"Mon Andalousie"

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L’est andalou du 1er au 10 novembre 2013


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Sommaire

Destinations depuis la côte

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Malaga en prestige

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Cordoue magique discrète

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Grenade somptueuse extravertie

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El Torcal rêve rocheux

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Antequera carrefour andalou

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en savoir plus », les informa-

Ronda l’unique

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tions relatives à l’histoire

Divers blancs villages

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Marbella la cossue

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Nerja promontoire marin

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Andalousie profonde

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Un peu de l’économie andalouse

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pour cette 1ère partie, donc en dehors des annexes « pour

sont repérées par des carac-

tères italiques.

... pour en savoir plus sur : la tauromachie

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huit siècles maures d’Al-Andalus et spécialement

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les omeyyades

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le calife d’occident

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Almanzor l’usurpateur

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les taïfas et les almoravides 86 les almohades

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la 1ère Reconquista

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l’âge d’or grenadin

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exit Al-Andalus voici l’Andalousie

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les merveilles décoratives

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Avant d’aborder les « villages blancs » et sans pour autant, non sans regret, avoir pu visiter l’entière Andalousie, nos premières visites sont pour les sites les plus fameux de l’est andalou, Cordoue et Grenade, après Malaga notre lieu d’hébergement.


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Malaga

en pre stige

En ce début novembre, le ciel est clair en bord de mer, trompeuses températures qui font croire à l ‘été dans la journée, mais qui dans l’ombre venteuse enveloppent les passants déjà transpirant dans un flux trop frais. Bonjour le rhume… Màlaga, qui prend en espagnol un accent sur le 1er « a » pour accentuer la 1ère syllabe (Mme GPS ne manquait pas de le prononcer ainsi à l’espagnole) est un site assez prestigieux dont les bâtiments reflètent une opulence récente, Son plus illustre enfant est probablement Pablo Diego José

Francisco de Paula Juan Nepomuceno María de los Remedios Cipriano de la Santísima Trinidad Mártir Patricio Ruiz y Picasso, autrement dit

Pablo Picasso, dont la maison de naissance héberge une Fondation à son nom.

si né à Malaga.

L’acteur Antonio Banderas est aus-

Picasso le mécréant n’a pas dû beaucoup fréquenter la cathédrale dont les hauts murs extérieurs (42 m à l’intérieur) cernés de toutes parts par les immeubles voisins et surtout le clocher monumental rendent une agréable lumière couleur soleil levant à peine rosé. A l’intérieur, les chapelles, les orgues en son milieu d’où jaillissent des tuyaux en faisceau

comme autant de trompettes, sont d’un lyrisme appuyé, rappelant en particulier la cathédrale de Grenade. Un pilier chatoie doucement sous les lumières de vitraux. On l’appelle la « Manquita » (la petite manchote) du fait de l’absence d’une 2ème tour clocher qui ne fut jamais construite faute de moyens. Comme beaucoup d’églises andalouses, la construction allie les styles Renaissance, gothique et baroque. L’entrée latérale gauche s’orne d’une porte assez isabellin aux tonalités de brique rose,

chargée, du style gothique


5 Une longue et moderne promenade longe les quais d’une sorte de port bien clos où ne mouillent qu’un énorme yacht dernier cri battant pavillon du condominium britannique et un voilier 3 mâts de croisière juste en face du phare. Si précieux navires qu’on ne peut les contempler qu’à travers les reflets d’une haute palissade transparente. La baie s’encombre bien au-delà, en direction de l’ouest et de Gibraltar invisible, d’énormes et noires grues, colossales et sombres sculptures

fantomatiques dans l’éblouissant scintillement de la mer. Malaga est dominée par une colline abrupte ; sur son sommet, une forteresse du 11ème siècle d’inspiration almohade, le Gibralfaro. On y accède à pied par un long et pittoresque chemin d’accès, d’où la vue sur la ville s’élève progressivement. En passant, on surplombe les arènes de toros, maintenant masquées de la mer et assaillies par une barre d’immeubles laids, mais sur laquelle elle donnait à l’origine. Dans sa sobriété, et une retenue qui confine presque à la sévérité, la forteresse dévoile cependant d’agréables surprises comme ce patio fleuri ou un bassin paisible, concession almohade à la douceur de vivre, et qui préfigure les fastes de Grenade.

Le point de vue panoramique depuis le chemin de ronde étroit au parcours surprenant avec ses échauguettes ne manque pas de charme.


6 Au gré du parcours où jouent des écureuils, cette porte délicate comme un diadème d’une princesse slave, ou ce toit de brique tout à fait « artesonados » dont les délicates décorations latérales s’estompent.

Dans les jardins au pied de la forteresse, une vive lumière joue de contrastes sur des bancs de briques aux beaux azulejos et avive les couleurs des buissons le long de l’avenue déjà décorée de motifs du nouvel an à venir. Sur l’embouchure du fleuve Guadalmedina (« rivière de la ville » en arabe), Malaga, 5ème ville d’Espagne aujourd’hui, doit son essor actuel à son port et au tourisme depuis les années 60-70.

Créée vers –800 par les phéniciens 100 km à l’est de Gibraltar, puis carthaginoise et romaine, enfin Vandale puis Wisigothe, elle est conquise par les musulmans en 755. Pillée par Hasting, roi viking en 858, elle est le siège d’une taïfas de la période musulmane pendant le Moyen-Âge. Elle appartient ensuite à l’émirat de Grenade, et constitue un enjeu stratégique important pour les chrétiens de la Reconquista. Ils la reprennent en 1487. Malaga est le seul port de la côte andalouse au 19ème siècle. Avec Grenade, Châteaubriand, Théophile Gautier « propagandiste de la renaissance andalouse » séjournent et apprécient l’Andalousie jusqu’à la passion, dans le mouvement romantique de cette époque vers 1840, qui réhabilite les « mores d’Espagne ». Malaga fut aussi la « ville pionnière de la révolution industrielle espagnole », avant Barcelone, et se déchire sous Franco.


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e Cordou

magique e

discrèt

Et maintenant Cordoue, magique ancienne ville. L’arrivée en voiture n’est pas séduisante : zone urbaine sans attrait qui déçoit. Sûr aussi qu’en une seule journée, mieux vaut se laisser guider par son instinct pour un tel site qui mériterait plusieurs jours.

Mais après avoir franchi les murailles qui la bordent près du Guadalquivir (« grand fleuve » en arabe), et être entré dans la ville ancienne, une sorte de magie opère en effet. Les édifices de pierre Renaissance côtoient des bâtiments au pur style arabe, et on s’enfonce dans des ruelles colorées, parfois trop commerçantes, mais d’un charme certain. Puis sans y prêter garde, on entre dans cet espace pavé de petits galets et planté d’orangers où circulent des filets d’eau dans d’étroits canaux : c’est le jardin au sein de l’ancienne mosquée, « la cour des orangers ». Isabelle la Catholique remplaça en effet les palmiers dont elle était plantée par ces agrumes.

Avant la Reconquista, toute la longue façade de la cour était ouverte de 19 arcades qui permettait en toute liberté l’accès à la mosquée. Cet accès a été fermé dès la Reconquista achevée.

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De la cour, on aperçoit l’imposante masse du toit central de la chapelle, à l’origine un minaret qui atteignait 47m de haut sous le règne d’Abd el Rahman III. Construite et étendue pendant 2 siècles de 785 à 987, ci-contre sont représentées les extensions successives de la mosquée, appelé Mezquita, pendant l’émirat puis le califat de Cordoue. Ses 19 nefs chacune avec de l’ordre de presque 30 travées, couvrent 23000 m² sur un quadrilatère de 180 m sur 130m. Elle était la 2ème plus grande mosquée du monde après celle de La Mecque.


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La Mezquita Le plus remarquable, dont le spectacle ne lasse jamais, c’est l’intérieur de la mosquée elle-même, dans une pénombre qui laisse une part à la lumière naturelle. Mosquée parmi les mieux conservées aujourd’hui. Son immensité (plus de 1000 piliers à la fin de sa construction, 854 aujourd’hui) n’écrase pas la perspective, grâce aux doubles arcades superposées à claveaux alternés rouges et blancs, qui confèrent une parfaite harmonie à l’ensemble et une sereine élégance aux perspectives multiples que l’on découvre.

Tous les piliers colonnes sont d’origine, faits de marbre de couleurs différentes. Certains ont perdu leur verticalité, par l’effet du grand tremblement de terre de Lisbonne en 1755 qui s’est fait ressentir aussi loin à l’est.

Dans une mosquée, le mihrab (« sanctuaire » en arabe ), souvent décoré avec deux colonnes et une arcature, est une niche qui indique la qibla, c'est-àdire la direction de la ka'ba à La Mecque vers où se tournent les musulmans pendant la prière. Il est souvent au milieu du mur de la qibla.

Le mirhab dans ses tonalités dorées est une merveille de délicatesse et d’harmonie, que l’on dit d’inspiration byzantine.


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Le dôme au-dessus du mirhab forme un dais de stuc d’une splendeur et d’une richesse inouïes.


10 La construction de la chapelle centrale catholique, sur l’emplacement même du minaret au centre de la mosquée a pris 243 ans, à partir de 1523, ce qui explique que coexistent du gothique flamboyant, du style Renaissance et du baroque.

On aperçoit la chapelle ci-dessus au travers de deux arcs successifs polylobés. Le Guide du Routard sait gré aux architectes d’avoir conservé intact le mirhab et le reste de la mosquée, et d’avoir aménagé une transition dans la décoration entre le andalou musulman et le style flamboyant du lique (ci-dessus à droite, une chapelle).

style araborite catho-

L’harmonie qui en résulte est paradoxalement étonnante, quand on sait la volonté des catholiques d’exprimer leur suprématie dans une explosion lumineuse des styles architecturaux de l’époque, contrastant avec l’élé-

gante sobriété de la mosquée. De fait, pas de contraste mais un accord presque sans faute. On peut seulement un peu regretter l’exubérance décorative de la chapelle.

Charles-Quint, qui avait été appelé à arbitrer, avait ordonné de sa résidence lointaine la destruction de cette partie centrale où était le minaret pour y construire la chapelle. Il regretta sa décision quand il vint à Cordoue : « Si j’avais su ce que vous aviez là, je n’aurais pas permis que l’on y touche, car vous avez fait ce qui peut se faire n’importe où, et vous avez détruit ce qui est unique au monde » dit-il à ses chanoines.


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Dans les ruelles Il faut cependant s’arracher à cette fascinante mosquée-cathédrale. Immédiatement en sortant, des rues parfois étroites à la manière des casbahs font étalage de commerces touristiques, mais avec une originalité des couleurs et des décorations qui compensent parfois l’impression néfaste du mercantilisme.

Cordoue lance des concours du plus beau patios, dont certains sont d’une délicatesse parfaite.

Le 1er étage des façades est ouvert de grandes baies masquées derrière de plates

vérandas parfois protégées par de robustes barres métalliques, ou qui se prennent d’autres fois pour des moucharabiehs.


12 Le dépaysement est plus saisissant quand on traverse le nonchalant et très pittoresque quartier de la Juderia. Le calme y est presque total. Malgré la contrainte de ghetto imposée par le passé à la communauté juive, l’impression est celle d’un développement tranquille au gré de la douce topographie des lieux, aménageant de petites places agréables sur lesquelles débouchent des rues étroites et sinueuses. Mais le jour de notre visite, la célèbre petite synagogue du

14ème siècle, l’une des plus anciennes d’Espagne avec celle de Tolède, ne se visitait pas. Frustration de curieux que

nous sommes, qui n’égalait pas celle de pratiquants venus là comme en pèlerinage et trouvant porte fermée. Ici, un remarquable moucharabieh d’angle qui semble fait de bois tressé, dans la charmante place Elie J Nahmias. Au hasard d’une venelle, par la Calle de Las Flores, on accède à une petite place très joliment décorée de pots de fleurs bleus, encore une petite mer-

veille de pittoresque avec au 1er étage sa courte galerie d’arcs andalous et un trompe-l’œil agrémentant une façade.


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Le grand fleuve Guadalquivir Près de la mairie se dresse une salve de colonnes corinthiennes enserrées dans un environnement urbain dense et en travaux.

C’est ce qu’il reste d’un temple romain du 1er siècle non loin du fleuve Guadalquivir, qui s’appelait alors Betis, du nom de la région romaine qui portait le nom de Bétique. Grand fleuve qui traverse l’Al-

Andalus d’est en ouest sur 658 km, chargé de mythes. A l’extrémité opposée à la cour des orangers de la Mezquita, par une place pavée on descend vers le fleuve pour découvrir le vaste pont de pierre qui le traverse, ouvrage puissant aux robustes brise-

courant, œuvre

d’Almanzor.

Sur la rive gauche du fleuve, une très grande roue à aubes qu’il animait dans le passé, bien restaurée. C’est la noria de Albolafia, qui servait à irriguer les jardins de l’Alcazar voisin. Trop tard pour visiter ce dernier. Pourtant, ce palais dont les premiers éléments sont construit sous la dynastie maure des omeyyades, et ensuite étendu, héber-

geait la très fameuse bibliothèque du califat au Moyen Âge. Après la reprise de Cordoue en 1236, Alphonse XI de Castille entreprend en 1328 la construction de l’actuel Alcazar (« palais » en arabe), dont il

reprend un peu des parties de l’ancienne forteresse et l’architecture de style mauresque. Haut lieu historique, puisque Isabelle et Ferdinand viennent y habiter et y créent le siège permanent des premiers tribunaux de l’Inquisition, ceci pour 3 siècles. On comprend qu’il existe à Cordoue un musée de la torture dont les raffinements ont été particulièrement inventifs pendant cette noire période.

La très sensible Isabelle demanda cependant qu’on arrête le moulin sur le Guadalquivir tant il était bruyant et gâchait son sommeil.


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L’Alcazar L’Alcazar est aussi le siège d’où les rois chrétiens préparent l’assaut final du dernier bastion nasride celui de l’émirat de Grenade. C’est là où son dernier émir, Boadbil est emprisonné en 1483 avant d’abdiquer en 1492. Christophe Colomb (Colomb ou ...Coluche? Mettons-y un nez rouge! Tu es démasqué Colomb!) y rencontre les rois catholiques la même année avant son départ pour les futures Amériques qu’il atteint sans le savoir. L’Alcazar’est avec celui de Séville l’un des principaux témoignages de l'architecture mudéjare (voir annexe).

On ne peut éviter de rappeler aussi que notre mot « cordonnier » vient de « cordouinier », de l’ancien français « cordoan » (dès le 12ème siècle), « cuir de Cordoue », en référence à cette ville dont le cuir était très réputé (cuir estampé puis patiné surtout posé en mural), y compris pour la maroquinerie. De fil de lin en alêne, « cordonnier » a concurrencé puis supplanté l'ancien mot français « sueur » (en latin celui qui coud, réalise une suture, employé jusqu'au 15ème siècle, et si proche du verbe coudre en anglais, « to sew ») et « corvoisier », qui signifiait aussi « de Cordoue ». Le corvoisier fabriquait des souliers neufs ou de luxe, mais beaucoup de réparateurs de souliers ont usurpé ce titre, si bien que les deux termes ont divergé. Puis la fabrication industrielle des chaussures au 20ème siècle a eu raison du corvoisier, comme d’ailleurs du savetier.


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euse somptu e d a n Gre rtie extrave Maintenant, dirigeons-nous vers l’autre merveille plus proche, que nous visiterons à deux reprises, non pas pour revoir mais pour approfondir et compléter notre connaissance de ce lieu somptueux : Grenade. Pour l’histoire de cette ville mythique, voir l’annexe. A la différence de Cordoue, on y accède par une vaste et belle « huerta » (vallée) aux richesses agricoles manifestes, la « vega » (plaine fertile irriguée) de Grenade. La splendide et haute barrière de la Sierra Nevada (longue cordillère culminant à 3481m) qui en est la toile de fond, confère une majesté au site. Ses sombres pentes étaient l’un des deux jours masquée par une longue écharpe de nuages clairs. L’un des axes principaux du centre ville s’orne avec ostentation d’une énorme stèle à la gloire d’Isabelle la catholique. En continuant à remonter la rue des Rois Catholiques, on parvient à une vaste place très touristique dans le creux d’un vallon escarpé au fond duquel coule une petite rivière, le Darro. Le ruisseau musarde sous deux beaux ponts anciens à une ou deux voûtes, qui l’emjambent en jetant leur autre extrémité plus haut vers la colline.

Sur cette place, avant de poursuivre le long de la chaussée pavée qui longe la rivière, une église au beau parvis (St Gilles et Ste Anne). A partir de là, on emprunte la pente sinueuse qui monte à l’assaut du fameux Alhambra, en traversant à droite quelques venelles. Là, sur le chemin, des boutiques à touristes, mais aussi cette échoppe de fabrication de guitares : le flamenco commence à s’échauffer, dont le berceau se trouve sur l’un des flancs de la colline opposée, celle de Sacromonte, après l’ancienne enceinte de l’émirat nasride.


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L’Alhambra Après qu’on ait franchi une porte imposante et qu’on ait passé à mi-chemin au pied massif d’une tour, l’allée longe un beau parc bien feuillu aux arbres vénérables. Pour les seuls visiteurs qui ont réservé à l’avance par internet, l’accès se fait avec une légère anticipation sur l’horaire prévu. Ci-dessous, l’entrée.

Et nous voici enfin au sommet de la colline de la Sabika, dans la fameuse allée de buis (?) parfaitement taillés qui conduit, dans l’enceinte de l’Alhambra, aux palais nasrides. Les fouilles se poursuivent à gauche ; un peu plus bas à droite on longe le Palais de Charles Quint, vaste et assez sévère quadrilatère troué d’un grand espace circulaire à hautes colonnes sur deux niveaux, du plus pur style Renaissance. Construit à partir de 1527, il fait en réalité plutôt penser à une arène à toros surélevée et assez pompeuse. Cependant, rendons grâce à Charles Quint d’avoir souhaité, depuis ses appartements, continuer à contempler l’Alhambra au sein duquel il est construit.


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Vue de la colline de Sabika, depuis celle de l’Albaicin

Palais nasrides et de Charles Quint

Alcazaba

Généralife

Palais nasrides et de Charles Quint Alcazaba

Palais nasrides et Alcazaba

de Charles Quint

Généralife


18 Laissant pour l’instant l’Alcazaba (la forteresse) à gauche, contemplons à droite les palais nasrides, au dessus de la vallée du Darro. Là, c’est l’émerveillement : délicatesse et élégance des décorations de stuc, effets de perspective jouant des plans multiples au travers des arcs brisés ou polylobés. Eclusons une bonne fois trois réserves. La place des fameux lions de l’Alhambra déçoit un peu, non pas du fait de la vaste cour elle -même qui est un vrai ravissement, mais dune certaine maladresse dans leur représentation (on dirait plutôt des chiens ; manque de savoir faire de sujets animaux dont la représentation est interdite par le Coran?). Dans l’un des palais, les décorations de stuc en forme de stalactites (« muqarnas »), typiques de cet art nasride, sont très chargées. On est cependant admiratif de la virtuosité dans la réalisation des motifs complexes ; au point que même l’efficacité de la mise au point automatique des meilleurs réflex est déjouée. L’état de conservation (ou de restauration?), et l’effet rendu sont remarquables, à la manière dont on contemple de savoureuses pâtisseries ou des œuvres de cristal. Enfin, et avec une injuste sévérité peutêtre, les colonnes portant leurs chapiteaux si chargés et massivement décorés semblent bien maigres, évoquant curieusement un mouton debout avant la

tonte : maigres pattes sur un énorme volume de laine. Impression atténuée par le doublement des colonnes et une harmonie véritable. Réserves mineures en marge d’un enchantement, dentelles de stuc d’une richesse et d’une délicatesse à couper le souffle.


