DE SAINT JEAN PIED DE PORT A SAINT JACQUES DE COMPOSTELLE à cheval Le 7 septembre 2010 une dame a confié à ma voisine et à mon épouse l’histoire d’un pèlerinage. Pas n’importe lequel puisqu’il s’agit de celui de Saint Jacques de Compostelle et qu’il se passe à cheval.
La mémoire de : Hélène TROMONT rue de l’Abrivado F-30260 Gailhan
OCTOBRE 1976 L’HABITARELLE LOUIS CHARDON
J’IRAI A SANTIAGO
Tout a commencé au salon du cheval, à Paris, en novembre. J'y avais laissé mon adresse au stand des randonnées sauvages de l'Habitarelle, à Louis Chardon, leur initiateur. En février, j'ai reçu son programme : Auvergne, Vivarais, Haute-Provence, Maroc, Colombie. Et en cette année 1976, Saint Jacques de Compostelle, 12OO Kms à cheval, du 5 au 3I octobre. Une « randonnée » d'une distance exceptionnelle à parcourir, un « pèlerinage », une distance à prendre vis à vis de soi-même et de la vie. Le soir même, une lettre partait. « Monsieur Chardon, je reçois votre programme de 1976. Le projet de pèlerinage à Saint Jacques de Compostelle m'attire. J'ai toujours rêvé, je ne sais pourquoi - des souvenirs d'enfance, une grand-mère qui me désignait la voie lactée comme le « chemin de Saint Jacques », un intérêt curieux d'écolière pour les Jacquets du Moyen-Age, j'ai toujours rêvé d'aller å Santiago par n'importe quel moyen. A cheval ? Pourquoi pas ? Croyezvous que ce soit physiquement possible ? J'ai 47 ans, je monte depuis deux ans seulement et irrégulièrement, je suis loin d'être une bonne cavalière. Mais je jouis d'une excellente santé, je suis solide, résistante à la fatigue, j'ai une nature de plein air. Qu'en pensez-vous ? » Réponse de Louis Chardon : « Madame, merci pour votre lettre reçue hier soir. Votre sincérité ce qui concerne vos capacités équestres vous honore. En toute sincérité, je peux vous assurer que c'est tout à fait possible, sans aucun problème et vous ne serez pas la doyenne, de loin ---La seconde partie du pèlerinage est réservée en priorité à ceux qui firent la première en I971. Le prochain pèlerinage (année compostellane, quand la fête de Saint Jacques, 25 juillet, tombe un dimanche) sera donc sans doute dans cinq ans. » … Il faut comprendre que le voyage est scindé : une première marche emmène les participants, en une quinzaine de jours, du pied français des Pyrénées jusqu'au-delà de Burgos. Là s'arrête leur pèlerinage qu'ils pourront achever dans cinq ans. Comme vont faire les cavaliers de 1971 en rejoignant cette année Louis Chardon à Castrogeriz. Mais on peut, sous réserve du nombre, s'inscrire pour le bout en bout Alors, pourquoi ne faire que la moitié de la route ? Quel crève-cœur d'abandonner à michemin ! Dans cinq ans, où et comment serai-je ?
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Retrouverai-je l'enthousiasme, le même esprit ? Si je tiens le coup les quinze premiers jours, je tiendrai bien jusqu'au bout. J'envoie une autre lettre : « J'en suis. De Saint Jean Pied de Port à Saint Jacques. » Et je me jure deux choses : j'arriverai. Rompue, peut-être, mais j'arriverai. Et personne ne fera les frais de mon inconscience si c'en est une. Une randonnée, d'ailleurs, cela se prépare. A monter à cheval, on s'entraine. Les richesses du chemin, du « Camino », on s’y initie, il y a de merveilleux livres sur le sujet. Et l'espagnol, appris autrefois et oublié, on s'y remet. Vive Assimil ! Lectura Primera : Alberto va à Paris ! Iré à Santiago ! Avec les randonnées « sauvages » ! ? de l'Habitarelle, avec Louis Chardon. L'animateur, le responsable, le chef, pendant un mois de la vie d'un petit groupe de seize personnes et seize chevaux, qui est-il ? Ses lettres sont d'un ton direct, chaleureux. Comment est l'homme ? Je suis allée le voir chez lui, è l'Habitarelle, en Lozère. Il rentrait d'une randonnée dans la Margeride pour repartir sur les Causses. J'espérais pouvoir lui parler un quart d'heure, ma liste de questions en mains. J'y suis restée toute la journée... Et nous avons eu le temps d'échanger dix phrases parce que je l'ai accompagné en voiture de la boulangerie à la forge de Châteauneuf de Randon. Mais, avec des randonneurs de la veille, restés sur place, d'autres déjà là pour le lendemain, j'ai garni des musettes amorcé une pompe, (les puits sont bas dans les Causses), ramené des chevaux d'un pâturage et mené d'autres chevaux dans un autre,(quelle cavalerie !) tenu quelques paires d'antérieurs à ferrer, repeint à l'antirouille l'arçon d'une selle et, finalement, trempée jusqu'aux os sous le brusque début d'orage, lancé à la volée, en courant, des bottes de foin de 25 Kg sur la plate-forme du tracteur où Chardon avait sauté en criant quand il avait vu que son beau foin allait se perdre. J'avais compris. Vu. Pour Saint-Jacques, ça ira. J'avais demandé : le groupe, c'est comment ? quel « mélange », hommes, femmes ? « Majorité de femmes. Pas seulement pour Saint Jacques. Toujours en randonnée. » Y avait-il vraiment dans la réponse cette nuance de dépit un peu agacé que j'ai cru y discerner ?
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LES SIGNES
C'est l'écrivain Louis Pauwels qui « rêve d'écrire un roman où toutes les rencontres que fait un homme dans son existence, fugaces ou marquantes, amenées par ce que nous appelons le hasard ou dessineraient des figures, exprimeraient des rythmes, seraient sont peut-être : un discours savamment construit adressé son accomplissement, et dont celle-ci ne saisit, au long quelques mots sans suite. » Il ne s'agit pas de l'accomplissement de mon âme. Encore que… Mais de l'accomplissement d'un rêve. Maintenant qu'il se concrétise, apparaît évidente la suite ininterrompue de petits signes qu'il m’a faits pour ne pas se laisser oublier. Je devais être très petite encore. Ma grand-mère qui a illuminé mon enfance me montrait la voie lactée, me disant dans son patois : « c'est l'tchimin d’ Saint Jacques ». Je le sais parce que, cachée dans l'herbe tout au bout du pré, fouillant les extrémités confuses de l'horizon, je suivais pendant des soirées, du début à la fin, ce chemin laiteux tenant trop de place dans le ciel pour qu'aucun œil puisse s'y méprendre J'ai repris la route plus tard, dans les livres d'histoire, enthousiasmée, apitoyée, admirant, plaignant les pèlerins du Moyen-Age, peinant et chantant avec eux sur le chemin terrestre. Puis j'ai voyagé. Surtout en France, parce que toutes les passions du voyageur y sont comblées. Pourquoi ai-je retenu un éblouissement plusieurs fois retrouvé : Vézelay, sur sa colline, Vézelay d'où sont partis tant de pèlerinages ! Pourquoi, visitant les châteaux de la Loire je m’arrêtée à Cléry. Ce n'est pas un château, justement, c'est une basilique où un Saint-Jacques pèlerin, pour moi le plus beau, en bois polychrome, vous attire, vous retient, vous fascine par un regard d'une étrange acuité. Il y a, entre Auvergne et Cévennes, en lisière du Massif central, une région que j'aime plus que beaucoup d'autres pour sa solitude, ses immenses horizons, ses pâturages très verts et les calmes vaches aux longs cils qui y paissent, c'est l'Aubrac. La Dômerie d'Aubrac existe toujours, qui était autrefois relais sur la Via Podensia, entre le Puy et Sainte Foy de Conques. J'ai découvert, coup de cœur, regard de l'âme, dans un petit village du Gard, la maison des vacances qui, au fil de la vie, est devenue la maison tout court. A mi-distance entre SaintGilles, près d'Arles et Saint Guilhem le Désert. Deux églises, deux haltes sur la via Tolosana qu’empruntaient les pèlerins du Sud, ceux qui venaient par Marseille
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De l'Orient et d'Italie, et s'accordaient parfois le détour par les Saintes Maries en Camargue. Et là, tout près, en voisine, l'émouvante petite chapelle Saint Julien de Montredon, dans son site d'une harmonie, d'une sérénité tout classique était, elle aussi un relais pour les pèlerins qui gagnaient Saint Guilhem. Elle a le même âge que le pèlerinage. Elle est citée explicitement dans un testament de, 815, le document le plus ancien des archives du Gard. XXX
Louis Chardon
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TO TALK OR NOT TO TALK J'ai passé l'été dans la maison des vacances. J'ai revu Saint-Gilles et Saint Guilhem et aussi Saint Julien. J'ai eu le temps de lire, passionnément intéressée, l'historique du pèlerinage, ses itinéraires, la création et le peuplement du Camino françès que nous allons suivre, de faire l'inventaire des merveilles, architecture et sculpture, qu'il va nous offrir, de découvrir son rôle et ses interférences, de me préparer à la réflexion, la méditation, au silence, au regard intérieur que traduit si fidèlement l'art roman, tout cela qu'ensemble nous allons tenter de retrouver au rythme des chevaux. J'ai pu monter, souvent. Un très sympathique viticulteur voisin possède quelques camarguais, ses enfants mènent les promenades, c'est amical, familial. Les circuits sont variés, les difficultés diverses, Différents aussi les défauts et les qualités des quatre ou cinq petits chevaux que j'essaie l'un après l'autre. On me réservera, non sans malice, une selle de randonnée plus étroite, plus légère que le confortable fauteuil des gardians. Et de sept heures (d’été) à neuf heures, grimpant, descendant, sautant les fossés, traversant les rivières, avec infiniment de plaisir et sans problèmes mal placés, je prends confiance. Peut-être, après tout, que je peux tenir à cheval Une lettre de Louis Chardon m'apporte un maximum de renseignements pratiques et la liste des participants aux deux marches ; pour chacune, quatre hommes, douze femmes ! Tiens, tiens ! Je n'aurais pas imaginé une aussi écrasante majorité. Il faudra essayer de savoir pourquoi. Temps ? Liberté ? ou simplement amour du cheval ? Pour l'équipement, je suis on ne peut mieux placée dans ce pays de cavaliers. Elle est vraiment faite pour vivre à cheval la culotte du gardian, souple, moelleuse, (presque) inusable, coutures fines, il y a de la place pour les fesses, pour les cuisses, rondes ou plates. Les bottes gardianes ? A cheval, oui. A pied, et nous marcherons beaucoup, j'en suis moins convaincue. Je verrai après rodage si je les emporte. Car il n'est pas question de trimballer avec soi du superflu. Les instructions sont formelles : 10 kg de bagages, maximum. Les sacs seront pesés et le surplus laissé sur place où, dit apparemment sans rire Louis Chardon, « vous pourrez venir le récupérer ». Un joli motif pour revenir visiter Saint Jean Pied de Port ou Castrogeriz. A la rentrée, il faut prévoir assurances et réservation pour le départ en train, adresses où le courrier pourra suivre, laisser une maison en ordre et de l'approvisionnement pour deux grands garçons et un chien qui vont vivre leur vie tout seuls. Maman part en pèlerinage !
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L'Eglise n'a pas toujours montré l'enthousiasme persuasif du Moyen-Age vis à vis des pèlerins. Le Réforme sera hostile au « merveilleux »: qui beaucoup pérégrine, bien peu se sanctifie ! » ait l' Imitation de Jésus-Christ. Et elle a raison. A preuve cette histoire vraie que m'a racontée un adorable vert et vieil ami, en réponse à l'annonce de mon projet. Il fait le voyage à Lourdes, en compagnie de son épouse. « Dans le train, je suis un peu navigueur. Je me promène dans le couloir. Je rencontre une dame seule. Son mari refuse de voyager (!) Elle s'ennuyait. On a parlé. On s'est bien compris. On a convenu de se revoir à Lourdes et on s'est revu. Une très gentille dame. « Et il termine, l'œil rêveur : » une bien belle femme ! » Et voilà ! Entre le Chez nous soyez Reine et le « Magnificat » c'est Sainte Marie, mère de Dieu, priez pour nous pauvres pêcheurs. Merci l'ami pour la jolie - et malicieuse - histoire. Parce que les réactions de l'entourage, il faut une certaine santé pour les accepter sereinement. - Tu as toujours été un peu dingue.
Passons.
- Et si tu tombes ?
Crâne : je me relèverai.
- Et si tu deviens malade ?
Superbe : je ne le suis jamais.
- Avec qui pars - tu ?
Avec moi-même, ce qui n'est déjà pas mal
- Pauvre cheval !
Comme c'est facile.
Heureusement il y a ceux qui comprennent, qui s'enthousiasment, dont l'œil se perd déjà dans des visions d'espace. Ceux qui partagent : « quelle merveilleuse chance » ! Quelle expérience ! Veux-tu un duvet bien chaud ? As-tu de bonnes chaussures ? Il y a le voisin qui a fait - il y a très longtemps - son service militaire dans la cavalerie et qui prodigue en toute simplicité des conseils judicieux, anatomiquement précis. J'écoute avec une attention hypocrite le monsieur-très-sérieux-très pris-par-ses-affaires, allergique aux rêveurs, aux farfelus-avec-qui-on-ne-va-nulle-part. Merci. Je veux aller très loin. Et de calculer le kilométrage ; la moyenne journalière, de diviser par le nombre de minutes qu'il a, lui, passées (péniblement) à cheval, de multiplier par les jours de courbatures qu'elles lui on valus et de conclure, heureusement dans un grand rire, « ne me parle pas de me répondre quand tu reviendras de Saint Jacques de Compostelle, tu n'arriveras jamais à Saint Jacques de Compostelle ! » Et le chœur :" du talc; As-tu ton talc ? To talk or not talk? Talquez, talquez, il en restera toujours quelque chose Talque toi, la selle t'aidera ! J'ai oublié les meilleures. Mais j'ai emporté du talc. XXX
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LA BLEUE VENDREDI 1ER OCTOBRE. SAINT JEAN PIED DE PORT.
C'est ainsi que le vendredi 1er octobre, ayant pris un jour d'avance pour ne pas sauter du train en selle, je vois se lever le jour, entre de gros nuages noirs, en sortant de la gare de Bayonne. A toujours voyager en voiture, on oublie le charme de petites places de la gare, en province. Vieillottes, en demi-lune, où le café des touristes répond à l'hôtel des voyageurs. Celleci est lavée, lustrée, luisante des averses de la nuit. Je prends le tortillard, Bayonne - Saint Jean et découvre le Pays basque, très frais, très vert, le long de la Nive écumante qui dévale sur les rochers, entre l'or roux des carrés de fougères sèches, l'or blond des lignes de bouleaux, la pourpre de quelques arpents de vignes. Les maisons sont toutes blanches, d'un blanc lumineux, avec des tuiles et des volets d'un même rouge brun, profond. J'aime. C'est vif. Il doit y faire bon vivre. On voudrait parfois de certains jours qu'ils aient 48 heures. Celui-ci me les a offertes : le train, l'hôtel, la douche bien chaude, prolongée, - peut-être la dernière avant longtemps - et puis, en route, à la recherche du point de ralliement, au Chêne du Soult, à 5Km de Saint Jean. Dès les premiers pas, et non sans émotion, non sans exaltation, je l'avoue, j'endosse mon manteau de pèlerin. Au bord de la route, un grand panneau marqué de la coquille indique : « Chemin de Saint Jacques de Compostelle». Encore aujourd'hui ! Il fait doux. Le temps gris, avec de brusques ensoleillements va bien à ces montagnes basses, sombres. Les prés proches sont vert clair. Les vaches ont de merveilleuses cornes en forme de lyre. Des petits chevaux à longue queue et longue crinière se promènent, libres, le long du chemin. Et les moutons ! Ah, les moutons, ils ont une toison blanche, longue, mousseuse, foisonnante ! Je n'ai rien trouvé, ni personne sous le chêne du Soult. Mais en chemin, j'ai croisé Geneviève, conduisant la 204 qui va assurer pour moitié notre intendance. Les chevaux ne sont pas encore arrivés. Ils viennent en camion, depuis la Lozère. Je redescends vers la ville. Trois plus trois égalent six kilomètres. Et je les referai l'après-midi Dans Saint Jean Pied de Port – au pied du Port ou Col de Roncevaux - Louis Chardon qui attend ses chevaux, non sans inquiétude, est partout à la fois et semble connaître tout le monde. Je le retrouve chez une dame gentiment érudite, responsable des Etudes Compostellanes. Actualité du pèlerinage. Tout en haut des remparts de la vieille ville, c'est la porte par où entraient les pèlerins qui descendaient la vertigineuse et étroite rue de la Citadelle pour sortir de la porte d’Espagne et continuer comme nous le ferons, par la route de Napoléon.
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1510 - 1531 - 1584 - Les dates incrustées dans la pierre des façades témoignage de l'âge des maisons, fort belles. Bois, briques en arêtes, linteaux ciselés d'inscriptions en Basque, de symboles religieux, avant toit débordants, étages en encorbellement, c'est, scrupuleusement restaurée, la belle construction de la fin du Moyen-Age. Dans ce cadre, les gens parlent une langue sonore, rugueuse, incompréhensible, si loin du français. On se sent dépaysé, ailleurs et autrefois. Je retourne vers l'hôtel, car je suis embauchée pour un relais téléphone. Je n'ai pas le temps d'y arriver. De grands moulinets de bras, une voix de montagnard qui traverse la place : les chevaux sont là ! On remonte au campement. Eh oui ! les chevaux sont la ! Mais le voyage en camion, prolongé par des pépins techniques, les a bien abîmés. Ils sont raides, ankylosés, abrutis. Genoux gonflés, croupes blessées, mises à nu par le frottement, queues érodées, ils ne sont pas beaux à voir les si beaux arabes de l’Habitarelle. Allez ! au boulot ! On va les requinquer. D'abord, l'herbe de la pâture, cordialement prêtée par un fermier, l'eau claire, pure, la musette reconstituante, même s'ils la boudent un peu. Et le bouchon prudemment manié leur redonne déjà du lustre. Et puis, il y a Dominique, le petit Doc. Dominique est venue avec les chevaux depuis la Lozère. Elle ira jusqu'à Saint Jacques. Elle est très jeune, toute petite, toute menue, mais elle a terminé la médecine, elle exerce. Ce qu'elle peut pour les humains, elle le peut aussi pour Mistral, Fad'da, P'tit Gars, Maha. Elle palpe, masse, plie et déplie. Ses mains douces, précises, effleurent, caressent, entourent, compriment. Ce serait un plaisir de regarder ses mains s'il n'y avait dessous un membre gourd, un pauvre cheval douloureux. Nous en serons quittes pour retarder d'un jour le départ, les chevaux reposés, il n'y paraîtra plus. Il fait nuit quand je redescends à l'hôtel. Une nuit claire, étoilée, sereine, une impression de paix, de plénitude, qui vient de cette nuit, de la montagne aux dimensions encore humaines, de ces heures si remplies depuis le petit matin. Je me répète une fois de plus ces quelques phrases par lesquelles Louis Chardon a défini ce que nous allons entreprendre : « pourquoi ne pas emboiter le pas aux millions de pèlerins qui, depuis le Moyen-Age ont creusé dans les roches et les limons de France et d'Espagne ce « Camino francès » en quête de l'étoile mystérieuse qui brille sur un champ perdu du bout du monde ? Campus stellae, le champ de l'étoile et le tombeau de Saint Jacques. L'important, c'est de se mettre en route, de couper les ponts.
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Cette vérité, cette paix que l'on cherche confusément, peut-être la trouverons nous, non pas nécessairement là, à Santiago, mais plus sûrement quelque part en chemin...... Nous avons tous besoin de temps de réflexion pour réajuster nos valeurs ou pour renaître et le cheminement dans l'espace favorise le cheminement de la pensée. Le temps dévore l'espace car nous avons perdu le sens de l’immuable. Retrouve : au rythme du cheval, les dimensions humaines de l'espace, c'est se mettre sur la voie de l’immuable, c'est découvrir que l'étoile mystérieuse qui brille là-bas, au loin, à Santiago, vit, enfouie mais immortelle au plus profond de nous-même. C'est cette dimension que nous voulons ajouter à l'exceptionnelle randonnée que sera le pèlerinage à Saint-Jacques de Compostelle… » Je m'assieds à table. La serveuse me glisse : « une dame vous a demandée. Elle dîne là. » Présentation réciproque. C'est Simone. Momone pour les cavaliers. C'est une habituée de l'Habitarelle, treize ans qu'elle y passe ses vacances. Elle est allée au Maroc l'an dernier. Elle aussi ira jusqu'à Santiago. Momone m'affranchit un peu. Car je viens d'apprendre en donnant à boire aux chevaux (c’est tout ce que je peux faire) que je suis la bleue, aussi bleue qu'on puisse être bleue, la seul, bleue, la seul à n'avoir jamais fait aucune randonnée !
Les chevaux à l’Habitarelle XXX
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LE CHENE DU SOULT SAMEDI 2 OCTOBRE
A neuf heures ce matin, soleil et ciel bleu, les cavaliers pèlerins débarquent à la gare de Saint Jean. Nous les accueillons. Nous, c'est Louis Chardon, Geneviève, Domino, Momone et moi. Pas les chevaux, comme c'était prévu. Personne parmi les arrivants ne semble s'affecter de ce contretemps. Chacun n'a amené que sa bonne humeur en plus des dix kilos de bagages. Les sacs ne sont pas pesés, bien sûr, fort heureusement pour le mien ! On se regarde : qui est Madame Julien, qui est Don Pedro, qui sont Yves et Anne, qui sont les deux Hollandaises ? Il y a une autre Dominique. Bon ! En voiture, vers le campement. On fera connaissance là-haut. Don Pédro ! J'ai envie de rire. Car la voilà, la réponse à mon interrogation : Don Pedro, ou Dom Pedro. Annoncé comme notre « bourdon », notre guide, notre Aymeric Picaud, était-il Espagnol, Grand d'Espagne, ou Cistercien, ou Bénédictin ? Il n'est pas Espagnol, ni Grand d'Espagne bien qu'il en ait l'allure, très chic en manteau clair, l'œil sombre et le sourcil généreux sous le feutre à larges bords. Il n'est pas cistercien non plus et ne semble guère avoir eu jamais la tentation de l'être. Sinon chez les Cisterciennes, avance Louis Chardon. La petite dame aux cheveux gris - c'est vrai, je ne suis pas la doyenne - vive, active, bavarde, n'est pas Anglaise, mais élevée en Albion en a gardé la nostalgie. Ce sera Victoria ! Les deux Hollandaises sont toutes petites Anja en mince, Marijke en ronde. La Bretonne a apporté des crêpes. Il y a Monique, l'allure décidée, André, l'air plein d'expérience, Claude, de sagesse ? Yves serait-il un peu poète derrière la fumée de sa pipe, Anne, sa femme, toute douce. Et Florence et François, et l'autre Dominique qui est aussi la quatrième à faire « de bout en bout » comme nous disons pour qui va jusqu'à Santiago. Ensemble, nous prenons le premier petit-déjeuner, au campement installé dans la cour d'une petite ferme. Les chevaux pâturent en face. Louis Chardon a allumé un grand feu de bois sur lequel les garçons posent l'immense trépied avec sa grille bien suspendue à des solides crochets. Déjà l'eau bout dans les marmites. Voilà le café ! C'est du soluble. Je déteste ça, j'y suis vouée pour un mois, n'en parlons plus. Il y a du thé, du sucre, des confitures. Qui veut des œufs ? A la coque, en omelette ? Il y a une demi-heure qu'ils sont arrivés... On dirait qu'ils ont passé leur vie à se confectionner de solides petits-déjeuners de randonneurs. Moi, je me perds dans les cantines, les casseroles, les boites et les quarts émaillés, bleus, rouge, noirs…
Geneviève
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Les choses étant ce qu'elles sont - Domino soigne toujours les chevaux, les genoux désenflent, les plaies cicatrisent, l'appétit revient – les choses étant ce qu'elles sont, nous partirons seulement demain. Attribution à chacun et chacune de son cheval. Momone m'avait demandé hier soir s'il y avait un petit cheval noir, pas très « élégant », pas comme les autres, mais... Oui, j'avais vu. Pour Momone, P'tit Gars, c'est son copain et bien plus. Ils ont tant de kilomètres, de paysages, de jours de vie commune. A François, Nickel, le cheval blanc. A André, Quêteuse, une grande jument baie. A Domino, El Kébir, mi-poney, mi-arabe, à la taille de sa cavalière. Je suis confiée à Maha (cheval en Chinois ) la jument truite, haute et ronde, calme, de bonne expérience : elle a déjà fait Saint-Jacques en 1971. Il manque un cheval. Rhapsodie a été trop abîmée et ne peut partir. On avisera demain. L'un de nous commencera son pèlerinage à pied ou en 204. L'autre voiture, la 404, est réservée aux bagages, à l'orge qui trempe dans deux grands bacs, aux cantines, au matériel. A propos de matériel, il faut ferrer les chevaux. C'est un grand Basque, protégé par le tablier de cuir traditionnel, qui manie le maillet et la rappe pendant que l'un tient le pied, un autre la tête. On ferre à froid. Sans attacher. Nous ne sommes pas tous utiles, répartissons-nous les corvées qui nous resterons attribuées pendant toute la marche. Musette et eau pour les chevaux, clôture électrique à tendre à l'étape, couture... Qui veut être bourrelier-sellier ? Un métier qui se perdait et qui se retrouve. Ramassage du bois et allumage du feu de bivouac... Je laisse venir, consciente de mon expérience - zéro. Et me voilà promue chef ! A la cuisine s'entend. Là, ça ira. J'en connais un bout. Au travail tout de suite : côtelettes, tomates, salade. Attention à la salade : tout cuisinier (e) en randonnée est tenu de savoir que l'autre chef, celui que Pedro a déjà rebaptisé le Jefe, en l'occurrence Louis Chardon, ne supporte pas l'oignon crin. A retenir pendant un mois et pour la vie, si on veut revoir l'Habitarelle ! Puis fromages, fruits, vin à volonté... Je pars tout de même dans l'inconnu. Il faudra apprendre vite. A l'étape de chaque soir, je confierai Maha à d'autres mains, j'irai faire l'inventaire des cantines, et pendant que le bois se ramasse, que le feu s'allume, j'éplucherai, découperai, puis je surveillerai les cuissons hasardeuses d'un repas substantiel pour ... Ies personnes. Avec l'aide bienveillante et intéressée de tous, une fois terminées les différentes corvées. Est-ce le vin sous le soleil ? Nous ne nous connaissions pas, pour la plupart, ce matin, et déjà nous sommes une équipe, déjà nous avons pris ou retrouvé le ton simple, naturel de la randonnée sauvage. C’est excellent, cette journée sur place pour se découvrir. Don Pedro et Victoria ironisent sur les avantages de la carte vermeil- Je m'informe : c'est 50% de réduction. Je m’informe : c’est 30% de réduction sur les transports en commun. Chez Chardon aussi, glisse André, sûr de son succès. Nany raconte sa Bretagne, qu’elle aime temps l’hiver, sans les touristes.
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Yves tire voluptueusement sur sa pipe. Et Don Pedro parle, parle : livres, films, acteurs d'hier et d'aujourd'hui, voyages, Egypte, Mexique ... Avec manteau, chapeau et cigarillo devant le feu qui l'éclaire par en dessous, il appelle d'autres images : certains tableaux en clair-obscur, les Indiens fumant le calumet... Je pense aux milliers d'autres pèlerins, ceux du Moyen-Age, qui devaient s'asseoir comme nous, autour d'un feu, quelque part sur le chemin et se raconter les miracles de l'Apôtre, ses bontés, ses exploits, partager leur foi et leurs angoisses, leur ferveur et leurs misères, s'avertir aussi du danger de telle eau, de l'insécurité de tel chemin, de la généreuse hospitalité de tel monastère. Nous aussi, parce que la nuit est étoilée, l'esprit du pèlerin nous habite. A la lueur de sa torche, Claude nous lit un aperçu de l'itinéraire de demain. Chacun y rêve en allant se coucher sous sa tente ou se glisser dans son duvet, sur la paille de la grange. J'ai placé le mien tout près de la porte qui restera ouverte. Eveillée tôt, je verrai pâlir les étoiles de ma première nuit de bivouac. XXX
Il faut détendre les chevaux, les confronter, libres, au chemin avant de leur imposer le poids du cavalier.
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QU'EST CE QUE JE FAIS LA ? DIMANCHE 3 OCTOBRE : SAINT JEAN PIED DE PORT - RONCESVALES (COLEGIATA)
C'est le départ. Le premier départ. La première étape. La première fois que nous accomplissons ces gestes qui vont nous devenir familiers, pendant quinze ou trente jours. Victoria et Momone, tôt levées, ont préparé les musettes d'orge trempé, les ont distribuées aux chevaux. André et Claude ont coupé le bois, allumé le feu, fait chauffer l'eau pour le café et la vaisselle. (la veillée, le soir) est trop précieuse, pour qu'on l'écourte pour cette besogne). Les sacs, les duvets glissés dans une bâche imperméable, sont rassemblés près de la 404 que François et Yves vont charger : travail de précision, chaque pouce d'espace est utilisé. Et comme il fait beau, que l'eau coule fraîche, claire à l'abreuvoir, faire sa toilette est un plaisir que chacun s'offre dans le plus grand naturel. Distribution des selles et des rênes, marquées au nom du cheval. Avant de seller, bouchonnage soigneux, vigoureux. C'est une franche, cordiale prise de contact cavalier monture. Maha apprécie. Je n'ai jamais sellé un cheval. Momone m'aide, sangles croisées devant pour moi, derrière pour toi, m'aide à placer le filet, fixer la longe dont nous aurons besoin en route pour attacher le cheval. Quinze chevaux sont prêts, peut-être moins impatients de partir que d'habitude, parce qu’encore un peu meurtris. Quinze pèlerins - plus un - attendent le signal de sauter en selle, pour la grande aventure. Eh bien non ! On part à pied, devant les quelques habitants du hameau, désappointés. Au revoir ! Merci ! Merci pour l'herbe, pour la paille, pour l'eau, pour l'accueil, pour la gentillesse. Il faut détendre les chevaux, les confronter, libres, au chemin avant de leur imposer le poids du cavalier. Je tiens Maha par les rênes, comme tous les autres autour de moi. Brusquement je me sens seule. Submergée, j'ai envie de me serrer contre ma jument. Je me vois avec des yeux neufs, comme dessillés, comme si tout jusqu'à maintenant avait été un jeu, une pièce de théâtre qu'on répète en s'amusant beaucoup. Je marche sur ce chemin qui monte, déjà raide sous le soleil déjà chaud. Qu'est-ce que je fais là ? Bon Dieu, qu'est-ce que je fais là ? Je vais à Saint Jacques de Compostelle. Qu'est-ce que cela veut dire ? Jacques était l'un des douze apôtres, le frère de Jean, le fils de Zébédée. Il aurait évangélisé la Galice, province perdue à la pointe ouest de l'Espagne, « finis terrae », puis serait retourné en Judée où il a été martyrisé. Son corps embarqué par quelques fidèles aurait miraculeusement rejoint les côtes galiciennes où il aurait été enterré. Ce n'est qu'au début du 9ème siècle, que la présence insolite et insistante d'une étoile amène un ermite à découvrir le tombeau, attribué alors par la foi populaire à l'apôtre.
