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Patrick BĂŠzier

Patrice Cavelier Sarah Nicaise

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Éditions Jacob-Duvernet


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Table des matières Avant-propos ...................................................................................................................7

Première partie NOS HISTOIRES DE DEUIL Réflexions........................................................................................................................12 Témoignages ................................................................................................................44

Seconde partie DÉMARCHES ET CONSEILS Les démarches à entreprendre après le décès...................................93 La succession.............................................................................................................111 Les assurances personnelles ..........................................................................119 Les autres démarches .........................................................................................131 Les associations et les organismes pour accompagner le deuil ...........................................................................145

Annexes Lexique ..............................................................................148 Lettres types .......................................................................150 Biographies des personnes interviewées ..............................164 Bibliographie......................................................................167


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AVANT-PROPOS

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ncore un livre sur le deuil, direz-vous ! Si nous vous livrons tout de suite ce que nous dira Laure Adler plus loin, à savoir qu’« aucun livre sur le deuil n’est obscène, aucun livre sur le deuil ne passe la limite, aucun livre sur le deuil ne passe par l’exhibition… », c’est parce nous partageons bien évidemment cette idée. Lors de la préparation de ce livre, nous nous disions qu’il y a tellement de manières de parler du deuil, tellement de portes d’entrée, tellement d’angles par lesquels nous pouvons réfléchir à la perte qui nous change à tout jamais, que le sujet est, d’une certaine façon, inépuisable. Cette année encore, Radio France, par la voix de France Bleu, a voulu s’associer à Audiens, groupe de protection sociale pour la presse, le spectacle, l’audiovisuel et la communication, pour aider à sa mesure, à la construction d’une réflexion simple, accessible à tous, parce que le deuil nous touche tous, à un moment ou à un autre de notre vie. Ce livre vient compléter le colloque « Deuil, histoires de famille » qu’Audiens a organisé le samedi 24 novembre à Paris. Une façon de dire que le deuil nous traverse – le mot n’est pas seulement une image et doit s’entendre dans tous les sens du terme – et traverse nos vies à tous les âges. Chaque âge de la vie porte sans doute en lui ses propres forces, ses propres faiblesses, peut-être ses propres armes, pour répondre à ce transpercement qui fait qu’il y a « un avant » et « un après », quel que soit l’âge auquel le deuil s’impose à nous. La mort d’un père, d’une mère, d’un conjoint, d’un enfant, voire un enfant mort in utero, sont autant de souffrances qu’il faut « encaisser », et qui ont leur caractère propre. 7


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Nous avons souhaité interroger des spécialistes français et québécois sur ces sujets. Ils nous ont tous reçu avec tellement de gentillesse et de chaleur que nous voudrions d’abord ici les remercier. Nous avons voulu que ces témoignages de professionnels soient complétés par des conversations avec des personnalités occupant des métiers divers, des responsabilités diverses, mais ayant en commun de vivre « sans » l’autre. C’est volontairement que nous avons retenu pour ces entretiens le style d’une conversation. Pourquoi ? Parce que presque toujours, nous avons été reçus dans l’intimité de ces personnes qui ont accepté de nous parler d’elles-mêmes et de leur vie. Une vue splendide sur un des plus beaux jardins de Paris… Un appartement confortable, mais sans ostentation… un peu de désordre, comme pour dire que ce lieu est bien habité ! Elle nous accueille avec chaleur… et pieds nus ! Cette chaleur n’est pas feinte, je veux croire qu’elle manifeste la confiance. Petite discussion à bâtons rompus sur la vue magnifique que nous avons du salon, quelques mots sur les tableaux cubistes accrochés aux murs qui lui viennent de son grand-père… et elle nous invite à nous asseoir, tasse de café à la main. « Cet appartement, même si je n’en suis pas propriétaire, j’ai voulu le conserver à tout prix ! Parce que c’est là que nous avons vécu tous les deux ! Nous l’avons choisi ensemble. Il est encore là au travers de tout ce qui compose la pièce et tout ce que je vois dans cette pièce, il l’a vu, tout ce que je vois au-dehors, il l’a vu. » Quelle entrée en matière ! Comment ne pas vouloir conserver l’oralité de ces entretiens ? Comment ne pas vouloir conserver cette intimité de la conversation qui nous est offerte ? L’ouvrage qui vous est proposé se compose de deux grandes parties : la première, faite de témoignages de professionnels de la santé, de psychologues, de thérapeutes, immédiatement suivie de ces conversations1. La seconde partie est, comme dans notre ouvrage précédent Face au deuil, une partie technique qui vise à donner des outils concrets aux personnes endeuillées, pour les aider dans toutes leurs démarches administratives, juridiques et sociales. 1. La première série d’entretiens (« Réflexions ») ainsi que ceux avec MarieChristine Barrault et Cathie Barreau ont été réalisés par Sarah Nicaise et Patrice Cavelier. Le reste de la deuxième série d’entretiens (« Témoignages ») a été réalisée par Emmanuel Moreau. 8