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20 Le Palais Royal est une autre merveille avec ses arcs brisés rehaussés noblement de toits pyramidaux de tuiles. Avouons-le, il est un peu comme un palais des merveilles en apesanteur au-dessus du sol, aérien, presqu’irréel, qui facilitait les pas feutrés des favorites et des aristocrates arabes en babouches dorées. Il est constitué du Mexuar, de la Cour des Lions et du Palais de Comares. Peu importe l’histoire, rêvons et laissons-nous aller au sublime. La traversée des palais fait défiler sans qu’on y prenne garde et dans un cheminement aléatoire : le Mexuar beaucoup transformé au cours de l’histoire,

la Cour des Lions : elle présente des influences chrétiennes qui doivent à l'amitié entre l’émir Muhammad V et le roi castillan Pedro 1er dit le Cruel

le Patio des Myrtes

la Salle des Ambassadeurs, couverte d'inscriptions décoratives, poèmes, louanges à Dieu, à l'émir, devise des Nasrides ou textes du Coran.


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le Patio de la Chambre Dorée (cidessous en 1883)

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les Bains, avec décoration d’azulejos, construits sur le principe romain. La voûte du plafond des ablutions est percée de fenêtres en étoile octogonale, constante des bains maures qu’on retrouve par exemple à Ronda

le Patio de la Grille, du nom du balcon façon moucharabieh

trois arcs de muqarnas (stalactites) depuis la salle du même nom


22 la salle des Deux Sœurs (en fait deux dalles jumelles au sol). La coupole de muqarnas est mise en valeur par la lumière issue de petites fenêtres latérales. L’exquise et très très sobre (!) forme en fleur est célébrée dans un poème d’Ibn Zamrak trouvé sur une plinthe d'azulejos.

En quittant trop vite (nous n’avons pas vu la Boudoir de la Reine, ou la Salle des Abencérages par exemple) les palais nasrides, on débouche sur les jardins du Partal, équilibre et sérénité.


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Le Généralife Quelques fameux points de vue montrent le soin que prenaient les architectes pour tirer parti des panoramas, des jardins, des perspectives qui viennent s’encadrer dans un arc brisé par exemple. Véritable composition de tableau. Comme on le voit aussi depuis le Généralife. A droite qu’est-ce (les palais nasrides?) et vu d’où? C’est cette brique de chaude couleur qui, au soleil couchant, prend de superbes teintes ocres, et qui explique le nom : Alhambra signifie « la rouge ». Arrachons-nous au charme, et dirigeons-nous maintenant vers un autre envoûtement, le Généralife.

C’était le palais d’été des princes nasrides, placé sur la colline dite du Soleil. Le Généralife (Jannat alArif en arabe) signifie « le Paradis ou le jardin de l'architecte ou de l’intendant»). Il traduit l'expression d’un mode de vie évoquant le paradis musulman. Construit au 13ème siècle et achevé en 1319, il est antérieur à la construction du Palais de Comares. Il était considéré comme étant à l'extérieur de la ville et de l’Alhambra. Le site, abandonné après 1492, a été modifié, restauré, réaménagé par les souverains catholiques puis ultérieurement jusqu’au 18ème siècle. Sa configuration initiale est difficile à déterminer. A l’inverse de l’Alhambra, la décoration est d’une belle simplicité, presque austère, qui invite au repos, peut-être au recueillement, en tout cas à l’harmonie, dans les jardins fleuris où court l’eau collectée depuis la Sierra Nevada. Sa configuration de jardins en terrasses successives dénivelées donne sur la ville, dans des perspectives d’une grande beauté et bien sûr sur l’Alhambra. Simplicité, raffinement, sensualité d’une civilisation à sa plénitude. Là, selon la légende se retrouvaient Zoraya l’épouse du dernier sultan Boadbil, et son amant un chef Abencérage. Histoire qui serait dit-on à l’origine du massacre des Abencérage ; mais l’hypothèse est contestée par certains historiens. Repos d’un jeune couple d’amants que rien n’inquiète, même pas le fantôme de Boadbil, au bord de l’amphithéâtre de la musique et de la danse.


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Grenade et une Sierra depuis le GĂŠnĂŠralife


25 Ici, la colline de l’Albaicin sur le versant opposé de la vallée s’aperçoit au travers de la galerie d’arcades du Généralife, et la vallée au loin que barre la Sierra Nevada.

Ci-contre une vue de l’Alhambra encadrée par cette fenêtre en arc polylobé délicatement décoré, mais aussi depuis les jardins fleuris en terrasses du Généralife.


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L’Alcazaba

Maintenant, tout à fait à l’opposé, la forteresse, l’Alcabaza, sur son éperon rocheux. Comme son pendant à Malaga par exemple, le nom provient du mot arabe « Al Casbah », qui signifie la maison, ou la forteresse. C'est la citadelle primitive, édifiée sur le fronton sud de la colline de l'Alhambra. Du haut de la plus haute tour, on peut observer toute la plaine de Grenade, la « Vega granadina ». Pour l’ensemble du site, c’est la construction la plus ancienne, probablement du 9ème siècle, bâtie à la place de constructions plus anciennes encore.

Durant la Reconquista au 15ème siècle, les princes nasrides observent du haut de la tour de l'Alcazaba les mouvements de troupes militaires dans la plaine de Grenade. Les Rois Catholiques, leurs adversaires, sont installé à Santa-Fé un camp fortifié militaire en pleine terre ennemie, pour affirmer leur présence et maintenir la pression contre les maures. D’architecture grossière, l’Alcazaba dispose d'une médina intérieure, distincte de celle de l'enceinte de l'Alhambra (c’est l’équivalent du donjon d'un château fort en termes d'architecture médiévale). La forteresse possède aussi de hammams, qui sont aujourd'hui en restauration. Ici sont les vestiges des habitations pour le fonctionnement de la forteresse, dans la Place d’Armes. Depuis le haut de la Tour du Guet, (Torre de la Vela), la vue est splendide sur toutes les vallées environnantes et la Sierra.

La cloche, d’abord installée en 1840 sur la façade ouest, est détruite par la foudre puis remplacée par sa copie en 1882. Pour les paysans de la vega granadina, elle marquait le début des périodes d’irrigation selon la saison à 20h ou 21h30, puis sonnait à intervalles réguliers avec une tonalité progressivement modifiée jusqu’à 3h ou 4h du matin. Elle sonnait aussi le tocsin pour les habitants de la ville en cas de péril. Aujourd’hui, elle célèbre la commémoration de la reprise catholique tous les 2 janvier. On dit que les filles célibataires de la ville qui feront sonner la cloche se marieront dans l'année.


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Le Sacromonte A la suite d’un groupe de touristes japonais dont une dame avait pour l’occasion revêtu une sorte de robe traditionnelle, allons maintenant sillonner le versant opposé, dans le quartier du Sacromonte puis celui de l’Albaicin, d’où dévalaient chaque matin, lors de la construction de l’Alhambra, des centaines d’artisans. Il est agréable d’errer le long des petites routes en balcon qui parcourent le Sacromonte, ce quartier réputé d’écoles de flamenco, mal famé dit-on, la nuit. En remontant par sa rive droite le cours encaissé et sinueux du Darro, on côtoie ici de beaux bâtiments du

17ème siècle. Ailleurs sur le fond évasé de la vallée se traverse une vaste place où bistrots et restaurants se rassemblent autour d’une belle fontaine. Dans l’enfilade des rues étroites descendant vers la rivière, ou par-dessus les toits, on aperçoit de toutes parts l’Alhambra en majesté, immobile dans sa splendeur de briques.


30 Tout ici se réfère aux gitans et au flamenco, maisons en terrasse et murets blanchis à la chaux partant à l’assaut de la colline, écoles de flamenco, « centres d’interprétation »....

construit de maisons en terrasses de la colline, noyées ici et là dans d’agaves, et se prolongeant souvent

Gravissant la colline, on s’immerge dans une sorte de village blanc successives sur la pente escarpée les piquants bleus de cactus et de caves troglodytes aveugles par l’arrière. Des rues pavées serpentent en s’élevant, rebondissent sur le relief. Depuis de pittoresques placettes souvent tranchées de couleurs vives, le re-

gard se libère vers de nobles paysages avec l’Alhambra comme toile de fond.

En se tournant vers l’Albaicin et le centre ville plus loin en contrebas, on aperçoit, emjambant la colline, la crête des vieux remparts qui délimitaient la ville maure.


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Le Flamenco Etymologie du mot « flamenco » : elle est encore discutée et controversée (de l’arabe, du flamant rose, du flamand?). Selon certains, le flamenco serait issu des trois cultures arabo-musulmane, juive et andalouse chrétienne. L'origine arabo-musulmane, particulièrement almohade, est démontrée . Origine : elle doit être recherchée dans l'ethnologie du peuple qui l'a conservée et transmise, qui l’a conduite à sa forme achevée, le peuple Gitan. Originaire du nord de l'Inde on croyait celui-ci issu de la « Petite Egypte » (d’où « gitan »), c’est-à-dire la Grèce. Migrant très lentement vers l’ouest à partir du 10ème siècle, il s’imprègne des traditions des pays traversés, et arrive en Espagne au début du 15ème siècle. Une étude comparative entre la danse indienne et la danse flamenca permet de dégager des similitudes chorégraphiques et musicales exactes. Musiciens professionnels, les Gitans s’emparent des formes musicales locales, se les approprient, réinterprétant « a la gitano » le répertoire populaire autochtone, se recréant surtout avec le flamenco une identité propre, véritable ciment culturel que ne pouvaient suppléer ni la langue en voie d’extinction, ni l’absence d’histoire écrite, et traduisant la souffrance, l’errance, la persécution. Mais selon Michel Dieuzaide : « Le flamenco ne se confond pas avec les Gitans, ... ; les payos (pour les Roms, ou Tsiganes?) y jouent un rôle important, mais les Gitans lui donnent son style ». Influences : pour certains musicologues, les Gitans ont intégré les sonorités musulmanes, notamment celles introduites par le fameux Zyriab au 9ème siècle, tout en en modifiant le rythme (qui devient un enchaînement violemment saccadé au lieu d’un enroulement lascif rythmé). En retour, avec la popularité du flamenco en Espagne, la culture arabe pourrait en avoir repris des intonations, notamment après les exils vers le Maghreb de 1610. Les Gitans s'inspirent aussi des cantiques liturgiques chrétiens mozarabes (ces chrétiens vivant en Al Andalus dans la grande période musulmane), datant du 9ème siècle, interdites au début du 11ème par les papes, puis à nouveau autorisées au 16ème siècle par l'évêque Cisneros de la cathédrale de Tolède. Ce dernier voit là une bonne façon de ramener au bercail les « Infidèles » (ces chrétiens qui vivaient à la manière arabe). Le Mozarabe apparaît aussi pleinement dans la poésie des troubadours appelée « muwachchaha » . Enfin, d’autres disent que la profonde sensibilité musicale des Gitans puise également dans la douceur, l'exil et la tristesse des berceuses des mères juives. Le berceau du flamenco serait le Triana, un quartier de Séville. Revendiqué au 18ème siècle par les exclus et les déshérités, dénaturé et perdant son âme au profit d’un folklore trivial au début du 20ème, il fait aujourd’hui l’objet de recherches. Les exégètes disent que dans toute l’édition musicale du flamenco, 5% seulement est « rarissime, d’une force et d’une flamboyance fascinantes. » Syncrétique, Sophie Galland dit dans Le Courrier no 66 de janvier 1993 : « Il renferme aussi et surtout les trois mémoires de l'Andalousie, mêlées de façon inextricable : la musulmane, savante et raffinée ; la juive, pathétique et tendre ; la gitane enfin, rythmique et populaire ».


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L’Albaicin

Sur une place plus élepanoramique Guide du Routard, ce avec quoi on peut ne pas être d’accord), un duo de gitans qui prend la pause a déposé ici ses guitares.

vée, d’où la vue de l’Alhambra est (« Montmartre grenadin » dit le

Voici franchi le rempart de colline ; c’est maintenant l’Albaicin, site de l’ancienne cité antique qui avait pour nom Elvira. Dans ce quartier maure labyrinthique, l’ancienne médina peu modifiée depuis l’origine, vivaient tous les artisans,

ouvriers, et artistes qui ont construit l’Alhambra. C’était le refuge des musulmans pauvres, ceux qui viennent de Cordoue après la 1ère Reconquista en 1236 ; 600 000 personnes y vivent au 13ème siècle (!!!). De là son nom : Albaicin signifie « misérable » en arabe. D’autres y affluent encore après la Reconquista finale de 1492, croyant naïvement à l’effet de sanctuaire. Ils sont massacrés à Noël 1568 (à chacun sa St Barthélémy et

son fleuve de sang), puis ceux qui restent sont chassés définitivement en 1609. Mêmes maisons blanches appelées ici

« carmenes » (de l’arabe « karm » qui était un jardin fermé avec potager), dont le caractère arabo-andalou est fréquemment bien marqué. Les églises nombreuses s’ornent de parvis pittoresques. Autour de cette mosquée au petit minaret ci-contre, peut-être la seule qui subsiste des 26 qui existaient au 14ème siècle, des fidèles musulmans fêtent un rite en vendant des loukoums et des spécialités arabes aux visiteurs.


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La flamboyante cathédrale Sur un fond des tours de l’Alcazaba, dans une ruelle, errent deux chiens andalous. En redescendant vers la ville, on traverse ce qui devait être des souks et qui en ont encore l’allure malgré la modernité des boutiques. Et voici déjà le quartier de la cathédrale dite de l’Incarnation et sa masse imposante, alors que nous

n’avons pas savouré toutes les richesses cachées de l’Albaicin. Mais le temps est compté.

C’est la première cathédrale construite dans le style Renaissance après la Reconquista sur le site même de l’ancienne grande mosquée nasride. La décision de Ferdinand et Isabelle date du 21 mai 1492, moins de 5 mois après la capitulation de Boadbil et s’engageait initialement en faveur d’un pur style gothique, L’architecte Diego de Siloe va entreprendre les travaux à partir de 1518. Des deux tours de 80m prévues initialement, seule l’une est érigée mais en réduisant sa hauteur à 54m du fait de la fragilité des fondations. En 1565, la construction se poursuit et s’infléchit nettement vers l’art baroque (façade), même si ses voûtes et son plan sont d’inspiration gothique. De nouveaux et abondants éléments décoratifs (aigles, blasons, coquilles, colonnes et niches) sont introduits. C’est le style appelé « isabellin ». L’édifice de 115m sur 67m n’est finalement achevé qu’en 1704, presque 200 ans après le début des travaux.


34 La façade de la Plaza de las Pasiegas est purement baroque (Alonso Cano en 1667), mais mal dégagée des immeubles environnants qui limitent la perspective. Les 5 nefs qui la composent, très lumineuses, et les deux buffets d’orgue du 18ème siècle dans la nef centrale constituent un très bel ensemble de considérable proportion.

La coupole de la Chapelle Majeure, dans une somptueuse harmonie bleu et or s’épanouit à 45m plus haut.


35 La Chapelle Majeure (nef centrale) resplendit d’une lumière d’or, somptueuse dans ce baroque à l’apogée, qui ne laisse aucune surface vierge. La sobriété n’est pas sa 1ère qualité, mais l’harmonie est remarquable. On la dit la plus belle d’Espagne. La cathédrale présente aussi latéralement 15 chapelles décorées de manière très différenciées et un déambulatoire.

Ci-contre deux d’entre elles, dont la 1ère dégouline d’ornementations dorées encadrant des tableaux de l’époque. On y voit aussi des parchemins enluminés de probables partitions musicales liturgiques (16ème?). La vaste sacristie latérale est d’une étonnante ampleur ; elle illustre le confort et la considération accordés au clergé en ce temps, décorée de manière à peine plus sobre que les nefs elles-mêmes. Ce blason des rois catholiques sur les contreforts de la cathédrale est aussi remarquable de délicatesse.


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Image volée depuis l’Alcazaba d’un patio aux délicates arcades ; ruelles qui dévalent vers le Darro sous les fiers palais qui les dominent. Les puissantes Sierras bordent l’horizon de la ville, roulant des nuages du crépuscule prochain.


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rocheux e v ê r l a El Torc

Mais l’Andalousie, ce sont aussi de beaux et importants villages, dont la notoriété n’atteint pas celle de Grenade ou Cordoue, mais dont le pittoresque, et souvent l’histoire même sont d’un intérêt certain. Ainsi Antequera, construite sur les flancs pentus de collines, qui se prétend – où la fierté va-t-elle se nicher? - le coeur de l’Andalousie, ceci depuis le 16ème siècle. Aucune raison de le contester, puisqu’elle se situe au carrefour entre Malaga, Grenade, Cordoue et Séville. Sur le chemin, les roches calcaires érodées d’ El Torcal (1300 m), situées dans le territoire de la commune d’Antequera, méritent le coup d’œil. C’est un bel exemple en Europe de paysage karstique qui s’étend sur 20 km². Conseil : il est important, pour éviter d’être refoulé en fonction du quota de touristes admis, d’arriver dès 8h 30 ou 9h le matin. Là le passage est libre jusqu’au bâtiment administratif qui est aussi boutique, billetterie et mini-musée. Après 10h, il est probable que l’on soit retenu à mi-col, 3 km plus bas en attente des départs des visiteurs. Deux circuits faciles, l’un de 1h, l’autre de plus de 2h, bien balisés permettent de traverser de petits cirques, des dépressions circulaires ou semi-circulaires à fond plat (dolines), des passages, des replats, des défilés rocheux, de déambuler au travers de ces rochers usés aux formes arrondies par le vent, la pluie et le gel en hiver. Ils prennent presque l’allure, toutes proportions gardées, d’une sorte d’Angkor naturel, où l’on s’amuse à reconnaître dans tel rocher une forme animale ou humaine (colosse assis…). Ailleurs, d’énormes et plates étagères naturelles, dont l’horizontalité est parfaite, barrent une petite vallée, où l’érosion a aussi créé des sortes de cairns naturels ou d’étonnants pieds de colonne. D’un belvédère au

sommet, le panorama est époustouflant sur l’immense vallée par laquelle on arrive et sur les chaînes de la cordillère Antequerana au nord de Malaga. Un photographe bien équipé s’apprête à capturer la lune depuis ce sommet aux nuits cristallines.


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andalou r u o f e r era car Antequ C’est bien en raison de sa position au cœur de l’Andalousie qu’Antequera était un carrefour depuis les plus anciennes périodes. Mais peut-être doit-elle aussi son riche passé à sa position en hauteur (575 m) au-dessus d’une large vallée qui en faisait un point d’observation stratégique. La colonne à gauche sur le parvis de l’église San Sebastian, qui imite une colonne romaine tronquée, célèbre aussi cette position de carrefour « depuis 1000 ans ». Une célèbre statue (nous n’avons pas pris le temps de visiter le musée où elle est exposée) d’un éphèbe de bronze de 1,45 m témoigne de son histoire romaine au 1er siècle, quand la ville s’appelait Antikaria. L’église San Sebastian, au centre de la ville date du 15ème siècle, et la fontaine sur la place du parvis de 1545, sont de plein style Renaissance. Comme d’autres dans la région, le clocher semble fait de l’assemblage minutieux de petites briques, qui donnent une coloration aux tonalités ocre rosé d’un superbe effet, apportant une délicatesse particulière aux façades maniéristes. Au sommet de la colline se dresse l’Alcazaba (forteresse) que l’on dit de l’époque nasride (dernier émirat de Grenade) mais dont la robuste et austère architecture relève plutôt de

l’époque almohade avec ses créneaux à merlons. Presque 3000 personnes pouvaient y vivre en ces temps. Le clocher de l’Alcazaba, comme à Grenade, sonnait pour les paysans de la vega dans la vallée les heures d’irrigation.


