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DROITS ET OBLIGATIONS Victime de migration de contaminants que peut-elle réclamer de son voisin

Me Sylvie Bouvette

Experte invitée

Me Sylvie Bouvette est avocate associée chez Borden Ladner Gervais LLP / S.E.N.C.R.L., S.R.L. Elle représente des vendeurs, des acheteurs, des coentrepreneurs, des prêteurs et des emprunteurs dans le cadre de transactions et de financements immobiliers. Elle a été sélectionnée par ses pairs pour figurer dans l’édition 2016 de The Best Lawyers in Canada® dans la catégorie droit immobilier.

VICTIME DE MIGRATION DE CONTAMINANTS: QUE PEUT-ELLE RÉCLAMER DE SON VOISIN?

Une décision récente de la Cour du Québec traite de cette question1 . La Société de développement du fonds immobilier du Québec inc. (la « Société ») et Couche-Tard inc. (« CT ») sont propriétaires d’immeubles voisins. La Société, qui projetait de construire des condominiums sur son immeuble (l’« Immeuble »), acquis en 1994, a découvert que des hydrocarbures pétroliers y ont migré.

Elle réclame 84 997,17$ à CT pour les travaux requis afin de retirer la contamination résiduelle laissée par CT après qu’elle a réhabilité les sols. CT s’était porté acquéreur de l’immeuble voisin (le «Site») en 2013. Celui-ci avait été exploité comme station-service avec garage de mécanique automobile de 1961 à 2013. Cette utilisation a cessé au moment de l’acquisition, et le garage et les équipements pétroliers ont été immédiatement démantelés.

Dès 2013, une étude de caractérisation environnementale du Site commandée par CT fait état de migration potentielle de contaminants à l’extérieur du Site, ce que confirme une autre étude menée en 2016. C’est alors seulement que CT en informe par écrit la Société, qui permet donc à celui-ci d’accéder à sa propriété en vue d’y réaliser une caractérisation environnementale. Cette nouvelle étude révèle effectivement de la contamination sur l’Immeuble surpassant le critère «C», provenant du Site. Ce rapport précise aussi qu’il existe des sols présentant des concentrations dans les plages «A-B» et «B-C».

La Société mandate sa propre firme qui recommande une réhabilitation complète des sols de l’Immeuble par excavation.

Les consultants de CT élaborent plutôt un plan de réhabilitation de l’Immeuble par voie d’oxydation chimique in situ qui est achevé en septembre 2019.

Avant même que la réhabilitation proposée par CT soit terminée, la Société, non satisfaite de la proposition de décontamination choisie, lui intente une poursuite afin de lui réclamer le coût d’une décontamination complète par excavation.

Des rapports confirment ensuite qu’après la réhabilitation effectuée par CT, les sols de l’Immeuble respectent le critère «B».

La Cour répond aux questions suivantes.

CT A-T-IL COMMIS UNE FAUTE AYANT MENÉ À LA CONTAMINATION DES SOLS DE L’IMMEUBLE?

La Cour conclut que la transmission tardive par CT de l’avis au voisin requis par la loi quant à la présence de contaminants aux limites du terrain n’a pas causé quelque préjudice que ce soit à la Société.

La Cour détermine ensuite que la migration dans les sols de l’Immeuble ne peut être assimilée à un «rejet» de contaminants. En effet, le Tribunal est d’avis que l’interdiction de contaminer prévue à la loi ne s’applique pas à une personne propriétaire d’un terrain à partir duquel des contaminants ont migré et qui n’est pas l’auteure du rejet initial. Selon les faits, CT ne pouvait donc être responsable du rejet initial d’hydrocarbures, la preuve ayant démontré que la contamination du Site datait de plusieurs années avant son acquisition.

CT n’ayant commis aucune faute et n’ayant pas contrevenu aux dispositions ci-dessus évoquées, le Tribunal conclut que sa responsabilité en vertu de l’article 1457 du Code civil du Québec ne peut être retenue.

ISTOCK PAR BARTCO

LA MIGRATION DE CONTAMINANTS DANS LES SOLS DE L’IMMEUBLE CONSTITUE-T-ELLE UN TROUBLE DE VOISINAGE IMPOSANT À CT DE LUI REMBOURSER LES COÛTS DE DÉCONTAMINATION?

En date de l’audience, CT avait déjà réhabilité les sols au critère «B» avec les autorisations requises. Il a donc respecté l’encadrement législatif relatif à la décontamination des sols de l’Immeuble. Pour occasionner un trouble de voisinage, il faut avoir excédé, dans le contexte, le seuil de tolérance des inconvénients normaux qui doivent être supportés. Cela doit être analysé de manière objective. Une personne qui décide de vivre à proximité d’une source d’inconvénients connue accepte, dans une certaine mesure, les inconvénients normaux de l’environnement où elle s’établit. Ici, la station-service était déjà en exploitation au moment où la Société a acheté l’Immeuble, et cette dernière aurait dû envisager le risque de migration de contamination dans les sols. Or, aucune étude de caractérisation des sols n’a été faite. Ce fait et divers autres aspects du comportement de la Société conduisent le Tribunal à conclure qu’il n’y a pas trouble de voisinage anormal.

LA SOCIÉTÉ EST-ELLE EN DROIT D’EXIGER LA RÉHABILITATION COMPLÈTE DES SOLS?

La méthode préconisée par CT a causé moins d’inconvénients et était appropriée dans les circonstances même si elle laissait des résidus de contamination. Les tribunaux ont déjà reconnu qu’une demande de décontamination complète d’un terrain est une exigence excessive. La Société n’a pas non plus établi que les sols décontaminés par CT ne pourraient pas être conservés sur l’Immeuble. Il n’y a donc pas lieu d’accorder une décontamination au critère «A», d’autant plus que rien ne démontre que ce critère était atteint au moment de l’achat de l’Immeuble.

En conséquence, la Cour rejette la demande de la Société.

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