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dossier : épicuriens au XXI e siècle
from MUST #34 - EPICURIEN
by MUST Online
Dossier
PAR FRÉDÉRIQUE DE JODE
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Epicuriens au XXIe siècle
L'épicurisme porte aujourd'hui en lui des parfums d'excès, d'extravagance, d'envies voluptueuses. or, pour Épicure, être heureux, ne signifie pas combler tous les désirs mais ceux qui sont essentiels. Atteindre le bonheur passe par des choses simples, des menus plaisirs de la vie qu'il faut cultiver. Et partager aussi car un vrai épicurien ne peut pas se réjouir seul.
Introduction La recherche du bonheur est une quête éternelle. Dans nos sociétés, elle est souvent associée à une course effrénée à la satisfaction de nos désirs, à la possession de biens matériels ou à un confort lié à un statut social élevé. Or, c’est « dans la prise de conscience de notre épanouissement personnel, de notre bien-être intérieur ou dans le fait d’aimer la vie et de la savourer à chaque instant que le bonheur s’installe », selon le philosophe en vogue, Frédéric Lenoir. Au IIIe siècle av. J.-C, Épicure avait trouvé déjà sa recette du bonheur. Celle que procure les « plaisirs naturels et nécessaires ». Se nourrir, se vêtir, se loger suffisent pour apporter de la joie dans l’existence. Autrement dit des désirs simples, sans excès, qui comblent notre quotidien. C’est à leur manière ce que mettent en lumière les Épicuriens du Caillou que Must a rencontrés. Déguster un bon repas concocté avec des produits sains et de qualité, se retrouver et échanger autour de vins excellents, promouvoir la gastronomie lors d’événements caritatifs, voilà ce qui pour eux définit le mieux l’épicurisme qui n’est pas non plus antinomique, comme certains le croient, avec le végétarisme. Comme les plaisirs de la vie s’apprécient pleinement en bonne compagnie, les Épicuriens associent surtout le bonheur à des valeurs de partage, de convivialité, de générosité et d’altruisme. Bienvenue dans un monde de gourmets qui ont du cœur.
Association des Œnophiles Calédoniens Pour l’amour du vin
Depuis vingt-sept ans, l'Association des Œnophiles Calédoniens met à l'honneur l'univers du vin. Des épicuriens dans l'âme qui parlent avec passion de ce breuvage synonyme de fête et de douce ivresse. A déguster avec modération.
Il a une robe brillante et profonde. Des arômes épicés. Des tanins intenses et élégants... Voilà ce que l’on a pu entendre lors de la soirée de l’Association des Œnophiles Calédoniens le 24 avril dernier au Pavillon des Vins. Une soirée Saint-Émilion où la cinquantaine de convives a dégusté trois grands crus : un Château Magnan La Gaffelière 2009, suivis d’un Château Jean Faure 2009 et d’un Château Destieux 2006. Depuis la création en 1988, de l’Association des Œnophiles Calédoniens, l’AOC — clin d’œil à Appellation d’Origine Contrôlée —, dont Henri Chombeau fut l’un des fondateurs, les rendez-vous sont toujours l’occasion de marier l’amour des vins à leur connaissance. « L’un ne va pas sans l’autre, souligne Pierre Gayraud, président de l’AOC, et gérant du Pavillon des vins. Nous avons tous en commun la passion du vin, le ciment de notre association, qui se traduit également par cette envie d’avoir des informations sur l’histoire des grands crus que l’on goûte, les cépages, les sols, les techniques de vinification. »
Sens en éveil
Vingt-cinq membres composent l’Association, dont deux sont œnologues de formation. Lors de la soirée, les membres, tous revêtus d’une cape et portant à leur cou un tastevin, ouvrent la séance par une chanson, toujours la même, en lien avec l’AOC. Un rituel qui lance les festivités. Une présentation détaillée des vins est faite oralement à un auditoire concentré. Puis, vient le moment tant attendu de la dégustation. Tout le monde hume, goûte le vin en faisant appel à trois de ses sens : la vue, le goût et l’odorat. « C’est une dégustation que l’on fait avec attention pour pouvoir ensuite échanger sur ses impressions, ses sensations et les caractéristiques du vin », explique Valérie Mermoud, viceprésidente de l’AOC.
