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Actuel de l’estampe contemporaine

n°9


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(3) Jéronimo (10)Thierry Le Saëc et les Éditions de la Canopée (20 Caroline Garcia (24) Talleen Hacikyan

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(28) Erik Saignes

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(42) Alexandre Todorov

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(32) Guacolda (36) Nathalie van de Waele (50) Laure Joyeux (56) Vitalia Samuilova (62) Mathilde Seguin (70) Mathias Martinez (74)Hélène Bautista (78) Safet Zec (82) Céline Prunas (83) Boxes in transit

t Ont collaboré à l’écriture de ce numéro : Laurence Nadal Arzel, François Jeune, Marie-Françoise Le Saux, Martine Guillerm, Charlotte Massip, Caroline Garcia, Erik Saignes, Jérôme Maillet, Jean de Bengy, Guacolda, Chris Vander Stappen, Iliya Borissov Boris Todorov, Laure Joyeux, Emily Barbelin, Hélène Bautista, Mathilde Seguin, Catherine Charlier, Eva Prouteau, Mathias Martinez.

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En couverture Thierry Le Saëc et les éditions de la Canopée

Le graveur perché Tel le héros d'Italo Calvino, Thierry Le Saëc cherche à s'élever pour donner du sens à la liberté et l'intelligence du coeur. Liberté du trait et des mots en toute complicité. Intelligence du dessin et de la poésie pour toucher l'âme. Dans son travail de graveur et d'éditeur, il explore la canopée et prend de la hauteur pour nous livrer une vue aérienne sur son monde intérieur tout en donnant la parole à diverses plumes. Un large dossier lui est consacré dans ce numéro.

Pascale De Nève

Actuel de l’estampe contemporaine

n°9

Actuel est une émanation du groupe Facebook ‘Parlons Gravure’. Comité de sélection : Jean-Michel Uyttersprot Catho Hensmans Comité de rédaction : Jean-Michel Uyttersprot Pascale De Nève Les estampes en 1e, 2e et 4e de couverture sont de Tierry le Saëc Pour toutes informations : magazine.actuel@gmail.com www.actueldelestampe.com Éditeur responsable : K1l éditions. Imprimé par : Hengen Print & More G.D.L Prix de vente : 20 € N°Issn : 0774-6008

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Jéronimo Jérôme Maillet/Artiste graveur et sérigraphe.

Sort en 1997 de l’École Nationale Supérieure des Arts appliqués & des Métiers d’Arts de Paris. C’est là que se confirme son goût pour l’architecture, ce qui le mènera à suivre la formation d’architecte, jusqu’au diplôme, à l’École d’Architecture de Nantes. En 2004, à Montréal, premier visionnage du film « Brooklyn Boogie » de Wayne Lang & Paul Auster, qui va changer le regard de Jérôme sur ce qui l’entoure. Il découvre alors une autre manière de lire le monde, basée sur la perception d’un anecdotique porteur d’universel. Par la suite, le situationnisme renforcera cette observation décalée et l’écartera progressivement de l’architecture. Aujourd’hui, dans l’atelier LEAP de Nantes, il poursuit ses recherches artistiques autour de la gravure, de la sérigraphie et du dessin.

http://www.jeronimo-dk.com

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PRODUCTION :

« Un beau mensonge est plus vrai que la plus éclatante vérité. La vraie vie, ce n’est pas celle que nous connaissons, mais celle que nous cherchons à connaître » Nikos Athanassiadis.

« Sortir du bois, continuer de jouer et cette fois-ci dans l’atelier, libre de tout imaginer, de tout réinterpréter et tout réinventer. Les dernières séries de gravures se jouent de l’existence d’un original au profit de sa réplique. Le double offre le droit de revisiter la réalité et pousser celle-ci à se confronter au rêve : l’assemblage du réel et du désir. Incursion du rêve dans la réalité et vice versa. Poursuivre le pionnier qui déroule une vision fantasmée et idéalisée d’un territoire encore vierge ou presque. Instant où la dérive de l’esprit est possible et nécessaire. Tout réinventer alors que le sous-bois, lui, conserve un mystère fertile.”

Page 26 : Sans plomb, Linogravure, 100x70cm, 12 ex. Page 27: Self made #02, Linogravure, 60x40cm, 15 ex. Page 28 : Pionniers #01 2016, Linogravure, 100x70cm, 7 ex. Page 29 : Pionnier #02 2016, Linogravure, 100x70cm, 7 ex. Page 30 : Pionnier #03, Linogravure, 100x70cm, 10 ex. Page 31 : Sous bois #02, 2016, Linogravure, 100x70cm, 12 ex.

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Série de 9 bois gravés pour un livre à paraître aux éditions de la Canopée Parois des incertitudes de Yves Peyre, 31X24 cm 2016/2017


Thierry Le Saëc, en regard. “Donner à voir est le titre d’un beau recueil d’Eluard. On n’y voit rien, répond avec malice Daniel Arasse. Ce que donne à voir la peinture de Thierry Le Saëc : la peinture, c’est-à-dire la couleur, c’est-à-dire la lumière, c’est-à-dire l’espace. On n’y voit rien puisqu’on en a plein les yeux. La peinture crève les yeux. Donne à voir le silence. Montre ce que la musique dissimule dans ses interstices.“ Daniel Kay, ce que les images ignorent. “La peinture a besoin de temps, comme le regard que nous portons sur elle”. Alain Tapie. Toute l’œuvre de Thierry Le Saëc ou du moins celle qui a été présentée dernièrement à l’hôtel de Limur à Vannes en 2015/2016, mais aussi celle antérieure présentée en 2006 aux Champs Libres à Rennes, est une question, soutenue et articulée dans la durée d’un devenir œuvre. Une existence donc, qui se maintient intégrée à l’histoire esthétique des livres d’artistes, tout en intégrant la question dans son propre jaillissement. Si nous la saisissons dans son ouverture la plus large, par son embouchure fluviale, elle s’énonce dans ce mélange des eaux, dans cette alliance de la mer et du fleuve : Qu’est-ce qu’une rencontre ? D’aucuns diront un troisième corps nous laissant entendre la part du désir et de ses fruits, d’autres diront dialogues, oui sans doute aussi, bien que… pas tout à fait, car à la rencontre du plasticien, le texte se modifie-t-il ? C’est cette question que je voudrais adresser à Thierry Le Saëc. Le texte s’estil déjà modifié dans ce visage à visage de l’auteur et du peintre ? L’accès au texte est temporel, linéaire et pour reprendre les conceptions de J. F Lyotard, son appréhension n’est pas celle du figural. L’appréhension de la figure de la forme est immédiate — nous voyons ce qui nous regarde —. Elle transcende la signification. Au plus radical de sa présence, elle nous saute au visage, son émergence est présence. À me promener ainsi dans ce bel hôtel restauré de Limur en contemplant les œuvres exposées avec soin, ma paresse me surprend, je regarde la page, je devrais dire cependant les pages, celles du texte et de la plastique et parfois, je l’admets,

le texte m’échappe, je ne le lis tout simplement pas. Le texte présenté est souvent partiel, du moins on ne peut en apercevoir que la partie offerte et limitée. Le parti pris de Thierry Le Saëc tel qu’il l’expose avec rigueur et attention est de travailler avec l’entièreté du texte de l’auteur. Les textes qui lui sont proposés et qu’il accepte le sont au titre d’une invitation à la rencontre. Tout le travail de cet artiste consiste à trouver un équilibre entre la linéarité d’un texte prosé ou poétique et la figurabilité d’une forme. Une tension constante au risque de l’écrasement de l’un par l’autre. Les livres d’artiste de Thierry Le Saëc sont facilement identifiables, mais, curieusement, ils ne le sont pas simplement au titre d’un style comme on pourrait le dire par exemple d’un livre d’artiste de Matisse, car ce plasticien pense et réalise ses ouvrages avec une palette de moyens variés, gravure, gouache, collage, numérique, transparent, pastel, aquarelle, photographie. Là est l’intelligence de l’homme et peut-être sa solution, sa réponse à la question : comment rencontrer l’autre ? Le choix qu’il opère est une réponse au texte, la disposition en face à face, l’écho discret du jeu des couleurs et des formes aux mots du texte, le centrage des formes disposant les textes en vis-à-vis de chaque côté de la page, la transparence des feuillets dessinés qui laisse apercevoir le texte en fond sont autant de procédés au service de la rencontre. Car pour Thierry Le Saëc la rencontre est œuvre.

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Entendons-nous bien, Thierry Le Saëc déplace la question, il ne s’agit pas seulement de la présence d’une œuvre, pas plus que de faire de la rencontre une œuvre mais de ce qui de la rencontre est œuvre. Pierre Maldiney a réalisé une étude philosophique précise et vivante de l’ouvrage intitulé « Laisses ». Le texte est d’André du Bouchet, les aquatintes et bois gravés de Pierre Tal Coat. Son analyse ouvre à l’étendue de la page, il propose que les unités graphiques et les mots sont formes et non signes, que le blanc de la page tel un vide actif est l’origine ouverte à partir de laquelle le noirencre est rendu à son espace et l’invente. Pierre Maldiney s’attache à l’œuvre, à sa réapparition renouvelée et à son maintien. De regard en regard, toujours, un saisissement. Les tentatives de Thierry Le Saëc ne sont pas indifférentes à cette perspective, à ce faire œuvre à partir du blanc de la page et de son ouverture, mais sa question est aussi différente, car elle est bien celle de la rencontre dans son œuvre même. De ce tendre passage par l’autre, pour être soimême. Une métamorphose. Tout cela, nous nous en rendons compte, est très loin de nos agencements personnels, de nos territoires et de leurs aménagements, de notre style et de notre pré carré. Tout cela est mouvement, expansion, nouveauté, et risques.

Laurence Nadal Arzel, 2015 psychanaliste, docteur en psychologie.

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Linogravures, 2 variations, 80X120cm, 2016


Entretien avec François Jeune :

En rapprochant écrivains et peintres ou des textes et tes propres travaux de dessin, peinture ou gravure, cherches-tu plutôt l’intégration ou la désintégration ? Une fusion ou plutôt un livre de peintre comme troisième corps, comme tu le dis ? TLS : Pour répondre à ta question, je (les éditions de la Canopée) ne cherche ni l’intégration ni la désintégration de «l’image » dans le texte, ni même une fusion, mais je tente de permettre que se révèle l’espace singulier du livre, ce fameux troisième corps, qui n’est plus ni le corps de « l’écrivant » ni le corps « du dessinant », mais le corps même du livre, dans son espace singulier et sensible. Corps vivant qui va aussi se développer, s’enrichir, se régénérer au contact de ceux et celles à qui il est destiné ou du moins proposé. Ce qui m’intéresse dans le livre d’artiste, comme pour la peinture, ce sont les espaces de frontière, de basculements possibles, porter le(s) geste(s) au bord du précipice ; se mettre en danger en quelque sorte. Pour moi, bien sûr la mise en œuvre d’un protocole est important, il permet de construire un soubassement, une fondation si on veut utiliser un terme architectural, il permet aussi de se doter et de valider un certain nombre d’outils. Mais dans le même temps et dans le même espace pour être encore plus précis, il faut toujours rester sur ses gardes, ne pas se laisser déborder par le confort procuré par le protocole. Quand le protocole dit et conditionne l’œuvre à faire, quand il est à la fois et l’outil et le sujet, alors le travail perd de sa justesse, de sa singularité, il quitte son propre espace. Ainsi dans ce polyptyque le mot PIERR(E) est dit plastiquement, mais avec détours, à la frontière, lisible et non dévoilé, il est à la fois là et absent… Où plutôt c’est justement dans cette absence qu’il se révèle, qu’il est, en définitive, le plus présent ! FJ : Comment se joue ce travail du livre ? À partir du texte, à partir de la production picturale ou graphique ? Tu dis que tu ne veux pas faire un « copier-coller de l’atelier » ? TLS : La particularité du travail sur le livre d’artiste est la mise en mouvement d’autres médiums que ceux de la peinture. C’est le cas plus particulièrement de l’écrit, du texte, du poème (ou d’une partition musicale quand je travaille avec Jean-Yves Bosseur...) qui

Deux pointes sèches, dont une avec une variation rehaussée à l’acrylique. 50 cm x 66 cm, 2015

deviennent à leur tour une matière, à la fois dessein et dessin. Le corps de l’écrivant entre aussi dans le jeu et dans le processus créatif. C’est ce qui m’intéresse dans ces expériences. Elles nécessitent un « débranchement » du travail de l’atelier. Il faut être dans un certain oubli de la peinture pour accueillir ce qui peut se passer dans cette rencontre avec le texte, avec le poème le plus souvent. Dans le même mouvement, il faut aussi que le texte oublie le poème, pour accueillir l’image ! Que chacun se retrouve un peu nu !

