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Nicolas Domenach
Sarkozy Au fond des yeux
Éditions Jacob-Duvernet
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REMERCIEMENTS À Tania Rizk, qui a su recueillir, avec habileté et opiniâtreté, les commentaires des photographies de ce livre.
Cet ouvrage inaugure une nouvelle collection Les miroirs du Prince. Au XIVe siècle, en Italie et en France, les temps de crise ont nécessité des réflexions sur le pouvoir politique. Ce genre littéraire n’a pas perdu de son actualité. Luc Jacob-Duvernet
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SOMMAIRE I. LES RESSORTS
Le petit chose de Neuilly
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II. LES EXPÉRIENCES FONDATRICES
Comme un fou
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III. LA FULGURANCE
Mettre au pas ce petit saligaud
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IV. LE CONTRÔLE DU FIEF
Maître en sa mairie
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V. LE SOUVERAIN
J’aime Chirac
63
VI. L’ANTICIPATION
Monsieur Balladur
81
VII. LA DÉRIVE
L’ivresse à Matignon
97
VIII. LA MAÎTRISE DU REPLI
N. le Maudit
121
IX. L’APPRENTISSAGE DE L’ÉCHEC
La Bérézina du petit caporal
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X. L’AFFRANCHISSEMENT
Libre
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XI. LA STRATÉGIE DE LA VÉRITÉ
Pokers menteurs
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XII. LE CONTRÔLE DE L’IMAGE
Le médiacteur
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CONCLUSION : L’AVENIR
Les yeux de Nicolas
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Pour un quarteron de généreux rebelles, Claude Askolovitch, Stéphane Khemis, Anthony Rowley et, bien sûr, Maurice Szafran.
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I Les ressorts
LE PETIT CHOSE DE NEUILLY
«D
ANS MA TÊTE, JE SUIS RESTÉ UN ENFANT D’IMMIGRÉ. JE DOIS TOUJOURS FAIRE MA PLACE. »
LE MINISTRE DE L’IN-
TÉRIEUR EST DEMEURÉ UN ENFANT. IL A LA LUCIDITÉ DE
S’EN RENDRE COMPTE.
DU MOINS POUR PARTIE. QUEL HOMME SAIT VRAI? CE QUI L’ENTRAÎNE AUSSI ? CE QUI LE FAIT COURIR ? PLUS VITE. PLUS LOIN. NICOLAS SARKOZY EST UN COUREUR VÉLOCE ET INFATIGABLE. QUI S’ARRÊTE À PEINE APRÈS UNE ARRIVÉE, UNE VICTOIRE, POUR CONFIER D’UN SOUFFLE QU’IL REPREND VITE, « QUELLE REVANCHE, HEIN ? » REVANCHE CONTRE QUOI ? MAIS LE VOILÀ REPARTI, CE DESCENDANT DE JUIFS DE SALONIQUE DU CÔTÉ DE SA MÈRE ET DE NOBLIAUX HONGROIS PAR SON PÈRE. CE FILS DE DIVORCÉS ET PETITBOURGEOIS, CHARITABLEMENT INVITÉ CHEZ LES GRANDS, EN BOUT DE TABLE. CE CADET DANS LA FRATRIE, CONTRAINT À LA RÉBELLION POUR EXISTER, ENTRE L’AÎNÉ, DÉPOSITAIRE DE L’AUTORITÉ ET LE BENJAMIN « SI BEAU, SI INTELLIGENT » COMME LE DIT SA MÈRE. EH OUI, MÊME LES GRANDS HOMMES ONT COMMENCÉ PETITS. MENT CE QUI RESTE DE L’ENFANCE EN LUI
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LE PETIT CHOSE DE NEUILLY A u tribunal de l’Histoire, l’enfance des chefs s’entend souvent comme celle des grands criminels. Avanies, malheurs et blessures intimes. Les excuses de l’un sont les ressorts de l’autre. Bonaparte n’aurait pas été Napoléon si le petit Corse n’avait pas été cruellement moqué par ses condisciples de l’école de Brienne. Charles Manson, dit Jésus, n’aurait pas tourné Satan sans les corrections des maisons qui le recueillirent à la mort de ses parents. Et si Nicolas Sarkozy s’est imposé comme homme politique de premier plan, après avoir, et par deux fois, été rejeté par les électeurs, il le doit sans doute… à la force de sa douleur, fondatrice : l’humiliation des premières années. Celles qui trempent le caractère, celles qui forgent un destin au feu des épreuves. « J’ai été humilié tout au long de ces années dont je ne conserve aucune nostalgie. J’ai souffert… » Sarko ne s’étend pas volontiers sur le sujet. Mais sa vérité, une de ses vérités, est là, dans cette souffrance initiale. Pourtant ses compagnons d’autrefois, élevés dans la soie, ne comprennent pas le rêche de son propos, le grain noir et rugueux de ses souvenirs. Son frère aîné, Guillaume, va jusqu’à se moquer : « Notre jeunesse, ce n’était tout de même pas Germinal. » Et leur mère, Andrée Sarkozy, rectifie elle aussi très volontiers : « Avec un grand-père chirurgien, une maman avocate, ce ne fut pas vraiment la zone. » Ce ne fut donc pas le 9-3, mais le 1-7, le 17e arrondissement, rue Fortuny, un de ces hôtels particuliers pleins de charme de la plaine Monceau, avant le 9-2, les Hauts-de-Seine, Neuilly, avenue Charles de Gaulle. Un appartement bien exposé de cinq