de la pétanque. Son aide a été permanente. »
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Tournoi des Cinq Nations 1967 Écosse bat France 9-8 (mi-temps : 6-3) Colombes, 14 janvier 1967 1 essai Carrère Lacaze - Duprat, Dourthe, Maso, Darrouy (cap) - (o) Gachassin (m) Lasserre Carrère, Herrero, Salut - Dauga, W. Spanghero - Gruarin, Cabanier, Berejnoï Wilson - Hinselwood, Turner, Simmers, White - (o) Chisholm (m) Hastie Grant, Boyle, Fisher (cap) - Hunter, Stagg - McDonald, Laidlaw, Rollo
France bat Angleterre 16-12 (mi-temps : 13-9) Twickenham, 23 janvier 1967 Lacaze - Duprat, Dourthe, Lux, Darrouy (cap) - (o) G. Camberabero (m) L. Camberabero - Carrère, Herrero, Sitjar - Dauga, W. Spanghero - Gruarin, Cabanier, Berejnoï Hosen - Savage, Hearn, Jennings, McFadyean - (o) Finlan (m) Pickering - Taylor, Pallant, Rollitt - Watt, Baron - Judd (cap), Richars, Coulman
France bat Pays de Galles 20-14 (mi-temps : 9-9) Colombes, 1er avril 1967
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Gachassin - Arnaudet, Dourthe, Lux, Darrouy (cap) - (o) G. Camberabero (m) L. Camberabero - Carrère, Dauga, Sitjar - Cester, Fort - Gruarin, Cabanier, Berejnoï T. Price - S. Watkins, Raybould, Davies, Bebb - (o) D. Watkins (cap) (m) Edwards - Taylor, Morris, Jones - Mainwaring, B. Price - Williams, Rees, Llyod
France bat Irlande 11-6 (mi-temps : 5-3) Dublin, 16 avril 1967 Villepreux - Gachassin, Dourthe, Lux, Darrouy (cap) - (o) G. Camberabero (m) L. Camberabero - Carrère, Dauga, Sitjar - Herrero, Fort - Gruarin, Cabanier, Berejnoï Kiernan - Scott, Bresnihan, Walsh, Brophy - (m) Gibson (m) Young - Doyle, Goodall, Murphy (cap) - Molloy, McBride - Hutton, Kennedy, McHale
1. France 6 pts
Classement 2. Angleterre 4 pts 2. Écosse 4 pts 2. Irlande 4 pts
23. Galles 2 pts
1968 France bat Écosse 8-6 (mi-temps : 3-3) Édimbourg, 13 janvier 1968 Lacaze - Duprat, Trillo, Maso, Campaès - (o) G. Camberabero (m) L. Camberabero - Carrère (cap), W. Spanghero, Rupert - Dauga, Cester Gruarin, Cabanier, Abadie Wilson - Hinshelwood, Turner, Frame, Keith - (o) Chisholm (m) Hastie - Grant, Boyle, Fisher (cap) - Mitchell, Stagg - Carmichael, Laidlaw, Rollo
France bat Irlande 16-6 (mi-temps : 8-6) Colombes, 27 janvier 1968 Villepreux - Duprat, Trillo, Lux, Campaès - (o) Gachassin (m) Mir - Carrère (cap), W. Spanghero, Salut - Dauga, Cester - Gruarin, Cabanier, Abadie Kiernan (cap) - Duggan, O’Brien, Bresnihan, Scott - (o) McCombe (m) Sherry - Doyle, Hipwell, Goodall - Molloy, McBride - Calaghan, Kennedy, Millar
France bat Angleterre 14-9 (mi-temps : 3-6) Colombes, 26 février 1968 Lacaze - Bonal, Gachassin, Lux, Campaès - (o) G. Camberabero (m) 212
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L. Camberabero - Carrère (cap), W. Spanghero, Salut - Cester, Plantefol - Noble, Yachvili, Lasserre Hiller - Savage, Brooke, Lloyd, Webb - (o) Weston (cap) (m) Pickering - West, Gay, Bell - Larter, Parsons - Coulman, Pullin, Keen
