Oh! Mamie boom

Page 1

montage mamie boom final

12/02/07

18:13

Page 3

Oh ! MAMIE-BOOM


montage mamie boom final

12/02/07

18:13

Page 4

Š Éditions Jacob-Duvernet, 2007


montage mamie boom final

12/02/07

18:13

Page 5

Éric Donfu

Oh ! MAMIE-BOOM

Éditions Jacob-Duvernet


montage mamie boom final

12/02/07

18:13

Page 6


montage mamie boom final

12/02/07

18:13

Page 7

Table des matières

Prologue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11

INTRODUCTION : UNE RÉVOLUTION AVANCE SUR DES PATTES DE COLOMBE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15

PREMIÈRE PARTIE : MAMIE OU LES CARTES DU CŒUR . . . . . . . . . . 27

1 Et voilà le mamie-boom . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29

2 Des imaginaires de grands-mères . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 63

3 Devenir grand-mère . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81

4 Les styles de grands-mères . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 103

5 L’adolescence du petit-enfant, un nouveau défi . . . . . . . . . . . . 123

6 L’art de la transmission . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 147

7 Les temps nouveaux du mamie-boom . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 179

8 Fêtes et rituels familiaux : les mères et les grands-mères à l’honneur . . . . . . . . . . . . . . . . . 223


montage mamie boom final

12/02/07

18:13

Page 8

DEUXIÈME PARTIE : BIEN VIEILLIR À L’ÈRE DU MAMIE-BOOM . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 249

9 Une société pour tous les âges . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 251

10 Bien vieillir, d’abord une affaire de neurones . . . . . . . . . . . . . . 289

11 Quels portraits pour ces femmes et ces grands-mères du mamie-boom . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 317

CONCLUSION : LES NOUVEAUX VISAGES DE LA VIE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 363 Notes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 375


montage mamie boom final

12/02/07

18:13

Page 9

Eau, Feu, Terre, Air Mère, Père, Fils et Filles Dans la nuit étoilée d’un avion Première confession Fragile forêt floue – Je t’aime Regarde comme je t’aime. Earth, Air, Fire, Water Mother, Father, Sons and Daughters Airplane in the starry night First fright Forest follow free – I love thee Watch how I love thee. Jim Morrisson, The Doors septembre 1970


montage mamie boom final

12/02/07

18:13

Page 10


montage mamie boom final

12/02/07

18:13

Page 11

Prologue

Récits d’avant le mamie-boom

1956 : LE PAYS où règnent les femmes. La France ? Non, une tribu dans l’Assam. Ce pays bien réel, situé dans l’extrême nord de l’Inde, a été révélé par une exploratrice, Gabrielle Bertrand. Les coutumes de cette tribu primitive nous surprendront toujours. Dans ce pays, quand une jeune femme repérait un homme qui lui plaisait, elle envoyait ses frères et ses cousins le capturer. « Les rapts ont lieu la nuit. On attaque l’élu dans le nokpanthé ou sur son ray quand il veille les récoltes. » L’heureux élu était amené pieds et mains liées dans le village de la femme qui l’avait choisi, sans même savoir qui elle était. « Le garçon ne sera marié ni de force, ni immédiatement. Il est d’usage qu’il se sauve trois fois de suite, se cachant dans la forêt ou dans un village éloigné. Une expédition se forme et part à sa recherche. Rattrapé, le jeune homme doit subir un châtiment : il est roué de coups chaque fois, et ramené au nokpanthé du village de la belle. S’il s’enfuit une quatrième fois, c’est qu’il n’accepte pas. Autrement, la date du mariage est fixée très vite ». Elle avait choisi le plus beau, et elle a gagné. « Nous apprenons que Cheng – le jeune homme capturé – accepte d’épouser Nangjak, il ne se sauvera pas »1. 1957 : un pays où règnent les hommes… Sur un autre continent, en France, le magazine Marie-Claire de janvier, fort sage à l’époque, titre : « Pourquoi les femmes sont-elles moins libres que les hommes ?2 » La journaliste Marcelle Auclair prévient : « Il vous appartient, mesdames et mesdemoiselles, d’aider à établir une saine vision des choses en ne favorisant pas, d’une admiration béate et démodée, les matamores de la séduction. » Mais cette année, le 3 octobre 1957, sous le titre « La nouvelle vague », Françoise Giroud signe une série d’articles dans L’Express sur la 11


