COUPE DU MONDE 2011
Comment remporter la Coupe du Monde de la Pâtisserie ? Prenez de j eunes professionnels talentueux aux bases solides. Aj outez un encadrement motivant qui fait monter en puissance l'équipe pendant deux années de préparation à la compétition mondiale la plus prestigieuse. Telle est l'équipe d'Espagne, lauréate de la Coupe du Monde de la pâtisserie 2011, qui a gagné grâce à sa capacité de travail et de concentration, en sachant s'entourer, s'inspirer, écouter et se remettre en question comme les trois concurrents et leur président d'équipe nous l'expliquent. Par F.L., photos lefotographe.com et fix.
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Yann Duytsche, vous êtes le président de l'équipe d'Espagne, comment s'est-elle constituée ? Yann Duytsche :
« Il y a deux ans, le Club de la Coupe du Monde Espagne, composé principalement de Clémentine Alzial, responsable de Valrhona Espagne Italie et Moyen Orient, Alberto Ruiz Editorial Vilbo et moi-même, avons pris la décision de conserver comme pilier central de l'équipe Jordi Bordas pour son travail satisfaisant lors de la Coupe du monde 2009 et donc la décision fut de le nommer Capitaine de cette future équipe. Nous avons réalisé une sélection, via presse professionnelle et réseau, pour trouver les autres candidats. Josep Maria Rodriguez qui travaille chez moi depuis près de 4 ans, rentrera ainsi dans l'équipe en 2009 avec pour mission la pièce en chocolat. L'arrivée de Julien Alvarez de 1 'École Bellouet Conseil, se fit seulement courant année 2010, après avoir pris la décision de changer un des membres de l'équipe, pour la pièce en sucre. Décision difficile mais nécessaire pour la continuité de la préparation de 1'équipe. L'objectif a tout
de suite été clair : le podium. Car, la dernière participation de l'Espagne fut catastrophique et donc le Club avait la possibilité d'arrêter à tout moment la candidature de l'Espagne! Il y a eu des moments difficiles, car on est parti avec un budget presque nul... à la hauteur des derniers résultats de l'Espagne ! Donc, il a fallu motiver et valoriser le fait que le talent, le travail, les nombreux contacts, supports allaient pouvoir nous aider. Cela a été difficile à faire comprendre qu'avec trois sous, on pouvait prétendre à un podium. On a donc pu compter une fois de plus sur Alain Chartier pour la glace taillée et la dégustation, une précieuse aide pour Jordi Bordas. Les derniers mois furent décisifs, Julien Alvarez depuis Paris commencait à avoir le soutien des personnes qui l'entourent à l'École Be/louet, les entraînements s'enchaînaient à Barcelone... ». Quel était votre rôle de président ? Y. D. : «Je pense que le rôle du président est
essentiel, mais ce n'est pas l'élément le plus nécessaire. C'est comme d'habitude, si tout va bien c'est grâce au travail des candidats; par contre si tout va mal, c'est à cause du directoire ! Mais plus sérieusement, le rôle du président est la construction de l'équipe,
définir les objectifs, le timing, planning des points à date (dégustation, avancement du travail, problèmes, etc.). S'assurer que le niveau d'exigence requis est au rendez-vous, faciliter le lieu de travail de l'équipe». Comment l'équipe a préparé la compétition ? Y. D. :«Pour commencer, une bonne
planification a été nécessaire : il a fallu décider ce que nous souhaitions faire, comment nous pouvions le faire compte tenu des ressources dont nous disposions. Le travail de recherche a été des plus importants. Nous avons étudié les équipes qui ont remporté les éditions précédentes, les points forts et ceux pouvant être améliorés, les techniques, les saveurs. La connaissance du thème que nous souhaitions traiter a également été un élément clé pour la conception des pièces et des gâteaux. À partir de là, nous avons commencé à nous réunir à l'Escuela de Pastelerfa del Gremio (École de Maîtres Pâtissiers ) de Barcelone et à travailler in situ afin de mettre en œuvre les différentes idées et de faire évoluer les techniques. Le travail a beaucoup évolué au fur et à mesure des entraînements jusqu'à ce que nous parvenions aux pièces et aux gâteaux définitifs que nous allions présenter à Lyon. Les mois de novembre, décembre et janvier ont été les mois d'entraînement les plus intenses. Au fil de ces mois, nous avons bénéficié de la collaboration inestimable de Frank Michel, Alain Chartier et Angelo Musa qui nous ont guidés et nous ont aidés à définir les produits de dégustation définitifs et les pièces artistiques, et nous les remercions vivement pour leur implication dans le projet. Avant le concours, nous avons effectué quatre concours« à blanc » ei fait des semaines longues avec des journées de 15 heures. Pour être prêts pour un concours de cette envergure, il faut faire preuve de beaucoup d'engagement, faire des sacrifices et déployer des efforts... et même comme cela, le ré?ultat n'est jamais garanti». Pourquoi ce thème de buffet ? JORDIBORDAS SANTACREU:«Le�ème
choisi a été«Le tour du monde en 80 jours». Nous avons pensé qu'il s'agissait d'un thème que le jury pourrait facilement identifier et reconnaître; et qui offrait un large éventail de scènes et de situations que nous pouvions représenter». �
Pouvez-vous détailler le travail effectué concernant la piê.oe en sucre ? JULIEN ALVAREZ:
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«Afin de traiter le thème de manière cohérente parallèlement à la pièce chocolat, nous avons symbolisé la roue à aubes représentant 1'évolution dans les transports maritimes, lesquels permettront à Phileas Fogg de réaliser son exploit. D'autre part, sur la partie supérieure de la pièce, la montre à gousset, instrument inséparable de Phileas pour contrôler son avancée dans le temps.