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Alors que l'Espagne, aidée par les princes chrétiens d'Occident tente de secouer l'occupation maure, que Charlemagne et Roland - nous serons ce soir à Roncevaux - tissent leur légende, Saint Jacques, cavalier merveilleux, apparaît étincelant, en pleine bataille et massacre les Musulmans. L'Eglise est influente, toute puissante. Le peuple naïf est crédule, enthousiaste, débordant de foi. Les reliques mènent le monde chrétien. Le tombeau de Saint Jacques devient, avant Rome, avant Jérusalem, le premier pèlerinage de la chrétienté. C'est tout. Mais il le reste pendant tout le Moyen-Age, pour les quelques 300 OOO pèlerins annuels qui creusent le « Camino » dans les rochers et les limons de France et d'Espagne, comme le dit Chardon. Alors pour moi, en moi, les choses redeviennent simples, évidentes. Ce n'est pas nécessairement le tombeau présumé d'un saint apôtre qui justifie notre marche. C'est la marche elle-même, c'est le chemin pour le chemin, l'effort, la peine, la sueur, les rêves, les chants, la foi - la foi en quoi ? - des Louis, des André, des Monique ayant laissé leur vie derrière eux pour partir sur ce chemin, à la quête d'autre chose, démarche physique, concrète, au service de la démarche de l'esprit. Compostelle n'est qu'au bout. Je ne sais pas comment les autres ont ressenti ce départ où j'ai eu peur, un instant, tout à coup, de m'être fourvoyée. C’est que ça monte dans les Basses - Pyrénées ! Heureusement : « En selle »! Merci Maha. Je peux maintenant admirer à loisir un paysage grandiose. Les montagnes sont vertes, grises et rousses de l'automne. Près 9 de nous, des moutons sur des pentes rocailleuses, des chevaux en liberté qui, étonnés, regardent passer les nôtres. Je ne porte qu'une chemise légère, le vent souffle, tonique, vivifiant. J'ai l'impression exaltante d'être traversée, lavée de part en part. Je respire. Griserie, luxe, de respirer à pleins poumons. Louis Chardon a cédé Ecume, sa jolie jument alezane aux crins lavés à Anja, qui sportivement avait tout monté à pied ! C'est lui qui nous ouvre la porte de l'Espagne : une barrière de fils barbelés refermer soigneusement derrière nous. C'est dimanche. Les formalités douanières pour les chevaux ont été accomplies hier. Nous sommes en règle. Mais néanmoins signalés ! Au détour d'un sentier, deux carabineros en uniforme. Une fraction de seconde un frisson me secoue ; l'uniforme - feldgrau, la casquette à visière et l'air d'attendre, fusil à l'épaule....
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Le paysage change. Nous traversons un sous-bois de hêtres secs, gris, déplumés. L'endroit est idéal pour le casse-croûte. Faisons passer «nos» musettes et les gourdes. C'est bon. C'est le coup de fouet qu'il fallait pour monter à l'assaut d'une nouvelle côte au sommet de laquelle nous attend la récompense : vu du col d'lbañeta, le site de Roncevaux. L'hôpital de Roland est le plus souvent décrit comme une masse grise, sombre, sinistre, suintante d'humidité. Il pleut beaucoup, en effet, sur ce versant. Mais aujourd'hui le soleil fait briller les toits gris et tire des étincelles de tout le jaune et l'or de la forêt qui les enserre. C'est vrai que l'examen détaillé de l'architecture de la collégiale, des chapelles, du séminaire voisin font regretter les restaurations successives dont ils ont été l'objet. Mais toute cette pierre dans son écrin de verdure n'est pas sans grandeur. Et le merveilleux l'habite. C'est ici que Roland sonna de l'olifant à s'en faire éclater les veines, c'est ici que voulant briser son épée pour qu'elle ne tombe pas aux mains des Sarrazins, il fendit plutôt de haut en bas l'énorme rocher que l'on voit encore. Roncevaux ! Défaite et cependant haut lieu de la gloire de Charlemagne. Pour nous, c'est la descente à travers ajoncs et bruyères, coupant et recoupant la route qui sinue, tout droit vers la rivière où Geneviève et Don Pedro ont installé le campement. Il est à peine cinq heures. Les chevaux dessellés sont menés dans le grand pré au bord de l'eau, cerné par le fil électrique. Pour les musettes, le feu, le repas, on a le temps. Mais ce qui est fait est fait, je vais laver la salade à la rivière, salade en amont, pieds en aval. Pedro passe son premier examen de « bourdon » avec la mention très bien. Il a vu le supérieur, il a la clé du séminaire, vide en ce moment. Nous pourrons donc loger « dedans » ce soir. Mais, mais Geneviève se fait tirer l'oreille pour conduire la camionnette avec nos sacs jusqu'à l'entrée de nos appartements ! Les randonnées « sauvages » doivent le rester. Et on annonce la pluie. Louis Chardon a-t-il vu quelques traits tirés parmi les cavaliers, cavalières au soir de cette première journée assez rude ? C'est lui qui véhicule duvets et bagages. Les chanoines de Saint Augustin ont une réputation justifiée de gentillesse inlassable. Le prieur est un vieil homme charmant qui se soucie de nous, de nos chevaux, de notre entreprise qui l'émerveille. Il offre à chacun une image pieuse. Et nous fait voir le Trésor de Roncevaux : peintures flamandes du 15è siècle, orfèvreries, le fameux échiquier de Charlemagne, ivoire et émaux bleus où chaque case est en fait un reliquaire, œuvre du 14ème siècle exécutée à Montpellier. On voit encore les lourdes masses d'armes d'Olivier et Roland et les pantoufles de l'évêque Turpin- « Elles sont authentiques » nous certifie notre malicieux guide. « Quand le digne prélat a vu que le sort de la bataille était funeste aux barons francs, il s'est enfui à toutes jambes et il a perdu ses mules... »! Un autre objet superbe est une couverture d'évangéliaire, en argent et or repoussés, représentant d'une part le Christ en majesté entre les symboles des quatre évangélistes, et d'autre part la crucifixion. Les rois de Navarre prêtaient serment sur cet évangéliaire lors de leur sacre. L'histoire des rois de Navarre et avec elle celle de l'Espagne nous est racontée à la veillée par un Don Pedro décidément incollable sur n'importe quel terrain. Il nous fascine. Même si le sommeil nous gagne. Et c'est lui qui a la clef du séminaire. XXX
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PELIGRO C' EST PELIGRO ! LUNDI 4 OCTOBRE : RONCESVALES - ZUBIRI
« C'est un peu tard pour se lever ! les chevaux se sont réveillés avant vous ! Ils auront attendu leurs musettes ce matin ! » Le ciel est gris, le Jefe aurait-il l'humeur grise ? ? ? Il a bien plu la nuit. Sous un ciel bas où s'ouvrent heureusement quelques éclaircies, c'est vrai que Roncevaux peut paraître maussade. Le prieur, lui, est toujours aussi aimable, attentionné. Nous avons regroupé les chevaux, sellés, sur la route devant les grilles du monastère et, du haut de la terrasse, il nous fait de grands gestes d'adieu. Direction : Burguete. A trois kilomètres du site de Roncevaux, c'est un village clair, gai, toutes les fenêtres fleuries... et garnies de têtes. On nous fait des signes d'amitié. Nous ne savons pas encore que pendant trente jours et plus de mille kilomètres, la même gentillesse, la même connivence salueront notre passage, que, déjà ici, à cette distance, dans ce village où la rue principale se confond avec l'ancien chemin des pèlerins, ces gens qui nous regardent passer savent où nous allons et que leur âme nous accompagne. Le Camino, merci Monsieur Saint Jacques, n'est pas la grand-route. Il file à travers les prés, quelques taillis, des champs où les paysans arrachent les pommes de terre à la fourche, en famille. André et Yves, jouant les importants mais pas encore tellement rodés consultent la carte et un petit livre que Chardon leur a confié, sans le quitter de l'œil. Il sera précieux, le petit bouquin. Ça y est, il pleut ! A seaux ! Pied à terre. On enfile la tenue réglementaire : veste et pantalon cirés. Comme j'ai beaucoup de peine à monter en selle, trop de poids et trop peu de souplesse, j'« oublie » délibérément le pantalon, certaine que ne n'arriverai jamais, ainsi accoutrée, à faire l'écart. La pluie n'empêche pas de réussir quelques courts galops dans le sousbois. Les chevaux jubilent. Nous aussi. Rien de tel qu'un joli galop contre l'ennui de la pluie. A midi, Don Pedro nous attend au col - ici, on dit alto - de Erro, pour le casse-croûte. Le bourdon est rayonnant, il nous a trouvé et préparé pour ce soir un campement grand confort. Louis Chardon, lui, va tenter de trouver un cheval près de Pampelune. C'est que nous sommes toujours, « un homme de trop », une femme plutôt à douze contre quatre. Il ne reste que quelques kilomètres à parcourir, par un sentier ce chèvres où affleurent les schistes et où nous prenons la file indienne. Idéal ! Sauf que devant nous, se dresse une haute barrière, solidement fermée par du fil barbelé. Qu’à cela ne tienne : la sacoche sur Ecume recèle bien une pince pour couper làdedans.
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On refermera après. C'est alors que Nany s'avise d'une inscription sur cette maudite barrière : PELIGRO ! Même sans connaître l'espagnol, on devine. Alors, quoi ? Ce chemin est tellement épatant ! On y va quand même ? A nos risques et peligros ? Nous préférons, après délibération démocratique nous abstenir. Nous nous enfilerons sept kilomètres de bitume pour gagner l'étape, et à pied ! Nous avons fait le bon choix : le chemin traversait des réserves d'élevage de toros de combat ! Pampelune n'est pas loin ! C'est Zubiri. Et ce merveilleux campement, bien tel que nous l'a décrit le cher Pedro. Avec, en prime, l'odeur sans économie d'un élevage porcin très réussi : deux truies ont une portée de dix à douze gorets. Geneviève, très maternelle, nous en fait caresser un, tout mignon, tout rose, à qui elle a offert avec succès un bonbon acidulé ! Il ne lui manque, au cochonnet, que la petite fente au dos. L'étape a été courte, il est très tôt encore. Les chevaux sont au vert. Nous avons « temps libre » comme les touristes. Zubiri n'a aucun charme particulier, sauf un pont à deux arches, médiéval si pas romain, qui enjambe l'Arga, une rivière fameuse pour les Jacquets, puisqu'ils la suivront jusqu'à Pamplona et Puente la Reina. Le vieux monsieur des « Tobaccos » est ravi de vendre tant de « postales » et de « seillos ». La grande boite émaillée des « Correiros » enveloppe blanche sur fond bleu, scellée d'un cachet rouge, comme un cœur, sera drôlement pleine pour la levée de demain. Je vais voir du côté de l'intendance. Nous sommes les hôtes d'un petit agriculteuréleveur : les cochons, une vache et son veau. Il a mis à notre disposition, avec l'urbanité toute espagnole, une grande pièce à côté de l'étable-porcherie et même branché un long tuyau sur un réservoir d'eau potable. Le luxe ! Geneviève a découvert un coquet 13° ! Apéritif d'ambiance ! Et dîner reconstituant minestrone, énormes tranches de porc (évidemment !) haricots blancs, salades, fromages. Prudente, l'intendance a acheté, avant de quitter la France et ses fromages deux grandes roues d'une excellente tome de/pays. Il paraît qu'il faut en conserver une pour...après Castrogeriz ! A l'allure où la première est entamée ce soir, j'en doute. Au dessert, fruits, yahourts. Et vin à volonté. Pèlerinage ou pas, on fait bonne chère en randonnée « sauvage ». Nous sommes autour d'une table, sous la lampe. Ce n'est pas une veillée. C'est un gai souper d'amis. Est-ce la lumière qui fait éclater les propos ? Il est question de Saint Jacques, d'abord. Mais comment, de la misère et la noblesse de l'Espagne, des révolutions qui engendrent des dictatures, comment en sommes-nous venus à discuter des origines de la pornographie ? Don Pedro les veut anglaises. Menton levé, Victoria s'en défend : tout le monde sait que les premiers sex-shops, (au nom si anglais) sont nés au Danemark. La pornographie, sous des aspects plus banals, est d'ailleurs de tous les temps et de tous les pays. Qui n'a pas vu von Pedro, toujours manteau camel et sombrero, imiter la dame, voire le monsieur, tâtée de près par son voisin, sur une plate-forme de métro aux heures de pointe, ignore tout de la pornographie ... et n'a pas vu le mime du siècle. Nous irons encore nous coucher tard. Malgré l'herbe mouillée et le ciel douteux, je me laisse influencer par les inconditionnelles de la tente. Je viens de constater que la paille que je comptais secrètement partager avec le veau est purinée. XXX 17
KERMESSE A PAMPLONA MARDI 5 OCTOBRE : ZUBIRI - CEZUR MENOR (PAMPLONA)
J'ai passé comme tous ceux qui l'avoueront une mauvaise nuit à greloter sous la tente. Le jour pointait à peine quand le grand maître randonneur est venu donner de grands coups de ...voix dans le village de toile. Il ne s'agit pas de trainer. Aujourd'hui, nous avons rendez-vous. A 15 heures, deux motards, C R S version espagnole, nous attendent aux portes de Pampelune, pour nous escorter à travers la ville. D'ici à Pamplona, 14 km par la route. Mais le bitume, basta. Nous ne l’emprunterons que pour sortir de Zubiri, juste le temps d'une émotion. La, devant nous, un panneau de signalisation tout pareil aux autres : Santiago de Compostella : 780 km ! par le bitume, justement. C'est l'actualité du Camino, la confirmation de sa survivance, un monument historique de 900kms, balisé sur tout son parcours, signalé aux pèlerins modernes qui, de ville en ville, de Pampelune à Logroño, de Burgos à Leon, puis par Lugo, d'hostelleries en paradors aussi ! Arriveront à Compostelle au volant de leur voiture. Notre chance est de suivre, à cheval, fidèlement, le vieux chemin du Moyen - Age, allongeant presque d'un tiers le parcours, mais faisant de notre marche l'authentique marche des pèlerins de jadis, permettant à notre esprit de tenter de se rapprocher du leur. Allons à travers prés et champs. Et je te grimpe par ci, et je te descends par là. Chardon nous trouverait des failles et des pics dans la plaine de l'Obi. Le sentier à flanc de pente a la largeur d'une dalle : on passe. Les cailloux glissent : on passe. Quand je vois notre file qui s'étire, car le premier cheval s'enlève parfois au sommet, de l'autre côté du ravin quand les derniers amorcent la descente, je rêve d'une ligne ininterrompue de cavaliers, dessinant sangle ciel et sur le sol le tracé du chemin de Saint Jacques. Claude a cédé Mistral, un vétéran, à Anja. Il nous manque toujours une monture, l'achat d'un autre cheval a tourné court, hier, par prudence pour la santé des nôtres. Claude va faire, à pied ! à notre rythme, les 20 kms qui nous mènent à Pampelune. On y entre par les faubourgs, en pleine kermesse, au milieu des auto-tamponneuses, des carrousels, des cloches, des trompes et des klaxons. Il n'y a qu'à avancer crânement (du verbe crâner). L'agent qui règle la circulation ne s'émeut pas outre mesure devant nos chevaux. Ce qui leur gêne, ce sont les chiens. Car nous avons avec nous les deux beaucerons de Geneviève, un superbe couple de bergers de Beauce qui courent, libres, autour de nous, faisant et refaisant trois fois la route. Pour l'instant, ils se tiennent cois, aux pieds d'Ecume. Le contractuel préférerait les voir attachés. Palabras, conciliabules…Une longe passée autour du coup de Hedi semble le satisfaire.
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Sextant, docile, fait comme si. On continue au milieu des badauds. Aurions-nous continué trop loin ? Pas de Pedro, pas de Geneviève, pas de 2O4 sur cette placette ou nous devions les rejoindre. Et nous ne sommes pas en avance. Que se passe-t-il ? Nous attendons, un peu vides, après tout ce bruit. Les chevaux qui viennent de marcher des heures sur de mauvais sentiers pierreux, dans des labours bourbeux, des chemins creux ou ils enfoncent, pour s'offrir ensuite sans broncher ce tintamarre, les magnifiques chevaux attendent patiemment aussi, offrant aux moineaux citadins une manne inespérée. Miracle ! Voilà la 204, luzerne sur le toit, tous feux allumés pour nous faire signe. Chardon s'élance à travers le carrefour, au risque de se faire écraser, bloque la camionnette au feu devenu vert et sans complexes, se met à discuter le coup à côté de la voiture, avec la souveraine indifférence des gens de la montagne pour les encombrements de la ville. Puis, heureux comme un enfant perdu qui a retrouvé sa mère à côté du Père Noël, il nous entraine, guilleret, au pas de course, pour le casse-croûte du midi bien sonné, sous un pont où les chevaux pourront être attachés dans la verdure. En plein Pampelune ! L'après-midi c'est la grande affaire ! Motard devant, motard derrière, deux par deux, botte à botte (enfin, en principe) drapeaux en tête, les pèlerins de Saint Jacques traversent le centre de Pampelune, au trot, sous le soleil. C'est un joli spectacle, un peu parade, un peu folklore, un peu cocardier, français ! Et c'est ma fête ! Je chausse exprès un peu trop long, car mettre rapidement en selle me fait encore problème. Alors, ce trot !!! J'y gagne des cuisses indigo. Sur de larges ramblas arborés, le long d'anciennes douves transformées en parc, nous laissons souffler les chevaux. Don Pedro, qui connaît évidemment nous emmène pour un rapide tour de ville. Balcons ouvrages à tous les étages, fenêtres fleuries, c'est l'Espagne. Un coup d'œil, bien entendu sur les sanctuaires, l'église Saint Sernin qui s'appelle saint séverin à Toulouse ; son porche abrite un beau Saint Jacques pèlerin. On y voit aussi l'évocation du pendu dépendu, une des légendes qui témoignent de l'extrême bonté du grand saint et de sa protection. De grands clous dorés, au milieu de la rue, marquent l'emplacement d'un puits ou Saint Sernin puisant l'eau du baptême de ses premiers chrétiens. Il faudrait voir la cathédrale, l'hôpital-musée Saint Michel, mais le temps manque. Et le brave autochtone qui s'est improvisé notre guide, réalisant la performance d'en imposer à Pedro, veut à toutes forces nous montrer la statue élevée à la mémoire d'un illustre chanteur navarrais inconnu. Ce qui nous ramène heureusement aux remparts et aux chevaux. En selle ! Nos motards nous aiment bien, ils nous escortent hors de la ville. Ils louvoient, descendent, remontent notre petite colonne. Oh la là ! C’est tranquille ! C'est silencieux ! Ça sent bon ! Les chevaux apprécient ! Muchas gracias senors, muchas gracias. Nous continuerons bien tout seuls, maintenant. Nous ne nous perdrons pas. Rien à faire. Ils ne nous lâcheront qu'à l'entrée de Cizur Menor. C'est un assez joli village, aux maisons blanches autour d'une vaste place herbeuse qui fait penser aux foirails du Quercy. La clôture électrique est déjà tendue. Allez Maha ! au pré ! Tu l'as bien mérité Merci pour aujourd'hui, tu es calme, tu es sûre, tu te débrouilles bien toute seule ! 19
Les cantines et les bâches de bivouac entourent le feu. On a vite repéré les casiers de bouteilles. Les poussières de la ville ont donné soif. Tout de même, Victoria ! Pas trop ! Pedro a la clé - encore - de l'ancienne école, devenue salle de réunions du conseil municipal. Quand nous aurons repoussé les bancs, sous l'œil amusé des fillettes revenues voir leur classe, aéré, balayé, ramassé un panier de canettes vides et un demi-seau de mégots, nous pourrons étendre les duvets et dormir au sec.
Geneviève monte Ecume et règle les allures, avec ses deux Beaucerons
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LE BONHEUR A CHEVAL MERCREDI 6 OCTOBRE : CEZUR MENOR - PUENTE LA REINA.
Bonjour ! As-tu bien dormi ? Ma foi, oui. C'est la quatrième nuit sur la dure, la quatrième de ma vie. Mises à part quelques fort agréables expériences dans les granges à foin, où ce n’est pas la dure mais la couche moelleuse par excellence, avec l'enivrante odeur en plus, je n'ai jamais dormi dans un sac de couchage, jamais dormi à même le sol. Et je dors bien. De longues journées au grand air, même si hier c'était l'exception, les membres rompus, le rein pas difficile, l'esprit léger, la conscience tranquille, je dors bien. Et je ne me sens pas fatiguée. Je peux faire savoir aux esprits chagrins que, compte tenu de l'expérience d'hier, cuisses bleues mais peau intacte, la boite de talc est allée aux orties. Louis Chardon m'avait dit : « les quatre premiers jours sont les plus pénibles, après, c'est de plus en plus facile. » Nous en sommes au quatrième jour de marche et je me sens bien. Il paraît qu'on a ronflé, gémi, qu'on s'est retourné et retourné cette nuit dans la salle de réunion des édiles de Cezur Menor. Ah, tiens ! Tout le monde a pourtant I ‘air frais ce matin, le robinet d'eau courante a beaucoup couru. Les chevaux dorment encore, debout, sur le foirail noyé dans une brume que le soleil va dorer progressivement. Nous pouvons prolonger le plaisir du petit déjeuner, charger à l'aise la 404. Laissons-les dormir le plus longtemps possible. Nous partirons par la campagne, vers la Sierra et le Puerto del Perdõn, par un chemin agreste, champêtre, idyllique. Ce petit bief sous les arbres, ce réservoir plein d'une eau limpide, c'est un coin à retenir, l'étape rêvée pour les Jacquets de 1981 qui auront trotté dans Pampelune la fiévreuse. Une masse, on moutonnement blanc vient à notre rencontre. C'est un troupeau. Il occupe tout le chemin, il en déborde. Ecume connaît : elle biaise, prend par le flanc, progresse, et à la file indienne nous remontons la troupe bêlante. C'est un joli moment. Comme il fait beau ! C'est l'euphorie. Tellement l'euphorie, que nous avons dû nous perdre. Voyons, Monsieur l'Abbé ! Yves pioche le petit livre confié par Louis Chardon. C'est l'œuvre de l'abbé Georges Bernès. Il a étudié les documents anciens et, bien sûr, l'unique, le savoureux Guide des Pèlerins de Saint Jacques, d'Aymeric Picaud, qui date du 12e siècle. Il a lu des œuvres historiques et géographiques récentes. Et surtout il a marché, marché et questionne maires, instituteurs, paysans. Il est parvenu à reconstituer le tracé précis du chemin français en Espagne et a résumé sa courageuse et fructueuse expérience en un petit livre qui est, on ne peut mieux, une marche à suivre. C'est Yves qui la déchiffre. Voilà pourquoi Yves est Monsieur l’Abbé. Signe des temps : Monsieur l’abbé le seul à avoir emmené son épouse en pèlerinage. Nous ne nous sommes pas perdus bien loin. Mais il faut sauver la face de la France. Pas question de retraverser le dernier village. En avant toutes ! A travers tout ! Vers la Sierra.
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Le sentier coupe la pente qui remonte à notre gauche. A droite, c'est la vallée, avec Pampelune qui scintille, loin déjà. Au fond, les Pyrénées. Et nous, à cheval, entre la terre et le soleil. C'est immense, grandiose. Tout à coup, on se sent heureux, fier d'être homme femme, humain, de vivre dans cette beauté, de la ressentir, d'en éprouver de la joie, du bonheur, le bonheur à cheval ! Au col, le Puerto del Perdõn, 750 m, il faut traverser la route et descendre par l'autre versant vers les champs labourés et les villages. Mais pour la seconde fois, des clôtures en fils de fer barbelés coupent le chemin. Rien d'autre à faire que les longer en tentant toujours de descendre. Nous avons mis pied à terre et c'est la promenade en plan incliné, pourcentage non indiqué, mais à l'œil et au mollet, il est sensible, à travers yeuses, kermès, et autres épineux. Que Claude et Victoria, frottés de botanique, les identifient ne les rend pas moins piquants. Des écarts se creusent. Sommes-nous encore tous sur le bon chemin ? On se compte, en criant, au relais : 1...2...3... Oui, 15, le compte est bon. Présents. Aubord d'un petit bois de chênes verts (cher sous-préfet) une silhouette connue, la 204, toujours luzerne sur le toit et casse-croûte dessous. Nous avions peut-être faim ? Certainement soif. Nous continuons à nous sentir très bien. Et tout à coup, pourquoi ? c'est le déboulonnage. On se découvre. Tous rient et parlent à la fois. Tiens, François ! Il peut parler haut et rire à gorge déployée ! Et Momone, la silencieuse, raconte le Maroc avec P'tit Gars. Louis Chardon va de l'un à l'autre, relance la balle. Il fait à ses Hollandaises de telles démonstrations d'amitié que je regrette de n'être pas née une frontière plus haut. Mais, Anje et Marijke, cela fait neuf ans qu'elles sont fidèles à l'Habitarelle. Notre entrain, notre exubérance ...et nos chevaux ont attiré deux cultivateurs au travail avec leurs tracteurs, dans les champs voisins. C'est le moment de fraterniser, via Assimil. J'ai remarqué déjà, depuis que nous traversons les campagnes, que la motoculture espagnole apprécie John Deere. Ça y est. Le contact, est mis. J'apprendrai qu’en Espagne comme ailleurs et peut-être plus qu'ailleurs, la grande mono-motoculture se heurte à un faisceau serre de traditions, routines, empirisme et aussi manque de moyens, dont quelques-uns seulement triomphent et passent alors aux John Deere. Chardon s'est approché mais ce n'est pas le tracteur qui est au centre de ses préoccupations. « Demandez-leur donc pourquoi le chemin de Santiago est coupé par des clôtures de barbelés alors que c'est interdit. »
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Aie ! Je nuance ... Pour apprendre que là aussi, il y a ceux qui vivent la tradition et ceux qui la secouent.... que le nécessaire modernisme a ses exigences.... Visiblement, mon interlocuteur, s'il est pour John Deere est contre les barbelés. Je pense à cet instant à une lecture d'avant le départ : 't Serstevens, « le Nouvel Itinéraire Espagnol » où il dit combien il est bon de parler aux gens, surtout du peuple. On y gagne de pénétrer l'esprit de la race et c'est en Espagne, une découverte d'un rare bonheur. Il en est peu d'aussi noble, d'aussi courtoise, d'aussi hospitalière. Le mot caballero veut dire bien autre chose que monsieur. » Notre paysan est un caballero. Il refuse avec une simplicité élégante le vin que nous lui offrons : il va rentrer déjeuner chez lui. Il nous souhaite bonne route. N’est-il jamais allé à Santiago, cet homme de l'autre bout du chemin ? J'aurais dû le lui demander. Nous ne sommes plus très loin de Puente la Reina, où ce soir nous rentrons dans le monde, puisque nous logerons à l'hôtel. Nous repartons en longeant les champs nus, avec parfois quelques amandiers, quelques pieds de vignes. Nous piquons trois courts galops entre les villages. Ils sont jolis, les villages d'ici, aux maisons basses, toujours abondamment fleuries : fleurs au pied des murs, fleurs aux fenêtres derrière les grilles, fleurs aux balcons de ferronnerie ouvragée, ces grilles et ces balcons qui, de Navarre en Andalousie dessinent la physionomie de l'Espagne et révèlent l'âme artiste de son peuple. Et je pense que derrière des fenêtres aussi fleuries, quelles que soient les conditions politiques, sociales, économiques, ne peuvent pas vivre des femmes malheureuses. Les gens sortent, sourient, saluent. Dans un de ces petits pays, j'ignore son nom, nous avons conduit les chevaux à l'abreuvoir. Des vieux prenaient le soleil, assis tout è côté. J'ai dit que nous allions à Santiago. Alors, l'un d'eux a levé la main et esquisse une bénédiction. A l'entrée de Puente la Reina, pied à terre devant la Meson del Peregrino Un grand pèlerin de fer, manteau, large chapeau, bourdon, marque l'endroit où se rejoignent pour n'en plus former qu'un seul, les différents chemins empruntés jusqu'ici par les Jacquets venant de partout. Les Orientaux, les Italiens, par Marseille, Arles, Toulouse ; les Allemands d'alors, les Centraux par Lyon, Valence, le Puy ; les neiges, ceux de l'est, par Vezelay ; du nord, les Parisiens qui quittaient Paris par l'église Saint Jacques la Boucherie (la belle tour Saint Jacques) et la rue du même nom, tous, par Roncevaux le Somport, Ostabat, convergeaient vers Puente la Reina et repartaient par une voie unique, le Camino francès. Une pâture, un peu plus loin, est ouverte pour les chevaux, avec la rivière à l’autre bout ? Aurait-il lu Aymeric Picaud ? Nos braves ne veulent rien entendre. Tirés, poussés, ils entrent à peine dans l'eau et refusent catégoriquement de la boire. Bob, on fera la chaine pour quelques seaux ? J'en ai bien le temps ce soir, il n'y a pas de dîner à préparer.
