Devenir enseignant

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Orientation

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COMMENT DEVENIR

ENSEIGNANT ? Patrick Cauvin Enseignant/Écrivain

Patrick Cauvin est l’un des auteurs préférés des Français avec E=MC2 mon amour, L’Amour aveugle, ou encore Déclic, son dernier roman. Ayant débuté sa carrière comme professeur de français, il revient pour Éducation Magazine sur son expérience, qu’il relate dans Je ne veux plus aller à l’école (éditions Balland). Propos recueillis pas Élise Pierre

PORTRAIT Né le 6 octobre 1932 à Marseille, Claude Klotz, alias Patrick Cauvin, licencié en philosophie, enseigne le français dans des lycées de la région parisienne de 1964 à 1976, tout en publiant des romans noirs. En 1974, il propose un nouveau manuscrit à son éditeur, JC Lattès, L’Amour Aveugle. Le style est résolument différent, la maison d’édition lui demande de prendre un pseudo : la carrière de Patrick Cauvin vient de commencer, elle prendra le pas sur celle de Claude Klotz.

EM : Avez-vous choisi d’exercer le « plus beau métier du monde » ? PC : Soyons honnête, je n’avais pas la vocation. J’étais passionné de philo, j’ai donc fait une licence, puis je me suis demandé : que faire pour gagner ma vie ? Lorsque je suis revenu de la guerre d’Algérie, l’enseignement, c’était ma porte de sortie. J’ai aimé ça, petit à petit. Je vivais dans un univers d’enfants assez malheureux, qui considéraient les cours d’enseignement général comme une récré, qui les sortait des ateliers, et de tout cet univers ouvrier dur. D’autant qu’au collège de Bezons, les usines étaient juste de l’autre côté de la route. L’été, les portes coulissaient et les mômes y voyaient leur futur… Ce n’était pas très rose. J’ai commencé dans un collège d’enseignement technique, aujourd’hui LEP, en banlieue dure, où il y avait des futurs ajusteurs, fraiseurs, tourneurs… J’y suis resté sept ans et j’ai eu affaire à un public assez étrange, parce que ces mômes n’avaient pas choisi d’être là. Ils n’avaient pas réussi leur scolarité classique ; aussi les balançait-on dans ce fourre-tout qu’était le technique. J’ai vu des gosses qui avaient très peur des machines et pour qui entrer dans un atelier était angoissant. EM : Comment se passaient les cours ? PC : C’était un combat de tous les jours. J’ai réalisé que les heures où ça ne se passait pas bien, c’était toujours de ma faute. C’est que mon cours était emmerdant. Il ne fallait pas leur en promettre. Ils avaient envie

d’une façon d’enseigner qui les change de la routine. EM : Aviez-vous une méthode ? PC : Non, je n’avais pratiquement pas de formation pédagogique, sauf les cours à l’école normale. Il me fallait donc trouver des astuces pour me mettre à leur portée. Or, pour inventer et rendre la grammaire française plaisante, ce n’est pas de la tarte. J’ai parfois triché en choisissant les textes que j’aimais : Blaise Cendrars, des polars américains noirs... On ne défend bien que ce que l’on aime. J’ai même proposé d’adapter Apollinaire à la guitare. J’avais une classe à qui j’enseignais le théâtre. Si j’arrivais avec une pièce classique à lire, cela ne passait pas. Il fallait directement les faire jouer, en choisissant les scènes où il y avait le plus d’action. Je me souviens d’une scène dans L’Avare qui a tourné au combat de catch ! EM : Vos livres sont empreints d’humour, était-ce déjà une de vos astuces en classe ? PC : Je pense qu’il y avait de ça. Lorsque mes livres ont bien marché, j’ai annoncé en 76 à mes élèves que je quittais l’enseignement. Le lendemain, vers 8h30, on a sonné chez moi et sur le pas de la porte, toute la classe était là, avec du mousseux ! J’étais content, ému et les ai invités à entrer. Ma fille leur a demandé s’ils chahutaient lorsque je faisais cours. Tous se sont regardés et ont dit non, vraiment très peu. Elle leur a demandé pourquoi. Là, j’ai failli tomber de ma

