Place publique Nantes #51 mai-juin 2015 (extraits)

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www.revue-placepublique.fr

LA REVUE URBAINE NANTES / SAINT-NAZAIRE

Mai Juin 2015

Place Publique

Place 6 numéros 50 € Publique

#51

Place #51 Publique NANTES/SAINT-NAZAIRE

épuisé

LA REVUE URBAINE | Mai-Juin 2015

épuisé

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épuisé

p. 90 LA CRISE, UN COUP D’ARRÊT À L’ÉTALEMENT URBAIN ?

épuisé

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Laïcité, le pacte en péril

épuisé

p. 139 ÉLECTIONS DÉPARTEMENTALES : DEUX LECTURES POSSIBLES DU SCRUTIN p. 147 MAISON RADIEUSE : L’ARCHITECTE ET LES HABITANTS

9 782848 092447

DOSSIER | P 5 | VOILE, CANTINES SCOLAIRES, LIEUX DE CULTE, RADICALISATION…

Laïcité, le pacte en péril HISTOIRE | P 64 | LA VIE QUOTIDIENNE DANS LA POCHE

Il y a 70 ans, Saint-Nazaire était enfin libérée 10E


Vient de paraître

Situé à l’est de Nantes, ce quartier fut longtemps celui des maraîchers qui y cultivaient carottes, salades et petits pois. Aujourd’hui intégré dans l’agglomération, le quartier Bottière-Chénaie reste un morceau de campagne en ville : une fidélité aux origines mais aussi la volonté de promouvoir un habitat durable. Épousant la géographie du site, bien relié au reste de la ville, le quartier est un exemple de densité intelligente et d’attention portée à la nature. Il offre aussi toutes les facettes de l’urbanité : école, médiathèque, commerces, espaces publics, vie associative naissante… Ce hors-série de la revue Place publique retrace l’histoire du quartier, décrit l’ambition des élus et des urbanistes, fait témoigner les habitants et les commerçants. Il a été rédigé par Philippe Dossal, journaliste indépendant, collaborateur régulier de Place publique, et par Emmanuelle Morin, de l’agence Double Mixte. En vente en kioque et en librairie au prix de 5 €

Place Publique

les numéros hors-série 5 €


PLACE PUBLIQUE

Nantes/Saint-Nazaire. La revue urbaine Tour Bretagne Place Bretagne BP 72423 - 44047 Nantes Cedex 1 www.revue-placepublique.fr

Directeur de la publication : Jean-Claude Murgalé

Directeur : Thierry Guidet thierryguidet@wanadoo.fr

Chargée de diffusion : Marine Jaffrézic diffusion@revue-placepublique.fr Tél. 06 75 06 32 67

Comité de rédaction : Pierre-Arnaud Barthel, Philippe Bataille, Goulven Boudic, Paul Cloutour, Alain Croix, Laurent Devisme, Benoît Ferrandon, Philippe Guillotin, Didier Guyvarc’h, Marie-Hélène Jouzeau, Martine Mespoulet, Jean-Claude Pinson, Franck Renaud, Laurent Théry, Jean-Louis Violeau, Gabriel Vitré.

Ont participé à ce numéro : Dominique Amouroux, Cécile Arnoux, Bassem Asseh, Jérôme Beliard, Goulven Boudic, Christian Bougeard, Aïcha Boutaleb, Sabrina Bresson, Cathy Chauveau, Françoise Claquin, Maryse Collet, Daniel Coutant, Lucie Desailly, Laurent Devisme, Benoît Ferrandon, Alain Forest, Thierry Guidet, Béatrix Guillet, Georges Guitton, Didier Guyvarc’h, Martine Jéhanno, Michel Le Jeune, Raphaël Liogier, Jean-Yves Martin, Daniel Morvan, Charles Nicol, Gilles Ollivier, Henri PenaRuiz, Jean-Claude Pinson, Danielle Robert-Guédon, Nicole Roux, Gabriel Vitré.

DOSSIER

| SOMMAIRE ÉDITO 2 Place publique

LE DOSSIER LAÏCITÉ, LE PACTE EN PÉRIL

47

7 Abécédaire 25 Les textes fondateurs 29 Henri Peña-Ruiz « Les principes sont

51

faits pour être appliqués » 34 Raphaël Liogier « Une laïcité d’exception… » 39 Bassem Asseh De Beyrouth à Nantes

Administrateurs :

Soizick Angomard, Philippe Audic, Jo Deniaud, Suzy Garnier, Jean-Luc Huet, Jean-Claude Murgalé, Bernard Remaud, Françoise Rubellin.

Direction artistique : Bernard Martin éditions joca seria, Nantes. info@jocaseria.fr Concept graphique : Rampazzo et associés, Paris/Milan. Impression : Offset 5, La Mothe-Achard (85) ISSN 1955-6020

54 57 60

HISTOIRE 64 Christian Bougeard Il y a 70 ans, SaintNazaire, la dernière ville française libérée 69 Béatrix Guillet et Martine Jéhanno Au jour le jour, deux soldats racontent les combats 78 Maryse Collet Images de la vie quotidienne

mosquées, les métamorphoses nantaises de la laïcité Charles Nicol Une laïcité à la nazairienne ? Face au radicalisme religieux, former les fonctionnaires territoriaux Les enseignants en première ligne Alain Forest « Mieux vaut convaincre que contraindre » Michel Le Jeune Restaurants scolaires. Peut-on encore manger à la même table ?

SIGNES DES TEMPS 108 110 126 130 132 134

Bloc-notes de Thierry Guidet Critiques de livres Les expositions La chronique de Cécile Arnoux La chronique de Jean-Luc Quéau La chronique d’architecture de Dominique Amouroux

CONTRIBUTIONS LA CARTE & LE TERRITOIRE 90 Cathy Chauveau et Benoît Ferrandon

Place publique est une revue éditée par l’association Mémoire et débats.

43 Goulven Boudic De l’école aux

La crise : un coup d’arrêt à l’étalement urbain ?

PATRIMOINE 96 Nicolas de La Casinière Quarantaine au carré 98 Gilles Ollivier Le cinéma amateur à Nantes/Saint-Nazaire, un patrimoine vivant 104 Maurice Digo, un Nantais dans la Grande Guerre

139 Goulven Boudic Élections

départementales : de la singularité à la banalisation ? 143 Daniel Coutant Ma nuit au service des urgences…

INITIATIVES URBAINES 147 Sabrina Bresson L’architecte, la

machine à habiter et les habitants… 151 Nicole Roux Une autre façon de

vivre ensemble : de la coopérative d’habitants à l’habitat participatif 156 Marc Dumont Projets urbains

Place publique bénéficie du soutien de La Poste, de RTE et de la Chambre de commerce Nantes/Saint-Nazaire. Diffusion presse Nantes et Saint-Nazaire : SAD Diffusion librairie : Joca Seria/Pollen MAI-JUIN 2015 | PLACE PUBLIQUE | 1


ÉDITO |

La France est mal à l’aise avec sa laïcité. Elle ne cesse de débattre autour de l’interprétation de principes sur lesquels, pourtant, beaucoup se retrouvent. Et si ce malaise n’était que le symptôme de la crise plus profonde qui affecte le corps social ?

L’

attentat contre les caricaturistes de Charlie et l’immense émotion qui a suivi. Mais aussi la bataille judiciaire autour de l’installation d’une crèche à l’Hôtel du département de Vendée. Ou encore l’étonnante affaire des affiches annonçant un concert en faveur des chrétiens d’Orient, interdites puis finalement autorisées dans les couloirs du métro parisien par la régie publicitaire de la RATP. Tragiques ou bénins, l’actualité nous offre maints exemples de troubles autour du pacte laïque, passé bon gré mal gré il y a

Un pacte en péril ? 110 ans entre la République et les Églises. Des conflits d’interprétation seulement ? Ou une remise en cause plus fondamentale de règles dont pourtant chacun semblait avoir compris l’intérêt ? Nous ne sommes évidemment pas les seuls à explorer le sujet. Mais la singularité de ce dossier, conformément à l’ambition de Place publique, est d’ancrer localement une question à première vue très générale. Trois séquences dans ce dossier. D’abord un abécédaire. D’Alsace et Moselle à Waldeck-Rousseau (Pierre) en passant par Catholiques, Cimetières, Édit de Nantes, Musulmans ou Retour du religieux, nous nous efforçons de préciser quelques no-

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tions centrales et de nous rafraîchir la mémoire en mêlant l’histoire nationale à celle de notre région. Les attaches nantaises ou nazairiennes de Briand, de Clemenceau, de Waldeck-Rousseau n’ont pas été pour rien dans leur volonté de construire une République laïque, même s’il serait sot de réduire leur ambition à leurs origines géographiques. Une sélection de textes fondateurs, de 1754 à 2004, complète cette première séquence. Le second temps du dossier est consacré aux manières possibles de comprendre la laïcité aujourd’hui. Nous avons donné la parole à deux intellectuels porteurs de deux lectures possibles du pacte laïque. D’abord, le philosophe Henri Peña-Ruiz, convaincu que la laïcité n’a rien perdu de son actualité ni de son universalité : elle reste un principe d’organisation politique qui rend possible la liberté, l’égalité, la fraternité. Ensuite, le sociologue et philosophe Raphaël Liogier qui, lui, assure que nous tournons le dos à l’esprit de la loi de 1905. Notre laïcité se serait transformée en « laïcité d’exception », une arme de combat contre les musulmans devenus des boucs émissaires. Deux témoignages illustrent chacun à leur manière ces deux thèses. Abdel-Rahmène Azzouzi, ce médecin angevin jusque-là élu municipal de gauche, a décidé de se retirer de la vie politique parce que, estime-til « la laïcité est devenue une arme contre les musulmans. » Bassem Asseh, adjoint à Nantes, nous conte son itinéraire : sa naissance au Liban, dans un pays multiconfessionnel, puis son arrivée en France et son adhésion aux valeurs de la République


laïque, seule capable, pense-t-il, de nous défendre contre les risques de ce que, précisément, on appelle la libanisation. Le troisième volet du dossier est consacré aux pratiques. Pour universels qu’ils soient, ou qu’ils prétendent être, c’est bien localement que se vivent les principes laïques et que s’éprouve la difficulté de leur application. Ce sont des enseignants, des élus, des militants associatifs, des fonctionnaires territoriaux qui se retrouvent en première ligne, ici et maintenant. Goulven Boudic, maître de conférences en science politique à l’université de Nantes, montre à travers l’histoire récente de notre ville comment les débats se sont déplacés. Pour faire vite : de la guerre scolaire à la construction de mosquées. Il défend l’idée d’une politique pragmatique, faite d’accommodements, qui serait la marque d’une République « à la fois généreuse et offensive. » Charles Nicol, lui, remonte au milieu du 19e siècle, quand Saint-Nazaire se construit autour de son port. Cette ville nouvelle peuplée d’ouvriers connaît un destin singulier dans un Ouest majoritairement clérical. Elle pourrait bien avoir gardé de cette histoire un attachement particulier à la laïcité. Aïcha Boutaleb, directrice du Centre interculturel de documentation, témoigne au sujet de la formation sur la laïcité et les religions mise en place par son organisme. Elle décrit aussi, exemples à l’appui, la montée du radicalisme chez une partie des musulmans, souvent des jeunes et des convertis de fraîche date. Françoise Claquin, Lucie Desailly et

Jérôme Beliard sont trois responsables de l’École supérieure du professorat et de l’éducation, l’héritière plus ou moins lointaine des Écoles normales d’antan. Ce sont eux qui apprennent aux professeurs à professer. Ils les préparent à faire face à des élèves « de plus en plus crispés » dès qu’on aborde des sujets qui leur semblent susceptibles de remettre en cause leurs convictions religieuses. Alain Forest, le président de la Fédération des Amicales laïques de Loire-Atlantique – 58 000 adhérents tout de même – explique en quoi son mouvement est confronté à de nouveaux défis : le renouvellement générationnel, la formation des nouveaux adhérents, mais surtout l’éducation à la citoyenneté de jeunes qui ne sont pas spontanément acquis aux valeurs républicaines, qui ne se reconnaissaient pas dans le slogan « Je suis Charlie ». Enfin, Michel Le Jeune, de la Ligue de l’enseignement, détaille la manière dont l’école et les collectivités locales traitent la diversité des traditions et des prescriptions alimentaires. Et il pose cette question : comment prétendre vivre ensemble s’il devient impossible de se retrouver pour partager un repas ? Alors, dans quelle mesure le pacte laïque est-il en péril ? Si l’on donne une définition minimale de la laïcité – l’autonomie du politique à l’égard du religieux, et réciproquement – ce pacte est peu contesté par la grande majorité de nos concitoyens. Mais les difficultés commencent dans la vie de tous les jours, dans la rue, à l’école, dans les entreprises, les administrations et elles portent sur des réalités aussi élémen-

taires que l’habillement ou la nourriture. Qu’est-ce qui est acceptable ? Qu’est-ce qui ne l’est pas ? Où placer le curseur ? Dans quelle mesure faut-il convaincre ? Dans quelle mesure faut-il contraindre ? Le pacte conclu en 1905 était l’aboutissement d’une longue histoire marquée par la sécularisation de la société et par la prise d’indépendance du pouvoir politique visà-vis du religieux, dont les rois de France avaient déjà montré maints exemples. Le pacte visait aussi à résoudre une question immédiate : les rapports avec l’Église catholique qui, en France, restait massivement rétive à la République. C’est un problème bien différent qui se pose à nous aujourd’hui  : l’articulation entre la laïcité et le triptyque républicain liberté, égalité, fraternité. Une devise creuse, purement formelle, dénuée d’effectivité pour beaucoup de nos concitoyens. Dans un pays en proie aux crispations identitaires où il est devenu commun de souffler sur les braises de la défiance et de la haine, le malaise autour de la laïcité n’est que le symptôme d’une crise plus profonde. Il ne suffit plus d’invoquer Briand ou Clemenceau. n

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LE DOSSIER

LE DOSSIER LAÏCITÉ, LE PACTE EN PÉRIL

7 Abécédaire 25 Les textes fondateurs 29 Henri Peña-Ruiz « Les principes sont

faits pour être appliqués » 34 Raphaël Liogier « Une laïcité

d’exception… » 39 Bassem Asseh De Beyrouth à Nantes 43 Goulven Boudic De l’école aux

mosquées, les métamorphoses nantaises de la laïcité 47 Charles Nicol Une laïcité à la

nazairienne ? 51 Face au radicalisme religieux, former

les fonctionnaires territoriaux 54 Les enseignants en première ligne 57 Alain Forest « Mieux vaut convaincre

que contraindre » 60 Michel Le Jeune Restaurants

scolaires. Peut-on encore manger à la même table ?