Rencontres
Ce rendez-vous a été pimenté par l’intronisation d’un nouveau membre, Hugues. Ses deux parrains ont déclamé son parcours écrit sur un ton humoristique, avant de lui faire boire deux verres cul sec ! C’est le protocole bon enfant établi par ces joyeux drilles. « Pour entrer dans l’association, il faut être fidèle à nos soirées, montrer que l’on est intéressé par cet univers du vin sans pour autant détenir une culture encyclopédique et enfin il faut être parrainé », énumère Pierre Gayraud. C’est dans une ambiance détendue que la soirée se poursuit. On échange sur le vin, bien sûr, mais on finit par parler de tout et de rien. « L’esprit de l’AOC, c’est de rencontrer des gens épicuriens de tout bord qui ont ce même engouement pour le vin, et de le partager, insiste Pierre Gayraud. On passe toujours des moments formidables dans nos soirées non seulement par la qualité des vins choisis mais aussi par les convives présents! »
l'abus d'alcool est dangereux pour la santé. à consommer avec modération.
Quand épicurisme rime avec humanisme
Depuis septembre 2014, l'association des Disciples d'Escoffier existe en Nouvelle-Calédonie, dont les trente membres ont fait le serment de transmettre, de servir, et d'honorer la cuisine. Dans un esprit altruiste et de générosité qui va de pair avec la philosophie d'Auguste
Escoffier, un des maîtres de la gastronomie française.
Il fut le chef le plus célèbre de son temps et le premier cuisinier à devenir officier de la Légion d’honneur. Né au XIXe siècle, Auguste Escoffier a modernisé et codifié la cuisine française, l’élevant au rang d’art. Auteur de la revue « Carnet d’Epicure », ses recettes ont eu une aura internationale. Celui que l’on a surnommé « le roi des cuisiniers, le cuisinier des rois » a inspiré des générations et des générations de chefs après lui.
Perpétuer la tradition culinaire française
C’est en 1954, en son hommage, que les Disciples d’Escoffier sont créés en métropole. Soixante ans plus tard, l’association voit le jour sur le Caillou, née de la rencontre du Secrétaire général des Disciples d’Escoffier et de Fabrice Louyot. Le chef aux commandes du restaurant, la Table des Gourmets, est nommé président. Il entraîne avec lui dans le bureau de l’Association : Patrick Morand, Jean-Claude Ségard du 7e péché Robert Caune du restaurant Le Relais de la Vallée, Christophe Langé, gérant de Lézard home, Gabriel Levionnois du P’tit Café, et Olivier Polizzi du CNC. « Nous devions être huit. Alexandre Castegnaro de Gastronomie Import, qui était, pour moi, la figure de l’épicurien en Calédonie, devait nous rejoindre mais il est décédé malheureusement », souligne Fabrice Louyot. Dans l’association une trentaine de membres, reconnaissables avec la couleur de l’écharpe qu’ils portent. Rouge pour les cuisiniers, verte pour les producteurs, violette pour les métiers de la salle, bleue pour les épicuriens. Les Disciples d’Escoffier honorent la mémoire de leur mentor et perpétuent la tradition culinaire française, chaque membre intronisé par un parrain faisant le serment de transmettre, de servir, et d’honorer la Cuisine, sa culture et son évolution permanente. « Cette association qui porte le flambeau, le savoir-faire de la gastronomie française peut être une valeur ajoutée à la Nouvelle-Calédonie, et dans le Pacifique en valorisant dans la région une cuisine française qui est plébiscitée à travers le monde », poursuit Fabrice Louyot.
Volet caritatif
Les membres de l’Association ne sont pas seulement de bons vivants qui se retrouvent autour de repas préparés aux petits oignons. A leur menu également : altruisme, générosité et humanisme. Auguste Escoffier était lui-même un humaniste, luttant contre la paupérisation, aidant ceux qui étaient dans le besoin ou encore mettant en place une mutuelle pour les veuves des cuisiniers tués sur le front de la guerre. Dans cet esprit, l’an dernier, pour Noël, les membres ont concocté un repas de fête à Magenta pour les enfants malades. Un événement qui sera reconduit cette année. « Nous avons aussi envie d’instaurer la semaine du goût comme en métropole pour éduquer les enfants aux saveurs », explique le chef. Autre projet qui motive Fabrice Louyot : s’associer au don du sang, en préparant un petit-déjeuner à la Table des Gourmets pour les volontaires et un vrai burger de la mer en réponse à la malbouffe, la salle intérieure du restaurant se transformant en « hôpital de campagne ». Et, bien sûr, le fameux dîner d’Épicure qu’organisent les Disciples une fois par an, dont les bénéfices reviennent à une association caritative. Etre un disciple d’Escoffier, c’est avoir du cœur.