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Avant-propos

C’est justement parce que la vulnérabilité est grande dans les premiers temps, les premiers jours, que nous avons souhaité, avec Audiens, donner des repères dans les moments où l’administratif et le juridique s’imposent. Luce des Aulniers nous dit : « Quand le détachement se produit, l’amour prend une nouvelle figure et c’est ce qui nous solidifie comme être humain. La question n’est pas tant de résoudre, de guérir, de faire ou même de traverser le deuil que de se laisser traverser par lui. » Nous espérons modestement que ces quelques pages donneront à nos lecteurs des armes, aussi faibles soient-elles, pour se laisser traverser par le deuil, en restant des vivants.

Patrice Cavelier Secrétaire Général Radio France

Patrick Bézier Directeur Général Audiens

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Première partie

Nos histoires de deuil

1. RÉFLEXIONS Cinq entretiens sur le deuil suivant la place dans la famille

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1. TÉMOIGNAGES

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Sept conversations sur l’universalité de la perte


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RÉFLEXIONS

Catherine Dolto

Claire Foch

Luce des Aulniers

Jean Monbourquette

Marie de Hennezel

Le lecteur trouvera en fin d’ouvrage les biographies des personnes interviewées.

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CATHERINE DOLTO

Deuil de maternité

Par l’haptonomie, technique relationnelle tactile, Catherine Dolto propose une voie face aux souffrances et à la perte.

Pouvez-vous tout d’abord nous dire un mot du deuil qui a été le vôtre, suite à la mort de votre mère, Françoise Dolto ? Lorsque nous avons tous, ses enfants, son entourage et ellemême, compris que maman allait mourir, nous l’avons beaucoup accompagnée. Mon mari, mon amie d’enfance et moi-même sommes allés habiter chez elle, il y avait toujours quelqu’un avec elle. Et lorsque je devais m’absenter, je lui disais « Je sors, ne meurs pas pendant mon absence ! » et en effet elle m’a attendue et elle est morte dans nos bras. Nous avons vécu cette période dans une relative sérénité parce que nous en parlions ensemble très simplement et parfois même en riant parce qu’elle était fondamentalement drôle et gaie. Nous avons même eu quelques fous rires mémorables à propos de sa tombe… Lorsque maman est morte, j’allais, de ce fait, très bien. Tout le monde connaissait les liens très forts que nous entretenions, pourtant j’étais très en paix. Ce que j’ai compris après coup, c’est qu’elle nous avait pris par la main et accompagnés dans le début du deuil. 13