« La loi du 28 mars

[1882] se caractérise par

Laïcité, le pacte en péril

deux dispositions qui se

complètent sans se contredire :

d’une part, elle met en dehors du programme obligatoire

l ’enseignement de tout dogme


ABÉCÉDAIRE 1

« La loi du 28 mars

[1882] se caractérise par deux dispositions qui se

complètent sans se contredire :

d’une part, elle met en dehors du programme obligatoire l ’enseignement de tout

dogme particulier ; d’autre

part, elle y place au premier rang l ’enseignement moral et civique. Le législateur


LAÏCITÉ, LE PACTE EN PÉRIL | DOSSIER

Abécédaire TEXTE > THIERRY GUIDET ET DIDIER GUYVARC’H

Cet abécédaire rappelle des faits et précise des notions en s’efforçant, dans toute la mesure du possible, d’effectuer un va-et-vient entre le local et le national, voire l’international.

ALSACE ET MOSELLE

Le 1er mars 1925 à Nantes, 80 000 manifestants contre le gouvernement qui souhaitait en finir avec l’exception de l’Alsace et de la Moselle.

Les deux départements alsaciens et la Moselle échappent à la loi de séparation des Églises et de l’État de 1905. Intégrés à l’Allemagne de 1871 à 1919, ils ont gardé la législation française d’avant 1871, dont une partie du régime du Concordat et la loi Falloux qui favorise la création d’établissements scolaires confessionnels. Dans ces trois départements, l’enseignement religieux est obligatoire (depuis 1936 une demande de dispense est possible). Les prêtres, les pasteurs, les rabbins sont rémunérés par l’État ; l’islam n’a pas été pris en compte dans ce statut dérogatoire au lendemain de la Première Guerre mondiale. Cette frontière de la laïcité sur la ligne bleue des Vosges suscite des protestations régulières. Le Cartel des gauches a tenté de mettre fin à cette situation particulière de l’Alsace et d’une partie de la Lorraine en 1924. La réaction des catholiques a été massive, particulièrement dans l’ouest de la France. C’est à Nantes qu’a lieu la plus importante des journées diocésaines. Le 1er mars 1925, 80 000 manifestants défilent contre la politique laïque du gouvernement. L’édition d’un livre d’or et surtout de nombreuses cartes postales diffusent l’image de bastion catholique de la ville.

THIERRY GUIDET est le directeur de Place publique. DIDIER GUYVARC’H est historien ; il appartient au comité de rédaction de Place publique.

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DOSSIER | LAÏCITÉ, LE PACTE EN PÉRIL

Un tract anticlérical distribué à Nantes dans les années 1920 au moment de la fête de Jeanne d’Arc.

ANTICLÉRICALISME La critique de l’Église catholique comme puissance temporelle s’exprime dans les moments de tension politique. Dans le pays nantais, l’anticléricalisme se manifeste ainsi contre des prêtres réfractaires en 1791, puis au moment de la Guerre de Vendée. Les ambitions du parti clérical sous le Second Empire, notamment en matière d’enseignement, font rejouer le clivage entre partisans de l’union du trône et de l’autel et partisans d’une république laïque. Avant même que Gambetta ne lance en 1876 son slogan « Le cléricalisme, voilà l’ennemi ! », Nantes est aux avant-postes : en 1872, les pèlerins de retour de Lourdes sont accueillis à la gare par les cris de « À bas les Lourdaux ! ». En 1881, l’interdiction des processions marque l’émergence d’un anticléricalisme municipal qui réitère cette me-

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sure jusqu’en 1928. À partir de 1922, la municipalité socialiste de Saint-Nazaire s’engage elle aussi dans une politique de restriction de la visibilité de l’Église catholique en interdisant l’installation des franciscains, les processions et tout accommodement avec les signes religieux encore en place. Réaction de défense et d’illustration de la République, l’anticléricalisme est devenu un catalyseur politique, ou un minimum commun, pour des partis de gauche divisés sur les contours d’une république sociale. Il s’est cristallisé principalement sur la question scolaire jusqu’en 1984. Toutefois, un courant vivace en LoireAtlantique, organisé autour d’Alexandre Hébert (19212010), secrétaire de l’Union départementale Force ouvrière pendant près d’un demi-siècle et fondateur de la Fédération des cercles de défense laïque (1983),


LAÏCITÉ, LE PACTE EN PÉRIL | DOSSIER

porte cette tradition au sein du mouvement ouvrier. Se flattant d’être « un anticlérical primaire », ce lecteur attentif des encycliques a toujours considéré la CFDT comme un sous-marin de l’Église catholique et la construction européenne comme une manigance du Vatican. La déchristianisation réduit le champ d’intervention de l’anticléricalisme ; le moment anticlérical serait-il alors passé ? ou dépassé ? Certains pratiquants, qui refusent la séparation entre sphère privée et sphère publique, qui développent une conception englobante, intégrale de leur conviction religieuse, qui étendent le sacré au risque de la liberté d’expression, pourraient créer les conditions d’un renouveau de la lutte contre l’Église, l’intolérance, la superstition, celles que Voltaire nommait « l’infâme » et qu’il proposait d’« écraser ».

AUMÔNIERS L’article 2 de la loi de séparation de 1905 prévoit que, pour « assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que lycées, collèges, hospices, asiles et prisons », des aumôniers pourront émarger sur les budgets de l’État ou des collectivités territoriales. Le statut actuel des aumôniers scolaires est défini par un décret de 1960 : l’aumônerie est de droit quand il y a un internat, sur décision du recteur d’Académie dans les autres cas. Au centre pénitentiaire de Nantes, l’aumônerie est composée de représentants des religions catholique, juive, musulmane et protestante.

BRIAND (ARISTIDE, 1862-1932) La « souplesse » politique d’Aristide Briand, « l’ondoyant », a nourri les critiques de ses adversaires. En 1894, au congrès de la Fédération nationale des syndicats à Nantes, la ville où il a vu le jour en 1862, il est partisan de la grève générale ; en octobre 1910, président du Conseil, il est le briseur de la grève des cheminots. Chef de guerre de 1915 à 1917, il devient « l’apôtre de la paix » en prônant à partir de 1921 un rapprochement franco-allemand. Cette aptitude à gérer les contradictions, à concilier des points de vue opposés, trouve une matière de choix en 1905 quand, député, il est chargé de rapporter la loi de séparation des Églises et de l’État. Il dé-

clare le 3 juillet : « Sans perdre de vue un instant les principes essentiels de la réforme, je n’ai pas reculé devant les concessions nécessaires ». Ministre de l’Instruction publique, des Beaux Arts et des Cultes de 1906 à 1909, il se déclare, dans un discours à Périgueux, favorable à « une politique d’apaisement » vis-à-vis des catholiques. Il se considère alors comme un « réformiste laïque ».

CATHOLIQUES « Rendez à César ce qui appartient à César et à Dieu ce qui appartient à Dieu. » On peut voir dans cette maxime évangélique l’un des fondements de la distinction entre pouvoir temporel et pouvoir spirituel. Aristide Briand ne s’est d’ailleurs pas privé de citer ce verset lors du débat parlementaire sur la loi de séparation. Mais en 1905 les préoccupations de la grande majorité des catholiques français sont ailleurs. Après le traumatisme révolutionnaire, l’Église catholique n’a eu de cesse, tout au long du 19e siècle de tenter de reconquérir ses positions de pouvoir, s’appuyant pour cela sur le Concordat de 1801. Construction d’églises et d’écoles, restauration liturgique, développement d’œuvres pieuses… le renouveau catholique à l’œuvre ici comme ailleurs ne saurait masquer l’incapacité de l’Église à épouser la modernité. Elle passe globalement à côté de la question sociale née de la révolution industrielle. En dépit de l’encyclique de Léon XIII invitant, en 1892, les catholiques français à se rallier à la République, l’épiscopat reste massivement monarchiste. C’est le cas de l’évêque de Nantes Paul-Émile Rouard qui s’estime le gardien d’une forteresse assiégée. Si bien qu’à de rares exceptions près, la loi de 1905 est perçue par les catholiques comme une agression s’ajoutant à l’expulsion des membres des congrégations et à la rupture des relations diplomatiques avec le Saint-Siège. En 1906 et 1907, deux encycliques de Pie X condamnent vigoureusement la loi. Toutefois, en 1923, un premier compromis est négocié entre l’État et l’Église catholique, avec notamment la création des associations diocésaines, des associations cultuelles placées sous la présidence de l’évêque, à la différence de ce que prévoyait la loi. Préparée par l’essor de la démocratie chrétienne entre MAI-JUIN 2015 | PLACE PUBLIQUE | 9


DOSSIER | LAÏCITÉ, LE PACTE EN PÉRIL

Où l’on voit que la virulence de la caricature anti-religieuse ne date pas de Charlie... La manière dont est représentée le Christ (en haut à gauche) confirme que l’antisémitisme était loin d’épargner la presse d’extrême-gauche.

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LAÏCITÉ, LE PACTE EN PÉRIL | DOSSIER

Les textes fondateurs

Georges Clemenceau

Pierre Waldeck-Rousseau Aristide Briand

Le 29 novembre 1875, Clemenceau est élu président du Conseil municipal de Paris. Sans utiliser le mot, il fait de la laïcité, ce néologisme créé en 1871, l’axe de son action locale : « Le caractère dominant de notre politique municipale […] c’est d’être profondément imbue de l’esprit laïque, c’est-à-dire que, conformément aux traditions de la Révolution française, nous voudrions séparer le domaine de la Loi, à qui tous doivent obéissance, du domaine du Dogme, qui n’est accepté que par une fraction de citoyens ». Élu en 1876 à la Chambre des députés, où il siège alors à l’extrême gauche, Clemenceau n’a de cesse de se battre pour la séparation des Églises et de l’État, pour la stricte délimitation de la sphère publique, expression de la loi commune, et de la sphère privée, domaine de la liberté individuelle. En 1901, Pierre Waldeck-Rousseau, président du Conseil, fait voter la loi sur les associations qui garantit la liberté de constitution, sauf aux congrégations religieuses qui doivent obtenir une autorisation législative. En 1905, Aristide Briand rapporte au Parlement la loi qui sépare les Églises de l’État. Ces trois acteurs importants de la construction d’une république laïque ont des attaches nantaises. Qu’elle soit considérée comme un concept ou une valeur, la laïcité tend à l’universel et son histoire ne peut donc être réduite à des circonstances locales. Cependant le rôle des pères fondateurs nantais interroge sur le poids du contexte régional. La laïcité est une construction amorcée par les Lumières et la Révolution qui fondent dans l’Ouest un clivage profond et durable entre les Blancs et les Bleus. La revendication de la liberté de conscience et de sa garantie par la dissociation du politique et du religieux devient un combat de plus de deux siècles dont quelques textes proposés ci-dessous scandent les avancées. MAI-JUIN 2015 | PLACE PUBLIQUE | 25


DÉBAT

[…] a eu pour premier

objet de séparer l ’école de

l ’Église, d’assurer la liberté de conscience et des maîtres et des élèves, de distinguer

deux domaines trop longtemps

confondus : celui des croyances, qui sont personnelles, libres et variables, et celui des

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connaissances qui sont

communes et indispensables à


| DOSSIER

Henri Peña-Ruiz : « Les principes sont faits pour être appliqués » RÉSUMÉ > À vouloir pluraliser le concept de laïcité on l’affaiblit inévitablement. La laïcité est un principe d’organisation de la puissance publique qui rend possible la liberté, l’égalité et la fraternité. Dès lors, on peut affirmer sans crainte qu’elle n’a rien perdu de son actualité ni de son universalité.

PLACE PUBLIQUE > Peut-on encore parler de la laïcité face aux multiples débats tournant autour de son application concrète ? Au-delà des divergences d’interprétation, ne sommes-nous pas confrontés à des conceptions radicalement différentes de la laïcité ellemême ? HENRI PEÑA-RUIZ > On ne peut pas dissocier les principes de leurs applications. Les principes sont les énoncés de règles générales. Ils sont faits pour être appliqués. Et je ne comprends pas les élus qui affirment parfois : « Les principes, c’est bien joli, mais, moi, je suis dans la pratique… » Dire cela, c’est le commencement de la fin !

Longtemps professeur de philosophie, HENRI PEÑA-RUIZ est reconnu internationalement pour ses travaux sur la laïcité. Il a notamment fait partie en 2003 de la commission sur la laïcité présidée par Bernard Stasi. Dernier ouvrage publié : Dictionnaire amoureux de la laïcité (Plon).

PLACE PUBLIQUE > Donc, il n’y a qu’une laïcité ? HENRI PEÑA-RUIZ > Je sais bien qu’il y en aurait sept selon certains1… Y a-t-il aussi sept libertés, sept égalités ? À vouloir pluraliser le concept de laïcité on l’affaiblit inévitablement. La laïcité, ce n’est nullement une religion, c’est un principe d’organisation de la puissance publique. 1. Allusion au tout récent livre de Jean Baubérot, Les sept laïcités françaises, éd. de la Maison des sciences de l’homme.

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DOSSIER | LAÏCITÉ, LE PACTE EN PÉRIL

Raphaël Liogier : « Une laïcité d’exception… » RÉSUMÉ > Nous tournons le dos à l’esprit de la loi de 1905. La laïcité devient une arme de combat contre les musulmans, boucs émissaires idéaux pour le populisme qui monte en brouillant les clivages politiques traditionnels. Au nom d’une guerre culturelle fantasmée, nous mettons en place une « laïcité d’exception » qui ne recule pas devant les atteintes aux libertés.

RAPHAËL LIOGIER, né en 1967, est sociologue et philosophe. Professeur à l’Institut d’études politiques d’Aix-en-Provence, il y dirige l’Observatoire du religieux. Il est notamment l’auteur de Une laïcité « légitime ». La France et ses religions d’État, Médicis Entrelacs, 2006 ; Le Mythe de l’islamisation, essai sur une obsession collective, Seuil, 2012 ; Ce populisme qui vient, Textuel, 2013.