39 Antequera, comme certains l’affirment, marie assez bien tous ces témoignages du passé avec les édifices plus récents dont certains reprennent les arcs maures.

Après avoir été reconquise par Ferdinand 1er d’Aragon en 1416, la ville fut en particulier le point de rassemblement et de départ des forces catholiques pour le dernier assaut contre Grenade à la fin 1491. L’après reconquête, avec la destruction des mosquées, donne lieu à une frénésie de construction baroques espagnoles jusqu’au 18ème siècle : la ville ne

ñ

comptait pas moins de 36 églises dont 27 subsistent encore!!!

Non loin de l’Alcazaba, une vaste terrasse libère un beau panorama sur le pays audessus des toits de tuiles. De là, on peut contempler ce colossal rocher au relief dressé, appelé le Peña de los Enamoradores (en gros, « le rocher qui rend amoureux »).

Avec parfois de curieux contrastes.


40 Sur la même terrasse, l’église del Carmen, de massive et austère architecture cache bien son jeu : l’intérieur regorge de décorations baroques mêlant aussi les motifs arabo-andalous, notamment avec son plafond artesonados et son balcon sur arche en anse de panier. Au total, selon le sens dans lequel on voit la nef, se côtoient le meilleur et le pire. Tant que le regard se retourne vers l’entrée, l’har-

monie délicate est une merveille. Par contre à l’opposé, c’est l’inévitable excès qui exerce sur le visiteur la fascination du spectaculaire. Comment une telle invention dans la profusion estelle possible? Ainsi cet autel churrigueresque regorgeant de dorures ; cette arche de stuc ocre chargée de sculptures foisonnantes entremêlées, d’angelots et de personnages, dans un ensemble inextricable au symbolisme incompréhensible. Le baroque churrigueresque est la variante du baroque en Espagne au 18ème siècle . Il se caractérise par une abondance ornementale. Et tient son nom de la famille des Churriguera, sculpteurs à Salamanque, dont les retables sont célèbres pour être des structures spectaculaires, sculptées de manière artisanale, mêlant des motifs décoratifs islamiques, gothiques et plateresques (style de transition entre gothique et Renaissance) qui sont refondus dans des compositions baroques extravagantes.

« Lâchez-vous! » devaient lancer les prélats maîtres d’ouvrage, empressés d’affirmer leur empreinte et jouant probablement entre eux de surenchère, en s’adressant à leurs artistes et artisans. Quelle exubérance d’imagination fallait-il en effet à ces derniers pour parvenir à ces oeuvres devant lesquelles on ne peut manquer de rester admiratif du savoir faire technique, dont on ne peut nier qu’il s’agit d’un art abouti, mais qui accable si lourdement notre vision et nos sens.?


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l’unique Ronda

Poussant plus vers le sud-ouest, nous voici dans la superbe ville de Ronda. Autre merveille locale qui domine fièrement à l’ouest une immense vallée, et qui se trouve coupée en deux par une profonde et spectaculaire faille.

Le village celtique d’Arunda se voit au 2ème siècle av. J.-C., envahi par les romains qui en chassent les Carthaginois. À partir de cette époque, la ville de Ronda est fortifiée et nommée Laurus. Pendant l’histoire musulmane, dans la période des taïfas, elle prend le nom de Hisn Rand Onda. L’un de ses chefs berbères Abou Nour y crée la Taïfa des Banou Ifren. Il construit plusieurs édifices importants et renforce les murailles défensives de la ville. C'est à partir de là que Ronda commence à prendre le visage qu’on lui voit aujourd'hui.

Ainsi, en amont, au pied du versant amont de la gorge, tout contre un vieux pont, les bains maures ont été construits entre les 13ème et 14ème siècles. La salle centrale est constituée de trois nefs élégantes sous arcades et voûtes de briques, percées comme un ciel constellé de jours réguliers en forme du fameux octogone étoilé.

Sur le principe des bains romains, et dans le respect des règles d’ablution du culte musulman, ils étaient équipés d’un vestiaire, de salles de repos, d’un local pour le massage et des bains à température progressive (bains froids, bains chauds, bains vapeur). Ce sont les bains maures les mieux conservés d’Espagne. Un film d’animation de 1/4h, très pédagogique, permet de comprendre ce qu’était son fonctionnement, à partir de l’eau de la rivière élevée grâce à un petit aqueduc et une noria.


42 La topographie particulièrement spectaculaire coupe en deux la ville par le río Guadelevín qui coule au fond d’une faille profonde appelée El Tajo, longue de quelque 500 m et profonde de 170 m. On franchit la faille par le Puente Nuevo (Pont Neuf), qui sépare la « ciudad », la vieille ville, du « mercadillo », la ville plus moderne où habitent la majorité des habitants, et où se situe la fameuse arène de tauromachie. Barrière

du plateau

Falaise

Arènes

Vaste vallée à

Pont Neuf

l’ouest

Vallée à l’est

Rio Grande Guadalevin

Arroyo de las Culebra

Le plateau (à 710 à 740 m d’altitude) sur lequel se situe Ronda forme une haute falaise (170 m) à l’ouest au-dessus d’une très vaste et belle vallée (515 m d’altitude au plus bas). Il constitue une large barrière naturelle nord—sud surplombant d’environ 100m la vallée à l’est. Là convergent deux rivières principales, le Rio Grande en provenance de monts de 1300 m, environ 15 km à l’est, et l’Arroyo de las Culebra longeant le bourrelet depuis le sud., toutes deux donnant le Guadalevin (« rivière du lait » en arabe). La vallée contenue à l’est a été d’innombrables fois soumise aux débordements impétueux de ces deux rivières. Le premier passage qui a pu se faire directement dans l’épaisseur de la barrière, renouvelé des centaines de milliers de fois au travers des âges a fait le reste. Il résulte de l’effet irrésistible de l’érosion cette faille, ce canyon remarquable au-dessus duquel a été jeté le

Puente Nuevo.


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La mine d’eau De l’époque musulmane date aussi un étonnant dédale, presque mystérieux, quand on descend la pente est de la ciudad. C’est « la mine d’eau », appelée aussi « mine fortifiée », un monumental escalier taillé à même le roc à peine en retrait de la paroi extérieure. Ses 200 hautes marches irrégulières sont ici et là mouillées et glissantes de l’eau qui tombe des plafonds. L’escalier donne sur de petites loggias très grossières, des salles en voûte enchevêtrées parfois fermées de hautes grilles, elles-mêmes creusées dans le rocher ; des fenêtres meurtrières permettant à la lumière extérieure de pénétrer. Elle atteint au plus bas le fond rivière, parfaitement encaissée d’une pureté cristalline.

des gorges du Tajo. La entre les falaises, est

Au 14ème siècle, on dit que c’est le roi maure Abomelic qui ordonne la fabrication de ce lieu unique. Sa fonction était de faire remonter l’eau de la rivière par une noria d’esclaves, peut -être 400, pour l’alimentation de la ville. L’éblouissement au sommet de la falaise obère la vue sur la ville. Seul le reflet dans l’eau permet de l’apercevoir (cf l’image renversée).

Recommandation : les marches sont hautes ; prendre le temps de faire des pauses pour ménager son souffle, surtout à la remontée, même pour les sportifs.


44 On accède à cet étonnant chemin escarpé depuis un agréable jardin andalou à mi-pente, construit en terrasses surplombant les gorges vers l’est, aménagé par Jean-Claude-Nicolas Forestier, le même qui a créé la roseraie de Bagatelle. Ce jardin donne sur l’arrière du « Palais du Roi Maure », bâtiment à l’abandon qui ne se visite pas, et qui de fait, a été construit au 18ème siècle. Façade dé-

crépite et vieilles couleurs ocres donnent une touche mélancolique que n’auraient pas désavouée les romantiques amateurs de ruines. C’est en poursuivant la descente vers l’est que l’on parvient aux deux passages anciens qui permettaient de traverser le Guadalevin et les gorges dans leur partie basse orientale avant que le Pont Neuf ait été construit : - le plus bas, le plus ancien aussi, à proximité des bains maures est le pont arabe. _ au-dessus de lui, plus escarpé, un pont solide à une seule arche appelé le Vieux Pont, construit sur le modèle romain date du 16ème siècle. De là, le panorama vers l’est ou le sud-est est parfois remarquable


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Le Pont Neuf Quand le regard va vers le sud, on aperçoit les restes encore fiers de l’ancienne enceinte almohade qui ceinturait la ville et de l’Alcazaba. Calmes quartiers très riches d’histoire, peu encombrés de touristes : on est déjà un peu loin du centre et du Pont Neuf.

Après avoir franchi le pont arabe, la remontée par la rive droite de la gorge est aussi très agréable, grimpant de terrasse en terrasse vers le Mercadillo, en longeant à gauche le vertige. Pro-

gressivement, on contemple dans son immensité verticale le Pont Neuf qui barre la gorge, puissante construction de la 2ème partie du 18ème siècle. Deux arches latérales s’appuient sur les hauts contreforts de la gorge. L’arche centrale la plus vertigineuse (en fait deux arches superposées, l’arche supérieure très haute, au-dessus de l’arche inférieure au pied de laquelle s’écoule le Guadalevin) enjambe le Tajo à presque 100 m de haut. L’architecte qui inspectait le chantier en se faisant glisser dans une nacelle, chavira dans le vide et s’écrasa au fond de la gorge en voulant rattraper son chapeau qui s’envolait. La mort pour un chapeau... Depuis l’ouest et la grande vallée, le panorama est encore plus époustouflant. On peut en effet descendre jusqu’à un 1er belvédère sur le flanc ouest de la ciudad. La rivière débouche sous l’arche inférieure, et se jette en cascade vers le fond de la vallée, avec en surplomb les sévères et altiers bâtiments du Mercadillo. Le Pont Neuf porte aussi le souvenir sinistre de la période franquiste, où les opposants étaient jetés vivants du haut du pont, inspirant à Hemingway, ce passionné de Ronda qui y vit en 1925 après Paris, son ouvrage « Pour qui sonne le glas » (« For whom the bell tolls »).


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L’ancienne mosquée devenue église De l’époque mauresque date aussi ce qu’il reste d’un minaret carré transformé en clocher octogonal dans sa partie supérieure, sur le versant ouest de la ciudad. C’est la « Colegiata Santa Maria de la Encarnacion la Mayor ». Depuis son élégante galerie construite au 18ème siècle, les nobles venaient assister aux corridas qui se donnaient sur la place juste en face. Sur sa gauche, un bâtiment administratif probablement de la même période présente deux très belles volées d’arcades. A l’opposé de l’église sur la même place, on découvre aussi une

autre belle église à la façade baroque, moins bien entretenue, bâtiment privé au pied duquel un parking mal venu occupe le parvis.

Au 13ème siècle, Ferdinand III entreprend la reconquête du sud de la péninsule depuis Séville. Ronda appartient alors au royaume nasride de Grenade. Elle est prise par les rois catholiques Isabelle et Ferdinand qui divisent et distribuent les terres aux chevaliers victorieux. L’intolérance religieuse s’installe dans toute la région. Juifs et Arabes doivent s’exiler. Les conséquences sont désastreuses pour l’économie de la ville qui ne redevient prospère que bien plus tard, au milieu du 18ème siècle, période à partir de laquelle de nouveaux quartiers sont construits. Le « Pont Neuf » et les arènes, emblèmes de la ville, datent de cette époque. C'est au 19ème siècle que se construit l'image romantique de Ronda véhiculée par exemple par Alexandre Dumas (dans « De Paris à Cadix ») qui fait de la région un pays de bandits et de toréros. Un musée est dédié à ces légendes.


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Terrasse sur vallée

Le dédale des rues qui reconduit vers le Pont Neuf garde

tout son pittoresque, de même

que le point de vue depuis une belle terrasse sur la vallée audessus de l’accès au belvédère. Patios aux grilles délicates, court à la sérénité et à une

élégantes vérandas moucharabieh, portes isabellines, tout conharmonie contemplative que ne perturbe pas l’affluence touristique. L’ample paysage semi-circulaire donne sur une chaîne de montagnes, la Serrania de Ronda. Franchissant la profonde faille, c’est aussi de ce panorama que l’on profite à l’arrière des arènes, depuis la très vaste terrasse promenade aménagée au 19ème siècle, dont certains chemins portent le nom de fameux matadors.


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Les arènes Ronda est l’un des plus anciens centres de tauromachie d'Andalousie, et est reconnue comme sa capitale en Espagne.

Après la reconquête, seules les maestranzas (voir histoire brève de la tauromachie) de Séville et de Ronda sont autorisées à continuer leur activité par décret royal élève aux 18ème et 19ème des écuries réputées et orga-

du 22 septembre 1572. La corporation siècles des juments et poulains dans nise des spectacles taurins. L'arène proprement dite, édifiée en 1784, est restée telle qu'elle était, à l'exception des gradins, faits de bois à l’origine, reconstruits en dur en 1962. La première corrida du style moderne y a été donnée le 19 mai 1785 avec Pedro Romero (de Ronda) et Pepe Hillo (de Séville). De la part des aficionados espagnols, ces arènes sont l’objet d’un véritable culte. Ci-dessous, les écuries et un grand manège couvert pour l’entraînement des chevaux.

Parmi d’autres, deux célèbres aficionados américains y ont laissé leur trace : Ernest Hemingway, auteur de « Mort dans l'aprèsmidi » (1933) où il exprime sa passion pour le rituel tauromachique et qui décrit la vertu cardinale du matador : « l’élégance sous la pression » ; une ruelle qui mène aux arènes porte son nom. Orson Welles quant à lui devient même « novillero » dans les années 30, et passionné à ce point de corridas qu’il fait enterrer ses cendres dans la finca » (propriété) de son ami le célèbre torero Antonio Ordoñez. La ville de Ronda a aussi donné son nom à une manière de toréer : le rodeño.

Les passages étroits pour l’arrivée des taureaux avec portes verticales coulissantes comme de frustes guillotines, l’enclos dans lequel ils sont parqués, où ils s’abreuvent et où ils sont nourris à l’extérieur sont intacts.


49 Les stalles où ils sont enfermés s’ouvrent par des portes actionnées avec un système de cordes coulissant sur des poulies. Le couloir sombre par lequel ils accèdent, naseaux fumants dans l’arène, est impressionnante. Pas étonnant, grattant le sable d’une patte, qu’ils marquent au débouché dans l’arène un temps d’arrêt dans la lumière aveuglante et les clameurs du public. Quelque opinion qu’on ait de la corrida, il faut au moins saluer la beauté architecturale de cette arène. Cercle parfait ceint sur deux niveaux d’élégantes arcades de pierre (68 à chaque niveau) parfaitement régulières, la piste courbe de ses rudes gradins massifs s’enfuit devant soi, abritée sous une profonde galerie de bois sombre sur charpente à double pente et chevrons radiaux, recouverte de tuiles arabes ; juste ce qu’il faut de sobriété, même pour la loge du

président de la corrida, protégée de barrières et à peine marquée d’un trompe l’œil. Une totale réussite. De style néoclassique, son cueillir jusqu’à

diamètre est de 60 m ; elle peut ac6000 spectateurs.

Durant la Fête de Pedro Romero, au début du mois de septembre, la place célèbre l’un des évènements les plus importants de la saison taurine : la Corrida Goyesca. Tous les acteurs de la corrida s’habillent là comme à l’époque de Goya.


50 Deux mots tout de même sur l’épisode napoléonien à Ronda et en Espagne : il n’est pas forcément le plus glorieux de l’épopée, malgré les vers de Victor Hugo sur le sujet. On peut finalement se féliciter qu’il ait été court, pas plus de 5 ans, de 1808 à 1813, dans une Europe en pleine transformation où les alliances se font et se défont. Napoléon dans son élan avait voulu tirer parti de son rapprochement traditionnel avec l’Espagne contre l’alliance angloportugaise tout aussi traditionnelle, pour occuper le pays ibère et imposer son administration.

Ainsi, après la terrible défaite de Trafalgar subie par les franco-espagnols en 1805, l’Espagne se lie plus encore avec la France. Ne parvenant pas à imposer son blocus aux anglais que le Portugal refuse d’appliquer, Napoléon part pour tenter de mater celui-ci, traversant pour l’occasion l’Espagne. Arbitre et expansionniste, il veut profiter de la situation pour administrer l’Espagne en 1808. Mais la fierté ibère réagit. Le pays entre en résistance contre les français ; commence alors une guérilla cruelle (cruauté des deux côtés) que les français ne sauront vaincre et qui sonnera le glas de Napoléon. De Ste_Hélène, il dira : « cette malheureuse guerre d’Espagne a été une véritable plaie, la cause première des malheurs de la France ». L’Espagne, qui s’était rassemblée contre l’occupant, garde de cette guerre d’indépendance (c’est ainsi qu’elle est nommée par les espagnols) une fierté naturelle, même si elle ne parvint pas à surmonter ses divergences ensuite. Et pour retrouver un peu du carpe diem, ici, dans le Mercadillo, voici l’église du Secours avec ses deux clochers. Son parvis est une belle place où il fait bon se prélasser. Et l’on repart avec regret, conscients de n’avoir pas assez rencontré l’âme de Ronda, mais avec l’heureux souvenir d’une ville unique, point encore trop touristique en cette saison, et dont l’histoire a contribué à forger le caractère andalou.


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villages s c n a l b Divers

On classe traditionnellement Ronda parmi les fameux « villages blancs » andalous. Mais plus qu’un village, cette cité a mérité pour nous une attention particulière.

Bien d’autres villages blancs perchés, parfois en bord de mer, d’autres fois protégés au pied d’une sierra, présentent des attraits particuliers, dont l’intérêt varie surtout en fonction de la topographie de son implantation, mais aussi de la manière dont l’authenticité a pu être maintenue, star du bord de mer, ou sauvageonne en guenille, montagnarde rustique ou belle fille simple. En voici quelques-uns, répartis dans le pays longeant la côte.

Fragilinia

Istan Casares

Gibraltar

Mijas

Salobreña


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Mijas Commençons par une parvenue. Voici en effet Mijas, probablement le village blanc où le marketing touristique est le plus intensif, où l’on cherche en vain un reste d’authenticité. Ainsi cette stèle où le message d’accueil (?) est gravé en espagnol mais aussi en idéogrammes japonais et chinois, peut-être même indonésien. Que d’attentions! Mijas, c’est cette femme, si belle et simple quand elle était jeune, qui s’est enrichie aisément, et prenant conscience de sa beauté déclinante, a pris des airs prétentieux ; puis en vieillissant, a abusé des lotions et des cosmétiques. Tout en gardant (ici et là) quelques beaux restes, Voyez en effet ces carrioles étroites tirées par un bourricot, et dans lesquelles se pavanent extasiés des couples asiatiques, qui croient avoir là atteint la quintessence du romantisme (comme, les malheureux, ils le croient aussi au pied de la Tour Eiffel). Forcément, cette attraction est l’incontournable des recommandations dans les guides asiatiques. Tous les édifices anciens sont restaurés et tirés à quatre épingle. Des galeries pimpantes étalent avec un soin complaisant des rangées savamment alignées de pots de fleurs bleus qui sont un peu la signature du village, et les commerces modernes bordent les rues et les ruelles, en appelant ici à Picasso pour la vente de débardeurs, là à Hemingway pour des colifichets en relation avec la corrida…

Heureusement, certaines rues gravissant la colline à laquelle le village s’adosse conservent un vrai pittoresque. En hauteur dominant la mer, le site ne manque pourtant pas d’atouts comme sa place centrale

avec un kiosque au toit arabe, ou cette petite chapelle parmi les pins parasols au-dessus du village. Un vieil hidalgo en villégiature accomplit sa marche du matin, poussant la coquetterie jusqu’à porter un pantalon golf très seyant.


