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voyage : l'inde passion
from MUST #34 - EPICURIEN
by MUST Online
Voyage
PAR ANTOINE BERTRAM
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passion L’Inde ,
O N ENTEND SOUVENT DES CHOSES MERVEILLEUSES OU ÉPOUVANTABLES SUR L 'I NDE , ON RACONTE LA MIS è RE MALADE ET LES PALAIS PRODIGIEUX , MAIS EN RÉALITÉ CE PAYS DÉPASSE TOUT ENTENDEMENT . D' AILLEURS EST - CE UN PAYS ? C' EST UN FOYER DE CIVILISATIONS PARMI LES PLUS ANCIENS DU MONDE , LA TERRE DE NAISSANCE DE QUATRE RELIGIONS MAJEURES . P EUPLÉ D ' UN MILLIARD TROIS CENT MILLIONS D ' HABITANTS ( 4 FOIS PLUS QU ' EN 1950 ) , PARLANT 23 LANGUES OFFICIELLES ET 4000 DIALECTES , IL EST S û R QU ' UNE VIE NE SUFFIT PAS à COMPRENDRE CE QUE REPRÉSENTE CETTE PARTIE DU GLOBE . C OMME SI JE N ' AVAIS JAMAIS VU LA COULEUR OU L ' OBSCURITÉ , NI JAMAIS GO û TÉ DE PIMENT OU DE MIEL , JE SUIS ENTRÉ L à - BAS POUR OUBLIER TOUS MES REP è RES ...
Me voilà rendu en Inde.
Un vol de 15h depuis Sydney, avec 6h de retard à Kula Lumpur, je suis un peu essoré. Dès la sortie de l’aéroport de New Delhi, je suis dans le bain : un brouhaha ambiant ne me quittera plus, même préparé on ne s’attend pas à ça. Les gens me sautent dessus, «taxi taxi taxi» est la rengaine immédiate. J’en prends un prépayé dans l’aéroport pour m’éviter la négociation dehors, je donne l’adresse mais tous les gens autour continuent de m’alpaguer jusqu’au moment où le taxi arrive, enfin le micro taxi où nos deux sacs à dos (je suis avec une amie) prennent toute la place, le chauffeur est en paréo, la température est correcte. J’avais réservé un chauffeur pour notre arrivée mais notre retard à rendu caduque la résa, le taxi est passé à midi, sans avoir vérifié l’arrivé du vol, puis il est reparti, bienvenue en Inde. Direction le tour operator où je dois récupérer ma réservation, ça ne ressemble à rien, la rue est pourrie, il y a un mariage, on dirait qu’il y a eu 2 guerres ici depuis hier et en même temps il y a un foisonnement de couleurs et de bruits. J’en prends plein la tête, il y a de majestueux bâtiments coloniaux et en même temps la terrible misère à chaque coin de rue, des couleurs, des couleurs partout, Taj Mahal, Hôtel Mahal, tout est Mahal mais tout va bien... Ouf l’hôtel. Ça ressemble à un petit palais avec une cour intérieure ouverte jusqu’au ciel, des coursives et des moulures, c’est suranné et très beau, cosy et calme. Je ne reste pas longtemps là, on visite le Fort rouge, une forteresse d’architecture moghole magnifique, inscrit sur la liste du patrimoine mondial. Fini en 1648, son mur d’enceinte fait 2,5km de long et entre 16 et 33 m de haut, le bâtiment est immense (656 m × 328 m). Aujourd’hui il n’est habité que par des militaires. New Delhi et ses 16,5 millions d’habitants ne m’aura pas retenu longtemps.
On descend sur Varanasi, le train prévu à 17h démarre à 1h du matin, on comprend rien aux annonces, on stresse dans la gare. Après 16h de train nous avons raté l’arrêt, le suivant est à 1h30 de là. On descend dans un no’mans land, les sacs sur la voie. Prochain train dans 1h, heureusement on rencontre un indien très serviable qui nous aide et nous conseille, il nous fait monter en seconde classe même si nous n’avons pas les billets, le contrôleur s’achète avec 1000 francs. Encore 1h30 de trajet, attendre fait partie intégrante de tout voyage. La ville se dresse là, sublime et en même temps très moche, c’est vraiment un pays de contrastes. Je m’imprègne de la beauté de la culture, dans les robes traditionnelles, les rickshaws claxonnant sans cesse, les groupes se déplaçant inlassablement, je commence à me sentir en Inde, il y a de la saleté partout et des vaches qui mangent les poubelles. C’est en même temps somptueux avec cette ville sainte tournée vers le Gange, où les indiens viennent de partout pour se faire incinérer, depuis 3500 ans s’il te plaît. La ville est riche, il y a beaucoup de monuments, toute une culture très codifiée, les ruelles avec tous ces petits commerces, et les ghats, ces avancées en escalier plongeant dans le Gange. Le soir la ville se pare de 1000 couleurs, il y a des célébrations, des mariages, tout est un peu tourné vers le tourisme qu’il soit local ou international. On virevolte de 1000 expériences, goûtant ici un riz trop épicé, là un commerce de soie, là un restaurant recommandé dans le lonely planet. A ce propos nous goûtons le meilleur «Lassi» d’Inde (une boisson traditionnelle à base de yaourt) au Blue Lassi Shop. Le jeune homme qui nous sert est charmant. Nous mangeons aussi un des meilleurs Tali du voyage au Canton Royale Restaurant, le plat typique composé de riz avec autour plusieurs légumes en sauce ou viandes mijotés, c’est divin. Nous rentrons souvent exténués de nos marches diurnes, il y a des empilements inextricables, des milliers de ruelles ou une voiture ne passe pas, on voit passer des porteurs d’eau, des marchands, ça grouille et ça crie, ça sent l’être. On finit par une ballade en barque au lever du soleil, un attrape touriste très sympa qui donne un aperçu de la ville depuis le fleuve, les gens se baignent et jouent, lavent leur linge, il a encore ces couleurs partout, tout est photogénique.
