Kiki par Christine Caron

Page 1

Maquette Caron

28/11/06

11:02

Page 1

Kiki par Christine Caron


Maquette Caron

28/11/06

11:02

Page 2

Déjà parus dans la collection « Légendes du sport », dirigée par Jean-Paul Brouchon : Poulidor, par Raymond Poulidor, 2004 Hinault, par Bernard Hinault, 2005 Kopa, par Raymond Kopa, 2006 Thévenet, par Bernard Thévenet, 2006 Carrère, par Christian Carrère, 2006

© Éditions Jacob-Duvernet, décembre 2006 ISBN (10) : 2-84724-132-9 ISBN (13) : 9782847241327


Maquette Caron

28/11/06

11:02

Page 3

Kiki par Christine Caron Avec la collaboration de Jean-Paul Brouchon

Éditions Jacob-Duvernet


Maquette Caron

28/11/06

11:02

Page 4

Remerciements Je remercie infiniment Mireille de Herdt pour son aide précieuse et attentive dans la rédaction de ce livre, et pour ses conseils aussi avisés que scrupuleux.


Maquette Caron

28/11/06

11:02

Page 5

Table des matières PRÉFACE de Johnny Hallyday . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7 CHAPITRE I

Premiers plongeons . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11 CHAPITRE II

Madame Berlioux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17 CHAPITRE III

Métro, boulot… et à l’eau ! . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23 CHAPITRE IV

La traversée du Mur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33 CHAPITRE V

L’Europe dans la poche . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39 CHAPITRE VI

« Fleur de lotus » au pays du Soleil levant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59 CHAPITRE VII

Le monde m’appartient ! . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69 CHAPITRE VIII

Kiki aux JO . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81


Maquette Caron

28/11/06

11:02

Page 6

CHAPITRE IX

Miss America . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105 CHAPITRE X

De Kiki à Christine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 117 CHAPITRE XI

Autour du monde et face à moi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 133 CHAPITRE XII

Mexico . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 141 CHAPITRE XIII

Défilés, chansons et cinéma . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 153 CHAPITRE XIV

Dans les sables… . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 157

ANNEXES Christine Caron vue par….................................................................................................... 171 Palmarès....................................................................................................................................................... 183


Maquette Caron

28/11/06

11:02

Page 7

PRÉFACE

Christine et moi nous sommes rencontrés en 1963, à Évian, où elle faisait un stage pré-olympique. J’étais en tournée dans la région. Cette jeune fille, qui était déjà la mascotte de l’équipe de France, explosait de vie, d’énergie et de rire ! Tous les deux, nous avons fait nos débuts à peu près au même moment, dans les années 1960. C’était une époque folle, de renouveau, que nous avions l’impression d’inaugurer. Tout nous semblait possible. Tout nous était ouvert. C’était l’euphorie, l’ivresse, le vertige des premiers succès et de la célébrité. Christine incarne notre jeunesse. Elle a dansé sur mes chansons. J’ai vibré à ses succès. Avec sa frimousse rieuse, sa fraîcheur, sa gentillesse, sa spontanéité et son courage, elle a conquis tous les cœurs. Le temps a passé, mais Christine n’a pas changé. Elle a gardé sa rage de vivre et de vaincre qui lui faisait battre des records. Et elle nous la raconte dans ce livre. J’ai une grande affection et une

7


Maquette Caron

28/11/06

11:02

Page 8

Kiki

immense estime pour la sportive et pour la femme qu’elle est, pour sa joie de vivre communicative, sa force et son optimisme. Les concerts sont comme des courses de haute compétition. Un artiste est comme un athlète. L’un vit pour l’art, l’autre pour le sport. Chacun se prépare en travaillant, en répétant jusqu’à l’épuisement, en poussant jusqu’au bout ses limites. Tous deux font et refont les mêmes gestes, les mêmes mouvements. Mille fois. Le chanteur place son instrument, ajuste le timbre, le souffle, tâtonne jusqu’à trouver l’accord parfait des instruments et de la voix, le rythme… Un entraînement tous les jours recommencé. Le nageur s’échauffe sans relâche, s’entraîne, parcourt longueur après longueur, travaillant les jambes puis les bras, la glisse puis la puissance, la respiration puis l’endurance. Une répétition quotidienne. Le concert, le chanteur le vit par anticipation, avec précision, prévoyant chaque détail : l’ordre des chansons, bien sûr, mais aussi les enchaînements, la lumière, la place des musiciens… La course, le nageur la vit à l’avance : qui seront les concurrents, quelles sont leurs forces et leurs faiblesses ? Quelle stratégie ? Puis vient le moment d’entrer en scène. Le trac est là, dans les coulisses, dans la chambre d’appel. On sent la salle, là, derrière le rideau. On perçoit le public et le jury, et le clapotis de l’eau.