PLACE PUBLIQUE > Qu’est-ce qui a provoqué les débats actuels sur la laïcité ? Faut-il remonter à 2004, à la commission Stasi dont les travaux ont débouché sur l’interdiction des signes religieux à l’école ? RAPHAËL LIOGIER > Je préfère remonter encore un peu en amont, en 2003, quand le responsable UMP François Baroin rédige un rapport pour le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin. Nous sommes, rappelons-le, un an après la victoire de Jacques Chirac sur Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle. Ce rapport propose l’instauration d’une « nouvelle laïcité ». Le ton est alarmiste : la France est en danger ! Et l’on comprend très vite entre les lignes que ce danger est lié à l’islam. François Baroin y défend un argument surprenant : dans le péril que vit la France, il se peut que la laïcité entre en contradiction avec les droits de l’homme. Et dans ce cas, mieux vaut choisir la laïcité… Quel paradoxe ! On en vient à opposer les droits de l’homme à la laïcité alors que cette dernière en est le produit historique puisqu’elle a pour objet de faire respecter la liberté de conscience et d’expression… PLACE PUBLIQUE > Que s’est-il passé ? RAPHAËL LIOGIER > Eh bien, en 2003, le rapport Baroin

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LAÏCITÉ, LE PACTE EN PÉRIL | DOSSIER

se situe dans une tout autre perspective que la loi de 1905. Celle-ci n’empêche nullement la manifestation des croyances dans l’espace public. Elle fait en sorte que cette manifestation des croyances – et des incroyances – se déroule à égalité. Il n’y a plus de prééminence d’une confession sur une autre. L’Église catholique perd les privilèges qui étaient les siens. C’est l’aboutissement d’un long processus d’émergence de la subjectivité, de la liberté individuelle en matière spirituelle. La Réforme protestante a d’ailleurs marqué une étape essentielle dans ces luttes. Progressivement émerge l’idée selon laquelle la religion de mon souverain n’est pas forcément la mienne. La loi de 1905 rend possible la liberté spirituelle en séparant les Églises de l’État. Ce qui, d’ailleurs, ne signifie nullement que les idées religieuses disparaissent de l’espace public ; elles peuvent parfaitement continuer à inspirer des idées, des programmes, des comportements politiques…

Raphaël Liogier : « On prétend neutraliser l’espace public. Cela n’a plus rien à voir avec la laïcité ! »

PLACE PUBLIQUE > En quoi consiste le tournant de 2003 ? RAPHAËL LIOGIER > À une laïcité d’apaisement succède une laïcité d’exception. PLACE PUBLIQUE > Une laïcité d’exception ? RAPHAËL LIOGIER > Oui, au sens où l’on parle de tribunaux d’exception, pas très sourcilleux sur les droits de la défense. Et cette laïcité d’exception est justifiée par le fait que nous serions entrés en guerre contre un ennemi qui nous menacerait d’encerclement. PLACE PUBLIQUE > Un fantasme ! RAPHAËL LIOGIER > Bien sûr ! Mais il faut s’interroger sur ce qui motive ce fantasme. Nous entretenons en Europe, et particulièrement en France, un rapport singulier à l’islam qui n’est pas celui des Américains par exemple, malgré le 11-Septembre.

partie du monde. Elle vit très mal cette nouvelle situation, particulièrement la France : tous les sondages sur la crainte de la globalisation l’attestent. De cette blessure narcissique résultent les débats passablement absurdes sur l’identité nationale. Quand on a besoin de se prendre la tête pour réfléchir à son identité, c’est qu’on ne la ressent déjà plus, cette identité, et qu’on souffre de sérieux troubles de la personnalité…

PLACE PUBLIQUE > D’où provient cette singularité ? RAPHAËL LIOGIER > En premier lieu de ce qu’il faut bien appeler la blessure narcissique européenne. L’Europe a longtemps été le centre du monde. Tout au long du 20e siècle, elle perd successivement toutes ses formes de prééminences, qu’elles soient militaire, économique, morale. L’Europe doit se résoudre à n’être plus qu’une

PLACE PUBLIQUE > Et l’islam dans tout ça ? RAPHAËL LIOGIER > C’est le nom que nous mettons sur le péril identitaire qui nous menacerait. Évidemment, le passé colonial de la France compte pour beaucoup. L’islamisation, le « grand Remplacement » comme disent certains, toutes ces constructions mythiques sont vécues comme une colonisation inversée. On nous en MAI-JUIN 2015 | PLACE PUBLIQUE | 35


LAÏCITÉ, LE PACTE EN PÉRIL | DOSSIER

De Beyrouth à Nantes

RÉSUMÉ > Bassem Asseh est né au Liban, dans un pays multiconfessionnel. Il vit à présent à Nantes, dans une République laïque. Au-delà d’un témoignage personnel, ce récit est riche d’enseignements sur deux manières de vivre ensemble

TEXTE > BASSEM ASSEH Ce texte est un simple témoignage s’appuyant sur une vie en deux temps. Commencée au Liban en 1974, six mois avant le début de la guerre dite « civile » qui a ravagé le pays jusqu’en 1990, elle s’est prolongée en France depuis 1990. Il ne s’agit nullement d’une tribune politique pour ou contre telle ou telle caractéristique de tel ou tel pays. Ce n’est pas l’adjoint au maire de Nantes qui s’exprime, mais un citoyen relatant une expérience, qui n’a rien d’exemplaire, mais qui peut néanmoins intéresser nos contemporains du fait d’hypothétiques convergences et des divergences réelles qui peuvent exister entre ce pays-là à cette époque-là et ce que nous vivons en Europe et en France, aujourd’hui. Une expérience que l’on pourrait résumer par la formule : « du Liban multiconfessionnel à la République laïque ».

BASSEM ASSEH est adjoint au maire de Nantes, en charge de la co-construction et du dialogue citoyen, même si ce n’est pas à ce titre qu’il s’exprime ici. Il est par ailleurs le directeur, pour l’Europe du Sud, d’une entreprise de logiciels. Il tient un blog baptisé Malaxe.

Une mosaïque communautaire

Le Liban est un État-tampon qui est, par définition, très sensible aux mouvements de la tectonique géopolitique sur laquelle il est situé. Créé en 1920 sur une partie des ruines de l’Empire ottoman, le Liban offre un concentré de tout ce qui se fait au Proche-Orient en termes de diversités religieuses. En effet on y trouve MAI-JUIN 2015 | PLACE PUBLIQUE | 39


LAÏCITÉ, LE PACTE EN PÉRIL | DOSSIER

La laïcité contre la « libanisation »

Historiquement, la laïcité « à la française » prend forme au travers de la loi de séparation des Églises et de l’État. Ce principe fondateur de la République a permis que se développent sereinement dans notre pays la liberté de conscience et le libre exercice des cultes, tous deux voulus par la loi de 1905. Philosophiquement, Catherine Kintzler (Penser la laïcité, Minerve, 2013) réduit la laïcité à trois propositions garantissant la liberté religieuse, mais aussi, et plus largement, la liberté de conscience : 1 - Personne n’est tenu d’avoir une religion plutôt qu’une autre. 2 - Personne n’est tenu d’avoir une religion plutôt qu’aucune. 3 - Personne n’est tenu de n’avoir aucune religion. Et Catherine Kintzler de préciser : « Chacune de ces propositions énonce une liberté et écarte une contrainte émanant de la confusion entre pouvoir politique et pouvoir religieux ». L’ensemble des trois propositions offre les garanties nécessaires à une vie commune pacifique, élargissant, de manière très moderne, la liberté religieuse (ceux qui croient, quelle que soit leur foi) à la liberté de conscience (ceux qui croient et ceux qui ne croient pas). On remarquera au passage que cette vie commune pacifique est rompue à chaque fois qu’il y a confusion entre pouvoir politique et autorité religieuse, à chaque fois que la neutralité de l’État est rompue. On notera que la liberté de conscience (croire ou ne pas croire) et la liberté de culte (croire et pratiquer ce que l’on souhaite sans contraintes) sont bénéfiques aux agents des deux plans : l’État ne sera pas soumis à l’influence des religions et inversement ces dernières seront libérées de tout risque d’interférences politiques. Or dans un pays comme le Liban, les religions savent pertinemment que le politique, parce que détenteur de la force légitime, ou pas, influe sur le religieux et parfois même en altère l’essence. Sur la base de ce bref survol, on voit donc clairement que, d’une part, la République – État fort garantissant la liberté, l’égalité et la fraternité – et, d’autre part, la laïcité – régime garantissant la liberté de conscience et la liberté religieuse – sont toutes deux des garanties de la vie commune pacifique et en bonne

Bassem Asseh : « La République et la laïcité sont des garanties de la vie commune pacifique, loin des fantasmes de libanisation de la société française. »

intelligence loin des fantasmes de « libanisation » de la société française qu’un théoricien du déclin comme Éric Zemmour peut parfois prêcher pour créer des peurs que j’estime totalement infondées au vu des divergences fortes entre ces deux sociétés telles que je les connais de l’intérieur. n

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PRATIQUES 3

tous, de l ’aveu de tous. Mais il y a autre chose dans la loi du 28 mars : elle affirme la volonté de fonder chez nous une éducation nationale et

de la fonder sur des notions du devoir et du droit que le législateur n’hésite pas à

inscrire au nombre des premières vérités que nul ne peut ignorer. »


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De l’école aux mosquées, les métamorphoses nantaises de la laïcité RÉSUMÉ >  Brosser une rapide histoire de la laïcité à Nantes au cours du dernier demi-siècle permet d’illustrer les débats contemporains autour de cette notion. Le terrain scolaire a été pacifié. De manière pragmatique ont été imaginées des solutions en faveur de l’exercice du culte musulman. Et si cette politique d’accommodements était celle d’une République à la fois généreuse et offensive, qui assume le choix de la confrontation raisonnable et de la citoyenneté commune ?

TEXTE > GOULVEN BOUDIC Henri Peña-Ruiz, ici même1, se refuse fermement à distinguer entre une laïcité ouverte et une laïcité stricte ou fermée. Force est toutefois de constater que plusieurs définitions de la laïcité peuvent être repérées dans l’histoire récente de Nantes. Elles s’organisent dans des articulations différentes entre principes et pratiques et se déploient dans des systèmes d’acteurs bien différenciés. L’intérêt d’une approche de la laïcité par la focale du local n’est pas mince. Du fait des compétences historiques de la commune, comme du fait de la décentralisation, les municipalités se sont en effet trouvées en première ligne dans la mise en œuvre du principe de laïcité, désormais inscrit dans la constitution française. S’il n’existe pas de spécificité nantaise, le terrain nantais illustre donc à merveille certains des débats les plus contemporains autour de la notion de laïcité.

GOULVEN BOUDIC enseigne la science politique à l’université de Nantes. Il appartient au comité de rédaction de Place publique.

1. Lire p. 29

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LAÏCITÉ, LE PACTE EN PÉRIL | DOSSIER

Une laïcité à la nazairienne ? RÉSUMÉ > Ville ouvrière et portuaire née au milieu du 19e siècle, spontanément acquise aux idées neuves, Saint-Nazaire s’est très rapidement émancipée de l’encadrement clérical si prégnant dans l’Ouest. Des personnalités qui y sont attachées comme Pierre Waldeck-Rousseau ou Aristide Briand jouèrent un rôle décisif dans l’histoire de la laïcité. L’importance de l’enseignement public et de la franc-maçonnerie dessinent une laïcité à la nazairienne, très méfiante à l’égard des postures communautaristes, sans que d’ailleurs la vitalité des pratiques religieuses n’en souffre.

TEXTE > CHARLES NICOL Saint-Nazaire, ville née de son port au milieu du 19e siècle, s’est développée sur la base de la révolution industrielle et s’est toujours plus préoccupée de son évolution économique que des traditions religieuses. Et pour cause, cette ville surnommée un temps la petite Californie bretonne ou bien encore la Liverpool de l’Ouest, en référence aux bassins du grand port britannique, enregistre une croissance extraordinaire dans un Ouest essentiellement rural et attaché aux coutumes religieuses.

Historien de formation, CHARLES NICOL est notamment l’auteur de Saint-Nazaire, ville maritime et portuaire, éditions Siloé, 2004.

Une ville nouvelle

Saint-Nazaire, c’est l’histoire d’un bourg perché sur un promontoire rocheux à l’embouchure du plus long fleuve de France, un bourg qui devient ville, un port à la croisée des routes, des rivières et de la Loire, au carrefour de la révolution industrielle et des idées de progrès : en effet, en 1830, Saint-Nazaire compte 600 habitants, pour la plupart des artisans, des agriculteurs, des pilotes lamaneurs et douaniers, des clercs et quelques religieuses. En 1900, la ville nouvelle en compte plus de 35 000 ! Ouvrière et républicaine dans un département réputé conservateur, Saint-Nazaire se développe d’une façon spectaculaire avec le port et l’industrie. Une population issue principalement du centre-Bretagne découvre des MAI-JUIN 2015 | PLACE PUBLIQUE | 47


LAÏCITÉ, LE PACTE EN PÉRIL | DOSSIER

Face au radicalisme religieux, former les fonctionnaires territoriaux RÉSUMÉ > À des fonctionnaires territoriaux et des salariés d’associations suivent une formation sur les religions, la laïcité et les postures professionnelles, conduite par le Centre interculturel de documentation (Cid) avec le concours de l’anthropologue Dounia Bouzar. Aïcha Boutaleb, la directrice du Cid, témoigne.

DIX MOIS DE FORMATION. « La formation de professionnels à la connaissance et au dépassement des problématiques liées à l’immigration et à l’interculturalité est une de nos missions historiques. Depuis septembre et jusqu’au mois de juin, nous organisons plusieurs sessions pour aider des fonctionnaires territoriaux et des salariés d’associations à trouver les mots justes et les bonnes attitudes quand ils sont confrontés à des situations difficiles. Ils viennent de collectivivités comme les Villes de Saint-Nazaire, Saint-Herblain, Châteaubriant et Angers ainsi que la Région et l’École de la deuxième chance. Sont aussi représentées des associations comme Tissé Métisse ou la Licra. Nous travaillons avec Dounia Bouzar ainsi qu’avec des représentants de l’islam, du catholicisme et du judaïsme. »

AÏCHA BOUTALEB est la directrice du Centre interculturel de documentation. Elle est aussi secrétaire du bureau national de la coordination « Pas sans nous ! » (Voir Place publique n° 48, p. 146).

PARCE QUE C’EST UNE FEMME… « Des gars qui refusent de dire bonjour à la responsable d’une maison de quartier parce que c’est une femme, il y en a de plus en plus ! Nous assistons à une indéniable montée du radicalisme qui est aussi un incroyable retour en arrière. Récemment, un grand frère a retiré sa sœur, une adolescente, du Conservatoire parce qu’il s’est mis dans MAI-JUIN 2015 | PLACE PUBLIQUE | 51


DOSSIER | LAÏCITÉ, LE PACTE EN PÉRIL

Les enseignants en première ligne CONTEXTE > Comment forme-t-on les enseignants à enseigner la laïcité ? Comment les prépare-t-on à faire face à des élèves pour qui les valeurs de la République ne vont pas de soi ? Entretien avec Françoise Claquin, Lucie Desailly et Jérôme Beliard, trois responsables de l’ESPE, l’École supérieure du professorat et de l’éducation, là où les futurs enseignants apprennent leur métier. Une conversation restituée sous forme d’éclats, de verbatim, de morceaux choisis.

FRANÇOISE CLAQUIN est la responsable du site nantais de l’ESPE (École supérieure du professorat et de l’éducation). LUCIE DESAILLY en est la responsable pédagogique pour le premier degré, JÉRÔME BELIARD pour le second degré.

