Guadeloupe l'île papillon

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La Guadeloupe du 2 au 12 fĂŠvrier 2012


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Sommaire

Sommaire

Sensations premières

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Localisation

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Géographie

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Grande Terre

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Marie-Galante

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Basse Terre

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Annexes

Bribes d’économie

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Personnalités

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Formation géologique

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Les vents alizés

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Un peu d’histoire

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L’esclavage (en bref)

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s Sensa ons première

Comment traduire les sensations ressenties lors d’une arrivée sous les tropiques aux Caraïbes? Sensations toujours présentes même au bout de notre 9ème séjour dans cette région du monde. Tout d’abord, des perceptions basiques, immédiates, animales : la chaleur, la lumière, les couleurs. Sans l’étouffement de l’humidité de l’air puisque la saison est celle du carême, celle où l’air est plus sec. Puis dès les premiers jours, la constance astronomique des jours et des nuits se ressent : 18h 30, le soleil se couche, 5h 45, le jour se lève. Régularité vite pesante le soir quand la nuit s’abat rapidement comme une chape. La vie s’éveille au matin très tôt, quand dans la nuit encore noire s’entendent au travers des persiennes les bruits animés du trafic de la route, et quand les coqs se répondent d’un flanc à l’autre du morne en s’époumonant dès 5h du matin. A Paris, le lever à la nuit noire est celle du froid de l’hiver, toutes fenêtres fermées. Jamais plus de 29 à 30°C dans la journée, et le fléchissement tranquille du soir permet de descendre à 24°C sans qu’une couverture soit nécessaire la nuit. Notre mémoire des saisons est ici un leurre. La brise alizée qui rafraîchit lentement les soirées annoncerait dans notre mémoire métropolitaine des jours plus froids, que notre corps s’apprêterait déjà à affronter dans l’hexagone quand finit l’été. Ici rien de tel : demain sera le même avec ses 29°C, à peine plus. Avec le velours profond du ciel du soir et les étoiles qui étincellent, un autre pan de mémoire affleure : celui des longues soirées d’été qui ponctuent les journées brûlantes et sans nuage dans le sud-ouest aquitain en juillet. Ici, seule la durée raccourcie du jour et quelques pluies courtes et chaudes en diffèrent, avec l’assurance de la même constance des lendemains,. Alors que le ciel se chargerait d’orages sous mes latitudes adolescentes. Mais tout s’explique : d’abord la latitude entre équateur et tropique du Cancer, ensuite les vents alizés qui soufflent du nord-est et tempèrent le soleil brûlant, agaçants par leur constance et les furieuses et courtes bourrasques dont ils s’animent parfois, enfin le relief et la topographie si particuliers de « l’île papillon », la belle Guadeloupe. S’explique aussi de cette façon une partie de son histoire, quand la genèse et l’évolution géologique se croisent avec le climat.


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Localisa on

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La mer des Caraïbes prend la forme d’une gigantesque cacahuète horizontale, bordée : • à l’est par l’arc nord-sud des Petites Antilles (1) • au nord par les « Grands Antilles », avec les îles d’Hispaniola (Haïti et République Dominicaine 2) et plus à l’ouest de Cuba (3), • en progressant plus encore à l’ouest, par la péninsule mexicaine (4) du Yucatan (l’isthme qui sépare Cuba de la pointe du Yucatan ferme au nordouest l’immense Golfe du Mexique) • au plein ouest par l’Amérique Centrale (5) • au sud par le nord de l’Amérique du Sud (6).


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Localisa on

A l’est de la mer des Caraïbes, la Gwada (comme disent les créoles) appartient donc à cet arc nord-sud des Petites Antilles dont la concavité est tournée vers l’ouest, et qui ferme la mer des Caraïbes jusqu’au nord de l’Amérique du sud. C’est aussi le long de ce chapelet d’archipels que se situent plus au sud la Martinique, mais aussi d’autres îles comme St Barthélémy, St Martin, Antigua, Montserrat, Dominique, Ste Lucie, la Barbade, St Vincent, Grenades,… .

Du fait des émanations volcaniques sulfurées, plusieurs volcans de l’arc des Petites Antilles portent le nom de « Soufrière » : celui de la Guadeloupe appelé « grande Soufrière », mais aussi le volcan très actif de l’île de Montserrat un peu au nord qui, dit-on, s’aperçoit parfois depuis la Guadeloupe (« Soufriere Hills »), et celui de l’île de St Vincent vers le sud.


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Géographie

al i

s zé

La Guadeloupe est en fait un archipel. L’île principale évoque les deux ailes d’un papillon dont l’axe de symétrie serait légèrement incliné par rapport au méridien. Très grossièrement, la capitale Pointe-àPitre est au confluent des deux ailes. Par contre, l’aile gauche (sud-ouest), appelée Basse Terre, présente un relief imposant et culmine à 1467 mètres avec son fameux volcan de la Soufrière dans la partie sud. L’aile droite (nord-est) est presque plate et son seul relief se situe au nord, avec de superbes falaises découpées, mais sans commune mesure avec l’altitude de la Soufrière. C’est Grande Terre. Là comme sur d’autres îles tropicales, la côte à l’est est appelée « côte au vent » (exposée aux alizés), et la côte ouest, la « côte sous le vent », protégée pour Basse Terre par le massif volcanique. Les deux immenses baies délimitées l’une au nord par l’ouest de Grande Terre et le nord de Basse Terre, l’autre au sud par le sud de Grande Terre et l’est de Basse Terre sont appelées « cul de sac marin ». Au nord, du côté de la mer des Caraïbes, c’est le Grand Cul de Sac marin, magnifique espace aux eaux turquoises parfaitement limpides, encombrées de mangroves, et au fond duquel se découpent les montagnes de Basse Terre. Au sud, du côté atlantique, c’est le Petit Cul de Sac, sur lequel débouche Pointeà-Pitre et son port ; moins de charme, plus de houle battue.


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Parcours

Ci-dessus, le parcours et ses ĂŠtapes principales, dĂŠcrits dans la suite du document.


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Grande Terre Morne à l’Eau

Dans l’archipel, les voitures de location appartiennent majoritairement à la marque Dacia. Et dans la famille Dacia, cette succursale bas coût de la production Renault, nous avons eu l’occasion d’utiliser la mère (Logan) et l’une de ses filles les mieux réussies, la Sandero. Si elle n’est pas dénuée d’un certain charme rustique, la Logan que nous avons utilisée 2 jours à Marie-Galante paraît par contre poussive même dans les descentes…!! Ce déploiement massif de ce type de voitures n’existait pas encore lors de notre précédent séjour 6 ans plus tôt. Là nous avions occasionnellement loué une Renault Twingo, qui déjà s’avérait asthmatique dans les fortes pentes des mornes. Et à propos de mornes, nous voilà donc partis vers Morne à l’Eau, gros village épousant plusieurs collines, qui se caractérise en particulier par son cimetière assez escarpé au flanc d’une colline courte, et qui conserve une belle authenticité créole. Les faces des tombes imposantes sont décorées de damiers blancs et noirs, d’une variété assez remarquable où chacun semble renchérir sur son voisin dans le libre cours laissé à la manière d’organiser les motifs. Ainsi, le noir du deuil perd de sa tristesse dans ces motifs qui marient un certaine solennité et la fantaisie exubérante. Sans compter que chaque tombe est presque un mausolée de la grandeur d’une petite maison. En enfilade, elles font parfois comme une rue

dont chaque entrée en escalier débouche sur la pente herbue.


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Grande Terre Pe t Canal

J’avais cru que l’activité funéraire portait ici curieusement un nom à l’américaine, le «Rambinaising ». Erreur! C’est en réalité un nom de famille assez répandu en Guadeloupe. Préjugés... Morne à l’Eau est aussi la capitale du crabe, qui foisonne dans la mangrove proche du Grand Cul de Sac du nord. Mais un morne, c’est quoi au juste? Ici aux Antilles , on appelle «

morne »

une colline presque montagne,

dont l’accès se fait par des pentes abruptes avec un sommet étroit au bombé émoussé. Il est toujours couvert de cette dense végétation tropicale qui le tapisse entièrement. Ces reliefs se retrouvent aussi ailleurs dans les Caraïbes, par exemple en République Dominicaine, dans les autres îles voisines comme Ste-Lucie, en Martinique. Les routes et les chemins partent à l’assaut de ces pentes, s’enlèvent (haut les cœurs!) comme un avion de voltige en ascension parabolique puis le sommet franchi s’abattent (haut-le-cœur) tel un navire dans le creux de tempête, et se succèdent parfois en montagnes russes. D’autres fois plus sagement, elle contournent le morne au prix de longs détours sinueux. L’exemple le plus frappant de ces contournements est la route qui suit la côte ouest de Basse Terre. En remontant la côte est de Grande Terre, nonchalante, peu fréquentée et donc encore authentique, on parvient à Petit Canal, marqué par quelques vestiges d’habitations (exploitations sucrières) de l’époque de l’esclavage. Une guide guadeloupéenne passionnée fait visiter une hauteur que l’on monte en empruntant des marches de pierre appelées « les marches des esclaves ». En les gravissant, on aperçoit des noms gravés sur certaines de ces pierres , qui sont ceux des ethnies dont les esclaves étaient issus en Afrique. Le nom de Petit Canal, créé au 18ème en bordure de mangrove, vient du canal creusé à l’origine pour faciliter le mouillage des navires, et l’accès à la 1ère usine sucrière centrale construite en 1844.


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Grande Terre Pe t Canal

Il y subsiste aussi une grande maison coloniale et une église (ici assez bien réussie) de l’architecte Ali Tur qui a marqué par son style Art Déco adapté au climat tropical (promu par l’exposition coloniale de 1931) nombre de bâtiments de la 1ère moitié du 20ème siècle en Guadeloupe. Ali Tur avait en effet été chargé par le ministère des colonies de reconstruire les bâtiments institutionnels de la Guadeloupe dévastée par un terrible cyclone en 1928. Il recourt au béton armé, en s’inspirant d’Auguste Perret, et construit ou reconstruit plus d’une centaine de bâtiments, écoles, palais administratifs, églises, bureaux de poste de 1929 à 1937. Par Petit Canal arrivaient les esclaves venant d’Afrique. En contrebas du tertre, nous découvrons grâce à notre guide (aucune indication) les remarquables ruines de « l’entrepôt » des esclaves où ceux-ci étaient parqués en attendant d’être vendus. Ruines maintenant envahies, juste vengeance des choses, par un arbre énorme aux monstrueuses racines tentaculaires, appelée le « figuier maudit ». Cette

variété de puissant ficus pousse en de nombreux autres sites de l’île. On l’appelle aussi, et pour cause, le figuier étrangleur.


