2014
EDITORIAL Les sociétés scientifiques et techniques, héritières modernes des sociétés savantes Alain Brenac
Numéro
3
ÉNERGIE
ENTRETIEN AVEC Yves le Mouël Le paysage français des Telecoms vu par les opérateurs
TELECOMMUNICATIONS
DOSSIERS
SIGNAL
COMPOSANTS
AUTOMATIQUE
INFORMATIQUE
Cette aperçu gratuit permet aux lecteurs ou aux futurs lecteurs de la REE de découvrir le sommaire et les principaux articles du numéro 2014-3 de la revue, publié en juillet 2014. Pour acheter le numéro ou s'abonner, se rendre à la dernière page.
ISSN 1265-6534
L'ARTICLE INVITÉ
L’Union pour l’innovation 2014-2020 peut-elle contribuer à une ré-industrialisation ? Par Michel Gaillard
www.see.asso.fr
EDITORIAL
L
a REE est l’organe principal de diffusion de la SEE, l’une de nos illustres « sociétés savantes », selon l’expression consacrée. Ce vocable qui fleure bon son 19e siècle, évoque irrésistiblement de doctes assemblées de sommités portant barbiches ou favoris et discutant des mérites de leurs théories scientifiques respectives. Le concept de société savante a-t-il la même signification au 21e siècle ? Peut-on continuer à utiliser cette expression un peu pompeuse dès lors que nos sociétés ne se préoccupent plus uniquement des progrès de la Science mais œuvrent aussi à en diffuser les résultats les plus marquants pour les mettre plus vite à la disposition du monde économique ? Plutôt que d'employer le terme de « savants », qu'on ne saurait attribuer qu'à une fraction très limitée de la population de nos communautés, il faudrait plutôt parler plus modestement de « sachants », terme malheureusement galvaudé par les thuriféraires d'une révolution jargonnante de l'Education. C’est donc dans la confrontation et la synergie entre « ceux qui savent » (dans les matières scientifiques ou techniques) et « ceux qui savent tirer parti » des informations transmises par les premiers pour les transformer en innovations, que réside la véritable mission d'une « société scientifique et technique » (SST) telle que la SEE. Certes on pourrait objecter que la mondialisation aidant et le nombre de structures analogues se multipliant dans l'écosystème national, il est de plus en plus difficile pour chacune de nos sociétés, souvent dépositaires d'un passé glorieux, de demeurer un acteur reconnu des forces qui comptent dans le pays, en un mot « d’exister » tout simplement. De surcroît l'avènement d'Internet et la mise à disposition généralisée auprès de tout un chacun des connaissances les plus pointues, via des outils tel que Wikipedia, a porté un rude coup à la façon traditionnelle de nos sociétés de fonctionner en les obligeant à reconsidérer leur rôle en profondeur. C’est-à-dire non plus
ALAIN BRENAC
dispenser d’en haut des savoirs scientifiques rares mais plutôt dégager d'une masse de données foisonnante et sans cesse croissante, les analyses les plus pertinentes pour aider l'homme de l'art à comprendre l’essentiel des évolutions de son métier. Malgré ce constat, à première vue pessimiste, il y a de bonnes raisons de croire à un nouvel essor des SST pour trois raisons (au moins) et sous trois conditions. Les trois raisons : s L'irremplaçable rôle national des SST : malgré la globalisation du monde économique, il reste aux SST une place et un rôle essentiels à jouer pour représenter leurs communautés au niveau national et international. Chaque pays a ses spécificités à défendre en matière de recherche et de développement technologique et ses créneaux porteurs en termes de politique industrielle. s Une SST est un territoire « neutre » : c'est un cadre privilégié pour mener des réflexions stratégiques au plan national dépassant les simples « feuilles de route » de nos industriels ou de nos laboratoires de recherches. En leur sein peuvent s'élaborer des stratégies au service de nos concitoyens sur des thèmes sensibles. L'expérience originale de montage d'un « Cercle des Entreprises » par la SEE avec les industriels et opérateurs de services dont elle est proche, tire clairement parti de ce concept « d'espace de neutralité » qui permet à des concurrents d’échanger sur des problématiques communes parfois très sensibles, dans un climat de confiance. s La mission auprès des jeunes : la désaffection des jeunes gens pour les disciplines scientifiques et techniques n’est pas seulement le triste apanage de la France mais ce désamour y sévit particulièrement. Celui-ci doit être analysé, compris et combattu avec vigueur par une action de sensibilisation en profondeur dirigée vers les jeunes générations. Il y va de l'avenir et de la prospérité du pays dans
REE N°3/2014 1
les décennies à venir. Les SST ont là une mission impérieuse à remplir en liaison avec les établissements d’enseignement les plus dynamiques œuvrant dans leurs communautés respectives. Les trois conditions : s Lutter contre la dispersion des efforts et le morcellement des structures. Le président d’une Académie réputée nous posa un jour cette question toute simple : pouvez-vous me faire une cartographie des « sociétés savantes » actives dans votre domaine ? Quelques mois après la question, les « cartographes » sont toujours au travail et on découvre chaque jour une nouvelle « terra incognita ». Le paysage constitué des multiples associations, pôles d'excellence et autres se revendiquant chacun comme le seul représentant habilité de sa communauté, est devenu tellement complexe, voire illisible, que la question est restée sans réponse claire. Il importe donc de mettre de l’ordre dans l'écosystème, de définir sans ambiguïté les missions de chacun et mutualiser les moyens chaque fois que c’est possible. C’est dans cet esprit par exemple qu’a été créée la Fédération des Sociétés savantes (F2S) qui vise à coordonner les objectifs et les moyens de Sociétés comme la SEE (Electricité, Electronique, TIC), la SFP (Physique), la SFO (Optique) et la SFV (Techniques du Vide). s Impliquer davantage les pouvoirs publics : Pour parvenir à cette remise en ordre indispensable, l'implication des pouvoirs publics est nécessaire. Malheureusement le potentiel d’entrainement que représentent nos sociétés auprès de nos communautés est le plus souvent méconnu de la plupart des ministres et
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de leurs cabinets ou des responsables de collectivités territoriales. Or une articulation coordonnée des efforts de nos SST avec les politiques mises en place par les pouvoirs publics permettrait de produire un effet de levier dont on se prive souvent en vue de promouvoir la diffusion des connaissances, sensibiliser la population aux apports de la science et de la technologie et favoriser la création d’emplois scientifiques et techniques, source des richesses de demain. s Entretenir des relations suivies avec les structures homologues des SST françaises à l'étranger. Comme en France, les SST étrangères connaissent peu ou prou près les mêmes difficultés de fonctionnement et pas uniquement d’ordre financier. Certes la crise est là qui rend partout les ressources toujours plus rares et les adhérents plus difficiles à conquérir. Mais les modèles de fonctionnement d’importantes SST comme IEEE aux Etats-Unis, VDE en Allemagne ou IET au Royaume Uni, peuvent nous inspirer des solutions inédites grâce à un échange bien compris de « bonnes pratiques ». De plus ces échanges doivent être l'occasion pour nos SST d’affirmer le positionnement de la France à son juste niveau dans le concert européen, voire mondial. Ne nous renfermons pas dans notre « pré carré », ouvrons les fenêtres, proposons notre pays pour héberger les congrès et conférences de premier plan, accueillir les chercheurs étrangers dont nous avons besoin ou encore promouvoir les contributions scientifiques françaises dans les programmes de recherche internationaux. Alain Brenac Membre Emérite de la SEE Secrétaire Général de la SEE
sommaire Numéro 3
1
EDITORIAL Les sociétés scientifiques et techniques, héritières modernes des sociétés savantes Par Alain Brenac
p. 1
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SOMMAIRE
6
FLASH INFOS
7 8 10 12 12 13
Amélioration du signal sur bruit d’un microscope grâce à l’intrication Circuits intégrés radiofréquence à base de transistors au graphène Vers de nouvelles architectures de réseaux de télécommunications ? La mission Rosetta : un rendez-vous réussi à 640 millions de kilomètres Des textiles producteurs d’électricité Une mini-caméra infrarouge adaptable sur smartphone Un concentrateur Web pour les données multi-énergie, climatiques et de process
14 A RETENIR Congrès et manifestations p. 28
16 VIENT DE PARAÎTRE La REE vous recommande
18 ARTICLE INVITÉ L’Union pour l’innovation 2014-2020 peut-elle contribuer à une ré-industrialisation ? Par Michel Gaillard
28 LES GRANDS DOSSSIERS Les drones Introduction : Les drones, le rêve et la réalité Par Bertrand Ricque
30
Évolution des drones. Une vue d’ensemble Par Bertrand Ricque
p. 65
36
Le déploiement français en Afghanistan. Témoignages et retour d’expérience sur l’utilisation des drones Par Lieutenant-Colonel Daniel Chabbert
45
Réglementation & questions de sécurité. La nécessité d’une approche novatrice dans le monde aéronautique Par Gérard Mardiné
53 p. 18
p.105
p. 121
Credit photo couverture : Wikipédia - Sagem - © iconspro - Fotolia.com
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REE N°3/2014
Une nouvelle ambition, les drones très haute altitude fonctionnant à l’énergie solaire. La « Libellule solaire » Par Pascal Barguirdjian
57
Robot d’intervention multifonction d’assistance postcatastrophe. Réflexions sur un drone « humanitaire » Par Tullio Joseph Tanzi, Jean Isnard
65
L’homme connecté Introduction : Hommes et objets connectés, un futur déjà bien présent Par Alain Sibille
67
L’homme connecté selon la perspective du web des objets Par Jean-Paul Jamont
73
Objets communicants portés : vers une autonomie adaptée Par Renaud Briand, Guillaume Terrasson, Alvaro Llaria, Valérie Dupé
82
Géolocalisation indoor à grande échelle. Des techniques d’autoapprentissage préparent une révolution de la localisation indoor Par Jean-Baptiste Prost
89
Quels standards pour la connexion sans fil des objets à l’Internet ? Par Marylin Arndt-Vincent
98 RETOUR SUR ... Le chaos Par Marc Leconte
105 ENTRETIEN AVEC... Yves Le Mouël
Directeur Général de la FFTélécoms
109 ENSEIGNEMENT & RECHERCHE L’emploi scientifique en France Données et évolutions Par Bernard Ayrault
115 Les docteurs dans les entreprises industrielles françaises Par Bernard Decomps, Alain Bamberger
118 Echos de l’enseignement supérieur
INTERNATIONAL RADAR CONFERENCE 2014 CATCHING THE INVISIBLE
13/17 October 2014 - Lille - France
www.radar2014.org
Par Bernard Ayrault
120 CHRONIQUE La science et le plaisir Par Bernard Ayrault
121 LIBRES PROPOS Le décret Montebourg va-t-il dans le bon sens ? Quelle lecture faire de l’affaire ALSTOM ? Par Gilbert Ribes
ORGANIZED BY:
123 SEE EN DIRECT La vie de l'association
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FLASHINFOS
le fait qu'après une interaction, deux particules, même
Amélioration du signal sur bruit d’un microscope grâce à l’intrication
étant éloignées dans l’espace, sont dans un état dont il est impossible de déterminer les composantes initiales
A la suite des célèbres expériences de pensée de
avant l'interaction. Cela a eu pour conséquence que les
1935 d’Einstein, Podolski et Rosen (paradoxe EPR) et de
mesures sur l’une des particules fixent immédiatement
Schrödinger (chat de Schrödinger), les concepts de non-
l'état quantique de l'autre. Depuis les premières expéri-
localité et d’intrication se sont imposés et sont devenus
mentations, la maîtrise du comportement des particules
incontournables pour la compréhension de nombreux
élémentaires a fait de grands progrès dans des domaines
phénomènes. Depuis les expériences d’Alain Aspect, les
divers tels que l’information quantique ou encore l’op-
vérifications expérimentales des conséquences du « prin-
tique. Nous avons en particulier présenté dans la REE
cipe de superposition » se sont multipliées et l’on envi-
2013-3 un dispositif de reconnaissance d'objet par mo-
sage désormais diverses applications de la notion d’intri-
ment orbital et intrication2.
cation. La démonstration de la faisabilité d’un microscope DIM (Differential interference contrast microscope) à
Le microscope DIM à intrication Au Japon, Shigeki Takeuchi et ses collègues ont
faisceaux intriqués par Shigeki Takeuchi et ses collègues, à l'université d'Hokkaido, fait partie de celles-ci.
1
amélioré le rapport signal sur bruit d'un microscope de
Le terme intrication a été utilisé pour la première fois
phase en exploitant l'intrication. La phase de la lumière
par Schrödinger et avait pour but de mettre l'accent sur
joue un rôle important dans les techniques modernes
1
An Entanglement-Enhanced Microscope - Takafumi Ono, Ryo Okamoto, Shigeki Takeuchi - arXiv:1401.8075v1 - 31 janvier 2014.
