Santé
PRÉSERVER L’ÉLÈVE
PROBLÈMES FAMILIAUX !
DES
42 42--éducation éducationmagazine magazine--n° n°01 01
EM01_042-045_Pbefamiliaux_B1_SR_JPE.indd 42
3/08/09 16:00:53
Les soucis familiaux (une maladie, un décès, un divorce…) affectent la scolarité des enfants. Pour leur laisser le temps de les « digérer », les parents ont intérêt à relâcher la pression sur les notes, tout en maintenant le cap sur les apprentissages et le respect des règles.
L
© crabshack photos
Par Anne Lanchon
EM01_042-045_Pbefamiliaux_B1_SR_JPE.indd 43
’année scolaire a été catastrophique pour mon aîné, raconte Isabelle, mère de deux garçons de 13 et 10 ans. Son père et moi étions en pleine séparation. J’étais accaparée par de nombreuses démarches, anéantie par le chagrin, et incapable - psychiquement - de l’encadrer. Il en a profité et s’est laissé aller. Résultat : sa moyenne a chuté de deux points, ce qui n’a pas manqué de me culpabiliser. Non seulement nous lui imposions un divorce, mais en plus, nous contribuions à le mettre en échec. » Séparation, chômage, maladie… Les problèmes que traversent les familles ne laissent pas indemnes les enfants et ont nécessairement un impact sur leur scolarité. Certains le manifestent par leur comportement : ils se replient sur eux-mêmes et s’isolent (plutôt les filles), se montrent insolents avec leurs enseignants, peu respectueux du cadre (surtout les garçons), parfois agressifs avec leurs pairs. D’autres préfèrent laisser leurs soucis à la porte de l’établissement et agissent comme si de rien n’était. Ce que Marc Buhau, professeur de français à Viry-Châtillon (91), nomme « La théorie du sanctuaire ». Le collège ou le lycée devient alors un lieu refuge, qui leur permet d’échapper à leurs soucis familiaux. Mais le plus souvent, ces inquiétudes se traduisent par une démotivation et une baisse provisoire des performances scolaires. « Les élèves ne sont pas disponibles psychiquement pour emmagasiner des connaissances ou écouter en classe, explique Jean-Luc Aubert, psychologue et psychothérapeute(1). Ils ont d’autres problèmes à résoudre avant, doivent s’adapter à des situations nouvelles, ce
qui mobilise toute leur énergie : Maman survivra-t-elle à son cancer ? Papa retrouvera-t-il du travail ? M’aimera-t-il encore, s’il se remarie ? » Ce que le fils d’Isabelle a un jour parfaitement résumé : « Je ne pense qu’à ça ! » Les capacités d’apprentissage, notamment, sont les plus malmenées. « Attention, concentration, mémoire : toutes les facultés cognitives de l’adolescent sont parasitées par les émotions qui le submergent », constate Gilles-Marie Valet, pédopsychiatre(2). « Les adultes en difficulté connaissent les mêmes symptômes, remarque la pédopsychiatre Nicole Catheline(3), mais ils peuvent, pour un temps au moins, se mettre “ en pilotage automatique ” à leur travail. Au collège ou au lycée, c’est nettement plus difficile, car l’élève a vite fait de perdre pied. » Comment comprendre le troisième chapitre en maths, si on a « zappé » le deuxième ? Ne pas dissimuler la réalité de la situation Pour éviter d’en arriver là, la première règle consiste à informer l’adolescent sur une situation qui le concerne, sans mentir pour le « protéger » soi-disant, mais en s’adaptant à ce qu’il est capable d’entendre. Exemple : ta sœur est gravement malade, (il se peut qu’elle meure), mais les médecins vont tout mettre en œuvre pour la guérir. « L’enfant à qui l’on cache quelque chose n’est pas dupe, constate le pédopsychiatre Jean-Philippe Raynaud(4). Il voit bien que ses parents sont inquiets et imagine parfois bien pire, ce qui accroît son anxiété. Il ne faut pas qu’il se sente exclu non plus, indigne de recevoir une telle confidence, et dévalorisé. Enfin, si l’un de ses parents doit mourir, il doit n° 01 - éducation magazine - 43
3/08/09 16:00:57
Santé pouvoir “ profiter ” des derniers instants avec lui. Et tant pis s’il passe le bac une semaine plus tard : sa relation filiale compte plus que ses études. »
PRENEZ GARDE AU SURINVESTISSEMENT SCOLAIRE Certains enfants réagissent à leurs problèmes familiaux en surinvestissant l’école. Une manière pour eux d’oublier pour un temps le divorce ou la maladie de leurs parents, mais aussi de ne pas « en rajouter » aux soucis de ces derniers. Cette attitude, certes profitable sur le plan scolaire, les positionne un peu comme de petits adultes. Les parents, que ce comportement rassure (« Il a très bien vécu notre séparation ! »), doivent rester attentifs, veiller à ce que leurs ados ne prennent pas trop sur eux et ne passent pas à côté de leur jeunesse, qui est aussi faite d’insouciance, d’amitiés, de découvertes de toutes sortes. Le risque, c’est qu’ils réagissent à retardement, lorsque l’un des parents se remet en couple, par exemple.