pièces avec chambre de bonne que Nicolas aura la chance d’occuper. « De la lumière enfin ! », dit-elle, si désireuse de quitter la maison, adorée des enfants, mais trop sombre, surtout après la mort de son père. Mais la belle exposition n’en faisait pas l’appartement du bonheur, pas plus que la rue Fortuny ne fut celle de la fortune. D’abord parce qu’il y a eu le divorce des parents. Nicolas, officiellement, avait cinq ans. Parfois il se trompe et dit trois ans. En ses primes et tendres années quoi qu’il en soit. L’âge où l’on n’est pas le mieux préparé à affronter le jugement d’un tribunal qui n’est que l’aboutissement d’une longue et douloureuse séparation d’esprit et de corps. Papa, impénitent enjôleur, vole et s’envole vers d’autres aventures, maman coud et tient le coup. Elle fait face, prend tout en charge avec la désormais fameuse énergie… sarkozienne. Aidée par Bénédict Mallah, son père médecin, qui l’abrite rue Fortuny, elle affronte. Andrée Sarkozy reprend ses études de droit, passe son CAPA, plaide et fait vivre sa nichée : le troisième et dernier garçon, François, n’a qu’un peu 6
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SARKOZY, AU FOND DES YEUX plus de trois ans lors de la séparation. Elle ne se remarie pas et maintient de bonnes relations avec son ex-mari et avec ses nouveaux rejetons. «Il n’y a rien eu de dramatique, veut-elle croire. Nous n’habitions pas loin. Nous sommes restés très liés.» Elle a eu du mérite, Andrée, si battante, si chaleureuse, si peu rancunière et apparemment si peu angoissée, alors que ses enfants l’étaient tant, sans jamais rien montrer. On prend sur soi chez les Sarkozy. On est des hommes même, surtout quand on est tout petit. Rien de dramatique ? L’amour, surtout l’amour maternel, est aveugle. Et sourd. Un tel dévouement, un semblable sacrifice rend impossible la perception de cette réalité qu’on aimerait fausse : tous les enfants de divorcés souffrent, plus ou moins. Ce fut plus. À cette époque-là et dans ces milieux-là, bourgeois et catholiques, la rupture des liens sacrés du mariage n’était pas de mise. Ce n’était pas convenable. C’était même sacrilège. Certaines familles vous excommuniaient quand ce n’était pas l’Église. Ou pire encore, elles vous plaignaient charitablement. Les enfants de divorcés au cours Saint-Louisde-Monceau, ou même au lycée Chaptal, étaient regardés comme des canards noirs. Déjà qu’ils n’étaient pas bien clairs, ces trois petits canards-là, sans relations, sans amis hauts placés, sans appuis. Un Sarkozy de Hongrie, fût-il vaguement noble, fût-il même grand comme Guillaume, mais surtout rikiki et rondouillard comme Nicolas, cela se regardait de haut. C’est ce qui fait la haute société d’ailleurs ; elle toise. Elle se grandit grâce aux échasses de son mépris. Vous savez tout de suite si vous en êtes ou pas. Aux regards jetés sur vos habits, sur vos manières de table et d’être. Aux propos non pas échangés, mais concédés. La condescendance se transmet avec les quartiers de noblesse qu’on n’achète pas par appartements. En plus, quand l’appartement est sis dans le Neuilly bruyant, si peu chic, quasiment populaire, c’est-àdire vulgaire comme les penchants enfantins de Nicolas pour le foot, le vélo, Johnny Hallyday. Il n’était pas Beatles, pulls shetland et mocassins Churchs comme la bande du Drugstore. « J’ai passé tant de samedis et de dimanches après-midi seul à la maison à regarder la télé, confesse Sarkozy. Des amis, je n’en ai eu que vers seize, dix-sept ans1. » Il en a eu avant. Du moins des relations qui croyaient avoir tissé des liens d’amitié avec lui. « On s’entendait bien, on s’amusait bien, même s’il n’avait pas les mêmes passions que les autres. Le Tour de France, de Gaulle, on s’en fichait un peu. Et puis il venait chez nous à Paris ou à la campagne. » Sa mère, Andrée, dite Dadoue, en rajoute : «Nous avions des amis qui avaient beaucoup d’argent. Nicolas allait fréquemment chez le petit-fils des Michelin qui 7