8


Maquette Caron

28/11/06

11:02

Page 9

Préface

Le chanteur entre en scène, le nageur monte sur le plot. Il n’est plus temps de penser. On se donne à fond, le reste du monde n’existe plus. L’un est tout entier dans la musique, l’autre ne vit plus que dans son effort vers le but. Il faut la même volonté, la même concentration, la même force pour « y arriver ». Je suis, à ma manière, un sportif de haut niveau. Christine, à la sienne, est une artiste. Johnny Hallyday


Maquette Caron

28/11/06

11:02

Page 10


Maquette Caron

28/11/06

11:02

Page 11

Chapitre I

Premiers plongeons

Je suis née le 10 juillet 1948. La France panse encore ses plaies, la guerre n’est pas si lointaine. Les tickets de rationnement alimentaires que l’on continue à utiliser sont là pour le rappeler. Ils resteront en vigueur jusqu’en novembre 1949. Sans eux, pas moyen d’acheter du pain, du lait ou des produits de première nécessité. Mais même avec des tickets, rien n’est simple. La France, elle, garde les cicatrices des débarquements alliés. Saint-Nazaire, Le Havre, Toulon… dans de nombreuses villes, des quartiers en ruines rappellent l’ampleur des destructions subies. Mais partout des grues s’activent. On reconstruit et on rebâtit. L’Europe se profile au loin dans les consciences et les Trente Glorieuses n’en sont qu’à leurs balbutiements. Il flotte un parfum léger d’optimisme. La France veut oublier ses années noires. Elle a envie d’être heureuse et de profiter de la nouvelle 11


Maquette Caron

28/11/06

11:02

Page 12

Kiki

ère qui s’annonce. Déjà elle commence à se repeupler avec les premiers nés du baby-boom et s’engouffre avec délices dans la société de consommation. La 2CV de Citroën fait son apparition au Salon de Paris, le Polaroïd et le 33-tours s’apprêtent à séduire les foules et, pour la première fois, des starting-blocks sont utilisés dans les épreuves d’athlétisme des jeux Olympiques de Londres. Édith Piaf en chansons et Marcel Cerdan sur un ring triomphent aux États-Unis. La môme et son boxeur font rêver à Broadway, tandis qu’en France, Hervé Bazin sort son Vipère au poing et fait pleurer dans les chaumières. Pour l’instant, je suis bien loin de toute cette effervescence. Mes parents habitent à Montrouge. Mais c’est à Paris que je vois le jour, dans le XIVe arrondissement. Montrouge, si proche de la capitale, rongée çà et là par l’insalubrité, n’a pas de maternité. Elle est d’ailleurs peu équipée, mais on y trouve une vraie vie de quartier, avec des artisans, des petites industries, des imprimeries… C’est là que nous vivons. Il y a d’abord Annie et Catherine, mes sœurs aînées. Didier, le seul garçon de la famille, arrivera deux ans après moi. Inspecteur aux PTT, mon père s’appelle Gustave. Germaine, ma mère, happée par l’éducation de ses enfants, n’exerce plus vraiment son métier de couturière, mais elle ne laisserait à personne d’autre le soin de confectionner nos vêtements. Même si nous vivons simplement, elle met