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t Canal Grande Terre—Pe

Petit Canal semble être devenu lentement un lieu de mémoire pour l’esclavage, paisible, pédagogique et sans prétention, mais empreint d’un brin de solennité émouvante, avec les marches des esclaves, mais aussi cette cloche en forme d’énorme « cannelé » bordelais qui célèbre l’abolition (LIBERTE), le grand tamtam érigé en monument à la mémoire de « l’esclave inconnu », et l’incontournable buste de Louis Delgrés. Au bout du canal, dans une large baie de haut fond, des pélicans, lourds habitants des palétuviers, planent en tournoyant au-dessus des eaux limpides, puis soudain, ramassés en harpon fulgurant, plongent presque sans bruit capturer dans la poche rétractible de leur long bec la proie dont ils ont aperçu de là-haut le reflet furtif. Beauté en vol, patauds au sol, ils ne sont pas sans rappeler, si ça n’était la longueur du bec et la couleur du plumage, cet autre oiseau à l’envergure comparable (plus de 3 mètres), l’albatros célébré par Beaudelaire (rappelons-nous) :

« Souvent, pour s'amuser, les hommes d'équipage Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers, Qui suivent, indolents compagnons de voyage, Le navire glissant sur les gouffres amers. A peine les ont-ils déposés sur les planches, Que ces rois de l'azur, maladroits et honteux, Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches Comme des avirons traîner à côté d'eux. ...»


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Le nord de Grande

A la pause de midi, sur une grève déserte, nous savourons cette précieuse splendeur des eaux turquoises dont l’horizon se barre du profil bleuté de Basse Terre, juste en face du monument aux morts du village de Port Louis. Pendant que, de temps en temps, une ondulation vient mourir en rouleau

d’écume légère sur le sable blanc. Même Marlène la frileuse recherche un peu d’ombre. Un peu plus loin, c’est l’Anse du Souffleur, puis l’Anse Bertrand, plages presque idylliques, quasiment désertes. Et la baleine (c’est moi) prend son bain. Je

résiste courageusement, après la nage, au plaisir de déguster un sorbet au coco que prépare cette dame dans un baquet de glace pilée. La route nous conduit ensuite vers la pointe nord de Grande Terre, appelée la Grande Vigie, battue par les alizés. Le plateau, particulièrement bien nommé ici tant il ne présente aucun relief, est découpé de falaises surprenantes dans le pays, contre lesquelles vient se briser la puissante Atlantique. Les messages de précaution soulignent le danger de quitter les chemins balisés, du fait de la fragilité des falaises affouillées par les embruns, très fissurées et sujettes à des effondrements imprévisibles.

Terre


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Porte d’Enfer

Marlène profite de ce brushing alizé, gratuit et parfaitement écologique. En redescendant un peu en direction du sud -est, c’est la belle crique de la Porte d’Enfer, profonde langue de mer bien protégée où l’on se baigne sans risque, mais dont l’accès au plein océan est

spectaculaire de majesté et d’énergie, enveloppé du gron-

dement permanent des vagues au fur et à mesure qu’on avance vers le large. Ainsi se justifie sûrement le nom du lieu. Un envoûtant chemin de falaises permet ensuite de surplomber encore l’océan qui sape furieusement leur base dans un grondement sourd ; nous n’en empruntons qu’une partie faute de temps. Dommage!!

En poursuivant notre chemin, sur la côte sud de Grande Terre, nous retrouvons les paysages familiers que nous avons connus 6 ans plus tôt : Sainte-Anne et St -François. Ici Sainte-Anne et son agréable boulevard qui longe la mer.


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Sainte-Anne

Sainte-Anne est un village très touristique qui en 6 ans a pris de l’ampleur et s’encombre de trop de foule, au détriment de son charme, même si la plage conserve un attrait certain. Dans une anse de ce village se situe le site du Club Med. Nous retrouvons aussi les marchés, fruits et légumes, poisson plus loin avec ses étals en dur sous les paillotes. Notre « doudou », une très sympathique marchande

de fruits et légumes est encore là, à peine vieillie, toujours avenante, l’éclat de rire haut. Les marchandes de plats chauds, réchauffés tant bien que mal dans d’énormes faitouts d’alu, sont aussi là (colombos de poulets, de cabri ou de poisson,… épicés à souhait, et même au-delà). Proche d’une case devenue restaurant de poissons sur le sable, des pêcheurs nettoient le pont de leurs barques, alors que les ailes effilées des frégates tranchent l’air comme une flèche, voiliers à l’élégance acérée qui tournoient et pêchent au côté des pélicans plus paresseux. Le coucher de soleil sur Ste-Anne prend des allures magiques, comme sur toute côte tournée vers l’occident. Le bain à cette heure de la journée devient un délice, malgré le courant fort qui longe la plage vers l’ouest ; anormale et affolante impression (au moins pendant quelques secondes) quand on nage avec la sensation de rester sur place, voire de reculer.


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inte St-François et la Po des Châteaux

En poussant vers l’extrémité est de Grande Terre, c’est Saint-François, haut lieu d’importation des coolies après l’abolition de l’esclavage. La partie nord avec son golf impeccable, son aérodrome et sa marina se rengorgent d’une suffisance désagréable, et se tournent manifestement vers une clientèle choisie. La vieille ville, plus pauvre, garde quant à elle une belle authenticité avec ses cases de bois, humbles et charmeuses, coquettes avec le lambrequin dentelé qui longe le toit, construites pour permettre le passage de l’air au travers de persiennes, si fragiles sous les

tempêtes, souvent à peine entretenues… Le moindre bougainvillier les enrichit de ses couleurs de sang. Quand on s’éloigne enfin vers l’extrémité de cette bande de terre étirée sur quelques kilomètres vers l’est, on parvient au bout du monde. En face se révèle le long plan élevé de l’île de la Désirade. C’est la Pointe des Châteaux, magnifique panorama où s’affrontent sans fin l’océan et la pierre. En guise de châteaux, un tertre élevé, prolongé par des massifs d’énormes crocs rocheux érodés par les alizés, qui peuvent évoquer des ruines dantesques, dans la mer d’un bleu saphir ou cobalt, forcément bleu marine. La haute houle part sans répit à l’assaut de la côte contre laquelle elle se brise rageusement, en vain. Et l’éperon de récifs montre la Désirade.


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Pointe à Pitre

Et maintenant, partons voir Marie-Galante. Enfin presque... Nous devions prendre la navette depuis Pointe à Pitre, la capitale. L’heure de départ du bateau navette était à 8h15 ; départ tranquille vers 6h depuis le nord-ouest de Basse Terre où était notre hôtel. Largement le temps... C’était sans compter avec le fameux goulet d’étranglement de Baie Mahaut vers lequel chaque matin des jours ouvrés tout le trafic converge, car bien sûr là est aussi la capitale qui draine sa masse de cols blancs habitant ailleurs. Au final, après d’interminables attentes dans les queues où chacun s’occupe par habitude comme il le peut, sans impatience, nous avons atteint le parking du débarcadère 5 mn après le départ du bateau, non sans avoir été aidé par un guadeloupéen en voiture qui nous a spontanément et très gentiment conduit devant l’entrée de la bonne enceinte portuaire (il y en a plusieurs). Le bateau suivant partait à 13h 15. L’occasion de visiter le centre ville, que nous ne connaissions pas. Rues très commerçantes sans grand attrait, et un peu plus loin, une halle signée Ali Tur, en tout cas dans sa version d’aujourd’hui, si différente de celle de sa création (mais ne faut-il pas se méfier des vues d’artiste?), qui héberge un marché. Et dans le port au bord duquel elle se situe, un beau trois mâts mouillait là, marins dans les agrès. Marché coloré, forcément exotique pour des « métros », avec sa diversité de fruits, de poissons juste sortis de la barque du pêcheur, autour de laquelle gravitent, mine de rien, des pélicans familiers, patients, l’œil aux aguets, flottant paresseusement.


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Marchés à Pointe à

Pitre

Mais, gare à vous s’il vous prend la malencontreuse intention de tâter la papaye pour juger de sa maturité : l’une des vendeuses, véritable hétaïre habillée en madras et fardée jusqu’au bout des sourcils pour la couleur locale, a véritablement agressé Marlène

l’inconsciente, d’abord verbalement par ses cris perçants, puis allant même jusqu’à frapper vigoureusement sur ses doigts, elle (Marlène) qui persistait à palper. Alors forcément, on ne peut que battre en retraite, en retenant la leçon. Si l’on peut respecter le principe du non toucher comme le pratiquent certains vendeurs sur les marchés parisiens, ici, la forme était particulièrement déplaisante. N’en faisons pas cependant une règle générale, puisque ailleurs, les vendeurs font preuve d’un meilleur sens du commerce. Cette autre jeune fille avait revêtu une tenue madras traditionnelle et a accepté, souriante, que nous la prenions en photo. Et plus loin, une autre belle halle avec d’autres étals.


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Marie-Galante

Nous voici enfin à Marie-Galante, au bout d’une heure de traversée où notre catamaran rapide casse la houle souvent forte quand on atteint la haute mer. On appelle souvent cette île la galette, parce qu’elle est ronde et plate (elle culmine à 150 m), avec quelques falaises au nord. Petite (15 km de diamètre), tranquille et authentique avec ses champs de canne à sucre de partout. On sait d’où vient son si joli nom, popularisé notamment par Laurent Voulzy le chanteur dont la mère vient de l’île papillon. La vie semble là dégagée des contraintes du temps, un autre rythme paisible que seules les arrivées des troupeaux de touristes par bateau et avion (il y a un petit

aérodrome sur la côte sud) viennent perturber. Deux sites sont conservés par le Conseil Général pour montrer à quoi ressemblaient les « habitations », ces lieux de culture de canne à sucre où cohabitaient de manière très organisée colons et esclaves. L’une est l’habitation Roussel Trianon dont il subsiste des bâtiments plus ou moins en ruine, un

vestige de moulin, des cheminées, d’énormes cylindres de chaudières ou d’alambics...


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Marie-Galante

L’autre, mieux entretenue est l’habitation Murat, un peu en retrait par rapport à la route au sud. La demeure des maîtres date du 19ème, avec son écusson gravé dans la pierre. 307 esclaves y travaillaient en 1839. L’âge d’or de cette petite île, qui doit beaucoup aux presque 20000 (!!!) esclaves qui y furent envoyés fin 18ème est celle de l’industrie de la canne à sucre. On l’appelait l’île aux cent moulins (106 en fait), dont seulement 70 subsistent encore à l’état de ruines. Si la canne à sucre reste encore la presque exclusive culture, son traitement n’est plus réalisé que dans une seule sucrerie et trois distilleries.


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Marie-Galante

En poursuivant notre paisible tour de la petite île, nous découvrons quelques plages désertes, puis plus au nord le Grand Gouffre. Ce devait être une vaste grotte creusée par l’océan dans la falaise, qui en s’effondrant à conservé une belle arche calcaire. Un peu plus loin, nous parcourons un chemin conduisant à une baie sauvage appelée Caya Plate, bien battue par la houle, pour revenir ensuite à la petite route le long de laquelle subsistent ici et là des fermes, avec des cases encore intactes, témoins du passé. On y croise des termitières et des zébus fatigués, attachés à un piquet, insensibles aux rayons ardents du soleil, mais aussi de

quelques jardins à peine délimités aux estout cas de nous, pauvres ignorants...

belles plantes grasses (aucune confusion possible avec Marlène…) et pèces inconnues, en Quelques maisons sont aussi pourvues de systèmes de récupération d’eau de pluie.