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LE PETIT CHOSE DE NEUILLY Yves Jégo, député UMP de Seine-et-Marne, maire de Montereau-FeultYonne, membre du Haut Conseil de l’Intégration « Si je devais donner un titre, ce serait celui-ci : l’envie de convaincre. Nicolas Sarkozy est manifestement dans une boulangerie en visite, il a pris appui sur le comptoir et on voit bien dans son geste de la main qu’il prend le temps de convaincre son interlocuteur comme il le ferait à la télévision ou à l’Assemblée nationale. Sur cette photo, c’est le contraire de l’homme pressé. Le lieu n’est pas anecdotique – une boulangerie très traditionnelle de Nice –, et les personnes ne le sont pas on plus : une dame âgée, une personne de couleur avec une petite fille. C’est un homme politique qui descend sur le terrain, et veut convaincre à un endroit où les passions l’emportent souvent sur la raison. C’est ce qui me fascine en lui : cette volonté de ramener la raison par la force de l’argumentaire politique, là où il n’y a plus que passion et manichéisme. Tout est dans ce geste : vouloir convaincre cette dame en face de lui, alors qu’il pourrait simplement être là à serrer des mains et à sourire. C’est une nouvelle génération en politique, ceux qui ont appris sur le terrain, qui savent qu’il faut maîtriser la force médiatique, mais que sans la présence sur le terrain, sans le débat des idées en profondeur, on ne peut pas faire avancer les choses. Nicolas Sarkozy l’a compris, et sans doute l’a-t-il fait en prenant le temps de ce type de déplacement. On apprend beaucoup en écoutant pendant dix minutes des gens dans une boulangerie. » Nicolas Sarkozy en déplacement à Nice, le 21 juillet 2001.
n’étaient pourtant pas des gens qui montraient leur fortune2. » Mais la discrétion peut être pire que l’étalage. Car il y a de la faiblesse dans l’ostentation. Alors que la fortune s’accroît de l’imaginaire quand elle est dissimulée. L’opulence qui intimide, qui écrase, est celle qui prend soin de ne pas se montrer. Ce n’est effectivement pas du Zola, c’est du Balzac ! Bourgeois moyens, les Sarkozy ne font pas partie des gens «de bien», des riches, leurs voisins. Son argent de poche, Nicolas Sarkozy devra le gagner. Il lui faudra travailler pour se payer ses vêtements ou ses sorties. L’adolescent sera employé chez un jardinier-fleuriste, puis chez un glacier, devant lequel il verra passer les héritiers avec des filles plein leurs jolis coupés racés, des filles jolies, rieuses, immenses. Parfois ces gaillards, surtout ses deux frères, plus snobs, seront invités à ces rallyes où on se convie à danser entre soi. Mais les Sarkozy n’ont pas les bons codes-barres, se sentent mal à l’aise, tolérés en bout de table. Guillaume 10
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SARKOZY, AU FOND DES YEUX et Nicolas pourtant si éloignés emploient la même expression, les mêmes mots: «Il n’y a rien de plus détestable que la place d’invité.» La place du pauvre. On ne soulignera jamais assez l’importance de la lutte des classes à Neuilly. À l’âge de vingt ans, Nicolas revit un de ses proches d’autrefois devant qui il émit cette prophétie : « Je serai Premier ministre. Président, je ne sais pas, ça dépend de trop d’aléas. Mais Premier ministre, j’y arriverai. Et quelle revanche ce sera alors ! » L’ex-(non)ami d’enfance, né avec une raquette dans une main et un biberon d’eau bénite dans l’autre, s’interroge encore : « Mais une revanche sur quoi, mon Dieu ? » * * * «Petit, c’était un garçon très coléreux. » La tendresse maternelle n’exclut pas totalement la lucidité. Andrée Sarkozy a gardé le souvenir ému, mais aussi brûlant, d’un enfant qui n’a pas toujours été très avenant3. Nico la Colère, plutôt soupe-au-lait, comme il le reconnaît aujourd’hui. Capable de monter vite, de déborder bouillant de rage. Particulièrement contre son frère aîné, Guillaume, avec ses quatre ans et ses vingt centimètres de plus qu’il a toujours défiés. « C’était juste de l’émulation », assure la mère, qui tient pour broutilles ces chamailleries enfantines. De l’émulation à coups de poings et de pieds. Nicolas connaît par cœur les chansons de Johnny : « J’avoue que la bagarre, je ne suis pas contre, ça ne me fait pas peur», ou encore, «Les coups, quand ils vous arrivent, oh oui, ça fait mal […]. Avant de faire un homme d’un tout petit enfant, il en faudra combien pour qu’il devienne un grand ? Combien de fois à terre, il lui faudra tomber et sans pleurer apprendre à se relever ?» Sans pleurer, sinon des larmes de fureur, le pitchoun se relève, repart à l’assaut de la forteresse fraternelle. « Jamais il n’a eu peur de Guillaume, pourtant beaucoup plus costaud, se souvient son père. Il le cherchait sans cesse. Alors Guillaume dépliait son grand corps sous son nez. Nicolas a ainsi récolté quelques bonnes roustes4.» Sans capituler pour autant. Le morpion était teigneux, confirme son aîné qui tente d’expliquer : «J’étais l’autorité, il était plus minus. » Pas facile de se faire reconnaître, de s’affirmer pour le cadet, coincé entre le frère supérieur et l’inférieur, François, le petit protégé. «C’est le plus fort, celui qui a fait les meilleures études », s’émerveille encore Dadoue. Elle ne dit pas c’est le plus beau, mais c’est tout comme. Le petit était donc mignon et doué pour toutes les matières. Comme il 11