12


Maquette Caron

28/11/06

11:02

Page 13

Premiers plongeons

un point d’honneur à ce que les enfants Caron soient toujours impeccables. Notre premier appartement est tout petit. La chambre des parents, un séjour et une minuscule cuisine. Il n’y a pas de salle de bain, nous nous lavons à tour de rôle dans un baquet de bois. Le soir, il faut ouvrir un grand lit dans la salle à manger pour que nous, les enfants, puissions dormir. Je me rappelle de ces veillées tous les quatre, à chuchoter sous les couvertures, bien serrés pour nous tenir chaud. Nous déménageons quelques années plus tard, lorsque la municipalité de Montrouge fait construire des HLM de quatre étages dans la rue Verdier, au cœur du quartier Jean Jaurès. La famille bénéficie alors d’un trois-pièces avec salle d’eau. Ce sera notre premier luxe, et nous resterons longtemps émerveillés de ce confort moderne. Notre enfance est joyeuse et notre vie bien remplie. Du plus loin que je me souvienne, le sport y occupe une place de choix. Mon père, ancien joueur de football, pratique le cyclisme avec assiduité. L’hiver, il glisse des journaux sous son maillot pour se protéger du froid. Ma sœur Annie est nageuse. J’y reviendrai. Bref, nous sommes heureux. Dans notre appartement moderne, ma mère a enfin le piano dont elle a longtemps rêvé. Elle nous apprend quelques morceaux. De mon côté, je suis des cours de danse, tout en pratiquant

13


Maquette Caron

28/11/06

11:02

Page 14

Kiki

le basket-ball. Catherine, ma sœur cadette, a pour camarade de classe un fils d’immigré italien du nom de Michel Colucci. Et comme nous, celui qui deviendra célèbre sous le nom de Coluche n’oubliera jamais qu’il a grandi dans un milieu modeste où la solidarité est de mise. J’ai peu de souvenirs d’école. Ce dont je me souviens parfaitement, en revanche, ce sont des vacances. Nous les passons en Normandie, à côté de Dieppe, chez ma grand-mère. Souvent nous allons nous tremper dans la Manche toute proche. La température est fraîche, mais nous ne résistons jamais à la perspective d’une baignade. Ma mère nous attend dès notre sortie de l’eau avec un immense peignoir. Nous nous jetons dans ses bras en claquant des dents, tandis qu’elle nous frictionne avec énergie. « C’est bon pour la circulation ! », nous répète-t-elle en riant. Dans le jardin qui jouxte la maison de ma grandmère, l’armée allemande a laissé une gigantesque cuve. Elle est équipée d’un arceau métallique. Mon père a vite fait d’y installer une courroie. À son extrémité, un solide morceau de linge nous soutenait sous le ventre, comme en apesanteur ! Grâce à cet appareil très r udimentaire, j’accomplis mes premières brasses. C’est dans ce bassin miniature que j’apprends à nager. Sans même m’en rendre compte, je fais mon entrée dans un sport que je ne quitterai plus.

14


Maquette Caron

28/11/06

11:02

Page 15

Premiers plongeons

La natation de compétition date, comme le cyclisme, de la fin du XIXe siècle. Mais à l’époque, elle ne ressemble que de loin au sport que l’on pratique aujourd’hui. Les règlements sont fluctuants, les épreuves assez folkloriques. Puis, en 1896, la natation est déjà au programme des premiers jeux Olympiques de l’ère moderne, à Athènes. En 1908, la toute jeune Fédération internationale de natation codifie les épreuves. Il faut cependant attendre les Jeux de Stockholm, en 1912, pour voir les premières nageuses monter sur un plot de départ. En 1941, Alfred Nakache bat le record d’Europe du 200 mètres brasse, détenu par un Allemand. Interdit de compétition en raison de ses origines juives et déporté à Auschwitz, Nakache reprend la compétition dès son retour en France. À son retour, il pèse 42 kilos pour 1,80 mètre, mais trouve dès 1946 la force de redevenir champion de France. Enfin, dans l’euphorie de l’après-guerre, la natation de haut niveau prend toute son ampleur. En 1952, Jean Boiteux devient à Helsinki le premier médaillé d’or de la natation française. C’est si inattendu que son père se jette dans la piscine tout habillé, béret vissé sur la tête, pour fêter ce titre olympique. Aujourd’hui, dix millions de Français fréquentent régulièrement les bassins. Pourtant, au début des années 1960, c’est une discipline, et en particulier

15


Maquette Caron

28/11/06

11:02

Page 16

Kiki

dans sa version féminine, qui n’est pas franchement à la mode. C’est un sport confidentiel. Son niveau international n’est pas très élevé. Mais il me plaît. Pourquoi ? Difficile à dire. Le hasard y est sans doute pour beaucoup. Il y a, sans doute, le souvenir de ces baignades dans la Manche. Il y a aussi l’exemple de ma sœur aînée. Il y a surtout cette sensation de me trouver, dans l’eau, parfaitement dans mon élément. Je m’y sens bien. Et puis, il y a ma rencontre avec Madame Suzanne Berlioux.