François Jeune est peintre, enseignant/chercheur au,département d’Arts Plastiques à l’Université de Paris 8. Ce texte est issu d’un entretien publié pour le bulletin des amis du musée PAB d’Alès.

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Thierry Le Saëc et les Éditions de la Canopée Partout la couleur se déploie, rouges profonds, roses, verts intenses, mais dans des tonalités tenues. Le pastel peut aussi intervenir sur la toile peinte, ajoutant une préciosité de matière, une vibration du trait, qui donne à l’écriture abstraite de Thierry Le Saëc sa singularité et sa poésie incomparable... Rien de définitif, le geste, toujours recommencé, animé par la pensée vivante, fait l’œuvre. Pour Thierry Le Saëc, cette méditation active est la seule manière de vivre...

Les livres de Thierry Le Saëc ont un style, reconnaissable comme la griffe d’un grand couturier. Ils ont l’élégance des beaux papiers, des formats justes, la précision du rythme dans l’alternance des images et des textes. Dix ans d’un travail exigeant se trouvent réunis dans cette exposition « La Canopée – Correspondances ». Plus d’une centaine de beaux livres où s’égrènent les grands noms de l’art du XXe siècle et les signatures de jeunes artistes d’aujourd’hui. En 2006, Les Champs Libres à Rennes présentaient l’exposition « ce que les images ignorent, livres d’artistes de Thierry le Saëc (1990-2005) » accompagnée d’un important catalogue. En 2015, le musée de Vannes, da présenté dans l’Hôtel de Limur une série d’expositions consacrées à la suite de ce parcours, en présentant les livres édités de 2006 à 2015, et, en regard, un certain nombre d’œuvres qui éclairent ce parcours. Marie-Françoise Le Saux Conservatrice en chef des musées de Vannes M-F.L.S.Pourriez- vous nous parler de votre intérêt pour la peinture et la poésie, avant même que vous commenciez à exposer dans les années 1990 ? T.L.S.Je devais avoir environ treize ans lorsque j’ai eu accès à une anthologie de la poésie française du XVIe siècle. Cela m’a fasciné, j’y ai lu des textes de Ronsard, Du Bellay, Clément Marot, Maurice Scève... je me souviens particulièrement de ce beau poème de Louise Labbé : Baise m’encor, rebaise moi et baise/ Donne m’en un de tes plus savoureux,/ Donne m’en un de tes plus amoureux/ Je t’en rendrai quatre plus chauds que braise... que j’ai publié en 2007 dans le n° 7 de la revue la canopée. À partir de cette époque, j’ai commencé à écrire régulièrement et à lire de la poésie : Eluard, Aragon, Norge, Robin, Tzara, Néruda et tant d’autres. Très tôt une œuvre m’a particulièrement habité, celle de Guillevic, elle m’accompagne toujours. Je ne l’ai jamais rencontré, c’est son épouse Lucie AlbertiniGuillevic qui m’a confié à plusieurs reprises des poèmes inédits. Ce fut pour moi une expérience extraordinaire de pouvoir travailler sur des textes, dont le premier, « Vivre en profondeur » en 2002 que Au cours de toutes ces années, la peinture a pris pour moi une importance de plus en plus grande, d’une certaine manière elle m’a envahi. Je sentais confusément qu’il fallait faire un choix, soit renoncer

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j’ai accompagné de plusieurs pointes sèches (Le numéro 13 de la revue est consacré entièrement à Guillevic). Depuis j’ai publié plus d’une dizaine de livres d’artiste avec des textes de Guillevic. Un peu plus tard je découvre des poètes comme Pierre Torreilles, Silvia Baron Supervielle, André du Bouchet, Jacques Dupin, Henri Thomas, Philippe Jacottet, Paul Celan, Edmond Jabès ou Claude Roy, que j’ai relu dernièrement. Cette passion de l’écriture et de la poésie plus particulièrement s’accompagnait d’un vif intérêt pour la peinture. Au début une simple passion de regardeur, puis en 1985, j’ai aménagé un petit atelier dans l’appartement que j’occupais. À partir de cette date, j’y ai travaillé régulièrement, consacrant le plus de temps possible à la peinture, celui que me laissait mon métier de responsable culturel à la ville d’Hennebont.

ou du moins accepter un statut de peintre amateur ou abandonner mon métier de fonctionnaire, responsable culturel. En 2000, la décision était prise, la peinture avait pris toute la place.


M-F.L.S. Vous avez, il y a quelques années, créé les Éditions de la Canopée. Au sein de cette édition, vous avez réalisé de très beaux livres avec de nombreux écrivains et poètes mettant en oeuvre votre passion du livre comme lieu de rencontre. Pourriez-vous nous dire en quoi ce dialogue vous touche et quel est son rapport à la peinture, à l’impression et au livre? T.L.S. C’est en 2001 que mes éditions prennent le nom de la Canopée, auparavant elles s’appelaient Les Editions de l’atelier (de 1994 à 2001 - si l’on excepte un premier livre publié aux éditions TLS en 1989). Je me suis rendu compte que ce nom d’éditeur existait déjà. Depuis 1990, j’ai pu travailler avec de nombreux auteurs contemporains. Aujourd’hui, je crois que j’ai publié plus de cent livres aux éditions de la Canopée et une trentaine pour d’autres éditeurs. Nous pourrions ajouter quarante deux livres à tirage unique. Il est donc évident que c’est un aspect essentiel de mon engagement. Plus généralement, c’est aussi un intérêt profond pour les oeuvres sur papier. Le dessin est cheminement, disait Tal-Coat. Donc pour répondre à votre question, oui tout le travail fait avec ces auteurs pour aboutir à cet espace singulier qu’est le livre, est consubstantiellement lié à mon travail de peintre. Il m’est impossible de séparer ces deux réalités tant elles sont intimement, plastiquement imbriquées. J’ai invité de nombreux auteurs à travailler avec moi sans me soucier de notoriété ou d’école. Ce travail demande un rapport particulier au temps, il oblige à se décentrer, à faire des pas de côté, ne serait-ce que pour accueillir l’auteur et son texte. Paradoxalement il met aussi de la distance, nécessaire à la gestation. Je me méfie

de la spontanéité, de la prédominance de l’affect ou de la gestuelle. J’ai toujours construit mentalement l’oeuvre avant de la réaliser et de vérifier ensuite la justesse ou non de cette image mentale. Cette rigueur nécessaire au livre est aussi celle qui est, pour moi, opérante pour la peinture. Avec certains auteurs, j’aime poursuivre de livre en livre cette recherche commune, ce creusement pour reprendre un titre de Guillevic : Ludovic Degroote, François Rannou, Antoine Graziani, Jean-Paul Michel...

M-F.L.S. L’exposition que nous présentons à l’Hôtel de Limur et qui va voyager dans les 2 prochaines années fait suite à celle organisée en 2006 par la Médiathèque de Rennes-Métropole à l’occasion de l’inauguration des Champs Libres. Que s’est-il passé depuis dix ans ? Au début la poésie occupait grandement l’espace, y compris dans votre propre travail, vous écriviez beaucoup. D’aucuns vous connaissaient d’abord poète, aujourd’hui, j’ai l’impression que les formes ont pris le pas sur les mots. Peut-on dire que durant la décennie passée vous vous êtes affirmé comme peintre ? Chacun se souvient de l’exposition « La poétique du trait » » au Musée des Beaux Arts de Vannes en 2011. Quelle analyse faites-vous de votre parcours ? lithographie rehaussée de pastel gras. 50 x 66 cm, 2011.

T.L.S. Oui, c’est une évidence et une réalité, la peinture a pris la presque totalité de mon espace. Je continue à écrire, souterrainement, peut-être pour simplement nourrir la peinture. Je crois qu’il y a toujours de l’image dans les mots et des mots dans la peinture ! Le livre d’artiste, de peintre ou de dialogue, comme dit Yves Peyré, c’est peut-être un des lieux les plus aigus où se jouent cette rencontre et cette fusion. Le corps même du livre, sa chair, son sang en quelque sorte, est constitué de ces deux matières,

mots/dessin qui résonnent, circulent ensemble et bâtissent et fondent l’espace du livre. J’ai toujours mené de front la peinture et le livre. Pour moi, il n’y a pas de hiérarchie entre ces deux espaces, l’un nourrit l’autre. Bien sûr chacun a sa singularité, mais je pense que c’est dans ce parcours, d’un atelier à l’autre, que je trouve le chemin de l’œuvre à faire.

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M-F.L.S. 2005 semble la période d’un profond changement dans l’équilibre des livres. Votre travail devient plus pictural, plus ouvert à des formes, des techniques, des expérimentations nouvelles, en un mot vous vous éloignez des poètes (relativement) pour vous rapprocher des peintres. Vous changez de famille en quelque sorte ? T.L.S. Non je ne change pas de famille, pour cela il aurait fallu que j’évacue l’écrivant, le poème. Alors qu’ils sont toujours là, ils sont la réalité, la matière même, des livres que j’édite. Par contre, après avoir beaucoup privilégié la gravure en taille douce pendant les dix premières années de 1990 à 2000, j’ai considérablement diversifié le champ des techniques utilisées, même lorsqu’il s’agit de gravure (en rehaussant les épreuves, en imprimant plusieurs plaques sur une même image, en mixant l’image numérique et l’estampe...). Je considère que j’ai à ma disposition tout un certain nombre d’outils, de médium, que je ne hiérarchise pas. La seule question qui vaille est : choisir le bon outil, le bon médium, en fonction de la nécessité de l’œuvre à faire. J’aime et fais mienne une réflexion de Jean-Luc Godard : le travelling n’est pas une question de technique, mais de morale ! C’est vrai aussi pour la peinture et pour le livre plus encore certainement.

Alors oui c’est vrai que depuis plusieurs années, mon travail sur ou dans le livre est devenu plus pictural et plus expérimental. Pour moi chaque livre ouvre une nouvelle aventure, un nouveau territoire. C’est pour cela que vous pourrez constater qu’ils sont de formats, de techniques différents. Je n’ai jamais voulu, par exemple créer de collections pour mes livres. Je refuse que l’espace plastique du livre ne soit qu’un simple copier/coller du travail fait dans l’atelier. C’est au contraire pour moi, dans ce va-et-vient, que se joue la possibilité d’explorer de nouvelles formes. À la seule différence que dans le livre j’associe l’écrivant en l’invitant à entrer dans le jeu, même par effraction ! Jean Capdeville, ce merveilleux peintre du livre, disait : « ... Des livres illustrés aussi, un auteur chante, je danse autour, avec l’imprimeur et l’éditeur aussi... » Le livre d’artiste comme une piste de danse, un bal musette ou un opéra, à vous de voir !

