PA S S I O N N É M E N T
Jean-Claude
© Ugo Ponte
CASADESUS La passion exaltée !
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Lillois d’adoption qu’est-ce qui vous plaît dans notre région ? C’est un lieu commun de dire que cette région est formidablement accueillante. Au travers des nombreux conflits qui l’ont traversée, elle a beaucoup souffert mais a soudé une fraternité et une solidarité qui transparaissent chaque fois qu’on rentre en contact avec les gens d’ici. Ce que j’ai aimé, c’est l’accueil immédiat que j’ai reçu, sans aucune exagération, avec discrétion et loyauté. J’ai été particulièrement sensible au naturel des gens de cette région. Il n’y a pas de forfanterie, on ne la ramène pas, on n’est pas sorti de la cuisse de Jupiter, on est pudique, réservé, on vous ouvre ses bras et vous rentrez dans les maisons. Ce n’est pas toujours le cas dans les autres régions de France. Vous comprendrez que j’ai été touché, tout simplement, par l’humanité que j’ai rencontrée en arrivant ici.
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Comment définiriez-vous la musique, quel rôle portet-elle selon vous ?
Éternel mélomane, Jean-Claude Casadesus fascine par son parcours remarquable : d'abord percussionniste, il étudie auprès de grands chefs d'orchestre français pour à son tour entrer dans la profession. Il fonde l'Orchestre National de Lille en 1976 et le mène de main de maître en tant que directeur et chef d'orchestre jusqu'en septembre 2016, où il décide de passer le flambeau à Alexandre Bloch. Un premier pas vers la retraite ? Certainement pas ! Les projets sont nombreux dans la tête de Jean-Claude Casadesus, et il n'abandonnera pas de sitôt sa passion pour la musique et l'orchestre. Plein d'élégance et de talent, il sera récompensé par de très nombreux titres : Commandeur de la légion d'honneur, Grand officier de l'Ordre national du mérite, Commandeur des Arts et Lettres, et bien d'autres encore. Ce grand homme collectionne les distinctions prestigieuses. Il naît en 1935 de Gisèle Casadesus, brillante comédienne française aujourd'hui centenaire. Nombreux sont d'ailleurs les membres de sa famille ayant embrassé une carrière artistique. À croire que le talent se transmet de génération en génération ! Ce formidable chef d’orchestre ne manie pas seulement la baguette avec brio : il maîtrise aussi la plume, et ses livres « La partition d'une vie » et « Le plus court chemin d’un cœur à un autre » permettent de mieux le connaître, le comprendre. Un homme fascinant, mais aussi un épicurien dont la compagnie est un délice !
De tous les arts, je crois que c’est la musique qui traduit le plus les sentiments, à condition d’avoir un peu d’imagination ! Elle s’adresse à l’imaginaire, il n’y a pas la subversion des mots. Elle transcende le cœur et les âmes avec la joie, la tristesse, la colère, la rage, la volupté, le désir, la suggestion, l’espérance… Vous avez cela chez Beethoven, Mozart ou Jean-Sébastien Bach. Mozart est unique, c’est une espèce d’ovni venu de nulle part, un génie de la douceur, de la tendresse comme Schubert. Beethoven c’est le génie foudroyé qui devient sourd à 25 ans, qui clame son désespoir et en même temps face à l’adversité transmet des messages d’espérance avec les bras levés au ciel… La musique, c’est la traduction la plus poétique de la vie, elle décrit tout ! Tous les sentiments ! Et si on a un peu de sensibilité, il suffit de se mettre en disponibilité à son écoute, et se laisser porter… Par opposition à beaucoup d’autres musiques qu’on dit actuelles, qui pour certaines ont de grandes qualités, mais qui pour d’autres sont du remplissage sonore, la musique dite classique s’écoute, elle ne s’entend pas ! En l’écoutant vous rentrez dans un univers, vous vous laissez pénétrer par une force émotionnelle dont on n’a pas assez de temps maintenant pour décrire tous les effets bénéfiques. Je crois même que l’on fait écouter aux vaches et aux poules de la musique classique pour qu’elles produisent du meilleur lait et des œufs bien bio… ! (rires) Donc je crois qu’on n’a pas encore mesuré tous les bienfaits de la musique ! Outre le fait que je ne manque jamais d’indiquer à tous les politiques que je rencontre qu’il n’y a aucune délinquance dans les écoles de musique. Y a-t-il une anecdote vécue qui vous ait guidé dans votre vie d’artiste ? La première de toutes, c’était avec mon grand-père, qui était musicien et avait un orchestre baroque au début du #10 - LE JOURNAL À PART