montage mamie boom final

12/02/07

18:13

Page 12

jeunesse qui danse le twist à Saint-Germain-des-Prés. Cette jeunesse qui a, selon le mot de Léon-Paul Fargue, « la séduction robuste d’une maternité heureuse ». Elles sont lycéennes, étudiantes, jeunes mères, femmes actives, ou femmes d’aventure. Certaines ont été résistantes, déportées... Rarement décorées 3, ce sont des battantes. Elles vont se mettre en mouvement. Déjà devenir maîtresses de leur corps et de leur vie. D’autres vont partir à l’assaut des métiers qui leur étaient interdits, comme Marcelle Clavère, première femme conductrice d’autobus parisien en 1961, Simone Kergaravat, première femme commissaire de police en 1975, ou Simone Rozès, première femme présidente de la Cour de cassation en 1983, ou encore Jacqueline Auriol (1917-2000), première femme pilote d’essai en vol4. Toutes vont démontrer « à leur manière, si c’était encore nécessaire, que la féminité ne saurait être assimilée à la maternité et que devenir père ou mère n’est pas le seul moyen de se réaliser. » Elles vont faire vivre leurs potentialités, respecter leurs limites, désobéir aux traditions, refuser des vies pour lesquelles elles ne se sentent pas prêtes, elles vont s’orienter vers la recherche joyeuse d’autres réalités. Parce que « l’insoumission est aussi un dépassement de soi5 ». Elles vont changer la société française, vont élever leurs enfants avec amour et, pas à pas, conquérir des droits, à commencer par le droit de disposer de leur corps et de leur liberté. 2007 : un pays où règnent les femmes de plus de 50 ans, la France. Il n’est pas question de capturer les hommes, comme dans l’Assam, mais de renforcer les liens familiaux et d’humaniser la société. Un demi-siècle plus tard, leurs filles et leurs petites filles peuvent leur dire « Merci mamie ! »

12


montage mamie boom final

12/02/07

18:13

Page 13

Introduction

Une révolution avance sur des pattes de colombe

Une chose ne cesse pas d’être vraie parce qu’elle n’est pas acceptée par beaucoup d’hommes. Spinoza, Court traité sur Dieu, II, XXVI

Ne pas dire comme il sied que la chose soit dite n’est pas seulement pécher contre la langue, c’est mettre en péril l’homme lui-même. Platon, Phédon


montage mamie boom final

12/02/07

18:13

Page 14


montage mamie boom final

12/02/07

18:13

Page 15

LES CHAUSSONS ROSES ont gagné. Le baby-boom, devenu « papy-boom » cinquante ans plus tard, est en réalité un « mamie-boom ». Supérieures en nombre à cet âge, les femmes le sont aussi par leur force innovatrice. Oui, oubliée la vieille dame au chignon des images d’Épinal. Première génération de femmes libérées, les mamie-boomeuses sont épanouies, éclatatantes, et affichent avec naturel dix ou quinze ans de moins que leur âge... Libres, actives, elles commencent une nouvelle vie à la maturité. Jeunes retraitées, mères complices de leurs filles, nouvelles grands-mères, elles ont transformé les modes d’éducation, et surfent sur la modernité. À sa maturité, jeune senior de 50 à 70 ans, grand-mère tonique et comblée, la femme s’est métamorphosée. L’allongement de la vie en bonne santé permet à celles qui sont mères de connaître non seulement leurs petits-enfants mais aussi leurs arrièrepetits-enfants, et peut-être même la génération suivante… Un mamie-boom parce que plus on avance en âge, plus les femmes sont majoritaires et plus on avance dans le temps, plus les femmes sont autonomes et sont présentes dans la société à tous les échelons de responsabilité. Le mamie-boom va donc continuer à s’affirmer, il n’en est même qu’à ses débuts. Ce livre commence d’ailleurs sur une note d’avenir et d’optimisme : en 2006, pour la première fois depuis 1981, la France est le pays d’Europe où les femmes ont fait le plus d’enfants, deux enfants en moyenne par femme ! 23 100 bébés de plus par rapport à 2005. Un mini baby-boom, supérieur à celui de l’an 2000, et sans salaire parental comme en Allemagne. À chaque enfant qui naît correspond une grand-mère, c’est donc aussi le mamie-boom, 15