M-F.L.S. En quoi la création de la revue la canopée a-t-elle modifié (ou pas) votre approche du livre ? T.L.S. En 2004, je crée la revue la canopée, qui en est aujourd’hui à son 20e numéro. Cela commence à raconter une histoire. Je recevais de plus en plus de manuscrits de poètes, pour certains, de très beaux textes. Il ne m’était pas possible de suivre toutes ces propositions... qui s’accumulaient au grand désespoir des auteurs... qui s’inquiétaient de la lenteur... et nécessairement le lien se distendait. C’est pourquoi j’ai créé la revue, réceptacle de ces textes en attente éventuellement de livres futurs. Ce fut pour moi une façon d’engager un premier dialogue avec ces auteurs. Dès le premier numéro, j’ai invité un artiste à m’accompagner, Guillaume Constantin, puis j’ai poursuivi cette invitation à chaque numéro. Je laisse aux peintres la possibilité de venir avec des textes, les leurs ou d’autres. Aujourd’hui la revue c’est soixante et onze auteurs, poètes (certains ont publié dans plusieurs numéros) et c’est aussi trente et un

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peintres, artistes plasticiens. Cela constitue, je crois, une aventure assez singulière. La revue a été aussi l’occasion de créer un véritable lien avec des collectionneurs, des amateurs d’art, qui suivent mon travail et reçoivent deux fois par an de mes nouvelles ! D’autant que j’ai fait le choix d’un prix tout à fait modique, bien qu’il s’agisse d’une revue tirée à trente exemplaires, accompagnée de plusieurs œuvres originales d’artistes, pour certain très reconnus. Par contre la revue n’est pas de la même teneur que le livre d’artiste. Elle reste un simple récipient de textes enrichis de quelques gravures, photographies ou dessins. Contrairement aux livres, chaque numéro a le même format. (À la parution de l’Actuel9, la revue la canopée en est à son 24e numéro)


M-F.L.S. Comment se fait votre choix des artistes auxquels vous consacrez un livre ? En lien avec votre propre travail de plasticien ou pas. T.L.S. Je n’ai pas de règles en la matière, cela dépend des projets que l’on me propose. Souvent la question que je me pose est : est-ce que j’aimerais avoir ce livre dans ma bibliothèque ? Si c’est oui, je suis alors tenté de le faire. Il y a aussi, bien sûr, des rencontres avec des œuvres qui ont joué un rôle important pour moi, je pense, à Claude Viallat, Pierre Buraglio, Guy Le Meaux, Gilles du Bouchet ou à François Morellet, pour n’en citer que quelques-uns. Pour que j’accepte aussi d’éditer ces livres où je n’interviens pas en tant qu’illustrateur, il faut que les auteurs me laissent, en complicité bien sûr, la place de concepteur du livre. En tant qu’éditeur, cette foisci, je suis l’architecte, je propose un réceptacle aux auteurs. Je ne l’ai pas encore dit, mais, pour moi, il y a autant de création dans le choix d’un format, d’une typographie, d’un corps de caractère, d’un choix de papier... que dans la production d’une image. L’un devant justifier la nécessité de l’autre. Ceci dit, cette partie de mon travail d’éditeur seul reste marginale. D’ailleurs je m’oriente vers d’autres propositions de collaborations. La première a été faite à Dominique Picard : accueillir dans son texte un chant croisé : celui de Frédérique Lucien et le mien.

Eau-forte rehaussée à l’acrylique, pour le livre Les brûleuses d’algue, poème Paul Louis Rossi sur une partition musicale de Jean-Yves Bosseur. 2013

C’est une complexité nouvelle, exigeante, tant elle me semble pouvoir ouvrir de nouveaux territoires, de nouvelles porosités/rencontres. Le livre d’artiste est peut-être un des lieux les plus extraordinaires et féconds pour vivre de dialoguer, comme le dit Lucie Albertini-Guillevic et pour se frotter aux interrogations et à l’art de son temps.

Marie Françoise Le Saux, conservatrice des musées de Vannes. Cet entretien a été réalisé à l’occasion d’une exposition consacrée aux Éditions de la Canopée, à l’hôtel de Limur/ musée de Vannes et au musée PAB (Pierre André Benoit) d’Alès en 2016. Cette exposition a donnée lieu à l’édition d’un catalogue:Thierry Le Saëc Les éditions de la canopée 2006/2015 Correspondances ( 201 pages, éditions Musée de Vannes). En 2006 parution du catalogue : Ce que les images ignorent, les livres d’artistes de Thierry Le Saëc 1989/2005. (180 pages, éditions Bibliothèque de Rennes Métropole)

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Atterrassements poème de Mathieu Nuss, enrichi de dessins, linogravures et bois gravés de Thierry Le Saëc. Editions de la Canopée, 2017.

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Caroline Garcia Caroline Garcia est née en 1958 à Angers. Installée depuis près de 30 ans dans le sud de la France, elle y exerce en tant que professeure d’arts plastiques. C’est à l’École des Beaux-Arts d’Avignon qu’elle s’est initiée à la gravure, qu’elle a approfondie ensuite aux Beaux-Arts de Nîmes avec Emilio Serrula. Ses gravures sont tirées sur la presse de son atelier nîmois. www.caroline-garcia.net

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« Graver l’eau et les rêves»

C’est en se tenant assez longtemps à la surface irisée que nous comprenons le prix de la profondeur Gaston Bachelard « l’Eau et les rêves » Nous gardons tous en nous la présence d’un paysage d’enfance qui nous habite ; l’empreinte indélébile d’images enracinées qui imprègnent notre mémoire, nourrissent notre imaginaire et construisent notre rapport au monde. Gaston Bachelard introduisait son essai « L’eau et les rêves » par une réflexion sur son pays de naissance : « Je suis né dans un pays de ruisseaux et de rivières […] La plus belle des demeures serait pour moi au creux d’un vallon, au bord d’une eau vive, dans l’ombre courte des saules et des osières.... » Caroline Garcia a quant à elle vu le jour près d’Angers, dans une région de confluences des eaux marquées par les fortes crues de la Maine et de la Loire. Elle porte en elle ces paysages oniriques, peuplés de grands arbres nus, baignés dans l’eau, qui se dédoublent et se métamorphosent dans le miroir frémissant des larges rivières. Dans cette série de gravures, elle explore le souvenir de ces lieux fondateurs. Elle donne forme à cet espace intérieur, ce paysage à la lisière du réel et du fantastique et nous donne à comprendre toute la singularité de cet endroit où le végétal et l’aquatique fusionnent, bouleversant totalement nos perceptions de l’espace. Les branches reflétées dans l’eau, mettent à jour les souterraines racines. Les arbres renversés par ce jeu de miroir changent de nature : de fixes et solides, ils deviennent formes mouvantes, vibrantes, scintillantes, étrangement impalpables presque fantomatiques aux confins de l’abstraction et de la figuration. Les herbes immergées se muent en signes énigmatiques, en secrètes écritures à déchiffrer, les ombres à la surface de l’eau sont comme des traces dans la neige. Ce jeu de renversement et de déformation du végétal

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par l’aquatique est traité en priorité à l’eau-forte en vues panoramiques. L’artiste utilise plusieurs techniques et les combine. Elle réalise dans la majorité des cas plusieurs passages pour une même gravure en superposant les matrices, pour rendre la subtilité du moment, faire sentir le passage du vent et des nuages sur la surface de l’eau. Elle recherche l’unicité dans chacun de ses tirages : créer à partir d’une même matrice encrée d'une couleur différente, associée à une autre, à un fond préparé voire à un monotype, une œuvre distincte, un tirage unique. Ces variations sur le motif initial, permettent de rendre compte des évolutions atmosphériques et de leur influence sur la perception d’un lieu. Les modulations des ombres et lumières, le jeu sur l’épaisseur ou la finesse du trait et les déclinaisons colorées accentuent l’inquiétante étrangeté du paysage ou au contraire sa quiétude, sa douceur et son immobilité. Chacune des œuvres est le reflet d’un état d’âme à un moment précis, elles témoignent de la sensibilité aigue de l’artiste à l’infime et à la fugacité des choses. Caroline Garcia souligne d’ailleurs que « Graver, imprimer, c’est laisser une trace, une empreinte, c’est partager une « impression », un sentiment ou une sensation, c’est agir sur la surface sensible, pénétrer dans l’esprit et le cœur ». Les estampes dégagent une poésie intense, elles fonctionnent à la manière des haïkus en littérature : traduire avec simplicité et justesse le temps d’un instant et l’évanescence des choses. Martine Guillerm


Martine GUILLERM Professionnellement impliquée dans le secteur culturel, elle se passionne pour la littérature et l’art contemporain, elle rédige des textes pour des revues (Art Press, Offshore, l’Alpe) des galeries ( RX, Fluid Image ) ou des artistes. Elle collabore régulièrement avec le photographe Jean-Pierre LOUBAT sur des projets alliant photographie et textes notamment à l’occasion de carnets de voyages, pour l’ouvrage « Athos, Only for men » ou lors du reportage « Sur les traces de Marcel PROUST ».

Toutes les estampes, présentées, sont des eaux-fortes et aquatintes. Les plaques ont une dimension de 10,5X38cm et les estampes mesurent 50X70 cm.

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Ta l l e e n Hacikyan Vit et travaille à Montréal, où elle pratique l’estampe et l’illustration tout en enseignant les arts visuels. Cumulant plus de 30 années d’expérience professionnelle, Talleen Hacikyan détient un baccalauréat honorifique en anthropologie de l’Université McGill et un baccalauréat en beaux-arts et enseignement des arts de l’Université du Québec à Montréal. Elle est membre de l’Atelier Circulaire depuis 1985, où elle enseigne aujourd’hui l’estampe. Son travail a fait l’objet d’expositions au Canada et à l’étranger, notamment lors d’une exposition solo au Armenian Museum of America, à Watertown, Massachussetts. Ses œuvres font partie de plusieurs collections importantes. L’artiste a remporté, entre autres, le Speedball Purchase Award et le Prix d’Estampe Loto, Quebec. Talleen Hacikyan a présenté récemment au Centre culturel de Notre-Dame-de-Grâce de Montréal l’exposition Impressions de soi, une symphonie de symboles poétiques, de textures et de formes tourbillonnantes qui jouent avec l’imaginaire et suggèrent une multitude d’identités possibles. Pascale De Nève, rédactrice pour le magazine Actuel, y était.

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Actuel : Le rapport au corps est une thématique récurrente de l’histoire de l’art. Quelle a été votre approche pour ces « Impressions de soi » ? Talleen Hacikyan : Le désir de travailler avec le corps découle de mon besoin croissant d’explorer la notion d’identité. Dans plusieurs œuvres, j’ai utilisé des parties de mon corps comme outil d’impression ou de moulage. Ce besoin de laisser ma marque et de la transformer en art est devenu un réflexe intuitif. Dressed Up est une série de cinq estampes en collagraphie de grand format de robes évoquant le corps de la femme. Essentiellement en noir et blanc rehaussé d’un détail bleu, les robes portent l’empreinte de mes mains, bras, pieds et torse. Ces traces directes de mon corps interagissent avec des symboles, des textures et une gamme tonale infinie de noir, réinventant mon identité dans l’univers de l’imagination. Le dialogue entre le corps et sa deuxième peau, la robe, soulève des questions sur la façon dont nous sommes perçus, ce que nous choisissons de révéler de nous-mêmes et ce qui se trouve au-delà de l’apparence en surface. Dans d’autres pièces de l’exposition, les gants, les chaussures et les mains deviennent des véhicules pour transmettre des réflexions sur l’identité. Les différentes références au corps dans Impressions de soi résonnent et interagissent les unes avec les autres, suggérant une multitude de personnages possibles tout en créant une présence humaine chaleureuse. Actuel : Le recours à la 3e dimension vous permet de dépasser le cadre de la forme pour occuper l’espace. Comment ces installations ont-elles été imaginées et conçues ? Talleen Hacikyan : Travailler en trois dimensions dans le contexte de l’installation me fournit une plateforme d’expression passionnante et un nouveau langage à explorer. Cela déclenche un sentiment de jeu et de liberté. Dans les installations Paper Steps et Handy Tales, le mouvement, la lumière et l’ombre deviennent des transmetteurs puissants de l’émotion. Handy Tales a été créée spécifiquement pour l’exposition Then and Now à New York en 2015, où elle a reçu le Speedball Purchase Award. Cette version élargie de Handy Tales est exposée ici pour la première fois. L’installation inclut vingt mains en trois dimensions grandeur nature en papier mûrier moulé. Les mains sont peintes et travaillées au collage avec des impressions à la pointe sèche, de la gravure en relief, de la collagraphie et du monotype gélatine. Plusieurs pièces incluent également des messages dactylographiés et manuscrits. Comme un chiromancien, on peut conférer une histoire à chaque main. L’éclairage crée une projection intrigante d’ombres mobiles sur le mur, qui englobent leur propre narration de mains en interaction. Pour l’installation Paper Steps, j’ai créé trente-deux chaussures en papier à partir de moulages de mes pieds. J’ai orné les chaussures en recourant à l’acrylique et au collage de divers médias, tels que des monotypes gélatine, des bandes déchiquetées de mon journal intime et des impressions de pieds de bébé de mon fils. J’ai suspendu ces chaussures dans l’espace pour suggérer des pas, des trajectoires et des déplacements.