LA LAÏCITÉ EST PARTOUT. Faire partager les valeurs de la République, c’est la première mission assignée aux enseignants par les autorités. Dès lors, la laïcité est présente dans tous les enseignements de façon transversale. Cela dit, elle est enseignée de manière plus spécifique au sein d’un module d’une cinquantaine d’heures qu’on appelle Contexte d’exercice de la profession et connaissance du système éducatif. Selon les formateurs, il peut s’agir d’un cours magistral sur l’histoire de la laïcité ou d’études de cas, du genre : que doit faire un prof d’éducation physique devant une élève qui ne veut pas retirer son foulard ? HIER ET AUJOURD’HUI. Les élèves des Écoles normales de jadis y entraient très tôt, après la classe de troisième. Ces Écoles normales étaient souvent un moyen d’ascension sociale. Elles étaient aussi le lieu où se partageait une forme de ferveur républicaine. L’engagement des hussards noirs était proportionnel à ce que la République leur promettait. Aujourd’hui, le projet de la République n’est plus le même. Les futurs enseignants passent par l’université où, on le sait, s’aggrave la sélection sociale. Si bien qu’ils risquent fort d’être en complet décalage avec leurs élèves. Ils sont bien peu nombreux à être issus de la diversité. Des ensei-

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Alain Forest : « Mieux vaut convaincre que contraindre » RÉSUMÉ > Le mouvement laïque reste puissant dans le département. Mais il doit assurer son renouvellement générationnel et s’adapter à un environnement où la guerre scolaire apparaît bien dépassée. La question majeure est devenue celle de l’éducation à la citoyenneté de jeunes qui ne sont pas spontanément acquis aux valeurs républicaines.

PLACE PUBLIQUE > Que pèse le mouvement laïque dans le département ? ALAIN FOREST > Je préfère parler de réseau laïque que de mouvement. Ce terme, en effet, exprime mieux la diversité des situations. Nous comptons plus de 440 associations, dont un peu plus de 200 sont des amicales laïques, le reste étant constitué d’associations culturelles et sportives.

ALAIN FOREST est le président de la Fédération des Amicales laïques de Loire-Atlantique.

PLACE PUBLIQUE > Ce qui représente combien d’adhérents ? ALAIN FOREST > Environ 58 000. Mais ce serait une erreur de tenir ces 58 000 adhérents pour autant de militants des valeurs laïques. Il suffit d’être inscrit à une activité locale pour adhérer ipso facto à la Fédération des amicales laïques. PLACE PUBLIQUE > Un peu gênant, non ? ALAIN FOREST > Nous avons eu raison de développer notre offre de loisirs dans les années 1980. Dans bien des cas, cela a représenté une véritable démocratisation d’activités parfois peu accessibles jusque-là. Mais il ne faut pas méconnaître le danger qu’il y aurait à MAI-JUIN 2015 | PLACE PUBLIQUE | 57


DOSSIER | LAÏCITÉ, LE PACTE EN PÉRIL

Restaurants scolaires Peut-on encore manger autour de la même table ? RÉSUMÉ > Il y a longtemps que l’école est confrontée à la diversité des traditions et des prescriptions alimentaires. Aujourd’hui, les réponses concrètes aux demandes des parents sont multiples. Mais comment prétendre vivre ensemble s’il devient impossible de se retrouver pour partager un repas ?

MICHEL LE JEUNE est, à la Ligue de l’enseignement, le responsable du Centre national de ressources pour les restaurants d’enfants et de jeunes.

PLACE PUBLIQUE > Viande halal, menus casher… Est-ce pour répondre aux demandes montantes de certains parents que la Ligue de l’enseignement s’intéresse à la restauration scolaire ? MICHEL LE JEUNE > Pas du tout ! Le Centre national de ressources, que je dirige, date de 2001. Mais il y a bien plus longtemps que nous nous préoccupons de cette question. Pour une raison très simple : dans la journée d’un enfant, la pause du midi est un moment important ; elle doit se dérouler le mieux possible. Nous avons été conduits à rédiger une charte qui tient en quatre points : bien accueillir l’enfant, matériellement et humainement ; bien le nourrir, de manière saine, équilibrée, plaisante ; bien l’éduquer le temps du repas et de la pause de midi ; bien gérer, évidemment. PLACE PUBLIQUE > N’empêche que la question des plats servis aux enfants est devenue particulièrement sensible ces dernières années… MICHEL LE JEUNE > Oui et non. En dépit de la séparation des Églises et de l’État, on a pris l’habitude de proposer

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LAÏCITÉ, LE PACTE EN PÉRIL | DOSSIER

du poisson aux enfants le vendredi. Et, dans les années 1960, l’Éducation nationale a tenu compte de l’arrivée de nombreux enfants de harkis en proposant des plats de substitution au porc. Cela dit, il est exact que le souci des interdits alimentaires devient de plus en plus prégnant. On a constaté dans plusieurs cantines scolaires de la Région parisienne une baisse de fréquentation d’un tiers les jours où les enfants n’avaient d’autre choix que la viande comme plat principal. La crainte de manger du porc ou une viande non autorisée y est évidemment pour beaucoup. Mais il n’y a pas que des raisons religieuses : depuis l’affaire de la vache folle, le nombre de végétariens a augmenté. PLACE PUBLIQUE > Que faire ?

MICHEL LE JEUNE > Rappelons d’abord que la restauration scolaire n’est plus du ressort de l’Éducation nationale. Elle relève des communes dans le primaire, du Département et de la Région dans le secondaire. Chaque collectivité peut donc faire des choix différents. C’est ainsi que Nantes, Saint-Nazaire, Saint-Herblain, Rezé, les quatre plus grandes villes de Loire-Atlantique, proposent systématiquement des plats de substitution au porc. PLACE PUBLIQUE > Ce n’est pas le cas partout… MICHEL LE JEUNE > Non, il y a des endroits où la question ne s’est jamais posée. Il y en a d’autres, dans des petites communes, où l’on trouve des arrangements officieux quand juste quelques enfants sont concernés. Parfois,

La restauration scolaire n’est plus du ressort de l’Éducation nationale. Elle relève des communes, du Département ou de la Région.

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HISTOIRE

64 Christian Bougeard Il y a 70 ans, Saint-Nazaire, la dernière ville française libérée 69 Béatrix Guillet et Martine Jéhanno Au jour le jour, deux soldats racontent les combats 78 Maryse Collet Images de la vie quatidienne


HISTOIRE | IL Y A 70 ANS, SAINT-NAZAIRE, LA DERNIÈRE VILLE FRANÇAISE LIBÉRÉE

Il y a 70 ans, Saint-Nazaire, la dernière ville française libérée TEXTE > CHRISTIAN BOUGEARD RÉSUMÉ > En cas de débarquement allié à l’Ouest, une partie des troupes allemandes devait se replier autour de quelques ports. Ce fut notamment le cas à Saint-Nazaire, la dernière ville libérée en France, autour de laquelle s’était formée la plus vaste des poches de l’Atlantique.

Du mois d’août 1944 au 11 mai 1945, date de sa reddition, la région de Saint-Nazaire constitue avec celles de Lorient, de La Rochelle-La Palice, de Royan et de la pointe de Grave l’une des cinq poches allemandes de l’Atlantique qui tiennent jusqu’à la capitulation sans conditions du Troisième Reich à Reims le 7 mai et à Berlin dans la nuit du 8 au 9 mai 1945. Ces derniers mois d’occupation sont très difficiles pour les civils « empochés » qui ne connaissent la Libération que neuf mois après l’ensemble des Français.

La stratégie des poches

CHRISTIAN BOUGEARD est professeur émérite d’histoire contemporaine à l’université de Bretagne occidentale, Brest, Centre de recherche bretonne et celtique (CRBC). Il est notamment l’auteur de La Bretagne de l’Occupation à la Libération (1940-1945), Presses universitaires de Rennes 2014

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L’ordre d’Hitler de replier une partie des troupes de la Wehrmacht sur des places fortes littorales édifiées autour des ports militaires et des bases sous-marines s’inscrit dans une stratégie préparée de longue date. Bastions du Mur de l’Atlantique, avec ses 15 000 blockhaus construits à partir du printemps 1942 du nord de la Frise (Pays-Bas) à Hendaye, plusieurs bases sont élevées au rang de forteresses (Festungen) le 19 janvier 1944. Au cas où le débarquement des Alliés attendu à l’Ouest réussirait, rendant inutiles les défenses statiques de « la forteresse Europe », des troupes devraient s’y replier. C’est ce qui se produit au sortir de la bataille de Normandie. La percée de la IIIe armée américaine du général Patton à Avranches le 31 juillet 1944 ouvre la voie de la libération de la Bretagne et de la vallée de la Loire. Des troupes allemandes stationnées dans la région évacuent les villes et le littoral pour s’enfermer dans Saint-Malo, Brest, Concarneau, Lorient et SaintNazaire dans les premiers jours d’août 1944 tandis que


IL Y A 70 ANS, SAINT-NAZAIRE, LA DERNIÈRE VILLE FRANÇAISE LIBÉRÉE | HISTOIRE

Morbihan

Loire-Atlantique

La Vilain e

Muzillac

L'Isac

Plessé Guenrouët La Roche-Bernard Saint-Gildasdes-Bois

Pénestin Missillac

Herbignac

Blain Canal de Nantes à Br est

Pontchâteau

La Grande Brière

La Turballe

Zones marécageuses

Savenay

Guérande Le Croisic

Fay-de-Bretagne

Bouvron

Piriac-sur-Mer

Montoir-deBretagne

Marais salants

Donges

Saint-Nazaire

La Baule

Zones marécageuses

Estuaire de la Loire

Batz-sur-Mer Pornichet

Cordemais

Paimboeuf Saint-BrévinLes-Pins

No man's land

Boivre

Villes principales

le Temple-deBretagne

Marais de Loire

Saint-Etienne-deMontluc

Frossay

Saint-Père1944 obre en-Retz 15 oct

Zone inondée

Champs de mines

Vue

La Sicaudais

Fossés anti-chars Combats ayant entrainé ligne de front Progressions allemandes pour étendre les limites de la Poche

Pointe de Saint-Gildas

Préfailles

é 21 d

Pornic

9 re 1

b cem

44

Chauvé

0

4 km

Arthon-en-Retz Le Clion-sur-Mer

MAI-JUIN 2015 | PLACE PUBLIQUE | 65


IL Y A 70 ANS, SAINT-NAZAIRE, LA DERNIÈRE VILLE FRANÇAISE LIBÉRÉE | HISTOIRE

Au jour le jour, deux soldats racontent les combats RÉSUMÉ > Ce récit qui prend la forme d’une chronique de guerre est construit à partir des documents et des témoignages de Louis Chevallier et de Raymond Olivieri, retranscrits, sans commentaire, dans leur vérité et leur sincérité. Il raconte la banalité du vécu militaire au jour le jour de deux jeunes gens. Les informations ont été vérifiées avec le Journal de marche de Gérard Villebesseix (même cursus militaire, mais affecté à l’état major) et les livres de Luc Braeuer, Histoire de la poche de Saint-Nazaire et Forteresse Saint-Nazaire. Les papiers familiaux (carnets de guerre, papiers militaires, permission, démobilisation, état signalétique et des services) en possession de Béatrix Guillet, fille de Louis Chevallier et le recueil Une vie marseillaise écrit par Raymond Olivieri à destination de sa famille donnent à ce texte un caractère inédit. Il doit beaucoup à la mémoire, la gentillesse, et la disponibilité de Raymond Olivieri.

Raymond Olivieri (à gauche) et Louis Chevallier (à droite) Nés à Marseille en 1924, amis d’enfance, engagés volontaires le 18 mars 1944 au 1er régiment de France, passés le 18 août 1944 aux FFI (27e demi-brigade Charles-Martel, bataillon Marceau, compagnie Noël), engagés volontaires pour la durée de la guerre le 10 septembre 1944 dans le détachement de l’armée de l’Atlantique (25e division, 27e régiment d’infanterie, devenu le 21e régiment le 20 mars 1945).

TEXTES > BÉATRIX GUILLET ET MARTINE JÉHANNO BÉATRIX GUILLET et MARTINE JÉHANNO, professeurs d’histoire à Saint-Nazaire, ont participé à l’écriture du Dictionnaire des lycées publics des Pays de la Loire (2009) et à celle du livre publié pour le cinquantenaire de la Cité scolaire de Saint-Nazaire, Cité des possibles (2010).

Les premiers accrochages

Le lundi 13 novembre 1944, nous quittons les Montils (Loir-et-Cher) où nous avions intégré le 27è RI et reçu notre carte d’identité militaire dite « américaine » parce qu’imposée par l’US Army. Des camions US conduits par des noirs américains transportent la compagnie jusqu’à Guémené-Penfao. Le 18 novembre, notre bataillon, sous les ordres du commandant Moreau, monte en ligne pour relever un bataillon de FFI qui tient quartier dans la région de Fégréac. MAI-JUIN 2015 | PLACE PUBLIQUE | 69


HISTOIRE | IL Y A 70 ANS, SAINT-NAZAIRE, LA DERNIÈRE VILLE FRANÇAISE LIBÉRÉE

Le 1er jour est occupé à réaménager un fortin – construit tant bien que mal par les FFI qui nous ont précédés – pour nous mettre à l’abri des intempéries, de la boue et des projectiles divers des Schleus. À la tombée de la nuit, une patrouille allemande nous accroche et nous offre ainsi le baptême du feu sur une ligne de front. Pour protéger nos positions de très nombreuses cartouches sont tirées, consommation jugée

en pure perte par l’état-major qui ne voit pas de résultats tangibles sur le terrain ! Pendant 36 jours, nous montons la garde, nous aménageons une nouvelle ligne de front reculée d’une centaine de mètres, nous patrouillons près des lignes allemandes avec des escarmouches plus ou moins violentes et nous ripostons avec grenades et mortiers aux tentatives de percées des Boches.

La ligne de front près de Fégréac en décembre 1944 : une succession d’abris construits en rondins et torchis, camouflés, permettant de tirer et de s’abriter.

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IL Y A 70 ANS, SAINT-NAZAIRE, LA DERNIÈRE VILLE FRANÇAISE LIBÉRÉE | HISTOIRE

Extraits du carnet de guerre de Louis Chevallier  252 mercredi 22 novembre Jus 7 h 30, construction du toit, 12 h soupe, nettoyage des armes, 17 h soupe, garde, RAS sauf bain dans la paille 256 dimanche 26 novembre Jus 7 h 30, construction du gourbi, garde de 10 h à 13 h, 12 h soupe, repos (correspondance), 18 h soupe, courrier, garde de 4 h à 7 h, RAS 273 mercredi 13 décembre Jus 7 h 30, bulle, garde de 10 h à 13 h, patrouille, accrochage, 12 h soupe, bulle, 18 h soupe, garde 4hà7h 277 dimanche 17 décembre Jus 7 h 30, garde de 7 h à 10 h, reçu colis (n° 2 et 3), 12 h soupe, après-midi chez Raymond, bombardement au mortier, 18 h soupe, garde de une h à 4 h Le 24 décembre, notre compagnie est relevée par un bataillon du 63e RI et nous cantonnons à Ker Yannick (ferme du château de Rieux). L’aumônier célèbre la messe de Noël dans le grenier, au cours de laquelle nous chantons le Minuit, chrétiens.