Le fil conducteur étant : la roue qui tourne, le temps qui passe... De nombreuses techniques étaient exploitées dans la réalisation de la pièce : - le sucre coulé traité tout simplement pour la roue, avec des inclusions et galbé pour la base et la montre à gousset; - l'isomalt modelé pour les éclats d'eau; - le pastillage à chaud pour les chiffres et les pointes des aiguilles; - le sucre tassé pour les aiguilles; - le sucre soufflé pour les cœurs de fleur et le gousset; - le sucre tiré avec la réalisation des fleurs et du ruban. Le montage de la roue à aubes et sa finition au pastillage pulvérisé est pour moi la partie qui permettait de personnaliser, de lier nos deux pièces et de démontrer le fruit d'une longue réflexion et d'un long travail d'équipe. C'est cette harmonie dans le buffet qui représente ma plus grande satisfaction». Pouvez-vous détailler la pièce en chocolat ? JOSEP MARIA GUEROLA : «La machine
à vapeur, symbole de l'ère industrielle du XIXe siècle, devient 1'alliée de Phileas Fogg pour traverser le continent américain d'Ouest en Est, de San Francisco à New York; le train, le chemin de fer réduisent les distances, permettent de découvrir des territoires, font traverser des prairies et des montagnes. La base de la pièce est constituée de deux traverses de chemin de fer en chocolat qui imitent la réalité avec les pierres que nous trouvons sur les voies ferrées et qui sont noires avec des petits éclats argentés. Sur ces traverses, viennent s'appuyer les rails noirs sur lesquels se trouve la roue du train, ro_uge et or, qui sert de support au dessert à l'assiette intitulé« Mandarine express». Sur la partie supérieure est installée la locomotive du train, rouge, noire et or, qui porte le numéro 80 en référence aux 80 jours que le voyage de Phileas Fogg a duré. S'y trouve également une fleur qui symbolise le feu de la chaudière qui crépite et sont visibles des morceaux de bois et de charbon qui se mêlent aux flammes du feu. Enfin, il y aussi des flèches des Indiens qui symbolisent 1 'attaque du train par les Indiens. La technique la plus novatrice est peut-être celle de l'utilisation du chocolat avec de la lécithine pour créer les pierres très alvéolées représentant le charbon. dont nous soyons plus Il n'y a fiers; chaque élément de la pièce a son importance et sa signification et s'inscrit dans 1 'ensemble».
de 1 'histoire. Les techniques utilisées sont celles propres à la sculpture en général. Pour le blason, nous avons introduit une nouvelle technique qui consiste à insérer un relief et le remplir de gélatine pour reproduire le pourtour du gâteau; la gélatine étant élaborée avec le sorbet à la fraise et la crème glacée mangue-passion qui composaient le gâteau. Nous pensons que c'est l'un des aspects qui a apporté un plus à la pièce en terme d'originalité. L'une des parties les plus complexes était d'intégrer la lance à la pièce, car elle pouvait facilement se briser du fait de sa fragilité et sa minceur». En ce qui concerne l'entremets chocolat Rose des Vents ? JULIEN ALVAREZ:
«Avant de commencer les essais au labo, nous avons étudié les entremets des précédents lauréats dans le but d'identifier les points en commun et de travailler en ayant un objectif précis. Angelo Musa et Franck Michel nous ont énormément
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Pouvez-vous détailler la glace taillée ? JORDIBORDAS SANTACREU: «L'idée lorsque nous avons imaginé la pièce était de reproduire une scène qui ait du mouvement. Nous voulions sortir de l'hiératisme. Nous pensons que le mouvement vient ajouter du réalisme à la pièce et nous voulions que la pièce explique une partie
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Remerciements de Julien Alvarez
aidés lors des premières dégustations pour axer notre travail. Tout d'abord, 1'objectif était de réaliser un entremets au chocolat. Nous avons donc travaillé dans un premier temps sur la mise au point de 1'entremets en recherchant les alliances des divers chocolats, composants et proportions pour avoir un maximum de goût chocolaté et des textures au top. Ensuite, l'objeCtif était de marier à cette première base de travail, des saveurs qui permettraient de les mettre en valeur, de les exhausser et non de les masquer. Notre travail étant présenté à un jury international, il faut donc vérifier que chaque saveur soit identifiable et appréciée mondialement. Nous avons exploité la noix de pécan dans le croustillant et le biscuit, la vanille dans le crémeux, et enfin, une très fine compotée de fruits exotiques avec une dominante mangue passion. Le temps de réalisation de l'entremets est un des facteurs les plus importants; il doit être monté, glacé relativement vite en vue d'une remise à température pour la dégustation. L'entremets était dégusté 4 h après le début du concours ! En clair, un entremets CHOCOLAT avec des alliances subtiles, réalisable rapidement et dont les saveurs sont identifiables et appréciées de tous. Et l'ingrédient le plus important, le plaisir !». En ce qui concerne le dessert à l'assiette Mandarine Express ? Josep Maria Guerola :«Les
saveurs du dessert à l'assiette sont la mandarine de la région du Maresme et la noisette de Reus, deux ingrédients très typiques d'ici : de Catalogne. La mandarine de Canet est un agrume très rafraîchissant à l'arôme délicat et particulier qui, associé à la saveur de grillé de la noisette, crée un ensemble de saveurs de type«chaud-froid». Avec ces deux ingrédients, nous avons travaillé les différentes textures de chacun en recherchant toujours l'excellence du produit: biscuit aux noisettes, suprême de noisettes, espuma de mandarine, sorbet à la mandarine».