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Donc j’étais complètement sereine. Dans une sorte de joie, j’oserais même dire. Ce qui a été très surprenant ce sont les réactions de mes collègues thérapeutes, médecins, ou amis qui me disaient que cela allait passer, que j’étais en fait dans une sorte d’euphorie du deuil. Et que j’allais m’effondrer, ce qui ne s’est pas produit. Vous avez été déstabilisée ? Si je n’avais pas fait le chemin que j’ai fait, en partie avec elle, avant sa mort, ils auraient en effet pu me déstabiliser sérieusement. Bien évidemment, j’ai pleuré aux obsèques. Je ne pouvais pas être indifférente à ce qui se passait, mais j’avais de la joie en moi parce qu’en fait, je savais qu’elle était toujours là. L’amour ne meurt pas, le corps se recycle dans la nature, seul l’ego disparaît véritablement. Ce que j’en ai conclu c’est que, dit rapidement, « LE deuil », ça n’existe pas. Il n’y en a pas deux identiques. Tout est intimement lié à la relation que nous avons eue avec la personne qui vient de mourir. Le deuil ressemble à la relation et à son dénouement. Dans notre cas, nous avons vraiment préparé ce départ, ensemble et de ce fait je n’ai jamais eu le sentiment de son absence, elle ne me manque pas puisqu’elle est là avec moi, en arrière plan, toujours. Comme mon père… Pouvez-vous nous parler de votre travail autour de la question de la mort de l’enfant in utero et nous dire si le deuil en est, du coup, particulier ? Mon expérience de l’accompagnement haptonomique de la grossesse me donne souvent l’occasion de rencontrer des situations de mort in utero. La mort d’un enfant est toujours dramatique, la mort d’un enfant avant sa naissance est encore plus énigmatique. Je voudrais dire en préambule que le fait de pratiquer l’haptonomie ne signifie pas que je sois contre la liberté de l’avortement. Mais je pense que d’une certaine manière, ce qui se joue là, dans l’intime, a toujours une connotation dramatique. Même si la femme est sûre de ce qu’elle fait, qu’elle demeure au cours des années persuadée que c’était la bonne décision à prendre, cela n’est jamais anodin. Cela peut être très bien vécu, et le rester, mais il y aura toujours des moments, au long de la vie, où cela viendra 14


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réveiller un sentiment aigu, un serrement de cœur fugace, qui redira que cela n’est pas anodin, même si c’était sage de le faire, même si il n’y a aucun regret. Cela est vrai, d’ailleurs, pour bien d’autres décisions importantes. Ce qui se joue dans la durée d’une vie qui se déroule est souvent surprenant. Mais il ne faut pas en avoir peur, c’est notre humanité qui nous empêche de faire comme si les événements qui touchent à la vie et à la mort étaient anodins. En ce qui concerne l’interruption volontaire de grossesse, la banalisation a été tellement bien faite, d’un certain point de vue, que les gens ont du mal à donner un statut à ce que porte la mère, à dire que c’est un sujet, même s’il n’est pas destiné à naître. C’est plus facile comme ça, c’est vrai. Mais cette facilité peut se révéler piègeante, je crois plus sain de regarder les choses en face. Ne pas pouvoir accueillir un enfant dans sa vie ne signifie pas qu’on ne l’aime pas. Il y a parfois beaucoup d’amour dans une telle décision, c’est parfois un sacrifice très lourd pour une femme de renoncer à une maternité qu’elle ne se sent pas en mesure d’assumer. L’évitement est général. On le voit avec les possibilités actuelles de faire des diagnostics d’anomalie génétique dans le cours du premier trimestre de la grossesse, on constate souvent que tant que « ce qui est porté » n’a pas été estampillé par la sphère médicale comme un fœtus viable et en bonne santé on ne lui donne pas un véritable statut de sujet de son histoire. Je ne veux pas dire de personne, cela n’a rien à voir. Une personne suppose une conscience de soi, une liberté de choix que même les nouveaux nés n’ont pas. D’ailleurs, Françoise Dolto, contrairement à ce que l’on croit, n’a jamais dit que « le bébé est une personne ». Cette expression est de Tony Lainé. Dans ce trimestre d’incertitudes, la mère et le père tentent de ne pas trop s’attacher à l’enfant. Si on ne donne pas à cet embryon statut de sujet, c’est parce que l’on veut se protéger de la souffrance et de la déception au cas où il faudrait pratiquer une interruption médicale de la grossesse. C’est tout à fait frappant, vous pouvez vous rendre compte autour de vous, que rares sont les femmes qui parlent de leur grossesse, même à leur entourage proche, avant que les médecins leur aient signifié qu’elles sont enceintes d’un enfant normal (en dehors de la pression culpabilisante que le monde du travail exerce sur les femmes enceintes, qui est de plus en plus forte et pousse les femmes à cacher leur grossesse).