Nous partons pour Agra. Afin d’éviter une autre déconvenue, je paye un gamin pour qu’il nous réveille 10 minutes avant Agra. Ça fonctionne, j’apprends presque vite... Arrivée à Agra, cette ville ne se fréquente que pour le Taj Mahal. Joyau le plus parfait de l’art musulman en Inde, il est l’un des chefs-d’œuvre universellement admirés du patrimoine de l’humanité. Après réflexion, c’est ce que j’ai vu de plus beau dans ma vie. D’abord par sa pureté, le marbre blanc et les moulures ciselées, et par sa signification : un mausolée bâtit par un empereur en mémoire de son épouse, quelle preuve d’amour ! La finesse des marbres et des rosaces pleines d’émeraudes nous subjuguent, nous restons là 4h, émerveillés. L’hôtel est moderne, très confortable, nous nous reposons une nuit.
Direction Jaïpur dans le Rajhastan, le pays des mille et une nuits, des maharadjahs et des contes. Arrivée dans un hôtel assez chic, nous avons réservé une sortie en montgolfière au dessus de la Forteresse d’Amber, puis sa visite complète. Le fort se trouve à une dizaine de kilomètres de la ville, au débouché d’une gorge de montagne, dans laquelle se niche un beau lac. Il a attiré l’admiration de tous les voyageurs. Il reste toujours remarquable pour son architecture. Le vieux palais commencé par Man Singh Ier vers 1600 est un monument admirable avec murailles fortifiées. Nous arrivons pour embarquer dans la montgolfière au lever du soleil, il fait un temps splendide sur la vallée, je n’avais jamais fait de ballon, c’est fabuleux. Le palais vu d’en haut est énorme et magistral, la vue sur l’horizon nous fait oublier la surpopulation, on est dans le silence. Le vol dure un peu, c’est incroyable, plein de plénitude. Nous redescendons doucement dans la campagne environnante, les gosses nous suivent, le pilote s’amuse à raser les maisons puis à remettre les gaz. Nous nous posons dans un terrain vague, les gens accourent. ils nous touchent, peutêtre n’ont-ils jamais vu de gens tomber du ciel... La visite du fort est géniale, les salles magnifique au décors orientaux et fastueux, le harem est un labyrinthe gigantesque, les femmes qui habitaient là n’avaient pas le droit de sortir ou de voir d’autres hommes, curieuses cultures patriarcales moyenâgeuses. De retour sur Jaïpur, la ville rose, nous visitons le palais des vents et sa célèbre façade, là encore c’est très beau et terriblement triste. Les femmes composant le harem regardaient la vie dans la rue par le prisme de lucarnes très étroites, enfermées à vie, mais quelle vie ? La ville n’attire pas trop notre attention même si toutes ces façades roses ont quelque chose d’unique. En route pour Pushkar.
Pushkar. Notre hôtel est un vieux palais rénové qui conserve ses lianes et sa cour. Il y a partout dans ce pays un contraste très fort entre le dehors sobre et le dedans fastueux, comme l’orient. Pushkar est un important lieu de pèlerinage, situé sur les rives du lac du même nom. 52 ghats permettent aux pèlerins de descendre au niveau du lac pour se baigner dans les eaux sacrées. La ville fut un point de passage important pendant les pèlerinages hippie des années 1970. Elle reste une destination privilégiée du mouvement hippie et posthippies que connaissent les années 1990 et 2000. Ils font du trafic d’import/export, mais qui ne fait pas de trafic en Inde ? Nous mangeons un des meilleurs kebabs du voyage dans une échoppe sans nom. Tout est en construction, des routes ici, des maisons coupées, on sent que le pays vibre. Nous assistons à un concert improvisé très sympa, l’hôtel est très bien, les restaurants en rooftop (sur le toit) donnent un sentiment de sécurité et de pouvoir, une cage dorée. Bientôt vient le départ pour Udaïpur, nous avons pris un chauffeur depuis Agra, on ne s’ennuie plus avec les horaires. Udaïpur est la Venise de l’Inde, somptueuse et totalement magique. Notre hôtel est encore parfait, dans la chambre nous avons vue sur le lac, mon amie fait son yoga matinal. La ville est zen ou alors c’est nous qui avons changé, on se promène à pied. La visite du City Palace reste un trés bon souvenir : bâti en 1571, régulièrement agrandi au cours du temps, c’est un enchaînement labyrinthique de plus de 6 palais, l’un d’entre eux est devenu un hôtel, un autre un musée. Sur le lac il y a le Taj Lake Palace hotel, the place to be, un hôtel luxueux de 83 chambres et suites avec des murs de marbre blanc, situé sur une petite île. Des célébrités y sont passées, comme la reine Elizabeth, le Shah d’Iran, le roi du Népal ou Jacqueline Kennedy, il a été le décor de nombreux films. La nuit coûte entre 30 et 150 mille francs, sans parler de la suite présidentielle et ses 1735 m2, dont le prix ne se communique pas, encore un contraste dans ce pays où des gens meurent de faim, où on peut déjeuner pour 100 francs et dormir pour 150 mille.