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Capesterre de Mar Galante

ie-

En bouclant le tour par le sud-est, nous atteignons la superbe anse de Capesterre (de Marie-Galante), au bord de laquelle est construit un bel hébergement du Comité d’Entreprise de la Sécurité Sociale. Enviables employés qui en bénéficient... Sa vaste plage de la Feuillère est plantée de cocotiers lascifs et de raisiniers entre lesquels de petites constructions de bois -appelées carbets dans nos îles- permettent de s’abriter et de piqueniquer. De pauvres militaires accablés résistent tant bien que mal aux aléas de cette vie difficile devant un touriste manifestement inquiet. Bien sûr, impossible de ne pas fouler avec sable blanc et de résister à l’appel du eau limpide. Pour le Guide du Routard,

délectation le fin bain dans cette c’est la plus belle plage de l’archipel ; nous y croyons sans peine. Le retour se fait vers St-Louis, le petit port où se situe notre hôtel, rustique et aéré, bien entretenu avec juste ce qu’il faut de fonctionnel, qui rappelle des souvenirs de va-

cances d’enfance. Parfois, au détour d’un écrasé : c’est un racoon ici-, qui n’est rien lonisation.

virage, un animal -tel qu’on l’appelle d’autre qu’une variété de raton laveur introduite par la co-


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Marie-Galante

Il y reste encore quelques bâtiments de l’époque coloniale et le poilu noir, du haut de son stèle veille sur la plage du petit port. On se prend même à penser que ce monument aux morts n’est pas ici, en face de l’anse où se balancent doucement quelques barques, dénué d’un certain charme.

Puis c’est le retour vers la capitale Grand Bourg, où Ali Tur n’a pas manqué de laisser son empreinte avec le bâtiment de la mairie. Les cases, souvent faites de simples et anciennes palissades de bois fouet-

tées par les pluies et rongées par le sel marin, parfois repeintes aux chaudes couleurs caraïbes, conservent dans leur modestie une diversité et souvent un charme bien agréables.


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s de Basse Terre - Source Sofaïa

Enfin, dirigeons-nous vers l’aile gauche du papillon au sud-ouest, celle dont la formation est la plus récente (seulement 5 millions d’années…), et qui présente les grands reliefs de l’archipel, notamment avec le volcan de la Soufrière : Basse Terre. Vers le nord se visite une émanation d’eaux sulfurées que l’on atteint après être monté sur un plateau verdoyant. C’était le dimanche, et les habitants viennent prendre une douche de cette eau aux vertus particulières. C’est le site des sources de Sofaïa. Nous parcourons aussi une petite boucle de randonnée à travers la forêt tropicale et les pentes des ravines parfois chaotiques, un peu inquiets dans notre solitude, après qu’une dame

nous ait dit qu’il fallait être prudent. Superbes exemples de la flore tropicale, et une magnifique toile d’araignée bien tendue entre deux arbres, parfaitement épanouie en cercle rayonnant.


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gioBasse Terre - Parc ré nal

Basse Terre se traverses aisément d’est en ouest (ou l’inverse...) par une route un peu sinueuse mais rapide, appelée justement la route de la Traversée, qui franchit successivement des pentes au nord du massif de la Soufrière, et qui s’inscrit à mi-chemin entre nord et sud. Pratique quand on vient du sud pour éviter au nord-est le bouchon de Baie-Mahaut. Cette route regorge des eaux tropicales et s’enfonce dans le parc régional de Guadeloupe et son immense forêt, se faufile entre deux cônes élevés appelés les Deux Mamelles, visibles de loin quand on vient de l’est. On visite ainsi deux sites touristiques très connus, celui de la Cascade des Ecrevisses (appelées ici les ouassous, ou wassous) et celui de la Maison de la Forêt d’où l’on fait une petite boucle de marche là aussi à travers la flore tropicale, et où Marlène trouve chapeau à sa taille, sans essayer de jouer Jane avec les lianes géantes, minuscule au pied des troncs. Plus au sud, on parvient à l’ancienne capitale, la ville de Basse Terre, en traversant plusieurs villages coquets et abondant de couleurs des fleurs de l’île, nichés en bord de mer, dévoilant successivement des baies de sable blanc puis noir, le long de cette route très sinueuse qui monte et descend les mornes. Basse Terre est construite sur une longue pente régulière donnant sur la mer sur le versant ouest de la Soufrière.


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nne Basse Terre - L’ancie capitale

Elle abrite en son centre une halle aux marchés d’architecture moderne, dont l’horloge en son milieu est du pur style Ali Tur. Ici, ce sont des mangues, ananas, pomelos et caramboles mûrs à point. Et de belles et nettes toilettes où l’on précise bien au visiteur, mystères insondables des fermetures, qu’il faut « frapper avant d’entrer ». Ailleurs, ce sont des produits locaux habillés de madras, et ailleurs encore les chaudes couleurs des im-

meubles et des maisons dans la ville, dont les tonalités rappellent celles des glaces molles italiennes. Une avenue principale courte dévale sur un rond-point de bord de

mer curieusement pourvu d’un belvédère aux chevaux bondissants d’un effet particulier. Le boulevard qui longe la rive relève un peu l’attrait de l’ensemble. Au-dessus de la ville de Basse Terre, après être monté assez longuement, on atteint le village de St-Claude, qui est l’un des points de départ des randonnées pour monter au sommet de la Soufrière.


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Basse Terre - Soufri St-Claude

ère et

De là, on monte des chaussées parfois étroites, maçonnées par endroits, sinueuses et toujours à forte pente pour parvenir à un cul de sac d’où partent les marches. Le parking étroit au sommet porte le nom de la Savane à Mulets ; les visiteurs se garent donc tant bien que mal un peu plus bas le long de cette route à forte déclivité. Au-dessus du parking, on peut prendre un bain dans des piscines de pierre où une eau un peu sulfurée et bien fraîche a été amenée depuis les sources de la Soufrière juste audessus. Ce qui donne le nom au site : le Bains Jaunes. Humidité (les flancs de la Soufrière accumulent des records de pluviométrie) et fraîcheur (l’altitude est d’environ 1140 mètres) règnent là. Sur son flanc de volcan, St-Claude est un assez joli village, mais au centre duquel une faune de jeunes désoeuvrés manifeste une agressivité désagréable à la limite de la menace, réprouvant par exemple par gestes le seul fait de prendre des photos. C’est au-dessus de St-Claude que Louis Delgrès se sacrifie en se faisant sauter avec ses amis au cri de « Vivre libre ou mourir! » en 1802, attaqué par le général Richapance envoyé par Bonaparte pour rétablir l’esclavage. Au-dessus de Capesterre Belle-Eau, cette fois sur le versant est dont la pente se répartit entre plusieurs larges balcons couverts de l’exubérante forêt, nous avons eu la chance rare de prendre un café dans une sorte d’auberge à persiennes et claires-voies, probablement une ancienne case agrandie. La patronne, une vielle dame créole, tient dans sa vaste maison un café, un restaurant, et un petit magasin de bouche. Le village s’appelle L’Habituée, un nom qui laisse à l’imagination toutes sortes d’ouvertures. Comme la confection du café prend un temps certain, sans impatience dans de si agréables moments, nous nous interrogeons. La dame revient enfin avec son précieux nectar, très justement fière d’avoir préparé son café à partir de sa propre petite récolte, dont elle torréfie ensuite elle-même les grains, pour servir. Une vraie différence au goût et ce plaisir des produits authentiques dont on reste nostalgique. . Les routes vers l’est atteignent l’extrême pointe sud avec la paisible petite ville de Vieux Fort, celle où les conquérants colonisateurs français du 17ème étaient finalement venus se réfugier, cohabitant avec les indiens caraïbes, puis les exterminant. Charme et alizés puissants soufflant d’est sans obstacle, avec en face à quelques kilomètres, le profil de l’archipel des Saintes, et une ancienne maison de l’époque sucrière.


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Fort Basse Terre - Vieux et Trois Rivières

En remontant un peu vers l’est, on atteint la ville plus importante de Trois Rivières, où l’on rencontre ce panneau rassurant en cas de cyclone, et où les cases chatoient. De la Grande Pointe, en sortant de la ville vers l’est, nous avions prévu de parcourir la côte assez sauvage ici, le long d’un très beau chemin parfois un peu escarpé, hésitant entre les blocs de lave figés, phosphorescents d’embruns. Mais la semelle gauche de Marlène l’a trahie et s’est décollée. Bonne opportunité : nous avions sous-estimé la chaleur. Après une réparation de fortune à la Mac Gyver, demitour, pour une autre randonnée plus facile et ombragée, celle du sentier d’Acomat. Trois Rivières recèle aus-

si un site de pierres gravées de l’époque amérindienne, qui était en cette période fermé pour travaux. Le sentier de l’Acomat avec ses arbres aux énormes verrues, ses balisiers sauvages se parcourt agréablement en longeant une courte falaise où s’entend la mer que l’on aperçoit étinceler au travers de trouées de végétation.


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iBasse Terre - Trois R vières

Et au retour, la chance de saisir un vif colibri aux reflets turquoise butinant ces efflores-

cences.

Grosse Corde, après avoir la forêt. La baleine la belle eau à peine fraîche relle. Pas de risque que le petit doigt du pied.

La poursuite de notre boucle nous conduit sur le versant est de la Soufrière, dont le sommet ne se dévoile jamais, toujours accroché d’accumulations nuageuses. Nous visitons là, non loin des chutes du Carbet, une piscine naturelle (appelée « Bassin Paradis ») au pied d’une courte chute d’eau sur la rivière rapide appelée la dévalé un chemin humide bien aménagé à travers (toujours moi) goûte à de cette vasque natuMarlène y plonge même


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dure Basse Terre - Malen

Sur la belle côte Caraïbes, proche de l’arrivée de la route de la Traversée se déploie une belle anse assez touristique au sable sombre : la plage de Malendure. Elle appartient à la commune de Bouillante, voisine de 7km, rappel de l’activité thermale et sismique de l’archipel. Un peu escarpée avec ses rochers sur la mer et les îlets Pigeon à quelques encablures, c’est une réserve marine, appelée la réserve Cousteau. Un régal pour les plongeurs semble-t-il. Là sur un rocher au sud de l’anse où paune petite équipe cours d’une 1/2 jour-

ressent quelques iguanes verts (bleus?), « Les Heures Saines », organise des parnée, ou d’une journée, pour tenter d’apercevoir les cétacés en haute mer. Nous y sommes allés pour une matinée. Bonnes informations très didactiques ; le catamaran, équipé d’un système acoustique de détection et d’écoute (hydrophone) des bancs de cétacés nous a permis d’en-

tendre en direct les caquètements des cachalots, impressionnants quand on les sait présents dans les profondeurs sous nos pieds! Au total, malgré notre vigie qui scrutait la mer du haut du toit du bateau, nous n’avons aperçu que deux variétés de dauphins et entrevu de petits cachalots. Tout de même un peu frustrant sur une longue 1/2 journée, qu’ont un peu compensé un bel arc-enciel, et la vue superbe sur la côte.


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dure Basse Terre - Malen

Cette planche représente les diverses variétés de cétacés à dents qu’il est possible de rencontrer aux Antilles. Probablement que nous n’avons vu que les deux premières variétés de dauphins appelés dauphin à bec et dauphin tacheté pantropical. Des cachalots, nous les avons seulement entendu bavarder. Beau verbiage! Ils n’ont pas eu la mauvaise idée de venir caresser le catamaran d’un frôlement de queue!! .