Deep & Cooking
Esprit festif urbain
La 4 e édition de Deep & Cooking s'est tenue le 19 avril au Yaki Grill. Le concept : investir un lieu le temps d'un après-midi, pousser le son, danser, se restaurer. Un programme qui se savoure sous le signe de la fête et du partage.
Tout a commencé le jour de l’inauguration du nouveau visage de la rue Auguste Brun au Quartier Latin, en décembre 2013. A cette occasion, Nicolas Chardon, aux commandes de son restaurant Le Pimiento, organise un événement culinaire au rythme de l’électro, avec des amis restaurateurs, dont Gaël Choux, chef de L’Ed Zen. « L’idée était de cuisiner dans la rue pour être au plus près des gens et d’accompagner ce moment par de la musique », se souvient Nicolas Chardon. Ce moment festif est tellement boostant que sur le trottoir les deux compères évoquent l’idée, entre deux sets, de créer régulièrement des événements qui réunissent la musique et la cuisine, leurs passions communes. Dans un esprit urbain underground revisité et décalé pour Nouméa. Banco ! Deep & Cooking est né. La seconde édition, toujours au Pimiento, a été menée de façon informelle comme un rodage mais la suivante à l’Inédit, en décembre 2014, a été le vrai baptême du feu. Au menu : musique électro, coucous et crêpes party. Et, la sauce a pris. « C’était une journée incroyable, de folie, s’enthousiasme Gaël Choux, qui officiait aux platines sous son nom de DJ, Lou- Sensitive. Il y avait une ambiance extraordinaire, un bon esprit. Les gens dansaient dans la piscine ! » C’est ce mariage magique de la cuisine et de la musique qui a plu aux 130 convives présents. La quatrième édition a investi le Yaki grill où trois DJ se sont produits. Côté restauration : croque-monsieur et crêpes. Même succès au rendez-vous.
Tisser des liens
« Ce que l’on aime aussi dans ce cadre, précise Nicolas Chardon, c’est de pouvoir valoriser notre métier d’une autre manière, d’investir un restaurant différent à chaque fois, de le mettre en avant aussi, tout comme les fournisseurs avec lesquels on travaille depuis longtemps, et de trouver une thématique culinaire simple car il faut pouvoir assurer côté restauration », explique Nicolas Chardon. Une manifestation qui permet de tisser des liens avec leurs clients dans un autre contexte. « En tant que restaurateurs, nous passons beaucoup de temps derrière les fourneaux, poursuit Gaël Choux. Cet événement fait tomber les barrières. » La Deep & Cooking, c’est avant tout un moment de plaisir marqué par une ambiance chaleureuse. « Savoir apprécier des choses simples en bonne compagnie, autour d’un bon plat préparé avec des produits sains, d’un bon verre, sans excès bien sûr, au son d’une bonne musique, c’est tout cela qui pour nous renvoie de nos jours à l’épicurisme », disent-ils en cœur. Des valeurs de convivialité et de partage que Nicolas Chardon et Gaël Choux insufflent lors de la Deep & Cooking. Une recherche du bonheur dans la simplicité. Prochaine édition ? « Certainement en juillet, pense Gaël Choux. On garde secret pour le moment le lieu mais comme on porte en nous un petit grain de folie, on vous réserve un événement encore plus étonnant. »
Interview de Valérie Morignat, Vegan et Épicurienne « épicure était végétarien ! »
rien n'empêche d'être épicurien et végétarien. Exclure la consommation de tout produit issu des animaux et aimer la gastronomie et les bons vins ne sont pas incompatibles. valérie Morignat, photographe, réalisatrice, experte en stratégie de l'innovation numérique, le revendique haut et fort depuis des années. Elle est installée désormais à San Francisco, une ville où les vegan sont choyés.