2
Identification d'objet par imagerie fantôme utilisant le moment orbital angulaire.
Figure 1 : La figure 1a montre un microscope conventionnel à interférence de phase. La figure 1b montre un microscope à photons intriqués. Les photons polarisés verticalement sont séparés des photons polarisés horizontalement avant d'être recombinés. Les figures 1c à 1d montrent la variation du signal lorsque la paire de photons passe d'une zone à l'autre de l'échantillon - Source : Shigeki Takeuchi & al.
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FLASHINFOS
Figure 2 : La figure 2 a, réalisée par microscope à force atomique, montre la lettre Q gravée sur un substrat de verre. La figure 2 b détaille la zone en cours de scannage. Les figures 2 c et d montrent le résultat obtenu, avec intrication à gauche, sans intrication à droite. Source : Shigeki Takeuchi & al.
de microscopie. Les microscopes optiques conventionnels détectent les variations de l'intensité de la lumière
. Si les photons sont intriqués, on montre que le rap.
port signal sur bruit est amélioré d’un facteur
qui passe à travers ou se reflète sur un objet mais cela
Dans leur expérience Takeuchi et ses collègues ont uti-
a comme inconvénient de produire des images à très
lisé des photons dans un état dit NOON qui correspond
faible contraste quand l'objet à examiner est transparent.
à une superposition quantique de N photons polarisés
Les microscopes qui utilisent la phase de la lumière pro-
horizontalement et de N photons polarisés verticalement
duisent des images exploitant les interférences entre des
(figure 1).
rayons ayant traversé des régions d’indices de réfraction
Utilisant ces états NOON, l’équipe a généré des paires
différents. Ces microscopes sont bien adaptés à l'image-
de photons intriqués (dans lesquelles N = 2) pour scan-
rie de cellules vivantes qui sont à la fois très transparentes
ner une lettre Q d’une épaisseur de 17 nm gravée sur
et très sensibles à l'intensité de la lumière. Ils sont appe-
une plaque de verre. L’utilisation de paires de photons intriqués a permis
lés microscopes à imagerie différentielle (DIM). Dans leur papier, Shigeki Takeuchi et ses collègues pré-
d’améliorer sensiblement le rapport signal/bruit par rap-
sentent un dispositif qui utilise des faisceaux de photons
port à un faisceau classique d’un facteur de 1,35 ± légè-
intriqués pour améliorer le contraste d'un microscope à
rement inférieur à la valeur attendue de
imagerie différentielle. Ce type de microscope emploie
1,41) en raison de la non parfaite interférence quantique
un faisceau laser divisé en deux faisceaux qui sont focali-
à deux photons. ■
(c’est à dire
ML
sés sur des points adjacents de l’échantillon à examiner. La paire de faisceaux est utilisée pour scanner l'objet, couple de points après couple de points. Les faisceaux sont ensuite recombinés et envoyés vers un détecteur
Circuits intégrés radiofréquence à base de transistors au graphène
adapté. De cette manière, la recombinaison et l'interfé-
Il y dix ans, une nouvelle forme du carbone a été mise
rence contribuent à révéler la variation de l'indice de ré-
en évidence en 2004 : le graphène. En 2004, à l'université
fraction et par conséquent la composition de l'échantillon.
de Manchester, l'équipe d'André Gelm fabriquait en effet
Le signal d’un DIM est proportionnel au nombre de
un cristal bidimensionnel solide de carbone dont l'épaisseur
photons N du faisceau et comme l’erreur statistique, asso-
était de seulement d’un atome. C’était une molécule plate
ciée au comptage des photons et résultant de la limite
géante qu'on a appelé graphène, composée d'atomes de
, le rap-
carbone liés entre eux de façon à former un réseau d'hexa-
quantique standard, introduit un bruit égal à
port signal sur bruit dans un DIM est également égal à
gones ressemblant à un nid d'abeilles (figure 1).
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FLASHINFOS
déterminante, surtout du point de vue de l'intégration du transistor au graphène. Aucune des opérations de fabrication n'exige une température supérieure à 400 °C et, ainsi, la technique de fabrication n'endommage pas le graphène tout en restant compatible avec le processus CMOS qui est encore l'un des plus répandus pour la production de composants électroniques. Le principe de fabrication est basé sur la méthode de dépôt chimique en phase vapeur et permet d'intégrer trois transistors GFETS, quatre inducteurs, deux condensateurs et deux résistances dans un espace de 0,6 mm² sur un wafer de 200 mm. Le système fonctionne à Figure 1 : Molécule de graphène - Source : Wikipédia.
4,3 Ghz pour moins de 20 mW de puissance consommée. Ces travaux ouvrent la voie à des circuits de com-
Les physiciens se sont lancés par la suite dans l'étude
munications sans fil plus performants et moins coûteux
des propriétés électroniques exceptionnelles de ce nou-
qui pourraient équiper les appareils mobiles. En effet,
veau matériau. L'atome de carbone a quatre électrons sur
pour obtenir aujourd'hui des puces radiofréquences de
la couche externe disponible pour des liaisons chimiques,
hautes performances il faut recourir à des matériaux du
mais dans le graphène chaque atome est relié à trois
groupe III-4 qui sont d'un coût élevé et présentent une
autres ce qui fait qu'il reste un électron par atome qui est
difficulté d'intégration avec le silicium. L'intégration du
libre de se déplacer dans le cristal. La théorie et l'expé-
graphène avec le silicium devrait apporter des bénéfices
rience montre que les propriétés du graphène ne sont
en matière de performances et de coûts. ■
ML
ni celles d’un semi-conducteur ni celles d'un conducteur métallique. Les électrons du graphène évoluent comme des particules quantiques et relativistes, tout se passant comme si les électrons se déplaçaient à une vitesse proche de la lumière. Du point de vue théorique c'est un excellent matériau qui peut être modélisé par l'électrodynamique quantique à deux dimensions. En électronique, l’utilisation du graphène permet de réaliser des transistors bien plus rapides que les transistors conventionnels. En 2011, IBM a réussi à mettre au point une première puce radio à base de transistors au graphène, mais l'intégration des autres
Figure 2 : Vue d'un circuit intégré composé d'un transistor au graphène. Le transistor est intégré après la capacité et le circuit inducteur - Source : IBM Research.
composants métalliques dégradait leur fonctionnement. Les chercheurs ont eu alors l'idée d'inverser la fabrication en intégrant d'abord les composants métalliques puis le graphène par la méthode dite de dépôt chimique.
Vers de nouvelles architectures de réseaux de télécommunications ?
En février 2014 à la suite de ces progrès, une équipe
La constitution des réseaux de télécommunications
d'IBM Research, (Shu-Jen Han, Alberto Valdes Garcia,
fait appel à des fonctions localisées en général dans
Satoshi Oida, Keith A. Jenkins & Wilfried Haensch) a
des nœuds qu'on appelle éléments de réseau. Ceux-ci
publié un article dans Nature qui fait état de la réali-
reposent sur une infrastructure matérielle qui la plupart
sation d'un circuit récepteur radio avec des transistors
du temps a été conçue spécifiquement pour accomplir
au graphène dont les performances sont complètement
la fonction. Elle est propre à chaque fournisseur et sup-
préservées. Les travaux effectués montrent une avancée
porte des logiciels qui réalisent les traitements requis
3
par la fonction. Cette approche classique rend les utilisa3
8
Graphene radio frequency receiver integrated circuit - Nature Communications 5, Article number: 3086 doi:10.1038/ncomms4086.
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teurs, opérateurs, entreprises, fortement dépendants de leurs fournisseurs quand des évolutions fonctionnelles
L'ARTICLE INVITÉ
MICHEL GAILLARD
Ancien chef du bureau « Affaires européennes » au Ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche
L’Union pour l’innovation 2014-2020 peut-elle contribuer à une ré-industrialisation ? Introduction
D
des pays à bas coûts s’est installée dans l’opinion, trop souvent exploitée depuis, sur le plan politique, à des fins déma-
epuis 2010 de réelles divergences de perfor-
gogiques.
mances économiques sont apparues entre
Du coup, les délocalisations ont constitué l’élément cen-
pays appartenant à l’Eurozone, ajoutant une
tral du débat public sur la désindustrialisation [1] alors qu’en
division Nord/Sud à la division Est/Ouest
10 ans, la France a perdu 800 000 emplois industriels et que
préexistante. Il est devenu urgent de mettre en œuvre une
la part de l’industrie dans le PIB est passée de 18 % à 12 %,
politique économique qui permette de réindustrialiser cer-
des chiffres qui suffisent à montrer que la désindustrialisation
taines régions de l’Eurozone, en France en particulier, tout
est un phénomène bien plus large que celui des seules délo-
en continuant à résorber les retards accumulés en Europe
calisations. Elle s’explique par des facteurs à la fois internes
centrale et orientale.
et externes :
Les nouvelles autorités communautaires qui se mettront
s D UN CÙTÏ LA BAISSE DES DÏPENSES DE CONSOMMATION lNALE
en place dans le courant de l’été 2014 vont hériter d’un
des ménages consacrées aux biens industriels, les gains de
édifice législatif et d’engagements budgétaires qui courent
productivité liés au progrès technique et l’externalisation de
jusqu’en 2020. Malgré des premiers résultats peu convain-
nombreuses fonctions vers le tertiaire : une grande partie
cants, c’est donc la stratégie « Europe 2020 » de la Commis-
des services fait désormais partie intégrante de l’activité
sion Barroso II qui aura encore constitué, faute de mieux, le
productive privée, en particulier l’important secteur des
cadre stratégique des programmes 2014-2020. Quelle sera
services aux entreprises ;
la pertinence de décisions arrêtées dans ces conditions en
s DE L AUTRE LES CONSÏQUENCES DE L OUVERTURE INTERNATIONALE
matière de recherche et l’innovation du point de vue de leur
et des dérégulations, donc de la mondialisation dont les
impact sur la ré-industrialisation de l’Europe ?
délocalisations ne sont qu’un aspect. Les études de l’Insee montrent que les délocalisations
Le débat national sur délocalisations/désindustrialisations
ne concernent pas uniquement l’industrie : elles touchent
Au moins depuis le début des années 90, une peur ob-
de leurs homologues anglo-saxonnes pour améliorer leurs
sessionnelle des délocalisations d’entreprises françaises vers
coûts. C’est d’ailleurs la chute d’activité dans les services mar-
également les entreprises de services qui emboîtent le pas
ABSTRACT Will the European programmes, drafted according to strategy “Europe 2020” of the outgoing Commission, be suitable for the re-industrialisation of Europe after 2014? Will they help turn the tide of industry decline in France? Horizon 2020 has been carefully drafted according to the best current academic understanding of research and innovation policy design. Despite a budget growth by 30 % compared to previous FP7, it will not fulfill its ambitious targets in “industrial leadership” without more coordination with national policies and increased synergies with the regional policy implemented through the FEDER funds. France is likely to benefit from Horizon 2020 which provides a welcome support for a broad based model of innovation and many opportunities for a more “open” and “collective experimentation” mode of operation for industrial cooperation through Europe. The “smart specialisation strategy” as implemented in the regions under EU scrutiny in 2013, points to the urgency of a reform of the French territorial organization. Current administrative regions are not strong enough to fully reap the benefit from the “entrepreneurial discovery” method and this will be a severe handicap for the proper use of FEDER funds targeted at innovation and economic development in 2014-2020.
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REE N°3/2014
L'ARTICLE INVITÉ
Figure 1 : Indices de performance des États membres en matière d’innovation. Source : Tableau de bord de l’innovation – Commission européenne (2014). chands après 2008 qui a rendu la désindustrialisation bien
maine où l’Union européenne tente depuis cinq ans de faire
plus difficile encore à tolérer.
la différence, c’est bien en matière d’innovation. Mais, est-on
Redéploiement industriel et innovation
en droit de se demander « que peut une Union européenne dont le budget n’est que de… 1 % de son PIB » ?
