Implantologie
SIMPLIFIER LA GESTION ATROPHIE TRANSVERSALE MANDIBULAIRE N. A LNO , O. H ENRY-S AVAJOL , P. M ISSIKA , G. K HOURY
Plusieurs approches ont été décrites pour la prise en charge implantaire d’un secteur mandibulaire atrophié. Les greffes osseuses sous forme de blocs autogènes, ou plus récemment allogènes, ainsi que les régénérations osseuses guidées, sont des techniques fréquemment utilisées, avec des résultats intéressants bien qu’ils restent peu prédictibles. Dans certains cas d’insuffisance transversale, l’expansion osseuse via une ostéotomie peut constituer une alternative plus simple. Cette technique, qui peut être assimilée à la production d’une « fracture en bois vert », utilise les mécanismes de cicatrisation des fractures osseuses, combinés aux principes de régénération osseuse guidée. L’objectif est d’obtenir un élargissement de la crête par clivage d’un volet osseux vestibulaire, basculé dans un second temps et maintenu par la pose de vis d’ostéosynthèse ; l’espace ainsi créé étant comblé par de l’os autogène, un biomatériau de substitution, ou un mélange des deux.
Figure 1 a,b,c : Situation initiale
C AS
CLINIQUE
:
trique avec guide radiologique qui permet de mesurer une épaisseur variant de 2 mm (site de 45) à 4mm (site de 47) (Figure 2).
Le cas présenté est celui d’une femme de 49 ans, sans antécédent médical, non fumeuse, désireuse de remplacer son stellite mandibulaire par une solution fixe. Elle présente un édentement encastré dans le secteur 4 (absence de 45-46-47, la 48 étant en position légèrement mésialée). Le parodonte est fin, avec de nombreuses récessions gingivales, et les racines vestibulaires des premières molaires maxillaires (16-26) font saillie au travers des tables osseuses vestibulaires. Les dents 12 et 25 sont porteuses de couronnes céramo-métalliques mal adaptées. Dans le cadre d’une prise en charge thérapeutique globale, plusieurs soins sont réalisés, notamment les extractions de 16-26, leur remplacement, et la réfection des couronnes de 12 et 25. Nous
Figure 2 a,b,c : Scanner avec guide radiologique
nous concentrerons sur le secteur 4. La radiographie panoramique montre que la hauteur osseuse audessus du canal alvéolaire est exploitable (Figure 1c). En revanche,
Les diamètres implantaires standards étant compris entre 3 et 5
l’épaisseur de la crête alvéolaire semble cliniquement insuffisante
mm, et les règles de placement implantaire tridimensionnel suppo-
(Figure 1b); ce qui est confirmé par un examen tomodensitomé-
sant de ménager un volume osseux minimal d’1 mm sur toute la
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Implantologie
circonférence de l’implant, nous sommes ici dans une situation d’in-
Ensuite, le volet osseux vestibulaire étant très légèrement mobilisé à
suffisance transversale pour laquelle plusieurs techniques d’augmen-
l’aide d’un ciseau à os, les forages pour l’insertion des vis d’ostéo-
tation osseuse peuvent être proposées. Étant donné l’absence de
synthèse sont réalisés. Le volet est alors complètement basculé et les
déficit vertical associé, l’ostéotomie transversale paraît être la tech-
vis d’ostéosynthèse sont positionnées selon un ancrage bi-cortical.
nique de choix.
Enfin, l’espace créé par la bascule du volet osseux vestibulaire est
Ce concept, initialement décrit par Tatum en 1979, a connu de nom-
comblé par un substitut osseux (poudre d’os spongieux humain de
breuses modifications, l’expansion pouvant être réalisée au moyen
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d’ostéotomes, de certains systèmes avec activation progressive, ou
résorbable (membrane BioGide® – Geistlich Pharma) (Figures 5 et
par « clivage » comme nous allons le décrire. L’objectif est de guider
6).
la fracture de la table osseuse vestibulaire par la réalisation préalable de traits d’ostéotomie et de corticotomie pour éviter toute compression osseuse. Idéalement, une épaisseur crestale d’au moins 3 mm est recommandée, néanmoins les progrès de la piézochirurgie autorisent désormais la réalisation de clivages plus fins dès lors qu’un os d’allure spongieuse est visualisé sur les coupes tomodensitométriques. Cette technique présente plusieurs avantages : conservation de l’intégrité du volet osseux cortical tout en lui autorisant un mouvement de bascule important, absence de site donneur, possibilité de pose immédiate des implants. Elle est donc indiquée dans des situations de crête étroite avec hauteur osseuse suffisante, particulièrement à la mandibule où l’élasticité osseuse est souvent plus faible.