Page 24: Today I Wear Pink, collagraphie, 122 x 100 cm, 2014 I Chart, collagraphie, 122 x 100 cm, 2014/photo par Daniel Roussel Page 25 : De l’installation Handy Tales, papier mûrier moulé, collage avec gravure en relief et monotype gélatine. Main grandeur nature, 2015/photo par Susanna Oreskovic Page 26 : Exposition Impressions de soi. Centre culturel de Notre-Dame-de-Grâce. Montréal, Canada. photo Susanna Oreskovic

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Talleen Hacikyan Vit et travaille Ă MontrĂŠal, Canada art@talleen.net talleen.weebly.com talleenart.wordpress.com

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Actuel : vous venez d’évoquer à plusieurs reprises une technique d’estampe peu répandue : la collagraphie. Comment se pratique-t-elle ? Talleen Hacikyan : La collagraphie est une merveilleuse technique de gravure qui se prête à l’expression spontanée et expérimentale. Initialement, cette technique m’a attirée parce que le processus de fabrication de plaques est relativement simple et peut être entièrement non toxique. Comme le suggère le mot collagraphie, le collage est un aspect important de cette technique. Une plaque de carton, de plastique, de bois ou de métal peut être utilisée comme matrice de base, sur laquelle l’artiste colle des matériaux minces. Les plaques sont imprimées en taille-douce et dans certains cas, en relief. Je travaille sur des plaques de carton, ce qui me permet de découper des plaques, comme je l’ai fait avec mes impressions de robes. Pour cette série, j’ai travaillé mes plaques surtout avec du plâtre et de la poudre de carborundum, qui créent des effets riches et veloutés. J’apprécie la chaleur et la souplesse du carton.

Actuel : La série Renaissance Glove illustre à la fois la reconversion et le cycle de la vie. Quelle a été votre démarche ? Talleen Hacikyan : La série Renaissance Glove se compose de huit monotypes créés à partir de gants que j’ai découverts chez Renaissance, un magasin de vêtements d’occasion à Montréal. Le recyclage au sens matériel du terme est intéressant en soi, mais ce n’était pas ma motivation initiale. Au départ, le fait de travailler avec des vêtements usagés m’intéressait surtout pour le vécu qu’ils dégageaient. Les rides sur les gants en cuir souple témoignent des mouvements et de la vie du propriétaire d’origine. Ils évoquent un sentiment de nostalgie. Chaque monotype en tons pastel suggère simultanément l’atténuation et la renaissance. Imprimé sur du papier épais de 320 grammes, les gants encrés qui sont passés sous presse créent un gaufrage, laissant une preuve physique du vrai gant. Au-dessus des gants imprimés et du papier blanc environnant, j’ai perforé à l’aiguille des dessins et des mots comme naissance et renaissance. Ces interventions subtiles agissent comme des images différées. Les estampes évoquent la continuité et les cycles de la vie. Actuel : Cette exposition est-elle appelée à voyager ? Talleen Hacikyan : L’exposition Impressions de soi est prête à voyager dans de nouveaux lieux, soit dans sa version complète, soit en pièces ou séries individuelles, dans le cadre d’une biennale, d’une foire d’art ou d’une exposition commissariée

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Erik Saignes Je suis tombé dans la gravure quand j’étais adolescent, durant mes études d’arts plastiques dans une école du 19e arrondissement de Paris. J’ai eu la chance d’avoir un professeur qui entre autres, était buriniste meilleur ouvrier de France. C’est sans nul doute grâce à sa pédagogie, sa patience et surtout à ses grandes qualités humaines que je fais aujourd’hui ce métier. Sans lui, tout un monde me serait resté inconnu. Étudiant, j’étais préoccupé par l’idée de garder une trace de ce que je faisais, et quoi de mieux qu’une matrice et l’impression de ses multiples... Je pense souvent à ces hommes préhistoriques, qui au fond de leurs cavernes, ont laissé une trace gravée, premières expressions artistiques de l’humanité. C’est pourquoi j’imagine qu’on ne grave jamais sans raison. Graver est un geste primitif empreint de cette humanité. Aujourd’hui, je crois que graver constitue pour moi plus qu’un métier, mais un art de vivre qui repose sur une morale dont les règles sont imposées par ce travail, où le mental est intimement mêlé au manuel, imposant un ralenti qui souvent est favorable à une réflexion créative. Cultiver un art où la lenteur est une donnée incontournable, un acte quasi révolutionnaire à une époque où tout est vitesse. Je me plais souvent à dire qu’à l’époque du numérique, j’en suis toujours à Gutenberg... et cela dure depuis 25 ans. La gravure vous donne des choses impossibles à obtenir autrement, ne serait-ce que par le relief de chaque trait, chaque point, par la simple beauté du foulage de la plaque sur le support. J’ai poussé l’exigence à fabriquer moi même le papier (qui pour moi est une matière très noble) pour mes tirages  ; non pas parce que je ne trouve de bons et beaux papiers dans le commerce, mais là aussi, dès mes débuts j’ai voulu être en cohérence avec cet art de vivre que j’évoque plus haut. Et puis je n’éprouve pas ce rapport intime entre l’impression et son support, ce plaisir tactile avec d’autres papiers que le mien. Sûrement que je le trouve plus amoureux, et qu’il me le rend bien... Mon travail s’inspire (aussi loin que je me souvienne) de paysages avec ou sans nature. Je suis à l’affût, scrutant mon environnement, captant la beauté du monde. J’installe le silence pour mieux faire entendre l’imperceptible bruissement des choses qui m’enveloppent. J’essaye d’offrir un instant de mon regard. Mais parler de son travail n’est pas très facile, c’est pourquoi je vais vous faire part de quelques lignes écrites par une personne qui m’est très chère, et qui résume bien mes gravures : « Être dans l’essentiel, renoncer au superflu, laisser le blanc du papier dilater l’espace, ne garder que le signe franc, solide, vigoureux... Réduction intransigeante, renoncement serein puisant sa force dans une douce immobilité... Graphie sensible et majestueuse qui déploie la lumière. Nous nous promenons dans ses gravures comme dans un espace suspendu, hors échelle. » Cependant, j’ai toujours pensé que ce que j’avais à dire était plutôt à voir..... Erik Saignes

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Page 23 : trou noir, trou blanc, eau forte vernis mou 20X20, 5 cm Page 24 : l’un sur l’autre, eau forte vernis mou 20X20cm Page 25 : brumeuse, aquatinte 20X20 cm diagonale, pointe seche 15X15cm fagoter, pointe seche 20X20cm grain, pointe seche 20X20 mouvance, pointe seche 15X15 salem, pointe seche 15X15


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Guacolda Vit et travaille en France, à Paris

1991 DNSAP Diplôme de l’Ecole Supérieure des Beaux-Arts de Paris 1993 Licence d’arts plastiques. Paris VIII

Autoportrait

Autoportrait. Je montre ce que je suis. Je suis ce que je fais. Je montre ce que je fais. Peut-être ne suis-je que ça. Ce que je fais. Je suis là. Je veux y être. Je me brode. Je me peins. Je me grave. Je me travaille. J’apparais telle. Quoi d’autre ? Qui d’autre ? Femme, artiste. Et femme encore. Des deux côtés du pinceau. Des deux côtés de l’aiguille et du fil. Je suis le matériau. Ce fil c’est moi. Brodé par moi. Ce trait dans la plaque, c’est moi. Je m’incise. Je me trace. Je me définis. Avec mes armes. Je me cherche. Je me pique. Je me presse. Je suis cette idée d’infini entre deux miroirs. Comme un corridor que je parcours. Je me fais face. Debout. Je m’esquisse. J’aborde mon cas. Je me veux absente de moi-même. Cette représentation de moi n’est pas moi. Ça l’a été. Il y a déjà des siècles. Je dois recommencer. Sans cesse. Pour être. Et là ? Est-ce enfin moi ? Est-ce enfin quoi ? Ces hommes ? C’est moi. Ces gens connus ? C’est

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moi. Ces enfants, ces femmes à la peau nue, ces superpositions. C’est moi. Cette Joconde, cet angelot, cette infante Marguerite, ce ciel plombé, ce rouge, ce bleu. C’est moi. C’est moi. Et cette femme qui pleure du fil, cette brisure brodée, cette force tressée de drame, cette nonchalance lascive gravée d’acier. Oui, c’est moi. Ce trait surtout. Ce trait. Dans son dénuement, son évidence, sa vérité, sa permanence, sa vitesse. Je suis ce trait. Cet entrelac. Cette confusion. Ce foisonnement. Cette figure colorée. Ce fil qui pend. Au point noué. Mille fois noué pendant ces heures opiniâtres à me coltiner l’art, les périls, mes empêchements, le temps, mes absents, le futur, tout. Tout est autoportrait. Je est un autre. Je cherche cet autre.


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Dans la sûreté d’un trait ne prêtant à nulle équivoque sur la certitude d’une démarche, à travers des choix chromatiques accompagnant le dessin avec une rare pertinence, Guacolda imprime sa marque dans l’ensemble de ses œuvres. Présence de l’artiste dans ses travaux, signe d’une maturité proche d’un achèvement et loin de son aboutissement, car les voies qu’elle s’est ouvertes sont innombrables et peuvent parcourir un monde. Monde transparent, presque invisible, monde pourtant infiniment présent ; quelques traînées sombres, quelques surfaces colorées, en affirment la matérialité, une matérialité où l’apparence semble dissoute sous l’effet de quelques mystérieux éléments résumant l’essentiel, rappellent que de la réalité n’apparaît que l’apparence, le superficiel, l’épiderme qui pourtant importent plus ont une signification plus forte que des profondeurs impossibles à atteindre. Quand surgissent quelques traces, s’opposant avec une violence contenue à l’apparence dominante, émergent chemins et prés, nuages sur la mer, fumées sur la ville. Cet environnement pourrait être, à lui seul, l’œuvre. Pourtant Guacolda, à l’instar de Jean Dubuffet, a créé un peuple qui habite ses travaux ; peuple vivant dans une curieuse apesanteur à travers l’espace, non comme les oiseaux de Georges Braque traversant un ciel vide où n’est présent que leur vol  ; car cette étrange population, même en flottant dans le vide, effleure cependant une terre bien réelle et dont il est évident qu’elle est issue, à laquelle elle est indiscutablement liée.

Ces personnages vont du dessus au-dessous, de l’envers à l’endroit, de l’avers au revers, dans une confusion, voulue et mesurée, de formes toujours mouvantes, faisant de l’espace du rêve celui de l’éveil, rendant l’imaginaire naturel, la vérité possible fiction. Qui sont ces êtres, emmêlés, entrelacés, affrontés, opposés ; leurs logiques sont-elles amoureuses ou guerrières ; les deux à la fois, peut-être ou alternées suivant de mystérieuses règles régissant le moment et le lieu. Vers où vont ces essaims aux personnages étroitement confondus, mais dont chaque personnalité est discernable, où d’infimes nuances donnent aux visages et aux corps des configurations toujours différentes ; ruche où toutes les abeilles seraient différentes des autres, tout en gardant ce qui les rend abeilles. Toute la complexité qui est la nôtre imprègne l’œuvre de Guacolda, elle nous renvoie à notre impossibilité d’être seul et notre difficulté d’être ensemble, nos désirs de victoires et notre constante tension vers la tendresse, les délices de l’acte amoureux et le désarroi qui les suit. Stendhalienne, car miroir reflétant nos chemins, balzacienne en son fourmillement, cette œuvre est aussi un guide sur le long effort de la pensée.