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Patrick Balkany, maire de Levallois-Perret, député-maire des Hauts-de-Seine « Son père, c’est un homme extraordinaire, mais très différent de Nicolas. Il habite à Levallois et était très lié avec mon père, mort il y a quelques années. Ils se voyaient beaucoup. Pal Sarkozy, c’est un play-boy, qui a travaillé longtemps comme publicitaire, notamment pour L’Oréal. C'est un homme d'une grande classe, avec beaucoup d’allure, mondain, très gentil et, en même temps, il n’a retrouvé une proximité avec Nicolas qu’à partir de cette époque-là. Il s'était séparé de la mère de Nicolas, Dadoue, il avait eu d’autres enfants et il ne s’est pas beaucoup occupé de Nicolas qui en a beaucoup souffert. Pour payer ses études, ce n’est pas une légende, Nicolas vendait des fleurs et des glaces à Neuilly, et il avait été très ému, il y a quelques années, quand son père lui avait offert, je m’en souviendrai toujours, une montre Cartier, la Must en acier. C’était la première fois quasiment que son père lui faisait un cadeau. Il était très proche de sa mère pendant toutes les années où son père était peu présent. C'est une femme extraordinaire qui, restée seule avec ses trois fils, a repris des études de droit et est devenue avocate pour pouvoir les élever, c’était une période dure. » Nicolas Sarkozy, invité à l’émission La Marche du siècle, en compagnie de ses parents, 6 avril 1994.
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Martin Bouygues, ami de Nicolas Sarkozy depuis plus vingt ans «Nicolas est un chef de tribu. Il aime bien être entouré de sa famille qu’il élargit à ses amis. Il y prend du plaisir et il y est attentif, et quand les gens ont des difficultés, il passe beaucoup de temps avec eux, pour les écouter, les conseiller, les réconforter de manière intelligente. C’est une photo très représentative de ce qu’il est: jovial, plein d’humour, toujours très pertinent. Les trois frères, c’est vraiment trois caractères Sarkozy qui ont très bien réussi dans des domaines différents et en se donnant beaucoup de mal. Nicolas en est fier, légitimement je crois. Moi, je les ai toujours vus heureux et respectueux les uns des autres. Cette notion de respect est très importante chez Nicolas : respect de lui-même, respect des autres. C’est un homme qui a toujours su bien s’entourer, avec un grand sens du choix des hommes et de sa responsabilité : c’est son côté chef de tribu, mais il le fait sans brutalité, avec intelligence, convivialité, charisme. Et puis, il est très honnête dans ses pensées et ses raisonnements. Lorsque vous discutez avec lui, s’il se permet une réflexion dont il sait qu’elle n’est pas très honnête sur le plan du concept, il éclate de rire. C’est un joyeux, un enthousiaste, un séducteur, mais son désir de plaire ne fait pas de concession à son désir d’honnêteté. Pour ma part, je ne connais pas l’homme politique, mais l’homme privé est tel que je le décris. » Nicolas Sarkozy et ses frères, François et Guillaume, à l’émission Vivement Dimanche, le 27 septembre 2001. 13
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LE PETIT CHOSE DE NEUILLY craignait de rater ses épreuves, il bûchait et réussissait tout, rêvant de faire comédien, mais obéissant à sa maman en (se ?) sacrifiant à médecine. « C’est tout de même mieux que le droit ou l’école d’ingénieurs des travaux publics de Paris suivie par Guillaume.» Chez les Sarkozy, comme dans de si nombreuses familles, le deuxième s’est regimbé contre le premier, le tyranneau domestique qui l’écrase volontiers de sa préexistence, de sa force. «Historiquement, les aînés incarnent et reprennent la tradition, alors que les cadets sont des rebelles », a constaté Franck Sulloway5, chercheur américain au département des sciences cognitives du Massachusetts Institute of Technology, le fameux MIT. Des insurgés perpétuels quand l’injustice du droit d’aînesse se pare d’une délégation indue de l’autorité paternelle. «T’es pas mon père. » Le moins âgé est effectivement condamné à l’insoumission ou au servage. Nicolas sera un insoumis ! «Je ne passerai jamais entre la thibaude et la moquette » est une de ses maximes favorites. Susceptible, querelleur, têtu à la tête droite toujours, indocile indomptable et indompté. « Il a même failli tourner voyou », s’amuse aujourd’hui Guillaume, avec qui les relations sont restées