Maquette Caron

28/11/06

11:02

Page 17

Chapitre II

Madame Berlioux

Jusqu’à dix ans, je mène la vie de tous les enfants de mon âge. Elle se partage entre l’école, toute proche, les jeux avec les copines du quartier dans le petit square qui jouxte notre immeuble, les cours de danse et de piano. Malgré des moyens modestes, nos parents veulent ce qu’il y a de mieux pour nous. Ils croient aux vertus de la musique et du sport. Mes sœurs et moi prenons des cours de danse, et tous les quatre nous suivons des leçons de piano, auquel ma mère nous a initiés dès nos quatre ans. Mes parents nous emmènent souvent à la bibliothèque où nous passons des heures tantôt à feuilleter des illustrés, tantôt à nous plonger avec délices dans un roman pour enfant. Deux fois par an, mon père nous offre une sortie au Châtelet, pour y voir une opérette, généralement interprétée par Dario Moreno. Notre excitation est à son comble. Nous adorons cela et, pendant des mois, 17


Maquette Caron

28/11/06

11:02

Page 18

Kiki

fredonnons les airs de La Bonne Auberge du cheval blanc, du Chanteur de Mexico et de La Veuve joyeuse… Soucieux de nous armer pour la vie, nos parents nous donnent donc une éducation complète et équilibrée, plus exigeante et variée sans doute que celle de nos petites voisines de Montrouge, mais aussi plus épanouissante. Surtout, ils nous laissent libres de nos choix, pour peu que nous montrions notre détermination à les assumer pleinement. Parfois, j’accompagne à la piscine ma sœur Annie, qui nage en compétition. Titulaire du record national du 100 mètres papillon, elle est membre du Racing Club de France. Elle s’entraîne d’autant plus qu’elle prépare les jeux Olympiques de Rome de 1960, pour lesquels, à notre grande fierté, elle fait partie de l’équipe de France. Les séances ont lieu à la piscine parisienne de la rue de Pontoise, toute proche de Notre-Dame. Benjamine de quelques années plus jeune, il m’arrive de m’ébattre dans la ligne d’eau voisine de la sienne, au milieu des autres nageurs, en essayant de reproduire ses mouvements. Personne ne prend garde à moi : je m’amuse, j’adore l’eau, et je pourrais y passer des heures. En fait, une femme observe de loin mon manège innocent. Et lorsque Annie, entourée de mes parents, la sollicite pour qu’elle accepte de l’entraîner, la réponse ne tarde pas : « Je veux bien prendre la grande, mais je veux aussi la petite. » La

18


Maquette Caron

28/11/06

11:02

Page 19

Madame Berlioux

grande, c’est ma sœur. La petite, c’est moi. Cette dame, c’est Madame Berlioux. Suzanne Berlioux, au moment de notre rencontre, a près de soixante ans. Ancienne enseignante et directrice d’école durant trente ans, Madame Berlioux est passionnée par la natation. Plusieurs piscines et centres d’équipements sportifs portent aujourd’hui son nom en région parisienne. Peu de gens, pourtant, se souviennent de cette femme exceptionnelle. Pendant des années, elle a sillonné le monde, le chronomètre autour du cou, et arpenté les bassins pour surveiller, entraîner, conseiller « ses » nageuses. Madame Berlioux a commencé à exercer ses talents d’entraîneur dans sa propre famille : sa première élève est sa fille Monique, future directrice du Comité international olympique. Viendront ensuite Marie-Hélène André, Rosy Piacentini et moi-même, puis Sylvie Canet. Par nageuses interposées, Madame Berlioux doit bien avoir à son palmarès plus d’une centaine de titres de championnes de France et de records de France, ainsi qu’un bon nombre de records d’Europe. Mais je suis fière d’avoir été son seul record du monde. C’est elle qui devient donc mon entraîneuse. Non ! Que dis-je ! Cette féminisation barbare l’a fait bondir plus d’une fois et elle a repris sans ciller l’ensemble des journalistes de France, et même le président de la République lui-même, lorsqu’ils se risquaient à prononcer ce mot.