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A la Meson del Peregrino, c'est d'abord la douche, bienfaisante, voluptueuse, et un peu de lessive, et sur soi, du propre, même du joli. Don Pedro a ajouté coquettement un lacet noir sous son col. André s'est rasé. Dommage, la barbe, même à l'état de blé germé, c'est son style. Claude semble descendre de la salle d'armes d'un aristocratique grand-père hanovrien : net , droit, militaire. Du côté filles, ça sent bon. Nous prenons l'apéritif, calée dans de vastes, moelleux, somptueux fauteuils de cuir. C'est agréable et c'est comme incongru, pas « tout à fait ça ». Déjà dépaysée ? En porte à faux dans les mondanités. Je vais faire un tour dans Puente la Reina, en faisant le détour pour voir les chevaux : ont-ils bu finalement ? Oui. Et fait un sort à la luzerne offerte pour compenser l'herbe trop maigre. Puente la Reine, sous le soleil presque couché, est ocre. Un tas énorme de piments rouges, à même le sol, capte et renvoie le flamboiement des derniers rayons. C'est d'une luminosité intense et brève. Je la regarde baisser, s'éteindre. La ville est faite de deux longues rues, étroites, parallèles, recoupées par des Venelles. Les magasins sont vieillots, sombres, pittoresques et encore ouverts malgré l'heure tardive. J'achète des postales « dans une sorte de droguerie-mercerie- épicerie. Le lèche-vitrines est une leçon de vocabulaire : carniceria (boucherie), morcilla (boudin noir), pan (pain), calzados (chaussure)... » Soudain, la lumière ! Les réverbères viennent de s'allumer et leur éclairage est doux, comme un peu voilé. Les maisons, patinées, ont leur numéro marqué sur de carreaux de faïence bleue, des balcons noirs, des fleurs aussi, partout aux fenêtres. L'atmosphère est sereine, douce, familières. Un rectangle de lumière crue, et une odeur, m'attirent. Mais oui, c'est bien une étable, à même la rue. Et pas n'importe quelle étable : une grande plaque émaillée, au-dessus de la porte parle d' « inseminacion ». Un taureau au boulot à l'intérieur confirme. Plus loin, à l'angle d'une rue, c'est une petite écurie, pas bien haute, juste pour l'âne et la mule. Elle sort devant moi la mule, portant sur son dos, à cru, deux gamins, deux niños, le petit n'a pas quatre ans. La mule trottine, le petit garçon m'a regardée de ses immenses yeux noirs, un peu étonnée. Le graná chevauche, droit, sérieux, digne. Image de grâce, de finesse, de race. Il y a des choses à voir à Puente la Reina, l'église, le fameux pont roman. Ce sera pour demain. Ce soir j’ai fait une autre moisson, plus libre, plus intime. Avant d'aller vérifier la réputation des auberges espagnoles et m'allonger, ô conformisme, entre deux draps de lit.
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LE CLOITRE AUX OISEAUX JEUDI 7 OCTOBRE : PUENTE LA REINA - MONSSTERIO IRACHE (ESTELLA)
Victoria qui partage ma chambre s'est levée tôt pour aller, avec Momone, préparer et distribuer les musettes. Nous sellerons dans la cour de la Meson et c'est, en cavaliers, que nous traversons la ville. Je ne verrai pas l'intérieur de l'église, qu'on dit si riche. Mais nous passons le fameux pont de la reine, vieux pont roman en dos d'âne où les chevaux glissent. Une reine de Navarre, doña Elvire, épouse de Sanche le Grand, eut pitié des pauvres voyageurs rançonnés et parfois assassinés par les bateliers qui leur faisaient passer l'Arga, et ordonna la construction du pont au XIème siècle. Quelle foule innombrable de pèlerins ont depuis poli, usé ses pierres ! Une jolie légende s'y rattache : parfois apparaissait un petit oiseau, étranger à la région. Il plongeait vers la rivière, s'y mouillait les ailes et remontait vers la statue de la vierge qui a orné longtemps le milieu du pont. La foule s'amassait, le regardait, jacassait. L'oiseau sans se troubler recommençait et recommençait son manège, jusqu'à ce que la statue soit lavée. Puis, il s'en allait à tire d'ailes. La venue, rare, de l'oiseau était présage de prospérité. Très vite après le pont, c'est la campagne. La terre est rouge, aride, sèche et les reliefs très accentués. Il fait chaud. Nous avons mis pied à terre et je m'essouffle à grimper un chemin caillouteux, un méchant sentier qui n'en finit pas. Sous la toque que je porte un peu par superstition, me persuadant que le jour où je la laisserai aux bagages, je me ferai vider par Maha, je lève les yeux. C'est encore haut ! Et ils grimpent, tous les autres ! En silence, il est vrai, mais ils grimpent. Qu'est ce qui les porte ? Leurs deux jambes, on comme moi, leur amour propre ? Ou seulement l'évidente nécessité d'arriver en haut ? C'est qu'on y arrive enfin, et là, c'est d'une beauté à vous rendre le souffle. Un pays ocre, brun, terre de sienne, des vignes où les feuilles répètent avec d'autres nuances les couleurs de la terre, des bouquets de bouleaux dorés, les premiers oliviers, vert de gris. Piqués sur cette immense toile, deux villages tout blancs, que nous traverserons. Et au fond, fermant l'horizon, une falaise, d'un autre blanc, un peu gris. Est-ce le bleu intense du ciel, l'ocre brun de la terre ou le blanc étincelant des villages, plutôt la netteté contrastée de l'ensemble, ce paysage ne ressemble en rien à un paysage français. J'ai vraiment une impression d'ailleurs. C'est le premier contact criant avec la terre d'Espagne. Louis Chardon ne le partage pas. Il nous a quittés à la sortie de Puente la Reina et cette fois, nous ne le reverrons qu'avec un seizième cheval. En attendant, la cavalerie de l’Habitarelle galope, fendant l’air pour se rafraîchir.
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C'est Flo, la discrète souriante, qui a les cartes. Yves, plus Monsieur l'Abbé que nature, ne nous laisse pas ignorer que cette voie aux larges dalles est romaine, romain ce petit pont et romain encore ce vestige de chaussée. Guidée avec autant de sciences conjuguées, nous avons déjà traverse le second des deux villages, le plus beau, Cirauqui, au milieu de l'éclatante symphonie en rouge des poivrons, des tomates et des géraniums. Beaucoup de maisons, même les plus modestes portent leur blason armorié, l'escudo. Le caractère aristocratique n'est pas le moindre du peuple espagnol. Nous avons faim et soif, juste à temps, c'est l'aubaine. En contrebas du chemin, un ruisselet, de l'herbe, assez de peupliers pour donner de l'ombre et attacher les chevaux, dessellés. C'est vert, frais, idéal. Quelle jouissance d'enlever bottes, bottines, chaussettes. Les gourdes circulent jusqu'à épuisement. Dire que nous avons été tellement bien chapitrés que nous n'oserions pas boire l'eau de cette source qui ruisselle, là, à côté de nous, le long du talus. Les chevaux d'Aymeric Picaud burent ici, au XIIème siècle, une eau salée qui les empoisonna. Ils moururent et furent dépecés sur place par les méchants Navarrais qui n'attendaient que cela ! « Allez les enfants, on n'est pas arrivés ». C'est André qui secoue la béatitude. En route ! Nous devons emprunter un petit bout de route, en effet. Juste assez long pour y croiser - Saint Jacques est avec nous une 204 à galerie fourragère, repérable entre toutes. « Ça y est ! J'ai trouvé un cheval ! Très bien ! Chez des gens formidables. Ils nous l'amèneront demain matin à Irache. Bien plus, la fille de la maison va venir vous rejoindre pour vous conduire au monastère. Nous éviterons Estella. Pas besoin de passer en ville. (A ça, non !) Y a qu'à l'attendre. Entrez là dans l'herbe. Allez ! Poussez-vous ! De sellez ! Moi, je vais téléphoner au vétérinaire ! ... » Don Pedro, placide, dans le dos du Jefe : « Moi », je vais téléphoner au vétérinaire. Bien sûr. C'est Pedro que habla el espanol. « A tout de suite, je reviens « - » Attention Pedro, la portière ! Ne claquez pas la portière, voyons ! » Les voitures de l'Habitarelle ne périssent jamais par le moteur, soumis pourtant à rude épreuve. Ce sont les portières qui les abandonnent, mises à mal par des cavaliers trop énergiques. Avant Saint Jacques Pedro pourra refermer une portière rien qu'en la regardent. Cavaliers et montures apprécient cette nouvelle halte dans la journée chaude. Je délivre Haha de son collier de chasse (je l'oublie encore trop souvent) pour qu'elle puisse s'en donner dans la bonne herbe. Cette Maha ! Je crois qu'elle a pris ma mesure depuis Ibaneta. Moi, je commence à la connaître. Pas nerveuse, la Maha. Elle a le temps. Chardon la veut en tête : comme elle s'économise intelligemment, elle maintient une allure raisonnable et freine les plus vifs qui risqueraient de s'épuiser trop vite. C'est que si la plupart des cavaliers ne vont faire que 600 Km environ, les chevaux, eux sont parti pour le double.
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Sage et prudent raisonnement. Mais c'est trop encore pour Maha, qui entend marcher à son train, là où elle veut et qui possède un chic irrésistible pour se faire remonter, noyer dans le peloton, puis émerger, satisfaite, en queue de file. Tacitement, nous sommes d'accord, tant qu'elle ne creuse pas l'écart. Quand elle flâne un peu trop, un coup de talon et retour en tête. Revoilà la voiture. Chouette ! Quels amours ! Ils ont pensé aux canettes ! Cerveza, limonades, faites passer ! Nous repartons rafraîchis, désaltérés, sous la conduite de la forte jolie fille du loueur de chevaux, cavalière d'une élégance rare qui nous fait ressembler tout à coup à une bande de rustauds. Sommes-nous donc si loin d'Irache ? La marche paraît interminable, d'un intérêt inégal malgré deux passages à gué et la traversée de quelques villages moins beaux que ceux de ce matin. La jeune Espagnole nous sous-estime-elle ? Elle ne quitte pas les chemins faciles, allongeant de beaucoup le parcours là où nous aurions impétueusement coupé au court. Enfin, au soleil couchant, voici le monastère. Adios, Senorita, muchas gracias ! Elle part au galop. Vat-elle rassurer son père sur le sort futur de la jument prêtée ? Le monastère d'lrache, fondé à l'époque Wisigothe, l'un des plus anciens de Navarre, a été reconstruit avec beaucoup de grandeur par les Cisterciens. Dans l'église, superbe, ou se découvrent des éléments de style mozarabe, le chevet est roman et gothique la nef. La merveille qui séduit l'œil, c'est le cloître renaissance : une géométrie de colonnes festonnées, ornementées, ajourées autour d'une vraie pelouse d'herbe verte, d'une fontaine qui coule avec le bruit perle de toutes les fontaines, d'une profuse végétation où dominent les palmiers. Et plus inattendus encore, mais tellement en accord avec cette fraîcheur et cette exubérance, le piaillement, les cris, le concert d’une multitude d'oiseaux. Quand nous sortons de l'église, par le grand portail, c'est pour recevoir, en pleine face, l'embrasement incendiaire du ciel d'ouest, derrière une haute ligne de pins noirs. Juste le temps de crier d'enthousiasme. C'est fini. Je n'aurai pas vu Estelle, qui serait cependant une des petites villes du Camino où l'atmosphère jacobite est encore le plus perceptible. C'est la rançon du voyage à cheval. Mais j'aurai vu lrache, et, comme sur la pente d'El Perdon rencontre là un instant de beauté, de plénitude, de bonheur. Je ne peux pas culpabiliser d'avoir laissé Geneviève en tête à tête avec la préparation du repas. Elle s'est d'ailleurs bien débrouillée nantie d'une expérience plus riche que la mienne. Nous dînons autour du feu, à la belle étoile. Mais Flo refuse de se laisser impressionner par la majesté du lieu et nous régale (!) d'histoires de piscines de formol où les carabins de sa faculté vont pêcher matière à leurs expériences. Déchainée Flo, sortie ce soir de sa réserve. Pire que Pédro ! Je fuis vers l'austère cellule de moine, où, fenêtres ouvertes sur la nuit, j'ose espérer des rêves moins macabres. Douce ironie du sort et de la légendaire, traditionnelle hospitalité monastique sur le Camino, qui ne peut se refuser,.. Comme il aurait fait bon, ce soir, dormir entre la terre et les étoiles. XXX
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FARRURITA ! ! VENDREDI 8 OCTOBRE : IRACHE - TORRES DEL RIO
Lever au petit jour. Il faut être prêts à o heures. Le vétérinaire et la jument louée seront ici. Sauf qu'ici, c'est l'Espagne ! A 8 heures, intendance en ordre, cavaliers et chevaux briqués,... attendent. Une demi-heure, trois quart d'heure, pour voir arriver enfin une ravissante chose, alezan brûlé, espagnole, jeune ...et effarouchée. Que Flo (Je la souhaite toujours en verve !) est chargée d'apprivoiser. On y va prudemment de la selle, des rênes, pendant que le propriétaire assure encore Chardon que Farrurita est la merveille des merveilles de son écurie. Pas plus convaincu que cela, le Jefe ! qui examine encore sans complexes le nez, les lèvres.- et le reste, de son acquisition provisoire, peu désireux d'emmener un cheval qui ne serait pas absolument sain. Le vétérinaire est de la partie. Nous sommes tenus à faire voir régulièrement les chevaux par l'homme de l'art qui tamponne un formulaire, le plus souvent sans avoir rien regardé du tout. Ce qui ne situe pas bien haut la profession dans l'estime de notre maître-randonneur qui le dit tout net. (Ce que Pedro se garde de traduire) Les 9 heures sont de loin dépassées quand la petite troupe, cette fois au complet, contourne le monastère pour monter vers la colline. Nous entrons dans les nuages. Des pans de brume s'effilochent aux ranches des chênesverts, l'air est en coton, le pas des chevaux tout assourdi. C'est fantastique, irréel. « Qu'est-ce que vous me foutes là, penchée en avant, à pédaler comme un cycliste ? C'est de l'assiette qu'il faut pousser ! Il faut enc... le pommeau ! (sic) » C'est à moi s'il vous plaît que cet élégant discours s'adresse. Le chemin monte dans le coton et, machinalement, je pousse Maha, comme engourdie, sensible elle aussi à l'étrangeté de l'atmosphère. « Pardon, monsieur Chardon, nous les Belges, nous avons tous un peu les jambes d'Eddy Merckx ! » Je rectifie et prends bonne note. Pan ! Un coup de fusil déchire l'air feutre. Nous n'allons pas nous faire tirer comme des lapins ? Deux chasseurs à l'affût dans un mirador confirment que nous sommes sur le bon chemin. Qui monte péniblement dans des ravines de terre rouge, et où il faut mettre pied à terre. Une route, puis un village à traverser. Sur l'asphalte, le pas de Farrurita sonne bizarrement. Flûte ! Elle est quasi déferrée d'un postérieur. Cela commence bien ! Se rend-elle compte, la pauvrette qu'elle a intérêt à se faire accepter ? Claude et André parviennent à la maintenir pendant que Chardon (qui aurait eu intérêt lui à regarder le pied aussi bien que la bouche) recloue. Le fer tiendra, provisoirement. Le ciel s'est dégagé et sous le soleil, nous longeons des vignes basses, chétives, portant quelques grappes au ras du sol, plus loin, des oliviers. Le gros bourg, devant nous, c'est Los Arcos : encore des maisons à escudos, à grilles, à balcons ; encore des chapelets de piments rouges pendus aux fenêtres. Los Arcos a été peuplé au Xème siècle par des Francs. Nous allons voir dans l'église, un fort belle Vierge française du XIVème siècle. Le reste est bien espagnol, baroque, couvert d'or. Les conquistadores ne sont pas revenus les mains vides du Nouveau Monde. 28
Les chevaux ont attendu sagement, sur une sorte de terrain de jeu, où l'herbe est rare et l'ombre plus encore. Pas idéal pour pique-niquer. Allons plus loin. Plus loin, c'est presque le désert : à perte de vue, chaumes et labours, nus et loin l'un de l'autre, des villages, quelques maisons serrées autour d'une église, toujours en cette pierre ocre qui donne sa coloration au paysage. Entre ces villages, rien. Ni maison, ni humain. Parfois, venu on ne sait d'où, appartenant à qui, un mulet attaché au bord du chemin nous force à un détour. Les cousins ne s'apprécient pas. C'est qu'on a faim ! Et soif ! Faudra-t-il manger debout, rênes à la main ? Une maigre vigne surplombe le chemin. C'est, au milieu de la totale nudité d'un paysage circulaire - et on voit très loin - la seule végétation. Elle fera notre affaire. On desselle, les chevaux les plus vagabonds seront attachés aux ceps. Quel menu ! Vivent les cochons espagnols, leur jambon a un tel goût de vrai ! Vive le fromage de Saint Jean. Il nous manquera celui-là. Et vive le vin de la vigne qui circule (et descend) sans restriction. Pour un peu, on penserait que les meilleurs moments du pèlerinage, ce sont les casse-croûte. Il fait très chaud. On a déjà bien marché. Tête sur la selle, visage enfoui dans sa veste, Louis Chardon fait la sieste. Vite imité. Je me couche à plat ventre, jambes et bras tendus, de tout mon long incrusté dans les chaumes, tout le corps pesant sur la terre chaude et offert au soleil. C'est une sensation intense, pathétique, de participation à la vie cosmique, une béatitude active, esprit et sens aiguisés. Soudain, remous... Chacun se redresse. Ecume et Judith sont parties, avec le pied de vigne. Cette Judith ! d'habitude si placide, qui se véhicule d'une musette à l'autre ! On les rattrape et il n'y a plus qu'à repartir. Farrurita s'habitue. Ce matin, elle a bien fait quelques cabrioles et le genou de Flo est assez choque. Mais la cavalière tient bon. Les chevaux d'ailleurs sentent l'étrangère. Mistral, le premier, l'a repérée et sournoisement lui mord la fesse. Recabriole ! Flo maintiendra la distance. Isolée, Farrurita est gentille. Le paysage reste aussi nu, mais ici la terre est riche, la couche arable épaisse. En ce moment, tout est récolté, les champs déjà labourés, roulés.
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Enfin, un village. Louis Chardon propose un café. Avec plaisir, mais où ? De bistrot, point. Mais si, mais si. Une fois de plus, notre passage a attiré les villageois sur le pas de la porte. Et une brave dame, tout en grands gestes et en flots de paroles va nous arranger cela. Elle fait ouvrir la maison des jeunes - ou de la culture - du coin, met en route le percolateur et propose eaux, bières, limonades, glaces. Pendant que dehors, les gamins surveillent les chevaux. Hospitalité espagnole ! Pérennité du Camino ! Il n'y a plus maintenant qu'à gagner le bivouac, Torrès del Rio, où nous ont précédés Geneviève et Pedro. Ils nous ont découvert deux prairies mitoyennes et une petite grange. Bois, feu, et cuisine. Le rituel. Nous aimerions découvrir aussi les richesses intérieures de l'intéressante chapelle octogonale du plus pur roman, fleuron du village. Mais la vieille dame qui en détient la clé est introuvable. C'est bien la seule clé qui se sera refusée notre Pedro sur tout le chemin de Saint Jacques. XXX
Au Puerto del Pardon
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LE CAMINO POUR UNE FIGUE SAMEDI 9 OCTOBRE : TORRES DEL RIO - MEDRANO.
Les pèlerins d'autrefois qui s'étaient reposés à Torres del Rio, (belle église du Saint Sépulcre, romane, hispano-arabe, octogonale selon un plan cher aux Templiers, paraît-il !!!) les pèlerins réconfortés mettaient le cap, le lendemain sur Logroño. Mais au fil des siècles, Logroño est devenue une grande ville, une des rares villes du chemin qui ait perdu tout caractère, toute atmosphère. Inutile donc d'y aller voir. Le mieux est de la contourner. Ce sera facile mais long, nous marcherons bien 5O kms. Avec un changement en tête : Louis Chardon reste à l'intendance. C'est Geneviève qui monte Ecume et règle les allures. Et ça, c'est un monde ! Pour Chardon, les chevaux passent avant les cavaliers. Il n’en fait pas mystère. C'est de saine logique : sans cavalier, il y a toujours un cheval, sans cheval, plus de cavalier. Mais comme le Jefe souhaite comme nous voir Compostelle, qu'il serait plutôt du genre anxieux ! « allez, dépêchez-vous... chargez les sacs... On traine... Ce n’est pas fini les bouchons... Il est déjà neuf heures... vous n'arriverez jamais à Saint Jacques de Compostelle... etc. » Bon, il lui arrive aussi de pousser les chevaux. Geneviève, elle, ne connaît - mais comment ! - que le cheval. Et l'allure, c'est celle du cheval. Saint Jacques ? Les cavaliers ? Mektoub. Aussi nous irons au pas de promenade, et pousserons les galops là où le sol les appelle vraiment. Les « testes sols à galops » ce sont les chiens. Sentent-ils sous leurs pattes une bonne herbe élastique, ils se mettent à sauter autour d'Ecume en aboyant. C'est le signal. Quand vous êtes en queue de file, paisiblement occupé à vous débarrasser d'une veste trop chaude ou à attacher une courroie défaillante, quand ce n'est pas à vous envoyer à la régalade un coup de rouge au fond du gosier, si vous entendez aboyer Heidi et Sextant, arrêtez tout et saisissez vos rênes : on galope. Et faites gaillardement vos 300 mètres, une manche dehors ou la gourde brandie comme hache de guerre. Geneviève donc, règle les allures et nous contemplons à loisir un paysage toujours très beau parce qu'il est immense, jusqu'aux sierras au fond de l'horizon. Insensiblement, la vigne gagne du terrain. C'est la Rioja, et nul ne peut plus ignorer que la majeure partie de la production de vin espagnol sort de cette région. Les vendanges sont finies. Il reste quelques grapillons oubliés à s'offrir au passage. Les amandiers, eux, sont encore garnis, à hauteur de cavalier. Au bord d'un champ bien droit, enfin galop. Aussitôt stoppe net. Flo est tombée. Elle repart. Pour une nouvelle chute, plus brutale, qui la cloue au sol, avec des larmes de douleur et de rage. Momone est déjà auprès d'elle.
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Flo est handicapée par le genou blessé hier et Farrurita en profite. Heureusement, pas de casse. Geneviève prendra Farrurita et nous ne galoperons plus. On fait la moue devant l'endroit de rendez-vous pour le pique-nique. Une grosse hacienda, avec cour intérieure où parquer les chevaux qui n'apprécient pas et s'agitent. Nous restons là entre cour et chemin. C'est grand, c'est riche, c'est sale et ça sent mauvais. La ferme chez nous sent la ferme, une bonne odeur franche, forte. Ici, ça sent la ferme sale. Ce n'est pas du tout pareil. Mais les gens, comme partout, sont aimables. Pedro peut négocier l'achat de la luzerne. Et le propriétaire emmène nos hommes, minoritaires, machistes et privilégiés, dans sa Land Rover (autre signe extérieur de richesse du paysan espagnol) pour leur montrer ou passer l'Ebre à gué. C'est au programme de l'après-midi. Claude est resté. Il gonfle la selle de caoutchouc sur laquelle il tentera -avec succès- de mater Farrurita. Pas difficile le passage à gué. Sauf pour André sur Quêteuse qui aimerait bien se coucher dans l'eau. Nous avions déjà passé quelques petits ris. L'Ebre à distance, m'inquiétait. J'oubliais qu'il n'est pas partout aussi gros qu'à l'île de Grâce. Grande diversité des paysages d'aujourd'hui. En 50 kms, ils changent plusieurs fois. Après les vignes et les amandiers, c'est un plateau caillouteux, où nous traversons comme dans un western, une immense construction basse, blanche : en carré, avec portique et tours miradors aux angles, vide, déserte, où les sabots des chevaux résonnent étrangement. Seul signe de vie, deux cochons grognent derrière un grillage. Puis, la plaine maraîchère, comme souvent aux abords d'une grande ville. Logrofio n'est plus loin et sa banlieue n'est pas belle : carrés de choux, de poireaux, de tomates, tuyaux d'arrosage, clôtures mal ficelées et cahutes de guingois, le bidonville universel des petits jardiniers urbains. Racheté peut-être par la générosité du soleil, une certaine lumière et le pittoresque facile des attelages de mulets qui, pour nous, ne facilitent rien du tout. Le maraîcher, c'est toujours l'Espagnol. Depuis un moment, nous sommes suivis sur un chemin étroit, par un tracteur. Nous faisons l'impossible pour nous ranger et lui céder un passage qu'il n'est pas pressé de prendre. Et pour cause ! Le conducteur a offert à boire, à André, en serre-file, et paraît en conversation animée avec lui. André a un chic extraordinaire pour tenir ses rênes, s'envoyer le flacon et parler avec les mains. C'est loin encore le bivouac. On se tire. Et il faut pousser les Maha, les Baraka, les Fad'da qui ne s'amusent plus du tout.
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Comment ne pas penser aux pèlerins du Moyen-Age qui devaient parfois se trainer, à pied, le long de chemins monotones, dans des régions sans grâce. Partis depuis des semaines, des mois, ayant déjà avant d'atteindre l'Espagne parcouru des centaines de kilomètres, fatigués, tout élan usé, tout enthousiasme mort, guettés par un péril pire que le froid, la faim, les brigands, guettés par l'ennui, le désenchantement, le désespoir d'arriver jamais. Quelle foi, quelle ardeur ils devaient aller puiser au fond d'eux-mêmes pour continuer et se mettre à chanter. Je ne chante pas, mais la vie est toujours belle. Je viens de cueillir au vol, une figue. J'aime les figues fraîches, et celle-là, cueillie au soir d'une journée ensoleillée, savourée sur la douce houle du dos de Maha, à elle seule justifierait mon pèlerinage. C'est mon viatique pour traverser Medrano, laide, triste, sale, interminable où, heureusement on ne loge pas. Nous avons trouvé un message, comme au jeu de piste ; Recto allez jusqu’à Daroca puis prenez à droite, à la sortie, la L.O. 863 qui va de Medrano à Daroca. C'est à 350 m après Medrano. Second message au carrefour de la 863 et du petit chemin qui va au camp., Verso: POR FAVOR , NO TOCAR . ESTO ES PARA UNA PEREGRINACION ECUESTRE FRANCESA HASTA SANTIAGO DE COMPOSTELA.(NE PAS TOUCHER S'IL VOUS PLAÎT . CECI EST POUR UN PÈLERINAGE ÉQUESTRE FRANÇAIS À SAINT JACQUES DE COMPOSTELLE) J'ai ramassé le papier. Je l'ai conservé comme une relique : superbe organisation, tout cela. Au coin du petit chemin, pas besoin de message. Dans l'obscurité naissante, les grandes flammes du feu nous font signe gaiement. Un dernier effort, à chacun sa tâche- Le dîner sera bien accueilli, après cette longue étape. Et le repos. Partager une tente ? Non, vraiment, merci. Je préfère le plein air. A l'abri du talus, l'herbe est généreuse, souple. Sac de couchage dans la bâche, chaussettes sèches aux pieds fourrés dans les manches d'un gros chandail, un autre lainage autour de la ceinture. Et je ne sais pas si c'est orthodoxe, mais dans mon duvet trop léger, c'est efficace ! Je vais merveilleusement bien dormir dehors. Don Pedro qui n'a eu cette fois d'autre ressource que de se replier dans la 204 racontera demain matin qu'il a chassé des chiens et même des voleurs ! C'est seulement pour faire l'important ! XXX
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CUISINE MONASTIQUE DIMANCHE 10 OCTOBRE : MEDRANO - SAN MILLAN DE LA COGOLLA.
Qui se serait promené au petit matin dans la campagne autour de Médrano aurait pu être intrigué par les flammes d'un grand feu. S'approchant, il aurait découvert dans la brume, quelques chevaux sur un grand carré d'herbe. Intrigué, s'approchant plus près encore, il aurait vu... et serait reparti (ou resté) en riant doucement. Le long du chemin qui descend de la colline vers notre prairie-bivouac dévale joyeusement sur les cailloux un filet d'eau claire. Le long de ce filet, échelonnés, en rang, chacun son mètre courant, les pèlerins de Saint Jacques de Compostelle se savonnent vigoureusement. Sont-ce les derniers arrivés ou les plus malins qui ont grimpé tout en haut ? Les ThermesMédrano valent le coup d'œil. Cette bonne toilette matinale, c'est le stimulant pour reprendre les rênes et repartir. Il n'y a qu'à remonter le rio qui serpente entre des peupliers, puis le quitter pour gagner le plateau. L'abbé Bernès ne nous est plus d'aucun secours depuis Torrès del Rio. Nous avons quitté le Camino, mais restons fidèles aux pèlerins de jadis qui faisaient le détour par le petit Camino francès, celui des monastères. On nous attend ce soir chez les Bénédictins, à San Millan de la Cogolla (Yuso) Nous marchons à la carte, à la boussole, au sextant. André, Yves et François font une triangulation. Victoria a l'air de très bien savoir comment tout cela fonctionne. J'imagine que c‘est ainsi qu'elle retrouve sa maison perdue dans les Cévennes. Moi, je n'y comprends rien et surtout ne cherche pas à comprendre. Je suis. Si nous nous perdons, nous nous perdrons tous ensemble et Chardon s'arrangera bien pour retrouver ses chevaux. Allez Maha ! Maha, pour l'instant, n'a pas grand effort à fournir. Un superbe boulevard forestier traverse des fougères, des bruyères, des pins. C'est trop facile ! Ça ne peut pas être bon. Pied à terre On va descendre puis remonter sur l'autre versant, en enfonçant dans la tourbe. Ça, c'est de la randonnée. Nous allons plus d'une fois aujourd'hui descendre dans une vallée étroite, couper un ruisselet, remonter sur l'autre crête, où, après quelques kilomètres de plat, nous attend une autre vallée. Un pays comme les doigts écartés d'une main, que nous prenons par le travers. Pas moyen de faire autrement. Chaque fois, dans le creux, c'est le long du ruisseau, la procession des cierges. Anne fait remarquer comme les clichés, les lieux communs du langage sont irremplaçables parce qu'ils sont l'image la plus vraie : les lignes de peupliers jaunes ne peuvent faire penser qu'à des cierges. Et chaque fois, sur le sommet, c'est le même paysage admirable : loin devant nous, la sierra de la Demanda ; plus près des terres rouges, des garrigues vert sombre et sur notre droite, où la vallée s'élargit, le jeu de dames des vignes et des champs cultivés. Au-dessus, un ciel tourmenté ou les nuages se bousculent dans une bataille de gris. A l'aisselle d'un coteau, une image extraordinaire, unicolore : au milieu des terres rouges, fraîchement retournées, comme surgi d'elles, les prolongeant, un tout petit village, rouge également, maisons, toitures... Désert, pas même un chien, ni un oiseau. Seul, un paysan laboure, soc tiré par le mulet, traçant une nouvelle ligne parallèle à ses sillons bien droits. C'est une enluminure, les « très riches heures du Duc de Berry .» en Castille. C'est toujours la Rioja, mais nous sommes sortis de la riante Navarre pour entrer dans le farouche Castille. 34
Voilà enfin des lieux plus habités où nous apprenons que la direction de San Millau, c'est quelques degrés plus à l'ouest. Heureusement un sentier herbeux longe le rio, nous couvrons les degrés au galop pour nous retrouver le long d'une route, dans un bois de peupliers. Un peu de circulation sur la route... C'est dimanche...Non, ce n'est pas possible ! Si, c'est possible : C'est la 2O4... Hé ! Monsieur Chardon ! Las,;;; Monsieur Chardon passe. Il ne nous a pas vus entre nos peupliers. On aurait bien aimé savoir, por favor, quel est le bon chemin pour arriver tout droit chez les Bénédictins. Tous ces peupliers ne sont pas là par hasard. Ils aiment l'eau. S'il y en a tellement, c'est qu'il y a beaucoup d'eau et, quelque part un gué pour traverser cette eau. Un brave monsieur qui promène sa famille va nous y conduire. Prend-il Maha pour un cheval marin ? L'eau est bien haute et tourbillonnante où il nous mène. Nada. Ce n'est rien. Venez là-bas. Là-bas, Geneviève avance Ecume, n'hésite pas longtemps, ressort. La bonne volonté du guide improvisé est plus manifeste que ses connaissances équestres et géographiques. Gratias. Nous chercherons le gué tout seuls. Cavaliers et chevaux trébuchent, glissent sur un lit de gros galets. La plaisanterie est mauvaise. Heureusement courte. Ici, on passera. En selle ! Geneviève sur Baume, Yves sur Barri, puis Maha, on traverse, dans l'eau jusqu'au poitrail. Ce n'est pas fini. De l'autre côté, c'est la fange sur quelques mètres. Les chevaux hésitent. Les autres, derrière nous, crient d'avancer. Quetteuse, Nickel, Fantasia sont au milieu de la rivière, poussés par les derniers. Geneviève lance Ecume. Mais derrière la fange, c'est le talus, droit, haut. Les chevaux n'ont tout de même jamais grimpé aux murs. Et il faut faire vite. Geneviève a sauté, escalade le talus, elle défait le crochet d'une rêne et tire Ecume. Yves fait de même et Barri se propulse. J'ai mis pied à terre. Mais les rênes de Maha sont attachées par des boucles. Pas le temps de la défaire. Le passage est tracé. Maha sera en haut avant moi. Les autres suivront, tout seuls.