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XXème siècle. J’ai été bouleversé par son interprétation de Jean-Sébastien Bach, ça a été ma première petite madeleine ! Ensuite, vers onze ou douze ans, c’est mon premier concert symphonique avec Wagner qui m’a foudroyé de l’envie d’être chef d’orchestre ! Rêve que j’ai réalisé vers la trentaine…
si vous avez trop de sel ou si un plat est trop cuit, ça ne va pas. En musique si vous allez trop vite quand il faut contrôler ça ne va pas non plus. Si c’est trop fort, vous cassez les oreilles des gens et vous brisez leurs rêves… Il faut tout simplement équilibrer ! André Gide, à qui l’on demandait de définir en trois mots l’Art Français et plus particulièrement la musique, répondit, paraphrasant le grand philosophe grec Solon « Rien de trop » ! Caractéristique du génie français : équilibre, élégance, clarté et profondeur sans tomber dans la lourdeur. Dans la cuisine c’est pareil ! Les grands cuisiniers sont des artistes qui ont une intuition, une analyse et cet indéfinissable petit plus qui distingue les « moyens » des « grands ». Un chef d’orchestre, c’est la même chose : intuition, puis analyse incontournable qui doit conduire, in fine, vers la liberté. La liberté, qui est le fruit de la rigueur maitrisée, de l’instinct suggéré et sans laquelle il n’y a pas de grandes interprétations !
Qu’est-ce qui vous procure le plus de plaisir, de satisfactions dans votre métier ? Le sentiment peut-être d’avoir servi le mieux que je pouvais les compositeurs. Celui d’avoir permis aux musiciens de faire leur métier le mieux possible, et lorsque cette conjonction arrive, c’est-à-dire au moment du concert, là c’est la révélation ! Avant on forge, on bine, on racle, on sarcle, on doit être meilleur que la minute d’avant, on recommence jusqu’à ce que ce soit mieux. C’est le sentiment aussi d’être en accord avec ses pairs, que chacun comprenne qu’on travaille pour une cause commune qui est l’épanouissement et la beauté des œuvres que nous mettons en valeur. Et quand tous ces paramètres sont réunis, ça marche avec le public et surtout avec soi-même. On ne travaille pas d’abord pour le public, on travaille dans un premier temps pour le diamant, pour le polir. Et le diamant c’est le chef d’œuvre dont il nous appartient de révéler, si possible, toutes les facettes ! En tant que chef d’orchestre, vous êtes à la fois le violon, le piano, le hautbois… Quel parallèle feriezvous avec un chef étoilé ? Vous savez, il y a plein de saveurs dans la musique ! Des couleurs, des douceurs, des violences, des rythmes, des accélérations, des ralentissements… Dans la cuisine,
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Donc vous avez su très tôt ce que vous vouliez faire ? Il y avait une partie de ma famille du côté théâtral et l’autre du côté musical, moi j’étais au milieu… Donc j’ai été nourri par la musique des mots et la poésie des notes. Mes parents ne souhaitaient pas que je fasse de la musique qu’ils considéraient (à juste titre, il faut dire !) comme un métier à risques… alors j’y suis allé (rires). Au final c’est très bien de s’opposer contre un mur d’affection, il faut qu’on vous dise non pour vérifier si le désir est à la hauteur du refus ou de la motivation. Quand c’est le fruit d’une passion, accompagné du travail incontournable, la volonté est la preuve de la nécessité qu’on éprouve. J’ai découvert ce besoin de sons et de volupté sonore grâce à un orgue du XVIIIème siècle sur lequel, grâce à un vieux curé, je jouais pendant des heures en échange de quelques messes. Ça me rendait ivre de bonheur ! Le son, produire le son a toujours été quelque chose de très vivifiant pour moi. J’ai aussi fait du jazz comme pianiste, quand j’avais 14 ans, je séchais les cours pour aller répéter avec les copains ! Quand j’étais pensionnaire en terminale à Henri IV on faisait le mur pour aller jouer dans les boîtes de Saint-Germain des Près (rires). Et puis, je me suis mis à beaucoup travailler parce que la passion l’exigeait.