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Vous êtes en train de nous dire que c’est par le diagnostic médical que cet enfant est rendu d’une certaine façon « vivant » ? C’est exactement cela. Trop souvent, on ne s’autorise à l’aimer et à l’accueillir qu’après ce diagnostic, par peur du chagrin, de la déception. Tous les progrès scientifiques ont des revers. Et c’est un revers. Cela l’est d’autant plus que les enfants sont en très grande majorité bien portants et que ces premiers mois de vie sont pour l’embryon très riches en événements essentiels. À chaque seconde, il évolue à grande vitesse, après c’est moins rapide. Les êtres humains sont pleins de contradictions et l’univers affectif est d’une grande complexité. On constate par exemple depuis les immenses progrès de la procréation que certaines femmes qui se sont battues pour être enceintes ne supportent pas cette grossesse une fois qu’elle est enfin là. Elles en demandent l’interruption, ce qui est très troublant pour leurs médecins. Elles avaient d’une certaine manière phantasmé la grossesse. Mais elle ne peuvent pas la supporter dans la réalité. Certains parents veulent imaginairement un enfant, mais lorsque la réalité est là ils ne peuvent pas l’assumer. Cela semble contradictoire, non ? Oui, ça l’est. Mais transmettre la vie est un processus plein de complexité où le conscient et l’inconscient, l’amour, la génétique et la vie sociale se mêlent, pas toujours de manière harmonieuse. Pouvoir contrôler la procréation est un progrès fantastique à bien des points de vue, mais l’espèce humaine n’est pas toujours capable de faire face à ses propres progrès avec sérénité. L’haptonomie pré et post natale est très utile pour ces moments de fragilité dans la grossesse. Elle permet de donner à l’enfant, dès le début de sa vie un statut de sujet, on l’accueille. Lorsqu’il y a un doute sur la viabilité de l’enfant et qu’une interruption médicale de la grossesse est évoquée, c’est un faux calcul de croire que le plus simple est de dénier la présence de l’enfant et de ne pas développer de lien avec lui. Pour certains parents c’est impossible de faire autrement, mais pour d’autres c’est au total plus douloureux. Je m’explique. Il n’est pas possible de faire le deuil de ce qui n’a pas existé. D’un… « rien » alors que sur le plan affectif, la vie des parents et des frères et sœurs sera modifiée pour toujours par le passage et la mort de cet humain qui ne sera jamais né mais aura 16