France bat Pays de Galles 14-9 (mi-temps : 9-3) Cardiff, 25 mars 1968. 1 essai Carrère Lacaze - Bonal, Dourthe, Maso, Campaès - (o) G. Camberabero (m) L. Camberabero - Carrère (cap), Greffe, W. Spanghero - Cester, Plantefol Noble, Yachvili, Lasserre Rees - W. Jones, Dawes, Raybould, Richards - (o) John (m) Edwards (cap) Taylor, R. Jones, Morris - Wiltshire, Thomas - O’Shea, Young, Lloyd
1. France 8 pts 2. Irlande 5 pts
Classement 3. Angleterre 4 pts 2. Galles 4 pts
25. Écosse 0 pts
1969 Écosse bat France 6-3 (mi-temps : 3-0) Colombes, 11 janvier 1969 Villepreux - Bonal, Lux, Maso, Campaès - (o) Gachassin (m) Bérot - Carrère (cap), Dauga, W. Spanghero - Lasserre, Cester - Esponda, Yachvili, Iracabal Blaikie - Hinshelwood, Turner, Rea, Jackson - (o) Telfer (m) Connell (McCrae) - Arnel, Telfer (cap), Elliot - McHarg, Stagg - Carmichael, Laidlaw, Suddon
Irlande bat France 17-9 (mi-temps : 11-6) Dublin, 25 janvier 1969 Villepreux - Lux, Trillo, Maso, Bonal - (o) Gachassin (m) Bérot - Carrère (cap), W. Spanghero, Salut - Dauga, Cester - Iraçabal, Yachvili, Lassere (Esponda) Kiernan (cap) - Duggan, Brenishan, Rea, Moroney - (o) McGann (m) Young Murphy (Hipwell), Goodall, Davidson - Molloy, McBride - O’Callaghan, Kennedy, Millar
Classement 1. Galles 7 pts 2. Irlande 6 pts 3. Angleterre 4 pts
4. Écosse 2 pts 5. France 1 pt
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1970 France bat Écosse 11-9 (mi-temps : 11-6) Édimbourg, 10 janvier 1970 Villepreux - Bourgarel, Marot, Lux, Sillières - (o) Pariès (m) Sutra - Carrère (cap), Dauga, Viard - Cester, Bastiat - Azarète, Bénésis, Iraçabal Smith - Biggar, Frame, Rea, Hinshelwood - (o) Robertson (m) Connell – Arneil, Telfer (cap), Lauder - Brown, Stagg - Carmichael, Laidlaw, McLauchlan
France bat Irlande 8-0 (mi-temps : 0-0) Colombes, 24 janvier 1970 Villepreux - Bourgarel, Marot, Lux, Sillières - (o) Pariès (m) Sutra - Carrère (cap), Dauga, Biémouret - Cester, Bastiat - Azarète, Bénésis, Iraçabal Kiernan (cap) - Duggan, Brenishan, Gibson, Brown - (o) McGann (m) Young - Slattery, Goodall, Lamont - Molloy, McBride - O’Callaghan, Kennedy, Millar
Pays de Galles bat France 11-6 (mi-temps : 6-3) Cardiff, 4 avril 1970 Villepreux - Cantoni, Marot, Lux, Bonal - (o) Pariès (m) Puget - Carrère (cap), Dauga, Biémouret - Cester, Bastiat - Azarète, Bénésis, Iraçabal Williams - Shanklin (Raybould), Dawes (cap), Lewis, Mathias - (o) Bennett (m) Edwards - Taylor, Davies, Morris - Gallacher, Thomas - Llewellyn, Young, Lloyd
France bat Angleterre 35-13 (mi-temps : 14-0) Colombes, 18 avril 1970 Villepreux - Bourgarel, Trillo, Lux, Bonal - (o) Bérot (m) Pebeyre - Carrère (cap), Dauga, Biémouret - Cester, Le Droff - Iraçabal, Bénésis, Lasserre Jorden - Fielding, Spencer, Duckham, Novak - (o) Finlan (m) Stamer-Smith Taylor (cap), Redmond, Bucknall - Larter, Leadbetter - Fairbrother, Pullin, Jackson