Dans la mare gelée

Après seulement trois jours de repos, nous partons d’urgence pour la partie sud de la poche, affectés à la 1re compagnie (capitaine Rousselet) du 1er bataillon du 27è régiment d’infanterie. Les Allemands ayant réalisé une percée et avancé la ligne de front, nous montons en renfort à la Feuillardais. Raymond raconte : « Le 29 décembre, alors que nous élaguions les haies pour faciliter le tir de notre mitrailleuse, nous fûmes pris à partie par des Allemands qui nous tiraient dessus. Le lieutenant nous donna l’ordre de nous replier et nous partîmes avec Louis en courant en zigzag pour éviter les balles qui sifflaient autour de

Extraits des carnets de guerre de Louis et de Raymond, tenus au jour le jour pendant toute la durée de leur engagement : les chiffres à coté de la date la comptabilisent (exemple dimanche 26 : 256) avec parfois la période passée au front (exemple dimanche 26 : 9)

nous. Puis voyant une mare gelée qui raccourcissait notre chemin, nous avons marché sur une planche posée sur la glace ; Louis passa sans encombre, mais lorsque je fus au milieu de la planche, elle céda et je tombai, totalement immergé dans la mare glacée. Avec l’aide de Louis, je pus regagner la rive, complètement frigorifié. N’ayant rien pour me changer, je restai avec mes vêtements raides de froid et je pris quand même à mon tour la garde de nuit. Je n’eus même pas un rhume ! » Après trois fausses nouvelles, enfin la permission arrive le 7 janvier 1945. Cela faisait onze mois que nous étions partis. À cause des destructions dues à la guerre, le train qui ne peut pas prendre la ligne directe impraticable, roule très lentement sur des lignes secondaires : nous arrivons à Marseille après vingt et une heures de voyage. Pendant les quinze jours de perm’, MAI-JUIN 2015 | PLACE PUBLIQUE | 71


HISTOIRE | IL Y A 70 ANS, SAINT-NAZAIRE, LA DERNIÈRE VILLE FRANÇAISE LIBÉRÉE

Images de la vie quotidienne TEXTE > MARYSE COLLET

MARYSE COLLET est chargée de recherche et de documentation Saint-Nazaire Tourisme et Patrimoine. Les photos sont des clichés SaintNazaire Tourisme et Patrimoine – Écomusée

La forteresse de Saint-Nazaire Août 1944, les Alliés progressent en France et les troupes allemandes se replient autour de leurs bases de sous-marins. Die Festung (la forteresse de Saint-Nazaire s’étend le long d’une ligne de défense Nord-Sud, visant le contrôle des estuaires et des voies de circulation fluviale. La représentation de l’aigle impérial, associé au symbole nazi affirme la domination de l’armée allemande sur ce territoire restreint. Dessin reproduit par Jocelyn Gille d’après un original de Karl Heinz (1945).

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HISTOIRE | IL Y A 70 ANS, SAINT-NAZAIRE, LA DERNIÈRE VILLE FRANÇAISE LIBÉRÉE

Des convois de réfugiés Dès l’automne, la situation sanitaire se dégrade. Le commandement allemand accepte l’évacuation des populations fragilisées pour éviter les bouches inutiles à l’intérieur de la Poche. Les petits orphelins pris en charge par des membres de la CroixRouge font partie du premier convoi de réfugiés le 23 octobre 1944. Environ 20 000 personnes quitteront le territoire par trains spéciaux jusqu’en février 1945 pour rejoindre les zones libérées. Collection Dite-PPP.

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IL Y A 70 ANS, SAINT-NAZAIRE, LA DERNIÈRE VILLE FRANÇAISE LIBÉRÉE | HISTOIRE

Les trains de ravitaillement Au début de l’année 1945, la pénurie alimentaire s’aggrave après un hiver très rude. Des secours s’organisent depuis les territoires libérés afin de permettre l’acheminement de denrées de première nécessité pour la population civile. L’armée allemande, suite au départ des convois de réfugiés, a ouvert la voie des négociations. Quatre trains de ravitaillement sont autorisés à entrer dans la Poche sous contrôle de la Croix-Rouge. Collection Dite-PPP. MAI-JUIN 2015 | PLACE PUBLIQUE | 85


HISTOIRE | IL Y A 70 ANS, SAINT-NAZAIRE, LA DERNIÈRE VILLE FRANÇAISE LIBÉRÉE

Enfin libres ! Le 11 mai 1945, trois jours après la capitulation de l’Allemagne nazie, la reddition officielle est signée à Bouvron libérant le dernier territoire français occupé. Sept colonnes militaires alliées pénètrent dans la Poche de Saint-Nazaire. La population de la presqu’île guérandaise, ici au Pouliguen, accueille avec joie et émotion les soldats américains, anglais et français. Le photographe saisit cet instant sur fond de drapeau étoilé. Fonds Édouard Bourgueil 86 | PLACE PUBLIQUE | MAI-JUIN 2015


LA CARTE ET LE TERRITOIRE


LA CARTE ET LE TERRITOIRE | LA CRISE : UN COUP D’ARRÊT À L’ÉTALEMENT URBAIN ?

Évolution de la c ons truc tion neuve s ur la période 2004-2007 Châteaubriant

Pontchâteau Blain

Ancenis Savenay

Guérande La Baule St Nazaire

Nantes

Nombre annuel moyen de logement commencé 1 000 500

Pornic Clisson

100 10 Part des logements commencés pour 1000 habitants Moins de 5 pour 1000 5,00 - 7,49 7,50 - 9,99 10,00 - 14,99 15,00 - 19,99 20 pour 1000 et plus

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Machecoul


PATRIMOINE

96 Nicolas de La Casinière Quarantaine au carré 98 Gilles Ollivier Le cinéma amateur à Nantes/Saint-Nazaire, un patrimoine vivant 104 Maurice Digo, un Nantais dans la Grande Guerre



TEXTE et DESSIN > NICOLAS DE LA CASINIÈRE

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PATRIMOINE | LE CINÉMA AMATEUR À NANTES/SAINT-NAZAIRE, UN PATRIMOINE VIVANT

Le cinéma amateur à Nantes/Saint-Nazaire, un patrimoine vivant RÉSUMÉ > Des années 1930 à aujourd’hui, à Nantes/ Saint-Nazaire, le cinéma amateur a beaucoup évolué : les milieux sociaux concernés, les techniques, les préoccupations esthétiques et politiques. Comme tout patrimoine vivant, le cinéma amateur est à la fois un reflet de son époque et un outil de sa transformation.

TEXTE > GILLES OLLIVIER

GILLES OLLIVIER est professeur d’histoiregéographie à Rennes. Il est chercheur associé à la Cinémathèque de Bretagne

Nantes est une ville de cinéma : le passage Pommeraye et le réalisateur Jacques Demy en sont les emblèmes les plus connus. Mais sait-on que Nantes et Saint-Nazaire ont aussi été des territoires de cinéma amateur, d’un cinéma ordinaire, non lucratif, en quête de liberté et créatif ? Jacques Demy luimême, alors adolescent, fait ses premières réalisations en animation et fiction en caméra Pathé-Baby 9,5 mm. Il est déçu lorsqu’il fréquente le Club des cinéastes amateurs nantais (CCAN), qui semble plus soucieux de distinction que de création, mais enthousiaste face à la culture cinéphilique du ciné-club L’Écran nantais. Pour autant, l’histoire des cinémas amateurs nantais et nazairien, du premier essor de la pratique amateur, dans les années 1930, à la période de diffusion de la vidéo et du numérique au détriment de l’argentique et de déclin des clubs, dans les années 1990, montre de la diversité et de la créativité, grâce entre autres à l’ouverture cinéphilique et au dynamisme du Caméra club nantais (CCN) créé en 1956.

Le hobby de la bourgeoisie locale

Dès les années 1920, des films amateurs, surtout des films de famille sont tournés à Nantes et aux alentours. En 1933, une section nantaise du Cinamat club, un club parisien, est déjà attestée. Le CCA98 | PLACE PUBLIQUE | MAI-JUIN 2015


LE CINÉMA AMATEUR À NANTES/SAINT-NAZAIRE, UN PATRIMOINE VIVANT | PATRIMOINE

professionnel Louis Le Meur, également cinéaste amateur inspiré et facétieux, dans Credo, un petit film qui s’amuse sans méchanceté du lieu de pèlerinage qu’est devenu alors Colombey-les-Deux-Églises.

La multiplication des clubs d’entreprises

Au moins huit associations de cinéastes amateur ont été créées à Nantes/Saint-Nazaire entre 1961 et 1983. Le nombre de créations s’explique par la diffusion du Super 8, sonore, puis de la vidéo, la multiplication des clubs d’entreprises et l’envie de jeunes étudiants ou d’autres, de faire du cinéma amateur en dehors des clubs de la fédération, jugée bourgeoise et corsetée. Citons le Club cinéma du Comité d’établissement de Sud-Aviation Bouguenais, à la fois lieu de reportages locaux et coopérative de vente de films vierges, créé en 1961 par une poignée de salariés ayant du matériel personnel et tentant de dynamiser l’activité cinématographique auprès de leurs collègues. En 1972, les PTT et EDF Nantes se dotent d’un caméra club. En 1983, Ciné Cure (15 membres), en lien avec le Centre audiovisuel de Loire-Atlantique et le Service universitaire audiovisuel, se propose de réaliser des films vidéo. Sur les quatre membres du bureau trois sont des femmes dont la présidente Anne-Claire Davy, ce qui est rare dans un milieu longtemps réservé aux hommes. En 1980, Procina (Production cinématographique nantaise) est fondée par Jean-Claude Guilbaud, magasinier, un employé de commerce et un vendeur pâtissier. Ouvert à la réalisation en S8, l’association (6 membres), qui vit au moins jusqu’en 1985, se propose de tourner des scénarios (Cosmika, Movie dream) et reportages en amateur et de les montrer à un public « connaisseur », ce qui explique son adhésion au CCN ! En 1981 et au moins jusqu’en 1984 ce sont des étudiants, après une expérience de caméra club du lycée Albert-Camus (1977-1979), qui, pour contribuer aussi à l’essor du format S8, fondent La Petite ECRAN (Équipe cinématographique de réalisateurs amateurs nantais), dont le siège est à Saint-Herblain, effet de périurbanisation. Elle revendique un humour absurde (Celui qui mourut une seule fois, 1983) malgré quelques essais surréalistes et romantiques (Sur un coin de la berge, 1983). Le CCN, pourtant plus soucieux du langage cinématographique, accueille dans ses locaux du boulevard

Vincent- Gâche, dans une annexe du Foyer du jeune travailleur, pour des projections, ces deux associations tournées vers l’expression des amateurs dans un esprit de divertissement. En 1996, alors qu’ECRAN existe encore, Didier Jodar, cofondateur, résume l’esprit ainsi : « association prétexte à nous réunir, à rassembler nos imaginaires, notre passion du cinéma instinctif pour une création commune, à canaliser nos énergies de façon constructive ». Quelques générations se sont succédé depuis les années 1990.

Aujourd’hui…

Le club ciné photo de Saint-Nazaire et de la côte d’Amour existe encore sous l’appellation de Photo vidéo club de Saint-Nazaire et compterait d’après son site une cinquantaine de membres, mais la section photo semble plus active que la section vidéo. Le CCN est devenu le Cinéma vidéo Nantes Atlantique et se présente comme « le club le plus actif de la Région ». Sur son site, on peut regarder quelques réalisations de qualité. Il y est ainsi montré Une soirée ordinaire de Nicolas Deschamps, film dans lequel on retrouve Didier Jodar dans un des personnages principaux. L’histoire continue en numérique… Entretemps, c’est à Nantes qu’est née l’idée durable de la Cinémathèque régionale de Bretagne en la personne d’André Colleu de la Direction de la jeunesse et des sports qui travaille alors auprès d’associations culturelles de la région. En 1980, le Centre nantais de culture celtique qui fédère les groupes bretons de LoireAtlantique développe une vidéothèque consacrée à la culture régionale. Elle produit quelques reportages en VHS. S’appuyant sur la collecte de la mémoire ouvrière ou la reconnaissance de la mémoire collective, il est notamment imaginé un archivage de documents historiques et ethnologiques filmés par des particuliers et déposés par eux. Aujourd’hui, l’antenne Loire-Atlantique de la cinémathèque est aux Archives départementales, depuis 1998, sous la responsabilité de Pascal Le Meur. Les projections publiques ravivent ainsi un passé et un imaginaire enregistrés par des habitants de la BasseLoire. Leurs productions ont été des agents et sont des sources d’une histoire culturelle territoriale. Elles font dorénavant partie de notre patrimoine et nous regardent tout autant que nous les regardons. n MAI-JUIN 2015 | PLACE PUBLIQUE | 103


PATRIMOINE | MAURICE DIGO, UN NANTAIS DANS LA GRANDE GUERRE

Maurice Digo, un Nantais dans la Grande Guerre RÉSUMÉ > Nous poursuivons la publication d’extraits du journal de guerre de Maurice Digo, cent ans tout juste après leur rédaction. Des extraits choisis par Véronique Guitton et Delphine Gillardin, des Archives municipales de Nantes où sont conservés les carnets de Digo.

Fin avril 1915, Digo est transféré de l’hôpital de Gravelines vers celui du Tréport installé dans le casino. Jeudi 6 mai Enterrement du zouave Paul Philippe Anglade, intoxiqué à Ypres dont l’agonie a été terrible, puis d’un officier anglais qui s’est jeté du haut de la falaise. Mardi 11 mai départ en convalescence. Jeudi 13 mai Départ à 8 h assez vaseux, erreur de train, l’express me passe devant le nez vers 9 h. Arrivée au Mans à 1 h 30. Une armée de sentinelles bloque toutes les issues, im104 | PLACE PUBLIQUE | MAI-JUIN 2015


SIGNES DES TEMPS

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Bloc-notes

110

Critiques de livres

126

Les expositions

130

La chronique de Cécile Arnoux

132

La chronique de Jean-Luc Quéau

134

La chronique d’architecture de Dominique Amouroux


SIGNES DES TEMPS | BLOC-NOTES

LE BLOC-NOTES THIERRY GUIDET directeur de Place Publique

La Loire, la Loire, toujours recommencée

M

OIS POUR MOIS, printemps pour printemps, il y a tout juste quinze ans, j’entreprenais de longer la Loire à pied sur les mille kilomètres qui conduisent en pente douce du mont Gerbier-de-Jonc à Saint-Nazaire. J’en ai tiré un livre. Je ne vous infligerai donc pas un nouveau récit de ces jours, dont quelques-uns auront été parmi les plus heureux de ma vie. Pendant un mois et demi, sous le soleil et sous la pluie, des aubes fraîches aux longues soirées de mai, sur les chemins, sur les jetées, sur les quais, sur les routes, j’ai marché en badaud, curieux de la leçon de choses, et d’histoire, et de géographie, et de littérature que me donnait le grand fleuve. Ah ! la belle promenade !