tendues, alors que Nicolas est au mieux avec François, frère complice et non rival. Il arrive cependant qu’ils se retrouvent tous pour un dîner de vacances autour de la reine mère. Mais pour rentrer, Nicolas prendra seul l’avion du ministère de l’Intérieur et le numéro deux du Medef, le train. Le cadet n’a pas proposé à son aîné de l’emmener et celui-ci ne lui a rien demandé. Ni l’un ni l’autre n’y ont pensé. Le temps n’efface pas tout. Pourtant Dadoue assure : « Nicolas n’avait qu’un objectif, c’était d’épater son frère aîné. Maintenant, c’est réussi.» Il n’a effectivement plus besoin de ses pieds ni de ses poings. * * * C’est à elle, sa mère, qu’il ressemble. Pas à lui, son père, qui le fut trop peu. L’allure, la démarche, le visage en longueur, les sourcils autoritaires en accent circonflexe, en chapeaux de gendarme dit-on au ministère de l’Intérieur, les yeux vifs, mutins et chaleureux, enfantins aussi parfois malgré les pattes d’oie, il les tient d’Andrée Sarkozy. Tout le portrait de maman. Même si la reine mère l’agace parfois, Nicolas préfère lui ressembler à elle. Pourtant, quel bel homme, papa ! Presque trop beau pour être vrai. Justement. Tous ceux qui l’ont connu, qui le connaissent, les femmes d’abord, se pâment aujourd’hui encore et sortent les violons pour le noble 14
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SARKOZY, AU FOND DES YEUX Magyar. Un séducteur, un joueur un peu flambard qui roule les «r», les préventions et les résistances. Élancé, élégant, fin, cultivé, charmeur. Le charme. Mais le charme évanescent devant les trivialités de la paternité. Pal Nagy Bocsa y Sarkozy fait des moulinets avec le sabre de ses ancêtres et son histoire épique. Troisième fils d’une famille d’aristocrates hongrois, il a grandi dans un château de plusieurs dizaines de pièces à quelques lieues de Budapest, puis dans un collège religieux français en Suisse avant que le Vieux Monde ne sombre dans la tragédie. Guillotine à deux lames pour l’aristocratie décadente : le nazisme d’abord, le communisme ensuite. Fin des privilèges, des propriétés, des serfs, et menaces sur des libertés réduites chaque jour davantage. Aprèsguerre, redoutant d’être mobilisé, voire d’être déporté en Sibérie, le jeune Pal s’enfuit d’abord vers l’Autriche. Il espère rejoindre Paris où sa mère envisage de le retrouver pour ouvrir une maison de couture. Mais à l’époque, on ne passe pas les frontières comme ça. Alors, le voyage se fait périple. Le fugitif s’enrôle pour trois ans dans la Légion française dont un médecin hongrois le libérera afin qu’il n’aille pas se battre en Indochine. Muni d’un laissez-passer ferroviaire et d’une miche de pain, il débarque dans la capitale sans un sou, dort à la belle étoile – plus exactement sur la place du même nom – pas sous l’Arc de triomphe. Il n’y a que le Soldat inconnu qui ait droit là au repos, d’ailleurs éternel. Il passera une nuit étoilée, certains disent sept, d’autres dix. Une seule suffit pour forger un mythe ! Le clochard céleste à la conquête de la Ville lumière ! Ce vagabond fera beaucoup de chemin et vite. Jusqu’à la rue Fortuny, dans le 17e, où il rencontre l’amour, Andrée Mallah, il n’y a qu’une petite trotte, mais c’est une cavalcade ascensionnelle ! Ce cavalier n’avance pas, il charge ! Il lui suffit d’à peine plus d’une année pour franchir les haies de la réussite amoureuse et sociale. Un petit brillant maternel aidera, ainsi que quelques secours de proches et d’amis d’amis. Pal Sarkozy, doué pour le dessin, mais pas suffisamment pour devenir peintre, s’intronise professeur, puis publicitaire. Il épouse un beau parti, gagne de l’argent, fait des enfants, un, deux, trois, partez ! Rien ni personne ne semblait devoir résister à ce conquérant à la Hugo : « Mon père, ce héros au sourire si doux ». Un soir de polémique, Nicolas ira plus loin dans les contes et légendes, et versera sa pièce à la fantasia paternelle, assurant que son géniteur avait fui le communisme, caché sous un train. Aujourd’hui, Nicolas Sarkozy n’éperonne plus la licorne du folklore familial. Pour se moquer des siens qui s’accrochent à sa crinière blanche et aux soubresauts de la saga 15