53 Le musée taurin rappelle que les arènes ont ici une forme un peu originale, celle d’un bel ovale. L’église centrale dont le clocher de briques prend des allures de donjon almohade, livre à l’intérieur ses mignardises baroques, avec cette

coupole peut-être inspirée des stalactites nasrides (muqarabs), dont la richesse des décorations et l’harmonie des couleurs sont étonnantes.

D’autres églises jouent du contraste entre la façade blanchie à la chaux et l’intense bleu tranchant du ciel, prenant des airs de baroque mexicain presque trop sage.

Depuis les terrasses du village, la mer éblouit le regard et la partie balnéaire de la ville, son premier fond de commerce, s’étale dans la plaine sauvagement urbanisée.


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s Casare

Et maintenant, Casares, l’agile montagnarde (420 m), sauvageonne que survolent les aigles. L’accès se fait par une route bien escarpée. On peut avoir un superbe panorama du village depuis un belvédère sur une hauteur en vis-à-vis. Tout le village s’agglutine à flanc de montagne autour d’un sombre piton rocheux avec son reste d’Alcazaba. Au-dessus de la vaste et profonde vallée, on aperçoit en enfilade un parc d’éoliennes dispersées au gré de la topographie des crêtes, avec au loin les rochers bleutés de Gibraltar, et juste au-delà peut-être ceux de Ceuta sur la rive africaine. Le Routard commente à juste titre « Oh! Si don Quichotte voyait ces moulins du nouveau millénaire!». Saisissants paysages!! Le village lui-même avec ces ruelles escarpées, l’église simple et massive sur l’une de ses terrasses, les restes de la forteresse maure sur son éperon, tout ce village est un plaisir toujours surprenant, nid d’aigle au sens propre du terme. Village authentique, encore échappé, presque par miracle au tourisme à tout va, pourtant présent à seulement 14km sur la Costa des Sol. Il est considéré de manière tout à fait justifiée, comme l’un des plus beaux d’Espagne. Honnête authenticité ; un chien s’étire calmement au soleil devant de modestes maisons blanches ; ailleurs les toits moussus hésitent entre abandon et paresse, les escaliers inégaux bien entretenus gravissent les venelles agiles, parfaites épouses du relief, avec juste ce qu’il faut d’ouvertures étroites, de pentes plongeantes ; et cette économie de la flore où des hortensias cherchent refuge dans l’ombre quand une fleur de géranium s’étire vers le rayon de soleil. Partout la lumière est reine, et le blanchiment des murs et des façades, probablement plus facile et moins coûteux, semble prendre le pas sur l’entretien même des bâtiments.


55 Au-dessus du précipice planent les aigles (?), œil perçant fureteur. Dans un lent mouvement à hauteur de nos yeux, presque à portée de main, glissant silencieusement dans l’air limpide, les vastes rapaces paradent pour nous seuls au ras de la terrasse, près de l’église solide qui tranche le ciel de sa façade claire. Les restes de la forteresse maure sont aménagés sur un parcours balisé d’où le panorama est depuis là superbe. Enfin, un cimetière unique!!! Sur ce piton refuge, l’espace était rare et le sol trop dur pour être creusé. Alors ici, on l’a construit audessus du vide, là où planent les aigles : les chemins blancs qui le traversent en dédale donnent accès à des superpositions d’alvéoles blanches maçonnées, avec leurs ex-votos,

densément fleuries, alvéoles dans lesquelles on glisse le cercueil. On croirait un très coquet village miniature ou un ksour d’outre-Gibraltar modèle réduit qui n’engrangerait ici que les morts.

à Asnières!).

L’accès se fait par une porte-grille belle comme celle d’un patio, qui interdit l’accès aux chiens (on n’est pas


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La chorégraphie lente et désarticulée des éoliennes appelle le passant vers l’Afrique là-bas, l’immense continent par-delà les colonnes d’Hercule, celui duquel sont venus les envahisseurs co-fondateurs de l’âme andalouse, qu’apercevaient les habitants effrayés ou ravis depuis leur haut refuge.


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Istan

Le petit village blanc d’Istan ne présente en son centre qu’un intérêt relatif, celui du passage d’un ruisseau nommé El Chorro, encore impétueux, issu de plusieurs sources ; il dévale

la pente en bruissant dans des conduits anciens, passant par ce lavoir aux arcades multiples, dont la fonction n’est plus ici que décorative. Mais ses quelques jolies ruelles où joue la magie de la lumière sur la chaux des murs, et une modeste église au plafond de bois sombre en forme de nef renversée dont

la simplicité décorative est reposante renouent le charme.

Pas un chat… mais un caniche aux abois et un cycliste qui fuit. Le village domine une sombre

vallée où un lac de retenue, celui de la Conception, joue du mystère de ses eaux bleutées dans le crépuscule, quand le soleil couchant s’amuse sur le trottoir tout neuf à dessiner des motifs géométriques.


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a

eñ Salobr

Salobreña sur la côte à l’est de Malaga est le village rebelle, nid d’aigle sur la mer, dominant de son promontoire élevé la riche et plate vallée qui borde la mer, mais qui ne semble pas avoir tiré parti de ces richesses. Rebelle et humble en retrait des laides (dit le Routard) plages proches.

Les restes d’un palais maure s’élèvent à son sommet, qui montrent l’enjeu que représentait ce site stratégique avant et pendant la Reconquête dans le périmètre de la province de Malaga et de l’émirat de Grenade. C’était l’une des résidences d’été des princes grenadins, mais aussi à l’occasion « une prison pour les sultans détrônés » (le Routard). Pourtant, en s’élevant vers l’Alcazaba, on passe rapidement de quartiers modernes, populaires et plutôt déshérités, à d’autres parties charmantes et plus anciennes de la ville, dans lesquelles ne peuvent accéder en voiture que les riverains ; c’est la vielle médina avec ses maisons dont le toit est terrasse, que l’on dit d’un blanc bleuté (ce qui ne saute pas aux yeux) envahies ici et là par de beaux bougainvillées ou des géraniums. Mais on ressent l’impression d’une relative austérité, voire une âpreté que ne dément pas l’une des places d’où émerge le clocher carré, façon minaret, maintenant une église de style mudéjar.


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la brume côtière d’un côté, et vers une

Du très vaste jardin terrasse au pied de la forteresse, dans lequel on entre en franchissant une porte de brique en arc brisé typique, le panorama s’accroche d’abord au blanc village en balcon de bien fière allure depuis ce point de vue, puis se perd au loin avec superbe dans sierra de l’autre.


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Frigilia

na

Enfin voici Frigiliana. Au hasard de notre parcours, on l’atteint après de nombreux lacets d’une route à peine assez large pour que deux voitures se croisent. Le village se niche sur une sorte de plateau ouvert faisant un peu amphithéâtre, dans le parc naturel des monts Tedeja, Almijara et Alhama dont les sommets s’enneigent en hiver.

Habité déjà au néolithique, puis par les phéniciens et les romains,

c’est au 8ème siècle après l’arrivée des maures qu’il prend un essor remarquable. Mais après l’exil forcé de ces derniers en 1569, c’est le déclin ; seuls resteront quelques musulmans et de vieilles familles chrétiennes qui se mêlent. Suffisamment en retrait des grands axes, il conserve une certaine authenticité. On sent bien qu’il fait bon s’y arrêter, prendre une pause. Mais qui est déjà cependant victime de son succès tant les touristes sont nombreux l’été dit-on, et tant de nouvelles constructions germent un peu partout. Ce qui en fait manifestement aussi sa richesse. Avec l’huile d’olive et le raisin muscat. Le village bien propret, pimpant, n’a cependant pas la prétention vaniteuse de Mijas par exemple. Ici, bien conservé et restauré, c’est « el Ingenio y la Casa del Apero », qu’on pourrait nommer le Palais des Comptables ou des Gouverneurs(?) ; il héberge aujourd’hui l’Office du Tourisme. En août chaque année est célébré le Festival des 3 Cultures (musulmane, juive et chrétienne), avec le slogan : « 3 Cultures, 2 sculptures, et un Dieu ». Il y a, sous les rayons déclinants mais encore drus auxquels le visage s’expose sans réserve, une sérénité, une envie de l’instant présent qui font tout oublier. La boisson dans son verre et les flacons d’huile d’olive bien alignés du restaurant en face capturent l’ambre du soleil ; hypnotisé, l’esprit s’abandonne fixement aux flaques de lumière, s’évade, détendu, lointain. Rêveries d’automne andalou.


61 Et l’on ressent plus de compassion pour la vieille dame qui gravit vigoureusement la rue en se tordant les hanches, appuyée sur sa canne, que pour le vieil hidalgo de Mijas. Un joueur de guitare, peutêtre de flamenco, raconte à son chien attentif où il jouera ce soir. Mais le chien impavide et fidèle s’en fout. Un autre encore jeune détale en jouant, pissant ici et là dans

les allées fleuries qui serpentent au -dessus de la route principale. Des ruelles hésitent, buttent en impasse, se désorientent, ou bien jouent au souterrain, indifférentes aux fiers décors d’une façade aussi bien qu’aux multiples gekkos et papillons qui tapissent celle d’une boutique blanche.

En se tournant vers la vallée les couleurs de l’automne tardif éclatent entre les terrasses claires et les palmiers jaillissants.


62 Depuis le plus haut point du village, on aperçoit encore le rempart maure qui montait vers le sommet en face. Il côtoyait dans un passé récent une usine à la production indéterminée dont on entrevoit les cheminées, peut-être toujours en activité.

Sur la place centrale du village, l’ombre s’étire et quelques touristes refluent sans hâte, comme à regret vers leur véhicule.


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ue la coss a l l e b r Ma

Deux belles balnéaires de part et d’autre de Malaga méritent quelques mots : Marbella à l’ouest et Nerja à l’est. Faisons un sort définitif à Torremolinos, l’horreur touristique à proximité ouest de Malaga. Marbella reste encore aujourd’hui la ville « people » espagnole par excellence. Pourtant, elle a été la première ville sidérurgique espagnole au début du 19ème siècle grâce au minerai de fer provenant de la Sierra Blanca voisine. Difficile d’imaginer qu’il y avait là des hauts fourneaux. C’est grâce au (ou faut-il dire à cause du?) prince Alfonso de Hohenlohe, un aristocrate hispano -allemand et playboy connu en ce temps pour ses frasques (avec Ava Gardner, Kim Novak, Brigitte Bardot…) qu’elle est devenue si courue. Alors qu’il passe par là en 1947 avec sa Rolls, celle-ci, et c’est peut-être la seule panne jamais advenue à une Rolls dans l’histoire de la firme, tombe en panne dans ce village de pêcheur, alors désert. Il en tombe amoureux, et de là commence sa renommée, non pas la sienne mais celle de Marbella et plus précisément du toujours célèbre Marbella Club 5 étoiles qu’il crée. Pourraiton dire que la seule défaillance d’une production de qualité exemplaire a créé le pire? Mais cette anecdote semble plutôt une fable. Les princes saoudiens font le reste à partir de 1974. Et c’est la période jet set, très cosmopolite, celle des scandales de toutes sortes jusque dans les années 2006 où la corruption conduit même le gouvernement espagnol à suspendre le conseil municipal. Mais le mal est fait, la côte est bétonnée. Aujourd’hui, la jet set s’est réfugiée plus secrètement dans certains quartiers bien clos et confidentiels. La petite bourgeoisie et les retraités d’Europe affluent. La richesse est là, avec une propreté à toute épreuve et un niveau de sécurité reconnu, mais assuré discrètement.

Une brève d’histoire : tour à tour carthaginoise, puis surtout romaine (les fondations romaines se retrouvent sous les murailles de l’ancienne forteresse musulmane), wisigothe, enfin maure à partir de 1274, elle est reprise par les Catholiques en 1485. La Place des Orangers et les rues avoisinantes sont construites à la place de l’ancienne médina. Nommée Barbesulla à l’époque romaine, puis Barbella ou Marbiliya à l’époque musulmane, ce sont les chrétiens qui le nommeront Marbella finalement. Le portique monumental et ostentatoire à l’américaine, par lequel on entre dans la ville laisse craindre le pire. Heureusement, la vieille ville est pleine d’intérêt, à condition de mettre d’emblée de côté la fameuse Place des Orangers : encombrée à l’extrême de tables des restaurants de sa périphérie. On peut à peine s’y faufiler ; impossible d’avoir même le recul nécessaire pour une vue d’ensemble. Même la belle fontaine ancienne est assaillie de tous côtés : à éviter.


64 Ouf! Hors de cette place, le plaisir de se perdre dans les blanches ruelles environnantes dont les façades se rehaussent souvent de couleurs que ne renieraient pas les tropiques tranquilles, reste incomparable. Avec un goût certain, tout est fait pour flatter l’œil, tout y est d’une netteté rare, aussi bien l’abondance des décorations fleuries que la chaude tonalité des façades ; la restauration et l’entretien des bâtiments sont sans défaut, jus-

qu’à l’intérieur des bâtiments administratifs, comme cet office du tourisme sous arcades où nous sommes entrés indûment pour en être chassés ensuite. Une autre place d’orangers entre deux églises offre enfin le calme attendu. Parfois dans ce dédale, se compose un tableau improbable, se marient des couleurs qui sont un vrai bonheur comme sur cette place du scooter au repos.


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Une rue aux murs décrépits, si rares dans la ville, se pare des oripeaux de la beauté gitane.

L’aquarelle ci-contre donne au contraire sa lumière à une ruelle plus cossue.


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ire omonto r p a j r Ne marin Moins jet set, probablement plus authentique, avec un remarquable promontoire-promenade d’où la vue vers l’orient rejoint les plus mythiques des panoramas, c’est la ville de Nerja, à 60 km à l’est de Malaga. Construite sur une colline à douce pente, assez moderne, ses attraits historiques et architecturaux sont moindres qu’ailleurs, même si certaines de ses rues gardent cette séduction andalouse si particulière. Cependant, les guides s’accordent à dire qu’elle a évité le laid bétonnage

d’autres sites de la Costa del Sol. Le clou du spectacle est bien ce rocher-mirador qui avance audessus de la mer sur plus de 10m de haut, échancré de part et d’autre par deux criques rocheuses, l’attraction principale de la ville, le fameux « balcon de Europa ». Bordé de beaux palmiers, il est inauguré par le roi Alphonse XII en 1885, après un séisme dévastateur. L’ar-

chitecte a bien dû s’inspirer dans la manière d’encadrer les panoramas de l’Alhambra de Grenade ou des tableaux de la Renaissance. Mais même nu, le paysage de la côte vers l’est est d’une splendeur remarquable avec en toile de fond la barrière brune de la Sierra Almijara, dont on dit qu’elle resplendit au coucher du soleil.

Vers l’ouest, la vue est plus banale, à part le chat roux qui se pelotonne au soleil. Même en novembre, la foule touristique est nombreuse et internationale ; certains restaurants au fond de la place où dominent la façade et le clocher de l’église du Sauveur (beau style mudéjar) accueillent une foule huppée.


67 A l’époque musulmane, Nerja s’appelle « Narixa », qui signifie « fontaine abondante ». La promenade a été construite sur l’emplacement d’une ancienne fortification arabe, d’où parfois on aperçoit les côtes africaines. Le site bénéficie d’un micro-climat tropical qui permet notamment la culture de la canne à sucre, des avocats et même de l’anone

cherimola, ce fruit très prisé des asiatiques par ailleurs. Une stèle rend hommage aux découvreurs en 1959 des grottes d’un site proche, nommée « les grottes de Nerja », où les peintures rupestres sont datées du paléolithique moyen (vers – 43000 ans). Elles seraient donc antérieures de 10000 ans (60000 générations!) à celles de la grotte Chauvet (-31000 ans) en Ardèche. Ces grottes sont jumelées avec celle de Clamouse dans l’Hérault en France. C’est le 3ème site le plus visité en Espagne après l’Alhambra et le musée du Prado.


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Les grottes de Nerja Les grottes, d’une longueur de 4 283 m, ne se visitent que pour un tiers de leur dimension dans la zone des basses galeries. Elles présentent presque tous les types de formations naturelles connues. Affleurant sous la croûte terrestre, elles sont aisément accessibles. Le plafond élevé des grandes salles permet une balade facile, où les photos ne sont autorisées que sans flash ; les distraits et les tricheurs sont vite remis sur le droit chemin par les gardiens très attentifs.

Parmi toutes, celle du Cataclysme permet d'admirer le témoignage d'un mouvement sismique qui eut lieu il y a 800 000 ans : les stalactites sont bouleversés et certains sont obliques alors que d’autres sont restés verticaux. Un peu après sa sortie, cette curiosité, un aqueduc à 4 niveaux, l’Aqueduc de l’Aigle franchit une vallée ; il achemine encore aujourd’hui de l’eau des sierras voisines pour l’irrigation.

référence à l’eau qu’il charrie « pure et limpide ».

Construit à la fin du 19ème siècle, il servait déjà pour l’irrigation mais surtout pour alimenter deux usines de fabrication du sucre de canne appelées « La Mercedes » et « El Joaquim » aujourd’hui disparues. Il porte sur son petit pavillon central la devise « pura et limpia conception » qui pourrait signifier en


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de profon e i s u o l Anda

La traversée du pays, quand on le sillonne de ville en ville délivre des caractéristiques très marquées. Après avoir franchi les courtes montagnes de papier mâché assez désagréables au nord de Malaga, le paysage s’organise en plateaux ondulés, en monts courts encadrant de larges vallées irriguées ; dans les terres rouges, il est rare de voir des terrains non cultivés, malgré une impression d’aridité : c’est la période d’intersaison (novembre) où l’on prépare les champs pour une partie des surfaces cultivées. La culture de l’olivier est majoritaire.

Elle résille les reliefs, couvre les sommets et donne parfois ici l’impression d’une immense chéchia tricotée, comme on en voit sur le crâne d’un croyant musulman d’Afrique noire ; ailleurs les

arbres clairsemés font comme une pelade. Les cordillères, les sierras, toutes les montagnes qui marquent le relief, où parfois les cols sont si raides que notre modeste voiture de location semble s’asphyxier en les montant, drainent l’eau des sommets. En sorte qu’il est rare de voir des plaines (« huertas ») qui ne soient irriguées, les fameuses « vegas ». La région tire aussi parti de ses hauteurs et a installé de nombreuses éoliennes, dans un pays brassé mais sans vents violents. Il semble d’ailleurs, illusion ou vérité, que la hauteur du fût et la dimension des pales sont plus importantes que celles qu’on rencontre le long de nos autoroutes. ,


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ie Econom

se andalou

L’Andalousie est la 1ère région productrice d’olives d’Europe. Elle a aussi fortement développé la production de fruits et d’agrumes, de légumes, de céréales, d’oléagineux (tournesol,…), au point que certains paysages sont défigurés par d’immenses champs bâchés protégeant les primeurs (ici au-dessus d’Almeria). La culture de la canne à sucre, celle du coton sont marginales .

L’élevage est aussi important avec les bovins, notamment pour les taureaux de combat, les porcins (et la production des fameux jambons serrano, mais surtout ibérico d’une délicatesse de goût sans égale). Les vins comme le malaga, le xerès, le montilla sont très connus. La production du cuir reste significative.

L’Andalousie draine aussi des millions de touristes chaque année (selon les sources, le chiffre varie du simple au double!!! de 7 à 15 millions).

L’Andalousie, qu’en raison de ses richesses Strabon l’Ancien comparait à l’époque romaine aux champs Elysées (pas ceux de Paris… mais ceux de la mythologie grecque, ces lieux des Enfers où les héros et les gens vertueux goûtent le repos après leur mort) est restée riche de toutes ses productions jusqu’au 18ème siècle, à la veille de la révolution industrielle.