19


Maquette Caron

28/11/06

11:02

Page 20

Kiki

Madame Berlioux est autoritaire. C’est elle qui m’a appris la rigueur et l’endurance. C’est elle qui m’a appris à me battre. Elle m’a imposé une discipline de fer. Mais elle a toujours su m’encourager. Elle m’a comprise et, en retour, je lui ai fait une confiance aveugle. Pourtant, son enseignement est rude, exigeant à l’extrême et son tempérament n’est pas facile. Elle est capable de grandes colères, même si elle ne hausse pas le ton. Sa fureur froide effraie autant ses nageuses et ses collègues que les membres de la Fédération. Dans ces moments-là, face à elle, tout le monde est dans ses petits souliers. Je crois que je n’ai jamais vu personne lui tenir tête. Ma sœur a essayé, une fois. C’était au début de notre collaboration. Estimant l’entraînement terminé, je suis sortie de l’eau et je me suis dirigée vers les vestiaires. Madame Berlioux a bondi et m’a appliqué une claque bien sonore. Le bruit a retenti à travers la piscine carrelée. Tout le monde s’est arrêté net. J’étais si surprise que je n’ai même pas pensé à pleurer. Je ne savais vraiment pas comment réagir quand ma sœur est intervenue. « Madame, je vous interdis de toucher à ma sœur. » La réponse ne s’est pas fait attendre : « Petite, sache qu’ici, c’est moi qui détermine la durée de l’entraînement. Christine, retourne à l’eau. » Je suis retournée à l’eau et l’entraînement a repris comme s’il ne s’était rien passé. En fait, durant ces premières années, Madame Berlioux est beaucoup plus que mon entraîneur. Elle

20


Maquette Caron

28/11/06

11:02

Page 21

Madame Berlioux

est comme une seconde mère pour moi. Et je suis extrêmement reconnaissante à mes parents, et surtout à ma mère, d’avoir eu la sagesse de s’effacer devant Madame Berlioux, d’avoir su me remettre à elle et lui abandonner, les yeux fermés, une si grande part de mon éducation. Ils lui ont fait confiance, et j’ai d’ailleurs passé bien plus de temps durant mon adolescence avec elle qu’avec eux ! Car, bien sûr, Madame Berlioux m’enseigne la natation, puis la natation de compétition, le très haut niveau. Mais elle fait bien plus que cela. Elle me prend véritablement sous son aile, elle fait mon éducation, au sens large. Au fur et à mesure de nos voyages, elle me fait découvrir le monde : pas un pays dans lequel je vais nager qui ne fasse l’objet d’un exposé historique et géographique. Très pédagogue, extrêmement cultivée, c’est un véritable mentor pour la petite fille que je suis. J’ai tout de suite conçu pour cette grande dame un immense respect. Je n’aurais jamais pu songer à la tutoyer, ni même à l’appeler par son prénom. Je lui vouais, et lui voue toujours, une affection et une admiration quasi filiale. Notre entente n’avait pas besoin de mots. Un coup d’œil nous suffisait pour nous comprendre. La savoir près de moi, à quelques mètres, alors que je disputais une compétition suffisait à me rassurer, à me donner confiance en moi. Je sais que je lui dois une très grande partie de mon parcours professionnel. C’est elle qui m’a fait

21


Maquette Caron

28/11/06

11:02

Page 22

Kiki

connaître le monde de la compétition et qui m’a ouvert les portes du Racing Club de France. Quant à ma vie, je ne sais pas ce qu’elle aurait été sans Madame Berlioux. J’aurais, en tout cas, été bien différente. Son enseignement, ses leçons, m’ont accompagnée tout au long de mon existence sportive et professionnelle. Elle a forgé mon caractère, avec des méthodes qu’on qualifierait certainement aujourd’hui d’anciennes. Certains la trouvaient trop dure, mais je crois qu’elle avait raison de ne pas encourager nos faiblesses. Ainsi, je me souviens qu’au cours d’un entraînement, mécontente de mes temps, je me suis assise sur la margelle au bord du grand bain. Madame Berlioux m’a immédiatement apostrophée avec autorité : « Christine, on ne pleure pas au bord d’un bassin. Si tu veux pleurer, tu vas dans les vestiaires et tu reviens nager au plus vite. » Inutile de dire que je ne suis pas allée aux vestiaires… et que je n’ai plus jamais pleuré au bord d’un bassin.


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.