Quand avez-vous refusé de consommer de la chair animale ?
Le respect de la vie animale a fait partie de mon éducation. Dès l’âge de 12 ans j’ai refusé de consommer du crabe ou de la langouste lorsque j’ai découvert qu’on les ébouillantait vivants. Pareil pour le foie gras dont le gavage m’est tout de suite apparu comme une pratique horrifiante. Ma prise de conscience a été absolue le jour où, à l’âge de 19 ans, j’ai vu une émission de télévision sur un abattoir de cochons. Alors que je voyais ces pauvres bêtes hurler, et tenter d’échapper à l’égorgement dans une chaîne d’abattage mécanique, j’étais en train de manger un sandwich au jambon.
Quelle a été votre réaction ?
Autant dire que le sandwich m’est resté en travers de la gorge ! Ce jour là, j’ai ressenti une grande tristesse, une profonde révolte, mais également une colère envers moi-même pour n’avoir jamais réellement connecté la tranche de jambon aseptisée des supermarchés, et l’animal souffrant qu’un système carcéral avait arraché à la vie. J’ai jeté mon sandwich à la poubelle et j’ai fait le serment que je ne mangerai plus jamais de chair animale. Quelques jours plus tard, j’ai fondé l’ADAA à Paris, l’Association des Amis des Animaux. Le principal but était l’information. J’avais le sentiment d’avoir vécu dans la caverne platonicienne toute mon existence, et la lumière extérieure était celle de la conscience que toute vie mérite le respect et que l’évitement de la souffrance est une possibilité qu’il faut conquérir, pour tous. Cela fait donc maintenant 22 ans que je suis végétarienne, et depuis 2 ans Vegan.
Est-ce qu’on vous a considérée comme une extraterrestre ?
Il y a 20 ans, j’en ai entendu des vertes et des pas mûres. Surtout dans la société française, qui est assez conservatrice, et s’accroche à l’excuse de l’exception culturelle quant il s’agit d’abolir certaines pratiques honteuses comme le gavage des oies. Pendant les dix premières années, ce n’était pas du gâteau de pouvoir manger dans n’importe quel restaurant ! J’ai eu droit à toutes les remarques les plus idiotes, du genre « les carottes aussi souffrent quand on les coupe », ou bien la « salade verte aussi est vivante quand tu la manges ». Derrière ces blagues débiles, se cache à la fois le refus de voir la misère des abattoirs, et de l’élevage industriel, et celui de modifier ses petites habitudes personnelles. Plus simplement, à travers ces raisonnements fermés, s’exprime aussi un spécisme basique, autrement dit l’habitude de percevoir l’animal comme une espèce inférieure, par conséquent exploitable par tous les moyens.
Les temps changent tout de même.
La crise de la vache folle, celle de la dioxine des poulets, le scandale des hormones, celui du lait aux antibiotiques, et toutes les crises sanitaires liées à l’industrie animale, ont créé une prise de conscience intéressante. Les gens réalisent peu a peu que cette industrie ne ménage pas leur santé. Aux raisons diététiques de devenir végétarien ou végétalien s’ajoute celle de la prise de conscience éthique. Les réseaux sociaux ont largement contribué à lever le voile sur la souffrance animale, relayée par un travail des médias moins complaisant. A San Francisco, ou je vis désormais, être vegan est non seulement normal, mais les vegans représentent une clientèle choyée par les restaurateurs. Ici, contrairement à pas mal de restos à Nouméa en panne d’imagination, on ne nous propose pas «une assiette de crudités», mais un vrai choix de plats gastronomiques aux saveurs fantastiques.
Qu’est ce que vous répondez à ceux qui pensent que le végétarisme est incompatible avec une vie épicurienne ?
Je suis gastronome, je raffole de bons vins et des bonnes tables, et je dois dire qu’être vegan ne me limite pas du tout ! Bien au contraire. Ne plus manger d’animaux m’a fait découvrir des cuisines et des saveurs du monde entier, comme la cuisine indienne, la cuisine libanaise, la cuisine tibétaine, etc. Même la gastronomie végétalienne française fait ses preuves grâce au grand chef Passard qui favorise désormais une cuisine de haut vol sans aucune chair animale. D’ailleurs, Épicure luimême était...végétarien !