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LE PETIT CHOSE DE NEUILLY Claude Askolovitch, journaliste au Nouvel Observateur « Cela lui ressemble, cette dureté des traits, de regard ? Est-il grave, concentré, à la hauteur d’un drame, ou bien est-il méchant? Il est méchant bien sûr, méchant aussi. Pas que ça évidemment. Mais il lui en a fallu, de cette violence, pour tenir quand tout se liquéfiait autour de lui, pour continuer à croire qu’il était le meilleur et que son tour reviendrait. Son tour est revenu. On le sent. Il ne se retient plus. Il a la méchanceté du sportif, celle qui va de pair avec la gagne, qui fait la différence sur la ligne d’arrivée, au moment du tacle, quand on agrippe le kimono de l’adversaire. La méchanceté du vainqueur, qui parachèvera son triomphe sans crainte d’humilier l’adversaire. Sarkozy le pitbull, attention quand il vous tiendra à la gorge, son œil vous attrape. Il insistera encore, sa victoire sera totale, il dansera sur le cadavre de Chirac, ou Juppé – il danse déjà d’ailleurs, il anticipe le moment, et c’est sa seule faiblesse. Il y a deux Sarkozy, celui de l’entraînement obstiné, de la musculation en salle, celui qui épuise son corps pour ne pas être un petit gros, se nourrit de muscle et de notes, assimile, emmagasine, rencontre la peur des Français et lui répond, fait de la politique au meilleur sens du terme, en concentrant sa rage sur un objectif concret. Et puis l’autre Sarkozy, qui la ramène avant terme, celui qui théorisait avant terme le triomphe de Balladur, il y a dix ans, ou le sien aujourd’hui. Sarkozy des magazines, des petites phrases, de la facilité d’un bon mot, de l’autosatisfaction, une méchanceté taquine, hargneuse, vide. Quand le Sarkozy du fond rencontre le Sarkozy de la forme, quand son verbe assuré rencontre ses vraies qualités, il semble imbattable. Mais quand sa langue s’agite plus vite que l’histoire, quand il pense plus à la photo du tour d’honneur qu’au but qui reste à marquer, alors il agace, sa jactance devient gênante, creuse, un handicap, elle nourrit la vindicte contre lui… La méchanceté n’est tolérée que venant des vainqueurs, pour chambrer, en ce bas monde, il faut être le taulier. » Nicolas Sarkozy visite la Mosquée de Paris, le 5 octobre 2002.
comme d’autres à la lettre des Évangiles, il plaisante : « Il est où le château ? Nous y sommes allés, en famille. Nous avons cherché et nous n’avons rien trouvé ! » En revanche sur le certificat d’engagement de Pal Sarkozy dans la Légion était inscrit à profession de la mère «coiffeuse… ». Bien sûr, une erreur que l’ancien légionnaire écarte avec majesté, raconte son fils, qui s’amuse à douter qu’ils soient de la haute ! Enfin, la preuve est faite que son géniteur est passé par la Légion. Pourtant, Nicolas n’a que rarement envie de rire quand il évoque les rela18
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SARKOZY, AU FOND DES YEUX tions avec son papa papillon. « Il ne s’est jamais occupé de nous. » Ce n’est pas un reproche. Chacun est libre de faire sa vie. Mais le constat est là, dur, tranchant. Le fils a trop souffert des sornettes pour les laisser siffler encore au-dessus de sa tête. Il se méfiera pour toujours des beaux parleurs, de ceux qui font des phrases ronflantes et prometteuses mais qui ne sont plus là lorsqu’il faut assumer. Car le Tsigane a fait des enfants, puis est allé danser sa vie avant de se rendre compte qu’ils étaient devenus grands. Il a divorcé de son épouse, mais aussi des garçons qui en ont eu assez de suivre ses virevoltages et épousailles successives. Après un quatrième mariage, un demi-frère et une demi-sœur, ils renoueront. Pourtant Andrée Sarkozy n’avait pas ménagé sa peine afin de garder des liens. Mais les années perdues ne se rattrapent guère. Les pizzas du jeudi, place de Wagram, ne nourrissent pas des enfants en pleine croissance, qui ont si faim de tendresse, de présence, de rassurance, d’aide affective, voire matérielle et pas seulement de prestance. « Je n’ai pas souffert de privation de père », trompette Nicolas qui n’est pas du genre à se lamenter sur son sort, mais plutôt à agir. Au besoin contre l’absent, Pal le Magnifique, qui est aussi distant, cassant, prodigue en largesses verbales, voire en cadeaux exceptionnels, mais peu soucieux d’assurer le matériel, le sombre quotidien. Comme il ne donne pas suffisamment d’argent, il arrive que Nicolas décide d’appuyer sa mère et d’aller secouer son vieux. Il n’est même pas adulte et ses amis sont encore sidérés de la force qu’il mettait pour lui tordre le bras. De sa joie aussi, lorsque son père lui fit un jour enfin, bien plus tard, un beau cadeau, une montre Cartier. Mais combien de fois, alors qu’il n’avait pas un rond, Nicolas a-t-il attendu un soutien, comme lorsqu’il était à Sciences Po et qu’il a dû se résoudre à un emprunt ! Combien de fois a-t-il attendu une aide qui n’est pas venue ? Combien de fois a-t-il rêvé d’un signe d’attention, de tendresse, d’estime ? Combien de fois a-t-il rêvé d’un geste d’autorité paternelle, fût-elle piquante, qui l’eût agréablement changé de cette chanson de geste épique ? Il n’y a pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour. Elles ont manqué. « Mais si on n’est pas abattu, dit-il souvent, on devient plus fort. » Avant d’ajouter : « Je n’ai pas cherché de père de substitution. J’ai une femme et des enfants que j’aime. J’essaie de leur donner ce que l’on ne m’a pas offert. » Le « on » est un cruel pronom indéfini ! * * *