71 Cependant, avec le 1er rang en Espagne pour sa population (8M habitants, 1/5 de la population totale), elle est aujourd’hui la 2ème région la plus pauvre d’Espagne, championne du chômage (34% de la population active en juin 2013), et une dette de 15 G€ (G€ = milliard d’euros) pour laquelle elle fait appel aux prêts du gouvernement espagnol. Les raisons sont doubles, les unes propres à l’histoire récente de l’Andalousie, les autres liées à la crise mondiale de 2008 et à la situation espagnole dans ce contexte. Rappel : l’Espagne est organisée en 17 Régions appelées « communautés autonomes » ; celle d’Andalousie a été créée en 1982 et son statut renforcé en 2006. Ces communautés ont l’autonomie du législatif et de l’exécutif, pas l’autonomie judiciaire ; l’état espagnol n’est donc pas un état fédéral (comme les USA par exemple). De fait, en raisonnant à grands traits, l’Andalousie n’a pas su franchir, à l’inverse d’autres régions espagnoles plus au nord le virage industriel, excentrée par rapport à l’Europe et misant de manière probablement trop excessive sur le tourisme et son développement immobilier. Pour l’agriculture, son premier atout initial, la possession des terres reste très inéquitable : 2% de la population rurale, soit 2500 familles, possède 50% des terres cultivables, et la masse des 400 000 ouvriers agricoles n’a pas de patrimoine (paysans sans terres). Ainsi en Espagne, 30000 ha appartiennent à la duchesse d’Alba et 17000 ha au duc del Infantado. Ceci explique pourquoi depuis longtemps cette partie de la population andalouse a constitué le terreau de l’anarchisme espagnol et de l’implantation socialiste et communiste en Andalousie. L’appauvrissement andalou est en tout cas sensible dès le 19ème siècle ; et plus tard, 900 000 andalous émigrent en 1960. Le lent redressement à partir de 1970, puis l’immense succès de l’Exposition Universelle de Séville en 1992 avec ses 40 millions de visiteurs (500 ans après la Reconquista et la découverte des Amériques) avec un début prometteur de désenclavement (autoroutes locales, TGV espagnol,…), l’implantation d’industries aéronautiques, de pôles développant les nouvelles technologies, n’ont pas empêché que les emplois restent peu qualifiés, et que la bulle immobilière touristique continue à gonfler, accroissant la dépendance par rapport à la manne touristique. Puis la crise (de 2008) vient, s’accompagnant de circonstances aggravantes, sécheresse, incendies,… Aujourd’hui, l’Andalousie est dans le marasme, se débattant avec sa dette, son chômage, ses inégalités, son immigration depuis le continent africain, mais accueillant à bras ouverts ces autres immigrés nantis du nord, anglais et allemands retraités qui viennent s’installer sur la Costa del Sol. Des coopératives agricoles se montent cependant, dans un cadre de réforme agraire fluctuant. Celle de Somonte, qui veut faire la promotion du « bio » dans la vallée de Cordoue sur le Guadalquivir est la plus connue et la plus militante. Le tissu industriel avec au 1er rang l’agroalimentaire se développe un peu.


72 De retour sur la côte, rien ne lasse jamais dans ce pays, à part quelques panoramas trop industriels et l’effervescence sauvage, maintenant dégonflée de l’immobilier. Ainsi, on s’abandonne aux couchers de soleil qui enflamment les fraîches soirées, quand on revient vers l’horizon tranché de la mer. ,

Et là, pendant qu’une canne à pêche solitaire joue le vigile sur le sable, le soir, deux paquebots de croisière au mouillage, juste posés sur l’horizon, indifférents au monde, illuminent leurs ponts de tous leurs feux, comme si la fête était permanente à bord.


73 Les petits matins tout aussi frais révèlent progressivement l’horizon scintillant qui finit par s’embraser du soleil levant ; de grands cactus singent avec prétention la virilité des matins triomphants. Le long boulevard du bord de mer qui s’étire sur des kilomètres s’éveille, bordant les plages de sable clair si larges qu’on n’imagine pas qu’elles puissent se remplir des touristes affalés, en été. Il est ponctué à intervalles réguliers d’arbres tropicaux à puissantes épines dont le tronc s’évase en son milieu comme une panse (on l’appelle « l’arbre bouteille », ou « ceiba speciosa », qui est une variété de la famille des ceibas, les arbres sacrés mayas). Ils fleurissent en automne. L’interminable rive commence à s’affairer ; les larges plages sont nettoyées, les premiers joggers les sillonnent avec quelques chiens fous et libres comme les mouettes. Des pédalos rassemblés au repos, des paillottes, forment de modernes sculptures sur l’horizon des terres rouges qui s’éclaircit. Un vent fréquent du nord balaie froidement la rive

et fait claquer drapeaux et fanions.

Le ciel est pur.


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Tauroma

chie

Brève histoire de la tauromachie Mettant de côté les origines antiques d’un culte du dieu taureau, les historiens de la tauromachie situent bien son origine en Espagne. La corrida moderne doit ses fondements aux jeux taurins organisés pour divertir la noblesse espagnole au Moyen Âge. Les nobles, pour s’entraîner aux combats et à la guerre pratiquaient entre eux des chasses aux taureaux et des joutes équestres où ils attaquaient le taureau à l’aide d’une lance du haut de leur cheval. 12ème siècle : selon une chronique de 1124, « alors qu’Alphonse VII se

trouvait à Saldaña avec la jeune Doña Berenguela, fille du comte de Barcelone, entre autres divertissements, il y eut des fêtes de taureaux ».

D'autres chroniques disent que Le Cid (celui de Corneille, Rodrigo Diaz de Vivar, le Campeador) aimait ces jeux dont il aurait même été l'inventeur, et qu’il aurait combattu un taureau en 1038. Ci-contre, il est mis en scène dans l’un de ses combats. Mais invoquant le caractère épique ou poétique des textes, certains doutes de la véracité des faits. A cette époque, le succès d'une fête royale repose sur un personnage encore inconnu au sud : le mata-toros. Souvent originaire des Pyrénées, de Navarre ou de Biscaye, il est choisi avec soin par les souverains, bien payé, et tue vraisemblablement l'animal d'un jet de javelot, ce qui implique une grande robustesse de sa part. Plus tard, Charles Quint sera grand amateur de ce spectacle de joutes équestres, des « jeux de toros ». L'habileté des cavaliers sera consignée dans de nombreux traités dès le 16ème siècle. Cependant, les Maures semblent avoir été les premiers à utiliser des capes pour détourner le taureau durant les attaques à la lance. Les espagnols leur attribuent une partie des origines de la corrida et reconnaissent leur avoir emprunté. À côté des spectacles « nobles » des cavaliers, les divertissements populaires sont les « capeas », nées spontanément des deux côtés des Pyrénées. Ils célébrent par exemple une victoire, ou pour des fêtes patronales. C’est l'ancêtre du toreo à pied. Sur les places de villages, on dresse des barrières en bois censées protéger le public, qui constituent des arènes improvisées. Les taureaux que de petits éleveurs y produisent sont sans caste ; ils ont parfois déjà été toréés, ce qui les rend plus dangereux. On torée parfois plusieurs bêtes en même temps. Les morts sont nombreux. La reine Isabelle, au 15ème siècle, interdit les « capeas » de village ainsi que tout autre forme de course, mais l’autorise à nouveau quand les cornes des taureaux sont emboulées. En fait, ces interdictions sont bravées pendant des siècles, jusque dans les années 1970 où l’interdiction des « capeas » prend effet. 16ème siècle : dès le début du 16ème et pendant le 17ème, la tauromachie à cheval de la noblesse commence à se codifier. En parallèle, la pratique du toreo à pied devient un spectacle autonome. Les toreros à pied sont les travailleurs du « macelo » (boucher) de l'abattoir sévillan, mettant en scène leur métier de tueurs de taureaux face à un public nombreux devant lequel ils pratiquent l’estocade. C'est ainsi que naît de manière un peu spontanée la tauromachie à pied, ses techniques et ses figures. Au 16ème, le public peut assister à ces manifestations dans les abattoirs au grand dam des autorités qui les interdisent en 1582, tant pour les dommages causés aux bâtiments que pour préserver la santé publique. Les papes s’en mêlent en menaçant d’excommunication ceux qui s’y livrent ou qui en sont spectateurs aussi bien à pied qu’à cheval. Mais le roi Philippe II d'Espagne répond que cela « revenait à excommunier presque toute la nation espagnole ».


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En France aussi, Louis XIII puis Louis XIV interdisent en vain la corrida (ci-dessous l’interdiction d’une corrida dans un faubourg de Bordeaux, celui de St Seurin par le marquis de Tourny).


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18ème siècle : la noblesse à cheval recourt aux matadors à pied, ceux des boucheries, comme valets pour distraire le taureau quand le cavalier change de cheval, ou pour le secourir en cas de chute. Ce sont les « peóns », vêtus de livrées au service des grands seigneurs ; ce qui donne lieu à une sorte de parade ostentatoire, souvent excessive. Dès lors, la course de taureaux, d’aristocratique devient aussi populaire. Le principal acteur reste encore le cavalier, mais c’est désormais un « varilarguero » (« porteur de longue lance »), par opposition aux nobles dont la lance était une sorte de javelot ; il attend de pied ferme le taureau pour l’arrêter avec sa lance. C’est l’ancêtre du picador. Cependant, toujours élitiste, la noblesse se regroupe dans des « maestranzas », écoles équestres où l'on s'entraîne à l'art du combat guerrier, mais aussi à celui de la course de taureau. En même temps, les « piétons » ont pour rôle d’éloigner le taureau du cheval et se servent pour cela de capes ou de manteaux, ancêtres du capote. Ci-dessous à gauche, deux superbes tableaux de Goya. C’est dans cette période l'âge d'or de la corrida à cheval. Mais le roi Philippe V d'Espagne, un Bourbon venu de France, s’en désintéresse (c’est si effrayant un taureau..) ; alors la noblesse courtisane délaisse la corrida de « rejón » (à la pique). Seules exceptions : les maîtrises royales de cavalerie de Séville (Real Maestranza de Caballería) et de Ronda, qui obtiennent le droit d'organiser des corridas à but caritatif pour l'entretien des hôpitaux. En 1700, dans la même lignée, Philippe V, petitfils du roi de France Louis XIV, s’en éloigne plus encore. La désaffection de la noblesse pour la course de taureaux se poursuit. On peut affirmer que c’est à cause des Bourbon venus du nord, complètement étrangers à la culture tauromachique, et de la servilité courtisane des aristocrates espagnols, que la corrida à cheval a laissé la place à la corrida à pied d’aujourd’hui. Par contre, au Portugal, la course « aristocratique » continue d’exister. Mais dès la mort du comte d’Arcos en 1762 lors d'une corrida, la mise à mort cesse là d’être pratiquée. C'est à cette époque que la tauromachie portugaise prend ses distances avec la tauromachie espagnole. Le 15 août 1752 à Ronda, Francisco Romero, torero à pied, demande l’autorisation de tuer lui-même le taureau à la fin d’une course. Après l’avoir fait charger deux ou trois fois un leurre fait de toile, il estoque le taureau à l’aide de son épée « a recibir » (du verbe « recevoir » en espagnol, une façon de porter l'estocade en « recevant » le taureau face à soi, qui le charge), quintessence de la pratique de toréer, le « toréo ». Renouvelant cet acte dans d’autres arènes, il

devient un véritable professionnel. Il est généralement considéré comme l’un des créateurs de la corrida moderne. Même si la mise à mort du taureau par estocade a été pratiquée bien avant lui par les employés des abattoirs sévillans. Et s’il n’est pas à proprement parler son inventeur, il est un des premiers matadors à avoir perfectionné cet art. En 1726, Moratín écrit : « À cette époque-là, un homme commence à se faire remarquer : Francisco Romero, celui de Ronda, qui fut un des premiers à perfectionner cet art avec la « muletilla », attendant le taureau face à face. »


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Au 18ème siècle, « le peuple envahit l'arène » comme on le voit sur les représentations peintes des « capeas », des corridas, et plus particulièrement dans une des planches des Taureaux de Bordeaux de Goya. Les chroniques font état d'une foule débordante, anarchique, sanguinaire, d'une « racaille » qui essaie de berner « l'alguazil » afin d'aller jouer du couteau sur le taureau. Francisco de Goya reconnaît partie de ces voyous à son époque de

lui-même avoir fait "sacripant".

Cependant, la popularité de cette sorte de toreo et son faible coût sont encouragés pat les « maestranzas ». Et les toreros à pied andalous gagnent une remarquable notoriété dès la 2ème moitié du 18ème siècle. Un autre Romero de Ronda va soulever l'enthousiasme à Madrid : Pedro Romero, petit-fils de Fransisco (à droite peint par Goya) qui aurait tué 200 taureaux en 9 ans dans les années 1775. Les succès de Francisco Romero entraînent un changement radical dans l’art de toréer : avant lui, le personnage central est le picador, puis ce sont les jeux qui se déroulent ; la mise à mort n’est que la clôture du spectacle. Après lui, le picador perd son aura, les jeux ne sont qu’une phase intermédiaire et la mise à mort devient la finalité, le point d’orgue du spectacle. À sa suite, beaucoup de ses compatriotes se font aussi matadores de toros, notamment son petit-fils Pedro Romero, « Costillares » et « Pepe Hillo ». Ce dernier sera, en 1796, l’auteur de « La tauromaquia, o el arte de torear de pie y a caballo » (« La tauromachie, ou l’art de toréer à pied et à cheval »), premier traité de tauromachie moderne. En France, la première corrida de type espagnol est signalée le 17 janvier 1701 à Bayonne où elle a été organisée par le échevins de la ville en l'honneur du passage de Philippe V d'Espagne. Plus tard, le choix de Biarritz comme résidence d'été de la cour impériale explique l'engouement des arènes bayonnaises pour la tauromachie espagnole, qui gagnera les Landes et le reste de la France, avec des succès divers au 19ème siècle.

Ci-contre, la foule dans les arènes d’Arles et ci-dessous « le torero mort » (superbe et bien propret) de Manet. Soyons aussi un peu polémique avec cette boutade. L’époque contemporaine est l’aboutissement du spectacle et de son rituel, avec ses matadors célèbres, véritables divas, leur compromission politique parfois, les polémiques avec la SPA, les inconciliables passions suscitées...


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Al-Andalus, presque 8 siècles de présence maure

Les témoignages de la culture arabo-andalouse en ces lieux sont si considérables et si exceptionnels qu’on s’est à peu près limité à l’histoire de l’Andalousie s’achevant avec la Reconquista en 1492. Comment en résumé l’Andalousie se crée-t-elle, devient-elle un moment reine musulmane de l’occident à Cordoue, puis subit-elle la Reconquista? Comment plusieurs vagues successives de dynasties musulmanes de plus en plus rigoristes ont-elles déployé en ces lieux un art de vivre, un raffinement, un faste qui s’illustrent avec tant de splendeur en particulier dans l’architecture? La motivation par l’exaltation du sacré n’a pu atteindre ce niveau de culture qui tend à l’universalisme sans un ensemble de conditions favorables qui en ont été le germe, malgré les convulsions, les flux et les reflux des conquêtes. Après les phéniciens, les carthaginois puis les romains fondateurs de la Bétique (Hispanie), les Vandales puis les Wisigoths (et avec eux la religion chrétienne inspirée de Byzance) peuplent la péninsule ibérique. Ce sont cependant les dynasties musulmanes qui vont laisser l’empreinte la plus marquante (voir une conférence de Jean-Paul Roux sur « les omeyyades de Cordoue » d’avril 2002). En effet, depuis le moyen orient, le monde musulman est en rapide et puissante expansion un peu plus d’un siècle après Mahomet. La vague de conquête, dans le désordre : une armée hétéroclite et déferlante (bédouins d’Arabie, yéménites, syriens, berbères) débarque en Espagne en 710 sous la bannière du prophète. Une fois installés et contenus par le nord, « comme les wisigoths avant eux et comme les chrétiens de leur côté, ils se déchirent entre eux, berbères contre arabes, arabes du sud contre arabes du nord... ». L’émir fondateur : du côté de Damas, au hasard des luttes fratricides et pour échapper à la mort, un fugitif de la dynastie omeyyade quitte l’Orient, et se dirige vers l’Occident déjà conquis. Là, en Hispanie du sud, Abd al Rahman devient émir de Cordoue . Il est le fondateur d’Al-Andalus. La fière cité de Cordoue sur le Guadalquivir se développe déjà et se fait connaître rapidement comme la ville phare du monde musulman. Le calife unificateur et fédérateur : un de ses descendants Abd el Rahman III fédère, unifie, développe Al-Andalus puis, suffisamment sûr de lui, s’autoproclame calife occidental, un défi aux principes fondateurs de l’Islam. Cordoue n’est plus seulement la rayonnante capitale du monde musulman, c’est plus encore le pôle intellectuel et culturel du plein Moyen-Âge pour toute l’Europe occidentale. Le calife au pinacle : son fils, Al-Hakam II le protecteur du savoir, la porte à son apogée par son raffinement et son opulence, avec un développement inégalé des sciences et des arts. Le juriste guerrier usurpateur : puis le vizir finit par avoir raison du calife avec l’ambitieux Al-Mansour, qui rompt la dynastie, et reprend un djihad offensif contre les rois chrétiens, mais affaiblit les ressources du califat. Le califat se désagrège ensuite en taïfas (factions) et la Reconquista chrétienne progresse, malgré les dynasties berbères du Maghreb appelées au secours, almoravides du désert, puis almohades montagnards, qui se combattent entre elles, mais dont même la rigueur coranique croissante ne peut résister au charme andalou. Enfin, la Reconquista est presque complète en 1266 et sonne le glas final des dynasties musulmanes et des taïfas. Sauf pour un « village andalou » qui n’a pourtant rien d’un « village ibère » à la manière d’Astérix, devenu le refuge des musulmans chassés, et qui résiste, négocie au prix d’importants tributs sa survie avec les chrétiens et atteint, comme dans l’énergie du désespoir, un sommet de raffinement et de luxe : Grenade. Et qui finit cependant par tomber en 1492, année d’achèvement de la Reconquista chrétienne et de la découverte d’un monde nouveau par Christophe Colomb. Etymologiquement, malgré sa consonance arabe, le mot « Al-Andalus » provient d’abord du wisigoth « landa lhauts » pour désigner l’Espagne (« attribution des terres par tirage au sort » ce qui supprime tout lyrisme), repris ensuite par les musulmans. D’autres disent qu’il s’agit d’une déformation du pays que détenaient les V andales avant les Wisigoths.


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Les omeyyades, e de Damas à Cordou

Là-bas en Arabie 661 à 750 : la dynastie omeyyade règne sur le monde musulman. Elle tient son nom de leur ancêtre Umayyah ibn Abd Sams, grand-oncle de Mahomet. Elle est originaire de la tribu arabede Qurays, qui domine La Mecque au temps de Mahomet.

Ici en Ibérie 711 à 716 : Tariq ibn Ziyad débarque en Espagne et bat le roi wisigoth Rodéric (ou Rodrigue) à Guadalete. Les maures conquièrent la partie sud de la

péninsule ibérique, sans avoir pu gagner les royaumes basques. C’est aux Vandales Wisigoths que le pays a été pris. Les juifs d’Espagne, persécutés par les Wisigoths accueillent presque en libérateurs ses nouveaux conquérants.

jourd’hui Guadalquivir.