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dure Basse Terre - Malen

De ces énormes cétacés à fanons (donc sans dents), nous n’avons rien vu. Dans la baie de Samana en République dominicaine, des baleines à bosse un peu cabotines prenaient plaisir à bondir hors de l’eau à 150 mètres de nous. Sacré spectacle!!!

Je n’imagine pas ce qu’auraient pu être de tels bonds avec les énormes baleines bleues, dont on dit qu’elles sont en voie de disparition.


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ies Basse Terre - Desha

Un village sur la côte Caraïbes de Basse Terre mérite une attention particulière, tant il réunit le charme du site, de ses cases, de la mer, des couchers de soleil, sans cependant se départir d’une tranquillité étonnante malgré les touristes qui le visitent. C’est Deshaies, pour l’heure encore éloigné de l’effervescence de Ste-Anne sur Grande Terre par exemple ; mais peut-être était-ce l’effet de la saison encore creuse, ou plus encore de l’absence de plage dans la baie qui n’est qu’une baie de pêcheurs? Nichée dans une anse cernée de hauts mornes de dense verdoiement, malgré ses mul-

tiples petits cafés et restaurants, on semble y respirer sans stresser, et si le tourisme se développe visiblement, ça semble être avec mesure et équilibre.. Les cabanes des pêcheurs sur l’anse, les quelques maisons anciennes et des cases encore bien entretenues, la pêche par couple des pélicans prêts à plonger dans le crépuscule, en font pour l’instant un lieu privilégié, encore peu envahi par les hordes féroces.


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ies Basse Terre - Desha

La petite marina ne se voit encombrée que d’une vedette rapide de chasse à l’espadon hérissée d’une multitude de cannes pour la gros façon Hemingway. Quelques autres vues de belles cases et de restaurants sur l’eau.


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ies Basse Terre - Desha

Village « coup de coeur » du Guide du Routard en 2006, il le reste pour nous en 2012. Et si le sud de Grande Terre foisonne à l’excès de touristes de masse métropolitains, ici, est-ce un indice, les visiteurs sont plus cosmopolites, de tous horizons, mais toujours avec une discrétion de bon aloi, un comportement bon enfant totalement départi d’arrogance ou d’esprit de propriété. Finalement un vrai bonheur un peu miraculeux, dont on peut craindre cependant qu’il soit fragile et éphémère.

Après le village, au sommet d’un morne s’ouvre un lieu de contemplation de la flore tropicale assez unique, comme l’est par exemple aussi le Jardin de Balata en Martinique : le jardin botanique de Deshaies. Ouvert en 2001, c’était l’ancienne propriété de Coluche, et l’on voit sur la falaise qui sur-

plombe la mer son ancienne vaste maison, qui ne se visite pas.


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botaBasse Terre - Jardin nique de Deshaies

Peu étendu mais très bien configuré, on y rencontre une superbe variété de fleurs et d’arbres tropicaux, après avoir franchi un bassin squatté par un banc de voraces carpes koï qui se déplacent

entre quelques nénuphars. Et l’on papillonne d’hibiscus en orchidées, longeant la couronne parfaite d’arbres du voyageur, impressionnés par les gigantesques racines qui sont comme des draperies ligneuses d’un magnifique arbre à kapok (ou ceiba), arbre symbolique dans la mythologie maya au Yucatan avec ses redoutables et puissantes épines . Où l’on apprend aussi que les arbres tropicaux n’ont pas de racines profondes, et ne doivent donc leur stabilité qu’à de telles racines courant au sol, ou par exemple en s’appuyant comme avec des béquilles sur des racines remontantes. Bien sûr, ce sont aussi les bougainvilliers somptueux, mais bien d’autres fleurs dont on ne retien-

dra jamais le nom, mais dont la beauté fascine.


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botaBasse Terre - Jardin nique de Deshaies

Qui, en dehors des passionnés ou des experts se souvient du lutéa, qui fait le bonheur des colibris avec ses épis dressés au-dessus des feuillages, mais dont la fleur n’est faite que de ces tubes blancs en croissant? Et de cette autre aux grêles fleurs blanches ici, appelée auriculata en référence à ses feuilles en forme d’oreille, ou bien dentelaire du fait de son aptitude supposée à soulager les maux de dents? Et que dire de cette merveille de délicatesse, qui ne laisse pas soupçonner sa robustesse, la rose de porcelaine (ou bien sa cousine, la rose de Malaisie)?


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botaBasse Terre - Jardin nique de Deshaies

Une cascade artificielle apporte sa fraîcheur bienvenue, en se déversant sur une mare où se reflètent rêveusement quelques flamants roses, narcisses ailés, mais néanmoins captifs. Remarquable lambrequin fait d’une frise de colibris, que célèbre aussi ce parc. On appelle ici ces minuscules oiseaux les foufous, à cause de leur vol qui semble aléatoire et d’une incroyable rapidité mais aussi du battement de leurs ailes (de 70 à 200 par seconde, inimaginable!!). Trois variétés ici : le Madère, le Colibri (tout court) et le Falle vert. Plus loin, une variété flamboyante de passiflore, que l’on trouve en Amérique du sud jusqu’au sommets les plus hauts de la Cordillère. Et encore les héliconias, que l’on croirait peints par un artiste inspiré, et qui dans la grande famille des balisiers, peut aussi prendre la forme des oiseaux du paradis.


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botaBasse Terre - Jardin nique de Deshaies

Mystérieuses dans la pénombre ou d’un lyrisme un peu débridé.

Les orchidées, bien ancrées sur la mousse des branches des grands arbres jouent de l’ombre et de la lumière en parfaites et prudes coquettes.

Cependant, ce que l’on appelle l’arbre à orchidées est en fait le bauhinia dont les fleurs s’apparentent aux orchidées, mais qui n’en sont pas. Hou! les prétentieux imposteurs!! (imposteuse, ça sonne mal…).


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botaBasse Terre - Jardin nique de Deshaies

Le rubis intense de l’Alpinia joue dans le soleil au côté du toxique palmier « multipliant » dont les feuilles d’un vert bleuté prennent des tonalités dorées. Ailleurs encore,

peut-être des cordylines (?) à gauche qui enluminent le rideau de verdure, et d’autres plantes étranges.

Et voici le bégonia des amoureux, car ses calices sont en forme de cœur… (pour la touche romantique).


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botaBasse Terre - Jardin nique de Deshaies

Suspendues aux branches, ou même directement sur le tronc, les calebasses, fruits ronds, verts, lisses et durs du calebassier. Une fois vidées et séchées, on en fait des récipients, des objets artisanaux, des maracas. Le dattier pansu se prépare à produire.

L’effervescence des couleurs se manifeste aussi avec les aras, perroquets et autres oiseaux tropicaux, bien placés sur le circuit de visite et qui sont l’une des attractions pour touristes. Là, ce sont des loriquets de Rosenberg, très bruyants et colorés qui vivent plutôt dans les mangroves, et les plaines côtières. Ailleurs, ce sont des aras maintenus attachés, plutôt cabotins sous les flash.


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Bribes d’économie

Difficile de trouver des informations socio-économiques plus récentes que 2011. Alors on s’en accommode, même s’il est probable que les effets de la crise ont depuis, encore modifié le contexte. La population de la Guadeloupe s’élève à environ 400 000 habitants en 2009. Son PIB/hab (17400€ en 2007) la placerait au niveau du Liban ou de l’Uruguay (classement 2010). L’activité se répartit en 2011 entre : • l’agriculture pour 15% (banane, canne à sucre, melons, café, vanille, orange, citron, carambole,...), fortement subventionnée par l’UE (220 M€ en 2009), et bénéficiant d’un certain protectionnisme français • L’industrie, pour 17%, essentiellement tournée vers l’agro-alimentaire (sucreries, rhumeries, conprésente 6% des emplois en 2006, astée par les lois sur la défiscalisation ; à à Pitre est l’une des 3 premières de France. • Les services pour 68%, dont l’essentiel (92% en 2007) est représenté par le tourisme, encore majoritairement métropolitain, mais fortement concurrenpar les pays voisins comme la République Dominicaine et Cuba à un moindre degré.

serveries,…), qui resez largement pornoter que la zone industrielle autour de Pointe

En 2005, les exportations ont représenté environ 500 millions € pour 2,4 milliards € d’importations (5 fois plus) provenant pour presque 2/3 de la métropole. La culture de subsistance décroît encore et n’assure qu’une faible partie de la consommation locale. Chaque année, la Guadeloupe importe 10 000 tonnes de fruits et de légumes. Le taux de chômage est de presque 24% de la population active en 2007 et l’on compte 52000 demandeurs d’emploi en 2010, dont un jeune sur deux. La Guadeloupe se place au 2ème rang des pays de l’UE les plus touchés par le chômage. Les infrastructures de toutes natures sont par contre modernes et de qualité, à la différence de celles des pays indépendants voisins. La Guadeloupe est partie intégrante du territoire douanier de l'Union européenne mais est exclue de son territoire fiscal ; elle a donc été érigée en zone défiscalisée afin d'y attirer de nouvelles activités économiques .


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Personnalités

Certaines personnalités histoGuadeloupe, par exemple dans le et de la colonisation, Mme de Françoise d’Aubigné, seconde et Louis XIV, qui a vécu au 17ème sur l’île de Marie-Galante, mais surtout beaucoup plus tragiquement Louis Delgrès, né en Martinique et qui se sacrifia à Matouba au pied de la Soufrière pour la liberté et l’affranchissement de l’esclavage en Guadeloupe le 28 mai 1802.

riques marquent la domaine du frivole Maintenon, née secrète femme de

A l’époque moderne, les personnalités les plus remarquables appartiennent : •

au monde du spectacle : Pascal Légitimus (attachant humoriste et acteur), Joëlle Ursull du groupe Kassav, Laurent Voulzy (né en métropole, co-auteur pour la musique de tubes avec Alain Souchon) • au monde sportif de haut niveau : Christine Arron, Roger Bambuck, Marie-José Pérec (« la gazelle »), Jean-Marc Mormeck (boxe), Laura Flessel (escrime, dite « la guêpe », sélectionnée pour ses 4ème Jeux Olympiques, ceux de Londres en 2012), Thierry Henry, Lilian Thuram (qui s’implique dans les dossiers relatifs à la lutte contre le racisme, à la justice sociale, …), Marius Trésor (foot), Teddy Riner (sympathique colosse de 2.04m et 138 kg, déjà 5 fois champion du monde de judo dans les lourds), Gaël Monfils (tennis)

• au monde des lettres : St John Perse (grand poète dont le vrai nom était Alexis Léger) , Maryse Condé (auteur de romans, qui a enseigné à l’université américaine de Columbia et qui préside le Comité pour la mémoire de l’esclavage), Bernard Leclaire (poète romancier)...