1 – Auteur de Les sept piliers de l’éducation, Albin Michel, 2009. 2 – Auteur de L’âge de raison, Larousse, 2007. 3 – Auteur de Harcèlements à l’école, Albin Michel, 2008. 4 – Auteur, avec le Dr Michel Vignes, de Vivre avec un parent malade…, Milan, 2008. 5 – Auteur de Traverser les épreuves de la vie avec nos enfants, Bayard, 2001. 6 – Auteur, avec Anne Lanchon, de Séparé mais pas brisé, se reconstruire après une séparation, Milan, 2008. 7 – Auteur de Collège, Guide des parents, Hachette pratique, 2008.
Inciter l’adolescent à verbaliser ses inquiétudes Parallèlement, il est important qu’il exprime ses sentiments en toute sincérité : est-ce qu’il appréhende de déménager, de moins voir son père ? Est-ce qu’il a honte d’avoir une mère dépressive ? Mettre des mots sur ses émotions l’aide à mieux les maîtriser. Si les parents, trop impliqués ou trop fragilisés eux-mêmes, n’y parviennent pas, ils peuvent faire appel à une tierce personne : un oncle ou une tante, un psychothérapeute. Ce qui compte, c’est de maintenir le contact, malgré la fatigue, la tristesse, la colère. De préserver quelques moments de détente avec lui ; la vie continue, et elle ne se résume pas à un divorce ou à son bulletin de notes ! N’hésitons pas à nous confier à lui aussi. Nous regrettons d’être aussi peu disponibles en ce moment, de manquer de patience, tout en le rassurant : la situation ne s’éternisera pas. L’enfant est tout à fait apte à le comprendre, sa peine et son inquiétude en seront allégées. « Cessons de culpabiliser et de vouloir être des parents parfaits, rassure la psychologue et journaliste Agnès Auschitzka(5). Il faut renoncer à cette illusion de toute-puissance. Nous ne sommes pas tout pour nos enfants ! Et en cas de défaillance, n’hésitons pas à demander de l’aide ». Cette aide, les parents peuvent la trouver auprès d’un grand-parent, d’un étudiant qui pourra prendre en charge les devoirs, faire le lien entre les deux foyers en cas de divorce. Auprès de l’autre parent enfin, sous réserve de mettre de côté ses rancoeurs et de bien communiquer, ce qui est loin d’être aisé après une séparation. On l’informera que l’enfant a un contrôle de maths lundi, qu’il sort plus tôt jeudi ou qu’il s’est fâché avec son meilleur ami... E-mail, SMS ou carnet de transmission, à
chacun son mode de communication, l’idéal étant de ne pas se montrer trop intrusif. Séparés, les parents conservent tous deux l’autorité parentale, ce qui leur confère des responsabilités. Celle de s’intéresser à ce que l’ado apprend en classe, de vérifier ses devoirs et ses cahiers, son carnet de correspondance, de rencontrer (si possible à deux) ses enseignants… sans critiquer la manière dont l’autre le fait ou ne le fait pas. « Discréditer l’autre parent revient à dévaloriser son enfant, rappelle Agnès Van Kote, médiatrice familiale(6), parce qu’il est biologiquement composé à 50 % de chacun d’entre eux ». Si les notes accusent un net fléchissement, il est primordial d’informer les enseignants sur la situation, à moins qu’ils aient déjà pris l’initiative de vous convoquer. Professeur, professeur principal, conseiller d’éducation ou chef d’établissement, peu importe. L’essentiel est de choisir l’interlocuteur avec lequel vous avez le plus d’affinités, car il n’est pas facile d’exposer sa vie privée. Inutile de rentrer dans les détails, les grandes lignes suffiront pour qu’ils se montrent bienveillants, n’attribuent pas à la paresse ou à la désinvolture ces contre-performances, et n’enfoncent
44 - éducation magazine - n° 01
EM01_042-045_Pbefamiliaux_B1_SR_JPE.indd 44
3/08/09 16:00:58
pas davantage votre enfant. « Les enseignants savent préserver l’intimité de leurs élèves, rassure Marc Buhau. Ils ne révèlent à leurs collègues que le strict nécessaire pour comprendre leur changement d’attitude. »
© Jamie Lee - Fotolia.com