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On s'ébroue, chevaux et cavaliers. Un galop pour nous refaire une santé ? On file. Yves ? Que se passe-t-il ? Yves a pilé. L'œil de lynx de Monsieur l'Abbé en chômage a repéré un message : deux feuillets bleus entre des galets. Tout va bien. Nous sommes sur la bonne voie. Mais il reste encore au moins deux heures à marcher. Le crépuscule descendant sur la Sierra est d'une splendeur impressionnante. Il fera nuit noire à l'arrivée à San Millan. Nous avançons côte à côte, chevaux et cavaliers, dans l'obscurité totale. (Un mauvais point général, les torches sont restées dans les sacs) Le chemin creux se resserre. J’écarte les coudes pour me ménager assez d'espace entre les flancs qui me presse. Qu'arriverait-il si l'un de nous tombais ? je me pose tout à coup une autre question, saugrenue : sentons-nous le cheval ? Il faudra demander demain aux moines. Voilà Jefe, venu à notre rencontre. Il nous conduit à l'abreuvoir où les chevaux vont se désaltérer à longues goulées. Encore quelques centaines de mètres dans une ruelle étroite ou le piétinement des sabots sur les pavés attire les gens aux fenêtres. Au-dessus de nos têtes, on crie, on s'interpelle. Et voilà enfin, éclairée, la grande cour du monastère et les moines qui nous accueillent. Chevaux dessellés, derrière leur clôture, musettes... dîner des cavaliers... Ce dîner des cavaliers ! C'est trop beau. Ce soir, je suis la Mère Hélène aux fourneaux chez un grand, couvert d'étoiles au Michelin. Les moines ont mis à notre disposition l'ancienne cuisine désaffectée, ou trône sous les colonnes et les voûtes de pierre, l'antique, énorme, majestueux fourneau noir, tout barde de cuivres, la bonne grosse, vieille cuisinière, avec ses couvercles à cercles concentriques, avec sa grande surface bien chaude où tout mitonne, et sur le côté, le réservoir a robinet de cuivre qui vous vapeur, qui vous débite une eau toujours bouillante, à grand renfort de vapeur, une eau toujours bouillante. Louis Chardon l'a rallumée, peut-être pas sans peine ni fumée. Il ne le dira pas. Il n'y a qu'à faire cuire. Et s'offrir le plaisir de laver la salade quotidienne dans le large bac de pierre, puis s'installer autour de la table conventuelle. Ce soir, après l'étape si animée, c'est nous qui racontons, et le pauvre Pedro qui ne peut en placer une. La détente ! Gîte assuré ! Pour les dames, non admises au-delà de la clôture, nous dans la grande salle mises à notre disposition, des matelas de mousse, des couvertures et même des serviettes de toilette ! Le jeune père souriant qui nous a reçu vient s’excuser de ne pouvoir faire mieux ! Nos « hommes » non plus, n’ont aucun souci à se faire pour la nuit. Chacun jouit, pour son usage personnel d’une confortable chambre de père abbé. Pas moins XXX
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UNE CATHEDRALE .... LA NUIT .... LUNDI 11 OCTOBRE : SAN MILLAN DE LA COGOLLA - SAN DOMINGO DE LA
CALZADA
« Se lever de bon matin ne fait pas venir le jour plus vite » dit un proverbe castillan. Surtout quand il pleut ? On resterait bien dans la cuisine des moines, aujourd'hui. Ils ont mieux à nous montrer. Sous la conduite du moine au sourire - un rayonnement aussi simple, aussi candidement heureux est un reflet de sainteté - nous visitons le monastère. San Millan est né en ces lieux en 473 et y est décédé en 574. Sa très longue vie fut tout entière vouée à la prière, la méditation, la solitude, l'étude, la charité aux plus humbles et l'enseignement de ses lumières à tous. Sa générosité était telle que Notre Seigneur pour y contribuer, lui octroya le don de multiplier le pain et le vin et de guérir les malades et les paralytiques. Sa renommée, pendant sa vie et après sa mort, attira tant de grands et de princes, son intervention, lors des guerres de reconquête contre les Maures fut si manifeste, que San Millan fut acclamé patron de Castille et de Navarre d'abord, de toute l'Espagne ensuite. Mais, nous dit le moine ; vous le distinguerez toujours de Saint Jacques car, dans toutes les représentations, sculptures, peintures, qu'on en a fait, il porte la robe de moine, d'ermite. Le monastère en impose par une austère grandeur. Il est le résultat d'une œuvre bénédictine de plusieurs siècles. Dès 1030, l'école de Cluny crée là un premier monastère, cité parmi les constructions qui font de l'Epagne un centre de floraison de l'art roman, sous influence française. Cette compénétration artistique est elle-même due aux pèlerinages à Compostelle : l'art roman en suit la route. Notre guide est artiste et savant, il connaît, il aime ce qu'il nous montre : la sacristie baroque, d'une rare richesse en peintures, l'église gothique, l'escalier des rois, et le musée avec les deux reliquaires, de San Millan et de San Felices, merveilles d’orfèvrerie. C'est un cours passionnant d'histoire de l'art et de la foi. Mais le chemin nous attend. Nous verrons encore, en face, l'émouvant petit monastère de suzo, conservé dans son aspect chrétien mozarabe. L'étape d'aujourd'hui est courte- Il pleut- Une pluie froide, coupante, persistante qui oblige cette fois à enfiler en plus de la veste, le pantalon ciré. Quel inconfortable harnachement ! Surtout le pantalon, de dimensions suffisantes pour la marche, mais vraiment trop étroit pour le grand écart. Je jure que la prochaine fois, réglementaire ou pas, je me munis d'une grande cape. C'est toujours sous la pluie que, par la calle Mayor, nous entrons dans San Domingo de la Calzada.
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Louis Chardon devrait nous y attendre devant la cathédrale et nous devrions loger au Parador. Louis Chardon n'est pas là. Et mon entrée au Parador, ruisselante, bottes boueuses, pour demander dans mon espagnol le plus distingué s'il n’y a pas un message pour les pèlerins de Saint Jaques, est visiblement mal tolérée. Il n'y a rien. Je laisse derrière moi des petites flaques sur le parquet ciré. Dehors, on se gèle, il pleut toujours. Enfin voici Chardon. Il a résolu tous les problèmes, sauf d'arrêter la pluie. Nous ne logerons pas au Parador, complet, car nous tombons en pleine fête de la Virgen del Pilar de Saragosse, pèlerinage concurrent qui fait se déplacer la moitié de l'Espagne. Nous irons chez les « petites sœurs » Mais d'abord, conduire les chevaux au pâturage. En selle ! En vitesse ! Idiote ! Triple idiote ! Je n'ai pas profité de l'attente pour ôter ce falzar de m.... ! (dans certaines circonstances, il n'y a qu'un langage). Je me fais jeter sur Maha par André et Pedro, pleins d'une patience méritoire envers cette nana qui ne peut pas monter à cheval et en veut pour mille kilomètres... La pâture est à l'autre bout de San Domingo, de même que le garage où nous pouvons entreposer les selles. Nous revenons dans la camionnette à la Hospédéria Santa Teresita, calle general Mola. Les petites sœurs de Sainte Thérèse, ce n'est pas le Parador ! cela tient plutôt de la pension de famille, de l'auberge mutualiste. Mais on peut dormir à deux par alcôve et le chauffage tourne à plein rendement. Beaucoup de radiateurs seront transformés en séchoirs, cette nuit. Quant au fameux Parador, nous y entrerons quand même, par la grande porte, le temps d'une visite et pour nous rendre compte que nous n'aurions pas tellement aimé y descendre dans l'état où nous étions tout à l'heure. Cet ancien hôpital roman a été aménagé en hôtel de grand luxe et meublé comme tel. Cela vous a une sacrée gueule. Tous les fauteuils, cossus, sont occupés par des gens encore plus cossus. Nous sortons par la porte d'en face. Il fait presque nuit quand nous rejoignons le guide qui, interprété par Don Pedro, va nous faire visiter la cathédrale, intéressant exemple des premières réalisations du gothique français en « Espagne ». Et là se situe un des moments les plus drôles, les plus loufoques de notre aventure. Ce brave homme est d'une érudition centaine, tellement certaine qu'il peut expliquer les choses sans les voir. La cathédrale n'est pas éclairée, il y fait sombre au point qu'on doit tâter le sol du pied pour avancer. Et le cher guide nous trimballe de pilier en colonne, de statue en tableau, se répand en explications prolixes traduites par notre bourdon, sur des œuvres d'art dont nous ne pouvons rien distinguer. Puis, très caballero, il accepte nos remerciements.
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Un lumignon, tout de même, éclaire deux endroits. D'abord, le tombeau de Saint Dominique, l'homme du chemin, bénédictin lui-aussi, né vers la fin du Xème siècle. Il vient vivre au bord du rio Oja (Rioja), et, homme d'action doté du sens des réalités, il construit un ermitage, un pont, une hostellerie (futur parador) des routes, les calzadas, et enfin quand tout ce beau travail est accompli, il entreprend l'édification d'une cathédrale, tout cela pour le bien-être matériel et religieux des pèlerins. Comment s'étonner dès lors qu’en cet endroit béni se fixent de nombreux voyageurs et que, dès 1044, le relais de San Domingo soit une ville dont la plupart des premiers habitants furent français. Voilà pour l'histoire. La légende est aussi belle. L'autre coin éclairé, dans la cathédrale, est à mi-hauteur entre sol et voutes, une grande cage derrière une paroi vitrée. Dans la cage, une poule et un coq, tout blancs, vivants. Ils rappellent l'histoire, la légende plus exactement, du pendu dépendu. Trois pèlerins, père, mère et fils s'arrêtent dans une auberge à San Domingo. La servante ou la fille de l'aubergiste tente vainement de séduire le jeune garçon. Vexée par son dédain, elle dissimule dans le sac du vertueux garçon, une coupe en argent. Les pèlerins partis, elle fait mine de découvrir le « vol ». On les poursuit, on les rattrape, la pièce à conviction est exhibée et le jeune homme condamné à la pendaison et exécuté. Les malheureux parents continuent leur pèlerinage et au retour viennent se recueillir sur les lieux du supplice. O joie ! Soutenu par Saint Jacques, leur fils est toujours vivant ! Les parents courent alors supplier le juge qui avait prononcé la sentence d'innocenter leur enfant. Le magistrat est à table devant un coc rôti. Il se moque : « je croirai à cette histoire quand ce coq chantera ! ». Le coq se dresse et se met à chanter. Le juge, effrayé, court à la potence, suivi par la foule qui crie au miracle... Pendant que nous visitions à tâtons la cathédrale, le coq blanc a chanté. Deux fois ! C'est le signe que Saint Jacques et Saint Dominique sont avec nous, sur le chemin. Il nous reste à rentrer chez les petites sœurs où les cavaliers expédient le repas tout entier en moins de temps qu'ils ne mettent à savourer le potage que je leur mitonne au bivouac, les autres soirs.;;.Nous avons cependant obtenu, eu égard à notre qualité de pèlerins équestres, deux litrons de vin en plus de la carafe d'eau. Nous allons nous coucher. C'est ce qu'il y a de mieux à faire. La nuit ne sera pas bonne pour tout le monde. Farrurita, attachée seule, hors du parc des chevaux qui lui cherchent noise, a joué la fille de l'air. Louis Chardon vient réveiller François et André. Elle n'est pas bien loin, la jeune Espagnole au sang vif. XXX
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ERMITA = GARDIEN DE CHAPELLE HOMME OU FEMME MARDI 12 OCTOBRE : SAN DOMINGO DE LA CALZADA - VILLAFRANCA, MONTES DE OCA
Il est 7 heures. Cavaliers et chevaux piétinent devant le garage fermé où sont rangées les selles. On a sonné ; frappé, appelé. Pas de réponse. A 9h 30 arrivent le propriétaire et sa femme. Ils étaient à la messe... Ah oui, la Virgen del Pilar ! Eh bien, en route ! Aujourd'hui, pas de pluie, mais un vent debout, piquant le vent qui se rue à travers un territoire désolé, désolé parce que nu, depuis longtemps moissons et vendanges sont faites. Il faudrait voir en plein été cette sorte de Beauce montagneuse ou le blé le cèderait par endroits à la vigne. L'Espagne est un grand jardin cultivé jusqu'à ses derniers pouces ? Nous passons quand les jardiniers ont rangé leurs outils et laissent faire la terre. Par contre, les chemins sont libres et nous pouvons galoper. (finalement on galope pas mal avec Geneviève) Droit devant nous, saouls d'air et d'espace, capuchon rabattu et toque en visière. Dieu, que ça pince ! Aussi c'est avec une joie de grands enfants que nous rencontrons ... le casse-croûte, particulièrement plantureux. Chardon a voulu compenser la table un peu maigre des petites sœurs et nous apporte un choix gourmand de petits gâteaux. Après lesquels le café s'impose. Tout cela bien orchestré puisque nous passons devant un bistrot et qu'il commence à pleuvoir. Il fait chaud dans le pittoresque estaminet de campagne, chaud et enfumé. Et le café, expresso dans toutes les langues, réchauffe plus encore. Après la lutte contre la bourrasque, c'est la quiétude où guette la somnolence. Le Jefe nous secoue. Nous allons à Villa franca où nous avons, encore ! rendez-vous avec le vétérinaire. Debout ! Dehors ! « Si une cavalière est fatiguée et veut faire cette demi-étape en voiture, qu'elle m'accompagne. Elle m'aidera à préparer le bivouac. » J'ai répondu très vite. Suis-je vraiment si fatiguée ? Abrutie, plutôt, de vent et de pluie. Je ne pouvais pas avoir pressenti que j'allais passer l'après-midi à l'endroit le plus significatif, le plus évocateur, pour moi le plus chargé d'atmosphère pélerine de tout le chemin. Maha, délivrée du filet, étriers relevés, suivra les autres. Je me glisse dans la 2O4, entre Pedro, Louis Chardon et le changement de vitesse ? Nous sommes déjà à Villa franca. Bizarre sensation de parcourir 15 Km en un quart d'heure. Nous embarquons là à la place de Pedro qui négocie son logement en ville (il n'a pas trop apprécié les chères petites sœurs) le curé qui doit ouvrir pour nous la porte de l'ermitage. Un mauvais chemin monte dans un paysage forestier. On sort du monde. Sur un replat herbeux, à l'écart, voici la chapelle. Est-elle belle ? Pas plus. Mais tellement à sa place, prolongée d'un côté par un rustique préau et une toute petite annexe.
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Le curé sort la clé de sa poche, une énorme, longue clé qui refuse de tourner dans la serrure... Je retiens ma respiration. Clac_Clac ! la clé a cassé net. Heureusement avec une pince (l'intendance !) et d'infinies précautions, le malheur est réparé. La pièce annexe, seul accès à la chapelle, est minuscule. Le jour y entre par une petite fenêtre grillagée aux carreaux sales : deux bancs le long des murs, par terre quelques bouteilles et des gobelets de carton. Le curé explique que la chapelle est un lieu de pèlerinage !! J'aurai vite fabriqué un balai avec une branche et donné un air propret à la salle à manger. Qu'est-ce que c'est : préparer le bivouac ? Décharger la camionnette, sortir les deux lourdes cantines et les tirer sous le préau, sortir aussi les casiers de vin, de bière, d’eaux, descendre les 16 sacs bagages et les 16 sacs couchage des Jacquets , les tentes, disposer les bâches au sol, préparer le trépied. Chardon, piquets sur l'épaule, va tendre la clôture. Comme nous en avons le temps, nous préparerons aussi les musettes d'orge trempé, soulageant ainsi Momone et Victoria. Je sors. Peut-on imaginer autrement un ermitage ? Abrités du vent par la colline voisine, le chemin, la chapelle et son annexe, la terrasse d'herbe plantée de quelques hauts arbres. A l'arrière le pré se prolonge en descendant, vers un ruisseau. A mi-pente, une source jaillit, généreuse, aussitôt recueillie dans un bassin de pierre. Sous le ciel gris et la pluie, on a envie de rentrer, de se terrer, de penser A l'unisson de ce petit univers quiet, fermé, abrité, de rentrer en sois Chardon m'emmène dans la chapelle et me fait une surprise. Il a apporté des disques : accompagnés par des instruments d'époque, restaurés, les chants de marche des pèlerins, cadencé, martelés, incantatoires. Il nous les fera entendre ce soir. Il ne pouvait mieux choisir son cadre. Est-ce pour secouer une certaine émotion que nous nous sommes mis à éplucher les pommes de terre du ragoût ? Il pourra démarrer sur le camping gaz. Et je mets de l'eau à bouillir. Tous ceux qui n'ont pas eu ma chance aujourd'hui apprécieront un thé fumant à l'arrivée. Ma chance ? Je guette le chemin par la petite fenêtre. Il me semble qu'ils tardent. Au fond, ils me manquent. Je suis sortie du groupe. J'ai hâte d'y rentrer. Les cavaliers sont arrivés en même temps que le vétérinaire. Toute l'après-midi, ils ont affronté le vent. Alors, Maha ? La liberté ? Elle a été sage, elle n'a pas traine. Thé, puis ragoût seront les bienvenus. Les hommes du feu ont fait flamber le nôtre à côté du préau. Nous empruntons à la chapelle un très biblique chandelier à sept branches, nous dînons aux chandelles, à l'abri des murs épais de l'ermitage. Dehors, le rôti du lendemain, retourné avec amour et compétence par Momone, profite des dernières braises. Et Chardon emmène son monde dans la chapelle, où il a allumé les cierges.
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LA PLUS NOBLE CONQUETE DE L' HOMME ; C' EST LE CHEVAL ! MERCREDI 13 OCTOBRE : VILLAFRANCA - SAN PEDRO DE LA CARDENA
Non, les chiens, non ! Laissez-moi dormir ! Lequel gémit et tente de me lécher le visage ? Et ce bruit ? Zut, je rêve ... Non, ce raclement ?... On dirait qu'on a tiré les cantines sur le sol du préau... J'y vais ? Non, après tout ! Si c'était ...Boh, c’est fichu, je suis réveillée, je me lève. « Qu'est ce qui se passe ! » « Les chevaux se sont barrés ! » « quoi ??? » Les chevaux se sont enfuis, au grand galop ! (le raclement) « C'est cette p.... d’espagnole qui a foutu le b---- ! Ils se sont excités à la sentir de l'autre côté du fil ! Ils ont tout cassé ! Dieu sait jusqu'où ils sont allés ? » Les chevaux sont partis, par le chemin, vers la montagne- « Ils peuvent galoper comme ça pendant 3O km, on l'a déjà vu en Lozère. Ici, ils ne connaissent pas le pays... Et nous non plus. Où aller les chercher ? Je crois bien que Saint Jacques, ça va s'arrêter ici ! » si je connaissais mieux Louis chardon, je saurais qu'il se brosse le tableau le plus sombre pour ne pas devoir l'assombrir encore, qu'il imagine le pire pur que la réalité reste en de ça. Voilà les garçons. André a juré haut et fort. C'est la deuxième nuit consécutive qu'on lui fait le coup ! Il faut aller réveiller Don Pedro à Villa Franca et, avec lui le vétérinaire et des gars du pays. (il est 4 heures !) Et chercher, patrouiller... « Donnez- nous des longes et des torches. » Ils s'en vont. Geneviève, Momone, Dominique, Elo sont parties de leur côté, à pied, en suivant les traces. Ce n'est peut-être pas bien efficace ! Mais comment rester inactives ? Nous qui restons, nous ferons chauffer de l'eau, nous laverons pauvrement la vaisselle, pour nous occuper. L'atmosphère est au noir. Comment les retrouver ? On en a, en tout cas, pour quelques jours ici ! Ici ! Ça ne me déplaît pas tellement. Après, on verra. Je suis bien que je suis naïvement, béatement, indécrottablement optimiste et que je ne connais rien aux mœurs des chevaux qui se taillent, mais pas une seconde je ne peux prendre cette situation au tragique. C'est comme ça. Les hommes sont remontés du village, avec la camionnette et une Land Rover et une équipe d'Espagnols. Ils vont prendre la montagne par le haut. Don Pedro par téléphone, alerte tous les officiels du coin. Et le jour n'est pas encore levé ! Nous attendons, un peu minables, lançant des appels de torche qui situeront l'ermitage pour celles qui sont parties dans la nuit.
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Va-t-il enfin faire jour ? On guette ! Mais oui, ça bouge là-haut ! Un cheval ! Un autre ! Un blanc, deux blancs ! Une grise ! Maha ! Un, deux, six, huit ! Ils descendent. En jaune, c'est Momone. Voilà Geneviève. Dix, douze, seize ! Ils y sont tous. Pas si pessimistes que cela, nous avions disposé deux trois seaux d'orge aux endroits stratégiques. La plus noble conquête de la femme, c'est le cheval. Les transfuges s'étaient arrêtés tout en haut, fatigués sans doute par ce galop en côte. Ils avaient trouvé de l'herbe dans un découvert. Geneviève avait dû passer près d'eux, une première fois, mais il faisait nuit noire. Au jour levant, elle les avait trouvés, au complet. Et ils redescendaient, sans histoire. Les voitures reviennent aussi. Les hommes ont vu. Il me semble que les Espagnols sourient ... La vie de la randonnée, un instant suspendu, reprend son cours. Musettes, bouchons, petit-déjeuner, chargement. On part. Peut-on dire de ce pays sans arbres, sans verdure qu'il est beau ? Il est grand, majestueux, immense, l'empreinte de l'homme ne s'y révèle que fort peu maintenant que la terre est au repos. Entre Burgos, Palencia et Leon, il n'y a que des petits bourgs. Beaucoup s'appellent : del Campo, ce qui dit bien l'importance de la campagne. Ici, on a seulement l'impression d'être « sur la terre », la notion se perd de paysage flamand, paysage français, paysage espagnol. Et le ciel pathétique qui couvre cette immensité achève de vous faire participant d'une vie cosmique. C'est au centre d'un plateau où l'œil à l'infini suit un horizon circulaire que nous nous remettons des émotions de la nuit. Le rôti de Momone est parfait. Bravo ! dit la cuisinière - chef. Bravo disent tous les autres, la bouche pleine. Le tinto de la Rioja doit titrer plus que d'habitude. Café, por favor ! Heureusement que nous trouvons dans un imperceptible repli de terrain, un Trou les trous del Campo où l'expresso est bien tasse. Il y aurait d'ailleurs aussi des choses à y voir ; l'église est originale, on aimerait y entrer. Il faudrait que nous ayons plus de temps. « le temps dévore l'espace et grignote nos étapes. Nous aurons vu et vécu beaucoup de choses du Puerto del Perdon aux Montès de Oca, nous en verrons et en vivrons d'autres jusqu'en Galice. Mais nous ne disposons que de trente jours - si peu et énorme ! - Beaucoup de choses aussi nous auront échappé. Rien n'est parfait. Nous repartons, pour échapper à cette bouffée de nostalgie. Nous faisons toujours nos petits détours par les monastères, cette fois pour contourner Burgos. Ce soir, c'est San Pedro de la Cardena, clefs de Saint-Pierre sur fleur de chardon. Mais l’atmosphère n’y est pas celle d'Irache, encore moins celle de San Millan
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Les moines nous prêtent les communs. Il y a bien sûr une pâture et de l'eau. Et la clôture est tendue avec minutie, en plus d'une clôture existante ! Les communs, ce serait très bien s'ils n'étaient assortis d'un dépôt de vieilles ferrailles. Quant à la crasse humaine que nous trouvons dans les chambres (?) les Pères de San Pedro n'en sont pas responsables et certainement l'ignorent. Coucher dehors ? Il pleut ! Alors ... Ma foi, on dort les yeux fermés ! Et demain est un autre jour.
Tels que nous sommes sur nos montures, en gros manteaux, avec cagoule et capuchons rabattus, nous avons des aires très pèlerins. XXX
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LA COMMUNION DES SAINTS JEUDI I E R OCTOBRE : SAN PEDRO DE LA CARDENA - HONTANAS.
Demain est devenu aujourd'hui et il pleut toujours ! Et pas de grande cuisine où s'offrir le petit-déjeuner. Ce sera dehors, en prenant son tour pour s'abriter dans un garage où un énorme véhicule puant tient toute la place. Gardons le moral et allons visiter San Pedro. Chardon a fait la moue en entrant dans l'église. Lui aussi préfère le roman et n'apprécie guère le « fol orgueil » gothique qui hausse le col pour atteindre le ciel. La hauteur des nefs est impressionnante, mais c'est leur seul caractère. N'empêche que la visite a de quoi nous étonner, nous épater un peu. On peut voir, à côté du chœur, un extraordinaire escalier à vis, de 803 marches, prolongées par une volée plus étroite qui compte encore 100 marches. C'est une rigoureuse construction architecturale. Si vous levez la tête, vous distinguez un petit cercle de ciel, tout en haut, vertigineusement haut, après la 903ème marche. Dommage, nous n'avons vraiment pas le temps d'y monter. D'autant que le monastère recèle d'autres curiosités. Le tombeau de Huy Diaz de Bivar. Vous connaissez. Non ? Bien sûr que si ! Du Cid ! Les tombeaux du Cid, de Dona Chimène, son épouse et de leur postérité. Même en gisant de pierre, il en impose, le Campeador (le Champion) ! Je cherche vainement parmi les « casiers » occupés dans les quatre murs par la nombreuse famille du Cid, celui qui abriterait les restes de Babieca, son cheval. Avant de mourir, il eut l'idée hérétique, malvenue, arabe, d'exiger qu'on l'enterre avec lui. Ce qui lui fit manquer la canonisation. Sa gloire lui suffit et sa légende : « laisse faire le temps, ta vaillance et ton roi » Nous traversons ensuite un petit cloître mozarabe. Est-ce hérésie de trouver une même âme à une voûte romane et un arc mauresque ? Au fond, contemporains, ils traduisent la même foi primitive, réaliste, de l'homme qui reste près de la terre en tentant de se rapprocher de son Dieu. Celui-ci seul diffère, Peut-être... Primitive aussi et réaliste, la fresque moderne qui retrace, dans une cacophonie de couleurs, la décapitation des moines de San Pedro par les Maures. J'apprécie tout particulièrement la joie, épanouie sur les visages de ceux qui, au ciel, voient arriver leurs frères, glorieux martyrs. C'est un des aspects de la communion des saints. Je ne devais pas être en état de grâce en visitant le monastère. Il mérite mieux que le « chouette, il ne pleut plus » qui me vient à l'esprit en sortant. Il ne peut plus, mais il vente. Un vent qui hurle à nos oreilles des symphonies discordantes, sifflantes, un vent de plateau. Burgos, voisine, est à 800 mètres d'altitude. Nous ne descendrons pas plus bas. J'ai assez regardé ses jours derniers le paysage, les chaumes, les garrigues, l'étendue à perte de vue des terres nues. Peut-être à cause de 903 marches, aujourd'hui je regarde le ciel. Maha, toi, regarde ou tu mets les pieds. Un ciel mouvant, tourmenté, pathétique, apocalyptique ! Nulle part je n'en ai vu d'aussi impressionnant. N’ai-je jamais pris le temps de regarder le ciel ?
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Jusqu'au couchant, où l'image se précise encore, je suis hantée, obsédée par quelques vers : "Un soir dans la sierra, passait Campeador Sur sa cuirasse d'or, le soleil mirait l'or Des derniers flamboiements d'une soirée ardente … … Il n'était qu'or partout, du cimier aux talons L'or des cuissards frappait l'or des caparaçons.... Je ne sais plus de qui ils sont, je ne retrouve pas la suite. Je trébuche toujours sur les caparaçons.... Je sais seulement que le fameux cid, ce soir-là, rencontre un lépreux et que... Il arracha son gant et lui donna la main. Victoria me délivre : Jose-Maria de Hérédia ! Mais elle non plus ne fait le raccord entre les vers manquants. L'étape est longue, nous ne rencontrons quasi personne. Si ! Un groupe de paysans qui spontanément, sans que nous leur ayons rien demandé, nous crient que « le chemin de Santiago, c'est dans l'autre sens ». Nous leur expliquons tant bien que mal que nous avons dévié pour éviter Burgos et rejoindrons le chemin plus au sud. Faut-il que la présence de cavaliers à cet endroit soit significative pour qu'aussitôt on les associe au Camino ! Ils ne sont pas perdus non plus, les paysans. Ils sortent de ces curieux tumulus, appuyés à une pente du sol, fermés par une solide porte et sommes d'une cheminée d'où s'échappe une odeur caractéristique, comme d'une cave de bougnat. C'est presque cela. C'est dans ces « bodegas » que se fait une partie de la vinification des raisins de la Rioja. Ce soir, c'est d'immensité, d'aridité désertique, de vent et de ciel, que sont saoulés les pauvres pèlerins de Saint Jacques de Compostelle. Les phares d'un tracteur travaillant encore à la nuit tombante, sont le premier signal humain qui nous soit fait depuis des heures. Nous le suivons. Et C'est ainsi que nous arrivons à Hontanas, en même temps que le dernier cultivateur qui rentre chez lui, que le troupeau de moutons qui descend, comme nous, par un chemin étroit bordé de hauts murs, plus hauts que nous sur nos montures. Au centre du village, Don Pedro attend le boulanger, au milieu des femmes et des enfants, à la fête en voyant les chevaux. Ça court, ça crie, ça tourne autour de nous. C'est bon. C'est bon la chaleur des gens, des rues étroites, des fenêtres éclairées.