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quand même existé. Donner dès le départ un statut de sujet à l’enfant in utero va indéniablement aider, en cas de décès, soit par fausse-couche naturelle, soit par interruption médicale de la grossesse, à mettre en place un processus de deuil. Bien évidemment, dans mon esprit, ce sujet non-encore né n’est pas comme un humain né. Ce n’est pas la même chose, il faut se garder de tomber dans ce que l’on pourrait appeler la « fœtolatrie », qui effacerait l’événement, considérable, de la naissance. Mais en allant à sa rencontre, grâce à l’haptonomie, on s’aide soi-même parce qu’on sait qu’on l’aide à vivre bien sa vie prénatale, même si elle est brève. Dans les situations dramatiques, les parents le comprennent tout de suite très bien. On peut accompagner un enfant malade jusqu’à sa mort. On l’entoure de tendresse, ce qui l’aide et permet aux parents de se vivre parents, aimants, soutenants, jusqu’au bout. Cela peut se faire même in utero. C’est commencer le deuil avec l’enfant, lui donner une véritable place qui permettra que son absence prenne sens pour tous. On fait mieux le deuil quand on a accompagné l’être cher, comme je le disais plus haut. Cependant on ne peut, en aucun cas, imposer cette approche aux parents, il faut qu’ils en aient le désir. Ce sont les parents qui m’ont appris tout cela. Quand la mort concerne un seul enfant dans une grossesse multiple c’est encore plus important, parce qu’il faut pouvoir accompagner à la fois l’enfant malade et l’enfant en bonne santé. Préparer celui qui va vivre à faire face au monde sans être écrasé par la souffrance de ses parents. Sans que le deuil infaisable vienne assombrir la vie de celui qui arrive au monde bien vivant. L’encombrer d’un deuil non fait, non parlé, de son jumeau perdu c’est lui enlever de la force face à la vie. L’haptonomie est une approche qui prend en compte le fait que chez les humains, tout est interconnecté. Les recherches actuelles dans le domaine des neurosciences le prouvent largement. L’épigenetique nous montre que l’influence du milieu sur le génome est très importante. Autrement dit, ce qui est vécu pendant la vie prénatale influence l’usage que l’enfant in utero fera de son patrimoine génétique. L’affectif est la clé pour comprendre le lien entre tous ces phénomènes. L’haptonomie utilise l’affectif comme outil thérapeutique. Quand une femme enceinte est accompagnée, elle peut entrer en dialogue intime et intense avec son enfant. Le contact affectif entraîne des changements de tonus dans les muscles de la mère. 17


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Tout de suite l’enfant les perçoit, il réagit et bouge d’une manière très particulière parce ses mouvements sont des réactions et même des réponses. Êtes-vous en train de nous dire que c’est une manière de dire à l’enfant qu’il est « chez lui » dans ce que vous appeler le giron de la mère ? Oui, nous appelons giron l’ensemble formé par l’utérus, le périnée, le diaphragme thoracique et les muscles abdominaux. Ils fonctionnent comme un tout dès que la mère est affectivement avec son (ou ses) enfant(s). L’enfant se sent accueilli et c’est à ce changement qu’il réagit très clairement, il se manifeste. Il bouge, devient présent. C’est une vraie relation mère-père-enfant qui se met en place. Le père a un grand rôle à jouer. C’est le tiers. Une vie ne se construit pas uniquement à deux dans la relation avec la mère, il faut le tiers qui est le père. En l’absence définitive du père, il faut trouver un autre tiers dont le rôle est important. Ces contacts donnent à l’enfant une sécurité affective précoce. Mais l’approche de la mort fait peur même aux médecins, il y a encore malheureusement même des professionnels de la santé qui disent lorsqu’une femme perd un enfant avant terme, des choses aussi inouïes que « vous en aurez un autre ! » comme si le sujet qui vient de mourir était une sorte de « rien ». Le deuil n’est pas possible dans ces conditions. Je pense profondément que ce que ce n’est pas du rien et qu’aucun humain ne peut à proprement parler en remplacer un autre. Mais heureusement après la mort d’un enfant il y a encore la possibilité d’aimer d’autres enfants, cela ne veut pas dire qu’on le remplace. Pour que tout cela fonctionne, il faut que chacun ait sa place, les vivants et les morts, sans confusion des uns et des autres. Ce que vous dites est donc vrai pour les enfants décidés, désirés et non décidés, non désirés ? Il faut être très prudent avec ces notions. En effet, un enfant peut être décidé, consciemment, très rationnellement et pas forcément désiré inconsciemment, et vice-versa. Toutes les grossesses sont uniques. Il n’y a pas deux grossesses qui se ressemblent. Même une grossesse merveilleusement bien vécue peut comporter des moments difficiles. Dans ces moments-là, l’haptonomie permet non seule18