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chaise car un des mômes a répondu : « Parce qu’on avait peur. » Il précisa : « On avait peur de votre humour, que vous vous moquiez de nous… On était moins forts que vous en humour ! En fait vous avez régné comme ça. » Cela dit, mieux vaut régner par l’humour que par la punition ! EM : Vous défendiez les textes que vous aimiez, plutôt que le programme. Quel effet cela vous fait de voir que ce dernier reprend aujourd’hui les vôtres ? PC : J’ai l’impression d’avoir une barbe très longue (rires). Cela donne un coup de vieux, car vous devenez un « classique ». Parfois c’est invraisemblable, j’ai trouvé dans un manuel un extrait de mon livre Paris Vampires. Il y avait une rédaction à rendre : « Reprenez la première partie et introduisez dans ce texte des éléments de sérieux qui lui font défaut ». Ce que j’espérais être rigolo, les mômes devaient s’évertuer à le rendre plus sérieux ! C’est typique de l’Éducation nationale, car le rire doit être l’ennemi du prof. Alors qu’en fait il est son plus grand ami ! EM : Que faut-il comme autres qualités pour être un bon professeur ? PC : L’enthousiasme me semble très important. Les gosses doivent sentir que vous êtes concerné à part entière par ce que vous faites. Ils savent parfaitement quand vous fatiguez, quand vous en avez marre… Il y a une question de regard entre un prof et les mômes, il faut les considérer comme des êtres humains. Il faut dépasser la simple fonction d’un prof à son élève, supérieur à inférieur, pour qu’il y ait un échange, avec un enrichissement le plus souvent réciproque. EM : Revenons à l’époque où vous étiez élève. Vous aviez l’école en horreur. Paradoxal pour un professeur, non ? PC : Je dé-tes-tais l’école. J’ai détesté ça dès la première seconde. Je ne sais pas pourquoi, d’abord je quittais ma mère, je rentrais dans un univers épouvantable, et d’une telle laideur avec ces couleurs vertes… Au lieu de jouer en bande, je restais les bras croisés. Il fallait comprendre, et je n’étais pas sûr de tout comprendre. En plus, il y avait des ordres, une gestuelle : il ne fallait pas bouger, pas parler. C’était insupportable ! (il trépigne sur sa chaise) Des années plus tard, je sens que je me révolte encore (rires).

EM : Un professeur vous aurait-il traumatisé ? PC : Je n’ai pas eu de chance, car j’ai eu des instits qui n’ont vraiment pas été sympas. Particulièrement un, que j’ai subi quatre ans. Je n’en connais pas les raisons, mais il y a eu une antipathie réciproque immédiate. Les années passant, lorsque mon premier livre a été publié, j’ai cherché à retrouver ce professeur pour le lui envoyer, car il m’avait toujours dit que je n’arriverais à rien. Mon père m’a alors appris qu’il était mort. Et ça m’a fait une peine infinie… Non pas qu’il soit mort, mais qu’il m’ait été impossible de lui prouver que, finalement, on pouvait se tromper ! Que ce petit bonhomme, qu’il avait assassiné tous les jours, était devenu prof et qu’il écrivait des livres. Dans ce sens très négatif, l’influence d’un enseignant sur un élève est vraiment importante. On n’a pas le droit de prendre un gosse en grippe, même le plus pénible. C’est le métier, il faut prendre sur soi. Si on n’a pas les nerfs pour ça, il faut arrêter. EM : Il y a beaucoup d’enfants dans vos livres… Avoir été prof a-t-il joué sur votre écriture ? PC : Oui, cela a joué de deux façons. Quand je travaillais des textes avec mes élèves, quels que soient les livres, je sentais quand l’attention faiblissait. Là, je me disais c’est trop long ; là, il faudrait un rebondissement. Je savais ce qui les intéressait. Encore aujourd’hui, j’ai toujours un collégien derrière mon dos qui lit ce que je suis en train d’écrire et qui dit : « là, j’aimerais bien que ça bouge ; là, je voudrais que ça continue… » Si je n’avais pas enseigné, j’aurais écrit différemment et de façon moins claire et moins « populaire », dans le sens positif. Ce qui m’intéresse, c’est d’être lu par des gens qui n’ont pas forcément fait la fac et qui sortent un livre sur la plage l’été, se régalent si possible, et qui surtout ne le lâchent pas ! EM : Auriez-vous des conseils à donner aux futurs enseignants ? PC : N’écoutez aucun conseil ! C’est déjà un conseil en soi… Une classe, ça se renifle très vite. Ils sont là, premier jour de septembre, ils vous regardent, vous les regardez, et là il va falloir vivre ensemble un an et cela ne va pas être facile tous les jours. Il faut trouver dès la première semaine, très vite, un truc qui les amène à éclater de rire. Qui leur fasse réaliser qu’un prof, c’est aussi un homme qui a son sens de l’humour et qui n’est pas réduit à sa fonction !

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