A court terme, la France tente de tirer un meilleur bénéfice
L’essentiel à retenir au sujet de Horizon 20201
de l’attractivité de ses territoires en améliorant leur compétitivité. Mais les efforts qui se contentent de réduire les coûts et de transférer les risques sur les fournisseurs, les employés
Máire Geoghegan-Quinn, commissaire sortante, avait
et les clients conduisent à une impasse collective. C’est seu-
insisté dès sa prise de fonction pour faire figurer explicite-
lement quand un véritable contre-courant de (re)localisation
ment l’innovation à son portefeuille. En cohérence avec ce
de l’activité économique en particulier industrielle (mais pas
choix initial, elle a manifesté pendant quatre ans une belle
seulement…) se sera établi en faveur de la France que des
obstination pour obtenir que le huitième PCRDT soit conçu
résultats robustes pourront être obtenus en matière d’emploi.
en rupture avec les programmes cadres précédents et pour
L’analyse du processus de relocalisation industrielle [2]
étendre un soutien public aussi large que possible aux pro-
montre que ce type d’investissement ne peut prétendre à un
cessus d’innovation en Europe. ! CÙTÏ DES -D
succès durable que s’il répond à une ambition de fond trans-
confiés au Conseil européen de la
formatrice – et non pas à une simple volonté « d’ajustement »
recherche pour consolider les positions européennes en re-
– c’est-à-dire presque toujours lorsqu’il est associé à une « inno-
cherche scientifique de haut niveau et de 6 Md dévolus à la
vation » dans la vie de l’entreprise, une modernisation introduite
mobilité des chercheurs, le budget de Horizon 2020 fait une
dans la gamme de produit, dans les procédés de fabrication, les
large part à la recherche et à l’innovation technologique (en
méthodes de commercialisation ou d’organisation.
particulier dans un volet « Leadership industriel » de 17 Md ).
Encore faut-il assurer que ce courant soit assez fort pour
Avec un taux de financement unique de 70 %, pour tous
créer plus d’activité que la modernisation n’en détruit dans
les participants à des activités de développement proche
le même bassin d’emploi en modifiant les habitudes de
du marché, la Commission entend soutenir « le lancement
consommation de ses clients et en améliorant la productivité
de projets pilotes, les activités de démonstration, les bancs
chez ses concurrents. Si l’attractivité est importante pour la
d’essai, le soutien aux achats publics, la conception, l’innova-
décision initiale de localisation, c’est ensuite le taux de crois-
tion axée sur les besoins des utilisateurs finaux, l’innovation
sance des activités innovantes une fois celles-ci implantées
sociale, le transfert des connaissances et la commercialisa-
sur site, qui devient le facteur décisif pour accroître rapide-
tion des innovations ainsi que la normalisation ».
ment les flux entrants dans une économie ouverte comme le marché unique européen. Alors que sa situation peut paraître particulièrement fragile, la France n’est heureusement pas isolée : s’il est un do-
1
Horizon 2020 fait l’objet d’une présentation complète sur le site dédié mis en place par le Secrétariat d’État à la recherche et à l’Enseignement supérieur : http://www.horizon2020.gouv.fr/.
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Introduction
LES GRANDS DOSSIERS
Les drones : le rêve et la réalité Les drones sont devenus un sujet d’attention
description des combats en Afghanistan, vus à
de la part des médias. Ils font régulièrement la
travers l’œil d’un drone, démontre de manière
une des hebdomadaires et font fréquemment
exemplaire que la génération de drones lents
l’objet de dossiers dans les émissions de télé-
qui a succédé aux drones rapides des années 80
vision. Il y a en effet quelque chose de specta-
est parfaitement adaptée à l’évolution des types
culaire et même de fascinant, à voir ces engins
de conflits dans lesquels les forces armées se
sans pilote, de taille très variable, évoluer dans
trouvent maintenant engagées. Cette synthèse
les airs sous le contrôle de l’homme. L’intérêt
permet aussi de dégager les caractéristiques
des relais d’opinion comme celui du public est donc fréquemment suscité par des aspects sensationnalistes qui laissent parfois l’ingénieur
Bertrand Ricque Chef de programme SAGEM DS
rêveur. Les drones, comme tout système tech-
techniques et fonctionnelles que les armées ont pu apprécier et souhaitent voir améliorées de même que celles qui devront être apportées par les systèmes d’armes futurs. Mais les témoi-
nologique émergent, sont porteurs de la part du public de
gnages des officiers engagés au sol et tributaires du soutien
projections simplistes qui font souvent abstraction de réalités
que leur apportent les drones, redonnent de l’intensité et
contextuelles que les acteurs techniques et économiques ne
un caractère profondément humain à un engagement que
peuvent ignorer. Il est vrai que les drones sont l’expression de
l’automatisation et la robotisation des drones pourraient lais-
grands progrès technologiques dans des domaines variés et
ser penser comme désormais assimilables aux jeux vidéo.
qu’ils sont porteurs de perspectives de développement très importantes, dans le domaine militaire bien sûr mais aussi
L’article d’introduction appelle l’attention sur l’interaction
dans le domaine civil pour des applications très diverses :
entre la structure du système socio-économique que consti-
surveillance d’installations, assistance à personnes en diffi-
tue l’aviation, notamment commerciale, et le développement
culté, livraisons en zones difficiles, etc.
à grande échelle d’applications basées sur l’utilisation de drones. Ces aspects, propres à la réglementation et à la sé-
Mais il y a un décalage entre une vision créative libérée
curité, sont développés dans l’article de Gérard Mardiné de
de toute contrainte et la réalité du présent et du court terme
Sagem Défense Sécurité qui fait bénéficier le lecteur de son
qui reste assujettie à certaines limites liées notamment à la
regard d’expert français du domaine. Son analyse de l’état ac-
nécessité d’assurer la sécurité des populations survolées et
tuel de la réglementation et de ses perspectives d’évolution
des autres aéronefs avec lesquels les drones sont amenés à
laisse entrevoir un développement progressif, très maîtrisé et
coexister dans l’espace aérien. L’objet de ce dossier est donc
sans bouleversement ni révolution, permettant une expan-
de clarifier la situation des drones dans le paysage technique,
sion graduée des activités basées sur l’utilisation des drones.
économique et réglementaire. L’un des moteurs du développement des drones est Il nous est apparu utile de commencer ce dossier en repla-
l’émergence de nouveaux besoins et de nouvelles applica-
çant l’évolution des drones dans une perspective historique,
tions que seuls les drones pourraient satisfaire de manière
dans le but de relativiser les aspects innovants des véhicules
économiquement rentable. C’est souvent sur des segments
télépilotés qui existent depuis maintenant déjà un siècle.
de marché qui constituent initialement des niches que se po-
Notre article introductif s’attache donc à montrer comment
sitionnent des PME innovantes, en proposant des produits ba-
l’évolution des drones a étroitement suivi celle de l’aéronau-
sés sur la synergie entre plusieurs technologies afin de créer
tique militaire et de ses besoins spécifiques et comment des
une rupture à même d’amorcer de nouvelles applications.
drones aux caractéristiques très différentes ont existé et ont été utilisés de manière opérationnelle depuis plus de 80 ans.
L’article de Pascal Barguirdjian de la société Tecknisolar SENI nous propose un de ces exemples de combinaisons de
Les témoignages rassemblés et présentés par le
technologies à même de surmonter les limites des concepts
Lieutenant-colonel Daniel Chabbert de l’Armée de Terre
usuels de drones. On notera la place centrale que tiennent
dans son article, sont emblématiques de ce point de vue. La
les disciplines liées à l’électricité et à l’électronique dans la
28
REE N°3/2014
Introduction
LES GRANDS DOSSIERS
conception de drones performants. La Libellule solaire illustre
humanitaires. Leur article dresse un tableau complet des
également l’ouverture qu’une rupture technologique apporte
domaines scientifiques et techniques concernés. Il met en
en matière d’applications accessibles. Ce type d’innovations
avant la notion de drone appréhendé comme un système,
permet d’envisager de remplacer les vecteurs d’applications existantes par des drones, faisant émerger un nouveau paradigme dont les coûts et la durabilité sont totalement différents. Nous voudrions également souligner l’importance de la sûreté de fonctionne-
Bertrand Ricque est ingénieur de l’École spéciale militaire de Saint-Cyr. Après avoir commandé une unité de drones, il a occupé ensuite des postes de responsabilité dans des sociétés fournissant des systèmes automatisés aux
ce qui soulève la question de la complexité de l’ingénierie de ce type de concept. L’article souligne également l’importance de la flexibilité de la charge utile pour pouvoir mener à bien une grande variété de missions dans des contextes divers. Il est enfin rappelé que les drones ne peuvent
industries de procédés continus
être déployés sans une utilisation massive
ment ainsi que des aspects pluridiscipli-
et manufacturières. Depuis 2004,
du spectre radioélectrique, totalement né-
naires et transverses pour le développement
il est chef de programme de sys-
cessaire à leur contrôle. Ce dernier point
des drones. Cette question est développée
tèmes de défense. Il contribue aux
impose sans nul doute de reconsidérer
par Tullio Tanzi et Jean Isnard dans leur
travaux du comité ISA84 de l’ISA
l’utilisation qui en est actuellement faite,
approche de la contribution novatrice des
et représente le GIFAS auprès de
ce qui nécessite un grand effort de coordi-
drones et de la robotique aux opérations
la Commission électrotechnique
nation à l’échelle des continents.
Internationale.
LES ARTICLES
Évolution des drones. Une vue d'ensemble Par Bertand Ricque ........................................................................................................................................................................ p. 30 Le déploiement français en Afghanistan. Témoignages et retour d’expérience sur l’utilisation des drones Par Lieutenant-Colonel Daniel Chabbert ............................................................................................................................. p. 36 Réglementation & questions de sécurité. La nécessité d’une approche novatrice dans le monde aéronautique Par Gérard Mardiné ....................................................................................................................................................................... p. 45 Une nouvelle ambition, les drones très haute altitude fonctionnant à l’énergie solaire. La « Libellule solaire » Par Pascal Barguirdjian ................................................................................................................................................................ p. 53 Robot d'intervention multifonction d'assistance post-catastrophe. Réflexions sur un drone "humanitaire" Par Tullio Joseph Tanzi, Jean Isnard ........................................................................................................................................ p. 57
REE N°3/2014 29
LES DRONES
Évolution des drones Une vue d’ensemble Bertrand Ricque Chef de Programme, SAGEM DS
Introduction Définir ce que l’on entend par « drone » est un exercice difficile. Pour commencer, il faut se rendre à l’évidence que les Anglo-saxons et les Français n’utilisent pas le terme de la même manière. La classification utilisée le plus couramment en dehors des médias grand public est celle des États-Unis : UAV pour les véhicules aériens sans pilote, UUV pour les véhicules sous-marins, USV pour les véhicules de surface et UGC pour
Figure 1 : Hewitt Sperry - Source : Vandomelen.
ce que l’on appelle également des robots terrestres. La dénomination « drone » pour désigner un engin
Unis dès 1916 par Archibald Low, Lawrence Perry et
mobile doté d’autonomie reste très française.
Peter Hewitt (figure 1).
De plus, le drone en tant que véhicule, ne peut
Le premier vol d’un avion sans pilote français a lieu
exister sans d’autres composantes comme les stations
en 1918 sur une distance de 1 km. La même année, un
de contrôle et de commande, les pilotes ou contrô-
Voisin BN3 automatisé parcourt 100 km en 51 minutes.
leurs, et les équipements supportant les transmissions
Le concept aboutira en 1923 à un drone opération-
entre le ou les véhicules et les stations de contrôle. Le
nel qui restera sans débouchés, l’armée française n’en
tout constitue en fait un « système de drones ».
voyant pas l’utilité. L‘histoire retiendra les noms du capi-
Un peu d’histoire
taine Max Boucher et de l’ingénieur Maurice Percheron. Le terme drone émerge en Grande-Bretagne dans
Les médias, qui ne s’y intéressent que depuis
les années 30 en référence au bruit et à la lenteur
une dizaine d’années, présentent souvent les drones
du vol des Tiger Moth DH12 (figure 2) transformés
comme une nouveauté, mais le concept de véhicule
en avions-cibles automatisés à cette époque. Ce nom
autonome ou téléguidé est bien plus ancien qu’il n’y
sera repris pendant la deuxième guerre mondiale par
paraît. Des tentatives infructueuses de conception
l’armée américaine.
d’un avion-radio commandé stabilisé par un gyros-
De nombreuses conceptions de véhicules auto-
cope sont notées en Grande-Bretagne et aux États-
matisés aériens et terrestres sont notées avant et
ABSTRACT This paper proposes an overview of the evolution of unmanned airborne vehicles (UAV) since their emergence early in the 20th century. The main trends having influenced the UAV system design for military applications are described. The most recent civilian applications are analysed with respect to their environment: air, land and sea. The paper analyses and details the difficult safety and security problems to be solved prior to a wide development of a civilian UAV market. The interactions between the societal perception of risk, the technical issues and the economic aspects of a massive deployment of UAVs are discussed in order to outline the existing barriers and to give some clues on the possibilities to overcome them. The status of the regulations is described in order to highlight the stakeholders, the path forward to legal evolutions as well as the steps and strategies foreseen by regulation agencies. This overview is concluded by some considerations on the perspectives of the UAV business in relationship with its economic aspects.