montage mamie boom final

12/02/07

18:13

Page 16

Oh ! MAMIE-BOOM

et doublement ! Mais même avec une fécondité moyenne de 2,1 enfants par femme et par an, ce qui serait exceptionnel, en 2030, les moins de 20 ans représenteront moins de 23 % de la population alors que la part des plus de 60 ans ou plus sera supérieur à 30 %, et ne cessera pas de progresser. Elle n’était que de 20,6 % en 2000. Bientôt, la France comptera donc plus de sexagénaires que de moins de vingt ans. Et ce seront majoritairement des femmes. À l’âge de 75 ans, la proportion de femmes dans la population devient proche des 65 % et elle atteint même les 75 % chez les 85 ans et plus. Même si l’écart d’espérance de vie entre les hommes et les femmes diminue progressivement du fait des similitudes de vie entre les deux sexes, il reste, en France, le plus élevé d’Europe. Aujourd’hui, l’espérance moyenne de vie est de 84 ans – plus trois mois en une année – pour les femmes et 77,1 ans – cinq mois de plus – pour les hommes 1. Mais il n’y a pas que la démographie, il y a aussi le poids dans la famille et dans la société. Dans la famille, le rôle des grands-mères n’a jamais été aussi important. Dans les métamorphoses de la famille, mères et filles se soutiennent davantage. Dans la société, les femmes sont de mieux en mieux formées, autonomes, et occupent des postes de responsabilité qui étaient réservés aux hommes. Voilà pourquoi le mamie-boom est aujourd’hui un fait social majeur, tant par la féminisation de la vieillesse que par la place des femmes seniors dans la famille et dans la société. Et pourtant, son importance n’est pas vraiment reconnue. Faut-il y voir la crainte d’un nouveau « premier sexe » ? D’une féminisation de la société, comme n’hésitent pas à le dire ceux qui se définissent comme des « mâles pensants » ? Serait-ce une inclinaison incomprise vers une société plus tendre, plus sensible et plus juste ou la crainte d’une porte ouverte aux peurs, à la frilosité et au conformisme ? Les intégristes obtus ont déjà tranché la question en déclarant la guerre à toutes les femmes. Dans les sociétés occidentales, les inégalités de salaires et d’emploi restent fortes, à l’avantage des hommes. Et dans les foyers, la répartition des tâches quotidiennes pèse toujours sur le temps des femmes. Alors, même s’il annonce un rééquilibrage, pourquoi redouter ce mamie-boom ? Comment ne pas voir plutôt en lui une énergie nouvelle et puissante, offrant davantage de libertés pour agir, mais aussi pour plus de bonheur pour l’en16


