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ÉCONOMIE CIRCULAIRE L’économie circulaire, ou la bonne façon de tourner en rond

L’ÉCONOMIE CIRCULAIRE, OU LA BONNE FAÇON DE TOURNER EN ROND

PAR PIERRE THÉROUX, JOURNALISTE

Tout a commencé par un simple appel téléphonique

M

algré ses efforts pour réduire le gaspillage, l’important importateur et distributeur de fruits et légumes Courchesne Larose devait envoyer dans les sites d’enfouissement, tous les jours, pas moins de 16 tonnes de produits à l’apparence moins standard.

À la recherche de solutions pour réduire ces pertes et les coûts élevés liés à l’enfouissement, il en a parlé à David Côté, fondateur du restaurant végétarien Crudessence et de l’entreprise Rise Kombucha. Ainsi est née Loop, une entreprise qui se spécialise depuis 2016 dans la production de jus pressés à froid à partir de fruits et légumes déclassés par l’industrie alimentaire. «Il y a cinq ans, on parlait peu d’économie circulaire. Maintenant, c’est sur toutes les lèvres et ce n’est qu’un début», affirme David Côté, cofondateur de Loop.

En gros, l’économie circulaire vise à mieux utiliser les biens ou les services à toutes les étapes de leur cycle de vie, en insistant sur leur réutilisation. Elle va ainsi à l’encontre du modèle actuel, linéaire: traditionnellement, on extrait, on produit, on distribue, on consomme… puis l’on jette.

DAVID CÔTÉ

Fondateur Crudessence et Rise Kombucha Cofondateur Loop

LOOP

Mais il y a encore loin de la coupe aux lèvres. Même si Montréal se positionne avantageusement par rapport à d’autres grandes villes canadiennes ou nord-américaines, elle accuse un retard derrière les villes européennes, qui figurent comme les chefs de file en la matière, indique le Conseil jeunesse de Montréal dans son Avis sur l’économie circulaire présenté à l’automne 2019.

Il y a un an, par exemple, la ville d’Amsterdam adoptait un ambitieux plan d’action visant à avoir une économie complètement circulaire d’ici 2050. La Métropole du Grand Paris en a fait un axe prioritaire de son action en matière de développement économique, l’adjointe à la mairesse de Paris étant responsable de toutes les questions relatives à l’économie sociale et circulaire.

UNE MULTIPLICATION DE PROJETS

N’empêche: les initiatives de développement de l’économie circulaire en sol montréalais se multiplient, constate Melissa Stoia, directrice, développement durable et économie circulaire à PME MTL Est-de-l’Île. «On voit de plus en plus de jeunes pousses qui démarrent en adoptant les principes de l’économie circulaire comme modèle d’affaires. Il y a aussi un plus grand engouement de la part des entreprises existantes. On commence à atteindre une masse critique qui favorise un déploiement à plus grande échelle», observe la directrice, qui est aussi coordonnatrice de l’initiative Synergie Montréal, lancée en 2016 pour faciliter les symbioses entre entreprises afin de propulser davantage cette nouvelle économie.

La bibliothèque d’outils La Remise, dans le quartier Villeray, et l’entreprise informatique de réparation Insertech, dans Rosemont, figurent parmi les quelque 300 initiatives d’économie circulaire recensées à Montréal, comme l’organisme à but non lucratif Solon qui propose un programme de partage de véhicules entre les résidents de certains secteurs de l’arrondissement Rosemont–La-Petite-Patrie.

Les deux tiers de ces projets sont portés principalement par des entreprises d’économie sociale, des organismes à but non lucratif et des coopératives (41%), des organisations municipales (19%) ou encore par des initiatives citoyennes, collectives et institutionnelles (5%). Le tiers (35%) seulement est le fait d’autres entreprises, industries et commerces, comme la chaîne de restaurants Les 3 Brasseurs qui offre sa levure usée à Tricycle, une entreprise spécialisée en élevage de grillons qui l’utilise pour nourrir ses insectes!