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ue Forma on géologiq

L

La genèse de l’île explique sa topographie : La plaque de l’Atlantique sud s’enfonce à raison de 2 à 4 cm/an sous la plaque Caraïbe (zone volcanique de subduct ion) Grande Terre est issue d’une activité volcanique ancienne datant de 55 millions d’an nées, dont les reliefs ont été fortement érodés, puis couverts de calcaire corallien (c’est le même épisode volca nique qu’ Antigua, la Barbade et St Martin). Par contre, Basse Terre est issue d’un épisode volcanique à l’ouest beaucoup plus ré cent d’il y a 5 millions d’an nées, et toujours actif au jourd’hui (même épisode vol canique que Montserrat, Do minique et Ste Lucie). La Guadeloupe résulte donc de la conjonction de ces deux épisodes éloignés dans le temps, et qui ont fini par créer l’isthme qui réunit les deux ailes du papillon. Parmi les principaux séismes historiques qui ont affecté l’archipel de la Guadeloupe, celui du 8 février 1843 (intensité 9 à 10) correspond à un séisme profond de la zone de subduction, tandis que celui du 29 avril 1897 (intensité 8) et celui, plus récent, du 21 novembre 2004 (intensité 8) sont dus à des déformations au sein de la plaque Caraïbe. D’autres éruptions moins fortes ont eu lieu en octobre 1956, puis en 1976-77 avec une éruption phréatique ayant alors donné lieu à polémique ; Haroun Tazieff prônait un risque faible et donc l’inutilité de déplacer la population du côté de Basse Terre (la ville) ; l’avenir lui donna raison.


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Les vents alizés

Curieux que ces vents qui soufflent en permanence et à l’inverse du vent d’ouest sous nos latitudes métropolitaines. En simplifiant, la couche d’air atmosphérique est la plus chaude à l’équateur. Sa température diminue quand on s’en éloigne vers le nord ou vers le sud (de manière symétrique). Or, comme on le sait, l’air chaud s’élève. En s’élevant, les volumes libérés aspirent d’autres masses d’air plus froides qui à leur tour s’échauffent et montent. Cet appel d’air crée une zone de basse pression permanente au niveau de l’équateur. Il se crée ainsi un mouvement des masses d’air (ou convection) depuis les tropiques vers l’équateur : - du nord vers le sud (l’équateur) depuis le tropique du Cancer dans l’hémisphère nord - du sud vers le nord (l’équateur) depuis le tropique du Capricorne dans l’hémisphère sud. Ce mouvement resterait simple (nord vers sud ou sud vers nord) si la terre ne tournait pas sur elle-même. Sa rotation entraîne une déviation de ces flux d’air dans le sens opposé à la rotation terrestre, c’est-à-dire vers l’ouest (puisque la terre tourne vers l’est). En conséquence, ces vents proviennent : du nord-est dans l’hémisphère nord du sud-est dans l’hémisphère sud. Au-dessus des mers, ils se chargent d’humidité. A l’inverse, au-dessus des continents et sous ces mêmes latitudes tropicales, ils accroissent l’aridité des terres (puisqu’ils ne rencontrent pas d’eau), ce qui contribue à expliquer l’existence de certains grands déserts terrestres comme le Sahara (l’alizé s’appelle là l’harmattan, qui donne par exemple son nom à un restaurant du Quartier Latin, rue du Cardinal Lemoine à Paris).


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Les vents alizés

Halley (astronome anglais qui découvrit en 1705 le mouvement des comètes et notamment de celle qui porte son nom et nous visite régulièrement tous les 76 ans : 1835, 1910, discrètement en 1986, prochainement en 2061 trop tard pour notre génération) et Hadley (grand météorologue amateur anglais qui a émis une hypothèse sur le sujet en 1735), mais aussi plus mathématiquement Coriolis, ont apporté leur quotepart pour expliquer ces phénomènes. Ce sont donc les vents alizés, qui, jusqu’à une altitude de 2000 m, tant qu’ils survolent les océans restent réguliers et se chargent d’eau, soufflant entre 20 et 30 km/h. Si constants sur l’Atlantique qu’ils furent vite identifiés comme un vecteur sûr pour la circulation des navires lors des grandes conquêtes. Au point qu’en anglais, plus explicitement, on les appelle les « vents commerciaux » (trade winds). En Guadeloupe, la pointe à l’est de Grande Terre, appelée la Pointe des Châteaux, à cause de ces énormes rochers contre lesquels se brise vainement et sans répit la forte houle atlantique, est la plus exposée à ces vents. Mais la côte à l’est de Basse Terre les subit aussi avec une belle constance.

Le 5 février, depuis l’Anse Viard se tenait une course internationale de motos de mer, qui faisait l’aller retour jusqu’aux Saintes (plus de 60 km en mer). Forts rouleaux durcis à l’extrême par la vitesse de ces bolides, et provoquant des fêlures aux membres de certains pilotes pourtant chevronnés.


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Un peu d’histoire

Selon les recherches archéologiques, la Guadeloupe est tout d’abord peuplée : • par les Ciboneys (3500 avant JC), • puis les Huécoïdes (vers 700 à 500 avant JC) provenant des Andes précolombiennes qui introduisent le manioc dans l'île, •

ensuite par les Arawaks (entre 700 avant et 300 après JC) originaires de l'Amérique du Sud (ou du Venezuela ?), peuple paisible et sédentaire qui vit de l'agriculture, de la chasse et de la pêche. On visite à Trois Rivières, au sud-est de Basse Terre le site dit des « Roches gravées », qui sont des pétroglyphes des Arawaks. Pendant ce temps, de l’autre côté de la mer des Caraïbes, les Mayas sont à l’apogée de leur civilisation. vers le 9ème siècle, les Arawaks, en tout cas les mâles, sont exterminés par les tribus guerrières et cannibales des indiens

Caraïbes (Karibs) venues de l’Orénoque.

La découverte Lors de son deuxième voyage en 1493, 21 jours après avoir quitté les Canaries, Christophe Colomb aperçoit une 1ère île, que l’équipage si impatient d’aborder la terre, nomme « desiderada », la Désirade, petite île à peine à 10 km à l’est de la Guadeloupe. Le 3 novembre 1493, il aperçoit un peu plus au sud une autre petite île qu’il aborde et nomme du nom de son navire amiral « Maria-Galanda », Marie-Galante. Le 4 novembre 1493, il décide de mouiller quelques jours dans cette autre île plus grande dont il avait aperçu les sommets de loin. Il le fait à Capesterre (« bout » ou « cap » d’une terre) de Guadeloupe appelée aussi Capesterre belles-eaux (il existe aussi en effet Capesterre de Marie-Galante). L’île est appelée Caloucaéra (« île aux belles eaux », Karukéra en créole) par les caraïbes qui l’occupent alors. Les espagnols sont surpris de les entendre parler deux langues, le caraïbe pour les hommes, l’arawak pour les femmes. Colomb la baptise Guadeloupe, du nom du monastère royal de Santa Maria de Guadalupe en Espagne dans l’Estramadure. En Espagne, ce nom de Guadalupe vient lui-même de l’arabe « oued el-oub » qui signifie « rivière de l’amour ». Belle convergence des hasards de l’histoire pour nommer ce bout de terre de rivières et de torrents, elle-même au milieu des « belles eaux ».


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Un peu d’histoire

Episode espagnol Les Espagnols s'intéressent peu à cette île alors inhospitalière et sans gisement aurifère. Elle devient une escale d’approvisionnement d’eau (« aiguade ») et de bois vers l’eldorado des Amériques. La cohabitation avec les caraïbes aguerris devient de plus en plus difficile. Le roi d’Espagne autorise en octobre 1503 les espagnols à capturer les Indiens habitant les « îles sans or », pour les faire travailler, et pacifier puis coloniser ces îles ; on voit là le tout début de la démarche vers l’esclavage. Mais en 1515 (Marignan), un débarquement de trois navires et trois cents hommes de guerre tourne à la débandade face aux caraïbes en embuscade. Lassés, les Espagnols abandonnent progressivement les Petites Antilles pour les plus riches terres d’Amérique centrale.

La flibuste Exit les espagnols, qui laissent l’espace ouvert aux expéditions et aux flibustiers anglais, français et hollandais. Ceux-ci font escale régulièrement en Guadeloupe à partir de 1550, pour commercer avec les Amérindiens, et bien sûr détrousser les navires espagnols en commerce avec les Amériques.

Episode français Presque un siècle plus tard, les Français, menés par Jean du Plessis d'Ossonville et Charles Liénard de l'Olive débarquent le 28 juin 1635 à la Pointe Allègre Nogent, aujourd’hui la ville de Sainte-Rose au nord de Basse-Terre, avec 150 hommes (bretons et normands) engagés par contrat pour trois ans dans le but de faire fortune, et 4 dominicains.

à

Ils sont en effet aussi mandatés par la Compagnie des îles d'Amérique , créée par Richelieu en 1635, pour évangéliser les indigènes. Le flibustier normand Pierre Belain d’Esnambuc en est le chef. Du fait de maladies, du manque de vivres et de préparation, nombre de colons périssent dès les premiers mois. Les survivants migrent au sud et s'installent près de l'actuelle ville de Vieux-Fort. Ils reçoivent l'aide des Caraïbes. Mais contre l'avis de Du Plessis, de l’Olive déclare la guerre à ces derniers pour prendre vivres et femmes. Les français vont dès lors exterminer les amérindiens de Guadeloupe, ce à quoi maladies et alcool vont aussi contribuer. 1640 : signature d'un traité de paix avec les Caraïbes. Mais il en reste si peu que les français vont commencer à importer des esclaves d’Afrique par centaines à partir de 1641 et 1645. L’histoire de la Guadeloupe est marquée, comme pour la plupart des autres îles des Petites Antilles, par ces déportations massives à partir des années 1670, d'esclaves noirs africains, ancêtres de l'immense majorité de la population actuelle.


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Un peu d’histoire

1648 : du fait de la faible rentabilité des cultures, la Compagnie, propriétaire de l’archipel est en banqueroute. Charles Houël du Petit Pré, originaire de Normandie, est nommé gouverneur de la Guadeloupe de 1643 à 1664 par la Compagnie des îles d’Amérique, mais a aussi été désigné dès 1645 1er officier de justice de l’île par Louis XIV. Oeuvrant pour accélérer la banqueroute de la Compagnie, il rachète l’archipel, pour 60 000 livres de tabac et développe les plantations de sucre, café et cacao. 1649: fondation de la ville de Basse-Terre dans le sud-ouest de Basse-Terre, par Charles Houël . 1654 : au Brésil, les jésuites portugais chassent les hollandais, qui fuient avec 300 de leurs esclaves. Contre l'avis des jésuites français, Charles Houël leur donne 16 hectares de bonnes terres au lieu dit Sainte-Marie, à Capesterre de Guadeloupe. Ils apportent leur technique achevée de la culture de la canne à sucre et le secret de son blanchiment. 1664 :

la Compagnie française des Indes Occidentales , créée par Louis XIV prend possession de la Guadeloupe en expropriant Houël et sa famille. Elle a le monopole de l’exploitation de la canne à sucre et pour mission première de rétablir l’autorité royale. 1667 : péripéties entre anglais hollandais, danois, français, conclues par le Traité de Breda. 1671 : la Guadeloupe compte 4 267 esclaves noirs.


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toiriree ’hisisto eu dd’h UUnn ppeu

1674 : La Compagnie des indes occidentales fait à son tour faillite. La Guadeloupe devient propriété de Louis XIV. La culture du coton, des épices y est introduite. 1682 : Charles François d'Angennes gouverneur de Marie-Galante obtient le monopole du commerce de la traite des noirs avec l'empire espagnol. 1690: le prix du sucre, miné par la concurrence, affiche une baisse de 65% par rapport à son niveau de 1655.