montage mamie boom final

12/02/07

18:13

Page 17

Introduction

fant, plus de soins envers l’autre et au final un lien social renforcé ? Voilà pourquoi il est important de comprendre les valeurs et les volontés portées par ce mamie-boom. D’abord, dans mamie-boom, il y a mamie. Et la figure de la grand-mère reste ancrée en chaque être. Si l’on s’attache à la production écrite, cette figure n’a émergé à la fin du XIXe siècle mais était présente sous d’autres figures aux siècles précédents, notamment dans les Contes de mère l’Oye. Bien sûr, la senior de choc des années 2010 ressemble moins à la comtesse de Ségur ou à Colette qu’à Jane Fonda ou Catherine Deneuve. Il n’empêche, elle conserve un peu de toutes ces images, et c’est dans ce mélange des temps, entre imaginaire et visionnaire, action et solution, que de nouvelles recettes du bonheur s’élaborent. Même si les hommes prennent leur part, et une part centrale, dans ce phénomène dans la lignée de cet « art d’être grand-père » cher à Victor Hugo, il est difficile de tout résumer aujourd’hui à un papy-boom… Car cette expression n’évoque pas seulement les grands-pères, mais toutes les personnes nées dans les deux grandes périodes de fécondité du XXe siècle, d’abord dans les années 1920, au lendemain de la guerre de 1914, avec de nouvelles vaccinations qui réduisaient la mortalité infantile, puis dans les vingt années qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale. Les premiers entrent en dépendance, et les seconds partent en retraite. Ces papy-boomers, qui ont donc aujourd’hui entre la quarantaine et 80 ans, sont très différents, mais ont un point commun : ce sont majoritairement des femmes. Comment cette évolution démographique peut-elle donc ignorer le « mamy-boom », expression absente à ce jour des dictionnaires ? Espérons donc que ce nouvel anglicisme, dérivé du mot mummy – qui ne signifie d’ailleurs pas grand-maman mais maman – obtiendra sa reconnaissance linguistique, qui ne l’empêche pas d’ailleurs d’entrer progressivement dans l’usage de la langue. En France, les plus de 50 ans étaient 11,6 millions en 1950, 18,8 millions en 2000 et seront 25,1 millions en 2020. Nombreux, très nombreux, les papy- et mamie-boomeurs nés depuis 1946 commencent à partir en retraite : 300 000 en 2005, 600 000 en 2006 ! Nés dans des années d’expansion en bonne santé, ils ont déjà investi la société du temps libre chère au socio17


montage mamie boom final

12/02/07

18:13

Page 18

Oh ! MAMIE-BOOM

logue Joffre Dumazedier et la mettent en pratique dans une retraite libre et active. Devenus de jeunes seniors et bénéficiant d’un bon pouvoir d’achat, si on le compare à celui des autres tranches d’âge, ils sont qualifiés de « corps social central » par les sociologues, de « masters de la consommation » par les experts en marketing, et sont aussi une cible stratégique pour les politiques… Pouvant être considérés comme des piliers de la société contemporaine, ils consomment, aident leurs enfants et leurs propres parents, participent à la vie sociale et politique et votent à 80 %. Mais si le XXIe siècle sera celui des cheveux gris, ce sera surtout par le fait des femmes seniors, toujours plus nombreuses et influentes. Les « panthères grises » – pour reprendre l’expression de Renate Gossard 2 – vont envahir la scène familiale comme la scène publique. Oui, le mamie-boom s’annonce comme un fait démographique majeur, qui porte en lui des influences et des conséquences directes sur la vie quotidienne, sur l’imaginaire collectif, sur les décisions prises. Rappelons-le : après 50 ans, les femmes sont majoritaires dans la société française et ont une espérance de vie supérieure de sept ans à celle des hommes (elle est respectivement de 84 ans et de 77 ans). Dans la vie familiale, cette évolution s’affirme déjà. Ce sont surtout les lignées féminines qui organisent la famille, veillent sur les enfants, assistent les plus âgés et surmontent les séparations. Dans l’entreprise, les femmes gagnent progressivement plus de responsabilités, comme dans la vie publique et politique. Et c’est juste, car la société reste inégalitaire et pénalise toujours les femmes. Dans la vie quotidienne des foyers, malgré un réel changement des mentalités, la répartition des tâches est toujours à la décharge du mari ou du compagnon. Ce mamie-boom serait donc comme une prise de pouvoir, une revanche sur plusieurs siècles de domination de l’homme senior : un « mamiepower »… C’est ce nouveau pouvoir féminin que nous vous invitons à comprendre, que vous soyez homme, femme, jeune ou vieux, car les mamie-boomeuses nous entourent, qu’elles soient mères, grands-mères, femmes, amies. Et les trente années gagnées en espérance de vie au cours du XXe siècle les ont métamorphosées. Qui se souvient de l’image de la femme de 60 ans des années 1950 ? Elle paraîtrait en avoir 20 de plus aujourd’hui, alors que les femmes de 60 ans aujourd’hui en paraissent souvent 20 de moins… 18