30
REE N°3/2014
Évolution des drones Une vue d’ensemble
Figure 2 : Tiger Moth - Source : Wikimedia.
Figure 3 : Vampire DH100 - Source : Planet spotters.
Figure 4 : Drone R20 sur sa rampe de lancement.
Figure 5 : Lancement d’un drone CL-89.
des transmissions. Les conceptions se font la plupart du temps sur la base de la modification d’engins cibles mais aussi d’avions de combat en fin de vie comme le DH100 Vampire (figure 3) expérimenté à Brétigny dès 1957. L’armée française dispose ainsi de drones de manière permanente depuis les années 60. Le programme R20 (figure 4) basé sur la modification de l’engin cible CT20 de Nord Aviation, fut en 1963 le premier drone à entrer en service en Europe. Son utilisation se révèle délicate, car la France ne possède pas de Figure 6 : Image prise par un CL-89. pendant la deuxième guerre mondiale, en particulier comme
terrains d’essais ou de zones à faible densité de population suffisamment grands pour permettre en toute sécurité des vols de plusieurs centaines de kilomètres.
avions-cibles (plusieurs milliers d’exemplaires) et comme
Le système est remplacé en 1980-1981 par le Canadair
bombes télépilotées comme le Goliath allemand basé sur un
CL-89 (Figures 5 et 6) dont la conception date des années
prototype français confisqué après l’armistice.
soixante. Ce type de drone parcourt 120 km à 700 km/h
La guerre de Corée, la guerre du Vietnam et le contexte de
en quelques minutes. En 1992, le CL-289 lui succède et de-
la guerre froide représentent la période d’essor des drones
vient le premier drone en Europe à pouvoir transmettre des
aériens. Cet essor est permis par la montée en puissance
images infrarouges en temps réel.
des technologies liées aux automatismes et aux asservisse-
Au cours de la guerre froide, les missions de reconnais-
ments, mais surtout aux progrès effectués dans le domaine
sance et de surveillance au-dessus des territoires de l’Union
REE N°3/2014 31
Introduction
LES GRANDS DOSSIERS
Hommes et objets connectés : un futur déjà bien présent Il se passe aujourd’hui rarement une semaine
à ce titre plusieurs aspects importants et complé-
sans qu’on entende parler des objets connectés
mentaires des travaux en cours.
dans les media grand public. Cette révolution qu’on nous promet a déjà commencé à entrer
Le premier article « L’homme connecté selon
dans la vie courante, sous des formes diverses
la perspective du Web des objets » est proposé
et quelquefois extrêmement installées dans le
par Jean-Paul Jamont, maître de conférences
quotidien. Le smartphone en est l’exemple em-
à l’Université de Grenoble Alpes, qui s’intéresse
blématique, dont l’importance va croissante en
depuis de nombreuses années à l’intelligence
relation avec les services qu’il propose, les coûts en baisse et l’impact sur les modes de vie qu’il
Alain Sibille Télécom ParisTech
induit. Cependant cet engouement ne doit pas
collective dans le contexte des systèmes embarqués. L’article met en avant que l’émergence du Web des objets et la place de l’homme connec-
masquer les multiples problématiques et difficultés techno-
té dans cette nouvelle évolution consistent à généraliser la
logiques, réglementaires et sociétales à résoudre avant que
notion de service Web aux objets physiques, qu’ils soient ou
la diversité des objets connectés ait massivement pénétré
non dotés de capacités de calcul. C’est ainsi que le monde
les sphères professionnelle et privée. Notre histoire des tech-
physique et le monde virtuel se rejoignent, esquissant de
niques est truffée de promesses non tenues mais aussi de
nombreux défis et constituant une source importante de
retournements opérés grâce à des avancées collatérales se
novation pour la recherche en informatique.
révélant finalement essentielles pour que le succès soit au rendez-vous. Il en est ainsi de la domotique, dont les années
L’autonomie énergétique des dispositifs connectés est
80 laissaient entrevoir un avenir radieux qui ne s’est pas
évidemment une condition majeure pour leur viabilité, dans
produit. C’est l’association de l’informatique, d’Internet, des
la mesure où aussi bien sur le plan économique, écologique
réseaux sans fil et de la disponibilité de capteurs bas coût
que sur celui de l’acceptabilité il ne saurait être question de
qui pourrait aujourd’hui en permettre le retour en force. Plus
devoir trop souvent intervenir manuellement sur des dis-
généralement, cette association va permettre une généralisa-
positifs disséminés pour leur fournir l’énergie dont ils ont
tion des dispositifs connectés et leur insertion dans un envi-
besoin. L’article « Objets communicants portés : vers une
ronnement computationnel capable d'exploiter les données
autonomie adaptée » aborde cette question sous un angle
mesurées pour les traduire en décisions et actions, ce que
global, impliquant la conception électronique des objets
la Commission européenne intitulait il y a quelques années
et la gestion appropriée de leur consommation au travers
« intelligence ambiante ». Les applications sont donc extrême-
d’une architecture du système et d’outils de modélisation
ment nombreuses (transports, santé et télémédecine, sport
et de suivi permettant de se rapprocher de l’optimalité. Son
et bien être, jeux et loisirs, tourisme, luxe...). La pratique du vir-
premier auteur, Renaud Briand, titulaire d’un doctorat, est
tuel étant déjà bien ancrée dans nos vies, on conçoit aisément
spécialiste de modélisation et de simulation de capteurs
que les enjeux économiques sous-jacents rencontrent l'inté-
autonomes. Après être passé par le monde académique,
rêt de multiples acteurs de la chaîne de valeur et génèrent de
il dirige actuellement la R&D de la société Aquitaine Elec-
grands espoirs. Cependant la technologie n'est ni infaillible ni
tronique.
omnipuissante et on ne peut s'exonérer des lois fondamentales de la physique. Miniaturisation, autonomie, capacité de
Une autre capacité des objets connectés en mobilité
traitement embarqué, sécurité, sobriété énergétique et éco-
est relative à la possibilité de les localiser, ce qui ouvre à
logie ne sont pas toujours bien compatibles et de nombreux
des applications extrêmement nombreuses en couplant
compromis seront nécessaires. La décennie à venir verra de
avec la communication et l’échange de données. L’article
forts développements en recherche et ingénierie pour les réa-
« Géolocalisation indoor à grande échelle » a été rédigé par
liser, dans les domaines électronique, informatique et physi-
Jean-Baptiste Prost, directeur général adjoint et directeur
co-chimique parmi d'autres. Les articles qui suivent abordent
technique de la société Pole Star, qui est un leader mondial
REE N°3/2014 65
Introduction
LES GRANDS DOSSIERS
indépendant pour la localisation indoor pour smartphones.
mis le déploiement de multiples applications M2M (Machine
L’article positionne les bénéfices à attendre dans les usages
to Machine), les perspectives offertes par l’accès au monde
du quotidien par la disponibilité de services de localisation
du cellulaire grâce à la 4G, et plus tard la 5G, sont très pro-
en intérieur, les difficultés et contraintes mais aussi les solu-
metteuses pour la massification du M2M et la ville intelligente.
tions performantes en émergence par la mise en jeu de
Le lecteur pourra également se référer à la présentation de
technologies au niveau de l’infrastructure et du dispositif à localiser.
Mischa Dohler accessible sur le site web Alain Sibille est ingénieur de l’École
d’URSI-France, JS 2014.
Polytechnique et de Télécom ParisTech.
Enfin la normalisation reste un point
En 1979 il a démarré une carrière de
Nous espérons que ces quatre
de passage obligé pour que les capa-
chercheur au Centre National d’Etudes des
articles donneront un aperçu, certes
cités technologiques se traduisent en
Télécommunications dans le domaine de
très partiel, de l’actualité des objets
marchés ouverts et concurrentiels, per-
la physique des composants optoélectro-
connectés et de leur devenir dans les
mettant l’accès au plus grand nombre.
niques et quantiques. En 1992 il a rejoint
quelques années à venir. Ce dossier
Marylin Arndt-Vincent, expert Standar-
l’Ecole nationale supérieure de techniques
a été préparé en sélectionnant et sol-
disation M2M chez Orange et présidente du comité technique SmartM2M à l’ETSI (European
Telecommunications
Stan-
dards Institute) aborde cette question cruciale et complexe dans l’article « Quels standards pour la connexion sans-fil des objets à l’Internet ? », en se focalisant sur la partie radio. Bien que de nombreuses normes existent aujourd’hui qui ont per-
avancées (ENSTA ParisTech), où il a dirigé le laboratoire d’électronique et d’informatique. Il a notamment développé une activité de recherche sur les réseaux sans fil, les objets communicants, les antennes et le canal radio, dans un contexte partenarial
licitant quatre auteurs d’une communication présentée lors des Journées Scientifiques
d’URSI-France
portant
sur « l’homme connecté » (JS 2014). Le lecteur est invité à se rendre sur
national et européen. Depuis 2010 il est
le site web de la manifestation pour
professeur à Télécom ParisTech et actuel
plus d’informations (http://ursi-france.
directeur de la formation doctorale.
mines-telecom.fr : programme et articles complets).
LES ARTICLES
L'homme connecté selon la perspective du web des objets Par Jean-Paul Jamont ..................................................................................................................................................................... p. 67 Objets communicants portés : vers une autonomie adaptée Par Renaud Briand, Guillaume Terrasson, Alvaro Llaria, Valérie Dupé ................................................................... p. 73 Géolocalisation indoor à grande échelle. Des techniques d'auto-apprentissage préparent une révolution de la localisation indoor Par Jean-Baptiste Prost ................................................................................................................................................................ p. 82 Quels standards pour la connexion sans-fil des objets à l'Internet ? Par Marylin Arndt-Vincent .........................................................................................................................................................p. 89
66
REE N°3/2014
L’HOMME CONNECTÉ
L’homme connecté selon la perspective du Web des objets Jean-Paul Jamont Université Grenoble Alpes, Laboratoire LCIS
type WoT centrés sur l’utilisateur humain sera alors présenté dans une seconde section. Quatre verrous majeurs du WoT seront exposés : l’intégration de
Introduction L’homme, quel que soit le lieu dans lequel il se trouve (en entreprise, dans son véhicule personnel, en ville, dans son habitat etc.), quelle que soit son activité (travail, sport, repos etc.) utilise de plus en
données et de services hétérogènes, la gestion de la confiance et la réputation, la protection de la sphère privée des usagers. A chacun de ces verrous correspondent de véritables chantiers de recherche.
Emergence du Web des Objets
plus d’objets connectés. Certains d’entre eux, qui
Les objets communicants sont présents dans notre
sont dans son environnement immédiat et qui ne lui
environnement. Ils parlent entre eux et notamment
appartiennent pas, peuvent être utilisés de manière
de nous. Nous inventons de nouveaux termes pour
opportuniste. L’Internet des objets (IoT) s’est intéres-
parler de ces objets si bavards (blogject, tweetject,
sé à l’intégration des objets à l’Internet c’est-à-dire au
spim etc.). Ils ont accès à Internet et exploitent les
monde d’IP (Internet Protocol). Ces objets peuvent
technologies Web portant ainsi une nouvelle évolu-
désormais interagir entre eux ou avec des objets logi-
tion du Web.
ciels comme des services Web. Au-dessus de l’infrastructure que représente l’IoT,
Les objets sont partout
a émergé le Web des Objets (WoT) qui s’intéresse
Chaque année, de nouveaux objets apparaissent
aux fonctionnalités que proposent ces objets c’est-
et participent à créer autant de nouveaux usages pour
à-dire aux services qui ont un sens pour l’utilisateur.
l’homme connecté. L’entreprise française Withings a
L’utilisation des langages et protocoles du Web per-
mis sur le marché des pèse-personnes intelligents
met l’interopérabilité des différents dispositifs.
connectés. Ils sont fournis avec une application per-
L’objectif de cet article est de présenter l’homme
mettant de jouer le rôle de coach pour atteindre des
connecté selon un point de vue de la communauté
objectifs de poids. Vitality est une entreprise améri-
du WoT, un domaine à l’intersection de l’IoT, de diffé-
caine qui propose GlowCap, un semainier à destina-
rents Web (Real time Web, Web of data, Social Web,
tion des personnes fragiles. Il est capable de signaler à
Programmable Web, Semantic Web) et de l’Intelligence
l’utilisateur qu’il oublie de prendre ses médicaments,
Artificielle. On s’intéressera particulièrement aux enjeux
de générer des rapports de consommation pour le
et aux défis que représente cette évolution du Web.
médecin et de prévenir le pharmacien lorsqu’il est
Pour cela, dans une première partie, nous présen-
nécessaire de se réapprovisionner. Le SnifgTag est
terons l’avènement du Web des Objets : nous verrons
un collier pour chien qui récolte des données sur le
comment il a été porté par les objets eux-mêmes. Un
bien-être de l’animal. Botanicalls permet à une plante
état des lieux des applications et des scénarios de
d’envoyer un tweet à son propriétaire si elle manque
ABSTRACT Internet of Things deals with the integration of objects in the Internet (i.e. the IP world). Over this infrastructure emerged the Web of Things which focuses on features that these objects offer i.e. the services that are meaningful to users. The use of Web languages and Web protocols allows the interoperability of different devices. The objective of this article is to introduce the connected man from the point of view of the Web of Things community. Particular attention is paid to issues and challenges.