Jean de Bengy Inspecteur Général de la Création Artistique Ministère de la Culture

www.guacolda.com www.facebook.com/pages/GUACOLDA/189453928374 34


Page 33: Autoportrait Pénélope, photogravure et eau-forte Page 34: Ménine, eau-forte brodée Page 35 : Mots rouges, eau-forte brodée

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Nathalie van de Walle De sa fascination pour le processus de déconstruction et de reconstruction, de sa démarche de création de la structure à partir du chaos, Nathalie van de Walle a créé des séquences qui répondent avec pudeur, mais sans détour, au bombardement d’images d’une actualité qui s’expose comme une fiction. Cataclysmes climatiques, catastrophes naturelles, guerres, exodes, elle les met en scène pour recréer une autre histoire, remodelant leur dramaturgie dans une mise en évidence des traces et des cicatrices qui défigurent le monde de ses blessures. À une époque qui érige l’image en spectacle, elle s’est attelée à un travail d’épure de la tragédie. Elle ne retient que ce qui en transpire quand l’écran s’éteint. Noir. Et blanc. Elle s’y arrête et nous arrête dans la lecture d’un arrêt sur image, nous confrontant à un profond sentiment de perte, d’impuissance et de désolation humaine, nous mettant face à ce que signifie la ruine, le chaos. À travers la technique de la gravure, c’est par le geste que tout commence. Par la déconstruction. Dompter le bois, affronter la planche brute, celle qui

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laisse des échardes dans la paume, la malmener, la découper, la taillader, lui infliger les blessures de son propre cataclysme. Canaliser la barbarie du monde dans la violence du geste pour ériger un rempart à la sauvagerie. Par la reconstruction. Des pistes s’esquissent sur la matière, relief en devenir, donnant naissance au paysage, le métamorphosant au fil des cris étouffés, des étreintes furtives et désespérées, des instants surexposés, des mots raturés, gommés, réécrits. Palimpseste, la gravure s’invente au fur et à mesure de ses gestes et de ce qu’ils mettent au jour, nourrissant la création de ses propres découvertes. L’artiste devient éclaireur. En posant le regard sur ce qui ne se voit pas, Nathalie van de Walle redessine le paysage et grave de sa sensibilité cette seconde écriture de l’événement. Elle nous donne à arpenter ce terrain d’exploration et de réflexion qu’est l’estampe enfin accrochée au mur. Gravée à jamais sur nos rétines, portes d’entrée de la mémoire. Chris Vander Stappen.


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« De rouille et d’encre 2 » Linogravure, impression en creux 2014 52X91,4 cm

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Habib Harem habibharem@yahoo.be http://habibharem.wix. 39


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Les estampes présentées dans la revue sont issues de la série Tsunami. Elle y travaille depuis 2004. C’est une série de gravures sur bois (110 x 110 cm) qui retracent les catastrophes qui mettent notre terre sens dessus dessous. Elle retrace l’effet destructeur des 4 éléments ( Air, Eau, Feu, Terre) : Cataclysmes climatiques,catastrophes naturelles, guerres, exodes, elle dramaturgie.


Les matrices gravées sont imprimées l’une à l’autre sur une bande de papier. Les séquences gravées impriment l’action. Elles deviennent un gigantesque chaos sans césures. Nathalie crée des séquences qui répondent à une actualité qui s’expose comme une fiction.

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Alexandre Todorov

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attentes, espoirs pour la naissance de l’Homme nouveau, illusions et égarements trompés, détachés de la réalité, insidieux, absorbés par une démence, qui se métamorphosent à nouveau en impasse, sans chemin, en tunnel sans issue, sans début, sans fin, sans naissance, sans mort. Des vies obsédées, utilisées et dépourvues de sens, hypocrisie, insatiabilité, éternité, englouties dans l’ombre des gares, appentis, passages souterrains, espaces clos, halles, fenêtres répétitives, toits à perte de vue, cheminées, horizons monotones, rythme répétitif, Kraftwerk.

« Je suis né 9 ans avant la chute du mur de Berlin. Sous l’étoile rouge, j’ai découvert la révolution industrielle. J’ai grandi sous les regards des portraits des secrétaires du parti. Le monde au-delà du mur était un rêve, la société de consommation demeurait derrière les pages de Neckermann. La linogravure était utilisée pour la propagande politique. Et c’est dans un but réfléchi que je travaille avec la technique du haut-relief – linogravure, gravure sur bois. Je m’intéresse à la capacité de l’absorption du noir, de la création du signe, signe – symbole. Je cherche l’invisible perceptible plongée dans l’ombre. Signe, significatif, indicatif, limité, image tracée, exposant, montrant un corps féminin – mannequin, rejeté, utilisé, vain, inutile, au milieu de bâtiments industriels abandonnés, des squelettes, vides, vie passée,

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Je cherche, loin de nos regards, cachés dans l’ombre des monuments industriels, les problèmes de la société post-industrielle — éloignement de la nature, inquiétude héritée, confusion, extrémité, transition, terminus. Homme, esprit abandonné, anxieux, opprimé, abattu, blessé, vain, rejeté, faible, sans défense, insensé, sans chemin, échu, irréel — objet/sujet — ayant utilisé, usé, élimé, dépouillé, usurpé, méprisé, jeté. La raison dompte l’esprit. L’art se transforme en projection de l’art, qui fonctionne comme de l’art (avec le seul but la consommation), se transforme en l’art de la raison/rationalité, de l’administration, du pouvoir. Je pourchasse ces petites particules élémentaires inconscientes qui embrasent la flamme de l’esprit, là où la raison ne devient qu’un simple observateur, un témoin. “


« Ce n’est pas par hasard qu’à travers les représentations graphiques de l’artiste Alexandre TODOROV, nous accédons naturellement et avec légèreté au modernisme du siècle dernier. Heureusement que les batailles contre l’idéologie réactionnaire du formalisme n’existent plus. Le siècle de la cruauté et de l’utopie est fini. Todorov préfère le haut-relief. Il aime les techniques classiques et traditionnelles asiatiques et européennes. La tradition médiévale de l’édition de livres l’influence également. Le papier, le dessin et la calligraphie sont des provocations auxquelles il résiste difficilement. Todorov est un jeune artiste, avec un style particulier et des renvois à la pensée complexes, des messages vrais et clairs, en somme un artiste engagé, authentique et remarqué. Il se distingue par son temps de l’expressionnisme, mais s’en rapproche toutefois par l’esprit, les moyens techniques et la lisibilité. Les détails dans ses dessins cachent des messages symboliques tout en restant dans le monde petit, mais gracieux de l’art graphique. Il crée ses œuvres naturellement et sincèrement.

Né en Bulgarie en 1980, il fait des études d’art au lycée national de Blagoévgrad. En 2003, il est diplômé de l’Université du Sud-Ouest, spécialisé en Arts Graphiques. C’est avec un grand respect et une profonde reconnaissance qu’il se souvient de ses enseignants. (…) Les artistes l’ayant inspiré au cours des années sont : Otto Dix, HAP Grieshaber, Frans Masereel. Le magnétisme de l’estampe japonaise sur bois l’inspire dans certaines de ses œuvres. Alexandre Todorov invite le spectateur à regarder au-delà du champ d’expression de l’art, dans des perspectives et des figures inhabituelles. “ Iliya Borissov, Restaurateur d’art.

Page 42: "1-er Mai", 50/60cm, 2011, linogravure Page 43: "Dimanche", 50/60cm, 2011, linogravure Pages44 et 45: "Mannequin", 56/74cm, 2012, linogravure Page 46 "Population contaminée", 55/70cm, 2007, linogravure Page 47: "Zone industrielle" I, 52/70cm, 2010, linogravure "Zone industrielle" II, 52/70cm, 2010, linogravure "Mannequin" I, 56/74cm, 2012, linogravure "Mannequin" II, 56/74cm, 2012, linogravure "Energie d'autrui", 23/23cm, 2016, xylographie Page 48: "Sans chemin" x 7, 4/4cm, 2013, xylographie

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Laure Joyeux Il est un des procédés de l’anthropomorphisme qui a et fait encore autorité quant au phénomène de contiguïté entre l’homme et l’animal : c’est la stratégie du collage, substituant la figure animalière à celle de l’humain. La série 24 heures dans la vie d’une chienne répond de cela. Amorcée en 2010, elle a été exposée à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes le 08 mars 2013 lors de la programmation d’un circuit artistique nommé « The End of the Bobonnes ». Cette narration imagée en noir et blanc est composée de onze linogravures, affichant une créature michienne, mi-femme s’affairant aux activités du quotidien. Cette série de linogravures interroge le genre féminin et, par extension, le genre humain et animal, en proposant des illustrations de la banalité des situations et des tâches. Assemblées sous la forme d’un livret accordéon que l’on peut déployer, ces épreuves évoquent la vie privée de la créature hybride. Le titre, 24 h dans la vie d’une chienne, est un clin d’œil à la suite de photographies de Michel Journiac (1935-1995), 24 h de la vie d’une femme

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(1974), pour lesquelles il s’était lui-même travesti en femme. La linogravure est une technique de gravure en taille d’épargne dont la matrice, en linoléum souple, une fois gravée, permet d’obtenir un certain nombre de tirages, chacun requérant un nouvel encrage. De par son moindre coût, sa simplicité de manipulation, l’aspect brut de son entaille, le prix modeste des épreuves, elle est considérée comme un art mineur et populaire. La figure animale est à la fois masque social de l’homme, dans le sens où elle rend compte de situations en société, et bestialisation de la figure humaine, car elle met à jour des attitudes socialement peu flatteuses. Elle suggère l’idée que l‘homme recèle des substrats de comportements animaux. Le masque animal est un vecteur de mise à distance pour mieux démasquer les travers humains.


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La série de linogravures intitulée Corps Accords dévoile une scène d’accouplement d’hybrides. L’image est ici inspirée par le Kama Sûtra, ouvrage didactique illustré consacré au désir du plaisir, en particulier du plaisir sexuel, et à l’apprentissage de l’amour. Il enseigne l’art de la séduction et la maîtrise de l’acte amoureux, mais, si l’ouvrage est connu pour les soixante-quatre postures sexuelles, il faut savoir qu’il s’agit là d’un seul chapitre de ce manuscrit beaucoup plus conséquent qui traite aussi de l’art de vivre, de la musique ou de l’art de la table. Les Sûtras sont l’équivalent des « canons » en Occident, si bien que le Kama, objet d’un savoir très codifié, au départ ouvert à tous, hommes et femmes cultivés ou désireux de l’être, sera contenu à un usage strictement privé par l’Occident. Corps accords est une série de linogravures inscrites dans un format carré. Cet encadrement suggère un aspect codifié et rigoureux néanmoins contrasté par la figure hybride, sujet de débordement. Il s’agit, ici d’une critique de l’académisme et de son

conformisme fondés sur des canons esthétiques et des proportions. Si Corps Accords semble s’en distancier, c’est aussi parce que les figures hybrides illustrées transgressent, par leur forme composite, la mesure, les règles et le modèle. L’hybris se définit en effet par sa démesure, mais aussi par son impureté, le terme signifiant « bâtard, de sang mêlé ». La résonnance symbolique du rouge, couleur chaude, vive et stimulante, a à voir avec la vie. Cette couleur qui ne change pas d’apparence à la lumière artificielle et permet de peindre la nuit agit tel un infrarouge sur ces scènes intimes, nocturnes, qui se dérobent habituellement à la vue. On y voit une sexualité discrète et plutôt sage, car, en effet, il s’agit moins de désigner une mécanique sexuelle que d’illustrer des connivences entre l’homme et l’animal, d’une possible réconciliation entre deux mondes. Telles des fantaisies, comme illustrées par ces accouplements de la mythologie entre humain et animal, Corps Accords évoque une totalité réunissant l’homme et l’animal, au travers d’une zone de contact qui les réunirait dans un même espace, celui du tableau ou de la feuille.