Arrivée à Goa où il y a beaucoup de hippies. L’ambiance plage cocotier ne nous intéresse pas plus que ça car nous avons déjà ça en NouvelleCalédonie. Beaucoup de soixantenaires occidentaux vivent là-bas comme s’ils avaient 15 ans. On est dans l’éphémère qui dure, quelque chose d’un peu bizarre. nous ne restons pas et descendons vers Kochi dans la région du Kérala. Nous avons réservé dans un centre ayurvédique de retraite et de yoga, nous y resterons plus d’une semaine tellement les soins, l’ambiance et la chaleur des gens qui nous reçoivent nous font du bien. Situé en bord de rivière, le cadre est idyllique. à côté un centre s’occupe de soigner les éléphants, tous les matins nous voyons la scène du bain. Les soins ayurvédiques consistent en des traitements à base de plantes pour purifier le corps. Cela commence avec une consultation, car c’est le patient et non la maladie qui est l’objet du traitement, la maladie « n’existe pas » en tant que telle, elle n’est que l’expression d’un déséquilibre. Pendant la consultation on est ausculté et écouté sur nos maladies chroniques, ensuite le traitement commence. Au départ très sceptique, je suis très étonné de voir une nette amélioration de ma santé dès le deuxième jour. Au centre nous sommes accueillis par Suresh, s’il ne fallait retenir qu’une seule rencontre de tout ce voyage ce serait lui : un personnage très zen et très gentil qui nous a emmené dans sa vie et ses habitudes avec beaucoup de prévenance et d’écoute. Lors de la période de Pâques (la région est catholique), un pèlerinage passe non loin du centre. Le directeur du centre, faisant partie des notables, a pour devoir de nourrir pendant 2 jours tous les pèlerins passant par là. Nous avons assisté ébahis à un énième défilé chatoyant de personnages et de commerces ambulant, une procession incroyable de familles de tous milieux, comme une fête foraine en l’honneur de Jésus. Le jour de Pâques, le centre étant vide, le directeur nous invite a manger un tali chez lui avec toute sa famille. Le plat est très épicé, l’instant touchant, l’attention incroyablement généreuse.
California
Nous finissons notre voyage par les house boat dans une région au Sud de Kochi, des maisons-bateaux glissant le long de canaux. 1200 bateaux sillonnent cette région lors de la période touristique, ce qui reste un véritable business. On se promène entre les petits villages où les gens sont tranquilles et heureux, la vie est belle, la rupture avec le tumulte indien est formidable, ce qui permet de donner un relief particulier à ces étendues d’eau et à la vie des canaux. Les bateaux traditionnels en paille sont magnifiques, les paysages aussi. Mon vol retour se fera à partir de Madras sur laquelle il n’y a plus grand chose à dire, une énième ville polluée criante et surpeuplée, le Kérala c’était mieux.
Nous sommes rentrés à Nouméa, enfin. Oui enfin, car l’Inde à ceci de particulier qu’on est content quand on arrive et qu’on est content quand on en part. C’est un monde dans le monde, avec sa culture, ses castes, ses traditions, sa morale. Ça reste l’un des plus grand dépaysements que l’on puisse vivre aujourd’hui. Vous pouvez aller à New York ou en Chine, L’Inde reste une zone totalement à part. à part et à voir. Il y a chez nous, néo-calédoniens de culture semi-occidentale, une incapacité morale à comprendre certains phénomènes de l’Inde, par exemple le sort réservé aux femmes. Mais nous n’avons pas à juger, ni la saleté, ni le sort des gens. L’Inde s’inspire et se meut d’elle-même, ce pays continent de plus d’un milliard d’individus traverse le temps à sa manière, à son rythme, en restant à la hauteur de son mythe. De la spiritualité aux décors, des sensations au dépassement de soi, tout là-bas laisse un sentiment indélébile dans le cœur, un sentiment que chaque visiteur choisira et trouvera lui-même. u