montage mamie boom final

12/02/07

18:13

Page 19

Introduction

Ce début de XXIe siècle est donc marqué par une nouvelle donne sociologique, qui résulte de l’arrivée à l’âge de la retraite des jeunes filles de 1968. Elles ont dû inventer de nouveaux codes, rompant avec les anciens modes d’échanges parentsenfants et creusant l’écart avec la génération précédente. Elles se sentent souvent plus proches de leurs enfants que de leurs parents. Et ces mêmes enfants, aujourd’hui parents, les invitent à réinventer aussi leur rôle de grand-mère, avant de le faire à leur tour, lorsqu’ils seront devenus grands-parents. Dans cette guirlande des générations s’élabore un nouvel esprit de famille alors que la société se fait plus individualiste et précaire. Oui, ce mamie-boom va réinventer la vieillesse, mais aussi la deuxième vie du couple et le rôle de grand-mère : une riche palette de façons d’être unique s’offre désormais à elles. Demain, ces mamie-boomeuses pourraient aussi changer la ville en la rendant plus humaine, la politique en la rendant plus concrète, et plus généralement, accroître l’humanité d’un monde confronté à la violence. C’est un peu comme si, au cours du XXe siècle, les esprits de Colette, d’Alexandra David Neel, de Golda Meir, d’Indira Gandhi et de Marguerite Duras s’étaient alliés en un cocktail de gourmandise, d’aventure, de résistance et dont le trait commun serait le regard d’une femme sur les siens, sur tous les siens. Beaucoup de jeunes grands-mères d’aujourd’hui portent en elles cette deuxième jeunesse qui leur permet toutes les audaces. Si le conflit est le nœud du changement, alors oui, un conflit peut survenir avec ses proches, y compris avec ses propres enfants. Être capable de se différencier sans se blesser, de s’écouter et d’agir dans l’intérêt des enfants, voilà aussi l’enjeu. Car c’est dans ce nouveau rapport entre les générations, plus proches et solidaires, que se joue et se préfigure la société de demain, où la grande vieillesse exigera un effort collectif sans précédent. Et cet effort, ce sont bien les femmes, et les femmes seniors en priorité qui l’assument dès aujourd’hui au quotidien, en aidant le plus souvent leurs propres parents. Tout comme elles peuvent aider les plus jeunes, dans une société où l’accès au monde du travail est de plus en plus difficile et trop soumis au chômage et à la précarité.

19


montage mamie boom final

12/02/07

18:13

Page 20

Oh ! MAMIE-BOOM

Alors, un vrai « tsumamie » ? Sans doute. La façon de vieillir a changé, tout comme les rôles associés aux différents âges. Oubliée la vieille dame au chignon des images d’Épinal. Nous avons rencontré tant de grands-mères épanouies, éclatantes, qui affichent avec naturel 10 ou 20 ans de moins que leur âge… Jeunes retraitées, elles sont pluriactives et savent apprécier la vie. C’est l’enseignement de cinq études inédites que nous avons réalisées de 2002 à 2006, à l’occasion de la fête des grands-mères et qui sont présentées et actualisées au fil de cet ouvrage. Première génération de femmes libérées, mères complices de leurs filles, elles surfent sur la modernité. Avec le papy-boom, voilà le mamie-boom ! Le premier chapitre de ce livre leur est consacré, les sept chapitres suivants s’attachant à détailler les multiples facettes de cette nouvelle figure de grandmère. La deuxième partie du livre porte sur le défi du vieillissement dans notre société et sur le « bien vieillir » que beaucoup d’hommes et de femmes, grands-mères ou pas, incarnent aujourd’hui. En effet, il est juste d’évoquer un « nouvel âge » pour la femme à sa maturité. La « femme de 30 ans » de Balzac est aujourd’hui une femme de 50 ans qui, tout en abordant une nouvelle étape de sa vie sexuelle et affective, peut espérer continuer à vivre sa féminité au-delà de 70 ans. Le fait de conserver une capacité à séduire et même à refaire sa vie se conjugue avec une position de plus en plus reconnue dans la vie sociale et professionnelle, comme dans la vie familiale. Souvent en situation d’aider à la fois ses enfants et ses parents, la femme de 50 ans est le pivot de sa famille. Cette métamorphose intervient alors que depuis trente ans, on assiste à un renouveau de la famille comme valeur de cœur et de ressourcement. Dans le même temps, l’institution familiale est remise en cause par les recompositions qu’implique l’augmentation du nombre de divorces à tous les âges avec les familles recomposées, parfois nombreuses, mais aussi par les foyers monoparentaux. Plus individualistes et libres tout en étant ensemble, les membres de la famille privilégient désormais le lien au détriment de la norme. Cela favorise d’autant le rôle, la stabilité et le renforcement des lignées féminines, que les femmes de 50 ans perpétuent. Les mères et les filles s’entraident davantage tout au long de leur vie. Mais en innovant encore et toujours, les baby-boomeuses changent aussi la société contemporaine. 20