Mais le bonheur me fut donné de vivre, le temps d’un printemps, en compagnie du fleuve. Depuis, tout ce qui touche à la Loire n’a cessé de m’intéresser. Quand j’entends parler du fleuve, ce n’est plus la carte de géographie de la petite école qui me vient à l’esprit, mais la grandeur sévère du plateau où il prend sa source, un alignement de peupliers sur un canal latéral, la confluence avec l’Allier, un bouquet de saules à Nevers, une plage déserte près de La Charité-sur-Loire, la nuit passée chez un éleveur de chèvres, le vertige de Chambord, le petit matin dans les rues de Tours, le cabernet bu avec les mariniers, l’entrée dans Saint-Nazaire, un lundi de Pentecôte, par le boulevard des Apprentis… Marée des images. Flot du souvenir. Profils perdus.

n

n

JE N’AVAIS PAS LA CHANCE d’être un familier du fleuve, d’avoir vu le jour sur ses rives, d’y avoir braconné ou navigué, de m’y être baigné enfant… Je n’en avais pas la connaissance intime que seules peuvent procurer des années de vie commune : ni la crainte de ses excès ni la gratitude pour ses dons.

C’EST À TOUT CELA que je pensais l’autre soir, animant un débat à Saint-Sébastien-surLoire, à la demande du Cercle culturel maritime qui, depuis longtemps, conduit de méritoires actions pédagogiques (jolie conclusion de son fondateur Hervé Grossin : « Soyons tous des explorateurs de Loire ! »).

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Comme pour mieux signifier que le « Grand débat » lancé depuis l’automne à Nantes ne doit pas se cantonner aux limites du périphérique, il y avait là l’ancien maire de Mauves, l’homme de l’amont, et celui de Paimboeuf, l’homme de l’aval. Rien de jargonnant, de technocratique lors de cette soirée. On a parlé d’îles, de plages, de ports, de « classes de Loire », de « classes d’estuaire » pour les enfants soucieux d’apprendre le fleuve, d’épeler ses rives et ses courants. Sous la parole de chacun affleurait le désir de Loire. n « LA LOIRE S’EST ÉVANOUIE », déplorait ce soirlà le chanteur Gérard Pierron. « Eh bien, il faut la ranimer », lui a répondu Philippe Audic, le co-président de la commission du Grand débat. Il serait abusif de réduire l’histoire récente de la Loire à une longue pâmoison. Mais le fait est que nous n’avons cessé de nous éloigner d’elle. 1851 : l’entrée du train en gare de Nantes annonce la mort de la marine de Loire qui ne survivra pas à la concurrence du rail. 1926 : les comblements de deux bras de Loire commencent dans le centre de Nantes. Née du fleuve, la


BLOC-NOTES | SIGNES DES TEMPS

ville l’expulse de son cœur. 1987 : les chantiers navals mettent à l’eau leur tout dernier navire. C’est la fin d’une industrie multiséculaire. La Loire continue de couler, elle n’a pas changé de lit, bien sûr, mais elle ne compte plus, elle ne parle plus aux Nantais. n

«

Avec l’Île de Nantes, la Loire redevenait aimable, redevenait centrale.»

LE TOURNANT, sans doute, date de l’aménagement de l’Île de Nantes, au début de ce siècle. Les urbanistes prennent à nouveau la Loire en considération. Avant de se mettre au travail, Alexandre Chémetoff en avait parcouru le cours. Et c’était un plaisir, chaque fois renouvelé, de marcher sur les cales et les quais avec lui, de guetter sa mine gourmande et satisfaite. Des gradins, des esplanades, des pelouses en pente douce, des bistrots, des promenades, et même des solariums… Oui, la Loire redevenait aimable, redevenait centrale. Peu après, la biennale Estuaire nous convierait à longer le fleuve jusqu’à la mer. Cela me rappelait quelques souvenirs.

Aviron Loire Océan, les Riverains de HauteIndre, la Compagnie des rivages, la Cale de l’île, le Collectif du patrimoine industriel et portuaire… On parle de guinguettes, de plaisance, de fêtes sur les berges. On mesure la chance de vivre tout contre le plus grand fleuve de France.

n

n

« LA LOIRE ET NOUS ». À lui seul, il dit tout, le titre du Grand Débat dont nous avons longuement parlé dans notre numéro de janvier. On peut le juger trop encadré ou, à l’inverse, un peu fourre-tout. On peut douter de ses résultats, craindre que la montagne n’accouche d’une souris. N’empêche qu’il a l’immense mérite d’exister et de mettre en mouvement des milliers de Nantais. Impensable il y a vingt ans, ce débat est un signe des temps, celui du moment où les riverains peuvent se réconcilier avec leur fleuve. Ce n’est pas un hasard si, parmi les quatre thèmes choisis, c’est la question des pratiques et des usages de la Loire qui suscite la plus forte mobilisation, celle des particuliers, mais aussi d’associations comme

D’AUTRES SIGNES D’INTÉRÊT ? J’apprends dans les journaux que la communauté de communes Cœur d’estuaire, la bien nommée, lance à partir du mois de mai des croisières entre Paimbœuf et Lavau, entre Cordemais et le canal de la Martinière. Et puis il y a cette extraordinaire nouvelle : le leader de la croisière fluviale en Europe vient de lancer le Loire Princesse, construit à Saint-Nazaire : un bateau de 90 m de long, propulsé par des roues à aubes high-tech, doté de 48 cabines qui remontera le fleuve jusqu’à Bouchemaine, près d’Angers. Il paraît que le bateau est complet jusqu’à l’automne, réservé surtout par des touristes d’Europe du Nord qui ont peut-être entendu parler du temps où la marquise de Sévigné descendait le fleuve en

coche d’eau d’Orléans à Nantes, où Balzac naviguait de Tours au Croisic en compagnie de Laure de Berny, où le vapeur de Stendhal s’échouait sur une grève tourangelle, où fleurissaient les Guides du voyageur sur les bateaux à vapeur. n L’AN PROCHAIN, à l’ultime extrémité du fleuve, dans le quartier du Petit Maroc, le beau bâtiment industriel de l’usine élévatoire de Saint-Nazaire avec sa cheminée de briques rouges va connaître une vie nouvelle. Construite au début du siècle dernier, l’usine permettait la mise à flot de bateaux à fort tirant d’eau en régulant les niveaux dans les bassins. Désaffectée depuis 1993, elle va accueillir un « centre de valorisation de l’estuaire », histoire de rappeler que la Loire, ici, est résolument atlantique. Et qu’elle revit, de recommencement en recommencement. n JE ME SUIS TARDIVEMENT RÉSOLU à lire le Soumission, de Michel Houellebecq, non sans prévention, levée dès les premières pages. Le hasard a fait que j’ai refermé le roman au lendemain du second tour des élections départementales. Je ne crois nullement à la fable de l’auteur, l’accès à la présidence de la République de Mohammed Ben Abbes, leader de la Fraternité musulmane, qui entreprendrait d’« islamiser » le pays. Mais j’ai trouvé que l’actualité électorale donnait une résonance particulière à ce passage du livre : « Il est probablement impossible, pour des gens ayant vécu et prospéré dans un système social donné, d’imaginer le point de vue de ceux qui, n’ayant jamais rien eu à attendre de ce système, envisagent sa destruction sans frayeur particulière. » Cela, bien sûr, n’a rien à voir avec la Loire, sinon une certaine appréhension du temps long. n MAI-JUIN 2015 | PLACE PUBLIQUE | 109


SIGNES DES TEMPS | LIVRES

QUESTIONS URBAINES

Une jeunesse nantaise QUESTIONS URBAINES 110 112 114 115 116 117 118

Farid Abdelkrim, Pourquoi j’ai cessé d’être islamiste Laurent Davezies, Le nouvel égoïsme territorial. Le grand malaise des nations François Chaslin, Un Corbusier Groupe MTx, La moindre des choses Christian Prigent, Berlin sera peut-être un jour Hugues Lethierry (direction), Agir avec Henri Lefebvre. Altermarxiste ? Bernardo Secchi, La ville des riches et la ville des pauvres, Urbanisme et inégalités

LITTÉRATURE 120 121 121 122

François Bégaudeau, La politesse Elsa Marpeau, Et ils oublieront la colère Hubert Tézenas, L’or de Quipapa Jean Rouaud, Être un écrivain et Misère du roman

POLITIQUE 123

Tudi Kergalegenn, Histoire de l’écologie en Bretagne

ART 124

Quentin Faucompré, Sagrado Corazon

125

REVUES ET LIVRES REÇUS

110 | PLACE PUBLIQUE | MAI-JUIN 2015

Le « petit Arabe » de la rue du Drac, dans le quartier nantais de Bellevue, a été fidèle à la promesse de son père trop tôt disparu. Il est devenu quelqu’un. Le petit garçon qui aimait s’endormir sous le ciel étoilé d’El-Kantara, dans l’Algérie de ses parents, court aujourd’hui rédactions et plateaux de télévisions pour parler de son islam. Il en a fait un livre dans lequel il raconte sa jeunesse musulmane. Et un peu plus. Son parcours fut chaotique, celui d’abord de l’enfant bon élève parmi les Cyril, Olivier et autres Christophe, qui prend vite conscience de son arabité et qui traite ce conflit intérieur en devenant l’adolescent petit voyou s’essayant à la délinquance locale. Il n’ira pas trop loin, et pas jusqu’à la case prison. Son ami Redouane, en revanche, interrompt sa jeune vie brutalement en rencontrant la balle d’un gendarme après un cambriolage qui tourne mal. Ce drame est un déclic. Les parents de Farid pratiquent un islam d’évidence. Lui-même a vraiment découvert la pratique religieuse, à 14 ans dans le village familial. Mais cette fois quelque chose de plus fort le pousse, avec ses amis, vers la mosquée de Malakoff, ancienne chapelle nantaise reconvertie au début des années 1980. Ils veulent un hommage pour Redouane. Ils n’auront qu’une rencontre décevante avec l’imam, irakien, qui se soucie moins du jeune défunt… que du conflit israélo-palestinien. L’hommage à Redouane sera finalement rendu par les jeunes dans une salle du centre socio-culturel du Jamet avec le Coran qui tourne en boucle sur un radio-cassette posé sur un bout de moquette, en guise de tapis. Le jeune Farid en fut très malheureux et chercha le sens de cette vie qui dérapait. Il en trouvera un en parachevant sa conversion à l’islam.


LIVRES | SIGNES DES TEMPS

Laurent Davezies, un double regard de géographe et d’économiste.

Quelle péréquation entre espaces riches et espaces pauvres ?

Le troisième et dernier chapitre débouche sur une réflexion prospective sur l’organisation territoriale. Non pas relative aux découpages dont l’auteur montre la faible portée : la question n’est pas de répartir les politiques entre les niveaux, écrit-il en conclusion, mais plutôt « d’harmoniser leurs contributions respectives » via des contrats, normes, recommandations, établissement de chefs de file… La réorganisation territoriale manque d’une philosophie politique et d’une théorie de la décentralisation. Quels mécanismes de péréquation peuvent être mis en place entre

espaces riches et pauvres ? Il ne s’agit pas d’une nouvelle charité mais bien d’une assurance mutuelle sur les longs et courts termes. À cette fin, il faut explicitement poser les questions d’arbitrage entre fonctions classiques des politiques publiques, à savoir allocatives, redistributives et stabilisatrices (un bon exemple contemporain évoqué par l’auteur : qu’un Conseil général distribue des tablettes numériques à tous les collégiens, c’est bien, mais au nom de quoi les enfants du département voisin n’y auraient pas droit ?). La mise en perspective historique permet de saisir comment les régions dynamiques d’hier (le Michigan, le Nord/Pas-de-Calais) ont permis un développement bien plus large de leurs pays respectifs. Si ces régions avaient pris leur indépendance au milieu du 20e siècle, assurément la Bretagne et l’Alabama ne seraient pas développées comme elles le sont aujourd’hui. Voilà de quoi méditer sur quelques programmes politiques remettant en selle l’unité de telle ou telle région prétendument historique et refusant de s’allier à la voisine… De cette lecture stimulante, deux points peuvent être dégagés et portés au débat. D’une part, la critique féroce du fonctionnement de l’Europe politique : « un grand pays extrêmement décentralisé avec un tout petit gouvernement central » (p.53) qui contredit au quotidien son programme constitutif de cohésion et qui pourrait s’inspirer du fédéralisme américain (le budget fédéral aux ÉtatsUnis est bien plus important que celui de l’Europe). D’autre part, une critique, par petites touches, de la mise en avant de plus en plus fréquente de nos jours de la voie des « biens communs », ce modèle tiers situé entre biens publics (régulés par la puissance publique) et biens privés (régulés par le marché) : il s’agirait plutôt, selon l’auteur, d’un lot de consolation et de remplacement du marxisme pour quelques penseurs radicaux mais difficilement généralisable et dans tous les cas pas à la hauteur des défis de pensée des liens entre territoires et réseaux. Ces deux critiques sont autant de questionnements qui ne devraient pas laisser indifférents les mondes intellectuels impliqués dans l’avenir des territoires. n LAURENT DEVISME Laurent Davezies, Le nouvel égoïsme territorial. Le grand malaise des nations, Paris, Seuil, 2015, 102 p., 11,80 €.

MAI-JUIN 2015 | PLACE PUBLIQUE | 113


SIGNES DES TEMPS | LIVRES

QUESTIONS URBAINES

Le Corbusier était-il fasciste ?