Classement 1. France 6 pts 1. Galles 6 pts 1. Irlande 6 pts
4. Écosse 2 pts 4. Angleterre 2 pts
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1971 Angleterre et France 14-14 (mi-temps : 6-14) Twickenham, 27 février 1971 Villepreux - Sillières, Bertranne, Lux, Cantoni - (o) Bérot (m) Barrau - Carrère (cap), Dauga, Yachvili - C. Spanghero, W. Spanghero - Azarète, Bénésis, Lasserre Hiller (cap) - Janion, Wardlow, Duckham, Glover - (o) Wright (m) Page Neary, Hannaford, Bucknall - Horton, Larter - Fairbrother, Pullin, Powell
Pays de Galles bat France 9-5 (3-5) Colombes, 27 février 1971 Villepreux - Bourgarel, Bertranne, Lux, Cantoni - (o) Bérot (m) Barrau - Carrère (cap), Dauga, Biémouret - C. Spanghero, W. Spanghero - Iraçabal, Bénésis, Lasserre JPR Williams - Davies, Dawes (cap), Lewis, Bevan - (o) John (m) Edwards Taylor, Davies, Morris - Roberts, Thomas - Williams, Young, Llewellyn
1. Galles 8 pts 2. France 4 pts
Classement 3. Angleterre 3 pts 2. Irlande 3 pts
25. Écosse 2 pts
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Tournées Afrique du Sud bat France 26-3 (mi-temps : 18-3) Durban, 15 juillet 1967 Lacaze - Quilis, Dourthe, Lux, Darrouy (cap) - (o) G. Camberabero (m) Puget - Carrère, Dauga, Sitjar - Fort, W. Spanghero - Esponda, Cabanier, Abadie H. De Villiers - Engelbrecht, Gainsbord, Olivier, Dirksen - (o) Visagie (m) D. De Villiers (cap) - Greyling, De Waal, Ellis - Carelse, Naude - Neethling, Pitzer, Kotze
France bat Afrique du Sud 19-14 (mi-temps : 8-6) Johannesburg, 29 juillet 1967 Lacaze - Duprat, Dourthe, Trillo, Londios - (o) G. Camberabero (m) Puget Carrère, Lasserre, W. Spanghero - Dauga, Plantefol - Fort (cap), Cabanier, Abadie H. De Villiers - Engelbrecht, Gainsford, Olivier, Dirksen - (o) Visagie (m) De Villiers (cap) - Greyling, De Waal, Ellis - Carelse, Naude - Neethling, Pitzer, Kotze
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Afrique du Sud et France 6-6 Le Cap, 12 août 1967 Lacaze - Crampagne, Lux, Trillo, Darrouy (cap) - (o) G. Camberabero (m) Puget - Carrère, W. Spanghero, Quilis - Dauga, Plantefol - Fort, Malbet, Abadie H. De Villiers - Engelbrecht, Nomis, Olivier, Dirksen - (o) Visagie (m) D. De Villiers (cap) - Greyling, De Waal, Ellis - Du Preez - Neethling, Pitzer, Kotze
Nouvelle-Zélande bat France 19-12 (mi-temps : 16-0) Auckland, 10 août 1968. 1 essai de Carrère Villepreux - Bonal, Dourthe, Trillo, Lux - (o) Maso (m) Bérot - Carrère (cap), W. Spanghero, Billière - Dauga, Cester - Noble, Yachvili, Lasserre McCormick - Stephens, Thorne, Cottrell, O’Callaghan - (o) Kirton (m) Going Kirpatrick, Lochore (cap), Tremain - Strahan, Meads - Gray, McLeod, Hopkinson