montage mamie boom final

12/02/07

18:13

Page 21

Introduction

Car ce mamie-boom porte aussi en lui des valeurs nouvelles, une nouvelle tendresse et de nouveaux modes de relations entre les générations. Face au stress, à la précarité et devant les incertitudes du futur, cette féminisation de la société, si elle fait craindre à certains une montée des peurs, s’attaque en priorité à la violence, et quand nous disons violence, il s’agit de toutes les violences, y compris conjugales. C’est dans ce contexte que le mot « mamie-boom » – ou « mamy-boom » – passait en second plan. Lexicalement, seul le terme « papy-boom », censé incarner un effet unisexe du babyboom, était reconnu, alors qu’il s’agit d’un phénomène d’abord féminin. Est-ce que cela va changer ? C’est l’objet du premier chapitre de ce livre. Car « mamie » renvoie aussi à un imaginaire puissant, dans lequel les figures de grands-mères au centre des plus anciens contes rencontrent des chansons de blues et des interprétations multiples, intimement liées à la mémoire de chacune et de chacun. Nous le rappelons dans le second chapitre du livre. Le corps de l’ouvrage est ensuite consacré aux « nouvelles grandsmères ». Qui sont ces nouvelles grands-mères qui transforment la vie de famille ? De quelles façons les mères deviennent-elles grands-mères, qu’est-ce qui change dans leur relation avec leurs enfants et leurs petits-enfants ? Comment se crée cette complicité qu’elles savent si bien nouer avec leurs petits-enfants adolescents ? Comment se plaisent-elles à jouer un rôle de transmission que ce soit par la nourriture ou l’éducation ? Quelle aide psychologique et matérielle apportent-elles à leur famille ? Répondre à ces questions, explorer des pistes méconnues, ce fut l’enseignement de cinq études inédites, réalisées de 2002 à 2006 par DRS à l’occasion de la fête des grands-mères3. Basées sur des enquêtes de terrain et renforcées par les récents travaux sociologiques, elles convergent toutes vers la reconnaissance nouvelle du rôle spécifique de la grand-mère dans la famille contemporaine, en prolongeant le rôle reconnu des grandsparents (hommes et femmes), et même des arrière-grandsparents. Nous avons révélé une grande variété dans les nouveaux profils des grands-mères, enrôlées par les jeunes parents, recherchant la bonne distance avec leurs enfants, et créant leur propre façon d’être grand-mère, en ayant d’abord le souci de satisfaire leurs petits-enfants – qui leur rendent bien l’affection 21