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ment d’accueillir l’enfant, mais aussi d’accueillir la mère et le père avec tout ce qu’ils portent en eux d’ambivalences et de souffrances. La parole est importante ? La parole est essentielle, bien sûr, mais également le contact tactile, affectif. Pendant la grossesse, les deux sont très importants, l’une ne va pas sans l’autre, ils se renforcent. Quand un enfant a vraiment été accompagné affectivement durant la grossesse et qu’il meurt avant la naissance, les parents se sont donné une chance d’être parents. Ils l’ont été d’ailleurs, de quelqu’un, qui a été aimé, accompagné et accueilli, et qui laisse ainsi une trace où l’amour partagé adoucit la peine. Il a sa place dans leurs cœurs pour toujours, mais les frères et sœurs vivants ou à venir ont aussi la leur, sans confusion, ce qui est essentiel pour leur avenir. C’est pourquoi en milieu hospitalier, il est souhaitable de faire en sorte que ce sujet mort-né soit considéré comme un enfant et traité comme tel (il a un statut légal d’enfant à partir de l’âge de 22 semaines ou d’un poids de 500 grammes). Cela fait partie des conditions qui permettent aux parents de faire leur deuil. Heureusement, ce sont des choses sur lesquelles les mentalités et les pratiques ont énormément évolué ces quinze dernières années.

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CLAIRE FOCH ET SYLVIE BESSETTE

Le deuil chez l’adolescent

Particulièrement complexe en raison de la transition vers l’âge adulte, périlleux par les conduites à risque, le deuil chez l’adolescent soulève des problèmes spécifiques. Psychothérapeutes spécialisées, Claire Foch et Sylvie Bessette proposent un accompagnement vigilant.

Pourquoi vous êtes-vous intéressée à la spécificité du deuil vécu par l’adolescent ? Cela fait un peu plus de dix ans que je travaille à l’accompagnement des adultes, des enfants et des familles. Ma formation de base d’éducatrice explique un sensibilité particulière, ainsi qu’un parcours débuté par l’accompagnement en soins palliatifs auprès d’adultes mourants. En me formant à la question du deuil, je me suis vite aperçue qu’il existait un grand vide pour l’accompagnement des enfants et adolescents en deuil. Enfant, j’ai moi-même été touchée par des deuils ; entre autres, la mort de deux de mes oncles dans un accident. Voir mon père dans un état de grande émotion m’a très affectée, en tant que jeune enfant qui ne comprenait pas. Lorsque j’ai souhaité réorienter ma carrière, cette question du deuil vécu par l’enfant et l’adolescent m’est apparue comme ce qui m’appelait.

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En quoi le deuil de l’adolescent est-il spécifique ? L’adulte a, en règle générale, davantage de capacité à mettre des mots sur la douleur qui l’affecte que l’adolescent. Celui-ci a la même conscience que l’adulte du caractère irréversible de la mort, mais son deuil va s’exprimer à travers ses comportements. Les manifestations se feront surtout dans l’agir et le « non agir ». Les traits sont alors assez proches de ce que l’on peut observer chez un adolescent déprimé : un certain retrait de la vie sociale ; de l’anxiété, de la colère ; des symptômes psychosomatiques. Tous ces comportements traduisent le malaise de l’adolescent. On peut également remarquer que l’adolescent – comme l’enfant – a souvent tendance à remettre son deuil à plus tard, principalement s’il s’agit du décès du père ou de la mère. Dans ce cas, afin de prendre le parent survivant en charge, il ne s’autorise pas son deuil ; il le diffère dans le temps, en se plaçant en quelque sorte en position de « sauveur ». Enfin, l’adolescent a la particularité propre de s’éloigner graduellement de sa famille ; il partagera sans doute, d’une certaine manière, le fardeau du deuil, mais pas nécessairement avec elle, plutôt avec des amis, avec des proches qu’il s’est choisis. Cela se passe en dehors du cercle purement familial. Il s’agit d’une question importante : en effet, il faudra être très vigilant sur le maintien du contact avec l’adolescent. La croissance physique ainsi que le développement psychologique de l’adolescent et le processus du deuil entrent-ils en conflit ? Pas nécessairement mais ils peuvent s’ajouter. L’ordre du « quitter », de l’irrémédiable, est commun aux deux mouvements : l’adolescent quitte à tout jamais l’enfance ; de la même manière la mort interdit tout retour en arrière : rien ne sera jamais plus comme avant. L’enjeu du deuil est avant tout de savoir s’adapter, de passer d’une situation traumatique à une situation nouvelle, de continuer d’aimer mais dans une dimension autre. Nous sommes bien dans l’ordre du mouvement, de la croissance et l’adolescence elle-même est bien un passage, un entre-deux. L’accompagnement en devient très délicat pour l’entourage. Cela peut présenter parfois une gravité particulière passagère. Mais, même si une distance peut s’installer entre la famille et l’adolescent, cela ne veut pas forcément dire que c’est inquiétant pour son développement futur.