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LE PETIT CHOSE DE NEUILLY C’est une histoire toute simple, celle d’un enfant que son grand-père tient par la main. Ensemble, ils prennent le métro, descendent au terminus, s’arrêtent au premier bistro. Pour Papy un café, pour le petit, un jus d’oranges. « Et des tartines beurrées, s’il vous plaît ! » C’est tendre, croustillant. Cela s’appelle le bonheur ou quelque chose d’approchant. Pas besoin de parler. Juste écouter parfois, les histoires de grand-père : « C’était comment la guerre contre les Allemands ? Et le débarquement ? Et la Résistance ? Et “Jo les Chaussettes Vertes”, le chef des FTP, pourquoi on l’appelait “Jo la Terreur” ? C’est vrai que maman était copine avec lui ? Et que les nuits on se battait à coup de mitraillettes ? » Papy, réfugié non loin de Tulle, en Corrèze, avec sa famille, avait vu de près le maquis, de Gaulle et la Libération. Ce n’était pas un gaullo-dévot, mais un pratiquant du 11 Novembre et du 14 Juillet, sur les Champs-Élysées. Avec son petit-fils sur les épaules, ils ne se lassaient pas de voir défiler les forces armées et républicaines. Le cœur tambour, au rythme de la musique militaire. Elle était forte la France. Elle était puissante et émouvante, cette foule communiant en son destin, qu’il vente, qu’il pleuve ou qu’il «soleille ». Il était grand, le Général. Et Papy, donc. Grand et généreux à la fois. Car Nicolas Sarkozy a bénéficié, avec ses frères, d’un grand-père «hors père», si l’on ose écrire. Après le divorce et l’évanescence paternelle, c’est lui qui a recueilli sa fille et ses petits-enfants. Les trois garnements et leur mère auraient pu tomber plus mal. La rue Fortuny était un excellent endroit pour se faire soigner : pas moins de huit médecins pour quarante numéros. Mais le meilleur, c’est Pappy, chirurgienurologue qui reçoit sa clientèle au rez-de-chaussée et veille sur la nichée du dessus, au large dans les douze pièces de la maisonnée. Il veille et surveille quand Andrée reprend ses études de droit, puis lorsqu’elle se lance dans le métier d’avocat. Ce bel homme, d’apparence un peu sévère, est ravi du débarquement de ces petits diables. Il vient de perdre sa femme, n’a eu que des filles (deux) et déteste les croulants – enfin les collègues de son âge. Alors, il y a toujours des bonbons et des gâteaux dans ses placards, une lueur au coin de l’œil ou un mot chaleureux pour ses petits-fils qui s’ébrouent dans le jardin. Ce grand-père gâteaux ne leur offre pas seulement le gîte, le couvert et des douceurs, mais une protection attentive, une tranquillité vigilante, de la tendresse et de l’amour qu’ils lui rendent volontiers en retour. Ils l’ont aimé, ils l’aiment encore, Papy, qui a tant fait pour leur apprendre la vie, le monde des adultes, pas totalement à rejeter donc puisqu’il y avait des anciens de sa dimension. Immense. Un monument de généro20
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SARKOZY, AU FOND DES YEUX sité et de rigueur. Est-ce à cause de lui que Nicolas accordera sa confiance à des hommes mûrs plus facilement qu’à ceux de la génération paternelle ? Sa méfiance envers les pères politiques putatifs n’a eu longtemps d’égale que sa gérontophilie, qui se révèle un judicieux investissement. Rapport à l’héritage ! C’est avec un illustre vieillard, Achille Peretti, le maire de Neuilly, compagnon de la Libération, couturé de blessures et de citations, qu’il rentrera dans la carrière. Papy, lui, léguera autre chose à ses petits-enfants : vingt louis d’or à chacun. Un argent que François et Nicolas furent trop heureux d’utiliser pour se loger. Guillaume investira dans une vieille Porsche, à fonds quasiment perdus, puisque plus tard, il revendra le bolide pour rien. Exécrable affaire, qui n’empêchera pas son ascension patronale, mais ceci est une autre histoire. Celle du cadet, comprend un legs plus important encore : la France. Et puis un silence – un mystère ? – : Papy, c’est Bénédict Mallah, une famille juive originaire de Salonique et venue se réfugier