750 : à Damas, l’unique calife du monde musulman, qui appartient à la dynastie omeyyade, Marwan II, est tué ainsi que toute sa famille par le chef de file d’une révolte populaire contre les dévoiements de la dynastie. Marwan II est le dernier calife de cette dynastie omeyyade en Orient. Le nouveau calife Abou-al-Abas as Saffah fonde une nouvelle dynastie, celle des abassides qui, délaissant Damas, prend Bagdad pour capitale.

732 : les maures se replient sur la péninsule après la bataille de Poitiers et prennent Cordoue pour capitale, sur le grand fleuve Bétis nommé au-

mais un membre éminent de la famille du calife omeyyade parvient à s’enfuir vers l’ouest, Abd al Rahman (731 Damas - 788 Cordoue).. 755 : après un long et épique périple passant par l’Euphrate, l’Egypte, le Maroc au travers de la Méditerranée, Abd el Rahman parvient en Espagne où la famille omeyyade conserve de nombreux partisans et se réfugie à Ceuta puis à Elvira (future Grenade). 756 : profitant de dissensions entre arabes et berbères, appelé notamment par les syriens implantés là, Abd el Rahman le rescapé omeyyade vainc le gouverneur musulman abbasside et prend la ville de Cordoue.


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e Cordoue, fédératric du prochain émirat

Là-bas en Arabie

Ici en Ibérie

Cette dynastie de califes arabes sunnites va régner de 750 à 1258 à Bagdad, et créer un empire jusqu’à l’Indus à l’est. Certains de ses califes ont marqué l’histoire, comme Al Mansour, Al Mamun, Harun el Rachid (celui des Mille et Une Nuits).

Ici, à 26 ans, Abd el Rahman se fait nommer émir indépendant. C’est le début de la dynastie omeyyade de Cordoue. En ce temps, Cordoue possède déjà 30 mosquées. Leur nombre sera décuplé au 10ème siècle !!!

Le coup d’arrêt lui est donné en 1258 par la destruction de Bagdad par les Mongols.

Habile et diplomate, Abd el Rahman le fondateur maintient ordre et stabilité d‘AlAndalous, lutte sans cesse contre les rébellions, les complots, une tentative de reprise du pouvoir par les abbassides d’orient en 763 (qu’il repousse), évite en 778 l’affrontement avec Charlemagne (qui a repris Barcelone et Saragosse) détourné par la menace saxonne. En repartant, c’est à Roncevaux où meurt Roland que l’empereur est attaqué par les Vascons -et non les Maures. 784 : Pendant la seconde moitié du 9ème siècle la ville de Mayrit (Madrid) est créée pour défendre Tolède. Abd el Rahman rase la cathédrale St Vincent de Cordoue et fait construire à la place la grande mosquée, à la manière des mosquées syriennes, la Mezquita. Ses 3 successeurs immédiats complètent avec talent l’oeuvre fédératrice, notamment Abd el Rahman II.

Eugène Viollet Leduc : « Charlemagne avait des rapports plus directs avec les infidèles qu'avec la cour de Byzance, et s'il ménageait les mahométans plus que les Saxons par exemple, frappés sans relâche par lui jusqu'à leur complète conversion, c'est qu'il trouvait chez les Maures une civilisation très avancée, des mœurs policées, des habitudes d'ordre, et des lumières dont il profitait pour parvenir au but principal de son règne, l'éducation. Il trouvait enfin en Espagne plus à prendre qu'à donner. »

Avec les suivants par contre, le mal qui ronge les chefs musulmans, la discorde, les rébellions reprennent, Le royaume décline pendant que Castille et Aragon catholiques se dessinent.


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ident

d’occ e f i l a c e L

929 : Puis vient un grand prince, Abd el Rahman III au 10ème siècle (890 à 961), Il combat les diverses factions musulmanes, notamment les fatimides au sud (Maroc), contient la Reconquista chrétienne au nord, mate les révoltes internes des muladis (chrétiens ibères convertis à l’islam) de Cordoue, fédère et agrège tous ces peuples pour en faire le véritable Al-Andalus. Sans oublier au passage de contenir les invasions vikings qui pénètrent par la mer et les fleuves comme l’ont fait déjà ses prédécesseurs. Alors, sous son règne, Cordoue éclipse Bagdad, Damas et « fait de l’ombre à Byzance ». Dans un élan intellectuel et artistique remarquable, Cordoue devient la ville phare du monde musulman. Cet extraordinaire essor loin de l’orient se concrétise finalement par la rupture du principe « un seul calife pour le monde musulman ». Jusque-là c’était le calife de la dynastie abbasside de Bagdad. Comme au passage viennent aussi de le faire en 910 les fatimides d’Afrique du Nord en proclamant leur propre calife, Abd el Rahman III s’autoproclame à Cordoue calife occidental. Et les luttes entre omeyyades de Cordoue, fatimides du Maghreb, idrissides du sud-marocain seront farouches, parfois sans issue. Sans parler des abbassides d’orient qui ne se résignent pas à voir leur califat contesté.

L'oumma, est à l’origine la communauté des musulmans, indépendamment de leur nationalité, de leurs liens sanguins et des pouvoirs politiques. Elle naît avec l'hégire en 622, quand les premiers fidèles renoncent à l'organisation clanique qui prévaut jusque-là, pour une communauté de foi. De l'oumma découle une notion de solidarité entre les musulmans. Au sommet de l’ensemble des musulmans devait régner un seul et même calife. Une 1ère brèche de ce principe se fait dès la désignation même du 1er calife, entre d’une part les chiites avec Ali, gendre et fils adoptif de Mahomet et d’autre part les sunnites avec Abû Bakr, beau-père de Mahomet et parent assez lointain. Clivage originel qui anime encore de nos jours les luttes intra-communautaires. Dans cette querelle, en précurseurs démocrates, mais prosélytes cruels, les kharijites refusent tout caractère dynastique au titre de calife, celui-ci devant être choisi (élu) comme le meilleur parmi les musulmans. C’est une 3ème voie en face des chiites et des sunnites. Pendant plus de 2 siècles cependant un seul calife règne et il est abbasside à Bagdad. 910 : c’est la 1ère rupture de l'oumma quand le fatimide (chiite) Ubayd Allah al-Mahdi se proclame dans le Maghreb calife ismaélien et « commandeur des croyants » contre le calife abbasside de Bagdad. 929 : Abd el Rahman III s’autoproclame calife occidental à Cordoue, et la rupture est consommée.


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turel l u c e r a h p Cordoue, yen Âge du Mo A Cordoue, Abd el Rahman III étend encore la mosquée de sa capitale, la Mezquita. Lui-même dans son ascendance immédiate est 3/4 hispano-basque et 1/4 arabo-berbère,

Vers la fin de sa vie, des polémiques surgissent à propos des harems de femmes (6000 chrétiennes) mais d’hommes aussi, et de cet esclave chrétien de 13 ans qu’il aurait fait torturer et démembrer pour n’avoir pas cédé à ses avances, ou pour n’avoir pas voulu se convertir à l’islam.

Grand bâtisseur, il commence en 936 la construction du palais Medinat Az-Zahra en l’honneur de sa favorite Zahra. Il y vit à partir de 945 au milieu de 4000 eunuques recrutés par les juifs de Verdun (ville libre du saint empire romain germanique, lieu centro-européen de commerce et fameux marché aux esclaves provenant du nord et de l’est européen) qui ont fait une spécialité de la castration et du commerce des eunuques!! Une garde de 12000 hommes protège Abd el Rahman III, presque tous des hongrois. Il développe la bibliothèque de Cordoue, et la ville devient le plus important centre intellectuel d’Europe occidentale. Al-Andalus est en relation avec le monde entier de l’époque, les hongrois, les slaves, les empereurs byzantins. Son armée de 40 000 hommes est principalement composée de mercenaires, basques, catalans, gascons, hongrois, nommés « les Muets » pour ne savoir parler arabe. Si l'impôt est lourd, le peuple vit assez bien : l'empire est prospère. Industrie, agriculture (canne à sucre, coton, mûrier,…) et commerce sont florissants. La moitié sud de l'Espagne et ses 25 à 30 millions d'habitants, est, comme la Sicile, presque surpeuplée. Les villes y sont nombreuses et vastes. Cordoue aurait alors possédé 300 mosquées, 700 hammams et de nombreux palais. Comme son successeur, il prend quelques libertés avec les principes religieux islamiques, notamment pour la représentation humaine et la consommation de vin. Il règne pendant près d’un 1/2 siècle comme le plus puissant prince ibère. À la fin de sa vie, il dresse en quelques mots un bilan énigmatique : « J'ai régné cinquante ans dans la paix et la gloire, aimé de mes sujets, redouté de mes ennemis. J'ai tout eu….. J'ai compté avec soin les jours où j'ai goûté un bonheur sans mélange. Je n'en ai trouvé que quatorze. »


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rts, a s e d t e ces Des scien arabo-andalou t raffinemen

961 : Son successeur Al-Hakam II développe les arts et la culture d’Al-Andalus et les porte à leur apogée. Al Hakam (qui signifie « le sage ») règne de 961 à 976. Il agrandit lui aussi la grande mosquée, la Mezquita, ainsi qu’au nord de Cordoue le palais Medinat AzZahra, commencé par son père, palais d’une « incroyable magnificence » d’après des témoins contemporains, dont les restes se visitent aujourd’hui. Maintenant la paix avec les rois chrétiens du nord, il développe l’agriculture par l’irrigation, facilite les échanges économiques et les transports, crée des marchés. Cordoue comptait 80 écoles publiques ; il en fonde 27 autres gratuites pour les pauvres et les orphelins. Dans la 1ère partie de sa vie, son homosexualité est exclusive et de notoriété publique ; il entretient un harem de jeunes esclaves mâles, à la différence de son père avec son harem de 6000 femmes esclaves chrétiennes, même si le goût sexuel de ce dernier évolue à la fin de sa vie. Mais il doit penser à sa descendance. Il l’obtient avec Subh, la fille basque (vasconne) d’une esclave non musulmane, qui se déguise en garçon. Il l’apprécie tant qu’elle lui donne deux garçons et qu’il en fait sa favorite. Passionné de livres, d’art et de savoir, Al Hakam II, poursuivant l’œuvre de son père constitue une énorme bibliothèque, la plus importante de l’Europe d’alors, la 3ème du monde musulman. Pour cela, il envoie des étudiants traquer les ouvrages du monde musulman, à Damas, Constantinople, Bagdad, Médine, La Mecque, à la bibliothèque du Caire (2 millions de volumes), celle de Tripoli (3 millions de volumes). Détruits ensuite par les croisés sur ces sites d’orient, une part d’entre eux subsistera au moins provisoirement grâce aux copies faites à Cordoue. Cordoue compte 170 femmes lettrées copistes, parmi lesquelles les deux plus fameuses, Lubna et Fatima qui sont aussi ses secrétaires. Une masse de livres grecs et latins sont traduits en arabe. Il charge aussi un étudiant iranien de rassembler et de transcrire les poèmes et chansons arabes en une collection encyclopédique de 20 volumes et 10 000 pages allant de la période arabe pré islamique jusqu’au 9ème siècle. Il emploie parmi ses secrétaires une fameuse mathématicienne, Labana de Cordoue, qui savait résoudre les problèmes géométriques et algébriques les plus ardus (ou estce Lubna?). Sa réputation de protecteur du savoir est telle que même des ouvrages iraquiens de ses ennemis abbassides lui rendent hommage, lui l’omeyyade. Cette bibliothèque sera partiellement détruite sélectivement par son successeur, puis un peu plus tard totalement dispersée par les almoravides. Il s’associe comme chirurgien de la cour le réputé Albucasis (Abu Al Qasim al Zahwari, 936 à 1013), qu’avant Averroès, on considère comme le père de la chirurgie moderne. En une trentaine de volumes, celui-ci rédige une encyclopédie des pratiques dans tous les domaines de la médecine chirurgicale, crée environ 200 outils médicaux, tente d’établir la compréhension des maladies, les solutions mises en œuvre pour les combattre. Ainsi Albucasis, 600 ans avant Ambroise Paré décrit par exemple la ligature des vaisseaux et celle des artères temporales contre la migraine. Mais aussi la greffe de boyau de chats chez l’humain.


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Société en profonde évolution

De Harmonia Mundi et Wikipedia :

« Très vite, après que le Califat de Cordoue ait proclamé son indépendance en 755, la culture devient

autochtone, aboutissant à une forme de vie et à un esprit typiquement andalous, nés du mélange des cultures antérieures de la péninsule, du legs grec et des apports orientaux. La musique, proscrite par le Coran au même titre que le vin ou toute forme de représentation anthropomorphique ou animale, est particulièrement florissante en Andalus grâce au mécénat des émirs, des princes et des califes. On comprend qu’un peuple, établi dans une région très fertile, amoureux de la nature et des plaisirs les plus raffinés, du bon vin, de la poésie la plus exquise et des plus hautes manifestations de l’esprit, ne pouvait suivre avec une très grande orthodoxie les prescriptions du prophète.

Un artiste et savant d’Irak, Zyriab (le merle) déjà très fameux là-bas, venu à l’invitation d’Al-Hakam 1er à Cordoue en 822, est si bien reçu par son fils Abd el Rahaman II qu’il s’installe définitivement en Andalus. Avec lui pénètrent les courants d’influence qui donnent une nouvelle orientation à la culture, aux moeurs et à la vie quotidienne. Mais c’est dans la musique arabo-andalouse qu’il fixe les bases d’une forme musicale originale encore fortement présente dans le Maghreb actuel des milieux juifs et musulmans, introduisant aussi le oub, luth arabe à 5 cordes sur lequel fut chantée probablement la chanson de Roland. Il fonde à Cordoue de fameuses écoles de musique, et la forme musicale qu’il crée, avec les « noubas » influence même fortement la musique médiévale chrétienne. « Zyriab reçoit deux cents pièces d'or par mois, d'abondants dons en nature, des maisons, des jardins et des champs valant une fortune. Avec un goût certain pour le luxe, il introduit à Cordoue des modes vestimentaires venues de Bagdad ; les notables imitent son élégance et ses manières distinguées. C'est aussi lui qui fait découvrir le jeu d'échecs (venu d’Inde) et le jeu de polo (?) en Espagne. Par son charisme et son talent, il devint l'arbitre de l'élégance d'Al-Andalus, y révolutionne les modes vestimentaires et la cosmétique. Il impose à la cour l'art raffiné de la cuisine irakienne, celle des Mille et Une Nuits, et un ordre protocolaire strict pour l'ornement de la table et l'ordonnancement des mets. C'est au raffinement de Ziryab et à ses préceptes que l'on doit aussi le remplacement des nappes en lin par celles de cuir ouvragé et celui des gobelets d'or ou d'argent par les coupes de cristal. Il apporte également dans une société musulmane réputée austère et fermée, surtout celle des femmes, et plus particulièrement aux recluses des harems et à leurs eunuques, les recettes secrètes de la magie et de la divination chaldéenne. » Quand le raffinement confine au ravissement des auditoires, et que l’élégance se fait précieuse et cambrée, la séduction opère : « ... la petite histoire lui attribue de nombreuses conquêtes, tant féminines que masculines ». Son influence concerne aussi les plats et la cuisine ; ainsi, parmi bien d’autres apports, il donne ses lettres de noblesse à l’asperge dans les repas raffinés.


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rant

onqué c r u e t a p l’usur , r o z n a Alm

La réputation des académies de Cordoue, de Tolède est grande ; on y vient même depuis l’Inde et d’Europe. L’hispaniste anglais John Brande Trend écrit au sujet de Cordoue : « Au dixième siècle, Cordoue était la ville

la plus civilisée d’Europe. Elle suscitait l’émerveillement et l’admiration du monde, à l’instar de Vienne dans les États balkaniques. C’était avec quelque crainte que les voyageurs venant du nord entendaient parler de cette ville qui contenait 70 bibliothèques et 900 bains publics ; lorsque les souverains de León, de Navarre ou de Barcelone nécessitaient les services d’un chirurgien, d’un architecte, d’un tailleur ou d’un musicien, c’était vers Cordoue qu’ils se tournaient. »

Mais la meilleure des médecines ne peut pas tout : Al Hakam II meurt en 976 de ce qui semble être un AVC peut-être provoqué par de l’eau glacée. 976 : le pouvoir passe ensuite progressivement à Ibn Amir Al-Mansour (Almanzor en espagnol, 938? à 1002), le barbu joufflu au sombre regard ci-contre. Issu d’une famille yéménite installée à Algésiras et juriste de formation, il gravit avec talent les échelons aux côtés de Al-Hakam II, mate une révolte des esclavons » (esclaves slaves affranchis), en même temps qu’il assure la régence aux côtés du trop jeune calife Hashim, (11 ans) désigné par son père Al-Hakam II pour lui succéder. La mère d’Isham, Suhb, la favorite d’AlHakam a probablement été ensuite la maîtresse d’Al-Mansur avant que sa fibre maternelle ne viennent se rebeller contre lui. Avec ses prédécesseurs omeyyades, le djihad est le plus souvent défensif, et souvent relève d’un équilibre de forces bien compris avec les chrétiens. Nommé vizir, sans être un fanatique religieux, il engage à l’inverse un djihad offensif contre les chrétiens qu’il harcèle victorieusement au nord entre 977 et 978, accumulant d’énormes butins. Là commence sa carrière militaire où sans y avoir été formé, il excelle par son habileté et son adresse ; sa notoriété se développe. 978 : manifestation de son pouvoir, à l’est de Cordoue, il construit le palais-forteresse Al-Medinat al Zahira, qu’il veut aussi magnifique que le Medinat Az-Zahra des omeyyades. Mais en 1009, la population cordouane met à sac et détruit totalement son palais, dont il ne reste rien aujourd’hui. 991 : il parvient à se faire nommer roi. En bon juriste, il sait en effet qu’il ne peut prétendre devenir calife, dont la fonction ne peut revenir qu’à une dynastie issue du prophète. 998 : il obtient enfin qu’à la mort du calife Hisham, qui pendant ce temps vit enfermé dans son sérail où il s’abandonne aux plaisirs au milieu de ses femmes et de ses eunuques, le pouvoir lui revienne officiellement ainsi qu’à sa descendance. Puis, au gré des éliminations et de ses succès militaires, de son adroite manière de circonvenir les cercles culturels dont le pouvoir est considérable en usant de la flatterie et des récompenses, administrant avec prudence et vigueur, la résistance des juristes musulmans envers cet usurpateur finit par s’effriter. Il finit par détenir les pouvoirs du calife sans l’être lui-même. Sa personnalité est double, montrant une brutalité inouïe contre ses opposants politiques, mais d’une bravoure et d’une grande générosité, d’un sens aigu de la justice. Surtout, avec une discipline de fer, il réorganise l’armée dont il récompense (trop) généreusement les exploits et rétablit l’ordre et la sécurité des villes et des routes.