C HIRURGIE
D ’ OSTÉOTOMIE TRANSVERSALE
Figure 5 a,b : Maintien en volume du clivage par un vissage bi-cortical
Un lambeau de pleine épaisseur est récliné. L’émergence du nerf alvéolaire inférieur au niveau du foramen mentonnier est mise en évidence et protégée de façon à éviter toute lésion ultérieure (Figure 3). Figure 3 : Lambeau de pleine épaisseur, mise en évidence de l’émergence du nerf alvéolaire inférieur
Figure 6 a,b : Comblement par un substitut osseux allogénique
Un premier trait d’ostéotomie crestale est réalisé, en maintenant l’axe de l’insert piézoélec-
La dissection du lambeau en
trique parallèle à l’inclinaison de
épaisseur partielle permet de fer-
la table osseuse vestibulaire.
mer le site par des sutures pas-
Une fois la profondeur souhaitée
sives et étanches sans aucune ten-
atteinte, deux ostéotomies laté-
sion tissulaire (Figure 7).
rales et un trait de corticotomie apicale sont réalisés (Figure 4). Figure 4 : Ostéotomies crestale et de décharge, corticotomie apicale
Figure 7 : Sutures passives et hermétiques
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Fotolia : Olaru Radian/JCP
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Implantologie
S UITES
OPÉRATOIRES
Les suites opératoires ont été assez simples : les douleurs, peu intenses, ont été correctement prises en charge par un antalgique de niveau 1. Un œdème associé à un hématome sont apparus dans les premiers jours suivant l’intervention, tous deux ont régressé rapidement. La patiente n’a souffert d’aucun trouble hypo ou hyperesthésique labio-mentonnier. A 3 mois post-opératoires, un nouveau scanner confirme l’augmentation du volume osseux, et autorise la pose de trois implants de diamètres standard (un implant de dimensions 3.5x11 mm pour 45 ; deux implants de dimensions 4.0x9mm pour 46 et 47).
C HIRURGIE
DE POSE DES IMPLANTS
La pose des implants est réalisée selon un protocole classique. Une
Figure 8 a,b : Ré-entrée à 4 mois et pose des implants, avec déhiscence vesti-
déhiscence vestibulaire, prévisible d’après l’image tomodensitomé-
bulaire au niveau de l’implant 45
trique, est observée au niveau de l’implant 45 (Figure 8). Une simple technique de régénération osseuse guidée permet de gérer la situation. A 3 mois, le contrôle radiographique autorise le dégagement des implants confirmant leur ostéointégration (Figure 9). Les prothèses supra-implantaires sont actuellement en cours de réalisation.
D ISCUSSION L’atrophie mandibulaire transversale est une situation fréquemment
Figure 9 : Second temps chirurgical à 4 mois, croissance osseuse supra-
rencontrée en implantologie. S’il existe plusieurs techniques d’aug-
implantaire
mentation pour y répondre, l’ostéotomie transversale a permis une
cadre d’une formation hospitalo-universitaire, ce n’est que dans un
gestion assez simple de ce cas, avec des suites opératoires tout à
but purement pédagogique que le séquençage des étapes chirurgi-
fait supportables pour la patiente. Les avantages par rapport aux
cales a été préféré. Ainsi, une première intervention a permis l’élar-
techniques de greffes osseuses sont multiples. En effet, que les
gissement de la crête alvéolaire, tandis qu’une deuxième interven-
greffes soient allogènes ou autogènes - avec dans ce deuxième cas
tion a autorisé la pose de trois implants dont les émergences et les
la nécessité du recours à un second site chirurgical et une plus
axes sont conformes au projet prothétique.
grande morbidité - leurs résultats restent variables et peu prévi-
Malgré l’apparent risque anatomique représenté par la proximité
sibles d’après les données actuelles de la littérature. En revanche,
du nerf alvéolaire inférieur, nous n’avons relevé aucun trouble dys-
dans une revue de littérature publiée en 2006, Chiapasco montre
esthésique de la région labio-mentonnière, ce qui est attribuable à
que l’expansion alvéolaire présente les meilleurs taux de succès et
l’utilisation d’inserts piézo-électriques non traumatiques pour les tis-
de stabilité implantaire parmi les autres techniques d’augmentation
sus mous (Vercelotti, 2000).
osseuse (Chiapasco, 2006).