en France à la fin des années 30. Un secret de famille. « Pourquoi ne nous as-tu rien dit ? », demandèrent à leur mère les enfants devenus grands, après avoir été immergés dans le seul catholicisme. « Parce que mes parents n’en parlaient pas. C’était du passé. Mon père s’était converti pour épouser sa femme.» Étrange mutisme qui sévit dans tant de cellules familiales où les bouches furent fermées, closes comme s’il fallait éviter de raviver une honte d’autrefois. Mais le passé, même occulté, ne finit-il pas toujours par remonter ? Descendant de juifs, « Nicolas ne l’est cependant pas suffisamment pour faire des plaisanteries contre les juifs », s’amuse un de ses amis juifs, qui ajoute cependant : « Il trimballe un héritage conscient ou inconscient. Il a cette attention particulière aux minorités, cette envie d’être intégré et cette passion critique pour Georges Mandel dont il fit un film et un livre6, car Mandel est pour lui le modèle et le contre-modèle, il est ce ministre de l’Intérieur qui recula devant certains choix historiques parce qu’il craignait qu’on l’accusât d’agir en juif. » Son lointain successeur place Beauvau revendique, en tous cas, complètement l’héritage Mallah. Le non-dit comme le dit. «Une partie de ma famille était juive, c’est comme ça. Je n’en ai aucune honte.» Nicolas se reconnaîtrait-il dans cette description que Primo Levi7 donne de cette communauté, dont les membres, à Auschwitz, s’accrochaient ainsi à la survie : «Nous avons à nos côtés un groupe de Grecs, de ces admirables et terribles juifs de Salonique, tenaces, voleurs, sages, féroces et solidaires, si acharnés à vivre et si impitoyables dans la lutte pour la vie ; de ces Grecs qu’on trouve partout aux premières places, 21
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LE PETIT CHOSE DE NEUILLY aux cuisines comme sur les chantiers, respectés par les Allemands et redoutés des Polonais. Ils en sont à leur troisième année de détention et ils savent mieux que quiconque ce qu’est le Lager. » Ces admirables et terribles juifs de Salonique sont des séfarades exilés d’Espagne, des marranes souvent, dont l’Inquisition a percé la double identité –celle de Sarkozy encore aujourd’hui?– catholique et juive. Ces exilés en ce port de la mer Égée avaient le regard et le cœur tournés vers la France, la patrie de la liberté, et vers Paris, la capitale de la culture, de l’élégance et des Lumières. Donneur de sens et de sang, son grand-père lui transférera ces mythes avec une tendresse infinie. «Le petit» est fier de son Papy et de sa passion tranquille du pays qui a accueilli sa famille. Cette République ouverte qui lui a permis de dégotter un métier et une femme, des enfants et des petits-enfants bagarreurs, turbulents, vivants. Bénédict Mallah est français comme il respire. À pleins poumons avec Nicolas. Par exemple lorsqu’ils philatélisent de concert. Les vignettes magiques les entraînent dans le monde entier et partout, c’est toujours la France ; et d’abord sa collection de vieux timbres non oblitérés des provinces françaises, mais aussi de l’Afrique équatoriale française, de l’Afrique occidentale française, de l’Algérie française, de la côte française des Somalis, de Madagascar et ses dépendances, du protectorat français du Maroc, de la Guyane française, d’Indochine, des bureaux français de Chine, des établissements français d’Océanie, de la Nouvelle-Calédonie et ses dépendances. Le soleil ne se couche jamais sur l’Empire tricolore des albums de timbres grand-paternels qui lui seront transmis tels un flambeau. Nicolas a cette flamme-là dans les yeux. Celle qui le brûle quand son père l’emmène voir un match de foot France-Hongrie au Parc des Princes. « Lui encourageait les tricolores, moi les Hongrois, raconte Paul, qui en fait est toujours resté Pal Sarkozy. Nous avons gagné, il était furieux.»8 Il l’est toujours. Enfin un peu moins, un tout petit peu moins, depuis qu’«on» a été champions du monde.
1. Nicolas Sarkozy et Michel Denisot, Au bout de la passion, l’équilibre, Albin Michel, 1995 2. Aymeric Mantoux, Nicolas Sarkozy, l’instinct du pouvoir, Éditions First, 2003 3. Anita Hausser, Nicolas Sarkozy, itinéraire d’une ambition, Éditions de l’Archipel, 2003 4. Aymeric Mantoux, Nicolas Sarkozy, l’instinct du pouvoir, Éditions First, 2003 5. Franck Sulloway, Les Enfants rebelles, Odile Jacob, 1999 6. Nicolas Sarkozy, Georges Mandel, le moine de la politique, Grasset, 1995 7. Primo Levi, Si c’est un homme, Presse Pocket, 1998 8. Anita Hausser, Sarkozy. Itinéraire d’une ambition, Éditions de l’Archipel, 2003