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no pasaran charlie

PAR ANTOINE BERTRAM

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Dans un monde où le savoir est à portée de main, l’ignorance est un choix.

Aller Charlie c’est parti, fallait pas me réveiller ! Tu détestes les politicards autant que les curés, tu détestes la morale bienpensante et le politiquement correct, cette façon vicieuse d’être gentil partout. T’as vu tous ces cons prendre parti pour toi, du Grand Rabbin à Marine Le Pen, pressés de te soutenir devant le tsunami d’indignation populaire. Ils te récupèreront Charlie, tous ces cons qui ne connaissent rien à la Commune, la libre pensée, l’anticléricalisme, l’antimilitarisme, ils feront de toi un pin’s, comme ils ont fait du Che un logo pour T-shirt. Toi, tu sais Charlie, tu sais que «je ne suis pas d’accord avec vous mais je me battrais pour que vous ayez le droit…» Ta gueule ! des phrases toutes faites pour des blaireaux répétant des éléments de langage, manipulés à la psychologie sociale, manipulés par des politiques et des réactionnaires ne servant que leurs propres intérêts, manipulés par de l’information inutile et creuse, du Petit Journal au Monde, de toi Charlie à BFMTV, le bon peuple avalant 24h par jour l’info en tube dans son crâne rongé par le vide, oubliant dès le lendemain l’insoutenable scandale de la veille. Mais toi au moins, tu les secoues tout le temps, transgresseur, pas sage et moi je t’aime pour ça, même si l’ère de Philippe Val et le renvoi de Siné sur ordre de Sarkozy m’a quelque peu refroidi. Alors parlons-leur encore, crions sur eux comme depuis 200 ans. Aux États-Unis on ne peut pas montrer des seins à la télé ni dire « fuck », par contre, on peut vendre des armes à feux à des mineurs. Mon traitement de texte corrige automatiquement le mot « fuck », la technologie m’impose la morale dominante. L’ordre des choses n’existe pas, les cartes ne sont qu’un discours sur le monde, les frontières des lignes imaginaires. C’est marrant mais les animaux n’ont pas de montre et ne sont pas en retard. Les mœurs, la morale, cette façon habile de créer des tabous et des interdits, plus de lois pour plus de liberté... dans le mur. Si nous sommes fait à l’image de Dieu, Dieu fait-il caca ? At-il des poils disgracieux ? Et sa femme, elle en dit quoi ? Nous sommes nos meilleurs flics, nos meilleurs geôliers, nos meilleurs prisonniers. Nous le sommes car nous avons été dès la naissance conditionnés et orientés pour devenir de bons petits soldats, une bonne petite femme soumise, 8h par jour du boulot au dodo, école-travail-famille-cercueil, dressés à la cloche et au lever du drapeau. Nous nous manipulons nous-mêmes, et toi Charlie Hara Kiri, tu nous mets le nez dedans. éthique, ici judéo-chrétienne, là-bas bouddhiste, là encore animiste et là végétarienne. Essaye de respecter tous les interdits de toutes les religions, ça risque de piquer un peu…

Socrate, Aristote, Confucius, la Bible, le Coran, Descartes, Voltaire, Hugo, Nietzche, Einstein, Harry Potter, c’est marrant comme les prophètes se pointent à des époques où on ne peut pas filmer. L’éducation, la science, la philosophie, la quête de la connaissance, qui a voulu tuer Galilée pour avoir dit que la terre tournait autour du soleil ? C’est marrant mais en occident on a brûlé des milliers de femmes en les accusant de sorcellerie, en fait elles voulaient juste parler à table. Ce n’était pas une idée de Rousseau ça. En NouvelleCalédonie, il est commun de ne pas montrer ses seins, pourtant les hommes peuvent se mettre torse-nu, qui a envoyé des missionnaires partout dans le monde pour vous apprendre à vous cacher ?