REE N°3/2014 67
L’HOMME CONNECTÉ
d’eau. La Rosetta Stone permet, par exemple, de diffuser des
publier périodiquement des informations sur des sites Web
photos des défunts sur les smartphones des personnes qui
et régulière d’articles ou d’envoyer un message via la pla-
se recueillent sur une tombe. Siemens propose un système
teforme Twitter. La notion d’informational shadow (l’ombre
d’étiquettes virtuelles permettant, lorsqu’on se rend sur un
de l’information) qu’introduit Mike Kuniavsky fait référence à
lieu touristique, de laisser des messages pour ses amis qui
l’information qui est associée à un objet comme son nom,
repasseront par ce lieu. Bublino génère des bulles de savon
son numéro, sa position dans l’espace et le temps, et ainsi
quand un tweet parlant d’un centre d’intérêt de l’utilisateur
de suite. Il s’agit aussi des métaphores qui aident les gens
est diffusé. Le lapin Nabaztag est un objet animé qui peut
à comprendre les nouveaux services en les reliant à des
adopter des comportements spécifiques en fonction des
choses familières. Bruce Sterling introduit le terme spime. Il
tags RFID qu’on lui présente.
s’agit d’un néologisme pour désigner un objet théorique qui
Ces objets proposent de nouveaux usages et il est pos-
peut être suivi à travers l’espace et le temps tout au long de
sible de les détourner de leur fonction première afin d’en
sa durée de vie. Un physical mashup désigne une application
créer de nouveaux.
qui combine du contenu et des services provenant d’objets
Les objets parlent entre eux Un objet communique avec un autre pour de multiples
connectés hétérogènes.
Ils ont accès à Internet
raisons : il souhaite mettre à jour ses primitives de service
De nombreux objets peuvent jouer le rôle de passerelle
(une TV connectée qui met à jour ses codecs), combler un
vers Internet : les box Internet dont c’est la fonction pre-
manque de connaissance ou de service (un système d’arro-
mière, les box domotiques 2.0 (Lifedomus, Zibase, Smart-
sage qui interagit avec une station météo pour savoir s’il va
Things, etc.), les smartphones, etc. Quand une machine
pleuvoir, un thermostat qui utilise un radiateur introduit dans
a accès à Internet, les protocoles de routage ad hoc per-
la même pièce que lui afin d’asservir la température) ou pour
mettent cet accès aux autres nœuds du réseau en répartis-
acheminer une information vers un tiers qu’il ne peut direc-
sant la fonctionnalité de routage sur l’ensemble des hôtes
tement atteindre.
du réseau et non pas à des équipements dédiés qu’il faut
D’une manière générale, l’ensemble des technologies
connaître (les routeurs).
utilisées pour permettre ces communications sont regrou-
Le nombre d’objets connectés à Internet a dépassé le
pées sous la dénomination M2M (Machine to Machine). Les
nombre d’humains vers 2005 d’après CISCO. Leurs études
objets utilisent des protocoles de communication comme
prospectives laissent à penser que le nombre de ces objets
6LowPan qui permet d’exploiter IPV6 en diminuant le volume
sera au moins six fois plus important en 2020.
des entêtes, Bluetooth 4.1 Low Energy, ZigBee, etc.
Les objets parlent de nous
Le Web des Objets c’est parti ! Internet étant une infrastructure privilégiée pour l’inter-
Les objets cherchent globalement à atteindre la satisfac-
connexion de réseaux et donc des machines, les applica-
tion de l’utilisateur. Pour cela, ils échangent les objectifs expo-
tions peuvent alors accéder non plus uniquement à des
sés par l’utilisateur voire son profil. Les profils contiennent
services hébergés par des « serveurs », mais aussi par
de nombreuses informations qui agissent comme des pré-
des systèmes embarqués. Dans cette évolution du Web,
férences de l’utilisateur et qui peuvent impacter le compor-
l’homme n’est plus forcément à l’origine de l’interaction
tement d’un objet ou sa manière d’interagir. Afin de faire
entre les applications.
correspondre au mieux les services aux attentes des utilisa-
Le Web des objets repose sur l’utilisation des standards
teurs, ils peuvent contenir des informations sur leurs états
du Web pour connecter les petits objets (HTTP, RSS, SOA,
civils ou même leurs historiques d’interactions.
REST, XML...). De nouveaux standards sont à développer et
On parle d’eux Avec l’arrivée des objets connectés dans son environnement, l’homme connecté a créé de nouveaux termes. On parle par exemple de things’ spamming pour parler des
font l’objet de travaux du W3C (World Wide Web Consortium), l’objectif étant de ne jamais tomber dans le piège des systèmes propriétaires.
Exemples de scenarios
communications électroniques non désirées ou non solli-
Nous présentons dans cette section trois cas d’application
citées mises en œuvre par les objets. Les termes blogject
WoT centrés sur l’homme connecté. Le premier, rendu popu-
et tweetject désignent un objet capable respectivement de
laire auprès des plus jeunes car il a été publié dans Sciences
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REE N°3/2014
❱❱❱❱❱❱❱❱❱❱❱ RETOUR SUR
Le chaos La mécanique céleste classique
Marc Leconte Membre émérite de la SEE
L’observation des phénomènes de la nature a toujours préoccupé les hommes, en particulier l’observation du ciel qui a été pratiquée par les plus anciennes
Introduction
civilisations. Depuis l’antiquité, on distingue des
Le chaos partage, avec d’autres mots, la caracté-
étoiles fixes et des étoiles mobiles. Il fallut plusieurs
ristique de désigner à la fois un corpus de connais-
siècles pour découvrir les lois de leurs mouvements
sances scientifiques et un ensemble d’appréciations
et identifier les étoiles fixes à des planètes tournant
touchant au domaine de l’expé-
autour du soleil. Les plus grands
rience humaine des phénomènes
noms de la science sont attachés
de la nature. C’est aussi un mot
à ces découvertes. Copernic met
du langage courant, ce qui peut
le soleil au centre du monde
conduire à des amalgames. Cer-
avec des planètes tournant au-
tains auteurs militent pour revenir
tour, Kepler découvre que ces
à une dénomination plus classique
planètes
telle que « systèmes dynamiques
dont le soleil se trouve à l’un des
ayant des propriétés de sensibi-
foyers. Il imagine tout un système
lité aux conditions initiales ». Les
de sphères intercalées avec des
mathématiciens considèrent en
polyèdres. Mais ces lois étaient
effet qu’il faudrait parler de sys-
empiriques et manquaient de
tèmes dynamiques, alors que les physiciens emploient le mot
décrivent des ellipses
fondements théoriques. Figure 1 : Les sphères de Kepler.
chaos avec toutes ses ambiguïtés.
C’est Newton qui réussit à leur en donner en synthétisant les lois
L’histoire de ce domaine des mathématiques et de
de Kepler et en appliquant les principes de la dyna-
la physique n’est à vrai dire pas « chaotique » mais
mique qui consistent à formaliser les lois de mou-
plutôt accidentée, car, comme nous allons le voir avec
vement en fonction du contexte qui le conditionne.
Poincaré et Lorenz, à deux reprises des découvertes
C’est ainsi que Newton fait l’hypothèse de la gravita-
fondamentales n’ont pas été considérées comme
tion universelle selon laquelle la matière exerce une
immédiatement opérationnelles mais ont été redé-
force sur la matière et l’attire de manière proportion-
couvertes quelques années plus tard.
nelle à la masse et inversement proportionnelle au
ABSTRACT Since Newton, dynamical systems have provided a mathematical formulation of the movement of material objects. At that time, science people thought that evolution of all systems was entirely described by equations and was fully deterministic. Henri Poincare discovered in the late nineteenth century that, in some circumstances, dynamic systems may become unstable and may have a highly sensitivity to initial conditions. Longer after, when computers made possible large calculations, Edward Lorenz, starting from three simplified equations used in meteorology, rediscovered the notion of hight sensibility to initial conditions with a transition toward chaotic behavior. Representation in the phase space of chaotic evolutions unveiled new figures which were called strange attractors. About ten years later, David Ruelle and Floris Takens, in a famous paper, renewed the theory of turbulence against physicist Lev Landau's theory, predicting that fluids turbulence could develop through a strange attractor and from a model with a small number of degrees of freedom. Since, works on solar system stability have demonstrated that it could be considered as a chaotic system. The theory of chaos was also fashionable among philosophers and led to debates about determinism. Today chaos is a highly scientific topic which retains interest of many research in both mathematics and physics.
98
REE N°3/2014
Le chaos
carré de leurs distances. Il s’est avéré que les lois de Kepler
deux publications majeures, le Traité de mécanique céleste
n’étaient pas rigoureusement exactes car les prédictions ne
de Laplace dont nous avons parlé plus haut et les Méthodes
s’accordaient pas avec les observations. Cependant, pour
nouvelles de la mécanique céleste d’Henri Poincaré.
déterminer les trajectoires des planètes, Newton fut obligé, dans un premier temps, de faire une approximation radicale
Les systèmes dynamiques d’Henri Poincaré
en supposant que chaque planète était seulement en rela-
Henri Poincaré connaissait l’utilité et l’efficacité des proba-
tion avec le soleil en négligeant l’influence des autres corps
bilités et en même temps croyait au déterminisme classique.
célestes. Cette approximation, appelée approximation képlé-
C’est pourquoi il s’efforça de trouver la source du hasard. Très
rienne, permit à Newton de considérer le système solaire
tôt dans sa carrière, il s’intéressa à la mécanique céleste et
comme un système dynamique régi par des lois mathéma-
dans son mémoire sur les courbes définies par des équa-
tiques.
tions différentielles, il écrivit, à 27 ans, en 1881 : « Prenons le problème des trois corps, ne peut-on pas se demander si
Le déterminisme
l’un des corps restera toujours dans une certaine région ou
Au XVIII et XIXe siècle, le monde des savants et des philo-
bien s’il pourra s’éloigner indéfiniment ? Ne peut-on pas se
sophes découvre peu à peu que les lois de la nature peuvent
poser mille questions de ce genre, qui seront toutes réso-
être représentées par des formules mathématiques suivant
lues quand on saura construire qualitativement les trajec-
en cela Galilée qui avait postulé un peu plus tôt que les lois
toires des trois corps. Tel est le vaste champ de découvertes
de la nature s’exprimaient en langage
qui s’ouvrent devant les géomètres ». A
mathématique. Ce couplage de la phy-
partir de là Poincaré développa dans sa
sique aux mathématiques a conduit au
« mécanique nouvelle » une approche
concept de déterminisme. Les équations,
géométrique de résolution des équa-
par nature déterministes, permettaient
tions différentielles. L’étude d’un sys-
d’imaginer que l’on puisse prévoir l’évo-
tème complètement intégrable comme
lution de systèmes physiques pour peu
le système à deux corps conduit à des
que les équations qui les représentaient
formules analytiques exactes mais qui
soient justes. La connaissance de l’état
ne donnent pas une idée précise de
du système solaire devait permettre
la structure globale de toutes les solu-
de déterminer son état futur grâce aux
tions possibles. Poincaré montra que
calculs. Pierre Simon Laplace publia ainsi
dans le cas des trois corps, problème
en 1795 un livre, Exposition du système
pour lequel il n’y avait pas en général Figure 2 : Henri Poincaré.
du monde, destiné à accompagner son traité de mécanique céleste qui couvrait
de solution intégrable, il fallait recourir à la géométrie et étudier l’ensemble des
un nouveau domaine de la science et visait à démontrer la
mouvements possibles ou à la courbe du flot dans l’espace
stabilité du système solaire. En 1814 dans son célèbre essai
des phases (voir encadré 1). Poincaré se posa des questions
sur les probabilités, il énonçait ce qui est considéré comme
géométriques sur les trajectoires dans l’espace des phases. Si
le principe du déterminisme classique, en affirmant que l’état
la courbe décrite est fermée cela signifie que le système peut
présent était déterminé par l’état antérieur et déterminait l’état
évoluer de manière cyclique et en définitive rester stable.