montage mamie boom final

12/02/07

18:13

Page 22

Oh ! MAMIE-BOOM

qu’elles leurs portent. Bien sûr, ce nouveau rôle, plus impliqué et plus proche que dans le passé, n’est pas sans créer des tensions et même des rivalités avec la belle-fille comme avec l’autre grand-mère. Ces rivalités sont, au mieux, comme une danse subtile, au pire, à l’origine de crises familiales qui conduisent parfois au recours au droit, un droit qui devrait évoluer. Après avoir exposé comment se vit le fait de devenir grandmère (chapitre 3) et comment s’élaborent les nouvelles façons d’être grands-mères, et leurs nouveaux styles, où chacun pourra se reconnaître ou reconnaître sa mère ou sa belle-mère (chapitre 4), nous nous sommes appliqués à comprendre ce qui a changé dans leurs relations avec leurs petits-enfants. C’est ainsi qu’apparaissent par exemple des différences selon les âges de la grand-mère et des petits-enfants. Les plus jeunes mamies, souvent internautes et possédant des téléphones portables, n’ont par exemple pas encore de petits-enfants en âge de communiquer avec elles. Mais il n’est pas difficile de deviner que les nouvelles technologies vont permettre de renforcer à l’avenir et à tout âge des relations qui ont été construites avec les petitsenfants dès leurs plus jeunes années, dans les moments privilégiés passés avec eux, de façon occasionnelle ou non, avec des histoires racontées et des repas partagés. Ces relations sont confortées aussi par le fait que, grâce à l’allongement de la vie en bonne santé, les grands-mères sont aujourd’hui souvent plus « jeunes » sur le plan physique et moral – bien que grandsmères à un âge plus élevé en moyenne, car les jeunes femmes sont mères de plus en plus tard. C’est ainsi que l’on rencontre à présent des grands-mères qui ne ressemblent pas à leurs mères et encore moins à leurs grands-mères au même âge. Elles sont actives, font du sport, aiment la vie et ont encore de nombreuses années devant elles. Et cela tombe bien dans le contexte d’une plus grande fragilité économique, matérielle, de logement, voire affective des jeunes couples. Cette nouvelle énergie des mamies disponibles se révèle au grand jour, et ce, quelle que soit la qualité des relations entretenues avec leurs enfants, le fait qu’ils deviennent parent renforçant généralement les liens. Cette nouvelle place des grands-parents dans la famille se vérifie dans leur relation avec les petits-enfants devenus adolescents, même lorsque ceux-ci ont plus ou moins perdu le contact avec leurs propres parents. 22


montage mamie boom final

12/02/07

18:13

Page 23

Introduction

Les grands-parents sont capables d’entrer dans la culture de l’adolescent sans le juger et d’être mieux écoutés par eux. C’est surtout vrai quand la relation avec les grands-parents a été nouée et suivie dès l’enfance du petit-fils ou de la petite-fille. La grand-mère et le grand-père se retrouvent alors en situation de leur apporter un soutien moral et logistique précieux. Dans la vie urbaine d’aujourd’hui, et plus encore dans les quartiers et les cités de grands ensembles – quels que soient les origines, milieux sociaux et âges des grands-parents comme des petitsenfants –, il s’agit d’un enjeu de taille, susceptible de répondre en partie au mal-être inquiétant d’un nombre croissant de jeunes gens. C’est aussi vrai dans les zones rurales, où les activités et les emplois sont rares. Nous avons étudié cette question au chapitre 5. Mais grand-mère rime avec cuisinière et bien sûr, s’il est un territoire privilégié pour elle, c’est bien celui de la cuisine, des plats et des repas de famille. Et cet art de la casserole a survécu à deux révolutions, celle des « arts ménagers » puis des surgelés et des micro-ondes. Oui, la « mamie gâteau » amorce un retour notable. Et avec elle, toute une danse orchestrée par de nouvelles rivalités féminines qui se jouent autour d’un « enjeu alimentaire » retrouvé. Il s’agit facilement d’une rivalité avec l’autre grand-mère. Mais c’est aussi parfois l’occasion d’une mise au point délicate avec sa propre fille, à laquelle elle n’a pas toujours transmis le savoir-faire culinaire qu’elle avait ellemême reçu de sa mère. Bref, même pacifique, la guerre des casseroles n’est pas prête de finir, alors que certaines grands-mères « surgelés » prennent à leur tour des cours de cuisine de rattrapage… Ces tables familiales sont donc une invitation à nous replonger dans l’univers des grands-mères gourmandes, en nous projetant dans le passé comme vers le futur. Dans cet éventail d’activités, de rôles et d’actes de transmission, l’art d’être grand-mère est aussi l’art de recréer et de faire vivre un nouvel esprit de famille. Et qui dit famille dit rituels, échanges et mémoire. C’est ce champ que nous avons exploré, de la photo de famille aux liens d’argent, au chapitre 6. Les questions des jeux vidéo, d’Internet et du soutien scolaire sont ensuite abordées au chapitre 7 – en révélant le rôle des grands-pères à cet égard. De nouveaux rôles possibles et souhaitables pour les grands-mères se dessinent aussi face aux difficultés de nom23