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Le bivouac - total - à Hontanas ressemble à celui de Medrano. Peut-être un peu moins gai, parce que nous approchons de la fin de la première marche. Même, Flo nous quitte déjà. On ne l'a guère entendue hier et aujourd'hui. Mélancolie ? Geneviève et Momone vont la conduire à Burgos. Un peu froid au cœur. Un peu froid aux pieds. On avait bien appris à l'école que le climat continental, le climat de plateau se caractérisaient par des froids nocturnes assez vifs. On y est, dans les froids nocturnes. Je fais le recensement de toutes mes petites et grandes laines. Insuffisant ! Je vais rêver que les Maures me découpent avec de grands couteaux froids avant de m'envoyer rejoindre au Paradis, mes meilleurs amis tout souriants
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CHARTRES N ' ETAIT PAS CHARTRES VENDREDI 15 OCTOBRE : HONTANAS - BOADOLLA DEL CAMINO
Ce n'est pas au paradis que je m'éveille. Il fait cependant tout blanc. C'est la gelée. Je peux la gratter de l'ongle sur ma bâche, sur mon sac. Brrrr ! On ne se lavera que le bout du nez. Nous devons repasser par Hontanas, traverser le village. Encombrement ! Que se passe-il ? Une 204 est arrêtée sans vergogne au milieu de la rue. On s'agite, on crie autour de la voiture pour attraper et arrimer sur le toit les bottes de luzerne jetées par la lucarne d'une grange. Ces motorisés, quand même ! La voie est enfin libre. Allons Maha ! Un peu plus de nerf, s'il te plaît. Tu ne t'amuses pas sur ces étendues monotones. Moi non plus, figure-toi. Si en plus il faut que je te pousse ! Je ne la pousserai pas loin, ce matin. Nous arrêtons à Castrogeriz, halte fameuse sur le chemin des pèlerins. Peu avant le village, une superbe ruine ogivale a retenu notre attention : restes de l'hôpital San Anton. Ce saint était invoqué avec succès contre l'érésipèle, plus connu d'ailleurs sous le noms de feu de Saint Antoine. Castrogeriz ! L'abbé Bernès compare le village à un lévrier, un de ces lévriers si abondants en Castille; couché en rond sous le soleil ardent de l'austère pays. C'est assez bien cela : le sommeil, la léthargie d'un endroit dont l'origine remonte à la nuit des temps, qui connut de nombreuses heures de gloire princière et guerrière - le château en ruines au sommet de la colline en témoigne - des heures de gloire pélerine aussi. La visite de Castrogeriz est longue et intéressante : la Colegiata de la Virgen del Manzano, poème de pierre polychromée, puis les églises, San Juan, dan Domingo et son musée. En décrire les trésors, c'est parler toujours d'or, de pierreries, de somptueux tissus, de tableaux, de statues... Je déteste les visites guidées. Disons-le une fois pour toutes pour ceux qui ne s'en seraient pas encore aperçus. Je les fuis. Peut-être que de grandes beautés m'échappent, certainement même. Au moins celles que j'ai vues m'ont attirée, retenue, m'ont apporté mon content de joie et d'émotion. Je préfère, dans les rues du village, imaginer l'arrivée de groupes de pèlerins ; à pied ou à cheval, comme nous., leur épuisement d'avoir tant marché, leur joie d'atteindre une étape sûre où les attendent l'hôpital, l'hostellerie, l'église, l'affairement des gens autour d'eux, le tableau haut en couleurs - et vivant lui - que devait faire tout ce monde, la vie d'une bourgade comme Castrogeriz il y a six ou sept siècles. Sans doute y attachait-on déjà les chevaux comme Chardon a pris le risque de le faire, aux grilles des fenêtres ?
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Nous emportons d'ici le Tau du pèlerin, une minuscule lettre T émaillée, le T des prédestinés. Nous aurions dû, à Castrogeriz, être au terme de la première étape, de la première marche. Partis avec un jour de retard, nous arrivons avec un jour d'avance. Qui faut-il féliciter ? Le Jefe ? « Pressons, poussez-vous, vous n'arriverez jamais à Saint Jacques ! » Les chefs de file, fins pistiers ? Les chevaux et les cavaliers Et remercier le coq de San Domingo qui a chanté. Le jour gagné sur la seconde marche sera précieux, parce que « ici, c'est du gâteau, vous allez voir en Galice ! » Eh bien, en route donc, pour aller plus loin. L'après-midi est bien entamée quand nous escaladons les flancs du plateau de Mostelares, garrigue d'épineux et d'aromatiques où l'horizon est un des plus vaste du chemin. Les chevaux ont retrouvé avec plaisir un terrain plus accidenté. Ces Lozériens s'ennuient sur le plat. Quant à Farrurita, rendue provisoirement à la liberté, Claude a repris Mistral laissé par Flo, elle gambade, joue avec Heidi, feint de filer au galop et s'arrête net, dix mètres devant nous. Merci de nous distraire, Farrurita, car après Mostelares, c'est la même déprime des chemins pierreux entre les terres nues. Une seule diversion mais parfaitement évocatrice de ces plateaux de Castille : les bergers. Ils suivent leurs troupeaux, tas de laine blanc sale, drapés avec une noblesse inimitable dans une grande couverture qui leur fait une cape, jusqu'au sol, sur la tête le béret et à la main le long bâton au bout recourbé comme une crosse. Ils ne crient pas pour exciter leurs chiens ou regrouper leurs ouailles, ils sifflent, comme des oiseaux. Nous en croisons plusieurs, nous nous demandant d'où ils viennent, où ils vont et ce que mangent leurs bêtes. Peut-être sont-ils de ce village vers lequel nous nous dirigeons ? Tellement lointain que j'ai l'impression qu'il recule, que jamais nous ne l'atteindrons. La route pierreuse, entre nous et lui est droite, plate, et absolument plat le pays tout autour. Cette image...? Bien sûr, c'est Chartres. Le village au bout de l'horizon, c'est la cathédrale. C'est ici qu'il faudrait entendre, mêlés aux appels du vent, les voix, les chants envoûtants des pèlerins que nous avons écoutés dans la chapelle de l'ermitage. Nous finirons par y arriver, au village. Accueillis par une vingtaine d’enfants, au moins. L'abreuvoir, s'il vous plaît ? Por aqui. Ils se bousculent pour nous y conduire, s'enhardissent, se collent aux chevaux. Caballos ! Caballos ! Yves est allé voir, sous le porche de l'église, mais n'a pas trouvé le message promis. Que faire ? Se pencher sur la carte ? Deviner ? « Je sais pourquoi il n'y a pas de message à l'église. Ce n'est pas la bonne église, Chartres n'était pas Chartres. Il n'y a qu'à changer de cap. Nous le voyons, l'autre village, le bon. (?) Il nous faudra encore une heure pour l'atteindre, et entrer là, dans la pauvreté espagnole. Pas de rues, c'est la terre. Boueuse puisqu'il a plu. Les maisons, cubes de terre à même la terre, pas de trottoirs, pas d'alignement, pas d'éclairage et il fait presque nuit. Je n'ai pas envie de m'appesantir, de m'apitoyer ce soir, sur cette pauvreté. Je suis fatiguée. Je paie ma nuit grelottante. Et ce foutu bivouac est en plein courant d'air ! N'auraient vraiment pas pu trouver autre chose ?! il faut tout de même que je me tape le dîner pour 18 : Flûte ! J'ai tellement sommeil !
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Cette providence de Pedro a déniché un gîte, dans cette misère ! On verra demain comment c'est « dehors ». « Dedans » je crois bien que ça doit être la boite de Boadilla del Camino, by night. Imaginez le décor que nous voulez. Il y a du plancher. Salut ! Je dors déjà. XXX
Quand je vois notre file qui s’étire.
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DES PELBRINS PAS RICHES SAMEDI 16 OCTOBRE : BOADIL LA DE L CAMINO - ABADIA DE BENEVIVERE
(CARRION DE LOS CONDES )
Dedans, c'étaient des tables boiteuses, avec encore des verres abandonnés, des casiers de bouteilles vides sous l'escalier branlant, des affiches aux murs entre d'incontables chromos et l'inévitable calendrier publicitaire, des petits abat-jour rustico-artisanaux, la tête sur l'épaule et cent autres choses en vrac. Mais ce b..odega ; n’étais pas sale, il y faisait chaud et sec. Dehors, c'est une bosse, un tumulus, entouré d'autres semblables, « un tumulus, des tumuli un village de tumuli ». Pedro est venu avec la voiture chercher les bénéficiaires de ce parador et nous ramène au campement. Et c'est une jolie surprise de trouver si verte, si fraîche au milieu de tout cet ocre sale, la prairie où les chevaux ont passé la nuit. Le rituel du départ, cette fois, qui pour la plupart est la dernière... Ne disons rien, n'y pensons pas. Mon Dieu que j'ai bien fait de me lancer dans l'aventure jusqu'au bout, toute la fatigue d'hier envolée après une bonne nuit. Je ne rendrai pas mon tablier de cuisinière. Nous avons aujourd'hui encore une visite à faire, mais celle-là m'enchante. Admirons Dona Mayor, comtesse de Castille, épouse et veuve de Sanche le Grand, roi de Navarre qui fonde aux environs de 1O66 le monastère de San Martin, à Fromista. Pendant que les souverains, guerriers, font reculer le More, les femmes emploient leur énergie et leur foi à bâtir des sanctuaires, dans ce pays d'Espagne qui vit les Grecs, les Romains puis les Goths avant l'Islam, façonner sa terre et sa civilisation. Comment l'art roman, si français y aurait-il trouvé sa place, s'il n'y avait eu les pèlerinages à Compostelle ? Si Cluny, Cîteaux n'avaient participé, sur le chemin, à la construction de cette « robe blanche » d'églises dont se couvre le monde au lendemain de l'an mille. Les sculpteurs qui ont fait naître sous leur ciseau les 315 modillons originaux, chapiteaux des colonnes de San Martin, devaient être bourguignons ou toulousains. Il n'y avait qu'eux pour donner une aussi énorme santé aux paillardises, monstres, allégories, attitudes obscènes ou érotiques qui témoigne de la vitalité et du mysticisme à la fois, des chrétiens du Moyen- Age. L'église romane de Fromista est un peu trop restaurée, mais belle, pure, nue, parfaite. A droite, dans le chœur, un extraordinaire Saint Jacques polychrome en est l'âme, le gardien et aussi toute la justification. Fromista est un haut lieu du chemin. Pedro veut en garder un souvenir. En selle ! Pour la photo ! Je lui prête Maha. Le tour par la gauche, le tour la droite... En faisant semblant de rire de notre naïveté, mais dans le fond, bien contents. Si au moins, on la voit un jour, la photo ? !
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Nous n'irons plus bien loin. Louis Chardon veut nous trouver à Carrion de los Coudes, un campement idéal où les chevaux vont rester deux jours, dont les partants devraient emporter un bon souvenir et les arrivants recevoir bonne impression. Sans compter que nous, les Jacquets du bout en bout, (nous sommes quatre femmes, dit-on les Jacquettes ?) devrions nous refaire un tonus tout neuf. Il se met en route avec Pedro, incontournable interprète. Nous les suivons de près. Ce qu'on a pu galoper, cette après-midi-là ! D'abord, nous marchons le long d'un canal qui doit aller tout droit à Carrion. Je bavarde avec Claude. Il doit en être à sa troisième vie, tant il a déjà vu et fait de choses ! C'est la promenade. Mais Geneviève flaire les sentiers aussi bien que ses chiens. Petite diagonale : on tient le bon ! De l'herbe. Tout droit. On a fait voler les mottes, longtemps. Ah Maha ! Nous ne partageons plus le plaisir de galoper, nous le multiplions par deux. Je sens le tien et je t'y pousse. Tu sens le mien et tu allonges. Formidable ! Déjà Carrion. On en sort en ayant seulement regardé quelques fort belles façades. Pedro venu à notre rencontre, emprunte Ecume. J'aime le voir à cheval, il se révèle à sa place, simplement digne et naturel à la fois. Pedro est un magnifique cavalier. Comment vit-il sa randonnée- pèlerinage au volant de la camionnette d'intendance ? Il nous conduit à l'Abadia de Benevivere, à 5 kilomètres environ de la petite ville. C'est une grande propriété, plus résidence qu'abbaye, où nous entrons par une longue allée entre des barrières blanches. Les chevaux y auront la paix, de l'eau et de l'herbe jusqu'à lundi. Pour nous, c'est une immense grange, vide, propre. Il y a du bois et de la maison du régisseur, contigüe, on nous remplira les réservoirs d'eau. C'est bien. Moral à bout de bras, pour un dernier dîner, une dernière veillée. Yves, tu m'enverras des photos, toi qui as sauté de cheval dix fois par jour pour fixer tant d 'images. Nany, camarade attentive me laisse son sac de couchage : le mien dans le sien, je pourrai affronter les nuits de gel. Victoria, j'irai te voir dans les Cévennes, nous échangerons des pelotons de laine... C'est moche, les séparations. Louis Chardon nous remet le cœur à l'endroit, en racontant comment, avec Pedro, ils ont découvert notre abadia. Ils ont vu un campement possible, puis un autre, sans se décider, espérant toujours mieux. Pedro sortait « la lettre » !, la fameuse lettre du Commissariat au tourisme espagnol à Paris qu'il s'était fait remettre avant le départ. Le sésame de toutes les portes qui se sont ouvertes devant lui et devant nous, le petit coup de pouce officiel qui emportait la décision d'un indécis à céder une pâture, une classe, une grange. C'est pour le Commissariat au tourisme, la photo de Fromista. Et avec la lettre, Pedro sortait son discours. Chardon, qui connaît autant de mots espagnols qu'il a de poils blancs dans la barbe, pourrait le répéter par cœur, tellement il l'a entendu : « Nous venons de France et allons à Saint Jacques de Compostelle.... Nous sommes des pèlerins, pas riches.... » L'œil de Pedro est merveilleusement rosse quand il commente, avé l'assent de Montpellier où il est né, « tu comprends, avec 16 chevaux de selle, je ne peux pas dire que nous sommes de pôvres pèlerins ! » XXX
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BENEVIVERE! DIMANCHE 17 OCTOBRE
C'est un vrai dimanche. On peut flâner ...au lit ! flâner pour faire sa toilette, ranger les impedimenta qui en ont grand besoin. Même les partants ont le temps, leur train quitte Burgos à la nuit. Ils visiteront la ville l'après-midi. Je n'accompagne pas. Je reste avec Geneviève qui elle, reste pour les chevaux. Je n'ai pas du tout envie d'aller en ville, me trouver projetée dans le bruit, les odeurs, l'agitation de la ville. On est si bien ici. Je ne verrai pas Burgos. Je préfère. Ce que je pourrais en découvrir en quelques heures de course sera tellement fragmentaire. Je reviendrai en Espagne. Je referai les villes du Camino. Adieu tous ! Bon voyage ! On se reverra ! A tout è l'heure, Monsieur Chardon ! Don Pedro aussi se repose, à Carrion. Geneviève et moi irons innocemment, à pied parce que les deux voitures sont parties, le rejoindre à l'heure du déjeuner, qu'il nous offrira en parfait caballero. Quelle belle promenade ! Nous faisons avec une large marge supplémentaire nos 10 kms quotidiens de marche à pied. Sous les alamos, traduire peupliers, le long d'une ancienne voie romaine. Quelle bonne journée ! Nous nettoyons, rangeons les cantines : le sel, le sucre, la farine, l'huile, la moutarde, les épices, le « café » ! le chocolat, les thés et infusions. Les casseroles, les quarts, les couverts, les casiers ... et tout le reste. Sous un soleil hésitant mais qui tient bon, les haies de Benevivere fleurissent de chaussettes, de slips et autres futilités multicolores. Nous aurons aussi, enfin, pu faire un peu de courrier. Oh ! Nous avons de la visite ! La senorita propriétaire accompagnée de la duena et d'autres dames, élégantes ô combien ! toutes en robes noires et bijoux d'or, soignées, maquillées, viennent aimablement s'assurer que nous ne manquons de rien. Nous avons bonne mine, en jeans et bottines, au milieu de notre barda. Pendant que j'essaie de faire le plus convenablement possible la conversation (aucune aide à attendre de l'espagnol de la fille Anquetil Geneviève) de répondre aux questions de ces dames sincèrement intéressées par notre randonnée, je retiens à grand peine un fou rire qui n'arrange rien. Je « vois » Geneviève, robe noire et talons hauts, chaines et bracelets. En tinnabulants, en train de ferrer Maha dont, en tralala de grand soir, je tiens le postérieur. Rien à faire ! Plus j'essaie de me concentrer sur mon vocabulaire, plus les détails saugrenus s'ajoutent au tableau. Les dames qui ne se doute de rien, font un tour de la grange puis s’en vont.
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Ouf ! Il était temps. Nous nous retrouvons en tenue de campagne, entre les marmites et les bidons. Le baile ou régisseur vient nous saluer avec sa femme et sa fille. La maman, très fière, explique que la gamine apprend le français à l'école. « Bonjour, comment vas-tu ? ». « Dis-nous quelque chose en français. » Très appliquée, elle commence « Notre Père qui es aux cieux ...» Si la France est la fille aînée de l'Eglise, il y a d'abord eu l’Espagne, d'un premier lit. Ce n'est que le soir qu'il a plu et qu'après la distribution des musettes, il a fallu bâcher les chevaux pour la nuit. Farrurita n'est plus seule. Elle a élu P'tit Gars, qui la protège. Ils sont ensemble, de l'autre côté du fossé. Tout va bien, il n'y a plus qu'à attendre « les nouveaux ». Ils arriveront à minuit. Dans un demi-sommeil et une demi-obscurité, je distingue des toques, des culottes cavalières, des bottes... BCBG les nouveaux ? Bonsoir. Installez-vous. Bon Voyage ? Et les autres ? Bien partis ? Alors, dormons un peu. Demain, on marche.
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TROIS DOCTEURS ET TROIS DOMINIQUE LUNDI I8 OCTOBRE: BENEVIVERE - SAN NICOLAS DEL REAL CAMINO
Bonjour les arrivants ! Tiens, en âge moyen, il faut avancer d'un cran. Et du coup, ce serait aussi un peu plus bourgeois, un peu plus assis... Encore, ce bonnet de nuit, tout mignon, tout coquin, c'est Jean, le toubib. Un des deux. L'autre, c'est Jean-Louis. Avec Domino, baptisée par eux, tout de suite, le petit confrère, nous voilà entre les trois bonnes mains de trois docteurs. Il y a plus jeune aussi : Odette, François, Didier et Sylvette. Didier et Sylvette, ce n'est pas Paul et Virginie, c'est Petit Paul et sa sœur, comme dans mes vieux livres de lecture élémentaire. Nous avons toujours une barbe, pour rivaliser avec celle de Chardon. Moins fournie, plus longue, ceci compense cela, c'est Antonio. Monique, la femme de Jean, Nelly l’épouse d’Antonio, tous deux Madrilènes. Costte, Kito, et la petite dernière, encore une Dominique, « Mademoiselle Dominique Chardon », comme le précisent les programmes de l'Habitarelle pour éviter toute confusion. Le compte y est. Nous revoilà 16 cavaliers, plus les trois vieux routiers de l'intendance, Chardon cédant Ecume à Dominique. Si je compte bien, cela fait une assiette de plus, chaque soir ! Parce que je garde Maha... et la cuisine. Momone garde P'tit Gars et les musettes. Dominique la grande monte toujours Amadou et recoud les rênes cassées. (çà arrive) et Domino chevauche sur El Kebir, la sacoche pleine de médicaments à usage vétérinaire qui, depuis le chêne de Soult, n'ont heureusement plus servi Jean-Louis boutera le feu, Didier chargera la 404 et tout le monde aidera tout le monde. C'est Jean qui hérite de Judith alors que Monique se voit attribuer Barri, le ménage d'Yves et Anne à l'envers. Cosette espérait Rhapsodie, le cœur serré elle accepte Bélugue (étincelle en Languedoc), à Sylvette, Fantasia, à Kito, Djézaïr... On va partir. Pas avant d'avoir avalé un substantiel petit-déjeuner au cours duquel Pedro, tout surpris, a vainement tenté de couper la parole à Jean. Eh, bé, Docteur ! Nous, on n'a pas fini de rire. «Dominique Chardon» (ça va être facile) a bien étudié la carte. Elle prend la tête après que nous avons fait à nos hôtes des adieux vraiment reconnaissants. C'était parfait, Benevivere. Louis chardon a une sympathie régionaliste particulière pour Odette, nozériene comme lui. Il lui a fait un cadeau : Farrurita. Mais Farrurita a gambadé en liberté pendant deux jours, puis s'est offert un jour de pré. Elle a oublié beaucoup de ce qu'elle avait appris. Et Odette se retrouve par terre, pas heureuse. Françoise qui possède un solide troisième degré va la remplacer. On lui prête tout de même une bombe.
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En vieille Castille, je croyais avoir traversé le désert. Illusion ! C'est maintenant que nous y sommes. La chaussée des pèlerins qui part de l'abadia est «le désert» : des champs tout plats qui s'étalent à l'infini, nudité et silence. Après des kilomètres, perdue au milieu de cette immensité monotone, une stèle blanche, avec la croix et la coquille, un signe pour la nouvelle équipe. Un peu plus loin, sans qu'on ait pu le prévoir, le chemin descend. Et c'est, dans le creux, la surprise d'un hameau : maisons de pisé ocre dont toutes les boiseries sont peintes en bleu, bodegas sous l'herbe, alamos et un ri où les lavandières battent le linge. C'est lundi pour toutes les ménagères du monde. Chaleur, intimisme, couleurs de ce coin humain sous un rayon de soleil. L'étape sera courte, un entrainement pour la Dominique de tête. (ici, c'est du gâteau, vous allez voir en Galice... air connu) Le campement est une réussite. A l'orée d'un village - il y en a de loin en loin, il faut bien que quelqu'un cultive tous ces champs de la Tierra del Campos « riche en tous produits, terre de bon vin clair et capiteux, ce fameux clarete qui chante dans les bouteilles, les cruches, les gourdes les outres et dort tranquillement dans les caves souterraines fraîches et recueillies... » a l'crée d'un village, trois petits clos, contigus, arbores, murs de pisé, grosse porte de bois derrière laquelle nous sommes chez nous. Pas besoin de clôture électrique. Jean-Louis a du bois sous la main, qui craque et pétille tout de suite. Dominique la grande et Domino, mes marmitonnes depuis deux semaines ont vite montré aux autres comment tout tourne rond. A Table ! Hum ! Le clarete descend aussi vite avec ceux-ci ! Le voilà notre cadeau de bienvenue : la tome de saint Jean. Remerciez-nous, on vous l'a gardée. Louis chardon voudrait ramener nos esprits vers plus de conscience pélerine. Nous arriverons quand même à lui faire raconter ses relations pointues avec les cures et les maires de Castille et ce Navarre. «Heureusement, je suis là»; dit Pedro, «je ne traduis pas tout. J'arrange !» Soirée royale à San Nicolas del Real Camino. La bergerie nous attend. Geneviève a bien brosse le sol, ramenant paille et poussières vers les murs. En plaçant adroitement son sac, on peut se faire un oreiller moelleux de crottes de brebis, bien sèches. Bonne nuit !
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SI NECESSITAS , LLAMA ! MARDI 19 OCTOBRE : SAN NICOLAS : VILLAMARCO
Les coins discrets ne manquent pas sous les figuiers de nos trois clos pour faire une toilette convenable qui nous débarrassera de la poussière du chemin et de la bergerie. Ce matin, nous allons en ville, une petite ville riche de souvenirs. Dès l'entrée à Sahagun, pied à terre pour visiter l'église de San Tirso, style romanmudejar, étonnante parce que construite entièrement en briques. Briques rugueuses, poreuses, que rien ne recouvre, ni décoration, ni protection. Certaines maisons très anciennes à Bruxelles et dans les provinces flamandes sont ainsi construites en « briques espagnoles ». Je retrouve leur couleur et leur aspect. Quelques arbres ont permis d'attacher les chevaux. Nous prenons du recul sur la placette, jusqu'aux maisons d'en face, pour regarder la tour, assez haute. Une brave dame qui balaie devant sa porte demande à Jean si nos chevaux appartiennent à l'armée. C'est vrai qu'ici, chacun a sa mule, peut-être, mais que des chevaux, nous n'en verrons pas un. Sahagun fut, comme Castrogeriz, une grande étape sur le chemin de Saint Jacque, autour de son monastère clunisien, le plus important, le plus beau, le plus vaste monastère roman du chemin. Il n'en subsiste que quelques ruines, à peine évocatrices de cette splendeur, et un arc Renaissance, postérieur à la grande époque sous lequel nous nous offrons le plaisir de caracoler pour la postérité et le commissariat au tourisme. A la sortie de Sahagun, la route longe un bois de peupliers. Charlemagne campait ici, à la veille d'une terrible bataille contre les Maures. Ses chevaliers avaient planté leurs lances devant les tentes. Au petit matin, certaines lances portaient des feuilles et des branches : leurs propriétaires moururent tous au combat. Les branches prirent racine et devinrent ces hauts arbres qui sont aujourd'hui le bois des lances. Pas loin de Sahagun, tant que le pays conserve encore figure humaine, nous nous arrêtons pour le pique-nique. Les hommes rentrant déjeuner s'arrêtent auprès de nous. Toujours la fascination des chevaux sur ces cavaliers-nés qui montent des mules. (c'est vrai aussi qu'ils valent l'arrêt et la contemplation, nos chevaux) « nous allons à Santiago ». Ils nous rapportent quelques instants plus tard, une magnifique documentation sur le Camino, dépliants en couleurs, avec textes, illustrations et photos, « publicaciones del Ministeridde lnformacion y Turismo, ejemplar gratuito » ce qui soulage totalement ma conscience quand je vais en piquer un dans la boite à gants de la 204. Signe éloquent, éclatant de l’importance du chemin de Compostelle. Pour les Espagnoles de ces provinces, des paysans dans un village perdu possèdent une telle documentation et pensent à la donner à qui sera heureux de l'utiliser.
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Nous repartons, non sans frôler la catastrophe. Une mule attelée à un tombereau vient à notre rencontre, le chemin est étroit. Nous avons beau nous mettre en file, la petite cousine s'affole, prend le galop, caisse cahotante derrière elle. Tout va casser ! Et le conducteur va mordre la poussière ! In extremis, il rétablit la situation. Chez nous, moins de panique : El Kebir a sauté le talus et Françoise a serré Farrurita de très près. Nous n'en avons pas encore fini aujourd'hui, avec la monotonie des champs labourés. Mais à qui donc appartiennent ces hectares et ces hectares de terres ? Presque pas de villages, et quand il y en a un, il est encore nous misérable que le précèdent. Où se cachent les haciendas qui règnent sur ces vastes campos ? C'est d'évidence le domaine de la grande mono et motoculture. D'où partent les tracteurs ? Et où engrange-t-on les récoltes. En France, dans de tels pays, on voit au moins des silos è grains. Tout cela est matière à penser pendant qu'on avance. Bon Dieu, Maha, pousse-toi un peu toute seule ! Heureusement nous sommes gais de nature. Et Jean semble avoir assez d'histoires à raconter pour traverser trois fois la Castille. Nelly chante. Et puis, si on regarde bien, le chemin réserve de jolies surprises. Voici, toute seule, la dernière maison, déjà loin du dernier village. Une belle maison, en vraie pierre dont on fait les vraies maisons, pas cette misère du pisé, un jardin devant, fermé par une grille. Nous aurions été impardonnables de ne pas voir cette grille : une procession de dragons, un cheval, un coq, un autre coq à l'autre bout (le coq de San Domingo) et forgée dans le même fer, cette double inscription : SI NECESSITAS LLAMA (si tu as besoin de quelque chose, appelle) et REAL CAMINO FRANCES . Cela aussi, c'est le chemin. Et puis, on galope. Bien que Dominique veille Geneviève pour régler les allures et ait décrété avant de partir : qu’elle arriverait à Saint Jacques avec des chevaux frais lui n'auraient (presque) pas galopé. Nous arrivons ainsi à Villamarco où les gosses ont su avant nous que c'est l'étape. Sous la pluie, ils sont quinze, vingt, courant devant nous, se glissant entre les chevaux, nous entrainant à l'abreuvoir puisqu'ils savent que nous devons y mener les chevaux. Ils tiennent les rênes, apportent des seaux crient, piaillent et prennent quelques maternelles taloches. Heureusement que nos caballos n'ont pas le pied trop nerveux. Puis d'autorité puisqu'ils savent tout, ils nous emmènent au centre du village, devant l'école où nous dessellons. Toujours sous leur escorte, nous mènerons les chevaux à l'autre bout de Villamarcco Vraiment pas mal, l'ancienne école. Et une chance ce soir, parce que le temps s'est tout à fait gâté, la pluie est méchante. Est-ce pour nous qu'une longue table et vieux bancs de bois ont remplacé les bancs des écoliers, entassés sur l’estrade ? En tout cas, il y a longtemps que le petit poêle de fonte qui tend jusqu’à la fenêtre le bras de son tuyau noir est et longtemps qu'il n'a plus servi. L'astuce de Jean-Louis et la patience de Monique en viendront à bout. Après s'être beaucoup fait prier, le feu prend, ronfle et dévore les cailloux ... de charbon ! Je pourrai faire cuire la soupe. Et le reste. Comme chaque fois que la lumière est vive, la veillée vire de l'aile. Et tourne au référendum : pour ou contre la corrida. Ça discute ferme. Je n'ai aucune opinion, n'y ai jamais assisté, n'en ai aucune envie. Mais j'aime entendre Louis Chardon entrer dans le débat, comme 58
j'ai entendu Henri Aubanel, manadier aux saintes Maries de la Mer, gendre du marquis de Baroncelli et chef, après lui de la nacioun gardiano, homme de taureau et homme de cheval. Chardon, comme Aubanel, ne dit pas tellement s'il est pour ou contre la corrida, ce qui est certain, c'est qu'il est pour le taureau.