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Le sentiment d’abandon intervient dans le processus du deuil. L’adolescent subit-il une accentuation de ce phénomène en raison de son propre état transitionnel ? Ce phénomène d’abandon est bien présent dans le deuil, et quelque soit l’âge, je pense. Concernant l’adolescent, il appartient en réalité aux proches d’être attentifs à conserver une zone de parole, une relation dans laquelle il est possible d’échanger. Pour donner la parole à l’adolescent, l’adulte peut évoquer lui-même ses propres émotions, ses propres difficultés face au deuil. Il doit avant tout faire comprendre à l’adolescent que l’expression de la peine et de la douleur face à la perte est correcte ; qu’il a le droit non seulement de souffrir mais d’exprimer cette souffrance. Il peut être important de proposer à l’adolescent d’exprimer ce qu’il ressent à une personne adulte vis-à-vis de laquelle il se sent en parfaite confiance. Pas nécessairement un médecin, un psychologue ou un membre de la famille : ce qui compte c’est bien la sensation de confiance, la qualité de la relation qui permet de parler, d’exprimer ce qui est ressenti. Cette personne pourra prendre en quelque sorte le relais. L’entourage familial n’est pas toujours le mieux à même d’aider l’adolescent dans ce processus. Si l’on est dans le cas de la mort d’un des deux parents, il ne faut pas oublier non plus que le parent survivant doit lui-même faire son propre deuil. La neutralité de lieu permet aussi à l’adolescent de se laisser aller, d’être lui-même. Le deuil de l’adolescent comporte-t-il des risques particuliers, notamment de suicide ? Le deuil accentue parfois les tendances suicidaires que peuvent avoir des adolescents. D’où la nécessité d’oser parler avec eux, de leur permettre de s’exprimer en toute liberté. Il ne faut pas hésiter à demander à l’adolescent s’il a déjà pensé au suicide. La question est évidemment difficile à poser ; mais je suis tout à fait frappée, moimême, du nombre de réponses affirmatives chez les adolescents en deuil. Les comportements à risque sont également à prendre en compte : la conduite à haute vitesse, l’absorption de drogues ou d’alcool à haute dose… De ce point de vue également, une vigilance est nécessaire. L’entourage doit veiller de très près à toutes formes d’indices laissant supposer que l’adolescent, fragilisé par le deuil, développe des comportements dangereux pour lui-même. 22