La série 24 h dans la vie d’une chienne découle quant à elle d’une réflexion sur les stéréotypes féminins qui cantonnent la femme dans des rôles, comportements ou attitudes genres univoques. « On ne naît pas femme, on le devient » écrivait la philosophe Simone de Beauvoir dans le Deuxième Sexe en 1949. Parole sage qui nous invite à faire la distinction entre sexe biologique et genre comme construction sociétale. La philosophe aborde les inégalités homme/ femme. De même a-t-elle étudié les mythes de l’éternel féminin — l’épouse, la mère, la prostituée — et montret-elle comment les femmes s’assujettissent elles-mêmes à des existences monotones au lieu de dépasser cet état de fait par le travail et la créativité. Les sources iconographiques de la chienne passant l’aspirateur ou repassant, sont à chercher dans les images publicitaires désuètes des années cinquante. On peut y voir une réflexion sur le statut de la « ménagère » faisant référence au nom donné familièrement à l’épouse qui s’occupe du ménage, en écho au statut unanimement affecté à l’épouse qui s’occupe du foyer. La femme top-modèle ou la

cover-girl évoque quant à elle les photographies de mode vulgarisées dans les magazines véhiculant l’archétype de beauté en vigueur. Si la Pin-up évoque la féminité assumée, la liberté d’une allure sophistiquée, son image est ambiguë. Il s’agit en effet, selon sa transcription de l’anglais, d’une « jeune fille sexy épinglée au mur », particulièrement et appréciablement sexuée. Cela veut dire qu’elle est objet de désir. Elle représente un idéal féminin, celui des fantasmes. Les deux dernières images montrent comment leur statut prête au travestissement. La chienne avec la cravate, accessoire initialement masculin, signifie que cet apparat n’est plus seulement un signe distinctif réservé au sexe masculin. Elle affiche une sorte de travestissement, terme, qui d’ailleurs désigne un déplacement de l’identité par le port d’un vêtement ne correspondant ni aux fonctions ni au genre de la personne qui l’endosse. La chienne poilue, musclée, et donc plutôt virile, renverse ou inverse les rôles : elle se montre nue, sans vêtement ne prétendant à aucune distinction sociale. Elle peut évoquer le statut de la femme libre.

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Si le masque permet de substituer provisoirement une identité à une autre et de créer des associations insolites, l’image peut associer elle aussi, et cette fois-ci dans la filiation du Surréalisme, des éléments inattendus, voire incompatibles, grâce à la pratique du collage. Figurant un enjeu proche de celui du masque, elle participe de la salutaire nécessité du défoulement, comme régulateur individuel et collectif, et d’une critique de la société L’artiste américain William Wegman (1943) met ainsi en scène son chien, un Braque de Weimar nommé Man Ray, en référence au photographe, puis ce seront la chienne Fay Ray et les portées suivantes. Souvent affublés d’accessoires, les chiens, dociles et confiants, sont les protagonistes des fictions photographiques et vidéographiques de l’artiste. La propension de l’artiste à anthropomorphiser les C’est dans l’idée d’une évolution du regard que les images de 24 h dans la vie d’une chienne proposent une identité en mouvement qui n’est pas figée. Ainsi, la chienne fidèle, docile, domestiquée peut se muer en une chienne de garde, libre, forte et virile. La philosophe Judith Butler a travaillé, sous l’angle de la normativité, la question de l’identité sexuelle et celle du genre. Elle évoque ce dernier comme une identité instable, en prise avec les normes au travers de la répétition. Elle prend l’exemple du drag, dont « le travestissement et la stylisation sexuelle […] produit une image unifiée de la femme. […] En imitant le genre, le drag révèle implicitement la structure imitative du genre lui-même — ainsi que sa contingence ». Ainsi, Judith Butler soutientelle l’idée que le genre tient de la parodie voire de la performance. « Il ne faudrait pas concevoir le genre comme une identité stable ou lieu de la capacité d’agir à l’origine des différents actes, dit-elle encore, le genre consiste davantage en une identité tissée avec le temps par des fils ténus, posée dans un espace extérieur par une répétition stylisée d’actes ». Mais c’est aussi par la répétition que 54

plus ou moins virulente selon les contextes. L’un des effets du procédé anthropomorphique est la tournure comique que peuvent arborer les images, mettant en scène des animaux mimant l’homme dans des situations diverses. L’effet comique repose alors sur le transfert d’identité et du comportement propre à l’humain.

animaux, vise ici l’identification de l’homme au chien et viceversa, jouant de la projection aux sens propre et figuré. Le caractère hilarant que ne manque pas de dégager l’application docile des braques mis à contribution se double d’un second degré : l’image en miroir de notre fonctionnement d’être social, apte à la répétition et au dressage. se transforment les normes et les discours. « Il faut donc voir dans la capacité d’agir la possibilité d’une variation sur cette répétition […] c’està-dire d’ouvrir de nouvelles possibilités en matière de genre qui contestent les codes rigides des binarités hiérarchiques. […] Ce n’est que dans les pratiques répétées de la signification qu’il devient possible de subvertir l’identité ». Si par la répétition soumise à variation, à la manière d’une métamorphose, Judith Butler propose de subvertir le cadre normatif des identités, rappelons-nous que les théories du naturaliste et biologiste britannique Charles Darwin (1809-1882) nous ont appris que les espèces se modifient et ne sont pas fixes, car soumises à une évolution dynamique. Pour expliquer les changements qui s’imposent peu à peu au sein d’une population le biologiste propose l’idée de la sélection naturelle selon laquelle les espèces sont profondément conditionnées par leur milieu naturel. S’il conserve des substrats de comportements animaux, l’homme est aussi une créature qui évolue, se transforme, se métamorphose.


Laure joyeux est docteur en Arts plastiques de l’Université de Bordeaux Montaigne dont la thèse intitulée « Les animalités de l’art, modalité et enjeux de la figure animale contemporaine et actuelle » a été soutenue en 2013. Artiste plasticienne et professeur d’arts plastiques, elle anime l’association Dérives Singulières qui propose des expositions thématiques. Sa pratique, plurielle, est formée par l’assemblage de radiographies humaines et animales qu’elle découpe, coud et brode, et de la linogravure qu’elle réalise le plus souvent à travers le prisme des animalitudes : « Avec la linogravure, je présente des animalitudes ou, à l’inverse, des hominitudes, des hommes hybrides se conduisant comme des

animaux ou des animaux se conduisant comme des hommes. Les limites entre homme et animal sont outrepassées, les deux territoires se confondent. Les figures ainsi doublées de l’homme et de l’animal se soudent, se mêlent et fusionnent. Je soulève la question de la place de l’animal dans nos sociétés, de sa relation avec l’homme et celle de sa multiplicité iconographique. Je développe une réflexion autour de la représentation et présente mon ouvrage sous la forme d’une exploitation sérielle grâce à la pratique de la linogravure. L’image est une réplique du réel, sujette à de multiples transformations, à de nombreuses métamorphoses ».

Page 50 : Miroir, Miss, Ménagère, linogravures Page 51: Cover Girl, Ménagère, linogravures Page 52: Kama3, Miss, linogravures Page 53: Kama1, Kama2, linogravures Page 54: Travestie, Pin-up, linogravures Page 55 : Virile, linogravure

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Vitalia Samuilova Vitalia Samuilova est née en 1985, à Vilnius en Lituanie. Diplômée de scénographie à l’Académie des Beaux Arts de Vilnius et de l’école de Marionnettes de Turku (Finlande). Elle travaille avec la Cie Smash Théâtre, le Théâtre de marionnettes de Bialystok (Pologne) et Anna Ivanova-Brashinskaya. Parallèlement à son métier de comédienne, Vitalia développe un art plastique fort, sans concessions.

« Il y a une grande envie de faire, de s’imprégner, de noter, de dessiner, de se souvenir, d’imaginer, de regarder,d’imprimer, d’inventer, de parler, de lire, de rire, d‘aimer, de batailler... Je dessine depuis toujours, à Vilnius en Lituanie où je suis née, j’ai fait de la scénographie et des marionnettes mon métier. C‘est les images qui me passionnent. Au théâtre, je les montre et je les partage pour mieux capter les moments , dans les gravures et les dessins figés je cherche le mouvement...Le mouvement entre le cri et le rire, entre la chute et la danse...”

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Crier et rire. Ils essayent de pousser plus loin le bord de la falaise En riant sans mépris Comme des princes de l’absolu En riant de leurs tripes jamais assez longues pour dire ce qu’ils pensent En criant les cadavres égorgés une seconde fois En riant de n’avoir assez d’yeux pour les rougir au sang, assez de peau à arracher, assez de têtes pour leurs vertiges, assez de bouches à tordre. En criant l’intimité bridée de leurs souvenirs abominables Applaudissons et sifflons au hasard. Ils essayent de pousser plus loin le bord de la falaise Mais certains jours des pans entiers s’écroulent et le vide est là, au bout de leurs pieds. Ils peuvent courir vers tous les feux allumés, le monde est vieux, à nouveau. Quand la lumière s’éteint, ils peuvent se reposer et oublier l’étendue du monde qui n’est qu’un bouquet rageur.

Emily Barbelin

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Pages 55 et 56 : Les gens, pointe seche sur zinc Pages 57 et 58 : Champs, eauforte, point seche sur zinc Pages 59 et 60 : La foule, pointe seche sur zinc, 27X26cm

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Mathilde Seguin

Depuis une dizaine d’années, mon travail explore la ville : l’espace créé par ses architectures, les possibilités de déambulations qu’elle offre et la manière dont la pensée peut évoluer lors de ces promenades (chaque élément croisé au hasard d’un parcours étant à même d’influencer nos idées). C’est cette pensée vagabonde que je cherche à restituer à travers ma série de travaux constituant l’exposition « Des vues ». Cette installation est composée de motifs de rues, de façades d’immeubles et de fenêtres tirées de différentes villes. Ensemble, ces motifs forment une cité à part entière : certains éléments du paysage sont visibles, certains ne sont que suggérés et d’autres ne sont plus du tout présents (existent-ils encore ?). C’est au spectateur de deviner, d’imaginer le reste, de reconstituer les morceaux, de définir sa propre ville, enrichissant ces images de ses propres pensées. Le paysage urbain a évolué avec le temps, les façades ont subi les incidences de l’histoire, l’individu est déterminé par cet environnement. Dans ce contexte, seule la fenêtre est un espace libre et ouvert sur le paysage. Grâce à elle, nous pouvons agir sur l’extérieur. Les décors (plantes, voilages, stickers...) déposés sur ou autour des fenêtres nous permettent donc de fabriquer un paysage, celui par lequel nous regardons la ville et celui dont nous sommes vus de la rue. Comment l’histoire et la physionomie des cités Des vues. depuis 2006

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ont influencé leurs habitants ? Comment ces habitants agissent au quotidien, du haut de leur fenêtre, sur leur quartier, sur leur ville ? « Des vues » est composé de sérigraphies, de gravures (taille douce, linogravure), d’impressions numériques, de moulages... autant de techniques du multiple qui permettent de reproduire les images

et des formes comme nous reproduisons des bâtiments.


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Des Vues — Mathilde Seguin Texte de Catherine Charlier « Celui qui regarde du dehors une fenêtre ouverte ne voit jamais autant de choses que celui qui regarde une fenêtre fermée » Baudelaire. Si je pouvais redécouvrir le travail de Mathilde Seguin, j’aimerais que ce soit par hasard, au détour d’une rue que je connais, que j’ai arpentée mille fois sans bien la regarder, sans bien lever les yeux du bout de mes pieds. Ce serait une façade et sur cette façade, une fenêtre qui n’a rien à faire là. Un fragment d’architecture comme un point d’interrogation, qui oblige le flâneur à s’arrêter un instant. Un fragment d’architecture impromptu qui vient questionner tout l’ensemble. Mathilde Seguin utilise la photographie pour créer des bâches qu’elle pose sur les façades de bâtiments publics ou d’immeubles d’habitation : une fenêtre d’appartement remplace celle d’un hôpital, du linge sèche sur la façade d’un bâtiment public. Les espaces publics et privés se rencontrent, se combinent. Le flâneur explore les rues à la recherche d’autres étrangetés. Il scrute, examine, sourit puis passe son chemin. Non, ces géraniums n’ont rien à faire là. Son travail ‘ Des Vues’ a débuté en 2005 et, outre ces installations, rassemble plusieurs expositions et éditions. Au centre, le paysage urbain sans cesse questionné, démonté, remonté. La ville rêvée par Mathilde Seguin est faite de lignes

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de toits, de cheminées, d’antiques antennes TV. Elle est faite d’errements, de surprises, de contrastes. Les perspectives des gravures sont noires et grises, les maisons de ciment blanc ont laissé une trace sur les murs avant de disparaître. Des façades venues de différentes villes se rencontrent et se combinent en un paysage urbain inconnu. Mathilde Seguin change de modus operandi, utilise des techniques différentes (métal, gravures, objets, papiers peints…) et réussit à toujours surprendre celui qui regarde. Son catalogue de papier peint est peut-être le point d’orgue de ce travail. Il se présente comme l’instrument d’un VRP insensé qui proposerait de quoi recouvrir les murs avec le paysage urbain de son choix. Un décor utopique. Une ville à coller. Nous voyons défiler, au fil des pages, des villages fleuris et des villesmusées, des banlieues et même le plan d’une cité idéale. En noir, en gris, avec des tampons, déclinés. C’est une somme incroyable, à la fois dans la maîtrise des techniques, mais encore dans l’obstination à déboulonner nos représentations. En ce sens, ‘Des Vues’ est bien une utopie. Le meilleur lieu et celui qui n’existe pas.