Si une biographie de Le Corbusier se scinde en deux époques, c’est que la jonction entre l’idéologue de l’architecture (parfois comparé à Heidegger pour ses engagements politiques) et le héros visionnaire de la Reconstruction demeure problématique. Mort il y a cinquante ans, noyé en Méditerranée devant le cabanon ascétique qu’il s’était fabriqué à Roquebrune, le Corbusier a marqué l’urbanisme moderne, nanti d’une sorte d’absolution par l’éloge funèbre d’André Malraux. Le déclamateur gaullien songeait alors que les cinq Cités radieuses du Corbusier pouvaient rivaliser avec les temples grecs et les cathédrales. Le premier livre paru en 2015 sur le plus célèbre architecte du 20e siècle est de François Chaslin. Cette biographie remarquable se présente comme un portrait, « mais aussi une promenade sentimentale et l’évocation du paysage mental d’un homme d’un autre siècle ». La première partie (« Corbeau ») évoque les début de Charles-Edouard Jeanneret, né en 1887 en Suisse à La Chaux-deFonds, comme le futur Blaise Cendrars, avec qui il entretiendra une longue amitié. Qui s’attend à un pur parcours d’architecte en est pour ses frais, tant le parcours politique du Corbusier le rapproche de Vichy, dont il sera conseiller pour l’urbanisme, 114 | PLACE PUBLIQUE | MAI-JUIN 2015

publiant alors de nombreux textes théoriques, dont la Charte d’Athènes. Les relations cordiales avec l’extrême-droite s’enveniment pourtant après le rejet par Vichy du plan d’urbanisme pour Alger : Le  Corbusier devient conseiller technique à la fondation d’Alexis Carrel, sinistre théoricien de l’eugénisme, jusqu’en 1944. L’auteur relève un joli lapsus dans un carnet du Corbusier daté de 1950 : « relire Carrel, l’Home cet inconnu ». À la faveur d’une indiscrétion, on surprend aussi le Corbusier à déjeuner avec Arno Breker, sculpteur officiel du nazisme. Malgré ce lourd dossier, il ne sera pas inquiété par l’épuration : les dix-huit mois passés à Vichy ont été soigneusement gommés de ses diverses biographies, Le Corbusier laissant croire au mythe de l’architecte de l’ombre, travaillant dans une sorte de clandestinité (il prétend ainsi avoir rédigé la Charte d’Athènes anonymement) pour devenir « la figure tutélaire de la Reconstruction » et « l’architecte du bonheur ». Ce Corbusier inquiétant était-il fasciste ? La question, ahurissante pour qui s’en tient à l’image d’Epinal du fada, celle du timbreposte de la chapelle de Ronchamp, avec ses rondeurs de carapaces de tourteaux, ne s’en pose pas moins. « Il a en tout état de cause, estime François Chaslin, participé aux travaux d’un groupuscule très soudé qui, durant presque vingt ans, de la création du Faisceau à la débâcle de l’État français sinon jusqu’à la Libération, a réfléchi à ce que pouvait être un État fort, autoritaire et dirigiste, et qui entendait se situer par rapport au fascisme italien et au nazisme, cela dans un constant déni de la démocratie, avec quelquefois des relents d’antisémitisme et d’eugénisme. Il en était l’un des chefs. » C’est dit. Et si l’autoritarisme du Corbu prêta à la rigolade, le soupçon continue de rôder, jusqu’à faire voir des croix gammées dans un plan de Stockholm datant de 1933 ou dans le monument aux martyrs de Chandigarh, « architecture de mégalomane » selon V.S. Naipaul…

Paquebots utopiques

Au-delà de ces hallucinations, la question reste posée : les propositions du Corbusier sont-elles « des anticipations synthétiques de la ville moderne » ou des « cauchemars » justifiant les sarcasmes situationnistes, qui évoquaient « le Corbusier Sing-Sing », concepteur de machines à habiter ? Ironie de l’histoire, le Corbusier fut déçu que sa cinquième Cité radieuse, construite à Berlin-Charlottenburg en 1957, ait été adaptée aux normes allemandes, au nom desquelles la hauteur fétiche des 2,26 m sous plafond n’avait pas été respectée, jugée « mit dem Kopf an die Decke stossen », un truc à se cogner la tête au plafond. Une norme issue du concept de Modulor, cette silhouette standard qui


LIVRES | SIGNES DES TEMPS

figure imprimée dans le béton des cinq Cités radieuses de Marseille, Rezé, Berlin, Briey et Firminy. Ces paquebots utopiques de béton ne manquent pas de modèles : la cité radieuse est un « porte-bouteilles », une ruche ; ses logements sont des cellules monacales alternées tête-bêche et calées autour d’une rue intérieure, le tout dérivant d’un modèle moscovite de communauté verticale et d’une philosophie fouriériste héritée du familistère de l’industriel Godin à Guise (1859). Mais la « folie de Rezé », si cordialement détestée par les Nantais qui en abhorraient la silhouette, fut l’objet d’un militantisme corbuséen teinté d’autogestion de la part de ses habitants1, qui le défendirent en expliquant (à l’occasion du 25e anniversaire du Corbu) que « le désastre pavillonnaire eût été évité si l’on avait su construire à la place de ces maisons une succession de Cités radieuses » n DANIEL MORVAN François Chaslin, Un Corbusier. Le Seuil, 518 pages, 24 €.

1. Lire Initiatives urbaines, page 147

Le Corbusier : dix-huit mois passés à Vichy.

Entre Erdre et Loire, les archéologues du contemporain Une valise à roulettes munie d’une boussole, une casquette, une serviette de bain, un paquet de pelotes de laine, une passoire, un fauteuil à bascule, des livres, une image pieuse… Ce sont quelques-uns des objets – parmi bien d’autres – trouvés dans la rue entre 2012 et 2014 quelque part à Nantes, entre Erdre et Loire dans les quartiers de Malakoff et de Saint-Donatien. Leur liste complète figure dans ce livre avec un numéro d’inventaire, l’heure et le lieu de leur découverte et le nom de leur « inventeur », au sens premier du mot. « Dans notre main, les objets perdus devenaient objets trouvés » : cette étrange collecte donne à présent matière à un livre fait de presque cinquante textes anonymes, inspirés de près ou de loin par ces objets. Plusieurs de ces textes sont d’une réelle qualité littéraire qui, à elle seule, justifie la lecture de l’ouvrage. Mais cette expérimentation vaut aussi par les questions qu’elle soulève et que se posent notamment les conservateurs des musées de société : comment garder trace du présent, figer quelque chose dans la fuite du temps ? Quels objets contemporains méritent-ils d’entrer dans les collections ? Les plus rares ? Les plus insolites ? Ou, au contraire, les plus ordinaires parce que, précisément, leur banalité témoigne d’une époque ? Le Musée d’histoire de Nantes s’est d’ailleurs associé à la démarche. Et puis ce livre attire notre attention sur ce qu’est l’essence d’une ville : un lieu de déambulation, de frottements, de surprises, d’incessantes métamorphoses, un jeu de piste, une carte du Tendre, une île au trésor. La moindre des choses peut y devenir intéressante. Pour cela « il suffit de la regarder longuement », nous rappellent, citant Flaubert, les auteurs de ce livre. n T.G. Groupe MTx, La moindre des choses, éditions bardane, 239 pages, 18 €. Voir aussi le site www.lamanufacturedestextes.fr

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CONTRIBUTIONS

139 GOULVEN BOUDIC POLITISTE ÉLECTIONS DÉPARTEMENTALES : DE LA SINGULARITÉ À LA BANALISATION ?

143 DANIEL COUTANT MÉDECIN MA NUIT AU SERVICE DES URGENCES


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Élections départementales : de la singularité à la banalisation ? GOULVEN BOUDIC > POLITISTE RÉSUMÉ > Avec un seul canton d’avance, la gauche a sauvé la Loire-Atlantique. Mais elle est minoritaire en voix. On peut faire deux lectures de ce résultat : estimer que dans un contexte national très défavorable la gauche continue à résister dans l’Ouest, cette région jadis conservatrice devenue un bastion socialiste ; ou, au contraire, noter que la droite reconquiert progressivement le département et grignote un périurbain qu’on croyait acquis à la gauche. Mais aucune des lectures de ce scrutin ne doit occulter d’autres réalités : l’abstention massive, la croissance des votes blancs et nuls, l’ancrage du Front national qui jouera un rôle lors élections régionales.

Quels enseignements tirer des élections départementales ? D’abord, l’abstention massive. Certes, le scrutin a légèrement plus mobilisé que le précédent scrutin cantonal de 20111, mais il serait outrancier d’y voir l’indice d’une remobilisation citoyenne. Les élections départementales, comme on doit désormais les appeler, peinent à susciter l’intérêt. Plusieurs raisons à cela. Malgré le discours sur l’attachement des Français à leur département, les compétences des Conseils départementaux sont souvent mal identifiées, les élus peu connus. Il est difficile d’identifier les vraies marges de manœuvre et les différences entre les gestions des départements, au-delà de quelques marqueurs symboliques. Le découplage des élections départementales et des élections régionales, s’il permet de mieux identifier et de séparer les débats, constitue également un facteur de démobilisation : lorsque ces élections ont été couplées, la participation a été plus forte.

La sécession citoyenne En outre, le nouveau mode de scrutin, si justifié soit-il par l’introduction de la parité dans les assemblées

les plus masculines de France, comme le redécoupage, si légitime qu’il soit au regard des très fortes disparités qui existaient entre cantons sur le plan démographique, ont pu accroître ce sentiment d’incompréhension. Que dire, enfin, d’un climat politique où l’exécutif a donné l’impression d’organiser la disparition même des départements, avant de se plier à certaines évidences ? À l’heure même où les Français étaient convoqués aux urnes, nul ne connaissait les compétences futures exercées par les départements… On avouera qu’il y avait là de quoi désorienter le plus civique des citoyens. Cette abstention provoque toute une série d’interrogations. Selon l’idée, démontrée par plusieurs études récentes, d’une participation intermittente, ce sont en fait un peu plus de 55 % des Français qui se seront rendus à au moins un des deux tours du scrutin. Il n’en demeure pas moins que, même ainsi minimisée,

GOULVEN BOUDIC enseigne la science politique à l’université de Nantes. Il est membre du comité de rédaction de Place publique.

1. C’est notamment le cas en Loire-Atlantique. La participation a été au premier tour de 50,7 % (contre 42 % en 2011) et de 48,5 % au second tour (contre 40,8 % en 2011).

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CONTRIBUTION | ÉLECTIONS DÉPARTEMENTALES : DE LA SINGULARITÉ À LA BANALISATION ?

Le maintien à gauche de départements comme le Finistère, l’Ille-et-Vilaine, la Loire-Atlantique atténue le sentiment de la déroute. Il accrédite à nouveau la thèse d’une originalité à la fois territoriale et historique.

même rapportée aux explications précédentes, cette faible participation ne peut vraiment pas être écartée d’un revers de main : elle s’accompagne en effet d’une double sécession : celle, croissante, des citoyens qui continuent à se rendre aux urnes, mais choisissent tantôt de voter blanc ou nul (de 10 à 20 % dans certains cantons) ; celle de ceux qui optent pour le Front national. Au plan départemental, les résultats sont contrastés : on ressent l’ampleur de la défaite nationale de la gauche ; mais la Loire-Atlantique résiste et les socialistes conservent sur le fil le département. Dans une carte où le bleu l’emporte nettement, l’Ouest continue à se distinguer (comme le Sud-Ouest) par la persistance de quelques taches roses (Finistère, Ille-et-Vilaine, Loire-Atlantique). On a par ailleurs entendu de nombreux leaders socialistes locaux se féliciter de cette résistance. Jean-Marc Ayrault n’a pas manqué d’y voir une forme de revanche personnelle, à l’heure où l’ancien département de François Hollande (la Corrèze) et celui de Manuel Valls (l’Essonne) basculaient à droite…2

L’Ouest est-il encore une exception ?

Mais si cette stabilité cachait des évolutions plus profondes : il ne faut pas oublier que la gauche est minoritaire en voix en Loire-Atlantique.

« Repli en bon ordre » : telle fut l’expression utilisée par notre collègue Romain Pasquier pour résumer l’enseignement des élections municipales de 2014, qui avaient vu dans le Grand Ouest un reflux modéré d’un socialisme municipal perdant de nombreuses communes, petites et moyennes, mais réussissant à atténuer la défaite par une incontestable résistance, notamment dans les plus grandes villes (Nantes, Rennes, Brest, Le Mans…). S’imposait à nouveau le sentiment d’une singularité croissante de certains territoires dans un contexte national de défaite du Parti socialiste. Ce sentiment n’était pas tout à fait neuf. Il nous avait permis dans l’un des premiers numéros de Place publique de mettre l’accent sur le divorce croissant entre la géographie électorale et la géographie militante du Parti socialiste3. Les élections départementales confirment indéniablement ce constat. Dans l’imaginaire, comme dans les réalités militantes, les défaites symboliques du PS dans le Nord, dans les Bouches-du-Rhône comme en Seine-Maritime signent la disparition d’un ancrage local historique de ce parti et le déplacement sensible de ses zones d’influence.

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Le maintien à gauche de départements comme le Finistère (conquis en 1998), l’Ille-et-Vilaine (conquis en 2004) ou, encore, comme la Loire-Atlantique (conquis en 2004) n’a pas seulement permis aux socialistes d’atténuer le sentiment de la déroute. Il contribue à nouveau à accréditer la thèse d’une spécificité, d’une originalité à la fois territoriale et historique. On aura du mal à lutter contre cette thèse. Et on ne voudrait pas systématiquement jouer les rabat-joie. Comment ne pas voir, dans certains scores électoraux, à Nantes, Saint-Nazaire, Rezé, une stabilité et un hommage rendu par les électeurs à leurs élus ? Comment reprocher aux socialistes nantais de se féliciter du grand chelem réalisé à l’échelle de la ville ? Comment ne pas comprendre la joie des militants au soir de l’élection, accrue d’avoir senti le boulet les frôler ?

Gauche des villes, droite des champs

On s’en voudrait pourtant d’en rester à ce niveau d’analyse et de donner ainsi l’impression de cautionner le retour au business as usual dans lequel certains ne manqueront pas de tomber : l’impression d’une certaine stabilité, encouragée par ces résistances incontestables, pourrait bien n’être qu’une illusion, derrière laquelle se profilent des évolutions plus profondes et plus lourdes de conséquences à court et moyen terme. Au strict plan des votes exprimés, la réalité est en effet celle d’une défaite électorale de la gauche : la droite l’emporte dans le département avec près de 1 200 voix d’écart (208 569 voix pour le bloc des droites au second tour contre 207 324 pour le bloc des gauches). Seule la combinaison du redécoupage électoral et de la distribution des suffrages par canton permet à la gauche de l’emporter en nombre de sièges et de binômes élus, mais d’extrême justesse, à un canton près. À lui seul en effet le redécoupage n’explique pas tout. Ce qui a handicapé la droite, et qui reste la 2. Dans d’autres territoires, les défaites enregistrées ont pu ici ou là révéler une vraie coupure entre les responsables et les élus locaux socialistes et le gouvernement. Sur ce point, comme sur les questions que ce scrutin pose à la gauche, on lira avec profit l’analyse de Rémi Lefebvre, « L’irrésistible autodestruction du Parti socialiste », Le Monde, 1er avril 2015, p. 13. 3. « La Gauche dans l’Ouest, modèle ou réduit ? », Place publique, numéro 4, juillet-août 2007.


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Ma nuit au service des urgences… DANIEL COUTANT > MÉDECIN

RÉSUMÉ > À la suite d’une chute violente dans la rue, un médecin est transféré aux urgences du Centre hospitalier universitaire de Nantes. Son témoignage est riche d’enseignements sur l’accueil que réserve l’hôpital public aux patients ainsi que sur la question si controversée de l’extension du tiers payant.

Suite à une chute violente en courant pour ne pas louper mon tramway, je suis pris en charge par les pompiers. À la question du choix du service d’urgences où me conduire, clinique privée ou CHU, ma réponse est évidente : l’hôpital public. J’étais conscient qu’il y aurait de l’attente, je n’ai pas été déçu ; arrivé peu après 23 h, j’ai fini par être examiné à 4 h 30 du matin ! Sachant ce que j’avais (un traumatisme crânien sans perte de connaissance) et qu’il suffisait de comprimer les plaies du visage qui saignaient abondamment en raison de la prise de clopidogrel (un fluidifiant sanguin indiqué pour le port d’un stent), je ne me sens pas inquiet.