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et vi

riode, é p e r è 1 vides a r taïfas o m l a s ert le s é d u d t ennen

Il renforce en effet ses troupes en embauchant à prix d’or des berbères du Maghreb et des africains ; l’attrait des volontaires est tel qu’il étend encore la Mezquita pour accueillir ces dizaines de milliers de soldats nouveaux musulmans. Attirés par la solde, même des mercenaires chrétiens sont aussi embauchés qui combattront les leurs plus tard. Il fait aussi construire le pont robuste qui traverse le Guadalquivir (« oued el kébir », le grand fleuve en arabe). Son intransigeance religieuse le conduit à faire détruire les ouvrages de philosophie et d’astrologie de la bibliothèque de son prédécesseur, mais à conserver ceux qui traitent des mathématiques et de la médecine. Son djihad n’a pas pour objectif l’extension territoriale mais la soumission des rois chrétiens si possible par l’humiliation et le versement d’énormes rançons. En 1/4 de siècle, s’égrènent ainsi les victoires contre les chrétiens où les villes plus au nord sont conquises, saccagées ; jusqu’au suprême symbole de la chrétienté qui, lors de la 48ème expédition tombe en 997, St Jacques de Compostelle pillée et incendiée. On dit qu’il recueillait et accumulait la poussière de ses vêtements après chaque victoire pour en être enseveli à sa mort. Al-Mansour (le Victorieux), aussi surnommé « champion du djihad », meurt le 11 août 1002. Malgré ses victoires fameuses et sa notoriété, il a ruiné les finances (paiement des mercenaires, palais luxueux,…), rabaissé la noblesse arabe locale au profit de la horde des mercenaires, et détruit ainsi l’équilibre social, accru et cristallisé la haine des chrétiens contre les musulmans par ses pillages et ses destructions de leurs lieux sacrés, et donc accéléré la Reconquista. 1002 : depuis la mort d’Al-Mansour, et d’abord entre ses deux fils commence une période de luttes internes pour le pouvoir entre tribus berbères, esclavons et émirs arabes. 1031 : [de Philippe Conrad « L’Espagne sous la domination almoravide et almohade »] le califat éclate en une vingtaine de nombreux petits royaumes plus ou moins indépendants appelés taïfas (factions ou régions en arabe) ; c’est la 1ère période des taïfas. Certains s’allient avec les chrétiens qui tirent partie de ces antagonismes, jouant le rôle de protecteur contre tribut. Puis Alphonse VI de Castille prend Tolède en 1085. Le Cid (le toréador à cheval) menace aussi le royaume musulman de Valence. 1084 : sous cette menace chrétienne et poussé par des théologiens attachés au malékisme le plus strict (un courant musulman rigoriste), le roi musulman de Séville, Al-Motamid, va solliciter l’aide des berbères almoravides du Maghreb ; dès 1084, sa flotte les aide à s'emparer de Ceuta. Mais les autres princes musulmans andalous hésitent avant de mobiliser au sud ces conquérants sahariens, ces «Barbares » issus du désert mauritanien et hostiles aux raffinements de la civilisation andalouse. Si l'on en croit la tradition, Al-Motamid tranche cependant : « il préférait être chamelier au Maghreb que porcher en Castille » . 1086 : l'armée africaine gagne Séville où elle se renforce. Le choc entre musulmans et castillans a lieu le vendredi 23 octobre 1086 à Zallaqa (Sacrajas), au nord-est de Badajoz. Les almoravides sortent vainqueurs mais n'exploitent pas leur succès, détournés par le décès de l’un de leurs princes.


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ériode

ep m è 2 s a f ï a e:t

ravid o m l a n i l c dé

Les Almoravides : Vers 1035, le prédicateur malékite Abdallah ben Yacin entreprend d'imposer aux Lemtuna, tribu berbère du désert portant le voile (les « Voilés »), nomades entre sud marocain et Sénégal, un respect scrupuleux des préceptes du Prophète. Il constitue une communauté religieuse ascétique à l'écart du monde, les Morabitoun, dont on a fait les Almoravides, qui deviennent un redoutable ordre guerrier réputé invincible. L'historien andalou El-Bekri : « Ils sont d'un intrépidité qui n'appartient qu'à eux seuls et se laissent tuer plutôt que de fuir. On ne se rappelle pas les avoir vus reculer devant l'ennemi… » . Après avoir conquis le Maroc, massacré des résistances à Fès, combattu d’autre berbères, conquis la partie occidentale de l’Algérie et du Sahara, jeté les bases de la future Marrakech, ils maîtrisent en 1084 tout l’ouest du Maghreb.

Yusuf, un émir almoravide est convaincu qu'il faut en finir avec les reyes (rois) des taïfas dont les divisions risquent d'être fatales à la cause d'Al-Andalus. En Espagne pour une troisième expédition en 1090, il ne peut venir à bout de la résistance de Tolède. Il entreprend alors de se débarrasser des différents roitelets andalous. Ceux-ci se tournent alors vers l'ennemi castillan pour solliciter son aide et lui remettent Lisbonne, Cintra, Consuegra et Cuenca… Les almoravides réagissent, reprennent d’autres villes en 1091, entrent à Cordoue où la population ouvre les portes. Puis Séville est reprise, mise à sac, punie d’avoir recouru aux castillans qui sont battus à Consuegra en 1097. Valence est reprise en 1102 après la mort du Cid en 1099. Madrid, Guadalajara, Lisbonne, les Baléares reprises aussi, seule Tolède résiste. 1100 : La Reconquista est stoppée et l’Empire almoravide est à son apogée. Cependant, dès 1118, les chrétiens reprennent Saragosse dont le roi d’Aragon Alphonse 1er le Batailleur fait sa capitale, Il poursuit ses raids jusqu’à Grenade et Malaga. 1134 : finalement, les almoravides gagnent une dernière victoire à Fraga. Dans cette période, l’ intolérance est exacerbée, la population chrétienne d’Al-Andalus s’est beaucoup réduite. Les juifs paient de lourds tributs pour ne pas se convertir. De très nombreux ouvrages des bibliothèques sont détruits. Le rigorisme malékite a mis un terme à la brillante culture et aux raffinements omeyyades. Dans le contexte général des croisades (la 1ère se tient de 1096 à 1099) et des réveils religieux berbères, l'antagonisme entre islam et chrétienté atteint un paroxysme. Pendant ce temps, l’influence architecturale andalouse s’étend sur le Maghreb. 1146 : le roi Alphonse VII de Castille veut cependant renouer avec une politique de protectorat et de tributs plutôt que de reconquête militaire. Les succès d’Ourique au Portugal en 1139, la reprise fragile de Cordoue en 1146 sonnent le glas des almoravides. 1147 : mais une autre dynastie de berbères du Mahgreb pointe ses armes ; les premiers contingents almohades pénètrent en Espagne du sud, où les taïfas se divisent à nouveau.

C’est la « 2nde période des taïfas ».


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aghreb M u d s e gn des monta s almohades voici le Les Almohades : Quand l'Empire almoravide semble à son apogée, un nouveau « réveil » musulman berbère va changer encore la donne. Les Almohades – al-muwahiddun, les « tenants de l'unicité de Dieu » – issus de l'Atlas, se lancent à la conquête du Maroc. Ces montagnards l’emportent sur les almoravides de Marrakech. Plus coraniques que l’islam, plus rigoristes que les almoravides. Ils reprochent en effet à ces derniers leur observance insuffisante des préceptes, leur attachement trop formaliste au rite malékite et le recours aux mercenaires chrétiens catalans. Cette mystique les conduit à renouer avec le devoir de guerre sainte et à porter secours aux musulmans d'AlAndalus désireux d'en finir avec la domination almoravide sans devenir pour autant dépendants des chrétiens. L'ensemble du Maroc est pacifié en 1148, un an après la chute de Marrakech, et le pouvoir almohade s'impose rapidement dans tout le Maghreb et même au delà, jusqu'en Tripolitaine.

Leur drapeau est celui de l’arrivée des courses de voiture (damiers noirs et blancs). Il ont peut-être avant la lettre la fulgurance et la fragilité de ces bolides, mais à cheval… et leur course est dévastatrice aussi bien contre les chrétiens honnis que contre leurs coreligionnaires dévoyés les almoravides, dans un cruel et curieux « ménage à trois ». Malgré certaines places almoravides solides (Cordoue, Valence, Murcie), en 1146, les chrétiens reprennent Lisbonne, Almeria, puis en 1149 Lerida, Fraga. Mais les almoravides prennent Grenade et Jaen. 1154 : alors, observant de leur nid d’aigle maghrébin la menace de l’effondrement de l’islam andalou almoravide bousculé par les chrétiens, les almohades décident d’intervenir. En 1154, Yacub l’almohade s’installe à Séville, reprend Almeria aux chrétiens, vainc un prince almoravide à Murcie en 1165. Ce sont alors 40 ans de luttes où les chrétiens subissent une formidable pression, perdent Alcantara en 1174, l’Extramadure, sont défaits à Alarcos en 1195 et perdent encore des places l’année suivante. En même temps, les almohades reprennent aux almoravides leurs derniers bastions ; ces derniers se replient et disparaissent au Mahgreb. Seul l’appel à la croisade du pape Innocent III et le retour à l’unité des royaumes chrétiens vont être fatals aux almohades.


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rité, é p s o r p t Poigne e phie o s o l i h p t e médecine Malgré les combats et le rigorisme almohade, la 2ème moitié du 12ème est une période de richesse pour l'Espagne musulmane, grâce notamment aux diverses productions agricoles et artisanales. Mais aussi à la légèreté des impôts, et à la force du dinar –à gauche- (après une réforme monétaire en 1186, le poids d’or du dinar est doublé, « le doublon »). Le commerce, les marchés font la prospérité du pays. A droite, un dirham du 9ème siècle. Séville, maintenant capitale almohade d’Al-Andalus, Cordoue, Almeria, Grenade, Majorque sont en plein essor. Les plus fortunés, cédant aux voluptés andalouses et à sa douceur de vivre consacrent beaucoup de temps aux plaisirs de la chasse ou de la table et perpétuent, malgré le rigorisme religieux importé par les nouveaux maîtres du pays, un art de vivre hérité du califat ommeyade. Le développement culturel est intense dans le domaine des sciences, de la médecine en particulier, et celui de l’architecture qui là s’inspire de celle du Maghreb ; sans pour autant exclure la poésie malgré quelques bouffées liberticides. Ibn Tufayl (1105 à 1185) est d’abord médecin à Grenade puis devient celui du calife de Marrakech et protecteur d'Averroès. Il pratique l’autopsie et la dissection., mais il est aussi astronome, mathématicien. Il est aussi l'auteur d'un récit philosophique, « Vivant fils du vigilant », où un enfant prodige, Hayy ibn Yaqzân, né par génération spontanée et vit sur une île déserte, isolée près de l'Inde. Cet enfant qui n'a ni père ni mère est élevé par une gazelle et s'éveille seul à la philosophie et à la connaissance de Dieu. C’est l’époque d’une génération de Le titre du récit et l'argument de l'histoire reprennent une brillants médecins comme Abu Bakr œuvre d'Avicenne dans un esprit différent. L'œuvre d'Ibn ibn Tufayl de Guadix (près de Gre- Tufayl est à l'origine du « Robinson Crusoé » de Defoe.

nade) ou le Cordouan Abu Marwan abd al-Malik ibn Qasim, Avenzoar, l’un des premiers créateurs de la médecine chirurgicale après Albucasis, arabe musulman d’une lignée de médecins, né à Séville en 1073, mort en 1162. Avenzoar, arabe musulman d’une lignée de médecins, naît à Séville en 1073 et meurt en 1162. Il étudie la médecine à l'université médicale de Cordoue. Après un court passage à Bagdad et au Caire, il retourne chez lui et devient médecin au service des almoravides puis des almohades. Il sera aussi nommé vizir par le sultan Abd al-Mumin. De retour à Séville, grand maître en médecine, il a pour disciple Averroès à la demande duquel il écrit le livre « de la simplification des traitements et régimes ». Ses expérimentations chirurgicales sur les animaux avant de passer à l’homme, notamment sur la trachéotomie, sur le traitement des maladies du péricarde, des inflammations de l’oreille interne, sur les maladies du cerveau et leurs conséquences, sur les luxations des articulations... sont célèbres. De même que ses livres sur l’hygiène, sur la psychologie dans les traitements, sur les médicaments et les effets de la nutrition sur la santé, sur les fièvres. Il meurt à Séville d'une tumeur qu'il tente de traiter lui-même et dont il observe l'évolution.


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2ème âge

te

ntrain o c s u o s , d’or

Mais l’une des plus illustres personnalités musulmanes est certainement Abul Walid ibn Rushd (1126-1198), plus connu sous le nom d'Averroès. Issu d'une grande famille malékite de cadis (juges) de Cordoue, sa formation est dense : le Coran, la grammaire, la poésie, des rudiments de calcul, l'écriture. Averroès étudie avec son père, le hadith, la Tradition relative aux actes, paroles et attitudes du Prophète et le fiqh, droit au sens musulman selon lequel le religieux et le juridique ne se dissocient pas. Puis il élargit son activité intellectuelle avec les sciences profanes : physique, astronomie, médecine. Homme de religion féru de savoirs antiques, il est curieux de connaître la nature. Etudiant avec Avenzoar, il est médecin de la cour almohade, mais plus théoricien que praticien. Le calife almohade marocain Abu Yaqub Yusuf lui demande en 1166 une présentation pédagogique de l’œuvre d’Aristote, Averroès cherche à retrouver l'œuvre authentique, utilise plusieurs traductions. Reprenant celles de son éminent prédécesseur persan Avicenne (980 à 1037), en appliquant les principes de la pensée logique, il retrouve des erreurs, des lacunes et des rajouts. Avec ses trois types de commentaires, les Grands, les Moyens et les Abrégés. il apparaît comme l’aristotélicien le plus fidèle de son époque. Vers 1188-1189, des rébellions dans le Maghreb et le djihad contre les chrétiens conduisent Abu Yusuf Yaqub al-Mansur à interdire la philosophie, les études et les livres, comme dans le domaine des mœurs, la vente du vin et les métiers de chanteur et de musicien. En 1195, déjà suspect comme philosophe, il est victime d’une campagne qui vise son prestige de cadi ; certaines de ses œuvres sont brûlées. Al-Mansur l’exile en 1197 à Lucena, petite ville andalouse peuplée surtout de Juifs, eux-mêmes en déclin depuis l’interdiction de toute autre religion que l’islam. Rappelé au Maroc 18 mois après, il reçoit le pardon du sultan sans cependant être rétabli dans ses fonctions. Mort à Marrakech fin 1198, il n’a pas revu l’Andalousie. Peu après, c’est la décadence de l’empire almohade. Suspecté d'hérésie, il n’aura pas de postérité en terre d’islam. Une part de son œuvre sera sauvée par les traducteurs juifs de Catalogne et d'Occitanie. C'est l'un des plus grands penseurs de l'Espagne musulmane. Médecin, mathématicien, mais surtout théologien et philosophe, il se trouve de fait guidé par le rationalisme. Ses commentaires sur les œuvres d'Aristote séparent clairement la foi et la science, ce qui inquiète les musulmans traditionalistes qui le suspectent d’hérésie, mais ce qui va trouver aussi un écho contrasté dans le Moyen-Âge chrétien.

Une autre grande figure intellectuelle de ce temps, le philosophe juif universaliste Moïse ben Maïmon, connu sous le nom de Maïmonide est né à Cordoue en 1135 (il meurt en Egypte en 1204) L’intolérance almohade contraint vers 1148 sa famille à l’exil malgré une conversion (contestée par certains) à l’islam. Elève d’Averroès, à la fois érudit et chef de communauté, Maïmonide peut être tenu, avec son ouvrage majeur « le Guide des Egarés » pour l’introducteur de la philosophie dans le judaïsme. Sa pensée repose sur l’affirmation de la concordance entre la foi et la raison. Belle revanche, en Egypte, il deviendra le médecin personnel du sultan Saladin et fut même réclamé par Richard Cœur de Lion. Son approche philosophique a influencé d’autres grands philosophes ultérieurs notamment Thomas d’Aquin chez les chrétiens, Spinoza dans la communauté juive.


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de : a h o m l a n i t décl e r u e d n a gr ériode p e m è 3 taïfas

En y réservant 1/5ème des gains du califat, les almohades marquent aussi l’architecture, d’abord par les fortifications (ici celles de Malaga) et les enceintes aux frontières d’alors, mais aussi avec des bâtiments religieux et civils renommés. C’est le cas de la fameuse mosquée de Séville et son minaret extraordinaire, transformé par les chrétiens en clocher de cathédrale, la Giralda, mais aussi de la très célèbre Kutubia à Marrakech. Al-Andalus et Cordoue en particulier restent des centres d’artisanat réputés, préservant toujours leur identité même sous domination berbère. Ainsi les ateliers cordouans réalisent pour les almoravides les petites chaires de bois sculpté incrustées d'ivoire d’où l’imam fait son sermon, les « minbar » destinées à la Kutubia de Marrakech et à la mosquée de Fès. Des fouilles à Murcie révèlent la qualité de la céramique et des décors d'intérieur caractéristiques de l'époque almohade. Juillet 1212 : la victoire des chrétiens à Las Navas de Tolosa marque le début de la Reconquista finale : la fameuse invincibilité almohade peut être prise en défaut. Les almohades sont aussi combattus au Maroc par une autre dynastie maghrébine, les mérinides qui les avait d’abord soutenus. Un chef local andalou Mohammed ben Nazar se rebelle aussi contre les almohades après leur défaite de Las Navas de Tolosa. 1220 : le roi de Castille Ferdinand III et celui d’Aragon Jaime 1er entament la « Grande Reconquête », profitant d’un vaste mouvement de révolte des princes musulmans qui secoue Al-Andalus. En effet, et tout comme du temps des almoravides, certains princes musulmans andalous ceux-ci se révoltent contre les almohades qu’ils accusent de ne plus être capables de les protéger contre les chrétiens. Notamment à l'appel de Muhammad ben Yusuf ben Hud, un descendant des anciens souverains de Saragosse ; maître de Murcie, celui-ci prétend restaurer la légitimité des califes abbassides de Bagdad. Quand Séville reconnaît en 1229 son autorité, il règne alors sur Al-Andalus à la place des almohades. C'est la fin de l'Empire almohade d'Espagne. Le versatile et surtout opportuniste Mohammed ben Nazar, qui s’est aussi révolté contre les almohades, se déclare vassal de Ibn Hud à son apogée, pour le combattre ensuite quand il comprend qu’il sera vaincu par les chrétiens, ; il prend Arjona en 1232 et Jaen. En effet, la poussée chrétienne devient irrésistible au cours de la période dite des « troisièmes taifas ». Ibn Hud est battu par les Castillans à Alange en 1230, l'année qui voit la reconquête de Majorque par les Catalans et les Aragonais. 1269 : complètement anéantie par ses rivaux mérinides, la dynastie almohade a profondément marqué l'histoire andalouse.