Prise de vues Texte de Eva Prouteau Des Vues : ainsi Mathilde Seguin a-t-elle intitulé le projet polymorphe dont elle déploie les ramifications depuis 2006. Ce titre, neutre, modeste et générique, résonne comme une invite à voir, et même observer la ville avec la minutie d’un védutiste italien : plus vastement, il permet à l’artiste de mener une réflexion sur l’expérience de l’espace — intérieur comme extérieur. Lorsque Mathilde Seguin introduit perturbation et modulation dans l’espace public, ou lorsqu’elle manipule les volumes et silhouettes propres au vocabulaire architectural, c’est aussi le rapport au corps — de l’habitat, de l’habitant — qu’elle met en lumière. Et en corollaire, une typologie de modèles politiques et sociétaux. Dans les rues de Pontmain, de Gorron et d’Ambrières-les-Vallées, huit photographies de fenêtres imprimées sur bâche échelle 1 sont tendues de manière à recouvrir chacune une fenêtre existante, au sein de la façade qu’elles viennent déranger. Espace esthétique, poétique et symbolique, la fenêtre raconte beaucoup de choses : en histoire de l’art, elle incarne la définition du tableau (Livre I du Della Pittura d’Alberti), au quotidien elle joue le rôle d’interface entre l’espace du dehors et celui du dedans, entre exhibition et dissimulation, entre partage et réclusion. Mathilde Seguin mixe ces fragments d’architecture dans la tradition des peintres muralistes dont les fresques en trompe-l’œil réinventent les bâtiments qu’elles ornent. Sur le centre d’art, l’artiste greffe une fenêtre avec sa traditionnelle « jardinière de géranium », kitsch et opulente brassée de fleurs rouge vif qui dénote avec la sobriété

du bâtiment ; là, elle installe la photographie inondée de soleil d’une porte-fenêtre avec balcon fleuri sur la façade d’une maison inhabitée, terne et vétuste ; ailleurs, une ouverture saturée de linge qui sèche, ou le décrochement d’une embrasure de granit sur une façade de ciment crépi… Ces interventions lui permettent de révéler l’édifice dans son ensemble, la monotonie un peu triste d’une maison de retraite ou la rigueur d’une administration… Partout ce sont des a priori qu’elle questionne, des attentes architecturales ou sociologiques qu’elle déjoue. Par ailleurs, Mathilde Seguin dévoile une ville façonnée par ses habitants, eux-mêmes formatés selon certaines modes ou coutumes normatives : plutôt que la diversité et l’inventivité, l’élan décoratif rejoint souvent l’invariant conforme et les poncifs floraux… Audelà des désorientations du regard qu’elle propose, l’artiste élabore sur ce point une pensée modulaire — celle d’un paysage urbain décomposable et réorganisable, dans la répétition. D’autres indices de cette approche parsèment l’exposition présentée à Pontmain : le petit Taquin glissé dans un coin, puzzle coulissant où le visiteur peut interchanger des styles de fenêtres et recomposer à loisir « sa » façade éphémère ; et au mur, un moulage sur plaque de lino réalisé en céramique, dont le motif évoque les quartiers pavillonnaires, très répétitifs, aux codes architecturaux dupliqués, ou les systèmes alvéolaires uniformisés, proches d’une marqueterie décorative. Se repose alors la question de la singularité dans le collectif : Des Vues , entre ressemblance et dissemblance, suggère un patchwork qui vaut pour sa mixité autant que pour ses invariants.

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Dans l’exposition, une autre installation s’appuie sur la simplification générique des architectures et approfondit cette même réflexion : intitulée Des vues, En façade — Pontmain, elle articule diverses silhouettes de bâtiments voisins du centre d’art, que Mathilde Seguin a photographiées, puis détourées et épurées. Déclinées en volumes monochromes (des sculptures de plâtre couleur naturelle) ou en aplats gris foncé directement sérigraphiés au mur, l’ensemble dialogue en va-et-vient, entre sol et support vertical, à l’échelle de la main et de l’intime. Ce format maquette accentue la métamorphose du réel si proche, juste au-dehors : le tissu urbain devient virtuellement manipulable, l’abstraction latente des volumes stimule l’imaginaire, et les aplats gris agissent comme des ombres qui dématérialisent la présence pondérable de ces fragments d’architecture. À la ville familière, vient se substituer un espace plus fantasmagorique, recomposé et recomposable à l’envi. Selon un principe similaire, une seconde ville est mise en scène dans la salle attenante : Blois, où Mathilde Seguin a sélectionné puis décontextualisé certaines architectures, dont les formes extrudées semblent tout droit sortir du mur. En écho, leur double sérigraphique trace les contours ciselés d’un théâtre d’ombre, cartographie d’une cité générique, familière, car mille fois croisée, mille fois contemplée. Entre le même et l’autre, l’artiste répertorie à nouveau un inventaire de formes contraintes, où la notion de choix et de singularité est toute relative. Non loin, elle confirme cette pensée de la ville multiple, avec un ensemble de sept sérigraphies qui samplent aléatoirement des échantillons de Fougères, Rennes, Lyon… Ce long panoramique, dont les plans s’étagent en dégradés de gris, reprend le principe de la perspective atmosphérique : une lente décantation chromatique, canopée embrumée qui entraîne le regard vers l’horizon lointain. Succession de lignes de toits anguleuses, d’escarpements de clochers ou de cheminées dressées vers le ciel, ce paysage composite prolifère, emblématique de l’idée de ville que chacun porte en soi dans nos contrées.

Comme on rencontrerait les personnages d’un roman, on y croise la Ville patrimoine et tradition, figée dans sa bulle temporelle pour satisfaire aux exigences du tourisme, où la vraie vie est en tous points semblable à la carte postale qui la représente, au détriment des habitants qui l’occupent ; la Ville fleurie, en permanente compétition de « balcons géranium », qui disparaîtrait presque sous la surcharge décorative ; mais aussi la Ville cubes, réminiscence de Chapi Chapo et des cités d’enfants, qui avec quatre

Kapla construisent à l’infini ; ou encore la Ville route, qui ressemble par certains aspects à Pontmain, dont la départementale sectionne tout droit le tissu d’habitations, traitées dans ce catalogue façon Toile de Jouy. Au fil des pages et des topos urbains, les papiers varient, lisses ou gauffrés, épais ou découpés, pour servir les représentations de ces différents « cadres de vie ». Parmi ceux-ci, un motif arrête le regard : à la fois très abstrait, carcéral autant que décoratif dans l’esprit des frises modernistes, il combine les plans de différentes architectures — le Phalanstère de Charles Fourier, le Familistère de Guise, et la Saline royale d’Arc-et-Senans de Charles Nicolas Ledoux. Synthèse de visions utopiques qui ont connu des fortunes diverses, ce motif est un bel emblème du travail de Mathilde Seguin : un imaginaire indissociable du champ décoratif, où la ville rationnelle vaut comme terrain de jeu, traversé de pulsions de liberté et d’outils de contrôle — un espace appropriable, où la vie collective doit sans cesse se réinventer.

Cette idée de ville, Mathilde Seguin la diversifie encore sous la forme d’une très riche édition présentée dans l’exposition. Depuis plus de deux ans, l’artiste travaille à ce recensement de typologies urbaines : l’ouvrage est réalisé entièrement en sérigraphie, et imite à merveille un catalogue de papiers peints. 67


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Mathias Martinez

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Dans une maison abandonnée, j’ai découvert un carnet de notes anonyme renfermant une liste de films qui s’étale de 1920 à 1964 et riche de milliers de noms, tous répertoriés par ordre alphabétique, et annotés par l’auteur. Par l’usage de la gravure, mon projet cherche à mieux faire revivre la matière de ce carnet anodin et intime, qui symbolise à lui seul une mémoire collective liée au cinéma. L’aquatinte et ses qualités de grains expriment graphiquement l’univers des films de cette époque. Ce projet entre en résonnance avec ma propre passion pour le cinéma, qui croise celle du détenteur de ce carnet. En effet, par la découverte de cette liste, j’ai pu voir de nombreux films d’une époque révolue. Ainsi j’ai pu m’imprégner des souvenirs d’un autre

à travers sa cinéphilie et recréer une narration qui m’est propre en utilisant des scènes des films que je recompose. Je reprends dans cet ensemble des lumières et des mises en scènes propres aux studios de photographies des stars, tels Harcourt ou Teddy Piaz, qui donnent un aspect d’autant plus lissé aux sujets qu’ils les mythifient, afin de les figer à jamais dans un inconscient collectif. Ce projet, présenté lors de mon passage du diplôme de graveur, a fait l’objet d’une exposition dans mon école, l’École Estienne, en juin 2015.

Mathias Martinez est né en 1993 Il vit et travaille à Neuville sur Oise, en région Île-deFrance.

Il est passionné par l’histoire des arts forains et le cinéma américain de l’ère du code Hays (1934-1967). Toutes les gravures ont 10X7cm et ont été réalisées à l'aquatinte, pointe sèche, et à l’eau-forte.

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HÊlène Batista Habbots

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1974, Hélène Bautista Habbot naît à Rodez (Aveyron), et n’y reste que très peu de temps. Toulouse et la région toulousaine, c’est jusqu’à 1994, année où elle s’échappe au Québec pour achever son parcours universitaire de Lettres modernes par une Maîtrise en Littérature comparée. Elle y mène des recherches sur l’écriture poétique et sur l’écriture « de la folie ». De retour en France, elle conclut le tout en 1996 par l’Agrégation de Lettres modernes : littératures et langages, des mondes qui l’interrogent et qu’elle interroge, sans cesse. Et pendant tout ce temps-là elle ne cesse de dessiner, pour elle, pour les autres… ... Jusqu’à ce qu’en 2013, elle se décide enfin à faire une vraie place à ce besoin permanent de créer des images et entreprenne de se reconvertir professionnellement : le monde de l’encre toujours, et des images, mais en passant par les images visuelles pour dire les images verbales, pour jouer avec les sens, le sens visuel, et les sens propres, figurés, voire défigurés....