futur. L’état antérieur est constitué par ce qu’on appelle les
Dans son mémoire de 1890 sur le problème des trois corps,
conditions initiales, terme qui aura une grande importance
Poincaré démontra ce qui aurait paru stupéfiant à Newton et
par la suite. Le déterminisme permettait au XIX siècle de
Laplace, que dans certains cas liés aux conditions initiales,
penser que le monde était moins incertain qu’il ne paraissait
il existe des trajectoires instables. La difficulté des calculs de
aux siècles précédents ; la mécanique céleste semblait le dé-
la mécanique céleste n’étaient donc pas dues à une mau-
montrer de manière éclatante et elle sera servie par les plus
vaise méthode mais étaient intrinsèque aux trois corps.
e
grands noms des mathématiques et de la physique. Pourtant comme on l’a vu, le système théorique reposait sur certaines
Vers l’indéterminisme
approximations, les lois de Kepler étaient approchées et les
Poincaré aborda de manière moins technique et plus
mathématiciens en étaient venus à développer le calcul des
philosophique les systèmes dynamiques dans « La science
perturbations pour déterminer les trajectoires exactes des
et l’hypothèse » en 1908 en liaison avec le problème de
corps célestes. La connaissance du ciel sera consolidée par
l’imprédictibilité. L’instabilité des systèmes dynamiques due
REE N°3/2014 99
ENTRETIEN AVEC YVES LE MOUËL
Directeur général de la FFTélécoms
Le paysage français des Telecoms vu par les opérateurs REE : Pouvez-vous nous présenter les
La FFTélécoms a pour mission de
historiques et l'ECTA3 celle des opéra-
missions et la composition de la FF-
promouvoir une industrie responsable
teurs alternatifs. Il existe d'autres formes
Télécoms ? Est-elle aujourd'hui plei-
et innovante et de défendre les inté-
de rassemblement d'opérateurs comme
nement représentative de la branche
rêts économiques de cette industrie au
la GSMA4 qui ne rassemble que des opé-
professionnelle en France ?
niveau national et européen.
rateurs mobiles du monde entier. Il existe
Y. L M. : La Fédération Française des
également une association des four-
Télécoms défend les intérêts des opé-
REE : Comment travaille-t-elle ?
nisseurs d'accès à Internet européens
rateurs de réseaux opérant en France
Y. L M. : Il s’agit d’une petite struc-
EuroIspa : elle réunit des associations
aux niveaux français et européen. Elle
ture qui emploie de façon permanente
a été fondée à la fin de 2007, environ
une dizaine de personnes et s'appuie
dix ans après le début de l'ouverture à
sur des groupes de travail spécialisés
la concurrence des services de télécom-
mis en place à la demande et dont les
munication ouverts au public.
membres sont fournis par les organi-
Il n’y a d’équivalent de la FFTélécoms au niveau de l’Union européenne
Cette ouverture faite, l'opérateur
sations membres de la fédération. Elle
historique et les opérateurs nouveaux
assure un dialogue avec les différentes
nationales de fournisseurs d'accès. Y sont
entrants avaient des intérêts communs
parties prenantes du secteur comme
représentés à la fois des opérateurs de
à défendre et un secteur industriel à
les associations de consommateurs, les
réseau et des fournisseurs de services
promouvoir : c'est dans ce but qu'a été
pouvoirs publics, les divers partenaires
OTT5 comme Google ou Microsoft dont
créée la FFTélécoms. Elle réunit des opé-
du monde des télécommunications.
les intérêts ne sont pas les mêmes.
Son activité s'exerce évidemment dans
La FFTélécoms est ouverte à tous les opérateurs exerçant en France
le respect des règles de la concurrence. Pour étayer son action, elle fait faire
REE : Le cadre dans lequel opèrent les sociétés de Telecom en France
périodiquement des analyses du secteur
et en Europe vous semble-t-il stabi-
de l'écosystème numérique. La plus ré-
lisé ? Quelles sont aujourd'hui vos
cente met par exemple en évidence que
principales revendications ?
rateurs de réseaux et des associations
l'environnement fait aux opérateurs en
Y. L M. : A l’ouverture de la concur-
d'opérateurs telles que l’AFORS . On
France n'est pas très favorable puisque
rence, la règlementation mise en place
y trouve des opérateurs exerçant une
ne représentant que 61 % des reve-
était asymétrique : l'opérateur historique
activité en France, qu'ils soient français
nus de cet écosystème, ils représentent
était soumis à des règles propres qui
ou étrangers, qu'ils exercent une activité
87 % des impôts et taxes prélevés dans
étaient plus contraignantes que celles
dans le domaine des services aux entre-
ce périmètre.
qui s'appliquaient à ses concurrents. Elle
1
prises ou dans les services grand public.
a maintenant fortement évolué pour
Depuis sa création, le secteur a beau-
REE : Avez-vous des homologues
aller vers plus de symétrie entre les dif-
coup évolué, des opérateurs qui avaient
européens ? Existe-t-il une structure
férents acteurs. De plus, le réglementeur
contribué à sa création ont cessé leur
de concertation au niveau européen ?
n'intervient plus sur le marché de détail
activité, d'autres ont quitté la Fédération.
Y. L M. : Nous n’avons pas vraiment
mais seulement sur le marché de gros,
Aujourd'hui y participent l'ensemble des
d’homologues dans les autres pays de
où les opérateurs se vendent entre eux
opérateurs de communications électro-
l’Union sauf en Espagne.
des prestations comme la mise à dis-
niques de France à l'exception de Free
Au niveau européen la représentation
et Numéricable qui ont participé à sa
des opérateurs n'est pas unifiée : l'ETNO2
fondation.
est plutôt l'organisation des opérateurs
1
Association française des opérateurs de réseaux et services de télécommunication.
2
European Telecommunications Networks Operators’ association.
3
European Competitive Telecommunications Association.
4
Association mondiale des opérateurs mobiles.
5
Over The Top : fournisseurs de service via Internet.
REE N°3/2014 105
position d'infrastructures ou comme la
modification substantielle du paysage
vente de services en gros que les opé-
des télécoms en France.
rateurs vendent par exemple aux opéra-
Quel en sera l’impact pour le consom-
teurs mobiles virtuels MVN0.
mateur ?
On a en France des réglementeurs
Y. L M. : En Europe, on voit que,
différents pour le contenu et pour le
fin 2013, l’Allemagne, l’Italie, et le
transport des contenus : cette situation
Royaume-Uni ont chacun d’eux, quatre
est difficile à maintenir dans la mesure
opérateurs mobiles ayant leur infras-
où les frontières entre les deux activités
tructure, comme la France. Mais cette
sont de plus en plus floues et où l'activité
situation résulte souvent d'une diminu-
des opérateurs de réseau va de plus en
tion du nombre d’acteurs. En France,
plus vers les contenus.
c'est une augmentation du nombre
Mais, le plus important est que la régulation s'inscrive dans le cadre d'une vision industrielle globale qui soit non seulement favorable au consommateur mais
d'opérateurs mobiles qui a été stimulée
En France 90 % des investissements télécom sont faits par les opérateurs
tardivement. En Allemagne la tentative actuelle de rachat du 4e opérateur par le 3e est susceptible d'y faire évoluer le nombre d'opérateurs A mon sens, la
aussi aux entreprises du secteur. Il est que l'inflation était de 11 %. Le prix des
Soumettre les OTT aux mêmes règles que les opérateurs de réseau
services fixes continue à baisser. La baisse sur le mobile est encore plus spectaculaire puisqu’elle a atteint 27,2 % en 2013 et 42 % depuis juin 2011 ! Je ne pense pas
Le rachat de SFR n’aura pas d'effet mécanique sur les prix de détail
que les prix vont remonter à court terme. nécessaire en particulier que les acteurs
Le problème est que les opérateurs de ré-
réduction du nombre d'opérateurs n'a
mondiaux de l’Internet (les Over The Top
seau n'arrivent pas à compenser la baisse
pas d'impact mécanique sur le consom-
ou OTT) soient soumis aux mêmes règles
de leurs revenus par ceux issus de nou-
mateur et les prix en particulier. C'est
que les acteurs nationaux dès lors qu'ils
veaux services : ceux-ci leur échappent de
plutôt la politique propre à chacun des
sont en concurrence avec ces derniers.
plus en plus, au profit des OTT qui captent
opérateurs qui sera déterminante.
Les analyses que nous avons conduites
l’essentiel de la valeur d’usage de ces ser-
montrent clairement que les acteurs OTT,
vices, alors même que les opérateurs ont
REE : Il y a beaucoup d'opérateurs en
par le biais de montages d’optimisation
à faire face à des investissements impor-
Europe, beaucoup plus qu'aux USA.
fiscale, arrivent à diviser par un facteur 22
tants pour étendre la capacité de leurs
Pensez-vous que ceci soit bénéfique
l'impôt sur les sociétés qu'ils auraient dû
réseaux et y mettre en place des technolo-
à l'industrie ? Une évolution structu-
payer en France. Dans le même temps,
gies plus performantes.
relle est-elle prévisible et, à tout le moins, souhaitable ?
les opérateurs de réseau sont soumis en
En France en 2013, les opérateurs ne
France à une fiscalité spécifique qui en
sont à l'origine que de 61 % des revenus
Y. L M. : Effectivement le nombre d'opé-
2011 représentait presque 3 % de leurs
de l'écosystème numérique alors qu'ils
rateurs est bien plus grand en Europe
revenus en plus de la fiscalité de droit
supportaient 90 % des investissements
qu'aux États-Unis. Le risque de rachat
commun. L'équité fiscale entre les acteurs
du domaine soit 7,2 milliards d’euros.
d'opérateurs européens est important
de l'écosystème est l’une de nos priorités.
Dans ces conditions comment les
à cause de leur sous-valorisation. Au
opérateurs peuvent-ils élaborer une
moment où des investissements impor-
REE : Les prix ont beaucoup baissé
stratégie tournée vers l'avenir du nu-
tants sont nécessaires notamment avec
au cours des dernières années.
mérique ? Est-ce qu'il ne faudra pas
l'arrivée de la 4G, on assiste déjà à des
Ce mouvement est-il derrière nous
réexaminer le calendrier de certains
consolidations locales. Il s’agit le plus
et va-t-on assister, comme c'est
investissements pour assurer le finance-
souvent de fusions d'opérateurs exis-
aujourd'hui le cas dans l'énergie,
ment de l’innovation ? Elle me semble
tants et parfois de rachats par des non
à une remontée des prix ?
vitale pour la survie de l'industrie des
européens. Pour le moment, le faible
Y. L M. : Les prix des services de télé-
télécommunications en Europe.
niveau des prix de détail sur le marché français constitue probablement une
communications ont baissé de 22 % entre 2006 et 2013 alors qu'en même temps
REE : Le rachat de SFR par Numéricâble,
protection vis-à-vis d'acheteurs poten-
le prix de l'électricité croissait de 23 % et
s'il se confirme, va entraîner une
tiels extérieurs à la France.
106
REE N°3/2014
ENSEIGNEMENT & RECHERCHE
La REE aborde dans le présent numéro une question souvent évoquée à l’occasion des budgets de l’enseignement supérieur et dont nous nous sommes fait l’écho dans notre dernier numéro : celle de l’effort collectif de la nation en matière de recherche et développement, base unanimement reconnue pour l’innovation et la compétitivité. Cette contribution comporte deux volets ; elle recense d’abord, à partir des études les plus récentes, les données essentielles en s’efforçant de préciser ce qui concerne les sciences de l’ingénieur dont nous sommes évidemment culturellement très proches. Ensuite REE accueille les réflexions de deux éminents spécialistes sur le rôle que pourraient et devraient jouer les docteurs dans l’entreprise.