Parents et enseignants doivent agir de concert Cette rencontre est aussi indispensable pour mettre au point une stratégie commune, car il n’est pas question de laisser l’adolescent dériver et s’installer dans l’échec. Et ceci ne peut se faire que main dans la main. C’est l’intime conviction de Michèle Maréchal(7), proviseur d’un lycée professionnel à Saint-Maur-des-Fossés (94) : « Parents et enseignants listeront ensemble les difficultés à résoudre : problème d’apprentissage, de concentration en cours, isolement relationnel, problème financier… Ensemble, ils trouveront les solutions appropriées : soutien scolaire, aide psychologique, prise en charge de la cantine… En vérifiant quelques mois plus tard que les objectifs ont bien été atteints. Encouragés et soutenus par le corps enseignant, parents et élèves voient leurs inquiétudes soulagées. » Pour finir – c’est peut-être le point capital –, il est bon que durant cette période troublée les parents relâchent leur pression sur les notes. L’enfant n’est pas qu’un élève et il a besoin de temps pour « digérer » ses problèmes. À bannir, les petites phrases
“
UN PROBLÈME PEUT EN CACHER UN AUTRE
Les difficultés scolaires d’un enfant ont souvent une origine multifactorielle, et on les attribue parfois uniquement à un problème familial, qui ne fait que les révéler. Certes, l’enfant a sans doute été perturbé par le départ de son père, ou le décès de sa grand-mère, mais n’avait-il pas déjà des problèmes de concentration ou de dyslexie auparavant ? L’apprentissage résulte d’un processus très complexe, en progression perpétuelle. Les parents ne peuvent se contenter d’une explication trop simple, qui les ferait passer à côté des vraies causes. L’idéal serait que leur enfant rencontre un psychopédagogue pour faire un bilan.
Nicole Catheline, pédopsychiatre au CHU de l’hôpital Henri Laborit de Poitiers.
assassines telles que « J’ai assez de soucis comme ça, pour que tu en rajoutes ! » Elles ne font qu’accroître son anxiété et le culpabiliser. « Ce qui compte, remarque Gilles-Marie Valet, c’est de maintenir le cap sur les leçons, les devoirs et le respect des règles scolaires : assiduité, ponctualité… Peu importe si les résultats ne sont pas à la hauteur, l’essentiel est de le maintenir dans une dynamique d’apprentissage et un fonctionnement équilibré, pour qu’il ne soit pas largué ensuite. » Agnès Auschitzka s’insurge contre les parents qui placent l’école au-dessus de tout : « Comment exiger qu’un adolescent qui vient de perdre sa mère réussisse ses contrôles ? C’est oublier qu’il a un deuil à faire, ne voir en lui qu’un élève risque de le fâcher définitivement avec l’enseignement. Cette épreuve douloureuse, terrible, est aussi un temps d’apprentissage dont il sort mûri, fier d’avoir trouvé en lui les ressources pour la surmonter, confiant dans ses capacités. Nul doute qu’il saura le mettre à profit lors d’une prochaine épreuve… un examen par exemple. » C’est ce qu’on appelle la résilience. ■
”
POUR ALLER PLUS LOIN
Pour les adultes : •Séparons-nous mais protégeons nos enfants, de Stéphane Clerget, Albin Michel, 2004. • Réussir la garde alternée, de Gérard Poussin et Anne Lamy, Albin Michel, 2004. • Un seul parent à la maison, de Jocelyne Dahan et Anne Lamy, Albin Michel, 2005 • Surmonter les épreuves de la vie avec nos enfants, d’Agnès Auschitzka, Bayard, 2001. Pour les adolescents : • Comment survivre quand les parents se séparent, de Stéphane Clerget et Bernadette Costa-Prades, Albin Michel jeunesse, 2004. • Depuis que mon père est au chômage, de Pierre Mezinski, De la Martinière jeunesse, collection Oxygène, 2005. • Les miens aussi ils divorcent !, de Florence Cadier, De la Martinière jeunesse, collection Oxygène, 2008. • Mon père me manque, de Betty Mamane et David Pouilloux, De la Martinière jeunesse, collection Oxygène, 2005. n° 01 - éducation magazine - 45
EM01_042-045_Pbefamiliaux_B1_SR_JPE.indd 45
3/08/09 16:00:58