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UN GALOP AUTOUR D’UNE VIGNE MERCREDI 20 OCTOBRE : VILLAMARCO - RONTECHA
La fenêtre de l'école est restée ouverte cette nuit, supprimant tout risque d'asphyxie par oxyde de carbone ou surpopulation. Mais qui donc raconte que les Espagnols se lèvent tard. Pas besoin de Pedro pour sonner le clairon. Tout Villamarco est debout au point du jour. Bon. Eh bien, nous aussi. Il y a d'ailleurs pas mal à faire et les départs sont toujours plus compliqués quand les chevaux sont loin. et en plus des musettes à donner, il y a ce matin les bâches à ôter et replier. Pour Didier et Antonio, charger la camionnette dans cette rue étroite n'est pas non plus une sinécure. D'autant que c'est l'heure où les marmots vont à l'école, la nouvelle, et qu'ils font le détour, viennent voir en passant comment nous nous sommes débrouilles dans l'ancienne. Muy bien, muchas gracias. Pas de panique. De toutes façons nous partirons. Et il fait insolemment beau après la pluie d'hier soir. Serions-nous en train de dire adieu insensiblement aux chaumes nus et aux labours ? Le paysage change, prend un petit air maritime : herbe souple, bois de peupliers, vallonnements discrets qui feraient penser à des dunes fixées par l'herbe et les taillis. Au sol, du thym, de la lavande... Au lieu d'étendues sans limites, les champs sont découpés en soles, longues langues parallèles, les unes déjà labourées, roulées, d'autres attendant encore la charrue. Sur ces damiers, des gens au travail, des ânes, des mulets. Attention, El Kebir ! Croiser un âne dans un sentier étroit, même sur Maha que rien n'agite, ne serait rien s'il n'y avait que l'âne. Mais ses paniers ! Trois fois au moins le tour de ses côtes. Larges paniers de corde ou de toile, débordant d'un bric à brac hétéroclite, légumes, raisins, outils, vieilles nippes d'où émerge immanquablement la botilla. La plupart du temps, juché sur tout cela dans un équilibre propre à la race, l'homme, la vieille ou l'enfant, parfois les deux. Braves petits ânes ! Quand ils ne portent pas, ils tirent : charrettes, carioles caisses sur roues, tombereaux enfouis sous les branches, les roseaux, les tiges sèches de maïs, charges jusqu'à la limite de l'impossible. Les bœufs aussi gagnent leur pitance : en voilà un qui tire la herse. Il tire l'outil et l'homme, debout dessus ? Le poids de l'un enfonce les dents de l'autre dans la terre allégée. Plus loin, une paire est attelée à une sorte de charrue préhistorique, pièce de bois d'une courbe indéfinissable, portant le soc unique, grosse lame brillant au soleil et fendant le sol comme une étrave. C'est beau, l'homme, l'animal et la terre. Jean récite les Géorgiques. Pour notre bonheur et parce qu'elles sont l'indispensable touche finale de ce tableau classique, nous retrouvons les vignes, basses, or et pourpre, avec encore au sol des grappillons violets. Jean-Louis emprunte ma toque pour faire ses vendanges et remonte la colonne, offrant les grains sur muris, parfumés, sucrés. Il en reste. Et on part au galop ! Quelle idée ! Rapide, je me colle la coiffe sur le crâne et cinq cents mètres plus loin récupère mes raisins intacts.
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Facétieuse, aujourd'hui, Dominique. La voilà repartie au galop autour d'une vigne, un grand carré avec, comme tous les carrés, quatre angles bien droits Revenus à l'angle de départ, nous constatons que Judith nous a bien suivis... mais Jean est de l'autre côté, secouant la poussière de sa culotte, un étrier à la main...Pauvre Jean ! La mine triste mais l'œil mouillé de tendresse malicieuse, il rit piteusement de lui-même et rassure Monique. On rafistole l'étrier et il remonte en selle. Il souffre un peu quand même (nous apprendrons plus tard qu'il a trois côtes froissées) Nous serons sages. C'est à nouveau tellement agréable d'aller au pas. Les chemins descendent vers des villages redevenus des vrais villages avec des prés verts, un ruisseau, des maisons fleuries, gaîment peintes. On revoit des poules en liberté et non enfermées dans des cages, à l'intérieur des maisons, comme nous en avons vu plusieurs fois dans la Tierra de Campos. Les chiens retrouvent des allures de chiens, ce ne sont plus de faméliques squelettes aboyant. Est-ce vraiment un paradoxe si là où les champs sont immenses donc les récoltes riches ne vivent que de pauvres hommes, terrés. Ici, ou la terre se morcelle, ou les biens se répartissent, se partagent, gens et bêtes semblent heureux. De message en message, nous avons rejoint l'intendance et contourné Leon. Nous avons coupé la nationale et vu, de loin, la masse de la ville. Chardon nous propose d'y aller demain matin, avec les voitures. C'est ce qui a déterminé l'installation du camp ici, à Fontecha. Nous avons bien marché. La détente est bienvenue. Jean a mal aux côtes. A la veillée ce soir, il sera question d'une vigne espagnole, d'une cabriole, d'un galop circulaire « qu'avait la forme d'un carre » et d'un malheur déjà arrivé au Adam. Tout cela mis en musique par l'intéresse lui-même.
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LES VITRAUX DE LA CATHEDRALE JEUDI 21 OCTOBRE : FONTECHA - HOSPITAL DE ORBIGO. (LEON)
Retiendrons-nous de Leon fort peu d'impressions jacobites ? Les grandes villes se ressemblent à la surface du monde habité. Dépassés un certain chiffre de population, un certain niveau d'activités, la ville devient la même partout. Autant Puente le Reina, Sahagun et peut être Estella que nous n'avons pas vue sont dépaysantes, riches de messages, autant Leon et aussi Burgos qui « n'est qu'une cathédrale » sont banales et conformistes. Leon est moderne, tirée au cordeau. La cathédrale gothique, d'un gothique très français - elle ressemble, en moins bien à Notre Dame de Reims a été trop dégagée, elle s'élève au milieu d'un jardin trop net, trop ras, au lieu de jaillir de l'enchevêtrement des maisons voisines comme ce devait l'être à l'époque de sa construction, où elle traduisait l'élan de foi et de ferveur vers le ciel. Ainsi isolée, elle paraît trop courte, et la prière aussi. Peut-être est-il difficile à des Français, plus encore à une Belge, gâtés parce qu'ils possèdent chez eux les plus belles réussites architecturales du gothique religieux d'admirer sans réserve une cathédrale espagnole ? Celle-ci m'arrachera cependant un OH ! C'est en entrant, Eblouissement. Emerveillement de la lumière et de la couleur. Des murs de vitraux. Multicolores, chatoyants, irisés traversés par toute la générosité du soleil. Vitraux d'une infinie variété de sujets, de dessins Bibliques, allégoriques réalistes, histoires, personnages, animaux, feuilles, fruits. Il y en aurait pour des heures à détailler. J'y passe quelques minutes dans l'enchantement, assise au centre de la nef, comme au foyer de l'œil qui capte toutes les impressions, me laissant envahir inonder, submerger de lumière et de couleurs. Ces quelques minutes rejoignent la liste déjà longue des moments forts de la marche vers Saint Jacques. Un pèlerin se doit de voir à Leon l'église San Isidore, à cause de son histoire et de ses beautés. Construite comme San Martin de Fromista et à la même époque par la ferveur d'une reine, Dona Sancha, épouse de Ferdinand de castille, pour accueillir les reliques du saint, agrandie pour devenir le Panthéon des rois de Leon, embellie, agrandie encore par une autre reine, Urraca, fille de Don Sancha, au cours du Xllème siècle. Essayons de ne pas regarder ce qu'un mauvais goût ultérieur a collé sur les portes romanes, surtout que San lsidoro, matamore statufié plagie minablement le nôtre et offrons notre admiration sans réserve aux chapiteaux et aux voûtes peintes de la chapelle des rois. Le musée contigu est riche d'orfèvreries et surtout de sculptures sur ivoire, renommée de l'atelier de Leon.
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Quand nous aurons vu sur la façade de San Marco - le plus jacobite puisque jouxtant le pont qu'empruntaient les pèlerins devenu aujourd'hui une hospederia superbement baroque, le bas-relief de tout de même que Leon devait être une grande étape sur le Camino. Didier et Jean Louis nous avaient amenés au volant des deux voitures. Ça brinqueballait fort dans la bétaillère d'où nous sommes sortis sans complexes au cœur du vieux Leon Il existe, j'y reviendrai voir ! Il faut rentrer de la même manière. Et je me confie à mon ange gardien et à Saint Jacques plutôt qu'à Didier qui conduit à tombeau ouvert. Ouf ! Monsieur Chardon, nous voilà. Il est plus de deux heures. Nous devons déjeuner. Nous ne pourrons plus aller bien loin. Et le campement de ce soir n'a pu être ni prévu ni préparé puisque nous mobilisions les voitures vite ! Un sandwich, un coup de tinto et en selle ! Je ne retiendrai de cette demi-étape que la lumière dorée, fluide, tremblante qui illuminait les peupliers au bord d'une très longue allée de terre, la même lumière déjà pâlie, plus jaune, que renvoyaient d'autres peupliers, un peu plus tard, le long d'un chemin de campagne. Et le grand moment théâtral qu’est le passage des 16 chevaux, au Puente de Órbigo. 1O4 mètres, 20 arches, un petit muret qui arrive au genou du cheval, au fond, en bas, très bas, au bord du rio Órbigo, une toute petite intendance qui nous fait signe. Les 16 chevaux, lentement, noblement, défilent sur le pont. Nous ne mettrons pied à terre que de l'autre côté. Au fond, en bas, je vais voir du côté des casiers à mangeaille. Qu'est-ce que je vais faire cuire ce soir ? Veau, porc, mouton ou poulet ? Il y a toujours ces magnifiques poivrons rouges achetés quelque part en Castille si ce n'est déjà en Navarre. Mûrs à point et qu'on va faire griller puisqu'on en a le temps. Comme le chante Jean qui nous régale lui, et chaque soir, d'un couplet sur l'étape du jour, « nous avons établi le rond de la simplicité biblique ». Dîner et veillée : on mange et on boit ensemble, on cause, on discute et on chante ensemble, on rit et on chante ensemble. Les flammes de notre feu montent, leurs sur les robes des chevaux près de nous. Les voitures font masses d'ombre. Il nous manque pour être tout à fait vrais qu'elles soient de bois, les voitures : planches vernies, fenêtres à croisillons, petits volets, grandes roues, rayons et cerceaux de bois, toit arrondi somme d'une petite cheminée.... Et que demain, dans les brancards, on attelle les deux juments les plus solides. Ça, ce serait l’aventure ! Comme j'aimerais ! xxx
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PANIER, PATATES ET HAUTS DE CHAUSSE VENDREDI 22 OCTOBRE : HOSPITAL DE ORBIGO - EL GANSO
Il faut repasser le pont. Exprès. Pour la gloire, pour le plaisir et pour la photo. Pour l'histoire aussi, l'histoire des 104 mètres du Paso Honroso, le passage d'honneur. En 1434, l'année était compostellane, le 25 juillet tombant un dimanche, (vous pouvez vérifier) beaucoup de chevaliers, car en ce Bas-Moyen- Age, c'étaient plus les seigneurs que le peuple qui hantaient le chemin, beaucoup de chevaliers donc, allaient à Saint Jacques. Et l'un d'eux, Leonais, Don Suero de Quinones, eut l'idée de défier, pour l'amour de sa Dame, tous les chevaliers qui emprunteraient le pont de l' Órbigo. Joutes d'honneur, tournois, qui durèrent un mois. Don Suero et neuf de ses compagnons rencontrèrent soixante-huit nobles étrangers qui tous mordirent la poussière. Les vainqueurs ensuite, se rendirent à Compostelle et offrirent à Saint Jacques un bijou d'or, au nom de la dame en l'honneur de laquelle ils avaient combattu. Superbe, non ? Que veulent donc nos minables féministes ? Repassons le pont. Pour nous retrouver en zone maraîchère, beaucoup plus jolie, plus agreste qu'à Logrono. Les jardins s'allongent entre des ruisselets, les poireaux relaient les piments entre de hauts choux sur tiges, partout envahissants. Tiges que je prenais, chauvine, pour des trognons dépouillés de choux de Bruxelles. Cosette m'apprend qu'ils sont fourragers et qu'ils poussent au fur et à mesure de la récolte des feuilles. Je retiendrai. Aux jardins succèdent la colline, les bois de chênes verts, les bruyères, les fougères. Plaisir retrouvé de grimper, pied à terre, suivant Maha plutôt que la tirant car dans le coup de rein elle est magnifique, de découvrir un horizon, peut-être moins vaste, mais neuf à chaque échappée. L'Espagne n'est pas toute nue partout. Ici, elle s'habille, et gaîment. De versant en versant, nous voilà en vue d'Astorga. Le Camino la traverse. Mais dès les faubourgs, le charroi est tellement intense, bruyant, rapide, que Dominique, sans hésiter, bifurque. Ce sera plus long, pas joli, joli, malgré les airs penchés des perches à houblon. Nous ne verrons que de loin la cathédrale et au prix d'un torticolis. Et de loin aussi les petits gâteaux, spécialité de la ville, rois de toutes les vitrines. Geneviève n'a pas dû les voir du tout ! On ne lui en voudra pas. Elle nous régale chaque jour d'une quantité impressionnante de gâteaux secs délicieux, providence des desserts, des petits déjeuners, des creux inattendus. A propos de creux... J'ai faim, supplie Jean, comme une litanie. Dominique n'entend rien. Elle attend l'endroit de rêve qu'on finit bien sûr par découvrir.
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Je m'assieds sur une grosse pierre, dans les herbes parfumées, chacun en fait autant, les chevaux restent auprès de nous, juste désanglés. Kito vient partager mon fauteuil pour s'en relever brusquement. Quêteuse, on ne saura jamais pourquoi, a fait feu des quatre fers et vient de sauter, comme une flèche entre nous deux ! Mon pain est dans l'herbe, mon pull inondé de vin. Je n'ai pas bougé, pas eu le temps d'avoir peur. Et je n'ai pas lâché la gourde. Quel Jacquet reviendra s'établir dans l'extraordinaire village de la belle au bois dormant, traversé cet après-midi ? Rues pavées en arcs de galets polis, maisons superbes ou ravissantes de pierres ocres, roses, rouges, boiseries partout d'un vert soutenu, escudos, grandes portes cochères pourvues de chaque côté d'une grosse pierre carrée, faisant certainement office de montoir. Je sais qui reviendra. C'est Nelly, qui emporterait bien une de ces pierres pour mettre en selle au bord du prochain sentier désespérément plat. Je compatis à ses difficultés... qui m'arrangent. Pendant qu'elle cherche son caillou ou sa motte de terre, je prends mon temps pour escalader Maha. La campagne reste jolie. Quelle bonne herbe à galops ! Nous devrions approcher de l'étape. Mais entre les prés, les taillis, les tout petits ris qu'on s'amuse à sauter ou à traverser sur les grosses dalles de schiste, il n'y a que de tout petits sentiers. Lequel est le bon ? Je déborde d'admiration pour Dominique qui parvient à établir une relation entre la géométrie à ses pieds et les minuscules lignes bleues, vertes et noires de sa carte au 50.000ème. Il faut en savoir des choses pour guider les « touristes équestres » ! Et même pratiquer l'espagnol pour comprendre les explications de la volubile Carabosse édentée qui garda ses chèvres sous les peupliers. Pour cela, heureusement, il y a Antonio. « Tonio ! Tonio ! » réclame impérieusement Dominique. « En tête, avec moi »! Tonio s'arrange toujours pour rester derrière, à rigoler des paillardises de Jean qui ménage ses côtes. On doit monter par ici. Montons. Mais sur la crête, toujours pas de village. Nous tombons dessus, à hauteur du clocher : El Ganso, 1013 m d'altitude. Cela se sent à la qualité de l'air, tempéré de douceur marine. El Ganso : douze foyers, huit enfants à l'école. Des maisons soignées s'abritant derrière des cours, et au bout du hameau, de vraies, d'authentiques chaumières d'Astérix. Il est tôt. Avec Nelly, nous partons en reconnaissance. Des gens rentrent leur récolte de pommes de terre. Nous aidons à transvaser du tombereau dans des paniers. Nelly a très envie d'un panier tressé;;; garni de patates. Elle propose un prix. D'accord. Je crois qu'ils sont aussi sincèrement heureux de lui faire plaisir que d'empocher les pesetas. Ils survivent là de maigres récoltes. La plus jeune des femmes nous emmène voir sa maison, petite, très propre, intime. Au plafond, un impressionnant alignement de pendus : les jambons bien secs, frottés de poivre comme en Cévennes. Ce serait chouette d'en acheter un, ici. Ils ne vendent pas. Ils en ont besoin. Le boucher ne doit pas passer souvent. La jeune femme nous montre encore une dépendance, sommairement aménagée, avec le charme des vieilles choses ! qu'elle loue l'été à des vacanciers. J'imagine la joie des gamins d'Astorga, de Pontferrada, découvrant au bord des rues sans voiture, les cabanes d'Astérix !
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Une voisine nous appelle. Elle a remarqué mon pull-over, tricoté en laine naturelle que j'ai filée au rouet. Elle file, et tricote des chaussettes qu'elle vend à Astorga. Longues, chaudes, épatantes pour enfiler dans les bottes ! Nous rentrons au campement avec panier, patates et hauts de chausse. Louis Chardon, bivouaquant ici, il y a cinq ans, avait acheté les fameuses chaussettes elles lui font toujours usage... Dommage que les exigences du bivouac « chevaux - d'abord » ne nous permettent pas plus souvent l'installation au cœur d'un village. Nous aurons traversé un grand morceau d'Espagne en parlant à peu de monde. Chaque contact, cependant, aura été marqué de chaleur humaine. Le menuisier nous cède son atelier. Nous dormirons sur un lit de copeaux, dans la bonne odeur du bois. Juché sur une échelle, il installe à l'extérieur une ampoule qui éclairera le campement. Nous attendons le Président, maire de cette commune petit-format. Il vient prendre le café (soluble) avec nous, après dîner. Nous lui chantons nos couplets, ceux de Jean et ceux de Jean-Louis qui, lui, s'offre chaque soir et très amicalement la tête de l'un de nous. Même en espagnol, ça rime. Il s'amuse, le Président. Quelques autres sont venus le rejoindre. Des femmes aussi, qui restent derrière malgré notre invite... J'aime cette soirée. Si je reviens voir la cathédrale d'Astorga, je remonterai à El Ganso. Et j'irai peut-être dormir encore, comme ce soir, chez Saint Joseph. xxx
N.B. El Ganso : l'oie en néerlandais, en flamand, se dit « gans »
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LE PARADOR DU BOULANGER SAMEDI 25 OCTOBRE : EL GANSO - EL ACEBO
Le Président est encore là ce matin, la boîna (grand béret noir) penchée en visière, pour nous guides sur le plateau. Au revoir ! Et vraiment, merci ! On était bien chez vous, avec vous. Nous allons monter à travers le thym et la lavande ! A cette altitude ! Le ciel est lourd de nuages qui paraissent tous proches, mais le soleil se glisse. Le gris devient or. Chacun sent le bonheur de son cheval sur un terrain accidenté et dans un air qui sent la Lozère. Vent en poupe, la cavalerie ! Ça trace ! Le col de Foncebadon, à 1490 mètres est le point culminant du chemin de Saint Jacques et un endroit absolument grandiose, marqué de la croix et de la coquille. Tels que nous sommes, sur nos montures, en gros manteaux, avec cagoules et capuchons rabattus, nous avons des airs très pèlerins. Nous rencontrons « une » ème, dans le hameau de Foncebadon où restent trois foyers, tapis dans des maisons de pierres aux toits de lauzes. On ne se nourrit pas d'un panorama. Depuis deux jours, Chardon nous nourrit, lui, de la hantise du Cebrero et de la neige, Le Cebrero ! cette méchante montagne galicienne qu'il faudra franchir Aujourd’hui, répétition générale. Et la neige est au rendez-vous. Elle tombe en gros flocons serrés, alors que nous avançons entre des touffes de genêts plus hautes que les chevaux. Elle ne tombera pas longtemps, juste assez pour pouvoir dire : « je suis allé à Saint Jacques dans le vent, sous le soleil, sous la pluie et sous la neige. » Le chemin, unique, - pas de risque d'erreur, heureusement, dans ces montagnes inhabitées - est accidenté, caillouteux. Nous avons mis pied à terre et traversons par moments des écharpes de nuages. Le brouillard nous enveloppe. Quand nous en sortons, c'est chaque fois, sous un autre aspect, la redécouverte de la montagne enneigée et plus près, des pentes d'herbe, de pierres et de feuillus. Le groupe s'étire. Je me suis arrêtée pour prendre quelques photos. Les premiers, et Dominique, sont bien loin, là - bas. Si nous les rejoignions, Maha ? Je mets le pied à l'étrier. A l'instant précis où je passe l'autre jambe au-dessus de la croupe, Maha démarre sec, au grand galop. Je me retrouve, un seul pied chaussé, rênes mal ajustées, le nez sur l’encolure. Cramponnée à la crinière, y aura-t-il moyen de rétablir la situation ? Non. Vraiment. Donc : Lâchez - tout ! Et, par terre ! Tiens, la toque est cinq mètres plus loin, dans l'herbe, elle ! Cela valait bien la peine de la garder sur la tête depuis vingt jours et pas loin de mille kilomètres ! Il n'y a pas de mal. Maha m'attend, pas honteuse du tout, à côté des autres. Je n'aurais pas dû ignorer qu'elle est réfractaire aux exercices solitaires. Nous allons redescendre quelque peu et retrouver des arbres, une maison, deux, un village. Dans quel état ! Totalement abandonné. L'herbe, l'ortie, la ronce ont tout envahi. Les escaliers extérieurs qui à chaque maison montent à l'étage sont encore solides. On peut entrer par les portes béantes : tables cassées, sommiers renversée, paillasses éventrées, ici, un portesavon et un tampon émeri de ménage sur une pierre d'évier, une armoire saccagée, tiroirs au sol...
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L'impression est pénible, angoissante. On dirait qu'on s'est sauvé de là en pleine panique, en pleine violence. Nous ne saurons pas. C'est un endroit sans nom, sans accès autre que le sentier peu praticable qui nous y a amenés. La fuite est relativement récente, cependant, parce que si la végétation a poussé, toits, murs, escaliers, fenêtres même sont encore à peu près partout en bon état. Il faudrait peu pour faire revivre ce hameau - et je rêve - les ruelles grimpantes allant de maison en maison, d'où l'on découvre au pied des monts de Galice, la plaine fertile du Bierzo. Nous descendons. Vite. Chevaux et cavaliers-piétons tout à la joie de débouler, entrainés par la pente sur le sentier en Z, entre les chênes et les sapins. Au bas, un torrent. On traverse. C'est gai, tout ça. Puis, « tout ça » remonte. On aurait dû y penser. Ça remonte encore, et encore. Je m'accroche dans la foulée d'Antonio. J'ai le souffle court. Le cœur cogne. Enfin, ce n'est pas possible ! Ça ne peut pas être plus dur que les Pyrénées et certains chemins de Navarre où il faisait plus chaud. Si je suis plus fatiguée, je suis aussi plus entrainée. Alors ? Et ce n'est pas le Cebrero ! Cosette s'est arrêtée, le cœur au bord des lèvres, laissant filer sa jument Baraka. Nelly reste auprès d'elle. Je peux continuer. Ça monte toujours. Ce n'est pas juste ! On n'avait pas descendu tant que cela ! Je renonce à suivre Tonio, poursuivant à son rythme et moi, au bord de la crampe, pas fière ! On m'attendra bien puisque comme toujours, c'est Maha qui porte la gourde. (sans jeu de mots, s'il vous plaît) Enfin, en voilà le bout ! Les jeunes jambes et les jeunes souffles nous attendent en effet... gentiment et un peu malicieux, ils se sont amusés aux « dépens des anciens » ! La dernière grimpette est toute douce, et au-dessus, c'est l'étape : El Acebo. El Acebo (le Houx) 1145 m, c'est le balcon du monde, un air qui vous lave, jusqu'au fond des poumons, un spectacle qui vous paie de vos peines et vous transporte d'enthousiasme : en face, le Cebreto, blanc de neige, autour de lui, des forêts dorées et des pentes vertes qui l'escaladent. El Acebo, c'est un tout petit village qu'on dirait savoyard : une rue grimpante, boueuse, bourbeuse, bouseuse, des maisons grises, pierres et lauzes, escaliers extérieurs et balcons en surplomb, on a dû les supprimer d'un côté pour permettre le passage de camions (on n'arrête pas le progrès) Dans la rue, Heidi et Sextant gambadent, comme chez eux. Bonjour Monsieur Chardon. Formidable, aujourd'hui ! Plein de choses à vous raconter ! Et vous ? Et ici ? Ici, on bivouaque au « PARADOR » (nom donne par les maîtres-randonneurs en mal de gite au four du boulanger, en Galice)
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Les seize pèlerins de Saint Jacques de Compostelle, des randonnées « sauvages » de l'Habitarelle, plus le Jefe, plus Don Pedro, plus Geneviève, moins Domino, vont baisser la tête pour entrer par la petite porte, surmontée de la pancarte hâtivement clouée « Parador » dans la pièce exigüe, minuscule, où le feu flambe ....devant le four! Pour l'instant, les flammes montent vers le faîtage. Mais, attendez... Deux planches, le long des murs, en équilibre sur de grosses pierres, font des bancs accueillants, il y a des bougies partout. Hum ! un coup de tinto pour requinquer la cuisinière qui va voir aux cantines, laissées dehors au froid et au vent, et tenter, les choses étant ce qu'elles sont, d'égaler un chef de Parador. La soirée sera épique, infernale, enfumée, larmoyante, drôle, délirante. On se tasse, une demi-fesse sur le banc, gamelles par terre, en quinconce. Attention ! Levez le coude en alternance pour manger la soupe. Pair. Impair. Un quart pour trois. On remplira. Pas déposer. Faire passer. Il n’y a pas de place. Ça fume ! ça fume ! Quand vraiment on n'y tient plus, les yeux noyés, piquants, des larmes ; dans le cou, on va se faire rincer dehors, où il pleut à seaux sur les cantines et les casiers ... les chevaux bâchés à la hâte, les selles mal protégées. Et puis on rentre, parce qu'il fait quand même meilleur dedans. Allez, les docteurs ! Les couplets ! Finalement, quand le feu, faute d'aliments, ne fumera plus, il faudra songer à aller se coucher. Le Parador à El Acebo s'assortit d'un grenier à foin. Nous y avons été les sacs, tout à l'heure, pour voir s’il y avait assez de place pour tout le monde. C'est tout juste, même en plaçant toutes les têtes du même côté. Odette dort déjà, béatement. Pousse-toi, ma cocotte, que j'y arrive ! On raconte que le foin, comme la fumée, cela fait mal aux yeux, qu'on pleure. Ce n'est pas vrai. Tout ça ce sont des histoires qui n'ont jamais fait pleurer que les tristes. XXX
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A LA DERECHA ! DIMANCHE 24 OCTOBRE : EL ACEBO - VILLAFRANCA DEL BIERZO
Toutes les chambres à coucher du monde devraient être remplacées par des greniers à foin. Le foin, c'est l'Alpha et l’Omega du bien dormir : moelleux, chaleur, odeur. Et quels rêves on fait dans le foin ! Pan. Pan. Pan. Réveillez-vous ! Ouvrez ! Debout ! Ah non ! Mais ils sont fous ! On vient de se coucher. Quelle heure ? Cinq heures. C'est de la perversion. C'est du sadisme. Pas besoin de poser de questions. La tête de Louis Chardon qui s'encadre dans notre « porte » en dit long. Il se passe quelque chose. C'est la tempête, la bourrasque, la tramontane du Cebrero. Les tentes ? Envolées. Les bâches des chevaux ? envolées. La bâche des selles ? Envolée. (Zut. J'avais glissé mon sac dessous pour une fois) Le matériel ? Envolé. les chevaux ? Non ; Ils sont là. Mais le Jefe ne peut pas continuer à courir tout seul derrière tout ce qui s'envole. (Je crois que c'est Momone qui, Her soir, m'avait demandé des pince-linge pour faire sécher sa lessive) On s'habille dare-dare. Cantines, sacs, casiers, tout ce qu'on récupère est trempé. Les chevaux doivent pourtant déjeuner et nous aussi. On fait un feu ? Non. Merci. Le camping-gaz miraculeusement au sec dans la 404 fera l'affaire. La pluie a fait la vaisselle. Geneviève a dû cavaler derrière quelques gamelles et quelques quarts. Oh ! Et mon inscription ? Rezut. « Il ne faut jamais remettre au lendemain... Je ne saurai pas ce que raconte la grande plaque clouée sur la dernière maison, en haut d'Acebo, où il est question de Santiago, de distances, de pèlerins, d'un ermitage. » Hier, j'ai dit : *demain, je prendrai note... » Pas le temps et il fait encore nuit. On selle en pestant contre les cuirs mouillés des chevaux qui n'ont pas l'air de s'émouvoir. Ils doivent connaître des nuits semblables en Lozère. Encore engourdis, pas lavés, une pomme pour dentifrice, nous fuyons El Acebo, le jour levé, sous les dernières gouttes de pluie. On ne voit plus le Cebrero. Sur le plateau, c'est la chevauchée des Walkyries. Le ciel livide roule de lourds nuages noirs, le vent les emporte, les disloque. Une seconde, tout s'élimine. Ce n'est pas un éclair, c'est, dans notre dos, le soleil : un rayon a jailli un bref instant par une trouée tout de suite refermée. Fantastique ! Démentiel ! Encore un hameau de chaumières. Datent-elles de l'époque celtique ? Ont-elles inspiré les illustrateurs des livres de nos jeunes années ? Conformes jusqu'au dernier brin de paille. Viton sur ce plateau ? Peut-être, car le bourg n'est pas loin. Par une fameuse descente, nous atteignons Holinaseca et le Puente de los Peregrinos (tiens) qui enjambe un torrent pressé. A quelques mètres du pont, peinant dans l'eau, deux bœufs attelés à des chaines tentent de hisser un énorme tronc, sous les cris et les encouragements. Molinaseca arrive à être joli, même tout gris.