Bernard Ayrault
I
l n’est pas si simple d’évaluer et de mesurer l’effort de la collectivité nationale en matière de recherche et développement (R & D), tant ses modalités sont variées ; heureusement depuis quelques années diverses études ont été publiées qui apportent souvent des précisions méthodologiques et statistiques notables, mais trop souvent les médias publient sans précautions des chiffres globaux – qui ont tendance à mélanger des aspects largement indépendants –, ou partiels – qui faussent, en masquant leur complexité, la compréhension des phénomènes et évolutions en cours . Un exemple illustrera ces propos : on constate souvent, pour la déplorer, la baisse de jeunes bacheliers s’inscrivant dans les facultés des sciences : ne serait-il pas nécessaire, avant de s’inquiéter,
d’analyser globalement les études scientifiques (classes préparatoires très largement scientifiques, écoles d’ingénieurs souvent d’implantation universitaire et IUT - voire BTS - qui de plus en plus souvent conduisent à des emplois techniques hautement qualifiés) ? La réponse est alors nettement plus nuancée et même encourageante dans la mesure où l’ensemble du système éducatif assure de mieux en mieux la nécessaire professionnalisation des études longues à forte composante scientifique…
A propos de l’emploi scientifique, des thésards et des doctorats L’emploi scientifique regroupe l’ensemble des personnes travaillant sur un poste de R & D : doctorants, enseignants-chercheurs, chercheurs et personnels de soutien (ingénieurs et techniciens) qui exercent tant dans le secteur public que dans le secteur privé.
Figure 1 : Effectifs des chercheurs des administrations et des entreprises de 1997 à 2010 - Source : L’état de l’emploi scientifique en France - Rapport 2013.
REE N°3/2014 109
ENSEIGNEMENT & RECHERCHE
Grand domaine Sciences humaines et sociales
Sciences fondamentales et applications
Sciences de la nature et de la vie
Domaine Scientifique principal Sciences humaines et humanités
Effectifs ED 20 570
37 100
Sciences de la société
16 600
50.8%
Sciences pour l’ingénieur
6 500
STIC
7 700
Nombre ED 70
133
63
46.8%
26 23 23.200
Chimie
3 500
Physique
3 800
16
Mathématiques et leurs interactions
1 700
8
Biologie, médecine et santé
8 400
Sciences de la terre et de l’univers, espace
2 400
Sciences agronomiques et écologiques
2 000
TOTAL
73 200
18
31,7%
91 32,0%
38 12 800
13
17,5%
60 21,1%
9 73 100
284
284
Tableau 1 : Tableau des écoles doctorales (ED) classées par domaine scientifique principal. Etabli par Alain Bamberger à partir de l’annuaire des formations doctorales et des unités de recherche.
Ainsi défini, et en tenant compte des temps partiels comme des quotités consacrées à l’enseignement, l’emploi scientifique comporte actuellement près de 400 000 personnes en France, dont 240 000 chercheurs, désormais majoritairement dans le secteur privé, qui a doublé depuis 15 ans (figure 1). Les 100 000 chercheurs publics comprennent près de 20 000 doctorants financés sur fonds publics et correspondent donc à 80 000 emplois (en équivalent temps plein) dans les universités et dans les organismes de recherches, à commencer par le CNRS. Universités et CNRS sont par essence pluridisciplinaires, cependant que les autres organismes de recherche sont essentiellement scientifiques (CEA, INSERM, IFREMER, IRD...). L’emploi scientifique n’est pas réparti de façon homogène puisque l’Île de France accueille près de 40 % des chercheurs des organismes publics, et décentralisation oblige, 25 % des enseignants chercheurs. Pour les doctorants et les jeunes docteurs la proportion est voisine d’un tiers. Quelques régions concentrent l’essentiel de la province (autour des métropoles que sont notamment Toulouse, Lyon et Grenoble) et bien des régions n’accueillent aucun centre autre que l’université, ce qui pérennise une grande dispersion thématique. Le poids démographique de l’emploi scientifique s’écarte très largement de l’importance régionale : la Bretagne, par exemple, en dépit de sa politique volontariste et du poids historique qui y ont les TIC, ne parvient pas à 5 % des emplois nationaux. Les analyses démographiques et de genre apportent aussi quelques données intéressantes : s la parité est largement inachevée et les femmes restent à environ un tiers dans le public et un cinquième dans le privé. La proportion de femmes décroît avec l’âge et le niveau hiérarchique : on sait bien que l’évolution des pyramides est lente mais on peut rester (presque) optimiste en constatant que 48 % des doctorants sont des femmes.
110
REE N°3/2014
s l’âge moyen des chercheurs du privé est très largement inférieur à celui du public (39,2 ans contre 47). Cela porte la marque des recrutements habituels : ici vers 30 ans après la thèse et souvent des séjours postdoctoraux ; là vers 25 ans, directement au sortir des écoles d’ingénieurs, sans préparation doctorale. A ces points de départ décalés s’ajoute des mobilités professionnelles significativement différentes puisqu’on fait moins souvent carrière dans la recherche privée que dans la recherche publique... Les comparaisons internationales ne sont pas aussi défavorables à la France qu’on le répète, dans les médias comme dans les syndicats : la France occupe le 8e rang mondial en termes d’effectifs (très près du Royaume-Uni et de la Corée du sud, mais assez loin des cinq premiers pays, inamovibles depuis de nombreuses années et sans doute pour longtemps encore !). Rapportés à la population, les mêmes effectifs donnent environ 0,85 %, devant l’Allemagne, le Royaume-Uni et presqu’au niveau des USA et du Japon, mais loin de la Finlande ou de la Suisse. N’oublions pas toutefois que la mondialisation concerne aussi bien d’autres aspects, tels que l’accueil des thésards étrangers ou la délocalisation de certains centres de recherche (pour se rapprocher des marchés). *** Le nombre global de doctorants recensés dans les universités et établissements similaires est désormais stabilisé à environ 65 000, après une forte période d’augmentation due essentiellement aux thésards étrangers qui représentent désormais environ 42 % du total (figure 2). Mais le nombre total de doctorants, établis à partir de l’ensemble des écoles doctorales dépasse sensiblement les 70 000 ainsi que le montre le tableau 1. Le « flux de sortie » de cette population, c’est-à-dire le nombre de thèses soutenues s’établit à 12 000 environ dont 4 800 étrangers,
ENSEIGNEMENT & RECHERCHE
Figure 2 : Evolution du nombre de doctorants entre 2000-2001 et 2001-2012 (France entière). Source : L’état de l’emploi scientifique en France - Rapport 2013.
Figure 3 : Evolution du nombre de doctorats entre 2000-2001 et 2001-2012 (France entière). Source : L’état de l’emploi scientifique en France - Rapport 2013. parmi lesquels les sciences présentent des caractéristiques particulières (figure 3). Cela correspond à environ 7 500 thèses scientifiques délivrées chaque année, soit une augmentation de plus de 50 % sur la dernière décennie ; cette augmentation est due pour l’essentiel à deux causes, d’ailleurs non exclusives, la montée en
charge des thèses préparées sous l’autorité des écoles d’ingénieurs et le poids croissant des étudiants étrangers (figure 4), (pensons aux thésards chinois, fort peu nombreux au début du siècle !). Les évolutions quantitatives mentionnées ci-dessus (+ 50 % sur les flux de docteurs face à une augmentation de 25 % des stocks d’em-
REE N°3/2014 111
ENSEIGNEMENT & RECHERCHE
Figure 4 : Répartition des doctorants de nationalité étrangère par origine en 2001-2012. Source : L’état de l’emploi scientifique en France - Rapport 2013. plois) expliquent les vives tensions relevées quant aux recrutements dans les organismes publics... Relevons quelques caractéristiques des thèses scientifiques : s LE DOMAINE DES SCIENCES ET DES TECHNIQUES CORRESPOND AUX DURÏES statistiquement les plus courtes (60 % des thèses achevées en moins de 40 mois et plus de 90 % en moins de 52 mois). La proportion de thèses menées à terme y est également la plus forte ; s LES THÏSARDS SCIENTIlQUES SONT ÏGALEMENT LES PLUS JEUNES EN DÏBUT de thèse (un tiers la commencent avant 25 ans) ; dans la quasi-totalité des cas les thèses sont financées et ce sont eux qui accèdent à un emploi pérenne (CDI ou fonctionnaire dans l’enseignement supérieur) dans la proportion la plus forte et le plus rapidement ; s PARMI CES THÏSARDS SCIENTIlQUES LES TITULAIRES D UN DIPLÙME D INGÏnieur sont en nombre croissant et ont les trajectoires les plus favorables (ce sont les plus jeunes docteurs, puis les mieux rémunérés, en particulier dans le secteur privé où ils accèdent en proportion plus élevée). En dépit de ces caractéristiques globales, la dispersion des thésards scientifiques est très importante dans plusieurs domaines : s LA PROPORTION DES FEMMES VARIE SELON LES DISCIPLINES ENTRE MOINS d’un tiers (sciences fondamentales et applications) et plus de 60 % (chimie ; sciences de la vie, de la terre et de l’Univers ; pharmacie) ; s GÏOGRAPHIQUEMENT ILS SONT SURTOUT LOCALISÏS DANS QUELQUES RÏgions ; outre l’Île de France seules quelques régions parviennent à un poids comparable à leur importance démographique et/ou économique. Viviers et évolutions Il est bien connu que notre système universitaire s’articule désormais autour de la trilogie licence, master, doctorat (LMD) : hormis quelques fonctions du niveau licence ou infra (IUT, BTS), l’emploi
112
REE N°3/2014
scientifique ne concerne que les niveaux M ou D. Dans les domaines scientifiques et techniques, il existe deux viviers : les universités où l’on prépare explicitement un master et les écoles d’ingénieurs, dont LE DIPLÙME VAUT MASTER LA PRÏPARATION CONJOINTE D UN MASTER Y AYANT une valeur plus symbolique que formatrice. Naguère le niveau M de l’université se partageait entre les DEA, à l’origine des masters recherche, et les DESS qui ont conduit aux masters professionnels : ces différences se sont très largement estompées et les masters sont désormais très majoritairement indifférenciés. Actuellement les deux viviers sont du même ordre de grandeur : 85 000 étudiants sur deux années de master (toutes disciplines confondues), ce qui correspond à un doublement sur une dizaine d’années, et 125 000 dans les écoles d’ingénieurs (sur des scolarités DE Ì ANS AVEC DES mUX DE DIPLÙMÏS DE L ORDRE DE POUR une augmentation à peine moins forte. On ne dispose pas actuellement d’analyses précises qui éviteraient les doubles comptes et affineraient les analyses en terme de domaines. Le devenir des étudiants de master est dans l’ensemble connu : on constate une diminution relative de ceux qui continuent en thèse : à peine 15 % des masters recherche (contre près de 20 % il y a cinq ans) et 5 % des masters indifférenciés, qui ont fait de sérieux efforts quant à l’employabilité de leurs lauréats. A l’opposé, une part croissante des jeunes ingénieurs continue en thèse, contrairement à une idée largement répandue, et la palme dans ce domaine revient indiscutablement à l’Ecole Polytechnique dont près de 30 % des anciens abordent le doctorat et à l’Ecole spéciale de Physique et chimie industrielle de la ville de Paris (ESPCI ParisTech) où la poursuite en doctorat est pratiquement la règle depuis Pierre Gilles de Gennes. Toutes ces données relativisent fortement le déclin annoncé des études scientifiques dans les disciplines traditionnelles à l’université,
CHRONIQUE
N
La science et le plaisir on, le titre de cette Chronique ne
avec surprise et bonheur que des thèmes
Belin mettent aux ouvrages de sa bibliothèque
signifie pas la REE s’accorde, pour
extraordinaires ou simplement tirés de la vie
scientifique.