LE RÔLE ACCRU DES ENTREPRISES

Or, les «entreprises doivent jouer un plus grand rôle dans la transformation d’une économie linéaire vers une économie circulaire. C’est là que l’impact sera plus grand», fait valoir Daniel Normandin, directeur du Centre d’études et de recherche intersectorielles en économie circulaire (CERIEC), lancé l’automne dernier à l’École de technologie supérieure (ÉTS). Ce nouveau centre entend poursuivre le travail de l’Institut EDDEC, affilié à l’Université de Montréal et également dirigé par Daniel Normandin, qui avait fermé ses portes l’an dernier après environ cinq ans d’existence.

PME MTL EST-DE-L’ILE

MELISSA STOIA

Directrice, développement durable et économie circulaire PME MTL Est-de-l’Île

DANIEL NORMANDIN

Directeur Centre d’études et de recherche intersectorielles en économie circulaire (CERIEC)

CERIEC

Le CERIEC, grâce à un don de deux millions de dollars du Mouvement Desjardins, entend notamment mettre sur pied un écosystème de huit laboratoires d’accélération en économie circulaire. Le premier Living Lab sera consacré à gérer des résidus de construction, de rénovation et de démolition, un enjeu récurrent pour les municipalités.

«Dans toutes les grandes villes, c’est le secteur de la construction qui consomme le plus de ressources, et c’est un important générateur de déchets», souligne Daniel Normandin, en ajoutant que le CERIEC s’intéressera également aux industries de l’agroalimentaire et de l’électronique. «L’objectif est de rallier les acteurs de ces industries pour repérer les freins à la circularité de certains produits et trouver des solutions ensemble», précise-t-il.

Les grandes villes sont d’ailleurs aux premières loges de la transition vers une économie circulaire. Elles regroupent aujourd’hui plus de la moitié de la population mondiale, consomment environ 75% des ressources naturelles et génèrent de 60 à 80% des émissions de gaz à effet de serre. Le passage est urgent. «C’est dans les villes, avec leur très forte densification de population et d’industries, que les problèmes comme les solutions s’imposent. Car si nous ne changeons pas notre modèle actuel de développement économique, nous fonçons droit dans le mur», indique Daniel Normandin.

UN FONDS DE 30 MILLIONS DE DOLLARS

À cet égard, M. Normandin se réjouit du lancement en mars du Fonds économie circulaire par Fondaction, ses partenaires RECYC-QUÉBEC et la Ville de Montréal, «ce qui aidera les entreprises à prendre le virage vers une économie plus circulaire», dit-il. Ce nouveau fonds d’investissement de 30 M$, le premier du genre au Canada, cible principalement les secteurs de l’agroalimentaire, du recyclage et de la valorisation des ressources ainsi que de l’écoconstruction.

JULIE POITRAS-SAULNIER

Cofondatrice et présidente Loop

LOOP

Le CERIEC et l’ÉTS misent également sur une plus grande inclusion de l’économie circulaire dans la formation des ingénieurs et des gestionnaires qui, lorsqu’ils intégreront le marché du travail ou se lanceront en affaires, pourront mettre de l’avant de telles stratégies. D’ailleurs, le changement de garde générationnel se fait déjà sentir, note Melissa Stoia: «Les jeunes ont l’intention de travailler pour des organisations qui ont ou qui auront un impact sur l’environnement.»

Entre-temps, Loop multiplie les interventions. Outre ses jus pressés à froid, la jeune entreprise s’est lancée dans la fabrication de bières fruitées à base de pain récupéré en boulangerie, ainsi que dans la fabrication de gin avec les retailles des pommes de terre utilisées par le fabricant de croustilles Yum Yum. «On reçoit toutes les semaines des appels d’entreprises qui souhaitent trouver des solutions pour valoriser leurs surplus ou les produits qu’ils rejettent», souligne Julie Poitras-Saulnier, cofondatrice et présidente de Loop, qui travaille notamment au développement d’une ligne de cosmétique à partir du marc de café rejeté.