Episode anglais 1759 : pendant la guerre de Sept ans (1756 à 1763) , la Guadeloupe est occupée par les Anglais qui fondent le port de Pointe-à-Pitre. En 1763, le traité de Paris restitue la Guadeloupe et la Martinique à la France. 1775 : la Guadeloupe obtient son autonomie vis-à-vis de la Martinique. C'est durant cette période que le port de Pointe à Pitre prend son essor au détriment du port du Moule, et que décline l’ancienne capitale Basse-Terre. Entre 1701 et 1810, la Guadeloupe reçoit 237 100 esclaves. Schématiquement, à la fin du 18e siècle, la population de la Guadeloupe se compose : • des blancs, tous de condition libre. • des libres de couleurs. Ce sont des affranchis ou des descendants d’affranchis, généralement métis. Même libres, ils ne sont pas considérés comme les égaux des blancs. • des esclaves, principalement noirs, mais aussi métis. Ils représentent environ 80 % de la population. On ne peut échapper à l’esclavage que par l’affranchissement, rendu de plus en plus difficile, ou par la fuite ou par la révolte. 1794 : la Convention vote la 1ère abolition de l'esclavage le 4 février. Victor Hugues est envoyé pour en assurer l'application. Bon nombre de grands propriétaires royalistes et esclavagistes résistent et sont guillotinés (c’est bien la mode de l’époque!!). Mais en avril, le parti esclavagiste livre la Guadeloupe aux Anglais. En juin, Guadeloupe et Guyane se libèrent et abolissent l’esclavage. C’est en même temps que Toussaint Louverture écrase les Espagnols à St-Domingue.


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Un peu d’histoire

1802 : Napoléon Bonaparte rétablit l'esclavage, mais des mouvements de résistance commencent à voir le jour : soulèvement sous le commandement du métis chef de bataillon Louis Delgrès en 1802, chez les Anglais qui interdisent la traite des Noirs en 1807, au congrès de Vienne qui l'interdit en 1815. Puis en mai, la Guadeloupe est reprise par le général Richepance envoyé là sur ordre de Bonaparte, malgré une héroïque résistance organisée par Delgrès, qui à l’asservissement préfère la mort. Richepance rétablit l’ancien « Code noir » et l’esclavage en Guadeloupe. De nombreux villages de Guadeloupe détiennent aujourd’hui en bonne place le buste de Delgrès, hommage à l’homme et à son idéal.

1848 : le 27 avril, sous l'impulsion du député Victor Schoelcher, à la tête de la Société Abolitionniste, la dernière phase de l’abolition, après bien des aléas, en l’occurrence le décret d'abolition de l’esclavage, est votée pour les colonies françaises. Il est appliqué en Guadeloupe le 27 mai 1848.


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Un peu d’histoire

Il fallait dès lors trouver une autre main-d’œuvre : les autorités décident de recourir aux coolies. Ces travailleurs libres et rémunérés sont d'origine annamite, chinoise et surtout indienne. La rémunération des coolies (fait nouveau par rapport aux esclaves) et la concurrence de plus en plus grande de la betterave sucrière, provoquent la faillite de nombreux planteurs. Leurs domaines passent aux mains de sociétés capitalistes étrangères dans deuxième moitié du 19ème siècle.

la

St-François à l’est de Grande Terre est constituée en majeure partie de descendants de ces coolies indiens venus de Malabar, de Calcutta, de Pondichéry. Si leur traits ne laissent pas de doute sur leur origine, l’exercice de leur culte est moins apparent que celui des coolies tamouls de la Réunion avec ses temples éclatants. La Guadeloupe élit en 1910 ses premiers députés socialistes : Légitimus et Achille-René Boisneuf. Pour limiter la dépendance du cours du sucre, après la Seconde Guerre mondiale on cherche à diversifier la production ; la culture de la banane, de l'ananas et du riz se développent - canne et rhum restant néanmoins les principales denrées à l'exportation. 1946 : le 19 mars, la Guadeloupe devient département français, administré par un préfet assisté de deux sous-préfets, un pour l'arrondissement de Pointe-à-Pitre et l’autre pour les îles du Nord (Saint-Martin et Saint-Barthélemy). Les lois sont celles de l'Hexagone avec toutefois quelques aménagements spécifiques concernant les salaires des fonctionnaires, les équipements scolaires et l'assistance médicale et sociale. Années 80 : un mouvement indépendantiste devenu très actif décline ensuite et s’oriente dans le sens d’une réflexion tournée vers l'avenir économique et social avec les institutions présentes. 1999 : le 1er décembre, la "Déclaration de Basse-Terre" des présidents de région Guadeloupe, Martinique et Guyane a pour but de trouver un mode de développement adapté aux Antilles-Guyane, et en juin 2000 un projet de loi d'orientation pour le développement des DOM est défini. 2003 : le 7 décembre, après un référendum, les communes de Saint Martin et Saint Barthélémy décident de s'affranchir de l'administration de la Guadeloupe pour devenir des collectivités territoriales françaises à part entière. 2009 : une forte agitation sociale dure plusieurs semaines, suscitée notamment par le coût de la vie et particulièrement celui du carburant.


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é) L’esclavage (condens

L’esclavage accompagne l’histoire de l’humanité. Depuis toujours, les peuples ont asservi les peuples même si dans le monde moderne, la part en est bien sûr réduite et se dissimule plus ou moins dans l’illégalité. Ainsi jusqu’au 16ème, des Africains sont emportés à travers le Sahara vers les pays du monde arabe qui opèrent des razzias. Ces acheminements continentaux, longs et coûteux, restent cependant modestes par rapport à la vague négrière qui va suivre.

Le commerce bilatéral nord-sud La traite des Noirs de l’Afrique vers l’Europe commence dès 1441 avec les portugais, au fur et à mesure qu’ils découvrent les côtes africaines longées successivement vers le sud. En 1454, le pape Nicolas V autorise le roi Alfonse V d’Aragon à organiser la traite. Les esclaves sont affectés aux plantations de canne à sucre des Açores et de Madère.

Traite des amérindiens Au 16ème siècle, les conquérants espagnols, en quête de main d’œuvre peu coûteuse, entreprennent la traite des Amérindiens. Mais deux bulles pontificales condamnent cet esclavage en 1537 ainsi que « toute mise en doute de la pleine humanité de ceux-ci » ou de « tout autre peuple qui pourrait être découvert dans l’avenir ».

La controverse de Vallladolid La controverse de Valladolid en 1550 et 1551 vient confirmer cette condamnation. Ce célèbre débat oppose essentiellement le dominicain Bartolomé de Las Casas défavorable à l’esclavage, et le théologien Juan Ginés de Sepúlveda, en deux séances d'un mois chacune (l'une en 1550 et l'autre en 1551) au collège San Gregorio de Valladolid. Le but est, selon le souhait très noble de Charles Quint, qu’il se « traite et parle de la manière dont devaient se faire les conquêtes

dans le Nouveau Monde, suspendues par lui, pour qu'elles se fassent avec justice et en sécurité de conscience ». Il s’agit de savoir si les Espagnols peuvent coloniser le Nouveau Monde et dominer les indigènes Amérindiens, par droit de conquête avec la justification morale de mettre fin à certains modes de vie, notamment la pratique institutionnelle du sacrifice humain, ou bien si les sociétés amérindiennes sont légitimes malgré de tels éléments et que seul le bon exemple doit être promu avec la colonisation-émigration. Cette 2ème hypothèse (celle de Las Casas) est retenue par le légat du pape.


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Elle est cependant comprise comme ne concernant que les peuples des pays conquis (les Amériques) et non pas d’autres peuples (comme ceux de l’Afrique). Pour remplacer la main-d’œuvre amérindienne maintenant interdite par l’esclavage mais aussi décimée par les maladies et la maltraitance, les conquistadors se lancent alors vers l’autre voie, celle des captifs africains issus de la traite arabe. L'Afrique constitue à cette époque un immense réservoir de main d'oeuvre, reconnue plus résistante que les européens pour les travaux agricoles sous ces latitudes. Et notamment plus que les « engagés », ces européens pauvres, vagabonds, mendiants, orphelins et délinquants envoyés dans les colonies et qui étaient utilisés auparavant et qui disparaîtront vers 1720. La mise en œuvre de la traite négrière transatlantique va prendre une autre dimension quand elle se généralise ensuite à toute l’Europe.

L’asiento Les Espagnols ne pratiquent pas la traite négrière directement ; ils la confient à d'autres pays (Portugal, Hollande, France, Angleterre,…). L'ouverture de ce droit se fait contre paiement d'une redevance. Cette pratique est l'asiento (des esclaves). Dans ce contexte, Charles Quint, à peine élu empereur, autorise officiellement l'importation des Noirs pour les colonies d'Amérique dès 1519 (ou 1518?), dans le cadre d’un monopole d'État et de concessions aux particuliers. Chronologiquement, le Portugal en est le 1er dépositaire, puis la Hollande jusqu’à la fin du 17ème, puis Louis XIV de 1701 à 1713, l’Angleterre de 1713 à 1759, enfin un groupe de commerçants basques jusqu’en 1779. L’asiento disparaît officiellement en 1817 quand l’Espagne abolit la traite des noirs.

Le commerce triangulaire La première motivation des négriers est économique : l’esclave noir est une marchandise, pourvu, fantastique hypocrisie, que ce commerce ne se fasse pas sur le sol du royaume qui le pratique. Les expéditions du trafic triangulaire durent en moyenne 18 mois.

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1- Europe – Afrique : verroterie et armes contre captifs Un vaisseau affrété par les négociants européens est rempli de produits d'échange (étoffes, bijoux de verres, armes...). Le capitaine porte leurs consignes relatives au nombre d'esclaves à acheter et aux tarifs à négocier. Les centres de traite se situent sur la côte Ouest de l'Afrique : principalement le Golfe de Guinée, Mauritanie, Sénégal, Gambie, Guinée, Sierra Leone, Côte d'Ivoire, Ghana, Togo, Benin, Nigeria, Cameroun, Gabon, Congo, Angola. Les captifs sont amenés par des intermédiaires, qui peuvent être des marchands maures ou des mercenaires européens. Les esclaves, souvent victimes de rapt, vendus par les rois ou les chefs africains, sont arrachés à leurs villages pour être expédiés vers les comptoirs négriers. Arrivés là, les captifs sont exposés, et les négriers échangent les produits venus d'Europe contre des lots d'esclaves. Ils se fournissent dans plusieurs centres ; il leur faut parfois plusieurs mois pour remplir le navire, pendant lesquels le capitaine redoute d'éventuelles révoltes.

2- La traversée vers les Antilles Les navires négriers sont des navires de commerce ordinaires. Arrivés en Afrique, un gigantesque filet est placé autour d’eux pour éviter les fuites et les suicides ( ?). Les mutins éventuels sont menacés par les canons chargés de mitraille. Les captifs sont répartis par groupes de 4 à 6 personnes avant d'être entassés dans des cales ne dépassant pas 1,50m de hauteur. Le plus souvent, leur nombre excède de loin la capacité du navire. Ils sont enchaînés jambe droite à main droite, jambe gauche à main gauche. Leur nourriture de base est le gruau. Elle est parfois enrichie de cassave, de manioc, de légumes verts, d’un peu de viande de tortue. L’approvisionnement en eau est la préoccupation première. Le chirurgien de bord a toute autorité sur les précautions à prendre pour la cargaison ; il supervise les repas, surveille les lavages de bouche quotidiens, organise le ravitaillement en eau douce. Une matrone indigène s’occupe des soins à apporter aux femmes enceintes.