montage mamie boom final

12/02/07

18:13

Page 24

Oh ! MAMIE-BOOM

breux jeunes gens dans les quartiers dits « sensibles ». Ils sont esquissés dans le chapitre 8. Enfin, le chapitre 9 évoque les fêtes et les festivités consacrées aux grands-mères, en rappelant notamment l’origine et l’histoire des fêtes des mères et des grands-mères, désormais entrées dans l’usage. Nous avons tenu à évoquer, même brièvement, dans la deuxième et dernière partie de cet ouvrage, la question du vieillissement, réactivée par l’émergence de ces générations de nouveaux seniors mais aussi par la banalisation du grand âge et de ses exigences. En effet, réinventer la vieillesse est un défi contemporain, et les mamie-boomeuses y prennent déjà une part pionnière. Il faut d’abord recadrer les grands débats sur le vieillissement de la population, sur le coût des retraites et sur la dépendance des personnes très âgées. En effet, ce « coup de vieux » n’est pas derrière mais devant nous, et notre économie, comme notre société, doit l’aborder de façon offensive et positive. Il faut aussi prendre la mesure des progrès de la médecine concernant le vieillissement, et notamment le vieillissement neurologique, qui est le plus redouté. La maladie d’Alzheimer trouvera-elle demain des palliatifs ? Pouvons-nous entraîner notre cerveau à rester jeune ? C’est ce que nous développons dans le chapitre 10. Et comment faire un livre sur les mamie-boomeuses sans vous les présenter ? Le rappel de notre méthode, mais aussi quelques portraits de mamies d’ici et d’ailleurs, dont certaines mènent des combats qui méritent d’être soutenus, comme les grands-mères africaines face au sida, sont dans le chapitre 11. Alors, contrairement aux thèses développées autour d’une « juvénilisation » de la société qui serait de plus en plus immature, les seniors sont en train de favoriser l’épanouissement d’un nouvel art de vivre. Cet art de vivre privilégie un rythme plus respectueux de la nature humaine, milite pour une ville plus sûre et plus écologique, pour le fait de demeurer chez soi plus longtemps dans des logements mieux équipés. Il nous invite à découvrir et à apprendre tout au long de la vie, à produire et développer sa propre personnalité à différents âges, fidèles en cela à l’idéal de Condorcet4. Ce projet de vie généreux, qui peut séduire les plus jeunes, révèle la modernité et l’humanisme du mamie-boom.

24


montage mamie boom final

12/02/07

18:13

Page 25

Introduction

Mais peut-être, en ce début de livre sur le mamie-boom, puis-je présenter celle qui se trouve naturellement pour moi à son point d’inspiration, ma propre grand-mère. 10 novembre 1910 : cette date est pour ma famille une date mémorable, puisque c’est le jour où naquit Paule, ma grand-mère paternelle, qui a eu 96 ans ce 10 novembre 2006. À mesure que les années nous rapprochent du 10 novembre 2010, nous vivons chaque anniversaire comme une petite victoire, et la victorieuse ne cache pas son plaisir. Son premier petit-enfant, Patrick, a fêté ses 50 ans. Elle est veuve depuis 1968 et vit seule dans un appartement du Havre. Sa fille, Jacqueline, qui a passé les 70 ans, lui téléphone tous les jours et lui rend visite plusieurs fois par semaine. Dans l’appartement havrais de la rue de Condé, nous étions toutes et tous là, en novembre dernier, pour partager cet instant, celui où elle souffle les bougies magiques. Même si « mamie Paule » ne sort plus guère de chez elle, même si elle se plaint de douleurs aux articulations, notamment pour se lever et pour marcher, elle garde une étonnante jeunesse d’esprit, une vivacité facétieuse, un amour de la vie comblé et toujours en appétit. Heureusement ! Car ses répliques, sa liberté d’esprit et son humour sont autant d’air pur, un peu comme celui des altitudes, des hauts sommets et du souffle coupé.

25


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.