Dans la technique princeps décrite par Tatum, il est recommandé de
Par ailleurs, contrairement aux greffes osseuses qui imposent de
ne lever un lambeau qu’en épaisseur partielle pour favoriser la vas-
placer les implants dans un deuxième temps, cette technique permet
cularisation périostée et le processus de cicatrisation. Ceci est cer-
l’implantation dans le même temps opératoire. En effet, dans une
tainement valable pour un os maxillaire de faible densité suscep-
étude clinique regroupant 1715 implants placés suivant un même
tible d’une résorption importante, mais plus discutable lorsqu’il
protocole d’expansion alvéolaire sur une période de dix ans, Bravi
s’agit d’un os cortical mandibulaire. En effet, il est peu résorbable
obtient un taux de succès élevé de 95.7%, avec des résultats com-
et son épaisseur est généralement augmentée dans un contexte
parables, que les implants aient été placés immédiatement ou lors
d’atrophie. De plus, compte tenu de sa faible élasticité, le rapport
d’un second temps opératoire (Bravi, 2007). De même, une étude
bénéfice/risque est en faveur de la levée d’un lambeau de façon à
regroupant 125 implants placés simultanément à une expansion de
pouvoir contrôler visuellement la propagation de la fracture.
crête mandibulaire montre que tous les implants ont été correcte-
Par ailleurs, une étude récente chez le chien indique que la levée
ment ostéointégrés et ont pu être mis en charge après un délai de 4
d’un lambeau n’aurait que peu d’influence sur la résorption alvéo-
mois (Basa, 2004). Dans notre cas, la patiente étant traitée dans le
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laire (Beolchini, 2013). 36
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Implantologie
Enfin, certains auteurs recommandent une technique en deux temps, composée d’une ostéotomie initiale avec lambeau, suivie d’une ré-entrée sans lambeau lors de la pose du ou des implant(s). Cette précaution paraît inutile, puisque tout lambeau entraîne une ischémie et un remodelage, quelque soit le moment de sa réalisation. Dès lors, le fait de poser les implants dans un second temps ne change rien au remodelage déjà initié. Finalement, les différentes techniques d’augmentation osseuse usant de divers biomatériaux rendent les comparaisons difficiles. La réussite du traitement réside dans le choix de la technique appropriée et de biomatériaux dont les caractéristiques répondent aux objectifs fixés pour chaque situation clinique.
B IBLIOGRAPHIE 1. Basa S, Varol A, Turker N. – Alternative bone expansion technique for immediate placement of implants in the edentulous posterior mandibular ridge : a clinical report. Int J Oral
Maxillofac
Implants.
2004 ; 19 (4) : 554-8. 2. Beolchini M, Lang NP, Viganò P, Bengazi F, Triana BG, Botticelli D. – The edentulous ridge expansion (ERE) technique : an experimental study in the dog. Clin Oral Implants Res. 2013 Sep 12. doi:
10.1111/clr.12263.
[Epub ahead of print]. 3. Bravi F, Bruschi GB, Ferrini F. – A 10-year multicenter retrospective clinical study of 1715 implants placed with the edentulous ridge expansion technique. Int J Periodontics Restorative Dent. 2007 ; 27 (6) : 557-65. 4. Chiapasco M, Zaniboni M, Boisco M. – Augmentation procedures for the rehabilitation of deficient edentulous ridges with oral implants. Clin Oral Implants Res. 2006 ; 17 (Suppl. 2) : 136-59. 5. Vercellotti T. – Piezoelectric surgery in implantology : a case report – a new piezoelectric ridge expansion technique.
Int
J
Periodontics
Restorative Dent. 2000 ; 20 (4) : 358-65.