Réparer les vivants…

Dans le grand sas d’entrée, le stationnement en épi des chariots, comme sur un parking automobile, fait que je prends une posture d’observateur plutôt que de blessé, d’autant plus que trois tentatives de lecture échouent en l’absence de mes lunettes, broyées dans le choc ! Coïncidence, je suis en train de lire Réparer les vivants, de Maylis de Kerangal, lecture qui accom-

pagnait mes déplacements en transport en commun ce jourlà ! La première heure, face au flux constant des entrées, jugé particulièrement important par le personnel des urgences et des ambulanciers qui défilent, on évoque la lune… jusqu’au moment où il faut bien admettre qu’il n’y pas de pleine lune, pas même un quart, pas plus que de clients des tonus du jeudi soir au Hangar à bananes, lieu festif nantais. Quoi qu’il en soit, en l’absence d’explications rationnelles, les admissions se poursuivent à un rythme incessant. Le personnel travaille à flux tendu, les tâches sont bien réparties, sans jamais la moindre atmosphère de panique ; le subtil dosage de fermeté et d’humour de l’infirmière d’accueil m’impressionne : jamais elle n’élève vraiment le ton, et pourtant, les impatients finissent par se taire, les agités et les revendicatifs n’ont pas le dernier mot. Malgré le cadre et le contexte, les soignants font preuve d’un souci de confidentialité, certains échanges entre eux se font à voix basse, une « situation bruyante » mêlant vraisemblablement problèmes médicaux et sociaux est prise en compte dans une petite salle à l’écart.

DANIEL COUTANT est médecin généraliste, retraité depuis peu.

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INITIATIVES URBAINES

147 Sabrina Bresson L’architecte, la machine à habiter et les habitants…

151 Nicole Roux Une autre façon de vivre ensemble : de la coopérative d’habitants à l’habitat participatif

156 Marc Dumont Projets urbains


INITIATIVES URBAINES

L’architecte, la machine à habiter et les habitants…

RÉSUMÉ > Le Corbusier en était persuadé : rien ne sert de consulter les habitants. Seul le grand architecte sait comment il faut construire des « machines à habiter ». Par une sorte de ruse de l’histoire, cette posture intransigeante n’a pas empêché les résidents de la Maison Radieuse de Rezé de réinventer au fil du temps l’œuvre du maître. Sans doute parce qu’elle était assez forte pour cela.

PLACE PUBLIQUE > Faut-il prendre en compte les désirs des habitants ? À cette question posée, en 1957, à plusieurs architectes par le sociologue Chombart de Lauwe, Le Corbusier fait une réponse qui a au moins le mérite de la clarté… SABRINA BRESSON > En effet, il répond : « Non, je ne crois pas qu’on puisse le faire. Il faut concevoir et discerner, puis offrir, poser la question à qui de droit. » Le Corbusier pensait que les habitants ne savaient pas, qu’il était inutile de leur demander leur avis. Il a même rédigé un Manuel d’habitation pour leur expliquer comment il fallait habiter les logements qu’il avait conçus. Rappelons cette phrase célèbre et controversée : « Une maison est une machine à habiter comme un fauteuil est une machine à s’asseoir. » Cela dit, si Le Corbusier avait le sens de la formule, cette posture autoritaire ne lui était pas propre. Elle était assez conforme à l’esprit du temps, à l’idéologie de la modernité et du progrès technologique. PLACE PUBLIQUE > Et pourtant vous avez montré que les résidents de la Maison Radieuse de Rezé la réinterprétaient, l’habitaient chacun à leur manière. SABRINA BRESSON > Je ne m’y attendais pas ! Comment une architecture aussi rigoureuse, aussi contraignante pouvait-elle faire l’objet d’autant d’aménagements, de détournements, de bricolages en somme… J’ai enquêté auprès d’une quarantaine de ménages, eh bien, aucun de leurs appartements ne se ressemble. Au fil du temps, les habitants se sont approprié et réapproprié l’espace de manière étonnante.

SABRINA BRESSON est chercheuse en sociologie à l’université FrançoisRabelais de Tours. Elle a soutenu une thèse intitulée Du plan au vécu. Analyse sociologique des expérimentations de Le Corbusier et de Jean Renaudie pour l’habitat social. Elle est (avec Sylvette Denèfle, Annie Dussuet et Nicole Roux) l’auteure de Habiter Le Corbusier. Pratiques sociales et théorie architecturale (Presses universitaires de Rennes).

PLACE PUBLIQUE > Il faut rappeler que la Maison Radieuse des débuts est vécue par ceux qui s’y installent comme un logement doté d’un incroyable niveau de confort. SABRINA BRESSON > Des chambres séparées, un vide-ordures, le chauffage central, des sanitaires, un parc au MAI-JUIN 2015 | PLACE PUBLIQUE | 147


La Maion Radieuse, une architecture assez forte pour traverser les ĂŠpoques.


INITIATIVES URBAINES

Une autre façon de vivre ensemble : de la coopérative d’habitants à l’habitat participatif

TEXTE > NICOLE ROUX

RÉSUMÉ > Habiter autrement dans un habitat différent. La Maison radieuse à Rezé ; les Petits Moulins, à Rezé également . La Bosse, à Saint-Nazaire : dans des contextes bien différents, trois exemples d’une volonté commune.

1955-2015. soixante années et 1,5 km séparent la Maison radieuse, habitat coopératif jusqu’en 1971, du Petit Moulin, habitat participatif à Rezé. Qu’y a-t-il de commun entre ce grand immeuble sur pilotis, marqueur du paysage du sud Loire, à la fois copropriété de particuliers et logement social, et ce petit ensemble d’habitat composé de maisons en bande et d’une HLM ? Une mixité de statuts d’habitants, une implication collective, des espaces communs partagés pour une autre façon de vivre ensemble, de vivre la cité. Pour comprendre le rapprochement entre deux projets d’apparence si dissemblables d’un point vue urbanistique et architectural, cet article invite à faire un voyage à travers le temps dont l’objet n’est pas tant les réalisations elles-mêmes que la description d’un contexte socio-économique et politique permettant l’émergence d’un habiter autrement, d’un habitat différent. En mettant l’accent sur certains éléments socio-historiques, il s’agit de montrer les évolutions des systèmes idéologiques à l’œuvre sur la période. Au passage, nous ferons étape dans les années1980 à une soixantaine de kilomètres en aval, à Saint-Nazaire précisément où se dresse un petit immeuble en copropriété nommé La Bosse.

NICOLE ROUX est maître de conférences en sociologie à l’université de Bretagne occidentale.

Dans le village vertical1

Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, dans un contexte de reconstruction d’urgence, tous les acteurs sont mobilisés du sommet de l’État jusqu’aux acteurs locaux pour la production de logements. Les initiatives se multi1. Denèfle S., Bresson S., Dussuet A., Roux N., 2006, Habiter Le Corbusier, pratiques sociales et théorie architecturale, Rennes, PUR

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INITIATIVES URBAINES

PROJETS URBAINS > MARC DUMONT MARC DUMONT est professeur en urbanisme et aménagement urbain à l’université Lille I Sciences et technologies. Il est membre du comité de rédaction de Place Publique Rennes. À travers ces projets urbains d’ici et d’ailleurs, il partage sa veille des innovations insolites, surprenantes et toujours instructives.

Saint-Brieuc se retourne vers la mer À Saint-Brieuc, le secteur à fort potentiel du port du Légué s’est pourtant vu relégué, au fil des décennies, à l’écart de la dynamique locale. Depuis quelques années, l’agglomération briochine s’était penchée sur son devenir et a transformé notamment un de ses anciens bâtiments industriels en centre culturel dédié aux expositions, séminaires et rencontres, le Carré Rosengart. Comme une verrue, à proximité, et un peu en hauteur, la friche de l’ancienne usine Gaz de France, fermée depuis le tout début des années 1980 héberge toujours un vaste espace hétéroclite d’anciens bâtiments, gazomètres, le tout en ruine. De nombreux projets s’y sont succédé sans voir le jour : l’accueil d’une école de musique ou la réalisation d’un programme d’immobilier tertiaire. Le principal obstacle à leur concrétisation, la pollution des sols, serait en passe d’être résorbé, GDF Suez ayant accepté un accord de dépollution avec la municipalité. Celle-ci vient donc de lancer une réflexion globale sous la forme d’un concours d’idées via le programme et concours européen d’idée en architecture Europan. Une occasion unique de faire basculer l’axe d’urbanisation de Saint-Brieuc vers la mer à laquelle la ville tourne le dos !

La face cachée du périph Un projet assez similaire va être engagé sur certains secteurs délaissés du boulevard périphérique à Paris. La rocade, lieu majeur des flux quotidiens de la capitale, a vu s’accumuler tout un ensemble d’angles morts. En contrebas, des friches invisibles, des franchissements souterrains obscurs ou encore des immeubles éventrés, constituent la face cachée de la circulation qui les surplombe. Plusieurs travaux menés par des étudiants en master d’architecture ont joué il y a deux ans le rôle de déclen156 | PLACE PUBLIQUE | MAI-JUIN 2015


L’AGENDA

QUESTIONS PUBLIQUES FARID ABDELKRIM : POURQUOI J’AI CESSÉ D’ÊTRE ISLAMISTE Farid Abdelkrim a passé son enfance à Nantes. C’est là qu’il fait la rencontre des Frères musulmans au contact desquels il se radicalise rapidement. Il a conté son itinéraire dans un livre dont l’actualité saute aux yeux, Pourquoi j’ai cessé d’être islamiste. Itinéraire au coeur de l’Islam en France, éditions les Points sur les i. (lire p. 110) > Mercredi 29 avril à 18 h au CCO, tour Bretagne à Nantes. Entrée libre.

JEAN BLAISE : ENCHANTEUR DE VILLE Réenchanteur de ville : c’est le titre du livre que le journaliste nantais Philippe Dossal publiera en mai aux Ateliers Henry Dougier. Simultanément, les éditions de l’Aube sortiront un livre d’entretiens entre Jean Blaise, le journaliste Stéphane Paoli et le sociologue Jean Viard, Un immense besoin de culture. Le tout à un mois de la nouvelle édition du Voyage à Nantes et peu de temps avant la remise d’un rapport sur la culture dans l’espace public qui a été commandé à Jean Blaise par le ministère. > Mercredi 17 juin à 18 h au CCO, tour Bretagne à Nantes. Entrée libre.

LAURENT DAVEZIES : LE NOUVEL ÉGOÏSME TERRITORIAL L’économiste Laurent Davezies est un spécialiste du développement territorial. Il a notamment travaillé sur les moteurs de croissance de la métropole Nantes/Saint-Nazaire et collaboré régulièrement à Place publique. Dans son dernier ouvrage, Le nouvel égoïsme territorial. Le grand malaise des nations, La République des idées, Seuil, il élargit son champ de vision et s’intéresse au risque de sécession de régions riches comme la Flandre, l’Écosse, la Catalogne ou l’Italie du nord. (lire p. 112)

À LA DÉCOUVERTE DU PATRIMOINE NANTAIS Pour sa cinquième édition, {En}quête de Nantes propose un cycle de rendez-vous, visites guidées et conférences, pour aller à la découverte du patrimoine nantais et suivre son actualité : la basilique Saint-Nicolas ; le passage Pommeraye ; la nécropole gallo-romaine mise au jour rue d’Auvours ; le cimetière de Miséricorde au coeur du quartier Viarme/Hauts-Pavés ; le couvent des Cordeliers, ce prestigieux édifice religieux de la ville médiévale. Programme détaillé sur www.nantes.fr.

> Lundi 1er juin à 18 h au CCO, tour Bretagne à Nantes. Entrée libre.

Questions publiques est un cycle de rencontres co-organisées par le Conseil de développement de Nantes Métropole, le CCO et Place publique.

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PROCHAIN NUMÉRO

PLACE PUBLIQUE # 52 PARUTION LE 27 JUIN 2015

DOSSIER

Le transfert du CHU sur l’Île de Nantes 2023. Une date à la fois proche et lointaine. Si tout va bien, ce sera celle de l’ouverture du nouveau Centre hospitalier universitaire sur l’Île de Nantes. Au moment où sera présenté le projet retenu, nous consacrerons un dossier à cet événement urbain considérable. - À quoi ressemblera le futur hôpital ? Quels étaient les autres projets en lice ? - Un entretien avec le directeur du CHU sur les raisons du choix et sur la médecine du futur - Le poids médical, économique, social du CHU - La géographie de la santé dans le département - L’histoire de la décision du transfert - Des exemples de reconversion de sites hospitaliers en France - Une histoire de la santé et de l’hôpital à Nantes - Comment s’intégrera cet équipement sur l’Île de Nantes ? - Que deviendra le CHU actuel ?

D’ici là, suivez l’actualité de Place publique sur Twitter et sur Facebook @revPlacePubliqu

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Vient de paraître

Situé à l’est de Nantes, ce quartier fut longtemps celui des maraîchers qui y cultivaient carottes, salades et petits pois. Aujourd’hui intégré dans l’agglomération, le quartier Bottière-Chénaie reste un morceau de campagne en ville : une fidélité aux origines mais aussi la volonté de promouvoir un habitat durable. Épousant la géographie du site, bien relié au reste de la ville, le quartier est un exemple de densité intelligente et d’attention portée à la nature. Il offre aussi toutes les facettes de l’urbanité : école, médiathèque, commerces, espaces publics, vie associative naissante… Ce hors-série de la revue Place publique retrace l’histoire du quartier, décrit l’ambition des élus et des urbanistes, fait témoigner les habitants et les commerçants. Il a été rédigé par Philippe Dossal, journaliste indépendant, collaborateur régulier de Place publique, et par Emmanuelle Morin, de l’agence Double Mixte. En vente en kioque et en librairie au prix de 5 €

Place Publique

les numéros hors-série 5 €


www.revue-placepublique.fr

LA REVUE URBAINE NANTES / SAINT-NAZAIRE

Mai Juin 2015

Place Publique

Place 6 numéros 50 € Publique

#51

Place #51 Publique NANTES/SAINT-NAZAIRE

épuisé

LA REVUE URBAINE | Mai-Juin 2015

épuisé

épuisé

épuisé

p. 90 LA CRISE, UN COUP D’ARRÊT À L’ÉTALEMENT URBAIN ?

épuisé

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épuisé

Laïcité, le pacte en péril

épuisé

p. 139 ÉLECTIONS DÉPARTEMENTALES : DEUX LECTURES POSSIBLES DU SCRUTIN p. 147 MAISON RADIEUSE : L’ARCHITECTE ET LES HABITANTS

9 782848 092447

DOSSIER | P 5 | VOILE, CANTINES SCOLAIRES, LIEUX DE CULTE, RADICALISATION…

Laïcité, le pacte en péril HISTOIRE | P 64 | LA VIE QUOTIDIENNE DANS LA POCHE

Il y a 70 ans, Saint-Nazaire était enfin libérée 10E


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