Australie bat France 11-10 (mi-temps : 0-5) Sydney, 17 août 1968 Villepreux (Boujet) - Piazza, Trillo, Lux, Campaès - (o) Maso (m) Bérot - Carrère (cap), W. Spanghero, Dutin - Dauga, Cester - Noble, Yachvili, Lasserre McGill - Honan, Brass, Smith, Cole - (o) Ballestry (m) Hipwell - Rose, Taylor, Davies - Gregory, Reilly - Prosser, Johnson (cap), Roxburgh
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Autres matches France bat Roumanie 9-3 (mi-temps : 3-3) Bucarest, 27 novembre 1966 Lacaze - Duprat, Dourthe, Maso, Darrouy (cap) - (o) Roques (m) Lasserre Carrère, Herrero, Salut - Dauga, W. Spanghero - Gruarin, Cabanier, Berejnoï
France bat Australie 20-14 (mi-temps : 8-5) Colombes, 11 février 1967 Gachassin - Duprat, Dourthe, Mir, Darrouy (cap) - (o) G. Camberabero (m) L. Camberabero - Carrère, Herrero, Sitjar - Dauga, W. Spanghero - Gruarin, Cabanier, Berejnoï Lenehan - Cardy, Marks, Brass, Boyce - (o) Hawthorne (m) Catchpole - Davis, O’Gorman, Guerassimoff - Teitze, Heming - Thornett (cap), Johnson, Miller
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Nouvelle-Zélande bat France 21-15 (mi-temps : 11-9) Colombes, 25 novembre 1967 Villepreux - Capendeguy, Dourthe, Trillo, Campaès - (o) Gachassin (m) Puget - Carrère (cap), W. Spanghero, Quilis - Dauga, Plantefol - Gruarin, Cabanier, Abadie McCormick - Dick, Davis, Steel, McRae - (o) Kirton (m) Going - Williams, Lochore (cap), Kirkpatrick - Strahan, Meads - Muller, McLeod, Gray
France bat Roumanie 11-3 (mi-temps : 6-3) Nantes, 10 décembre 1967 Lacaze - Capendeguy, Lux, Trillo, Lenient - (o) Maso (m) Mir - Carrère (cap), Herrero, Rupert - Dauga, Plantefol - Esponda, Cabanier, Berejnoï
France bat Tchécoslovaquie 19-6 (mi-temps : 16-7) Prague, 5 mai 1968. 1 essai Carrère Villepreux - Bonal, Lux, Maso, Campaès - (o) Lacaze (m) Puget - Carrère (cap), Greffe, Salut - Cester, Plantefol - Noble, Yachvili, Lasserre
Roumanie bat France 15-14 (mi-temps : 12-8) Bucarest, 1er décembre 1968 Magois - Sillières, Ruiz, Maso, Bonal - (o) Pariès (m) Puget - Carrère (cap), W. Spanghero, Dutin - Dauga, Cester - Esponda, Yachvili, Noble
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France « B » France « B » bat Allemagne 8-6 Chalon-sur-Saône, 10 avril 1966
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Équipe de France en tournée contre Provinces 1967 (Afrique du Sud) France bat Rhodésie 36-13 Salisbury. 1 essai Carrère France bat Eastern Province 16-8 Port-Elizabeth. Northern Transvaal bat France 19-5 Pretoria.
1968 (Nouvelle-Zélande et Australie) France bat Southlands 8-6 Invercargill. France bat King Country 23-9 Taumarunui. France bat North Auckland 10-6 Whangarei.
1971 (Afrique du Sud) France bat Eastern Transvaal 22-13 Springs. France bat Transvaal 20-14 Johannesburg. France bat Sud-Ouest africain 35-6 Windhoek. 1 essai Carrère France bat North East Cape 33-17 Cradock.