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Encore un pensum pour cette étape. Il faut contourner Pontferrada. La plaine est monotone, triste, sale. Nous longeons et traversons un rio qui a des allures l’égout. Mais, passé la ville, le vignoble est roi. Et ici, on peut parler de vignoble. C'est le Tain l’Hermitage des Hontes de Leon, avec grands panneaux publicitaires annonçant le cru. Pour éviter la nationale, on allonge, on passe par les jardins, un peu au hasard, à l'instinct. Dominique l'a très sûr. Et puis, elle commence à connaître sa droite, notre chef de file. Chaque fois qu'à grands renforts d’appels désespérés, elle parvient à récupérer Tonio pour qu'il demande le chemin et traduise la réponse, c'est la même : A la Derecha ! A droite. Normal. Nous venons du Nord et allons à l'Ouest. A la Derecha. On continue. C'est après Pontferrada que nous faisons la première rencontre avec les « almadrenas », ces pittoresques sabots galiciens, juchés sur trois blocs de bois, deux sous la semelle, un sous le talon, qui isolant leurs propriétaires des boues permanentes de ce pays pluvieux. De vignoble en village sur almadrenas, de village en vignoble, notre chemin s'étire. Les lumières s'allument. Ce ne sont pas encore celles qui nous attendent. Je commence à me rappeler ma nuit écourtée, que nous sommes en selle depuis tôt ce matin. Je dors à moitié sur le dos de Maha. Les autres aussi s'endorment, dirait-on. C'est la caravane silencieuse. Dominique scrute ses cartes à la lueur de sa torche. Oui ! Pied à terre ! Désanglez de deux trous. Terre ! dirait le marin ! Louis Chardon nous attend - depuis combien de temps - à l'entrée de Villafranca del Bierzo, au chevet de l'église Saint Jacques où le malheureux qui, malade, blessé, ne pouvait continuer le voyage, franchissait la porte du Pardon et gagnait les mêmes indulgences, le même Jubilé qu'à Compostelle. « Venez. Tout est arrangé. J'ai de la place pour les chevaux. Et pour nous, c'est au Paradort » Quoi ! Ah, non ! Pas deux fois ! Si, si. C'est le vrai. Pedro est là aussi, avec la 204. Il prend la tête, tous clignotants allumés et nous traversons Villafranca comme une retraite aux flambeaux, escortés par les badauds, jusqu'au champ de foire, de l'autre côté de la ville. Chevaux installés, de là, en voiture, jusqu'au Parador. Comment est-il le Parador de Villafranca ! Sincèrement, je ne sais pas. Y avons-nous bien mangé ! Je ne sais plus. Ce que je sais, c'est que j'y ai pris un bain, que j'aurais bien passé la nuit dans la baignoire, que j'avais sommeil, sommeil ... Pardon, Jean. Tu disais pourtant si bien Maupassant... XXX
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MAHA EN TETE AU CEBRERO LUNDI 25 OCTOBRE : VILLAFRANCA - HOSPITAL DEL CEBRERO
Dominique la grande dort encore dans l'autre lit. Je n'ai plus sommeil. Don Pedro n'a pas sonné le clairon. Grasse matinée. Ce que je retiendrai, c'est que le petit-déjeuner au Parador de Villafranca vaut qu'on s'y arrête. Et qu'il pleut encore quand nous partons. Quoi ! c'est la Galice. Mais une bonne petite pluie douce, tiède. Pas moyen d'éviter la nationale, il n'y pas de chemin. Alors on trotte Maha et sa cavalière, joyeuses, excitées. (Pampelune est loin) Ça monte, ça descend, ça tourna, on trotte. Ici on emprunte l'ancien virage sur le bas-côté de la route rectifiée, là on traverse le village pour se retrouver deux kilomètres plus loin sur la nationale, c'est ça de gagné. La 204, devant nous, ouvre la voie. Clignotants à gauche : on traverse. Au pas. Encore un village sur Almadrenãs et sous parapluies. Chardon est là : « Entrez là-dedans. Donnez-moi Maha. Et Belugue. » Nous sommes au sec. Sous la pluie, il attache les chevaux. Il est comme cela, Louis Chardon. Il vous presse, vous bouscule « qui c'est qui n'a rien à faire ! » Mais sous la pluie, c'est lui qui attache votre cheval. Par les matins gelés et pisseux, c'est lui qui fait la vaisselle. Il ne vous passe rien, vous fustige, mais, au soir d'une étape plus dure, mettre la main à la pâte avec le sourire, « vous êtes formidable ». Il vous le dit. Surtout, il est heureux que vous le soyez. Parce qu'il aime qu'on se dépasse. Ses randonnées sauvages, comme il les conçoit, comme il les veut, c'est l'occasion pour chacun de se découvrir, de découvrir le meilleur en soi et de le donner. Hum ! Coup d'œil à la verticale sur le Cebrero. Cela va être le moment de se donner. En attendant, qu'est-ce qu'on peut rire dans l'écurie où ce sont les cavaliers qui sont entrés et où on fait la queue pour les sandwiches que Geneviève et Sylvette n'arrivent pas à garnir assez vite. «Savez- vous combien de kilomètres de nationale vous avez enfilés, ce matin ? Dix-sept !» Et maintenant, à nous deux, à nous trois, le Cebrero ! En selle, debout sur les étriers, tout sur l'avant-main pour aider le cheval. Nous traversons des hameaux noyés, mais de larges éclaircies dégagent le ciel. Le chemin est caillouteux, la montée raide. (je me répète: mais c'est ainsi) Maha, Barri, Nickel et les autres, et Farrurita montent, lentement, régulièrement. On sent la puissance, l'aisance, les réserves intactes : une sensation exaltante d'effort heureux, d'accomplissement, de plénitude partagée. Passé le dernier hameau, le chemin s'élargit. Cette fois, on voit le sommet. Pas tout près. Et encore haut. « En tête. Maha » L'expérience un peu risquée de la montée trop rapide n'a pas été perdue pour Dominique, souriante. On achèvera le Cebrero à l'allure de Maha ... et de sa vieille cavalière.
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C'est beau. De temps en temps un rayon de soleil fait jouer les couleurs de l'automne, châtaigniers, fougères et le vert cru des prés. C'est un tableau intensément lumineux. Le chemin large et facile que nous suivons, pied à terre, épouse en douceur les deux versants. La psychose du Cebrero est vaincue. Mais au sommet, c'est la neige, le vent, le brouillard glacé, qui noie une église toute petite, très vieille, une hostellerie, quelques Pallozas, chaumières galiciennes typiques. Et le vent, la neige, le brouillard ! On gèle. Pauvres pèlerins ! Pauvres nous ! Nous irons saluer cependant les reliques du miracle. Il y avait, au 13ème siècle, Cebrero, un homme habitant a plus de deux kilomètres d'une telle foi, d’une telle dévotion à l'eucharistie, que pas un jour, quel que soit le temps, il ne manquait la messe. Un matin cependant, ayant lutté contre la tourmente de vent et de neige plus haute que lui, il arriva à l'église après que l'officiant eut consacré les espèces. Prêtre sans piété et sans foi qui se moque intérieurement de ce fou qui brave la tempête pour un peu de pain et de vin. Le Seigneur, immédiatement, punit son mauvais ministre et récompense la foi courageuse le vin devient sang. Le pain devient Chair et le vin devient sang. Chair et sang restèrent longtemps dans sur la patène et dans le calice. . Jusqu'à ce que la reine Isabelle, allant à Saint Jacques ordonnât de les déposer dans un reliquaire. Le Saint Graal serait-il le calice du Cebrero Un autre miracle accompagne celui-là. La Vierge romane, au-dessus de l'autel, inclina la tête en signe d'adoration devant le prodige eucharistique. La tête de la statue reste penchée pour les siècles. Après l'église, les Pallozas vaudraient la visite, surtout si le brouillard empêche de voir autre chose. Mais peut-être y fait-il encore plus froid qu'à l'extérieur ? Et, ou loger avec les chevaux sur ce piton glacé ? Il n’a rien. Nous irons plus loin. Marchons, à pied ! Cela réchauffe. Sur la route jusqu'au prochain village : Hospital del Cebrero, 3 km. L'espagnol de Pedro a été convaincant, la générosité des pauvres envers les pas riches joue une fois encore L’Hospital ! Quatre maisons au bord de la route nationale. Il commence à faire nuit. Il pleut ! Boue jusqu'aux chevilles. Il faut desseller, donner les musettes, ici, le long de cette route en tenant des chevaux qui s'énervent d'attendre, qui s'agitent, balayés par les phares incessants qui balaient ce spectacle inusité : je pense aux hivers flamands de Breughel l'ancien. Ou à un film qu'on tournerait quelque part dans la toundra sibérienne. Pendant ce temps, pas trop loin, heureusement, les hommes tendent tant bien que mal la clôture électrique sur une croupe herbeuse piquée de genêts. Et puis c’est à nous. Dans cette misère, l’accueil des gens est simple et efficace.
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Dans une grange, le matériel a été repoussé dans les coins. L'hôte a jeté sur le bourbier qui y accède une litière de branches et de bruyères. Nous pouvons sortir les cantines à pied presque sec. Jean-Louis a eu beaucoup de mérite et une évidente compétence, à allumer le feu. Nous mangerons chaud, comme tous les soirs. Nous en avons plus que jamais besoin. Avec Monique qui doit être une maîtresse de maison « toutes circonstances ». Je ferai le relais, grange - foyer - pour ramener les marmites et griller les côtelettes. La veillée est animée, comme toujours quand il fait mauvais et que nous sommes bien, entre nous, au sec. Les inconditionnelles de la tente sont admirables, ce soir. Les Dominique, Momone, Geneviève, et Louis Chardon iront dormir (?) près des chevaux. S'ils nous refaisaient le coup des Montes de Oca et repassaient le Cebrero ! XXX
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LE JACQUET D ' ANGERS MARDI 26 OCTOBRE : HOSPITAL DEL CEBRERO : SAMOS (MONASTERIO)
Les trois kilomètres parcourus hier après le Cebrero sont gagnés pour ce matin. Et c'est bien, parce que partir d'ici, chevaux ramenés, sellés, nourris, camionnette chargée, n'a pas une mince affaire. Il pleut toujours et nous sommes condamnés à la nationale, la route semble moins encombrée mais la pluie est froide, cinglante. Un chemin s'offre à gauche, à travers genêts et bruyères. Pas d'arbres. Aucune protection contre le vent violent qui fait détourner la tête aux chevaux. Est-ce la bonne voie ! On cherche, croupe au vent quand il y a moyen. Ce n'était pas mauvais puisque nous redescendons couper la route quelques lacets plus bas. Et nous nous engageons, pied à terre, dans une descente étroite, verticale, un chemin creux boueux, raviné, un lit de cailloux glissants Les chevaux ont le pied sûr. Pourvu que chacun de nous l'ait aussi. Nous sommes serrés, écrasés presque. Ici aussi, il faut jouer des coudes pour écarter les flancs pressés. Pas possible de ralentir le rythme de cette dégringolade. Nous dévalons, collés aux chevaux, dans leur odeur forte, à leur allure. De part et d’autre de ce boyau, des talus trois fois plus hauts que nous, des arbres Un tunnel ! Quand nous débouchons dans une prairie, à l'air libre, tout se dilate. On regarde le ciel. Dommage qu'il fasse si gris, car le pays est beau. (N'empêche, la Galice, c'est pas du gâteau !) Les pentes montagneuses sont couvertes de châtaigniers, le sol de châtaignes. On les écrase en le déplorant. Les paysans nous en offrent. Didier en bourre ses poches et il en a quelques-unes. Il va être deux heures et nos musettes sont toujours intactes. Par la route, nous sommes à 5 km de samos. Qu'est-ce qu'on fait ? Continuer, c'est nous amener à déjeuner tellement tard. Arrêt sous un préau, chevaux abrités. Casse-croûte debout. Aucune importance. L'étape est courte. Et ce soir nous sommes chez les moines. Par un autre chemin creux, moins vertigineux que le premier, nous « tombons » vraiment sur samos resserre dans une vallée étroite. Le monastère bénédictin est gris, massif, imposant. Ni manteau beige, ni sombrero, ni 204, ni 404 ! Ni chiens. Eh bien ! Nous serions-nous trompés de monastère, ou de jour ? Voilà ce que c'est d'avoir une jeune guide qui fait ses classes avec brio, des cavaliers increvables et des chevaux...vapeur. Ça gaze ! Pendant que l'intendance sirote le pousse-café ? Calomnie. L'intendance a décharge nos sacs dans la cour intérieure et est repartie, à 2 km - il n'y a rien plus près - préparer le camp des chevaux.
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Chardon revient : « quatre homme pour encadrer la cavalerie. Ô (heureusement qu'il ne lui en faut pas plus). Les filles aux musettes dans la 204, les autres à l'abbaye. Et attendez-nous pour reconnaître les lieux. » Promis pour les chambres, mais pour le dîner, je prendrai de l'avance. Il y a les patates d'El Ganso. Un bénédictin tout souriant nous accueille. Il y a un livre à écrire sur les sourires monastiques. Celui, affectueusement paternel du prieur de Roncesvales; celui, discret, d'Iracehe; le sourire de l'âme à San Millan ; plus réservé, simple urbanité envers le pèlerin à San Pedro de la Cardena. Et ici, le sourire gai, émoustillé, de qui peut agir, aider, montrer, expliquer. Il va faire tout cela, notre moine. (et je note en passant que cela nous fait cinq haltes monastiques, plus les petites sœurs, le salut de nos âmes pélerines est bien assuré par la communion des saints) Nous camperons encore chez Saint-Joseph, ce soir, mais revu par Black et Decker 1 2000 watts, presses, étaux, scie circulaire... L'atelier est installé dans une grande salle conventuelle ou la vaste cheminée n'attend que les copeaux pour flamber. Les points d'eau sont dehors, dans le cloître, les chambres, les cellules à l'étage. Avec une grande, grande salle, toute carrelée de blanc où la tête me tourne à compter les lavabos. Le bain du Parador ne remonte pourtant qu'à 48 heures. Notre cicerone veut nous montrer aussi l'église, la bibliothèque, mais nous réfrénons son ardeur : « manana, por favor ». Pour cette soirée conventuelle, Kito et Sylvette ont revêtu la même pélerine noire, ample, longue, chaude et confortable en bivouac qui, ce soir, leur confère un air noble de mère abbesse. Le sémillant moine réapparaît, flanqué de trois visiteurs, deux Anglais, mi-hippies, mipèlerins et un jeune Français, parti à pied d'Angers, un merveilleux garçon au regard clair qui va chez Saint Jacques parce que c'est son Saint patron, seul, sac au dos, riche d'âme et poches vides. Ce soir, Louis Chardon nous emmènera dans la chapelle écouter, réécouter les chants de marche du Moyen-Age. Le Jacquet d'aujourd'hui nous accompagne. Depuis deux ou trois jours, mauvais temps, tempête, froid, pluie et le Cebrero ont mobilisé nos énergies. L'auto-défense physique, toujours sur le qui-vive a sapé la démarche de l'esprit. On peut méditer à nouveau en entrant dans la quiétude de sa cellule. On a laissé devant les dernières braises de la cheminée des alignements de bottes, des théories de gants, une panoplie de chaussettes foulards et bonnets trempés. XXX
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VOUS ALLEZ VOIR EN GALICE ! ! ! MERCREDI 27 OCTOBRE : SAMOS - PUERTOMARIN
Comment refuser aux bénédictins qui nous le proposent d'assister à la messe ? Ils la célèbrent avec faste, sept officiants et grands orgues. C'est beau d'ailleurs. Comment refuser à notre moine, la visite de la bibliothèque ? Qui renferme d'ailleurs des richesses étonnantes. Comme le monastère lui-même d'attrayantes fresques modernes. Nous sommes allés à Samos les privilégiés d'une hospitalité aussi érudite que chaleureuse. Nous ne nous inquiétons pas assez de ce que la matinée soit déjà bien avancée quand nous faisons halte, repassant à cheval devant l'abbaye, pour photographier le cher moine, con los caballos, en lui jurant qu'il recevra ce souvenir. Il pleut ! On s'y habitue. Bien que, ayant perdu plus ou moins volontairement le pantalon trop étroit de mon ciré, la culotte cavalière canalisant l'eau, je vais passer cette journée à vider mes bottes et tordre mes chaussettes. Malgré la pluie, les sous-bois, les petits chemins creux sont bien sympathiques, sinueux, étroits, entre des haies le long des prés, en surplomb, vraiment très justes pour passer à cheval. Je me prends à douter que 500.000 pèlerins aient pu défiler ici, l'un derrière l'autre, en l'espace d'une année, pendant des siècles. Qu’importe le nombre ? C'est le mouvement de foi qui compte. Mais comment diable trouvaient-ils leur chemin ? On cherche beaucoup. Livre de l'abbé et cartes concordent. Mais au sol, ce n'est pas ça. Monter, descendre, galoper heureusement pour se détendre, puis revenir sur son galop. Après deux heures de ce carrousel, nous retombons sur la route : Samos, 4 km !! « L'enchanteresse région galicienne est, au point de vue topographique, un véritable imbroglio : le réseau des « corredoiras » (chemins muletiers) est si dense, si compliqué, que je me suis vu obligé de conseiller aux pèlerins de demander aux habitants, de village en village, où passe le chemin. Sans oublier que si les Galiciens sont les meilleures personnes du monde, ils ne sont pas habitués, loin de là, à donner des renseignements clairs et complets. Attention donc à la région galicienne et à ses innombrables chemins ; » signé G. Bernès . Nous avons rendez-vous à Sarria, prochaine « ville », avec le veto. (On l'aurait oublié celui-là) Une seule chose à faire, rester sur la route. En file- Le plus possible sur l'accotement. Ce n'est pas une nationale, heureusement. On trotte. Vite Que se passe-t-il ? Deux chevaux à terre. Un troisième glisse, penche, se redresse. Momone traverse la route en titubant pliée en deux. Oh non ! Pas Momone , toujours si vigilante aux autres. Dominique la grande reste étendue à côté d'Amadou qui se relève. P'tit Gars, remis sur ses quatre pieds continue tranquillement. Amadou et P'tit Gars ont glissé dans le virage mouillé. Jean-Louis a de justesse redresse Nickel, ce qui a évité la gamelle collective. Momone est verte, mais retrouve son souffle. Pommeau au creux de l'estomac, elle a eu la respiration coupée net. La main égratignée, saigne. Dominique se remet debout, sur un pied. Pas moyen d'appuyer l'autre au sol. Volontaire, la Dominique. Qu'on la hisse en selle, là ça ira ! Momone est remontée. On dit : ce n'est rien. Mais c'aurait pu être grave. La glissade en paquet ! Il faut continuer de toutes façons, sur la route, jusqu'à Sarria... ou c'est la foire aux bestiaux ! Alors, le vétérinaire, nous l'attendrons jusqu'à 16 heures ! Le ciel a pitié de nous, il ne pleut plus, mais nous sommes glacés. 77
Dominique ne peut continuer, en unijambiste. Elle commence à souffrir. Pas d'imprudence. Un taxi la conduira à Puertomarin, avec mission d'expliquer notre retard. Momone est toujours un peu pâle. Mais, ça va, ça va ! Enfin ! le vétérinaire a tamponné le formulaire, sans plus ! Nous repartons pour retrouver la pluie et les mêmes problèmes d'orientation. Et cependant, la route Y Non. Vingt kilomètres de chaussée mouillée, de circulation, de risques multiples... Non. A Dieu va. Nous demanderons aux gens. Va pour les Corredoiras de Galice ! Pour demander aux gens, il faut en voir des gens. La pluie et bientôt l'obscurité les confinent chez eux. Tonio et Nelly frappent aux portes, mais nous ne tirons de ces paysans surpris, déconcertés, que des indications confuses, contradictoires. Ils ne sont d'accord que pour une chose : nous renvoyer sur la caretera. Sous le béret, le fichu, dans le clair-obscur de lumières falotes, les visages sont saisissants : pas laids, étranges, yeux enfoncés, bouches minces, fendues, mentons pointus... des Jérôme Bosch ... Nous sommes chez les Celtes, nous sommes au Moyen-Age. Nous savons bien que parmi les nombreux pèlerins cavaliers d'aujourd'hui, très peu suivent comme nous l'authentique Camino - les randonnées sauvages sont uniques - en Galice, jamais aucun n'a dû passer par ces hameaux où les chemins viennent des champs et repartent pour n'aboutir nulle part, chemins transformés par la pluie en lits de rivières. Il fait nuit. Nous traversons encore des villages où les lumières viennent des étables, ou nous marchons sur des litières de bruyères, de fougères, de branches, qui relient l'étable à la maison et chaque maison à la voisine. Sans ces litières, il faudrait aux Galiciens des échasses plutôt que des almadrenas. Nous finirons par distinguer, devant nous, les lumières de la ville. Pas tellement lointaines. Mais la piste enfin sèche que nous suivons n'y conduit pas tout droit. Pendant plus d'une heure encore, nous chevaucherons comme des automates.
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Arrêt. Domino, la petite est tombée. Non, elle s’est laissé glisser du dos d'EL Kebir sur un gros genêt providentiel. Excès de fatigue ? Malaise ? Elle récupère. Une non moins providentielle voiture (le coq de San Domingo ?) venue d'où dans ce désert ? nous dépasse. Elle emmènera Domino à Puertomarin. De quoi rassurer - ou inquiéter - le Jefe. Partis à 10 heures, ce matin, il en est 22 quand nous mettons pied à terre sur le foirail de Puertomarin ! Le Jacquet d'Angers est là. Depuis longtemps. Comme il dit, l'œil malin, lui n'a pas de cheval à tirer derrière lui. Et ce n'est pas fini pour nous. Rions cette fois de l'accumulation de nos infortunes. Il n'y a pas de pâture. Nous passerons une heure encore à faire entrer nos valeureux arabes, l'un après l'autre, dans les boxes qui leur sont destinés. Pas l'habitude d'être mis en boites, les fils et les filles de Mouradallah ! On pousse, on tire. Encouragements, persuasion, astuce, tout est bon, jusqu'à faire entrer d'abord un plus docile qui entraine l'autre. Il n'y a plus, après, qu'à faire ressortir le premier. Commode et rapide, tout ça. Encore vaut-il regarder de très près, car les portes des stalles pour mules galiciennes sont vraiment très justes pour Maha, Quêteuse, Judith ... Un bon point pour Farrurita qui se glisse comme une fleur entre ses deux murets, se demandant ingénument pourquoi les autres font tant de manières. Enfin ! Enfermés, nourris, abreuvés, les chevaux vont dormir tranquilles Et nous ? La « casa Manuel » du coin nous a gardé un repas chaud. Et les édiles nous ont cédé, comme en Navarre, leur salle de réunions. Et les Dominique ? Elles dorment du sommeil du juste, entre des draps frais, au Parador. Pour nous remettre ... de tout, nous chanterons à pleine voix les couplets de Jean : Entre deux eaux nous naviguons Une tombante, une courante Dans les chemins nous pataugeons Mais c'est la route qu'est glissante Et le soir, à Puertomarin Nous arrivons à la nuit noire Mettre nos chevaux en cabine Dont la porte est un trou d'passoire.
Il ne nous manque plus que d'être arrêtés pour tapage nocturne. Tiens ! Louis Chardon n'a jamais pensé à ce truc pour faire héberger ses pèlerins pas riches. XXX 79
LA GALICE C ' EST DU GATEAU JEUDI 28 OCTOBRE : PUERTOMARIN - PUENTE DE FURELOS (MELLID)
Comme ce devait être joli, Puertomarin avant le barrage. Le Mino roulait ses eaux grondeuses avant de s'étaler jusqu'au pied moussu des maisons blanches. Un pont médiéval l'enjambait, une église fortifiée le dominant. Aujourd'hui, le pont est en béton, le Miïo est un lac, barrage hydroélectrique, Puertomarin, verte et blanche a été reconstruite, non sans grâce, mais elle n'a pas encore eu le temps de se refaire une âme. Nous, en une demi-nuit, nous nous sommes refait une vigueur toute neuve. Même Domino, même la grande Dominique qui devra cependant passer par l'hôpital de Lugo, pied douloureux ;;; et inutilisable. Dominique - oh, toutes ces filles qui portent le même nom de garçon - Dominique Chardon monte Amadou et le Jefe, sur Ecume nous emmène. Au galop, au trot, au pas ... de charge. Facile ! Sous le soleil ; c'est facile ! Il ne faudra pas frapper aux portes, les gens sont dehors. On pourra trotter à sec, dans les virages. Et on en a terminé avec les vétérinaires espagnols. Nous descendons d'abord tout droit, à travers un bois de pins et de chênes, coupant et recoupant la route. Cosette, qui « attend ». Baraka descendant prudemment un talus se fait houspiller : « Courez pour rattraper les autres ». A ce train, on sera ce soir à Saint-Jacques. Ce n'était que bonheur, joyeuse exubérance de maître-randonneur cavalier qui a, pour un jour, abandonné le camionnage et retrouve son cheval. L'allure redevient sage. Que c'est frais, que c'est vert, que c'est bocager, que c'est peu espagnol, la Galice. Comme les petits bourbiers d'hier sont charmants, idylliques, aujourd'hui. « Dire à Hélène que nous suivons bien l'authentique chemin -' et que c'est par ici que passaient les 500.000 pèlerins annuels ». Le message me parvient en queue ou je flâne. Merci. Nous traversons village après village. Les Galiciens coupent leurs choux, gratouillent leurs jardins, nous renseignent avec le sourire. A Ligonde, pas plus grand que les autres, les pèlerins ont droit d'asile depuis que Charles Quint soi-même y a fait halte le 24 mars 1520, à Lestedo, chapelle de Saint Jacques ... et cimetière de pèlerins. (si près, dommage) D'ici, on aperçoit le Pico Sacro. Lorsque les disciples de l'apôtre ramenant son corps, abordèrent en Galice, ils eurent recours malgré sa terrible réputation à la cruelle reine Lupa, lui demandant un lieu de sépulture décent pour les précieux restes. Lupa les envoya vers la montagne ou ils trouveraient des bœufs qui les conduiraient ou ils voudraient, enterrer Saint-Jacques. Les « bœufs » étaient des taureaux. Mais. Miracle, ils se conduisirent comme des agneaux et tirèrent le char funèbre jusqu'au champ de l'étoile. C'est l'histoire du Pico Sacre.
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Les chemins n'ont pas séché depuis hier, nous remontons toujours des lits de rivières, mais sous le soleil ! Partout, de bizarres constructions, juchées sur des piliers pierres ou briques dressées ajouré es de fenêtres, parfois en ogive, toits de tuiles surmontés d'une croix. Chapelles ? Tombeaux ? Non. Ce sont les séchoirs à maïs. Parfois le séchoir est seulement un immense panier de branches tressées, avec toit de même. Partout, la croix protège la récolte. A la sortie d'un hameau, l'œil de Cardon a repère un carré d'herbe derrière une barrière. Nelly est envoyée demander si les pèlerins peuvent y entrer. Réponse affirmative, assortie d'une botilla pleine. Précieuse Nelly ! Le pique-nique est aujourd'hui un vrai pique-nique. Chevaux dessellés, libres, cavaliers en rond dans l'herbe. On a le temps. Le chemin, l'après-midi, continue tout droit. Enfin, il semble. On n'a pas cherché, rien demandé. Nous terminons en gloire, chevauchant sur un plateau plus nu, piquant de jolis galops, sautant des ruisselets. Geneviève nous attend au bord du rio Furelos, sous de grands arbres qui m'intriguent : troncs hauts, gris, feuilles lisses. J'en froisse dans la main et l'odeur est révélatrice : ce sont des eucalyptus. Ils ont des voisins : des mimosas. Bivouac exotique, enchanteur ! On a d'abord coupé les ronces sur quelques arpents, pour éviter que les chevaux se blessent. On a fauché un grand cercle d'asparagus bien pour délimiter le rond biblique, on a fait un grand feu, bien sec, sans fumée, la cantinière a œuvré et on a passé ensemble une vraie, bonne veillée de randonneurs. Il y avait longtemps ! Puis on a rejoint tentes et sacs sous la bâche. Le bonheur est fidèle. C'est une nuit douce, sereine, les eaux de la rivière glissent avec un bruit de la soyeux, un cheval frappe le sol de son Sabot. Là-haut, au-dessus des eucalyptus brillent les étoiles. Nous sommes presque à SaintJacques.
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FRERE JACQUES, FRERE JACQUES ... VENDREDI 29 OCTOBRE : PUENTE DE FURELOS - IGLESIA DE FERREIROS
Les étoiles se sont éteintes. Jean-Louis a rallumé le feu. Les chevaux s'ébrouent. Les bords du Furelos se peuplent de pèlerins demi-nus qui font toilette. Momone, Françoise comptent les mesures d'orge dans les musettes : une, deux, trois. Je me dis, ce matin, que je continuerais bien toute ma vie. Le rythme est pris. C'est simple. Evidemment, il y a le café soluble ..J Encore une belle journée se prépare. Moins belle pour la grande Dominique qui, orteil cassé, plâtré, terminera son pèlerinage avec Pedro (compensation) en 204. Elle ne souffre plus. Elle a le moral. Nous traversons Mellid sans trop regarder. Pas la peine. Revoilà le bocage galicien et les eucalyptus. Etonnants ici, alors qu'à côté c'est le royaume incontesté du châtaignier et du vieux chêne celtique. Les pèlerins du Moyen-Age n’ont pas connu l'eucalyptus. Il n'y a guère plus de cent ans que les premières graines ont été lancées au vent et confiées à la bonne terre. Par un émigrant revenu au pays, curieux d'une expérience à tenter ? ou peut-être tout simplement secouant un jour les poches d'un vieux costume ? Les graines devinrent arbres, les arbres, forêts toujours vertes, odorantes et fleuries de rouge au printemps. Sous les eucalyptus, le chemin va tout droit. Dominique en tête, sur Amadou. Ecume, en liberté, est plus docile. Et Jean-Louis s'en charge, pour traverser le cas échéant la caretera. Nous y voilà ! Et ce n'est pas assez des chevaux ! Dominique doit jouer å la bergère. Deux, trois brebis - pourquoi, diable, ne sont-elles pas enfermées ? - nous suivent obstinément. On ne peut tout de même pas les laisser passer de l'autre côté ? Comique, notre Dominique, courant pour rassembler son troupelet inattendu et lui faire faire demi-tour. Nous connaissons le but de cette toute petite étape, et les messages réponses aux éventuelles questions subsidiaires sautent aux yeux aux passages critiques. Personne en Galice ne songerait à utiliser de grands sacs en plastique, bleu-voyant que nous ramassons avec soin. « Eglise et ancien presbytère de Ferreiros » Nous y sommes, encore, avant l'intendance. Chardon et Don Pedro sont à Saint Jacques. (ce n'est pas juste) Il y cherchent un logement. Geneviève et l'éclopée sont aux provisions, ce qui n'est pas une mince affaire dans ce pays du bout du monde. Voyons les lieux. D'abord, autour de l'église, le cimetière. C'est vraiment l'enclos des morts, fermé, presque en cercle, par de hauts murs. Le long du mur, des chapelles funéraires, toits pointus, ogives, croix, des « caveaux » comme on dit chez nous et signes, ici comme là, de cette seule richesse d'ici- bas que le mort a l'impression d'emporter dans l'au-delà. Moins habituels, collés au mur, il y a aussi des casiers, boites de pierres, superposés, qui sont aussi des tombes. Au sol, devant l'église, s'alignent des dalles, témoins de morts plus anciennes. Le cimetière de Ferreiros doit être un jardin des morts depuis des lustres, des siècles peut-être. On y ressent la mort comme la toujours présente compagne de l'homme, dans la paix et la sérénité.