à Jean-Michel Perruchon et toute l'équipe de 1'École Bellouet conseil, avec qui j'ai le plaisir de travailler chaque jour, à Angelo Musa ... du fond du cœur... à Franck Michel... pour m'avoir suivi depuis le départ... à M. Torreblanca, et M. Chartier.. à Jérémy Jourdran, mon Sancho Pansa... à Johan Martin, Jérôme de Oliveira et Quentin Bailly pour votre amitié professionnelle... à ma famille.. . à mes amis.. . Vous avez cru en nous! ... et ce dans les moments les plus difficiles... MERCI à vous... cette victoire vous appartient... Enfin, à mes deux frères d'armes Ge piques l'expression à Mister Michalak ! . . . Q ), j'ai vécu avec vous des moments incroyables de complicité que je n'oublierai jamais.. .
En ce qui concerne l'entremets glacé aux fruits Le Cercle de Feu ? JORDIBORDAS SANTACREU :«Pour
élaborer le gâteau, nous nous sommes inspirés de la traversée des différents continents que réalise le protagoniste. Nous avons essayé de faire en sorte qu'il contienne des ingrédients des continents par lesquels passait Phileas Fogg. Nous avons choisi la fraise originaire des ·Julien Alvarez, Jordi Bordas Santacreu, États-Unis d'Amérique; la mangue, le-fruit de Josep Maria Guerola : «La compétition la passion, la banane et le gingembre d'Asie et· s'est déroulée comme nous l'avions imaginée l'amande d'Europe. Nous recherchions un résultat et même s'il est certain qu'il y a toujours des rafraîchissant et exotique avec un équilibre contretemps, les concours« à blanc» que nous entre les différentes textures et une combinaison avons faits avant d'aller à Lyon nous ont aidés permettant de jouer avec les couleurs». à nettement réduire les erreurs. La compétition s'est déroulée comme prévu, mais nous avons été confrontés à des imprévus qui nous ont rendu la tâche difficile pour réaliser de manière optimale les pièces. Nous parlons par exemple de la température du stand. Il faisait très chaud et il était très difficile de travailler le chocolat. Cela nous a été préjudiciable lors du montage final de la pièce en chocolat. Une autre des difficultés que rencontre le participant est le transport et la mise en place de la pièce en glace sur le socle de la vitrine: elle est très spectaculaire, il y a de nombreux obstacles et il faut beaucoup manipuler la pièce, ce qui présente un risque élevé qu'elle se brise».
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Quel a été pour vous le plus gros challenge » sur place ? Julien Alvarez, JordiBordas Santacreu, Josep Maria Guerola : «Le défi majeur dans «
Comment s'est déroulée la compétition ? Comme vous l'aviez imaginée ? Yann Duytsche : «Cela
s'est passé comme nous 1'attendions. Dur, très dur, mais nous nous sommes promis l'un à l'autre d'y croire jusqu'au bout et de tout donner. Sincèrement, nous ne pouvions pas aborder la compétition avec une grande sérénité sachant que durant les semaines précédentes, à chaque tentative de blanc nous avons rencontré d'énormes problèmes de diverses natures. Nous n'avons jamais réalisé un buffet complet et des dégustations irréprochables avant le jour du
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concours ! Mais, nous avons tenté de solutionner le maximum de problème et fait des concessions pour qu'ensemble nous y arrivions».
le concours est peut-être la pression, le fait de bien travailler, proprement dans un espace qui n'est pas le sien; le fait de respecter les délais. L'autre défi majeur a été la régularité au niveau du buffet pour que tous les éléments pouvant être évalués soient du même niveau d'exigence: depuis le travail dans le stand jusqu'à la présentation des pièces et aux dégustations». Et, au final, y a-t-il une morale à cette aventure et des conseils à donner ? Julien Alvarez, Jordi Bordas Santacreu, Josep Maria Guerola : «Rester dans sa bulle,
le travail bien fait paye, et, notre triomphe a été une Victoire du travail d'équipe. TOUS ENSEMBLE. .. !!!!!!». Les recettes ont été publiées dans le numéro 361 de mars 2011.