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ista ; u q n o c e R 1ère appe h c é r n e Grenade 1248 : c’est la conclusion de la « première Reconquête » après la chute de Cordoue en 1236, celle de Valence en 1238, enfin celle de Séville en 1248 où Mohammed ben Nazar soutient les chrétiens. Finalement, de l'islam andalou ne subsiste plus que le petit royaume nasride de Grenade. Mohammed ben Nazar a adroitement tiré son épingle du jeu en aidant la reconquête chrétienne. En contrepartie, il garantit la paix avec les chrétiens pendant 20 ans, et garde Grenade en tant que vassal payant tribut. Mais d’où vient cet émirat grenadin? Revenons un peu sur son passé récent et compliqué. Le royaume de Grenade a été créé par une dynastie maure, celle des zirides après l’effondrement des omeyyades. Puis, il est absorbé par les almoravides, puis les almohades. Après cette fois l’effondrement de ces derniers dans la 3ème période des taïfas, Muhammad ben Naṣr (ou Nazar, Nazari en castillan), prend Grenade et quelques autres villes en 1238, fonde l’émirat de Grenade après l’assassinat de Ibn Hud, et par la même occasion crée la dynastie nasride. Il est aussi surnommé « le rouge » Al Ahmar à cause de sa barbe rousse, ou bien « le victorieux » Al Ghalib. Ce royaume, dirigé par les Nasrides à compter de 1238, devient le dernier bastion subsistant d'Al-Andalus de la péninsule ibérique. Il doit sa richesse en ce temps aux industries de la soierie, des cuirs et de la céramique. Le « pays d'Al-Andalus » est alors réduit à portion congrue. L’un de ses successeurs, Al Ahmar érige alors une résidence fortifiée dans laquelle sera construit ensuite l’Alhambra, achevé par son fils. La durée relativement longue de cet émirat (2 siècles et demi et 22 émirs successifs tout de même) vassal des chrétiens s’explique aussi par la pause que doivent faire ces derniers pour intégrer et structurer les nouvelles terres conquises au milieu du 13ème siècle après la 1ère Reconquista. Les frontières ouest de l’émirat restent donc pérennes pendant cette même durée : c’est la Frontera, à laquelle de nombreux villes et villages doivent aujourd’hui encore leur nom : Jerez de la Frontera, Vejer de la Frontera, Arcos de la Frontera… L’émirat regroupe 3 provinces, celles de Grenade, de Malaga et d’Almeria. Malgré la vassalité acceptée, les nasrides recherchent le soutien des zianides au Maghreb, et quand ils ne paient pas leur tribut aux chrétiens, subissent de leur part des incursions à la Frontera, rompent l’accord de paix avec les chrétiens quand ceux-ci prennent Cadix, Jerez, Niebla en 1264… Les mérinides du Maghreb attaquent aussi les chrétiens depuis le Maroc en 1271. Le royaume de Grenade sera le seul État d'Europe occidentale dirigé par une dynastie de confession islamique qui soit contemporain de la Renaissance. Du point de vue religieux, les Nasrides vont délaisser le soufisme et l'ascétisme des almoravides et es almohades pour adopter le rite malékite qui est maintenant le rite pratiqué par la majorité des musulmans du Maghreb. Aussi aliénante soit-elle, la vassalité de Grenade aux chrétiens permettra cependant dans les années sans guerre de bâtir les palais de l'Alhambra, leurs joyaux. Pendant 200 ans, toute l’architecture de l’Alhambra va se développer, atteignant le plus haut le degré de raffinement. Ceci jusqu’au 22ème émir de Grenade, Abu Abd Allah, nommé Boadbil par les castillans (ou el Chiquo, le Jeune).


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renadin g r o ’ d e Âg ale n i f a t s i u q n puis Reco 1482 : Boadbil monte sur le trône en évinçant son père qui s’est épris d’une belle chrétienne de son sérail et qui veut répudier sa mère Aixa. Mars 1483 : Boadbil défait les castillans partis d’Antaquera à la bataille d’Axarquia dans les montagnes de Malaga. Ce sera la dernière victoire des musulmans en terre espagnole. Avril 1483 : sur sa lancée victorieuse, il repart à l’assaut des chrétiens. Mais il est brutalement défait et son armée détruite à la bataille de Lucena, trahi aussi par certains des siens. Fait prisonnier, il accepte là les conditions les plus humiliantes qui aient été jamais faites à un souverain d’Al-Andalus pour le rachat de sa liberté. Son père remonte sur le trône de Grenade. 1487 : les chrétiens, au titre des conditions secrètes de sa reddition, le libèrent et l’aident à reprendre Grenade. Il y mettent des conditions : Grenade doit âtre vassale de l’Espagne et Boadbil ne doit pas s’opposer à la conquête de Malaga par les chrétiens. Une fois libéré, Boabdil revenant sur le trône du royaume de Grenade, refuse de soumettre la ville. Fin 1487, Almeria et Guadix tombent. En 1489, Almunecar et Salobreña tombent à leur tour. La puissante famille des Abencérages, accusée d'être vendue aux chrétiens et de vouloir renverser Boabdil (qui aurait aussi voulu se venger de l’adultère de sa femme), aurait été exterminée par celui-ci dans une salle du palais de l’Alhambra. Ce que contestent les historiens. Châteaubriand en fait une nouvelle en 1826, « le dernier des Abencerages » qui se situe au Maghreb après l’exil des musulmans consécutif à la chute de Grenade. 2 janvier 1492 : Boabdil reste seul souverain de Grenade. Le 26 avril 1491, les chrétiens avec une armée puissante de 10 000 cavaliers et 40 000 fantassins commencent le siège final de la capitale nasride. Ce jour-là, la reine Isabelle Ire de Castille jure de ne plus se baigner ni de changer de vêtements jusqu'à la prise de Grenade. Pendant 6 mois, assiégés, les Grenadins sont affamés quand le blé, l'orge, le millet, l'huile viennent à manquer. Le passage vers le sud par l'Alpujarra est devenu impraticable : la neige a commencé à tomber et ferme les cols. Boabdil entame alors des tractations secrètes pour retarder la reddition que les castillans veulent immédiate. Dans la nuit du 1er au 2 janvier 1492, guidés par deux vizirs de Boabdil, le grand commandeur de León, don Gutierrez de Cárdenas et quelques fonctionnaires castillans entrent secrètement dans Grenade par un chemin peu fréquenté. Au petit jour, Boabdil de l'Alhambra et capivier 1492.

livre les clés tule le 2 jan-

Beaux damoiseaux et humez le délicat fumet Isabelle 6 mois après tenu !!!!

gentes dames, de la reine son serment


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Exit Al-Andalus voici l’Andalousie

Boabdil laisse sa ville et ses palais intacts aux mains de ses adversaires. Le traité de capitulation garantit les droits des habitants : ceux-ci peuvent rester en conservant leur religion, leurs autorités juridico-religieuses, leurs biens et même leurs armes (sauf les armes à feu). Pour éviter qu’elles ne soient profanées, prudent, Boabdil fait cependant transférer les tombes de ses ancêtres dans le cimetière de la mosquée de Mondújar. La légende dit que sur le chemin de l’exil, au lieu-dit « le dernier soupir du maure », Boabdil se retourne vers la capitale de son royaume perdu et pleure. Sa mère Aixa Fatima lui lance: « Pleure comme une femme ce que tu n’as pas su défendre comme un homme ! ».

Dans ses écrits, Christophe Colomb dit avoir assisté à la reddition et au départ de Boabdil. Boadbil, d’abord emprisonné à Cordoue, puis exilé dans les montagnes andalouses, trahi par ses proches, part au Maghreb, où il aurait fini ses jours du côté de Fès au Maroc. Sa fille Aixa, capturée par les Espagnols est baptisée Isabel. Le roi Ferdinand célèbre la conquête de Grenade en la prenant comme maîtresse ; elle lui donne un fils, Miguel Fernández, chevalier de Grenade. Plus tard, rejetée par le roi elle se fait nonne sous le nom de sœur Isabel de Granada. Selon les termes de la reddition, juifs et musulmans gardent leur liberté de culte et leur propriétés. Mais une fois la ville occupée, les Rois catholiques donnent le choix aux juifs entre la conversion et l'exil. Dix ans plus tard, les musulmans de Grenade, comme l'ensemble de leurs coreligionnaires, sont soumis au même choix. La plupart se convertissent mais, désignés sous le nom de morisques, ils restent suspects d'être toujours fidèles à l'islam, en partie parce qu'ils continuent à perpétuer leur mode de vie et l'usage de l'arabe. Après la révolte des Alpujarras, les morisques seront finalement expulsés en 1609-1613. Boadbil fait partie des figures légendaires de l’histoire de l’Espagne, comme les rois catholiques et Christophe Colomb. A peine 30 ans plus tard, Charles Quint, petit-fils de Ferdinand d’Aragon et Isabelle de Castille régnera sous le titre d’empereur du saint empire romain germanique sur le plus grand empire du monde. Sa devise, « Plus Oultre » (encore plus loin), créée par un médecin italien pour illustrer la tradition chevaleresque bourguignonne, est devenue sous sa forme latine « plus ultra » la devise nationale de l'Espagne.


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s Merveilles décorative

Sans aborder les autres arts et artisanats de cette grande époque, l’architecture d’Al Andalus se différencie principalement en trois périodes successives, correspondant aux périodes historiques d’Al Andalus : 1- celle des omeyyades, dont l’exemple le plus extraordinaire est la Mezquita, la grande mosquée de Cordoue Inscrit dans un rectangle (appelée « alfiz »), le motif majeur est l’arc en fer à cheval (appelé aussi arc outrepassé), avec claveaux de couleur alternée, mais aussi l’arc

polylobé ci-dessus. Dans la période des taïfas, héritière des omeyyades, la figure se complexifie avec les arcs lobés entrecroisés, et d’autres variantes comme l’arc outrepassé brisé, l’arc polylobé brisé (qui préfigure l’ogive gothique), ou encore l’arc recti-curviligne (exemple ci-dessous). À cette époque, l’architecture d’Al Andalus influence celle du Maghreb. 2- celle des almohades, architecture plus austère et essentiellement défensive dont les pays du nord s’inspireront pour construire leurs châteaux féodaux : brique avec remparts crénelés à merlons pointus, tours carrées (ici à droite l’Alcazar de Cordoue construit par les chrétiens après la Reconquista mais qui s’en inspire, ou bien l’Alcazaba de Malaga au dessous). Alliant beauté et simplicité, ils sont aussi les constructeurs de grandes mosquées dont les minarets sont restés célèbres. La Giralda à Séville (dont le muezzin gravissait les 96m à dos d’âne), transformée en clocher de cathédrale est inspirée de la Kutubia à Marrakech, construite un peu avant et achevée par les mêmes almohades avec son motif d’arcs recti-curvilignes..


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Voir ici sur la façade de la Kutubia à nouveau de beaux exemples d’arc recti-curvilignes. Nota : dans le symbolisme musulman, les trois boules de cuivre doré rappelleraient les trois grandes mosquées de l'Islam Kaaba (Mecque), Médine, et Al Qods. Dans cette période, c’est le Mahgreb qui influence à son tour l’achitecture andalouse. 3– celle des nasrides à Grenade, explosion de dentelles de stuc, d’effets de perspective mis en scène, où les jeux d’eau chuchotent dans de petits canaux ou dans la courbe des jets, des bassins, des vasques, déployant des merveilles dans les jardins... Le Coran proscrit la représentation des êtres vivants humains et animaux. Toutes les surfaces sont entièrement et finement décorées. Ce sont les fameuses arabesques. Certains détails s’inspirent du règne végétal et introduisent d’élégantes courbes qui s’expriment aussi dans la calligraphie de textes coraniques. L'imagination des ornemanistes se porte surtout sur des formes géométriques régulières. Presque toutes sont basées sur un motif (polygones, triangles, hexagones, octogones, pentagones…) qui se répète sur la surface de manière régulière. Ces motifs élémentaires s’interpénètrent et s’enchevêtrent d'une façon plus ou moins complexe, s’insèrent dans des motifs végétaux et des textes coraniques, ce qui donne le canevas général ; en supprimant ou répétant une partie des lignes, on obtient des combinaisons les plus variées et les plus inattendues. Les voûtes mauresques subissent l’influence de l’art islamique oriental. Contrairement à

l’art chrétien (voûtes d’arête ou de croisée), les nervures ne se croisent pas en plein centre. Les plafonds de bois, appelés artesonados, témoignent aussi d’une

parfaite maîtrise de la technique et de l’esthétique : de simples chevrons et tenons alternent avec des plafonds à rés en étoiles et lacs.

caissons sophistiqués, décoformant de superbes entre-


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r Architecture mudéja

Le mot mudéjar vient de l’arabe mudajjan, (« domestiqué »), qui donne en espagnol, mudéjar. C'est le nom donné aux musulmans d’Espagne devenus sujets des chrétiens dans les régions que ces derniers ont reconquis à partir du 11ème siècle. Disposant d'un statut particulier, les mudéjars forment des îlots de l'Islam en Espagne. ils parlent le castillan ; s’ils ont oublié leur langue maternelle, ils continuent d’écrire la langue romane mais avec les caractères arabes. Après la Reconquista, les édifices, chrétiens et juifs, religieux et civils, sont construits dans une architecture qui reprend nombre de motifs arabo-musulmans dans une harmonie intéressante avec les architectures romanes et gothiques, voire Renaissance : c’est l’architecture « mudéjar ». En effet, un grand nombre des artisans d’Al Andalus qui avaient contribué à la construction des palais musulmans sont employés, avec tout leur savoir-faire et leurs techniques dans celle de ces nouveaux édifices. Ils apportent leurs techniques, leurs matériaux (brique, azulejos) et leurs traditions ornementales et architecturales, héritées des grands styles architecturaux musulmans caractérisant la péninsule ibérique. Un exemple est l’Alcazar de Cordoue qui comme celui de Séville est l’un des principaux témoignages de l'architecture mudéjare. Plus tard, la politique de pureté de sang mise en œuvre à partir du 15ème siècle voit se succéder les persécutions contre cette communauté. Le 14 février 1502, un édit impose aux mudéjars de Castille de choisir entre la conversion et l'exil. Sous le nom de morisques, d'importantes communautés de nouveaux convertis se maintiendront en Espagne avant de disparaître totalement à la suite de l'édit d'expulsion de 1609.

Petit lexique en résumé : Dans la période d’Al-Andalus, donc avant la Reconquête, un chrétien vivant dans la société musulmane est appelé : - mozarabe quand il garde sa religion - muladi quand il se convertit à l’Islam Dans un royaume chrétien reconquis (à partir du 11ème siècle), un musulman est appelé : - mudéjar quand il est devenu sujet d’un royaume chrétien mais garde sa religion - morisque quand, alors qu’il est mudéjar, il est converti par la force au christianisme au 16ème siècle


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S’il était possible de conclure... 

On ne peut qu’être dubitatif sur l’avenir de l’humanité quand on voit ces tenants des 2 (ou 3) principales religions monothéistes ne cesser de se combattre et de vouloir s’éradiquer mutuellement au travers des siècles via leurs messies et leurs prophètes respectifs, au

nom de Dieu. Pourtant s’il existe, il est forcément le même puisqu’il est unique. Là est bien l’absurdité de ces combats, mais les intégristes de tous bords n’en démordent pas, quel que soit le prix du sang à payer. Combats absurdes qui sont peut-être un indice que Dieu est bien une invention humaine et donc n’est pas. Quoi qu’il en soit, on peut faire confiance à la mauvaise foi des hommes pour trouver bien d’autres justifications à ces affrontements sans fin.

La contestation et la polémique sont encore vives entre tenants (musulmans engagés) et opposants (catholiques bien marqués) de la thèse de la transmission par Al-Andalus et les copistes de Cordoue des anciens textes grecs fameux.

L’âge d’or d’Al-Andalus, tel qu’il est vu par certains musulmans, mais aussi par des auteurs et historiens parfois importants du 19ème siècle est idéalisé à l’extrême pour ce qui concerne la tolérance inter confessionnelle. Même De Gaulle y est allé de son refrain angélique sur le sujet. Hitler, lui, déjà aux extrêmes exalte l’esprit chevaleresque des Castillans héritage des Arabes, vilipendant « le christianisme qui a amené le triomphe de la barbarie »! En fait, tout pouvoir de cette époque du haut Moyen Âge jusqu’au moins à la Renaissance, qu’il soit musulman ou chrétien, -celui des juifs s ’exerce ici plutôt dans un rôle ou une influence de haute compétence en faveur des uns ou des autres au gré des opportunités- a persécuté, souvent humilié, ou en tout cas frappé de fortes taxes les populations des autres religions. Les exactions sanglantes, les exils forcés, les conversions chantages sont la règle générale. Et les périodes de tolérance véritable sont plutôt l’exception, considérées par les plus rigoristes oulémas comme des faiblesses d’administration. Dans ces périodes convulsives d’affrontements, de poids des taxes, de contraintes liées à la religion pratiquée, les populations les plus atteintes, les plus brimées, à défaut de pouvoir agir contre le pouvoir en cours, accueillent avec satisfaction, presque en libérateurs, de nouveaux arrivants, quand bien même ils soient de religion différente (ex : les juifs face aux envahisseurs berbères ou arabes contre pouvoir wisigoth, juifs encore libérés du fanatisme almohade par les chrétiens, qui à leur tour voudront les convertir ; les morisques, musulmans convertis au christianisme qui croient voir dans les chrétiens des libérateurs, mais que l’Inquisition exilera vers le Maghreb..).

Les mouvements de population, les brassages sont très importants, avec l’attrait du gain pour les milliers de mercenaires (berbères, africains, slaves, basques, catalans, ), mais aussi du commerce, des enseignements des fameuses académies, et bien sûr à l’opposé, avec la fuite face aux persécutions, aux dégâts des guerres, aux pillages et aux viols, et à la mise en esclavage des populations capturées.

La différenciation des Maures (ou Sarrazins) entre Berbères et Arabes est souvent soulignée à juste titre. Il faudrait n’appeler « maures » que les berbères issus du Maghreb, qui en a donné le nom. Les affrontements entre la déjà vieille aristocratie arabe d’Al-Andalus et les Berbères musulmans venant de l’Atlas ou du désert expliquent aussi une partie de l’évolution d’Al-Andalus.


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Ces historiens rendent en tout cas justice à l’extraordinaire niveau de culture auquel Al-Andalus était parvenu, à son influence sur les troubadours au nord (dont certains voient même l’origine dans quelques maures rescapés de Poitiers en 732 et restés en Occitanie), sur la chevalerie du plein Moyen-Âge, à l’héritage laissé par exemple avec le pape français Silvestre II, qui étudie encore jeune les sciences à Cordoue et serait notamment à l’origine de l’introduction chez les chrétiens des « chiffres arabes », à la filiation de l’architecture gothique, alors en gestation, avec celle d’Al-Andalus. Ils s’accordent pour considérer en tout cas la suprématie de la culture et de la civilisation arabo-andalouses sur l’occident chrétien médiéval européen. Cette volonté enthousiaste de progression culturelle tendant à l’universalisme, les extraordinaires foyers d’épanouissement des sciences et des arts, qu’ils soient mus par l’exaltation du sacré ou plus prosaïquement par l’épanouissement d’un art de vivre, brillent assez naturellement de leur plus bel éclat pendant certaines périodes d’unification et de stabilité, particulièrement pendant l’âge d’or omeyyade. Mais aussi, même si c’est de manière un peu différente, pendant les pouvoirs almoravide et surtout almohade, quand sous une griffe féroce la stabilité était assurée. Même lors des mouvantes périodes des taïfas où les factions s’allient ou s’opposent plus au gré des intérêts locaux que par affinités religieuses, certainement grâce aux richesses régionales, cet essor culturel continue de se développer. Alors que dire de Grenade, cette enclave nasride encerclée par les chrétiens, qui porte cet art de vivre à son plus haut niveau de raffinement? Fallait-il au total que le contexte natif, la topographie, le climat, les richesses naturelles locales aient été déjà favorables… Sur ce foyer offrant un tel potentiel, il appartenait au génie de l’homme de faire le reste, comme pour d’autres origines de civilisations universelles comme Athènes, Rome, Mexico, Babylone...

Et à propos de l’Alhambra :

Châteaubriand : « L'Alhambra semble être l'habitation des génies : c'est un de ces édifices des Mille et une Nuits, que

l'on croit voir moins en réalité qu'en songe. On ne peut se faire une juste idée de ces plâtres moulés et découpés à jour, de cette architecture de dentelles, de ces bains, de ces fontaines, de ces jardins intérieurs, où des orangers et des grenadiers sauvages se mêlent à des ruines légères. Rien n'égale la finesse et la variété des arabesques de l'Alhambra. Les murs, chargés de ces ornements, ressemblent à ces étoffes de l'Orient que brodent, dans l'ennui du harem, des femmes esclaves. Quelque chose de voluptueux, de religieux et de guerrier fait le caractère de ce singulier édifice, espèce de cloître de l'amour, où sont encore retracées les aventures des Abencerages ; retraites où le plaisir et la cruauté habitaient ensemble, et où le roi maure faisait souvent tomber dans le bassin de marbre la tête charmante qu'il venait de caresser » .

Jules Michelet : « Le monde mauresque, réfugié tout entier à Grenade, fit de ce dernier asile le paradis de la terre. »


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