élargir son audience, un moment
courante peuvent s’expliquer facilement sans
A l’opposé, loin de s’attaquer à des
de libertinage ou un clin d’œil
équation mais pas sans talent : il semble
sujets que la vie courante nous propose,
coquin vers des domaines licencieux. Nous
possible au lecteur de devenir expert en cerf-
P. Barthélémy part à la recherche des ques-
voulons simplement évoquer ici, à l’occasion
volant ou de réaliser les figures les plus osées
tionnements improbables, voire ubuesques,
d’ouvrages récents, combien la production
du skate bord, mais aussi de comprendre
que des scientifiques professionnels ont abor-
éditoriale peut se montrer plaisante sans
l’essence de quelques manifestations macros-
dés avec tous les canons et la rigueur requis
perdre sa rigueur, bref montrer que la science
copiques de la physique quantique. Les deux
par leur statut d’universitaires, et sans doute
et les scientifiques savent aussi donner d’eux-
compères n'en sont pas à leur coup d’essai,
exigés par les revues acceptant de publier
mêmes et de leurs activités une image inha-
leurs résultats. Chaque semaine, P. Bathélémy,
bituelle, ironique, voire franchement ludique.
journaliste scientifique, animateur du blog
Et le plaisir évoqué reste sagement et pure-
Passeur de sciences, débusque une étude
ment intellectuel : il renvoie simplement à la
inattendue et expose avec verve, voire jubila-
curiosité du lecteur stimulée puis comblée,
tion, les conclusions les plus sérieuses sur les
soit par la recherche de l’inattendu ou de
sujets les plus futiles. Il avait déjà rassemblé
l’exceptionnel, soit par un traitement volontai-
l’an passé de belles chroniques et sa récente
rement décalé ou vulgarisateur.
récidive avec Improbablologie et au-delà est
On ne manquera pas d’évoquer pour commencer quelques grands anciens, souvent scientifiques éminents qui ont donné à ce genre à la fois sérieux et ludique, ses lettres de noblesse : les plus âgés de nos lecteurs
Jean-Michel Courty & Edouard Kierlik La physique surprise Éditions Belin Pour la science, Collection Bibliothèque scientifique septembre 2013 - 184 p. - 24
encore plus réussie : le plaisir hebdomadaire du lecteur régulier est amplifié par la variété des 50 thèmes ici rassemblés et enrichi par les excellentes illustrations de Marion Montaigne. Quel genre de scientifique peut donc
se souviennent sans doute des aventures de
aller, proprio motu, tester le venin de la veuve
Mister Tompkins, commencées il y a 75 ans
noire, s’enquérir du mode d’emploi des gros-
et dues à la verve de George Gamow, cos-
sesses nerveuses ou s’inquiéter de la fiabilité
mologiste de grand talent, fort imaginatif de
des témoins alcoolisés ? Les travaux d’obscurs
surcroît ; ils seront d’ailleurs heureux d’ap-
collègues sont ainsi portés en pleine lumière
prendre que Russell Stannard, universitaire
et leur audience sans doute largement décu-
britannique, a pris récemment le relais pour
plée par l’attachement, l’addiction même, de
Le Nouveau Monde de M. Tompkins dans le-
P. Barthélémy à l’improbable ; à défaut de
quel le héros rencontre trous noirs, composants des nucléons et accélérateurs de particules (traduction disponible aux éditions du Pommier). On citera aussi avec plaisir des auteurs dont les ouvrages sont régulièrement signalés dans la rubrique « Vient de paraître » ; Etienne Klein, Ian
Pierre Barthélemy Improbablologie et au-delà Nouvelles chroniques de science improbable Éditions Dunod & Le Monde avril 2014 - 176 p. - 12,90
Stewart ou Jean-Paul Delahaye viennent régu-
concourir à leur gloire scientifique, les chroniques qu’il en tire suscitent quelques bons moments et même quels bienfaisants fousrires ! L’auteur de la présente chronique ne peut, pour conclure, manquer de saluer, confraternellement et avec admiration, les auteurs de
lièrement stimuler notre curiosité et nous don-
mais ils atteignent ici une maîtrise consom-
ces deux ouvrages : ne s’agit-il pas de la col-
ner sous forme plaisante les réponses à des
mée dans la vulgarisation scientifique, après
lecte de chroniques régulières, tenues chaque
questions ou problèmes traqués avec délice
plusieurs réussites chez le même éditeur
semaine dans Le Monde ou chaque mois
ou recherchés avec opiniâtreté.
depuis 10 ans (Les lois du monde, avec
dans Pour la Science. Quiconque s’est essayé
Les deux ouvrages que nous avons
Roland Lehoucq, Le monde a ses raisons
à l’art difficile de la vulgarisation amusante
sélectionnés ici sont fort différents mais se
et La physique buissonnière). N’ont-ils pas
ou de la chronique intéressante ne peut que
rejoignent dans le plaisir que leur lecture pro-
obtenu dès 2008 le prix Jean Perrin de Popu-
saluer d’un grand coup de chapeau tant de
cure. Dans le premier Jean-Michel Courty &
larisation de la science ?
constance dans l’effort et tant de réussite dans
Edouard Kierlik, éminents universitaires pari-
On n’oubliera pas de mentionner pour
la découverte renouvelée de thèmes variés,
siens délaissent des recherches pointues pour
souligner la complète réussite de cette « Phy-
futiles ou profonds, mais chaque fois rendus
expliquer « comment ça marche », pour faire
sique surprise » la chaleureuse préface
passionnants par un bel effort d’écriture et de
la Physique buissonnière qu’appelle quelque
de Pierre Léna, la qualité des illustrations
pédagogie !
phénomène banal ou surprenant ; on apprend
de Bruno Vacaro et le soin que les éditions
120
REE N°3/2014
B. Ay.
PROPOS
LIBRES
Gilbert Ribes Ex cadre-dirigeant dans l’industrie
L1, dont trois spécialement habilités pour surveiller que les décisions prises ne remettent pas en cause les intérêts nationaux, doivent être de nationalité américaine.
E
Les conditions imposées par la Chine pour tout inn 2005, un décret du Premier ministre, à
vestissement étranger sont encore beaucoup plus res-
l’époque Dominique de Villepin, avait défini
trictives que celles imposées par les Etats-Unis, quant
plusieurs secteurs stratégiques dont il sou-
aux secteurs concernés et quant à la nature des restric-
haitait le maintien des centres de décision
tions. En effet la principale forme d’implantation auto-
en France. Après négociation avec la Commission eu-
risée en Chine est la co-entreprise, souvent associée à
ropéenne, la liste des secteurs stratégiques avait été
une participation chinoise majoritaire et à des transferts
réduite aux questions de défense nationale, de sécurité
de technologies, pouvant favoriser le développement
privée et de jeux d’argent hors casino.
concurrentiel de la Chine au détriment de l’industrie
En 2014, le décret du 15 mai 2014, dit « décret
européenne.
Montebourg », étend la liste des secteurs stratégiques à
Une dizaine de pays européens ont recours aux
l’énergie, l’eau, les transports, les communications élec-
mêmes types d’intervention (Allemagne, Espagne,
troniques et la protection de la santé publique. La Com-
Italie…). La tentative de prise de contrôle du laboratoire
mission européenne vérifiera la conformité de cette
pharmaceutique britannique Astra Zeneca par l’améri-
décision avec le Traité de l’Union européenne.
cain Pfizer montre que le gouvernement libéral anglais intervient également dans les ten-
L’objectif du décret est de permettre au gouvernement français, en cas de proposition ou de tentative de rachat d’une entreprise française par une entreprise étrangère dans ces secteurs, d’examiner les solutions possibles et de faire prévaloir celle qui préserverait le mieux l’intérêt national.
Le décret Montebourg va-t-il dans le bon sens ?
Quelle lecture faire de l’affaire ALSTOM ?1
Il ne s’agit pas de refuser les investis-
tatives de prises de contrôle de ses grandes entreprises nationales. L’impact du décret Montebourg sur les investissements étrangers en France sera dans la pratique négligeable : le décret ne concerne que les rachats d’entreprises existantes dans un nombre restreint de sec-
seurs étrangers mais, le cas échéant, d’assortir l’autorisa-
teurs ; le décret ne concerne pas la création de nou-
tion de rachat de conditions quant à la préservation de
velles entreprises apportant leurs propres technologies ;
la sécurité nationale, de l’ordre public, de la pérennité
les mêmes contraintes existent dans les autres pays
des activités, des capacités industrielles, des capacités
puisque la France ne fait que s’aligner sur les standards
de recherche et de développement, de la continuité de
internationaux ; la France est un pays dont le capital des
l’approvisionnement et des emplois en France.
grandes entreprises reste ouvert aux investisseurs étran-
Ce faisant, la France ne fait que s’aligner sur les stan-
gers (fin 2012, ceux-ci détenaient 46,3 % du capital du
dards internationaux, notamment américains (Foreign
CAC40, contre 11 % aux Etats-Unis, où la propriété des
Investment and National Security Act de 2007) et chinois.
entreprises est très surveillée).
Aux Etats-Unis en 2012, le Committee on Foreign Investment in the United States (CFIUS) a examiné 114 cas : 45 ont donné lieu à enquêtes et 20 entreprises ont
Que faut-il alors penser du cas ALSTOM ? Dans le cas d’ALSTOM, l’intérêt national exige de
abandonné leur projet en cours d’enquête. Entre 2010
conserver la maîtrise des décisions permettant de :
et 2012, 28 entreprises françaises ont été concernées.
s PRÏSERVER LA PÏRENNITÏ DES ACTIVITÏS CONCERNANT LA
Les conditions imposées à la société Safran, pour le
maintenance, les extensions et les adaptations des
rachat de la société L1 qui gère la délivrance des permis
centrales et des réseaux électriques, des matériels
de conduire, sont représentatives des conditions que les
et des réseaux ferroviaires de tous types qui ont été
Etats-Unis peuvent imposer : tous les administrateurs de
fournis par ALSTOM aux opérateurs nationaux, compte
1
Ces "Libres propos" ont été écrits avant que ne soit trouvé un accord entre le gouvernement français et les parties intéressées.
REE N°3/2014 121
PROPOS
LIBRES
tenu de l’importance vitale de ces réseaux pour l’acti-
s L ANCIENNETÏ ET LA QUALITÏ DES RELATIONS ENTRE !LSTOM ET
vité économique du pays, le bien-être et la sécurité
General Electric, depuis la création d’ALSTOM en 1928
des citoyens ;
jusqu’au rachat de Converteam, filiale d’ALSTOM, par
s MAINTENIR DES CAPACITÏS DE RECHERCHE ET DE DÏVELOPPE-
General Electric en 2011, et la qualité des relations de
ment garantissant la mise en œuvre et la valorisation
voisinage sur le site de Belfort ;
des innovations issues de la collaboration avec les opé-
s LES COMPLÏMENTARITÏS TECHNOLOGIQUES ET COMMERCIALES
rateurs nationaux et/ou d’autres centres de recherche
et les synergies potentielles entre les deux entreprises
nationaux ;
sont beaucoup plus importantes qu’avec n’importe
s MAINTENIR DES CAPACITÏS INDUSTRIELLES PERMETTANT D OPTImiser la mise au point des innovations ;
quel autre partenaire envisageable ; s LA RÏUSSITE EXEMPLAIRE DE LA CO ENTREPRISE PARITAIRE #&-
s MAINTENIR OU CRÏER DES EMPLOIS EN &RANCE ET POUVOIR
INTERNATIONAL entre SAFRAN et General Electric,
exporter la plus grande valeur ajoutée possible afin de
créée en 1974, dont le siège est à Paris et qui est leader
contribuer à l’équilibre indispensable de notre balance
mondial dans le domaine des moteurs d’avion (CFM
commerciale.
56 puis LEAP), démontre l’aptitude et le savoir-faire de
La vente pure et simple des activités Energie d’ALSTOM
General Electric pour nouer un partenariat exemplaire
(Thermal Power, Renewable Power, Grid) à une entreprise
avec une entreprise française, ce qui ne serait pas aussi
étrangère ne permettrait pas de satisfaire ces conditions,
évident avec Siemens, du fait de complémentarités et
quels que soient l’acquéreur et les engagements qu’il
de synergies moindres et d’une concurrence très vive et
pourrait prendre ; elle doit donc être exclue. De nombreux
très ancienne entre les deux entreprises.
exemples démontrent en effet la précarité des engage-
Une variante pourrait consister à exclure le secteur
ments qui peuvent être pris à l’occasion du rachat d’une
Renewable Power de l’accord avec General Electric et
entreprise (PECHINEY ou ARCELOR en France, CADBURY
d’envisager un partenariat avec Siemens, sous forme
en Angleterre) et les risques de dépeçage de cette entre-
d’une co-entreprise paritaire, pour créer un leader euro-
prise malgré les engagements pris.
péen et mondial dans ce secteur.
En outre, la vente des activités Thermal Power et Grid,
Un partenariat avec General Electric dans le secteur
les plus rentables d’ALSTOM, risqueGilbert Ribes est ancien élève de
partenariats dans le secteur Trans-
mettre l’avenir du secteur Transports.
l’Ecole Polytechnique. Il a été de 1960
ports où il existe plusieurs parte-
En revanche, un partenariat dans
à 1974 directeur et conseiller d’entre-
naires potentiels.
le secteur Energie, sous forme de co-
prises à la SEMA. En 1974, il rejoint
entreprise, avec minorité de blocage
Creusot-Loire en tant que directeur de
à défaut d’être paritaire, pourrait permettre de renforcer ALSTOM. General Electric nous paraît être le meilleur partenaire possible dans ce secteur pour trois raisons principales :
122
de l’Energie n’interdirait pas d’autres
rait de déstabiliser et de compro-
REE N°3/2014
division et directeur d’usine. De 1981 à 1996, il a été directeur-adjoint de division et directeur commercial à la Société anonyme de télécommunications (groupe SAGEM).
Dans le cas où Bouygues confirmerait son intention de vendre sa participation dans ALSTOM (29,38% au 31/03/2013), l’Etat devra contrôler l’évolution de l’actionnariat de ce dernier, en cohérence avec le décret Montebourg.
Entre science et vie sociétale,
les éléments du futur Une publication de la
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