J.C. Casadesus le 2 mars dernier à l’ONL avec la soprano Annette Dasch
Côté vins maintenant, quelle est votre région viticole préférée ? Je suis très fan de Bordeaux que j’ai découvert très tôt grâce à des amis, je pense notamment à Haut-Bailly, un formidable Graves que m’ont fait découvrir ses géniteurs, mes amis Sanders. Je suis même un peu collectionneur ! Je vous mentirais si je prétendais que le Bourgogne ne m’émeut pas mais disons que j’ai une affinité plus particulière pour les grands Bordeaux. Quelle est votre plus beau souvenir de table ? Le souvenir prodigieux d’un lièvre à la royale fait avec du Chambole-Musigny 1959 chez des amis ici… C’était juste magique ! J’ai aussi un grand attachement au poisson, particulièrement le maigre qui est un poisson succulent de l’Atlantique. Vous l’enrobez d’une croûte de sel, il garde toute sa saveur… Vous ajoutez un filet d’huile d’olive, du jus de citron et un beurre de gingembre ! J’avais fait cela à mon frère Dominique, qui est compositeur, il m’en parle encore !
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Mais alors vous cuisinez beaucoup ? Beaucoup ? non ! Je n’aime pas cuisiner pour moi tout seul. J’aime cuisiner dans le cadre d’un moment partagé, c’est comme boire un bon vin, c’est moins gai tout seul. La « culinaritude » ne se vit vraiment bien que dans la convivialité (rires). Parlez-nous de vos projets ?
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Je vais en Russie avec l’Orchestre de Saint-Pétersbourg, à la Philharmonie à Paris avec l’Orchestre du Conservatoire, ensuite Bordeaux, Tokyo, Hiroshima… Je reviendrai pour mon Festival de Piano et je terminerai la saison avec mon habituelle visite musicale en prison et le 12 juillet avec le Requiem de Verdi au Stade Pierre Mauroy de Villeneuve d’Ascq.
De gauche à droite : Hélène Mœneclaey, déléguée à la culture et aux grands évènements culturels - MEL, Jean-Claude Casadesus, Éric Charpentier, Directeur Général Crédit Mutuel Nord Europe, fidèle mécène des évènements culturels et Olivier Baudry, Directeur Général du Stade Pierre Mauroy.
Donc si Dieu me prête vie j’assurerai tout ça ! Même si une petite interrogation m’habite quant au fait que n’étant pas un computer, il faut quand même beaucoup de temps pour assimiler tous ces programmes (rires). Mais la passion est un bon moteur et finalement, ça fonctionne !
Vous avez 81 ans, une énergie incroyable, travail, voyages, sport,… votre mère a 102 ans et vient encore de jouer dans un film. Y a-t-il un secret de famille ?
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L’énergie et la vitalité du Maestro sur son futur terrain de jeu du 2 juillet prochain
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Requiem de Verdi - Stade Pierre Mauroy 12 Juillet 2017
Le désir et le citron ! Je me shoote au citron. Je mets du citron absolument dans tous les plats. C’est une espèce de toc (rires). Mais aussi une bonne hygiène de vie, j’ai fait du sport toute ma vie, je continue, en tous cas des exercices de yoga et de gymnastique quotidiens. Et puis tout ce qui ne vous tue pas vous rend plus fort… On a tous des cicatrices, il faut les dominer. Il y a beaucoup d’amour aussi dans notre famille, beaucoup d’amour autour de moi. Et même si, dans la vie, on rencontre aussi quelques malentendus, d’inévitables jalousies, des combats, quelques ingratitudes, je ne retiens que le bon ! Et le bon c’est ce que l’on peut transmettre quand on a eu la chance d’être appelé à une vocation artistique aussi exaltante et en étant soutenu par ceux qui ont compris ! Mon passage dans cette région aura été essentiel dans mon accomplissement artistique et humain. J’ai joui d’une confiance extraordinaire de la part des élus politiques, dont le premier d’entre eux a été Pierre Mauroy. Ils m’ont laissé libre, me faisant confiance, me soutenant dans mon projet qui était clair : construire un grand orchestre international et permettre aux plus favorisés comme aux plus démunis d’accéder à cette émotion exceptionnelle ! Nous avons pu porter la musique de l’Orchestre National de Lille dans plus de 32 pays et 250 villes ou communes de notre région. Pouvoir démocratiser l’écoute de la musique dite « classique » a été pour moi une nécessité et un chemin de vie. En un mot, porter la musique partout où elle peut être reçue. Avec comme principal souci la qualité. Propos recueillis par Olivia Lecocq #10 - LE JOURNAL À PART
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