On a peur de la mort inéluctable, c’est trop dur d’être tout seul, t’as peur du noir, tu te répètes que Merlin Dumbledore Gandalf t’attendra au bout du tunnel, mais ces croyances ne nous protègeront pas de la disparition. Oui, tu vas mourir et pour ce qu’il y a après, on n’a jamais reçu la carte postale. Célébrons la vie au lieu d’en faire une réalité coercitive, défaisons-nous de nos chaines mentales, de nos complexes, ne soyons pas fiers d’être garants de notre propre prison. Dans un monde où le savoir est à portée de main, l’ignorance est un choix.

Nous sommes une meute, comme les loups, comme les rats, perpétuellement dans un rapport dominant-dominé, chaque révolution recrée cet équilibre. Aujourd’hui, 80 personnes sur terre possèdent autant que 3,5 milliards mais il faut des intégristes à deux balles butant des dessinateurs de presse pour qu’on s’indigne enfin. Nous sommes confinés entre des murs que nous avons battis nous-mêmes. Confinés par l’obsession de l’identité, de la réussite individuelle, un seul modèle perdure depuis la fin de la guerre froide : chacun pour sa peau et plus pour moi. Deux choses détruisent la paix : l’orgueil et l’ignorance. Nous voudrions pouvoir définir le monde au travers du prisme de l’absolu, savoir enfin si le bon côté est blanc ou noir. Mais il est gris, la Vérité n’existe pas, c’est une solution temporaire et spatiale dans un contexte prédéfinit. Nous fabriquons des ghettos depuis 40 ans, en dehors de la ville, appartements bondés, familles trop nombreuses, déracinées, ne connaissant pas les codes, les enfants vivent dehors avec le sentiment d’être relégués pour toujours. De Sarcelles à Dumbéa-Sur-Mer, c’est tout un modèle de société, d’urbanisme et de politique qui est à revoir, méritocratie absente, rond-points, banques et assurances, on tue les ressources naturelles, on pollue tout, c’est le progrès en contre-sens.

Nous sommes manipulés par des politiques et des théologiens qui ne servent que leurs propres intérêts, du FN menant au fascisme d’extrême droite par repli sur soi (Hitler ça vous branche?), aux religieux menant à la frustration patriarcale par repli sur soi (les femmes en burqa ça vous branche?), avec leurs formules toutes faites, leurs raccourcis populistes, sur le chômage, la croissance, le complot, le remède miracle à la connerie, la vie après la mort (quelqu’un a vu des photos ?). L’Occident ment sur les musulmans, le choc des civilisations est une propagande, l’insécurité est une invention des serruriers. « Juifs, catholiques, musulmans, noirs ou blancs, fermez vos gueules, vous faites bien trop de bruit » (Iam - La fin de leur monde). Les religions imposent une vie basée sur les inepties de leurs livres poussiéreux n’ayant jamais protégé une mère célibataire, Ève la fautive. Les politiques mentent sur la propriété privée, la répartition des richesses, la valeur des choses et les priorités géopolitiques : diviser pour mieux régner, un os pour occuper les chiens. Le pouvoir, l’argent, la revanche, la survie, tout est méprisable, dégueulasse, vaniteux, et ces gens-là se proposent d’en être les chefs.

C’est ça que dénonce Charlie Hebdo, beaucoup plus même et c’est salutaire. Nous vous combattons tous, nous les républicains laïques, de la Bastille à Gaza, de Santiago à Manille, de Bejing à Colombine, partout nous affrontons l’ignorance se glorifiant d’ellemême, nous gardons l’humanisme comme seul phare. No pasaran Charlie, no pasaran, et nous le peuple silencieux, on ne lâche pas l’affaire, on corrige la bêtise enfant par enfant, homme par homme, par l’humour et l’irrévérence, la parole libre, le débat, la connaissance et l’esprit critique.

Mon traitement de texte corrige automatiquement le mot « fuck », la technologie m’impose la morale dominante.

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