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La traversée dure entre 8 et 12 semaines dans d'horribles conditions : 15 à 30% (10 à 20% selon d’autres sources) des captifs meurent en route. Ils ne portent aucun vêtement pour éviter la vermine hormis les femmes qui reçoivent un cache-sexe ou un pagne. A l'arrivée, le bateau est mis en quarantaine. Pendant celle-ci, personne ne peut débarquer tant qu’on n’a pas vérifié l’absence de maladie. A la suite de quoi on nourrit mieux et davantage les captifs épuisés et sous-alimentés pour les préparer à la vente.

La vente aux enchères Les esclaves sont préparés pour l'examen physique et exposés sur les marchés aux esclaves par lots appelés « pièces d’Indes ». Le négrier scrute attentivement l’esclave, notamment les yeux, la bouche. Chaque défaut diminue en effet le prix de vente. Celle-ci est annoncée par affiches ou voie de presse et se fait aux enchères. Une fois achetés, les esclaves sont marqués du sceau de leur propriétaire au fer rouge. Partout, ils sont considérés comme des biens qu'on peut vendre, acheter ou louer, passibles même de droits de douane. Même le « Code noir » qui régit dans le principe le statut de l'esclave n'est pas appliqué, les maîtres le trouvant encore trop clément. Le paiement des esclaves ne se fait pas au comptant mais à crédit. Les planteurs sont souvent endettés : le sucre vendu en Europe permet de payer la dette. Sinon les esclaves sont vendus ou échangés contre des épices qui reviennent à Bordeaux ou à Nantes. Au fil des années et des siècles, près d'un million d'hommes et de femmes furent envoyés aux Antilles par le trafic négrier.

3- Retour des Antilles (qui ferme le triangle) Le retour des Antilles vers la métropole charge les bateaux de sucre et d’autres produits des Caraïbes reçus en échange d'esclaves. Des articles en fer, en cuivre et des armes sont en première place dans le commerce triangulaire entre l'Afrique et les Antilles.

La vie des esclaves Les « habitations » Les « habitations » (ici les vestiges de celle qui est appelée l’habitation Murat à Marie-Galante) sont le regroupement des terres destinées aux cultures (canne à sucre, café, coton, tabac,…), sur lesquelles sont construits les bâtiments de production et d’hébergement du maître, de son équipe (économe, régisseur, commandeurs) et bien sûr des esclaves.


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L’économe gère les finances, le régisseur supervise l'exploitation agricole et dirige un ou plusieurs commandeurs, souvent noirs ou mulâtres, qui organisent le travail dans les plantations et doivent faire en sorte que les objectifs soient atteints. Ils arpentent les plantations à cheval. Les esclaves travaillent dès l'aube sous la surveillance du commandeur armé de son fouet. Pour la canne à sucre, il a sous ses ordres les sarcleurs, les coupeurs de canne, les amarreuses (femmes qui doivent lier les cannes coupées en paquets). La canne est transportée dans les ateliers de production à dos d’homme, ou de mulet mené par le muletier, ou sur un cabrouet que dirige le cabrouettier...

La fabrication du sucre ou du rhum (appelé à l'époque "guildive") implique des tâches difficiles et extrêmement dangereuses dans les moulins de broyage et les chaudières. Les jours de repos sont rares, avec en principe un samedi tous les 15 jours, qui peut être supprimé en cas de besoin. Les esclaves sont mal nourris et ne peuvent améliorer leur quotidien et celui de leur famille qu’en cultivant, après leur journée de travail le "jardin à Nègre" qui leur a été attribué. Beaucoup d'esclaves meurent très jeunes, usés par un travail difficile et dangereux, par les châtiments corporels et par les maladies. Leur durée de vie à l’habitation est en moyenne de 10 à 15 ans. Les femmes sont violées par les maîtres ou les régisseurs, donnent naissance à des "mulâtres" qui naissent esclaves et appartiennent au maître.


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Dans les « habitations », on distingue de manière générale : les esclaves de case, qui sont des domestiques (valet, fille de chambre, nourrice, blanchisseuse, lingère, couturière, cuisinière, cocher, ...), fonction considérée comme la plus honorable. Mieux nourris et habillés, ils peuvent cependant perdre leur titre à tout moment et les règlements de compte sont fréquents (empoisonnement des maîtres, incendies des maisons, marronnage). les esclaves de jardin. Les plus nombreux, ils sont répartis en équipes dirigées par un commandeur blanc ou par un vieil esclave. Les gros travaux sont exécutés par des hommes et des femmes de plus de 14 ans. Ils bêchent, plantent, coupent la canne, creusent les canaux. Les esclaves les moins robustes effectuent des travaux moins lourds. Les enfants de 8 à 13 ans peuvent aussi se joindre à eux pour le ramassage de paille ou de cannes, l’empierrage des jardins. les ouvriers de l'habitation. Ils sont employés aux travaux artisanaux ou industriels. Les plus nombreux sont les sucriers : ils fabriquent le sucre, de jour comme de nuit, par périodes de six heures, devant les chaudières. Le travail est difficile mais recherché car la nourriture est plus abondante et ils jouissent d’un meilleur traitement. Ils sont aussi maçons, charpentiers, charrons.

La résistance des esclaves Elle commence à s’organiser dès le 16ème siècle (en gros, dès les premières arrivées). D'abord contre l’intégration à la culture européenne qu'on tente de leur imposer : ils continuent de pratiquer leurs rites religieux et la première résistance se fait dans les chants, la danse, les traditions orales. Plus radicalement avec un puissant symbolisme, ils résistent aussi par le suicide, ou chez les femmes par l'avortement. Puis vient le marronnage : ils fuient les plantations pour se réfugier dans des hauteurs ou des lieux difficilement accessibles des colonies. Les "marrons" (ou "maroons" en anglais) se réunissent dans des camps où certains peuvent restent pendant plusieurs années. Les colons organisent des patrouilles armées avec des chiens dressés à les retrouver. Ceux qui sont pris sont torturés parfois atrocement, mutilés ou tués selon la durée du marronnage. Des textes officiels sont prévus en ce sens dans le Code Noir.


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Une autre forme de résistance, hantise des planteurs, est enfin la révolte des esclaves. Elles ont eu lieu dès le début du 16ème siècle dans toutes les colonies d'Amérique. Bien avant que des idées abolitionnistes émergent chez les européens, les Noirs se sont donc battus au prix de leur vie pour leur liberté.

L’économie sucrière Jusque vers 1660, les planteurs de sucre espagnols du Venezuela et portugais du Brésil achètent des esclaves mais en quantité assez limitée. Le transport, par le système de l’asiento est dans cette période le monopole des marchands hollandais, qui se bornent aux expéditions les plus rentables. Dans la même période, le prix élevé du sucre sur le marché mondial empêche sa commercialisation à grande échelle. Le roi de France s’intéresse tardivement aux colonies d’Amérique et favorise l’occupation de la Guadeloupe et de la Martinique à partir de 1635.

1674, grande année : le commerce triangulaire prend là son essor, l'année où les Français et les Anglais se lancent sur le marché et disputent progressivement aux Hollandais le monopole du transport des esclaves de la côte africaine vers les Amériques, avant même de devenir dépositaires de l’asiento. Cette année-là, le futur roi catholique anglais Jacques II crée la compagnie royale d'Afrique tandis que son cousin français Louis XIV fonde la Compagnie du Sénégal et dissout la Compagnie des Indes de Colbert, l'une des premières compagnies coloniales françaises, à qui il reproche son incapacité à importer suffisamment d’esclaves pour rentabiliser son activité et contribuer ainsi au financement du château de Versailles. Cette année est aussi celle où Louis XIV devient un monarque absolu et prend ses distances avec Colbert, pour se rapprocher de sa maîtresse la Marquise de Maintenon. Celle-ci a passé son enfance à la Martinique et à Marie-Galante, et vient de racheter avec l'argent du roi, le château de Maintenon à Charles François d'Angennes. Ce dernier devient quelques années plus tard le plus riche planteur de Martinique. L'arrivée des Français et des Anglais sur les côtes d'Afrique fait tout d’abord très rapidement monter le prix des esclaves (augmentation de la demande), crée de nouveaux circuits d'approvisionnement continentaux et en conséquence finit par affaiblir les sociétés africaines traditionnelles qui se dépeuplent. Aux Antilles, deux grandes îles, la Jamaïque et Saint-Domingue et trois petites, la Martinique, la Guadeloupe et la Barbade, deviennent la principale zone mondiale d'importation des esclaves.


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Pour faciliter la très lucrative politique sucrière, Jacques II et Louis XIV tentent d'étouffer financièrement les autres productions consommatrices d’esclaves, et celle du tabac en particulier. Louis XIV crée ainsi la ferme du tabac en 1674. C’est un monopole spécialement créé pour cette production qui abaisse le prix d'achat du tabac aux planteurs et relève son prix de vente. Du coup, les petits planteurs des Antilles , déjà soupçonnés de collusion avec les flibustiers et les Frères de la Côte, abandonnent cette production. La plupart des consommateurs préfèrent s'approvisionner en tabac de Virginie et du Maryland, où Jacques II vient justement d'octroyer des terres à des aristocrates catholiques pour créer d'immenses plantations de tabac qui fonctionnent elles aussi à base d'esclaves. Le commerce triangulaire se développe encore, côté français, à la fin des années 1680 avec le renforcement de la communauté des Irlandais de Nantes, des réfugiés religieux jacobites qui vont créer de puissantes sociétés commerciales comme la Compagnie d'Angola. 1685 : le Code Noir, édit préparé par Colbert et publié après sa mort, a créé un ordre juridique colonial esclavagiste. Cet édit ne reconnaît que deux statuts dans les colonies : les libres sujets du roi et les esclaves étrangers. Il rend possible les mariages entre colons et esclaves et les favorise même lorsqu’un colon vit en concubinage avec une femme esclave, sans être marié par ailleurs. Ainsi, cet édit en autorisant le métissage, se révèle-t-il indifférent à la couleur, tout comme l’étaient les colons à cette même époque. En effet, dès le 17ème siècle, les colons qui sont pour la plupart des hommes épousent des femmes africaines. Ainsi, la seconde génération des colons est largement métissée, preuve de leur indifférence à la couleur, en tout cas à cette époque. 1697 : l’Espagne abandonne l’ouest de l’île de Saint-Domingue au roi de France. Cette partie d’Hispaniola devient très rapidement la première productrice de sucre d’Amérique, sous le surnom de « Perle des Antilles ». Entre 1701 et 1810, la Martinique reçoit 258 300 esclaves et la Guadeloupe 237 100. Cet énorme afflux de nouveaux esclaves aux Antilles finit par faire chuter leur prix d'achat par les planteurs de canne à sucre, et augmente très vite la production de sucre. Le prix de cette denrée sur le marché mondial s’abaisse et favorise sa consommation en Europe. 1750 : mais l’épuisement du marché des captifs en Afrique finit par renchérir le prix des esclaves, et conduire les colonies à rechercher d’autres moyens de reproduction de main d’œuvre (« élevage » sur place avec les esclaves nés en Amériques appelés les créoles, recours aux coolies d’Inde, …). En même temps monte un mouvement ségrégationniste des colonisateurs qui différencie les blancs, les « libres de couleur » issus du métissage et souvent colons eux-mêmes, et les esclaves.