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Ces comportements à risque correspondent également à un désir de s’isoler davantage ? Oui. Et également à une volonté inconsciente de s’anesthésier. Ils font d’ailleurs partie du comportement de tout adolescent en recherche d’autonomie : il tâtonne, fait des expériences, toutes sortes d’expériences. Ce qui reconduit au début de notre conversation : l’adolescence inclut des comportements à risque qui s’ajoutent au deuil, comme autant de réactions potentielles face au décès. Cela ne signifie pas que tous les adolescents vivront des réactions d’une telle intensité. Mais, dans tous les cas, plus l’adolescent disposera d’un lieu de parole privilégié, plus il pourra s’exprimer sur ces sujets. Pouvez-vous dresser un panorama des manifestions du deuil chez l’adolescent ? Les principales sont sans doute : isolement, dépression, comportements à risque (alcool, conduite dangereuse au volant, drogue), idées suicidaires. Tout ce qui a trait également aux émotions est très prégnant : tristesse, perte de l’appétit ; émotions en lien avec la colère et la frustration ; irritabilité, impatience, culpabilité, regrets – qu’est-ce que je n’ai pas fait que j’aurais dû faire ? Des crises parfois disproportionnées peuvent se produire pour un événement qui en temps normal n’aurait pas suscité de réaction aussi violente. Phobies et craintes peuvent apparaître. Concernant l’inscription de la crise dans le corps, il faut noter les manifestations psychosomatiques (maux de tête, maux de ventre), la perte du sommeil, les cauchemars, l’augmentation de la consommation de médicaments – elle traduira, par exemple, chez un adolescent asthmatique une plus grande fréquence des crises. Au niveau social, le deuil se manifeste par un repli sur soi, un retrait de la société, une disparition de ce que l’adolescent pouvait aimer faire, de ses centres d’intérêts, une moindre assiduité à l’école et des résultats en chute. C’est d’ailleurs souvent par ce biais que les parents se rendent compte qu’il y a un problème. Le deuil étant très énergivore, l’attention diminue souvent nettement en milieu scolaire, tout comme devant les situations d’apprentissage. Il est difficile, dans le même temps, de faire son deuil et d’être tout à ses activités.

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Deuil, histoires de famille

L’adolescent a-t-il une conception particulière de la mort ? L’adolescent présente, globalement, la même compréhension et perception que l’adulte. Il est conscient de l’universalité de la mort, de son caractère irréversible et définitif. En même temps, malgré tout, d’une manière plus ou moins consciente, il va conserver l’espoir d’un retour du parent, tout en sachant que ce n’est pas possible. Ce sentiment d’espoir un peu fou est parfois troublant pour les adultes, mais il est à connaître. Cet espoir de retour est reconnu par les experts en la matière comme présent jusqu’à l’abord de l’âge adulte. Peut-être peut-on le comparer au sentiment que peut parfois avoir l’adolescent lorsque ses parents se séparent, ce secret espoir que le couple – et donc la famille – se reformera à un moment ou un autre. Face au deuil de l’adolescent, sur quel aspect faudrait-il surtout insister ? Il me semble important de bien dire que dans le cas d’une mort touchant de près un adolescent, dès lors qu’un processus de deuil se met en place, l’entourage immédiat de l’adolescent joue un rôle important. Il doit à tout prix garder le lien avec l’adolescent. Le professeur Serge Lebovici, psychiatre pour enfant, disait : « accompagner l’enfant et l’adolescent, c’est accompagner les parents ». Il n’est pas toujours facile de faire une lecture juste de ce qui se passe dans la tête et la psychologie d’un adolescent pour les personnes qui l’entourent. Il faut leur donner les clés pour comprendre et mieux décoder ce qui se passe, ce qu’ils voient, ce dont ils peuvent être les témoins. Et il faut éviter les contresens. La plupart du temps, les familles et les adultes sont tentés de protéger l’adolescent de la souffrance du deuil. Il n’est pas acceptable pour un parent de voir son enfant souffrir. Cela part d’un bon sentiment et d’une réaction naturelle, mais la plupart du temps, cela va à l’opposé du mouvement nécessaire d’ouverture qui consiste à parler de la souffrance. En l’espèce, il faut permettre l’expérience de cette souffrance en l’accompagnant, en montrant à l’adolescent qu’il n’est pas seul, en exprimant que cette souffrance est normale et qu’elle va se transformer. Dans la réalité, il est plus pertinent de laisser la souffrance faire, que de vouloir la palier. 24


deuil 2007 final

16/11/07

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Claire Foch et Sylvie Bessette

Pouvoir nommer les choses est également essentiel pour faire avec. À partir du moment où l’adolescent se sentira écouté, cela fera moins mal d’une certaine façon. La parole est utile. Elle permet que les émotions circulent, soient comprises. La parole ouvre des échanges d’une profonde intensité. Ils aideront l’adolescent à se libérer.

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