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Habbot's Illustrations Très vite, elle choisit de se consacrer à l’art de l’illustration, au sens noble, profond, celui qui permet de démultiplier les chemins de l’imagination. La gravure s’impose, comme une évidence. Certainement en raison des liens étroits que la gravure entretient avec la littérature, et parce qu’il y a, toujours, ces souvenirs de livres d’enfant ainsi illustrés. Habbot’s se sait l’héritière de tout cela, dans son amour de la littérature et des livres. Il y a, ancré en elle, ce désir de dire en images les textes, d’en renouveler le sens, les sens, et l’idée que l’illustration ne doit pas s’adresser qu’à un public d’enfants. Créer, proposer des « livres d’images » pour adultes, et proposer des images qui n’accompagnent aucun texte, mais ouvrent en elles-mêmes à une histoire. Un premier projet commence à naître, il l’occupera pendant deux ans, de l’écriture du texte, une parodie délirante des aventures de Sherlock, à la publication. Le texte existe et les images vivent dans son esprit, mais c’est la rencontre un peu fortuite avec la linogravure qui va lui permettre de réaliser ce livre : « Sens Dessus Dessous » paraît en 2015, et à travers ce travail, Habbot’s Illustrations a découvert le médium artistique qui lui est devenu le plus cher : la gravure en taille d’épargne sur linoléum. À travers la linogravure, Habbot’s Illustrations trouve sa tonalité, son registre graphique propre : souvent un peu grinçant, fortement contrasté, « toujours un peu inquiétant » lui a-t-on souvent dit. Elle l’entend, le reconnaît bien volontiers, et en sourit. Inquiéter, c’est ne pas laisser tranquille, c’est interpeller. Elle ne veut pas laisser tranquille. Bousculer, au moins un peu, par un élément inattendu, comique ou poétique, de manière à provoquer l’imagination, à lui offrir un tremplin. De manière un peu paradoxale, c’est dans ce travail de taille d’épargne qu’Habbot’s Illustrations trouve le plus de spontanéité. Travail de la matière, autant si ce n’est plus que du trait, dont elle se libère peu à peu, faisant confiance aux gestes, aux sensations de la gouge qui creuse, vrille, tourne, ripe. Savourer l’idée que l’image va naître des vides. Trouver là l’expressivité, en jeux de cadrages, en composition avec tirages fantômes, mais surtout en explorant sans relâche les tensions entre noir et blanc, denses, intenses.. Publications, disponibles sur TheBookEdition.com : « Sens Dessus Dessous », H.Bautista, 2016 « Le Prince qui ne voulait pas porter de collants », H.Bautista, 2016

Site Web : helenebautista.weebly.com FaceBook : Hélène Bautista Habbot's Illustrations Contact : ha.habbot@noos.fr 76


Page 74: Funambulando by Night2, linogravure Page 75 : Nautilus, linogravure Page 76: Triptyque In Wonderland, linogravure Page 77: “Lino”, linogravure

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Safet Zec Cet automne, le Musée de l’Hospice Comtesse a exposé les dernières créations de l’artiste bosniaque Safet Zec. Les œuvres présentées, réalisées pour l’essentiel après 2000, dévoilent quinze années de réflexion et de passion autour de l’art de peindre, de figurer le réel, de restituer le monde avec profondeur et intensité. Exposer près d’une centaine d’œuvres de cet artiste au Musée de l’Hospice Comtesse s’est révélé comme une évidence tant l’hospitalité de cet ancien hôpital médiéval semble faire écho à l’humanité qui émane des toiles de Zec. La fragilité même de l’existence, le désir puissant d’exprimer la vie y trouvent alors toute leur mesure. Dans la salle des malades du musée, l’art de Safet Zec se fait tout d’abord monumental à l’image de ses façades vénitiennes et de la série, douce et mélancolique, des barques. Son art se concentre aussi sur des détails et des objets familiers comme les chaises, les tables d’atelier - son atelier à Venise, où tout le travail s’ordonne et se met en place, est reconstitué au cœur de l’exposition -. Et, surtout, il est sublimé, par la succession des drapés, des étreintes, des plis et des blancs, l’expression du blanc, un blanc dévoilé, accepté comme thème dans toute sa singularité. La rencontre avec la chapelle attenante a inspiré à Zec la création d’une œuvre pour cette exposition lilloise, une toile grand format, qui rejoint son goût pour la composition forte et la présence tangible de l’homme. La dernière salle d’exposition, plus intime, propose un parcours autour des gravures à la pointe sèche ou à l’eau forte ainsi que les toiles de petits formats et les carnets d’étude de l’artiste. Ce cheminement intérieur dans l’œuvre de Zec amène à toucher plus précisément la vie créatrice et les tourments de sa recherche artistique. Et aussi à entrevoir les figures auxquelles il s’adresse avec admiration et talent, celles des Antiques avec la Victoire de Samothrace et celles de Michel-Ange, Léonard de Vinci, Mantegna, Rembrandt, Bacon… Le Musée de l’Hospice Comtesse vibre et se révèle autrement sous l’œuvre et le regard d’un Safet Zec traversé par la vie.

Exposition présentée du 12 octobre 2016 au 5 février 2017 au Musée de l’Hospice Comtesse 32, rue de la Monnaie - 59000 Lille Tél 03 28 36 84 00 Tarifs : 5€/4€ / Exposition + collections permanentes : 7€/6€ / Gratuité : - de 12 ans www.mhc.lille.fr 78


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La gravure comme la mine [estampes, carnets et études] Pour Zec l’essentiel est de savoir toucher et aborder les matériaux. Il travaille alors tous les jours et change régulièrement de thèmes, de formats, de techniques : petits formats, esquisses, essais, croquis, toiles de 2 m. Il passe de la tempera à l’huile, du dessin à la gravure. Des dizaines et des dizaines de variations sur un même thème abandonné puis repris. Les gravures comme les peintures de Zec sont structurées en longs cycles infiniment studieux qui explorent une série déterminée de motifs de nos univers familiers. Après la guerre, il enlève la couleur et se concentre sur le noir pour enlever « la beauté ». Il retrouve une identité plastique au travers de la gravure et de l’encre noire dans l’imprimerie de son ami, Corrado Albicocco. Et en 1999, Zec commence à travailler d’après La Pièce aux cent florins de Rembrandt, cette œuvre, une eau forte, rencontrée à l’âge de 15 ans qui fut l’un de ses premiers ravissements et aussi l’un de ses plus grands défis. Dans les estampes de Zec, les traits sont énergiques et instinctifs, proches du geste du dessin notamment avec la technique du vernis mou, le ceramolle, mais aussi celles, plus rigoureuses et cérébrales de l’eau forte et de la pointe sèche. Atmosphère et précision se dégagent des tirages contrastés de ce peintre-graveur : les noirs sont souvent profonds et veloutés, les ombres marquées. Zec peint comme il dessine, dessine comme il peint, grave comme il dessine, … Et il dessine d’abord dans des carnets. Ce sont d’épais carnets reliés de toiles noires. Et chacun d’entre eux est une manière de journal d’ébauches, d’essais. Pages datées. Ce sont des esquisses, des variations sur un même thème repris, repris encore. Et le thème peut avoir été donné par une carte postale, par une photographie découpée dans un quotidien, une revue, par un dessin. Ce sont des traits serrés à la mine de plomb. Ou de la gouache, mate, opaque. De pages en pages, les techniques s’imbriquent.

Textes inspirés par les écrits de Pascal Bonafoux et Domenico Luciani.

page 78; Maison de pierre avec cour I, 2007, eau-forte et pointe sèche, aquarelle et crayons, 100 × 130 cm page 79: Chaise avec drap, 2003, vernis mou et pointe sèche, 93 × 77 cm page 80: La chambre de ma mère, 1994, eau-forte et pointe sèche, 100 × 137 cm page 81: Hommage à Tina Modotti, 2003-2005, vernis mou et pointe sèche, 64 × 49 cm

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Atelier de gravure Zec, 5 rue Alphonse Baudin, 75011 Paris www.safetzec.com 81


Anima Mundi, l’âme du monde résonne au Cellier Monographie de la graveuse rémoise Céline Prunas du 13 janvier au 5 mars, à Reims L’exposition Anima Mundi de Céline Prunas proposée par la ville de Reims au Cellier se déroule du 13 janvier au 5 mars. Céline Prunas, plasticienne, diplômée de l’Ecole Nationale Supérieure du Paysage de Versailles, lève le voile sur 18 mois de travail mené à la friche artistique La Fileuse, sur un univers saisissant, poétique, aux frontières de la mythologie. La linogravure déploie toutes ses aspérités pour ouvrir le champ d’une exploration inédite sur les liens entre l’Homme et la Nature.

L’artiste navigue entre tradition et expérimentations de formats, de couleurs, de textures et de transparence. Sous les caves voûtées du Cellier, environ 35 œuvres sont exposées sur plus de 450 m2. L’exposition est construite comme un moment de partage. En plus des impressions (œuvres terminées encadrées), les photographies de Jasmi Wargnot, qui a suivi l’artiste pendant son processus de création, et quelques matrices de lino mettent en lumière les gestes de la graveuse et les coulisses de son travail.

Céline Prunas est une jeune artiste plasticienne rémoise, issue d’un parcours mêlant histoire de l’art, arts appliqués et formation de paysagiste. Depuis deux ans, sa découverte de la gravure, qui permet un échange entre image et matière, a profondément marqué son travail. Elle a exploré ce processus de création lors d’une résidence de recherche à la Fileuse, friche artistique de la ville de Reims, en 2014. Des graveurs rémois lui ont ouvert les portes de leurs ateliers (la typographe Nicole Pérignon, la graveuse Maud Gironnay, l’association Aqua Forte…) et l’histoire a ainsi pu continuer. Céline Prunas livre sa première exposition monographique tirée de son travail en gravure (linogravure, gaufrage, monotype et bois). Céline Prunas est née en 1988 Elle vit et travaille à Reims, en France. www.celineprunas.wixsite. com/book Entrée libre et gratuite du mercredi au dimanche de 14 h à 18 h Détail «Penseur-Gorille» 12/20, 80 x 60 cm, Linogravure / papier Velin BFK Rives 280g , 2015 - 2016 «Homme-Lion» 7/20, 50 x 40 cm Linogravure et pointe sèche sur Rhénalon/ papier Velin BFK Rives 280g, 2015 - 2016 “ Su reposu” 1/20, 60 x 80 cm Linogravure / papier Velin BFK Rives 280g, 2016

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Boxes in Transit L’installation sérigraphique « Boxes in Transit » fait une escale à l’Espace Beau Site (Arlon-Belgique) dans le cadre de l’exposition intitulée « Terrain de jeux ». À cette occasion, les Editions K1L présentent un livre consacré à l’œuvre de Frederik Langhendries, qui a remporté plusieurs prix. Fasciné par l’omniprésence massive et colorée des empilements de conteneurs dans les ports, l’artiste a conçu une installation ludique de boîtes en carton, dont les parois sont inspirées des inscriptions et des empreintes laissées par les voyages des mastodontes de métal. Édition de luxe limitée à 200 ex. numérotés et signés. Préfacé par Elisabeth Mathieu, présidente et directrice artistique de la BIECTR. Imprimé sur Biotop 160 gr., 64 pages, dos ouvert, couverture avec embossage à sec.

info:frederik.langhendries@gmail.com Disponible à la boutique du Centre de la Gravure de La Louvière, Galerie K1L, Jodoigne et Livre et Art, Louvain-La-Neuve/Belgique

Commandez le livre au prix exceptionnel de 18€ jusqu’au 15 mars

Exposition : www.espacebeausite.be

Après la Mort, après la Vie

Court-métrage d’animation – 14’ – vo fr – st en Contient : 1DVD, 1 livret, 2 badges, prix: 20€ Contient : 1DVD, 1 livret, 2 badges, 1 gravure originale d’Olivier Deprez, p ​ rix: 50 € Le Docteur A et l’Infirmier O, deux

insomniaques avérés, se cherchent dans le décor fantomatique d’une ancienne caserne. Ils combattent la nuit avec leurs armes : la gravure sur bois et le cinéma. Produit par l’Atelier Graphoui & La “S” Grand Atelier. Avec l’aide du Centre du Cinéma et de l’Audiovisuel de la Fédération WallonieBruxelles. Disponible Galerie K1L, Jodoigne/ Belgique http://www.k1leditions.com/librairie-ettirage-de-tecircte.html editions.k1l@gmail.com

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© Kollektiv Tod

Tarifs 2017 Belgique

un an /4 numéros, un Hors Série Gratuit, frais de port compris.

Europe Canada (hors Belgique)

100

120€

Abonnement,

Belgique

Europe Canada (hors Belgique)

300€

320

Abonnement,

un an /4 Tirages de Tête (revue+gravure, dans un emboitage), un Hors Série Gratuit, frais de port compris.

170

370€

Pour vous abonner, il vous suffit de virer le montant sur le compte: 84 0634 5514 6970 BE60 BIC:GKCCBEBB avec en communication: Abonnement à l'Actuel de l'Estampe, votre nom et votre adresse


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