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L’abolition de l’esclavage Si les résistances des esclaves se manifestent presque dès leur arrivée aux Amériques au 16ème siècle, les premiers mouvements abolitionnistes dans les pays colonisateurs ne voient le jour qu’à la fin du 18ème siècle dans les colonies anglaises d'Amérique du Nord. Celle de Pennsylvanie est principalement représentée par la communauté protestante des Quakers qui dénonce l'esclavage. 1776 : alors qu'a démarré la guerre d'indépendance, les Quakers interdisent l'esclavage au sein de leur communauté. Puis ils s'efforcent d'étendre leur action aux autres colonies d'Amérique. 1787 : les états du Nord des futurs USA abolissent l'esclavage. Le combat des Quakers se répand en Grande-Bretagne et là se créé la Société britannique pour l'abolition de la traite. Le parlement britannique se saisit du sort des esclaves.

1788 : en France, les événements de la révolution française sont étroitement liés à l'histoire des colonies. Parmi les opposants à la monarchie se trouve la Société des Amis des Noirs fondée en 1788 sur le modèle britannique, et qui sera plus tard présidée par l'Abbé Grégoire. 1789 : après la prise de la Bastille, la déclaration des droits de l'homme et du citoyen est adoptée. Dans les colonies plus que jamais les esclaves aspirent à la liberté, et les libres de couleur à l'égalité. Les révoltes s'organisent. 1791 : en août, la révolte des esclaves de SaintDomingue débute, menée par Toussaint Louverture. 1793 : en août, St-Domingue abolit l’esclavage ; les abolitionnistes battent la coalition colons – Anglais – Espagnols qui s’était formée. Au pied du mur, les commissaires de la République Polverel et Sonthonax envoyés pour rétablir l'ordre, mais aux idées abolitionnistes marquées, libèrent les esclaves en 1793. 1794 : la Convention se soumet à cette décision et élargit l’abolition à toutes les colonies françaises le 4 février. Ce n’est finalement qu’après 150 ans de commerce triangulaire qu’elle abolit l'esclavage dans toutes les colonies françaises, grâce à l’action de la Société des amis des Noirs de l’abbé Grégoire, actif sur ce sujet dès 1789, sur l'exemple de l'affranchissement décrété à Saint-Domingue par Léger-Félicité Sonthonax. Mais en avril le parti esclavagiste livre la Guadeloupe, la Martinique et Ste-Lucie aux Anglais. En juin, Guadeloupe et Guyane se libèrent et abolissent l’esclavage. Toussaint Louverture écrase les Espagnols le même mois, réunit les deux parties d’Hispaniola en 1795, et est nommé général de la République.


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La Martinique, qui vient d'être prise par les Anglais, n'applique pas le décret. En Guadeloupe il est appliqué, mais le travail forcé remplace l'esclavage. La Réunion et l'Île de France (île Maurice) refusent d'appliquer le décret. 1796 : l'Espagne est encore loin de penser à l'abolition. La révolution de Saint-Domingue a profité à l’île voisine de Cuba, qui est en passe de devenir le premier producteur mondial de sucre grâce à l'introduction massive d'esclaves. Les camps de marrons se développent et les autorités coloniales mettent en place un règlement afin de combattre le marronnage. 1799 : après le coup d’état de Bonaparte du 18 brumaire, la nouvelle Constitution qu’il émet réduit le caractère universel de l’abolition de la Convention. 1801 : le 4 février, Toussaint Louverture déclare l’indépendance de StDomingue. Après son échec en Egypte, Bonaparte, à la recherche de voies nouvelles de reconquête d’un empire américain, et à l’écoute des esclavagistes avides de revanche, veut récupérer StDomingue, avec un discours double s’inspirant ouvertement des déclarations de la Convention d’une part, mais demandant secrètement la capture et la déportation de Toussaint Louverture et ses affiliés d’autre part. 1802 : la Guadeloupe est reprise par Richepance en mai après une héroïque résistance organisée par le métis Louis Delgrès. Richepance rétablit l’ancien « Code noir » et l’esclavage en Guadeloupe. En mars, par le traité d’Amiens, l’Angleterre restitue à la France la Martinique, Tobago et Ste-Lucie. En mai, Bonaparte, probablement aussi influencé par les planteurs et l’impératrice Joséphine de Beauharnais issue de cette caste à la Martinique, fait voter des lois qui maintiennent l’esclavage dans ces colonies restituées, reconduisant l’esclavage et la traite des noirs selon « les règlements antérieurs à 1789 ». Il introduit de plus un nouvel ordre raciste en ne reconnaissant la nationalité française qu’aux seuls blancs, excluant donc les métissés. 1803 : malgré la capture de Toussaint Louverture, les envoyés de Bonaparte sont battus à St-Domingue. 1804 : le 1er janvier, Dessalines proclame l’indépendance de St-Domingue sous le nom de Haïti, en hommage aux premiers habitants indiens décimés (los Haïtises). La colonie devient la première république noire.


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1815 : l’année de sa capitulation finale, Napoléon Ier décrète le 29 mars l’abolition de la traite négrière, en application du premier traité de Paris. Après la chute de Napoléon, la monarchie restaurée redonne aux planteurs l'espoir d'un retour à l'ancien régime. On est encore loin de l'abolition, et dans un contexte économique rendu difficile par la concurrence du sucre cubain et du sucre de betterave qui commence à se développer, les conditions de vie des esclaves sont loin de s'améliorer. De plus, malgré l'abolition, la traite continue de façon clandestine. Les mouvements abolitionnistes se développent.

1822 : révolte au Carbet, en Martinique. Des dizaines d'esclaves armés tuent et blessent plusieurs colons avant de s'enfuir. Parmi les 60 esclaves retrouvés par les autorités, une vingtaine auront la tête tranchée. Certaines révoltes se sont transformées en véritables guerres comme la "Baptist war" en Jamaïque en 1831.

1831 : l'Abbé Grégoire meurt avant de voir l'aboutissement de son oeuvre. De vraies mesures sont prises par la France après la révolution de 1830 et l’arrivée de la monarchie de juillet de Louis-Philippe « le roi citoyen ». et par l'Angleterre afin de combattre la traite illégale. 1833 : la Grande-Bretagne abolit l'esclavage dans ses colonies.

1834 : la Société Française pour l'Abolition de l'Esclavage est créée : elle compte parmi ses membres Victor Schoelcher, juste âgé de 30 ans. En Martinique, le libre de couleur Cyrille Bissette, après avoir dénoncé les inégalités entre les libres de couleur et les Blancs se lance dans la lutte contre l'esclavage. Différentes mesures sont prises entre 1834 et 1846 afin d'améliorer les conditions de vie des esclaves : incitation aux affranchissements, interdiction des mutilations, meilleures conditions d'hygiène et instruction des esclaves ... Les châtiments envers les esclaves sont portés en justice, mais cette dernière se montre souvent clémente envers les maîtres.

Les libres de couleur retrouvent leurs droits civils et politiques acquis en 1792 et perdus en 1802. Le gouvernement de la monarchie de juillet est en faveur d'une abolition progressive de l'esclavage.


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Victor Schoelcher Il a commencé sons combat dès 1830, après avoir découvert lors de ses voyages en Amérique et aux Antilles les conditions de vie des esclaves. D'abord partisan d'une libération progressive, il préconise en 1838 leur libération immédiate. Il publie en 1842 "Des colonies françaises, abolition immédiate de l'esclavage", dans lequel il s'adresse aux planteurs, leur affirmant sa volonté d'émanciper les esclaves sans perdre de vue la prospérité des colonies. Il préconise pour cela l'interdiction du sucre de betterave au profit du sucre de canne.

La France subit une crise agricole et financière à partir de 1846. Le roi Louis-Philippe, devenu impopulaire, laisse la place lors de la révolution de 1848 à la Deuxième République, proclamée en février. Un gouvernement provisoire est nommé et Victor Schoelcher obtient le poste de sous-secrétaire d'état à la marine et aux colonies. En Mars 1848 il préside la commission chargée d'abolir l'esclavage dans les colonies.

Abolition de l’esclavage Victor Schoelcher fait signer le décret d'abolition de l'esclavage dans les colonies françaises le 27 avril 1848. Les esclaves ne laissent pas aux commissaires de la République le temps d'arriver, notamment en Guadeloupe et en Martinique. Dans cette dernière, les esclaves se soulèvent. Le 22 mai, des émeutes éclatent à SaintPierre et au Prêcheur en Martinique. Sous la pression, le gouverneur décide dès le lendemain de proclamer le décret d'abolition. Le décret est appliqué en Martinique le 23 mai, et en Guadeloupe le 27 mai 1848. L'esclavage est aboli le 10 août en Guyane, et le 20 décembre 1848 à la Réunion. Près de 250 000 esclaves sont libérés dans les colonies françaises. Seuls les colons reçoivent des indemnités.

L'esclavage ne sera aboli aux Etats-Unis qu'en 1865, et à Cuba en 1886.


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é) L’esclavage (condens

Il faut cependant attendre l'aube du 21e siècle pour voir se développer un travail de mémoire autour de l'esclavage. Le 10 mai 2001, le Parlement Français vote la loi Taubira qui reconnaît l'esclavage comme crime contre l'humanité. La commémoration de l'abolition de l'esclavage est en vigueur depuis 1983 dans les départements d'outre-mer : le 22 mai en Martinique, le 27 mai en Guadeloupe, le 10 juin en Guyane, le 20 décembre à La Réunion, le 27 avril à Mayotte. Petite chronologie des abolitions : Le 29 août 1793 par le conventionnel Léger-Félicité Sonthonax à Saint-Domingue. Le 4 février 1794 sur toutes les colonies de la France par un vote de la Convention. En 1810 par le Chili En 1813 par l'Argentine. Le 29 mars 1815 par Napoléon Ier , lors des Cent-Jours pour l’ensemble de la France et de ses possessions. soit 13 ans après son rétablissement de 1802. En 1821 par la Colombie. En 1829 par le Mexique. Le 2 mars 1833 pour les colonies britanniques. Le 9 octobre 1847 par la Suède à Saint-Barthélemy et le 26 décembre par l'Empire ottoman. Le 27 avril 1848 (troisième abolition) par la France sur les colonies françaises. En 1848 par le Danemark sur leur colonie de l'île Ste Croix (Antilles) En 1863 par les Pays-Bas. Le 18 décembre 1865 dans tous les États-Unis, après la Guerre de Sécession. En 1878 par le Portugal. Le 13 mai 1888 au Brésil. En 1942 par l'Éthiopie. En 1980 en Mauritanie, dernier pays à avoir officiellement aboli l'esclavage.

En mars 2012 27 millions de personnes dans le monde sont considérés comme relevant du statut d’esclave


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