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Finales de championnat de France 16 juin 1968 FC Lourdais et RC Toulonnais 9-9 (après prolongations) Stadium municipal de Toulouse Lourdes vainqueur aux essais Lourdes : 2 essais (Latanne) ; un drop (Gachassin) Toulon : 2 coups de pied de pénalité (Labouré) ; un drop (Labouré) Lourdes : Fourcade – Latanne, Halçarren, Arnaudet, Campaès – (o) Gachassin (m) Mir – Hauser, Crauste (cap), Dunet – Masseboeuf, Cazenave – Doumecq, Trucoo, Bourdette Toulon : Labouré – Moraitis, Fabien, Salvarelli, Carreras – (o) Bos (m) Irastorza – Monnet, Hache, Carrère – Mouysset, A. Herrero (cap) – Gruarin, Fabre, Vadella
16 mai 1971 AS Biterroise bat RC Toulonnais 15-9 (après prolongations) Stade municipal, Parc Lescure de Bordeaux Béziers : 2 essais (Séguier) ; 2 coups de pied de pénalité Cabrol ; un drop (Astre) Toulon : 3 coups de pied de pénalité (Labouré) Béziers : Cantoni - Lavagne, Navarro, Sarda, Séguier - (o) Cabrol (m) Astre (cap) - Pesteil, Y. Buonomo, Saïsset - Estève, Sénal - Hortoland, Lubrano, Vaquerin Toulon : Labouré - Fabien, Delaigue, Carreras, Giabbiconi - (o) Bos (m) Irastorza - Carrère, Hache, D. Herrero - Sappa, A. Herrero (cap) - Gruarin, Vadella, Ballatore
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Bibliographie
Roger BASTIDE, La Saga des Spanghero, Paris, Le Rocher, 1999 Jacques CARDUCCI, La Fabuleuse Histoire du XV de France, Paris, O.D.I.L. Jean CORMIER, Grand Chelem, Paris, Denoël, 1989 Jean CORMIER, Troisième mi-temps, les guerriers de la fête, Paris, éditions Lincoln, 1991 Roger DRIES, 100 ans de Championnat de France, Saint-Laurent-duVar, Éditions Mire, 1992 Richard ESCOT et Jacques RIVIERE, Un siècle de rugby, Paris, CalmannLévy, 1997 Albert FERRASSE, Mêlées ouvertes, Paris, Albin Michel, 1993 Henri GARCIA, La Fabuleuse Histoire du rugby, Paris, Minerva, 2004 (5e édition) Henri GARCIA, La Légende du Tournoi, Paris, Minerva, 2005 Alain GEX, Le Guide des restaurants sportifs, Paris, éditions de la Voûte, 2001 Daniel HERRERO, Dictionnaire amoureux du rugby, Paris, Plon, 2003 Daniel HERRERO, Petites histoires racontées à un jeune du Front national, Paris, Le Rocher, 1997
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Jean-Louis LAFFITTE, 80 ans de la Fédération française de rugby, Avignon, éditions A. Barthélemy/FFR, 2002 Pierre LAFOND et Jean-Pierre BODIS, Encyclopédie du rugby français, Paris, Dehedin, 1989 Denis LALANNE, Ce bleu des maillots et des guerres, Paris, La Table Ronde, 1968 Jean-Paul REY, Qu’ont-ils fait de notre rugby ?, Paris, Solar, 1997 Denis TILLINAC, Rugby Blues, Paris, La Table Ronde, 1993 Loys VAN LEE, Le Rugby, Histoires et petites histoires du Tournoi des Cinq Nations, préface de Christian Carrère, Paris, Dargaud, 1969. L’auteur a également utilisé pour sources plusieurs articles de L’Équipe Magazine et de Midi Olympique.
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Si vous désirez recevoir le programme de nos publications, merci de contacter Louis de Mareüil, Éditions Jacob-Duvernet, 134, rue du Bac, 75007 Paris, tél. : 01 42 22 63 65.
ISBN : 2-84724-122-1 Cet ouvrage a été achevé d’imprimer en septembre 2006 sur les presses de la Nouvelle Imprimerie Laballery 58500 Clamecy Dépôt légal : octobre 2006 Numéro d’impression : Imprimé en France