À n’en pas douter, l’expression «Rien ne se perd, rien ne se crée: tout se transforme», lancée par le chimiste français Lavoisier à la fin des années 1700, prend aujourd’hui tout son sens.

Société de transport de Montréal

ACTEUR DE LA RELANCE ÉCONOMIQUE

Dotée d’un plan d’investissement de 18 G$ au cours des 10 prochaines années, la Société de transport de Montréal (STM) est résolument engagée à participer à la relance économique de la métropole et de tout le Québec.

LUC TREMBLAY

Directeur général Société de transport de Montréal

n raison de la pandémie, la STM a subi une chute importante de son achalandage. «On déplace actuellement environ 450 000 personnes par jour comparativement à 1,5 million de déplacements quotidiens avant la COVID19», souligne Luc Tremblay, directeur général de la société de transport. Celle-ci n’a pas pour autant mis un frein à ses projets d’investissements.E « On est l’un des plus gros donneurs d’ouvrage de la métropole», rappelle Luc Tremblay. Avec plus de 11 000 employés, la STM est la 13e entreprise en impor tance au Québec. Son budget annuel s’élève à 3 G$, dont la moitié concerne ses projets d’infrastructures.

Confrontée à des installations vieillissantes, elle a lancé il y a quelques années un vaste projet de rénovation de ses infrastructures bus et de ses stations de métro, qui devrait se poursuivre jusqu’en 2025. «Nous avons une centaine de chantiers de construction en cours, explique Luc Tremblay. Nous poursuivons également notre programme Accessibilité qui prévoit à terme l’installation d’ascenseurs dans nos 68 stations du métro. Actuellement, près d’une vingtaine de stations en sont équipées, et il y a en aura bientôt une quinzaine de plus. »

Par ailleurs, la STM a remplacé les trains MR-63 par les trains Azur de Bombardier-Alstom, un projet colossal qui a nécessité un investissement de plus de 2 G$. Elle a entre pris une seconde phase d’acquisition de 17 autres trains. « On a déjà reçu une soixantaine de nouveaux trains, et environ 10 restent à venir en 2021», précise M. Tremblay.

UN PARC ÉLECTRIQUE

Depuis trois ans, la STM a augmenté son parc de véhicules de 15% avec l’ajout de quelque 300 autobus hybrides. La Société prend aussi le virage de l’électrification des transports. «D’ici 2025, nous n’achèterons plus que des autobus électriques, explique le directeur général. Cela nous oblige à adapter nos centres de transport pour y installer des stations de recharge. Nous devons égale ment en construire deux nouveaux.»

Sept bus électriques à recharge rapide circulent actuelle ment dans les rues de Montréal, et des essais sont en cours avec des bus électriques à recharge lente. «La ligne 36 – Monk, qui relie le centreville au terminus Angrignon, a été la première ligne complètement électrifiée en Amérique du Nord. Pour y parvenir, nous avons dû valider plusieurs éléments, notamment tester la capacité des batteries sur de longs parcours. On sait maintenant que la technologie est fiable même en hiver», confirme Luc Tremblay.

UNE EXPERTISE RECONNUE

La STM mène également un autre projet majeur et structurant : le prolongement de la ligne bleue du métro qui prévoit l’ajout de cinq nouvelles stations pour desservir l’est de Montréal. Un investissement de plusieurs milliards de dollars qui s’inscrit dans le Plan stratégique de développement du transport collectif. La STM est responsable de la construction. «C’est une première pour la Société, explique Luc Tremblay. Dans toute l’histoire du métro, on n’a jamais eu la responsabilité de le construire. On est très fier parce que cela veut dire que l’on reconnaît notre expertise. »

Avec tous ces chantiers, la STM génère beaucoup d’emplois dans la région de Montréal et même ailleurs au Québec. Alors que la sortie de crise sanitaire pointe à l’horizon, elle n’attend plus que de retrouver son achalandage d’avant la pandémie. «Quand l’activité reprendra, on sera en mesure de participer à la relance de la métropole », assure Luc Tremblay. n

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