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Nous entrerons dans l'église plus tard. Le curé vient y célébrer la messe du soir que nous entendrons au milieu des villageois. Sous le porche, une affiche rappelle que l'année est compostellane et que le pèlerinage vaut le Jubilé, l'indulgence plénière, la remise totale des fautes. Je me dis que je ne l'aurai pas volée. Il s'attarde avec nous après la messe, la jeune cure, nous offre l'apéritif dans l'ancien presbytère. Il a amené un ami, un poète galicien qui veut bien nous lire d'une voix fort belle, quelques-uns de ses poèmes. « A mon père » « A la amistad ». C'est beau et intraduisible. « Traduire, c'est comme regarder une tapisserie à l'envers ». C'est Cervantès qui le dit. Et puis, cédant à notre invite, le curé et l'ami restent partager notre dîner. Gros problème pour la maîtresse de maison : il n’a que 19 couverts ! Je ne sais pas comment on a fait ! Le dîner est animé, gai, drôle. Tout coup, ce soir, tous les cavaliers parlent espagnol. Nelly chante, entraînant nos invités. Français, Gallego, Castillan... On chante. C'est le langage de l'humanité fraternelle.
... Frère Jacques ... Frère Jacques ... C'est le poète qui a entonné. ... . Saint Jacques ... Saint Jacques ... Nous arrivons.
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LE FEU , LE CHEVAL ET L ' ETOILE SAMEDI 30 OCTOBRE : IGLESIA DE FERREIROS - ERMITA DE SAN MARCOS
Frère Jacques, sonnez les matines ! Pedro, sonnez le clairon ! Debout, dans les greniers du presbytère. Oh ! Non ! Maha ! Judith ! Les blanches filles si sages, si bien élevées se sont reculées tant qu’elles ont pu dans l'herbe mince sur fond de boue rouge. Nous avons deux bais de plus, ce matin. Faire sa Joyeuse - Entrée à Saint Jacques sur un cheval crotte ? Allez Jean. C'est à nous ! Retroussons nos manches ! Lavées à grandes eaux, énergiquement bouchonnées, en selle et on marche tout de suite. Pas de bronchite galicienne pour rentrer en Lozère. L'un ou l'autre fer, aussi, avait besoin d'une révision. Geneviève et Dominique reclouent comme de vieux routiers du maillet. Et je me dis une fois de plus depuis ces dernières semaines que c'est une expérience fameusement enrichissante, que de partager la vie de gens qui savent si bien faire ce que soi-même on ne peut pas. Bien entendu, il pleut. Il pleut sur l'église, il pleut sur le cimetière, sur le presbytère et le vieux calvaire à la croisée des chemins. On se croirait en Bretagne. C'est le même genre de pays, d'ailleurs. Sauf que les deux bœufs, jumelés sous un joug sculpté superbe qui halent ce chariot, débordant de tiges de maïs sont bien galiciens. Et galicien bien sûr l'imbroglio de sentiers qui nous oblige à rejoindre la route. Tant pis. On s'est offert deux galops sensationnels. Eh, eh Dominique ! Pour des chevaux qui n'allaient pas galoper ! Ils galoperont malgré nous ! Nous sommes redescendus dans un sous-bois, échappant pour quelques longueurs à l'infernale caretera ou tous les poids lourds d'Espagne vont à Compostelle. On se faufile, l'un derrière l'autre. Soudain, un vrombissement de moteur emplit l'air, monte, s'intensifie, devient insupportable, physiquement insupportable, douloureux... J'ai peur. Il nous tombe dessus ! Et Maha bondit, dans un galop désordonné que je maîtrise à grand peine. L'avion s'éloigne. Dans la clairière, c'est la folie. Baraka a vidé Cosette qui grimace, Amadou, à qui l'avion a frôlé les oreilles a fait trois fois le tour du carré, tous ont sauté, se sont cabrés, affolés... Nous réalisons avec effroi la catastrophe qu'aurait pu provoquer l'engin s'il nous avait survolés d'aussi près sur la route. C'était une question de minutes, et nous devons y retourner, par la route, priant Saint Jacques que l'aérodrome de Compostelle ne soit pas Orly. Sur la route donc, jusqu'à Labacolla, ou nom et fontaine sont évocateurs d'ablutions précises. On se purifie avant d'entrer dans la ville sainte. A chaque tournant de la route, en haut de chaque côté, je scrute ...
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J'espère découvrir des toits, des clochers ... C'est trop tôt. Seul le Pico Sacro est là, rassurant, prometteur. Maintenant que j'approche et que cette marche sous la pluie se traine, pénible, ennuyeuse, les souvenirs, les signes remontent, ensemble : la voie lactée au-dessus du verger, le pèlerin de Cléry, Vézelay... Je vais fermer la boucle, j'arrive, j'arrive ... Après un dernier effort, l'ultime assaut. Quart de tour à gauche. On traverse. Pied à terre. Ça monte une dernière fois, un dernier sentier caillouteux, une dernière côte glissante. Allez Maha ! Allez ma bonne ! Mais en haut, sur l'essart déboisé, on ne voit rien encore. Patience et impatience se bousculent. Le Camino ne rétrécit pas ses derniers kilomètres pour nous. Comme pour les innombrables Jacquets de tous les temps, l'avant dernière étape, la pénultième escale, c'est San Marcos, Monte del Gozo, Montjoy ! Les pèlerins épuisés retrouvaient un sursaut de force, d'énergie, transportés de joie, de curiosité, pour gravir en courant le Monte del Gozo, d'où enfin, on aperçoit la cathédrale. Celui qui le premier arrivait au sommet était le roi du pèlerinage. D'où tous les Leroy, Duroy et autres De Coninck qu'on rencontre dans nos pays. Nous sommes pèlerins modernes et cavaliers. Ce que chacun pense et ressent derrière le sourire, le bonjour amical aux gens de San Marcos qui nous conduisent à l'ermitage, il ne le dira pas. C'est son jardin secret. Comme tous les soirs on va s'occuper des chevaux et découvrir le campement. Tellement « comme il fallait ? le campement » ! L’ermitage à San Marcos, comme l'ermitage à Hontes de Uca. Une chapelle sous de hauts châtaigniers, un muret, la petite route villageoise, une grande colline à genêts que les chevaux vont disputer aux chèvres. Et làbas, au fond, Santiago. On en devine les lumières à travers une bruine. Ce n'est pas confortable. Nous étendons une dernière fois les sacs et les bâches à même le sol, nous partageons l'eau des chevaux. Mais nous veillerons ensemble aux bougies, nous découvrirons ensemble que « l'étoile mystérieuse qui brille ... » gît, enfouie, immortelle, au plus profond de nous-mêmes Randonnée ou pèlerinage, c'est comme cela qu'il faut terminer et non dans un hôtel anonyme, encore moins dans la foire du village européen que la nécessite de l'hébergement a fait pousser au pied de Santiago de Compostela. Le feu flambe dehors. Jean chantera nos chevaux à réaction qui ont en la trouille près de l'aéroport de Lavac---- (ça rime) Il faut bien évacuer l'émotion. Nous chanterons Jean-Louis, maître feutier et librettiste. Avant de me coucher, je descendrai sur la petite route, vers la ville qu'on devine : centaines d'étoiles tremblotantes dans la nuit mouillée. C'est bien que la découverte soit pour demain. Je suis heureuse. Il n'y a rien à dire. Je regarde le feu qui rougeoie, d'où monte un filet de fumée. Un cheval, pas loin, tête penchée, mange. Derrière, c'est la colline aux genêts. L'étoile, elle est partout. C'est réel, vivant le sigle des randonnées de l'Habitarelle.
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QUE CUERPE ES , EL QUE ALLI SE VENERE ... DIMANCHE 31 OCTOBRE : SAINT JACQUES DE COMPOSTELLE
Par quel miracle ai-je pu sortir de mon sac, écrasé, jeté, piétiné, trempé, aplati par la 204 qui lui a roulé dessus un beau matin, par quel miracle, un de plus, ai-je pu sortir de mon sac une culotte mastic impeccable, un chemisier et un pull nets, comme neufs, pliés là-dedans depuis plus de quatre semaines. Bottes rincées, toque en tête, je peux entrer à Santiago. Les chevaux sont beaux. Allons Maha ! la selle sur le dos en lissant la crinière, les sangles, grise devant, noire derrière, le filet, la longe et ton fameux collier de chasse que je n'oublie plus jamais de défaire. Le ciré peut rester ficelé dans ses courroies. Le soleil est là. C'est le deuxième miracle de la journée. J'accomplis tous ces gestes, calmement, comme si de rien n'était, pour refuser la tristesse de les faire pour la dernière fois et l'excitation d'avoir atteint le port, le but pour lequel, chaque matin depuis tant de jours je les refais. Nous partons. La troupe descend la colline, aborde la nationale, passe le pont, entre dans les faubourgs. Louis Chardon distribue les drapeaux. A Didier, le fanion de l'Habitarelle, à Monique, le drapeau français, à Hélène, un drapeau qui serait belge si les bandes tricolores étaient dans le bons sens. Cela ne fait rien. Hélène a l'impression réconfortante d'avoir gagné son premier degré. Parce que, à Pampelune, on ne lui avait pas confié de drapeau. Au trot ! Puis au pas, au cœur de la vieille ville. Je ne peux pas décrire. C'est un monde dans lequel on entre, une couleur, une atmosphère, et, à l'intérieur de soi un tel bouillonnement : souvenirs, préparation, attente, explosion de joie d'y être, angoisse insidieuse de ne pas tout percevoir, tout prendre, tout retenir. Allons ! A bout de bras, le drapeau ! Nous sommes sur la place, l'immense plaza Mayor, devant la façade principale de la cathédrale. J'ai le temps de voir sortir du parador de los Reyes Catholicos, des gens d'une élégance lourde, riche, fourrures, chapeaux, bijoux, qui me déconcentrent. Incongrus ici. Choquants. Pourquoi, au fond ? J'approfondirai plus tard. Ils vont à la messe comme nous. Il y a foule sur la plaza Mayor, c'est dimanche, c'est la Toussaint ou presque, c'est l'année compostellane. Je me sens tout à coup formidablement « participante ». Tous ces gens-là et moi, parmi ces gens-là, nous sommes ici pour la même raison. Le Jacques d'Angers ! Bonjour Jacques ! Il rayonne. Il a bien terminé Sa marche. Il nous retrouve avec plaisir. Il rentrera en France en train, avec les chevaux.
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Ils font sensation, les chevaux. Nous allons les attacher, sur le côté de la place, à une grande corde tendue de pilier en pilier. Louis Chardon, puisqu'il faut bien que quelqu'un s'y consacre, restera les garder. Il aurait dû demander la propinia, le pourboire, à tous les amateurs qui ont pris la photo. Il payait quelques paires de rênes. Et maintenant, je regarde. La cathédrale, la façade de l'Obradoiro, les tours. J'aime. J'aime. Et pourtant, ce n'est pas, ce n'est plus roman. C'est baroque, c'est riche, c'est décoré, c'est chargé, surchargé, exaspéré. C'est pour cela que j'aime. Le dépouillement roman ici, aurait trop silencieux, trop intérieur. L'aboutissement à Saint Jacques, après la route, de quelque manière qu'on l'ait faite, c'est un triomphe, une explosion, un déferlement. Ce baroque délirant traduit tout cela. J'aime parce que le granit est vert, mangé de mousse, recouvert de lichens. Il faudra que je revienne à la saison des giroflées. Il en fleurit entre les pierres. Los Reyes Catolicos, ancien hôpital des pèlerins - peut-on l'imaginer ? - relève aussi de ce baroquisme. Le palais Rajoy, en face, est plus froid, San Jeronimo, de l'autre côté, plus simple. C'est très bien. Ce sont les escaliers monumentaux de la cathédrale que gravit la foule. C'est la cathédrale qui attire, fascine. Nous y entrons, accueillis en haut des marches par un prêtre qui nous conduit, à travers tout l'édifice, plein de monde, jusqu'aux stalles, dans le chœur. Jacques d'Angers est avec nous. Il faut bien que je l'avoue : je n'ai rien vu, les yeux ouverts, je n'ai rien vu. Nous assistons à la grand'messe solennelle d'un dimanche d'année sainte. Nous en sommes si on peut dire, les invites d'honneur. A l'offertoire, Dominique chardon, simple, fragile, menue, va s'avancer à travers le chœur, dans cet immense décor d'opéra, sous les jaspes, les albâtres, les onyx, l'argent et le vermeil. En jeans et veste de mouton, elle lit l'offrande de notre pèlerinage à Saint Jacques, que son père a rédigée. « Grand Seigneur Saint Jacques : Enfin nous voici à vos pieds, grand Seigneur Saint Jacques, venant par nos chevaux de la lointaine Gabalie, pays de saint Privat et d'Urbain V, à des centaines de kilomètres au-delà des Pyrénées. Ce n'est ni l'appât du gain, ni la soif de la grande aventure, ni le désir d'héroïsme et encore moins la recherche du plaisir qui nous a conduits en Galice. Nous étions dix-neuf, poussés par le désir de connaître le lent et long cheminement des Jacquets . En avons-nous fait réellement un pèlerinage ? Ce n'est pas certain. Ce fut, pour une grande part une randonnée comme les autres.
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Le style même de nos étapes nous a laissé trop peu de temps pour nous recueillir et réfléchir au contact des vieilles pierres, des sanctuaires ou des murailles du chemin. Nous étions pressés d'arriver à Santiago. Certains ont prié, d'autres ont réfléchi. Tous, nous avons peiné. D'abord de la chaleur, puis du froid et de l'humidité, acceptant le gîte rustique ; l'hospitalité généreuse de plus démunis que nous. Cela rassemble, nous l'offrons, grand seigneur saint Jacques, pour le pardon de nos fautes. Nous vous offrons cette longue marche, pour que, rentrés dans nos provinces respectives, nous en gardions en nos cœurs le souvenir et en nos âmes le désir d'aller plus loin, vers la vérité. » La messe continue. Nous avons droit au rite des grandes circonstances : le botafumero. Un très grand, très lourd encensoir d'argent descend des hauteurs invisibles de la grande nef. L'officiant y fait brûler une généreuse dose d'encens qui l'enveloppe de fumée priante. Puis, six vigoureux athlètes vêtus de longues robes rouges saisissent chacun une corde à laquelle ils impriment un mouvement de rotation. L'encensoir s'élève et oscille comme un pendule, oscillations de plus en plus amples, de plus en plus hautes. Il disparaît vers les voûtes pour redescendre et disparaître de l'autre côté. L'odeur d'encens emplit la cathédrale. Puis le balancement ralentit, se rétrécit et enfin, un des hommes suspendus au jeu des cordes, en arrête le mouvement. Folklore ? Rite d'adoration ? Démesure propre à l'Espagne. Quand nous sortons sous le soleil un peu pâle, les cloches sonnent à toute volée. Les chevaux, sages et calmes, attendent. Le balayeur est déjà passé deux fois avec pelle, brosse et seaux et petite charrette. Il voudrait savoir si nous restons longtemps. Nous partons ! Nous partons ! En selle ! On visite la ville à cheval. Partout c'est le granit, maisons et dalles des rues, un granit qui signe l'unité parfaite des ruelles qui montent, descendent, des galeries, arcades, places et fontaines. Nous sommes les rois de Santiago, ce matin, rois joyeux qui vont, viennent, caracolent au milieu des badauds du dimanche amusés et des enfants excités. Farrurita, éduquée par la douce et ferme Françoise est parfaite. Dominique la grande, pied plâtre, est sur Amadou au mépris de toute prudence. Jacques d'Angers, convaincu par Odette s'essaie sur Fadda. C'est si simple, le sens de la fête, il suffit de se laisser aller, d'accepter d’être encore, heureusement, un enfant ! Allez Haha ! Du nerf ! Fais des étincelles sur les dalles des rues. A Saint Jacques, quelques calles portent encore la dénomination ancienne, gallego, portugaise : ce sont des ruas. Mais il faut bien se résigner à briser le charme, remonter le temps, sortir de la vieille ville et de carrefour en carrefour, gagner le parc où les héros du jour pourront souffler. Café à côté du kiosque à musique.
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L'harmonie en grand uniforme régale les passants d'un concert qui, pour eux à cette heure, est encore apéritif. Je suis pressée de retourner vers la cathédrale. Toute seule. Je m'éclipse. Pardon, mais le café nous pourrons encore le prendre ensemble à une terrasse parisienne. Je savoure la flânerie dans les petites rues aux pavés inégaux, au parcours capricieux, rien de rectiligne ici sous les galeries couvertes. Partout des boutiques et partout le même bric à brac de souvenirs où domine l'argent ciselé, le travail des « platérias ». Il faut décider une fois pour toutes qu'on ne veut rien pour n'avoir pas à décider entre une miniature de botafumero, un Saint Jacques assis, debout ou cavalier, quand ce n'est pas un séchoir à maïs devenu boite à cigarette. C'est dimanche et le religieux, ici, l'emporte encore sur le lucratif. Les vraies boutiques sont fermées. J'aurais voulu rapporter un bel objet, un livre d'art à mes fils. Dommage. J'achète un dé à coudre. Et je n'y pense plus. Santiago est plein de vieilles églises, dans des rues tranquilles, de couvents et de jardins de couvents. C'est une des dernières villes ou l'on peut croiser un prêtre en soutane. Je rencontre celui de ce matin qui me tend la main. Il m'a reconnue ? ! Evidemment ! les bottes et la culotte ! Toutes les rues ramènent vers la cathédrale et les palais qui l'entourent. On resterait des heures, assis sur une marche d'escalier, devant la fontaine de las Platerias, entre le portail signé par la mystique bourguignonne et la superbe façade baroque de la très galicienne Casa del Cabildo. Une jeune femme intelligente, érudite, passionnée, va nous faire visiter la cathédrale, où la foule en ce dernier dimanche d'octobre compostellan est aussi dense, à 14 heures que ce matin à la messe. Derrière l'Obradoiro, façade plaquée si décriée mais qui sert au moins d’écran protecteur, la merveille parmi les merveilles de la sculpture romane, le Portique de la Gloire, la Gloire étant le Jugement dernier. Le Christ et autour de lui tout ce que son histoire a compté d'apôtres, de prophètes, de saints de personnages, de symboles. Il faut seulement être là, et regarder. La sensation de la beauté, de l'harmonie, de la plénitude sereine ne se décrit pas. Rationaliste et sceptique, on placera quand ses doigts dans les cinq trous que le hasard de la sculpture a laissés sur l'arbre de Jesse, au juste écartement des cinq doigts de la main, et que la foi populaire, humaine, a approfondis, polis, accompagnant le geste d'une prière. L'intérieur de la cathédrale que j'ai mal vu ce matin, est effarant de surcharge : sculptures, volutes, orgues, lampes et candélabres, écrasant de richesse or, argent, argent surtout, bois, roches et pierres précieuses. Notre guide, le mot ne lui convient pas, ni d'appeler visite guidée ce qu'elle nous fait découvrir, notre guide fait surgir à travers cette opulence ostentatoire, les lignes pures, nettes, de l'architecture d'une église de pèlerinage, avec sa vocation d'adoration : hauteur des nefs et Plan en croix, et sa vocation d'accueil : toutes ces chapelles latérales, ces déambulatoires, ces galeries superposées où se pressait la foule. Au Moyen-Age, il y avait tous les jours bien plus de monde qu'aujourd'hui.
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Il faut bien voir, enfin, au-dessus de l'autel, voir et accepter, le Saint-Jacques, l'idole hideuse, enfoncée, engoncée sous des ornements d'or et de pierreries, assise, raide, sur un trône d'or, rentrant les épaules sous la continuelle, ininterrompue, interminable imposition des mains des fidèles qui défilent, serrés, derrière elle, visage lourd, maquillé, les yeux énormes, vides, majestueux, écrasant, triste Saint Jacques tout en or. Oh ! mon pèlerin de Cléry, sec, buriné, en marche ! Le pèlerin de Fromista, ascétique, spiritualisé, le Matamoros étincelant et farouche, sur son cheval blanc, ouvrant a Clavijo, la route de la reconquête, et tous les Saint Jacques du chemin, humbles, proches, frères. On ne peut quitter la cathédrale sans descendre dans la crypte. Là reposent dans une chasse d'argent, sous l'étoile symbolique, les restes présumés de l'apôtre, ces restes finalement retrouvés au siècle dernier, exactement le 28 janvier I879, reconnus, authentifiés, par une bulle pontificale. « Esos restos, ses que ses, han resucitado el actual movimiento de peregrinaciones » Nous sortons. Je jette encore un regard, prolongé, pour en fixer la vision, sur la façade et les deux tours illuminées par le couchant et qui semblent venir au-devant des nuages. Et puis, retour au parc. Les chevaux ne peuvent y passer la nuit. Nous repartons comme nous sommes venus, moins les drapeaux, moins Don Pedro à qui nous disons adieu - et merci ! merci ! ici. Pas adieu. Au revoir. « Dominique ! Attention aux sens interdits ! » crie encore Louis Chardon. Est-ce pour cela que nous les avons tous remontés, à contrecourant, tous sans exception, sans en rater un seul ! C'est la nuit, à l'ermitage de San Harcos. Lentement, minutieusement, je libère haha. C'est fini. Comment allons-nous passer cette dernière soirée ? De la meilleure façon du monde, On descend en ville, en voiture. Dans l'animation nocturne des villes méridionales, sous les réverbères, nous scrutons les cartes des restaurants et comptons les tables. Une vingtaine de places ! il y a Jacques d'Angers. Nous avons mangé, bu, ri ensemble. Encore une fois. Puis, rentres à l'ermitage, nous avons chante- Tous les couplets ce Jean, déjà souvenirs, tous les portraits de Jean-Louis. Et nous avons dormi. Il faut bien.
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IL SUFFIT DE LAISSER SON ADRES5E LUNDI 1 E R NOVEMBRE : SAINT JACQUES DE COMPOSTELLE!
La séparation est sans tristesse, l'aventure commune a été bonne et avec : ceux-ci, on a atteint le terme. Nous nous reverrons. Les adieux, si on le veut, ne sont jamais que des perspectives de retrouvailles. Je suis venue à Santiago. J'ai fait une expérience physique très réconfortante. Sans préparation, j'ai pu vivre quatre semaines dans des conditions difficiles, sommaires, dures et en plus inconnues au départ. Je n'ai pas entame mes résistances, pas dépassé le seuil d'une saine fatigue, vite récupérée. J'ai aimé le cheval d'une manière qui m'ôte toute envie de remettre jamais mes bottes dans un manège, même si mes connaissances techniques en auraient grand besoin et sans déprécier le rôle du manège. C'est autre chose. J'ai vécu pendant quatre semaines une certaine relation humaine. J'ai envie de dire « la relation », vitale, essentielle, sans le support d'une hiérarchie, le lubrifiant des conventions. Dans une telle vie chacun est luimême, nu. Nu aussi d'être détendu, décrispé, hors de l'artifice ou nous nous croyons tous obligés de vivre. C'est donc plus facile et plus difficile, comme toute chose essentielle. J'ai vu des paysages neufs, souvent grandioses, parfois monotones, toujours intéressants parce qu’ils révélaient un pays que je ne connaissais pas. J'ai vu des réalisations du plus beau génie humain, celui de l'art. Les plus marquantes pour moi grandes. C'est ma moisson. N’ont pas toujours été les plus connues, les plus grandes. C'est mon bilan. Je le fais ce matin, dans la chapelle du Mont de la Joie. Il s'élargira, se précisera et s'enrichira au fur et à mesure que remonteront les souvenirs. Tel quel, je le trouve beau. Et au fond, y arriver, ce n'est pas difficile... C'est à la portée de tous ceux en qui l'envie sommeille ... Il suffit de laisser son adresse. Un soir, à la veillée, les chevronnés, les vétérans des randonnées m'ont demandé : « On te reverra à l'Habitarelle ? Maintenant que tu sais... » Comme j'hésitais à répondre, Louis Chardon a relevé la tête. J'ai expliqué. « Oui, je pense bien, mais...Mais après avoir fait Saint Jacques, avoir commencé par-là, ... je me demande si cinq jours, huit jours, en Lozère, en Cévennes... je me demande si je ne vais pas rester sur un manque, une insatisfaction ... ? « Il y a du vrai, là-dedans, a admis Louis Chardon. Eh bien, venez-donc avec nous, en Afghanistan ! » XXX
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TABLE DES MATIERES J’IRAI A SANTIAGO ........................................................................................................................................ 1 LES SIGNES .................................................................................................................................................... 3 LA BLEUE ....................................................................................................................................................... 7 Vendredi 1er octobre. Saint Jean Pied de Port. ........................................................................................ 7 LE CHENE DU SOULT ................................................................................................................................... 10 Samedi 2 octobre .................................................................................................................................... 10 QU'EST CE QUE JE FAIS LA ? ........................................................................................................................ 13 Dimanche 3 octobre : Saint Jean Pied de Port - Roncesvales (colégiata) ............................................... 13 PELIGRO C' EST PELIGRO !........................................................................................................................... 16 Lundi 4 octobre : Roncesvales - Zubiri .................................................................................................... 16 KERMESSE A PAMPLONA ............................................................................................................................ 18 Mardi 5 octobre : Zubiri - Cezur Menor (PAMPLONA) ............................................................................ 18 LE BONHEUR A CHEVAL .............................................................................................................................. 21 Mercredi 6 octobre : Cezur Menor - Puente la Reina. ............................................................................ 21 LE CLOITRE AUX OISEAUX ........................................................................................................................... 25 Jeudi 7 octobre : Puente la Reina - Monssterio Irache (Estella) ............................................................. 25 FARRURITA ! ! ............................................................................................................................................ 28 Vendredi 8 octobre : Irache - TOrrês del Rio .......................................................................................... 28 LE CAMINO POUR UNE FIGUE ..................................................................................................................... 31 SAMEDI 9 octobre : Torrès del Rio - Medrano. ....................................................................................... 31 CUISINE MONASTIQUE ............................................................................................................................... 34 Dimanche 10 octobre : Medrano - San Millan de la Cogolla. ................................................................. 34 UNE CATHEDRALE .... LA NUIT .... ............................................................................................................... 37 Lundi 11 octobre : San MillaN de la cogolla - San Domingo de la Calzada ............................................. 37 ERMITA = GARDIEN DE CHAPELLE HOMME OU FEMME ............................................................................ 40 Mardi 12 octobre : San Domingo de la calzada - Villafranca, Montes de ôca ........................................ 40 LA PLUS NOBLE CONQUETE DE L' HOMME ; C' EST LE CHEVAL ! ................................................................ 42 Mercredi 13 octobre : Villafranca - San Pedro de la Cardena................................................................. 42 LA COMMUNION DES SAINTS ..................................................................................................................... 45 Jeudi Ier octobre : san Pedro de la Cardena - Hontanas. ......................................................................... 45 CHARTRES N ' ETAIT PAS CHARTRES ........................................................................................................... 48 Vendredi 15 octobre : Hontanas - Boadolla del Camino ........................................................................ 48 DES PELBRINS PAS RICHES .......................................................................................................................... 51 Samedi 16 octobre : Boadilla del Camino - Abadia de Benevivere (Carrion de los Condes) .................. 51 93
Benevivere! ................................................................................................................................................. 53 Dimanche 17 octobre ............................................................................................................................. 53 TROIS DOCTEURS ET TROIS DOMINIQUE .................................................................................................... 55 Lundi I8 OCTOBRE: Benevivere - San nicolas del Real Camino ............................................................... 55 SI NECESSITAS , LLAMA ! ............................................................................................................................. 57 Mardi 19 octobre : San NIcolas : Villamarco ........................................................................................... 57 UN GALOP AUTOUR D’UNE VIGNE ............................................................................................................. 60 Mercredi 20 OCTOBRE : Villamarco - rontecha ...................................................................................... 60 LES VITRAUX DE LA CATHEDRALE ............................................................................................................... 62 Jeudi 21 octobre : Fontecha - Hospital de Orbigo. (Leon) ...................................................................... 62 PANIER, PATATES ET HAUTS DE CHAUSSE .................................................................................................. 64 Vendredi 22 octobre : Hospital de Orbigo - El Ganso ............................................................................. 64 LE PARADOR DU BOULANGER .................................................................................................................... 67 Samedi 25 octobre : El Ganso - El Acebo ................................................................................................ 67 A LA DERECHA ! .......................................................................................................................................... 70 Dimanche 24 octobre : El Acebo - Villafranca del Bierzo ........................................................................ 70 MAHA EN TETE AU CEBRERO ...................................................................................................................... 72 lundi 25 octobre : Villafranca - Hospital del Cebrero.............................................................................. 72 LE JACQUET D ' ANGERS ............................................................................................................................. 75 Mardi 26 octobre : Hospital del cebrero : samos (monasterio) ............................................................. 75 VOUS ALLEZ VOIR EN GALICE ! ! ! ............................................................................................................... 77 Mercredi 27 octobre : Samos - Puertomarin .......................................................................................... 77 LA GALICE C ' EST DU GATEAU .................................................................................................................... 80 Jeudi 28 octobre : Puertomarin - Puente de Furelos (Mellid) ................................................................ 80 FRERE JACQUES, FRERE JACQUES ... ........................................................................................................... 82 Vendredi 29 octobre : Puente de furelos - Iglesia de Ferreiros .............................................................. 82 LE FEU , LE CHEVAL ET L ' ETOILE ................................................................................................................ 84 Samedi 30 octobre : Iglesia de Ferreiros - Ermita de san Marcos .......................................................... 84 QUE CUERPE ES , EL QUE ALLI SE VENERE ... .............................................................................................. 86 DIMANCHE 31 OCTOBRE : SAINT JACQUES DE COMPOSTELLE .............................................................. 86 IL SUFFIT DE LAISSER SON ADRES5E ........................................................................................................... 91 Lundi 1er novembre : SAINT JACQUES DE COMPOSTELLE! .................................................................... 91 Contributions .............................................................................................................................................. 92 Les Logis des Chardons ........................................................................................................................... 92
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